Titre : Le XIXe siècle : journal quotidien politique et littéraire / directeur-rédacteur en chef : Gustave Chadeuil
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1894-05-01
Contributeur : Chadeuil, Gustave (1821-1896). Directeur de publication
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Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
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Description : 01 mai 1894 01 mai 1894
Description : 1894/05/01 (A24,N8142). 1894/05/01 (A24,N8142).
Droits : Consultable en ligne
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Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-199
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 29/04/2013
VINGT-QUATRIÈME ANNÉE. — Ne 8,142;
LE fNUMâÙ) CINQ CENTIMES
: MARDI 1" MAI
REDACTIOU-ET AORIHISTRATIOR
142, Rue Montmartre
Rue Montmart r
PAlWI ',t-.-
h V
I:IECTEUI POLITIQUE
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LIRE A LA 2e PAGE
LE SALON CES CHAMPS-ELYSÉES
Par ROGER MARX
DilriMsjpaistes ,
Le factum récité samedi soir par
Henry devant la cour d'assises a une
originalité : 'il n'est pas de ton décla-
matoire, comme le sont les réquisi-
toires contre la société que d'autres
avaient prononcés avant lui. Ceux qui
aiment le ton pathétique et auxquels il
faut les trémolos 'de l'orchestre pour
souligner les passages émouvants s'en
montreront quelque peu étonnés. Mais
la froideur avec laquelle Henry se livre
sur lui-mêmeà une étude psychologique,
la simplicité qui veut se faire orgueil-
leuse et hautaine avec laquelle il déduit
les motifs qui ont guidé son Dras; sont
de nature à troubler plus d'un esprit
peut-être et à déconcerter certains de
ceux qui n'ont pas une bien grande so-
lidité de raisonnement.
Ce morceau ne résout assurément
pas d'une façon définitive le doute que
l'on a pu émettre sur l'état mental de
l'anarchiste. S'il prouve, que celui-ci
enchaîne ses idées et qu'ilne présente
aucun symptôme d'inconscience, il n'é-
tablit pas qu'il soit cependant un
détraqué incapable de faire la dis
tinction entre une idée juste et une
idée fausse, ou un impulsif hors d'é-
tat de résister à un entraînement, de
surmonter le découragement qu'un
premier échec lui a causé.
Laborieux, il l'a été, peut-être même
avec excès, à un âge où l'intelligence
ne supporte pas l'effort incessant; intel-
ligent, le succès relatif qu'il a remporté
en étant admissible à l'Ecole polytech-
nique ne permet pas de douter qu'il le
soit. Mais, dans cette partie de sa vie, il
suit un chemin tracé d'avance et il ne
met pas en doute, un seul instant, que
ce chemin le conduira tout droit, sans
prévoir, sans songer qu'un obstacle
pourra se dresser devant lui. Le jour où
un obstacle se présente, toute sa con-
fiance disparaît, il perd toute direction
et il ne sait plus que maudire la société,
s'en prendre à elle de son échec, ce qui
n'est un signe ni d'intelligence ni d'é-
nergie, mais est, au contraire, l'ordi-
naire ressource des esprits faibles et
des volontés chancelantes.
Il ne s'en tient pas à ces malédictions
platoniques : il lui paraît Jout légitime
de tirer vengeance d'une société assez
mal organisée pour ne lui avoir pas
donné plus de facilités, pour n'avoir
pas ouvert largement la voie devant lui,
et il conclut froidement qu'en lançant
au hasard des bombes, il atteindra tou-
jours des ennemis, car il a déclaré la
guerre à la société tout entière.
Il n'a aucune raison d'animosité per-
sonnelle contre la Compagnie de Car-
maux. Mais la maison où sont ses
bureaux est une maison riche, habitée
par des bourgeois. Quelles que soient
les victimes, le but désirable sera atteint.
« Il n'y aura -. pas de victimes inno-
centes, car la bourgeoisie tout en-
tière vit de l'exploitation des malheu-
reux ; elle doit, tout entière, expier ses
crimes. » Si l'engin n'éclate pas à l'a-
venue de l'Opéra, il éclatera au com-
missariat de police, atteignant toujours
ainsi ceux qu'Henry considère comme
ses ennemis.
Il n'a non plus aucune raison de
choisir un café plutôt qu'un autre. Il
ne se décide que parce qu'il y a plus de
monde là qu'ailleurs et qu'il veut frap-
per en bloc. Il tape dans le tas, comme
il le déclare lui-même, et il prétend lé-
gitimer son acte en disant que c'est
pour que « la bourgeoisie comprenne
bien que ceux qui ont souffert sont las
de leurs souffrances ».
Si convaincu qu'Henry se soit mon-
tré de la « légitimité » de ce qu'il ap-
pelle des « réprésailles », cette convic-
tion ne saurait passer dans un esprit
doué de quelque réflexion. Que la so-
ciété ce soit pas organisée de la façon
la plus satisfaisante, nul, certes, ne
songe à le contester, et les efforts in-
cessants que tous les partis politiques,
toutes les écoles économiques ou socia-
les, font pour l'améliorer dans le sens
de leurs désirs, montrent bien que nul ne
la croit parvenue à un bien haut point
de perfection. A supposer même qu'elle
fût plus imparfaite encore qu'elle ne
l'est, que toutes les critiques, tous les
griefs d'Henry, fussent justifiés, serait-
ce cependant une raison pour légitimer
les moyens de réforme auquel il a re-
couru?
On peut bien admettre "quemême
ces moyens ayant réussi, les doctrines
anarchistes ayant prévalu et la société
ayant été réorganisée sur des bases
nouvelles, trop incertaines d'ailleurs
par que l'on puisse en apprécier la
force, il se trouverait des mécontents,
des hommes pour lesquels l'état de
choses nouveau paraîtrait défectueux
pour quelque endroit critiquable à cer-
tains égard. 6eux-là auront ils donc le
droit de dynamiter à leur tour les dy-
namiteurs ? Leur seul moyen d'action
sera-t-il le retour à la violence ? Ou
bien la société anarchique proclamera-
t-elle illégitime contre elle l'emploi de
procédés qui lui paraissent légitimes
employés contre les autres ?
Si les anarchistes n'en admettent pas
la légitimité, dirigée contre l'état de
choses issu de la révolution qu'ils pro-
phétisent, ils ne peuvent, sans une con-
tradiction grossière, contester à la so-
ciété actuelle le droit de se défendre
contre eux ; et s'ils l'acceptent, ils arri-
vent à cette conception monstrueuse de
remplacer le droit par la violence, la
justice par la force, la civilisation par
un retour à la barbarie. C'est une triste
réforme, et il serait difficile de la con-
sidérer comme un progrès.
Comment M, Perdre respecte la loi
Le commissaire de police à la Compagnie
transatlantique.
Les lecteurs du XIX- Siècle ont été mis au
courant de l'obstination vraiment inouïe avec
laquelle la Compagnie transatlantique dé-
sobéit aux prescriptions es plus formelles de
la loi.
La Compagnie transatlantique est une so-
ciété anonyme, par conséquent soumise aux
prescriptions de la loi de 1867.
De plus, c'est une société subventionnée
par l'Etat et chargée d'un service public.
Plus qu'aucune autre elle devrait donc
avoir le respect de la loi.
Or, la loi de 1867 dit expressément, arti-
cle 28 : ;
Dans toute assemblée générale les délibérations
sont prises à la majorité des voix. Il est tenu une
feuille de présence : elle contient les noms et do-
micile des actionnaires et le nombre d'velions dont
chacun d'eux est porteur. Cette feuille, certifiée par
le bureau de l'assemblée, est déposée au siège so-
cial et doit être communiquée à tout requérant.
Fort de cet article de la loi, un actionnaire
de la Compagnie transatlantique a, comme
nous l'avons dit, demandé à M. Eugène Pe-
reire communication de la liste de la der-
nière assemblée, qu'encore une fois il n'est
jamais venu à l'esprit d'aucune société sé-
rieuse de refuser non seulement à un action-
naire, mais môme, comme le dit la loi, à un
requérant quel queil. soit.
M. Pereire a refusé cette communication. Il
s'est laissé assigner devant le juge des réfé-
rés, lequel a rendu une ordonnance qui con-
damne la Compagnie transatlantique à se
conformer à la loi.
Cette ordonnance, que nous avons publiée,
est exécutoire nonobstant appel, même avec
l'assistance du commissaire de police.
Muni de cette ordonnance, le requérant
s'est rendu à la Compagnie transatlantique et
le procès-verbal que nous publions ci-dessous
est une preuve nouvelle de la manière vrai-
ment étrange dont M. Pereire et ses collègues
respectent, non plus seulement la loi, mais
encore les décisions de la justice:
L'an mil huit cent quatre-vingt-quatorze, le vingt
six avril,
A la requête de monsieur Emile Rousseau, pro-
Eriétaire, demeurant à Asnières lSeine), rue Amé-
lie, ne 7,
Pour lequel domicile est élu à Paris, 33. rue du
Sentier, en l'étude de M* Moreau, avoué.
Je, Jules-Pierre-Marie Berton, huissier près du
Tribunal civil de la Seine séant à Paris, y demeu-
rant, 3, rue du Faubourg-Poisonnière, soussigné.
En vertu de la grosse duement en forme execu-
toire d'une ordonnance de référé rendue par mon-
sieur le président du tribunal civil de la Seine,
le trois avril mil huit cent quatro-vingt-quatorzo
enregistrée et signifiée,
Me suis transporté, assisté de mon requérant,
: A Paris, rue Auber, na 6, au siège de la Compa-
gnie générale transatlantique,
Où étant, j'ai fait sommation à ladite Compagnie
générale transatlantique, en la personne de son
directeur et parlant a monsieur le chef du con-
tentieux de ladite Compagnie. - * '0-
De, conformément à ladite ordonnance, avoir à
l'instant même à représenter au requérant ici pré-
sent et à lui en laisser prendre communication la
feuille de présence des actionnaires de ladite So-
ciété dressée lors de l'assemblée générale du vingt-
neuf juin dernier par la Compagnie générale trans-
atlantique.
A quoi il m'a été répondu par monsieur le chef
du contentieux de la Compagnie Transatlantique
que le document réclamé à la Compagnie est aux
mains de l'avocat chargé de la représenter devant
la Cour sur l'appel interjeté par elle de l'ordonnance
de référé en vertu de laquelle nous procédons ;
qu'il ne lui est donc pas possible de nous remet-
tre quant à présent cette pièce. Requis de signer, a
dit être inutile.
Vu cette réponse, j'ai dû requérir l'assistance de
monsieur le commissaire de police du quartier et,
de retour avec ce magistrat, j'ai réitéré la somma-
tion ci-dessus; mais monsieur le chef du conten-
tieux de la Compagnie transatlantique a persisté
dans sa déclaration qui précède.
Vu l'impossibilité de procéder quant à présent à
l'exécution de ladite ordonnance, je me suis retiré
en faisant pour mon requérant toutes protestations
et réserves de droit et notamment sous réserve de
tous dommages-intérêrêts;
Et de es que dessus, j'ai rédigé le présent procès-
verbal en présence et accompagné de messieurs
Alexandre Dalancourt et Georges Laville, témoins
par moi requis, demeurant à Paris, 3, rue du Fau-
ourg-Poissonnière, soussignés, et en présence de
monsieur le commissaire de poliee, duquel procès-
vecbal j'ai laissé copie à la Compagnie générale
transatlantique, parlant comme dessus.
Coût : trente francs soixante-quinze centimes. -
Employé une feuille de papier spécial à 1 fr. 20
pour la copie.
Signé : J. BERTON; A. DALANCOURT ; G. LAVILLE.
Il arrive souvent, hélas l qu'un créancier
soit obligé de se faire assister du commissaire
de police pour opérer la saisie du mobilier
ou des effets d'un débiteur insolvable ou de
mauvaise foi. ,
Mais un actionnaire obligé de se faire as-
sister du commissaire de police dans le but,
non atteint d'ailleurs jusqu'ici, d'obliger une
compagnie subventionnée par l'Etat de se
conformer aux lois de cet Etat, c'est un
spectacle et un scandale qu'on n'avait ja-
mais vus. ! \J .;.," i
M. Eugène Pereire fait dire par son chef du
contentieux qu'il se moque de l'ordonnance
du juge des référés, parce qu'elle est sans
sanction effective.
Nous croyons que M. Pereire se trompe
lourdement ; il s'en apercevra bientôt.
En attendant, la résistance de ce financier
incapable et prétentieux prouve quelle atroce
frayeur lui fait éprouver la seule idée que les
actionnaires de la Compagnie transatlanti-
que pourraient se concertei entre eux pour ar-
rêter ensemble les seules mesures capables,
de les préserver d'une J'ume complète et dé*
finitive. • - •'.» •- r"*. : - .," ",.:' :
LES MINISTRES A LYON 1
,
INAUGURATION DE, CE QUI SERA
PEUT-ÊTRE L'EXPOSITION "-
Petit tableau suggestif. — Exposants qui
n'ont rien exposé. — Vif incident
au banquet. — Le tramway de
M. Claret.fi * y
(Par dépêche de notre envoyé spécial)
Lyon, 29 avril. ;
C'est par une pluie battante que M.Casimir-
Perier a inauguré, cet après-midi, l'exposi-
tion de Lyon, ou plutôt ce qui est appelé à le
devenir un jour. Il est impossible, en effet,
d'imaginer quelque chose de plus fantaisiste
que ce titre d'exposition universelle décerné
à ces grandes bâtisses à moitié construites qui
s'élèvent au milieu des décombres, des plâ-
tras, sans ordre, sans méthode, sans expo-
sants surtout.
Jamais, pour notre part, nous n'avons as-
sisté à pareil spectacle, et s'il est vrai, comme
on le dit, que M. Glaret ait loué à l'heure ac-
tuelle pour dix-huit cent mille francs d'empla-
cements, il est au moins permis de se deman-
der quel est le but qui a guidé les industriels tt
les commerçants qui ont versé dans sa caisse
cette assez jolie somme. Sans exagération, il
n'y a pas plus de cinquante vitrines qui
soient à peu près garnies ; les autres ne sont
même pas achevées de peindre. Certaines sont
à peine commencées. Bien mieux, le plancher
du bâtiment central n'est pas fini de poser et,
dans les pavillons annexes, les toitures man-
quent généralement. ,'"
Le palais des arts religieux, où a eu lieu la
cérémonie, n'est pas beaucoup plus avancé.
Il a bien un toit, mais il pleut à travers.
En fait, l'exposition de M. Claret rappelle
en petit l'exposition de 1867. Elle est édifiée
sur le même modèle : une vaste rotonde divi-
sée en sections aboutissant toutes à un point
central.
Malheureusement, comme on a laissé aux
exposants le soin de choisir eux-mêmes dans
chacune des sections la place qui leur sem-
blait la meilleure, sans se préoccuper seule-
ment de faire respecter les passages qui doi-
vent servir aux promeneurs, il en résulte que
c'est un fouillis inextricable, au milieu duquel
il est impossible de se reconnaître.
A ce défaut s'en ajoute un autre qui nuit
considérablement à l'aspect du monument :
c'est que l'entrée a été mise de biais, on ne
sait trop pourquoi.
Ceci n'est rien, du reste, à côté des mille
choses étranges et bigarres qu'on a été amené
à relever au cours de cette première visite.
C'est ainsi qu'un de nos confrères, cherchant
vainement le pavillon de l'agriculture, de-
manda à un gardien de vouloir bien le lui
indiquer. Le gardien, très obligeamment, lui
montre la charpente d'une construction :
— C'est ça, lui dit-il. »
En réalité, tout est de même.
Plus loin, un autre de nos confrères roulait
entrer dans une enceinte réservée. On lui en
interdit l'accès.
— La consigne est absolue, fait un pré-
posé. *
— Il y a donc là des objets précieux ? de-
mande notre confrère.
—- Oh 1 nqp, Monsieur, répond le préposé,
il n'y a rien du tout.
C'est le mot de la situation. En revanche,
il y a une baraque de somnambule en excel-
lent état. On préférerait peut-être y rencontrer
autre chose, une installation moins sommaire
des soyeux. Seul le panorama est délicieux,
mais M. Claret ne saurait franchement s'en
attribuer le mérite. -
Les ministres ont d'ailleurs paru peu sa-
tisfaits de la mauvaise plaisanterie qu'on
leur a faite en les invitant à venir inaugurer
cette soi-disant exposition.
Quelques coups de sifflet ont encore éclaté
sur leur passage. Ils ont été pourtant infini-
ment plus disséminés qu'hier. Mais l'accueil
est resté aussi froid, et si M. Casimir-Perier et
ses collègues ont fait, malgré tout, bonne
contenance, il est aisé de juger qu'ils rem-
porteront de leur voyage une impression peu
favorable.
M. Claret aurait pu s'en rendre compte,
car tout le monde a remarqué l'indifférence
qu'on a affectée envers lui pendant la cérémo-
nie. A part le maire qui, dans son discours, a
cru devoir glisser quelques mots aimables
pour « ce fils de ses œuvres », personne n'a fait
la plus petite allusion au concessionnaire
général qui bedonnant, la barbe grisonnante,
l'œil éteint, se tenait dans une attitude assez
embarrassée, regardant d'un air très marri sa
boutonnière où fleurit un ruban rouge qu'il
voudrait bien voir s'épanouir en rosette mais
dont l'éclosion se fait, hélas! un peut at-
tendre. On tient probablement à être un peu
mieux fixé sur le résultat de son entreprise,
pour contenter ses désirs et cela s'explique.
On parle déjà de difficultés de toutes sortes,
de discussions assez vives qui auraient éclaté
entre lui et certains entrepreneurs, et ces
bruits ne sont pas faits, bien entendu, pour
dissiper l'inquiétude que l'état des travaux
de l'exposition peut faire concevoir.
En tout cas on s'est soigneusement abstenu
pendant le banquet de lui donner le moindre
encouragement. Pas une phrase, pas un mot
n'a été prononcé en sa faveur.
L'inauguration et le banquet
Je ne m'étendrai pas sur la cérémonie de
l'inauguration ; ce genre de fête se passe en
discours et en petites promenades à travers
des galeries, remplacées à Lyon par des es-
quisses informes où domine le plâtras, ce qui
n'a pas empêché les membres du gouverne-
ment, avant de se retirer, de serrer chaleureu-
sement la main à MM. Claret père et fils, ex-
boulangistes. 1
Le discours de la journée a été prononcé
par M. Casimir-Perier, discours politique
s'entend, qui a été coupé par un incident des
plus vifs. *
C'est au parc de la Tête-d'Or qu'il a été
prononcé, dans le palais de l'Algérie et des
colonies. Cinq toasts ont été portés : par
M. Rivaud, préfet, au président de la Répu-
blique; par M. Ch. Dupuy, président de la
Chambre, qui, dans une allocution très ba-
nale, a bu à M. Gailleton, « maître ès sciences
médicales et ès art administratif », par
M. Champoudry, président du conseil muni-
cipal de Paris, par M. Gailleton auquel M. Ca-
simir-Périer a répondu.
C'est une heureuse fortune, a-t-il dit, pour un
chef de gouvernement, de pouvoir parler en un lieu
où la loyauté sobre des déclarations est plus en
honneur que les brillants artifices' du langage. Je
sais que je puis parler à cœur ouvert. Pour gou-
verner la démocratie, il faut lui appartenir tout en-
tier et avoir foi en elle. Lui meutir ou la flatter,
c'est lui témoigner de la défiance ou du mépris.
Lui dire ce qui risque ( la lui déplaire, c'est sou-
vent la servir. La juger capable d entendre ce qui
lui déplaît, c'est la respecter. Tels sont les princi-
pes qui, en toute circonstance, inspireront notre
politique. - ,.
S'il est légitime que les républicains se sou-
viennent qu'ils ont été longtemps - c'est leur bon-
neur; — des hommes de lutte, marchant à la con-
quête des libertés publiques, plus habitués à l'op-
position qu'au gouvernement, qu'ils sachent bien
- ,<0,- , BM.
qu'aujourd'hui, responsables de la France, ils ont
de nouveaux devoirs à remplir, qu'ils ne voient
pas dans le pouvoir un adversaire, qu'ils y cher.
chent et qu'ils y trouvent la volonté et l'action qua-
tidienne. au service de toutes les doctrines de la
•> Révolution. Le gouvernement qui est devant vous
qu'une ambition, c'est que la démocratie triom-
phante se, reconnaisse en lui.
Vif incident :
A ce moment, l'incident se produit. Le di-
recteur d'un journal ; républicain-socialiste
interrompt et crie : « Pas de politique 1 » Ç'a
été joli 1 Un tumulte indescriptible se produit.
Quelques violents s'approchent de l'interrup-
teur et veulent tout simplement le passer à
tabac.
- A la porte
- Enlevez-le t
;, — Expulsez-le ! -
MM. Claret, père et fils, se faisaient remar-
quer par leur indignation véhémente. D'au-
tres, plus sages, font observer que, somme
toute, le crime n'est pas grand et protègent
celui qu'on veut « enlever ».
On se calme et M. Casimir-Perier peut pour-
suivre son discours en rappelant ce que le
gouvernement dont il est le chef a déjà
fait : projets militaires déposés, projet dégre-
vant les ventes d'immeubles et organisant un
système d'assurances agricoles, puis le projet
de budget « dans lequel le ministre des finan-
ces a introduit tant de mesures ingénieuses
et sages, tant de réformes généreuses et fé-
condes ».
Pas une allusion à M. Coullié ni à l'esprit
nouveau. Voici la fin du discours :
Nous nous efforcerons, avec la conscience du rôle
qui incombe à ceux qui, étant un gouvernement,
doivent répudier les passions étroites des partis,
nous nous efforcerons de rompre toutes les classi-
fications arbitraires, de détruire toutes les cote-
ries, de convaincre et d'apaiser. L'ainhition suprê-
me de celui qui aime son pays et qui est pour
toujours attaché à la même cause, c'est de grouper
autour du même drapeau tous les enfants de la
commune patrie.
Nous savons que notre histoire nationale c'est,
pendant près de dix siècles, l'effort successif de la
monarchie pour réunir des provinces éparses, les
sceller les unes aux autres, briser les pouvoirs lo-
caux et créer la France. Et nous voulons que la
République, fille de 1789, triomphante entin du
despotisme impérial et de la tyrannie démagogique,
offre au monde le spectacle d'une unité morale si
fortement constituée, qu'elle ait le droit de ne rien
craindre et de tout espérer.
Les ministres se souviendront 'de cette vi-
site à Lyon. Coups de sifflet à l'arrivée,
inauguration d'une exposition qui n'existe
pas, protestation au banquet : rien n'a man-
qué à la fête. - -
Comme mot de la fin, je me borne à vous
signaler la dernière invention de M. Claret.
C'est une voiture de tramway vernie en
blanc, ornée de sculptures de bois doré. C'est
là-dedans qu'en sortant de la grande coupole
le cortège a pris place. M. Marty, ministre du
commerce, n'en croyait pas ses yeux et pous-
sait des petits cris d'admiration. Le public
riait à se tordre. :;:Z:; 1
[A propos de ce tramway, l'Agence Havas donne
les renseignements suivants : Ce tramway, d'un
système nouveau et très ingénieux, importé en
France par M. Claret, se meut sans laisser après
son passage aucune trace d'électricité sur la voie,
Les ministres s'en sont fait expliquer avec intérêt
le mécanisme par M. Claret père.j
DERNIÈRE HEURE
Les cléricaux
Il parait que les cléricaux se préparent à
être moins calmes demain, à l'occasion de la
rentrée de l'archevêque, qui revient, juste
après le départ des ministres, de la tournée
qu'il a faite dans son diocèse.
A ce propos, il est bon de noter que toutes
les petites manifestations auxquelles ils se
sont livrés, que toutes les pressions qu'on a
essayé d'exercer sur luisemblent avoir décidé
le président du conseil à maintenir la mesure
prise envers M. Coullié.
Ce soir, à onze heures, une manifestation
sans grande importance s'est produite. Une
bande de deux cents jeunes gens a traversé la
place Bellecour en conspuant les ministres et
les jésuites tout à la fois.
ELECTION LEGISLATIVE
DOUBS
Arrondissement de Montbéliard
M. Hûgust, républicain. ÉLU,
[Il s'agissait de remplacer M. Viette, ancien mi-
nistra des travaux publics qui avait été élu aux
élections générales, le 22 août, sans concurrent,
par 12,518 voix. M. Huguet est le neveu de M
Yiotte.]
L'INCIDENT FRANCO-TURC "',-
Nous avons parlé dans notre dernier nu-
méro d'un incident survenu à Constantinople,
au cours duquel les officiers du stationnaire
français Pétrel auraient été arrêtés pendant
une visite faite en vêtements civils, avec l'au-
torisation du sultan, au vieux sérail, par un
fonctionnaire de police qui a voulu leur faire
subir un interrogatoire. Le gouvernement ot-
toman, sur la réclamation de l'ambassade,
avait promis satisfaction en raison de cette
offense faite à nos officiers.
Nous sommes à même de faire savoir que
le sultan a fait exprimer ses regrets person-
nels à M. Cambon et que la Porte a informé
officiellement notre ambassade que le fonc-
tionnaire de police auteur de cette méprise a
été révoqué.
UNE ARTISTE BRULEE VIVE
Samedi, au moment où la troupe du Théâ-
tre-Libre, qui se rend à Bucarest et à Cons-
tantinople, était réunie à la gare de l'Est, et
alors que les artistes que M. Antoine emmène
avec lui attendaient l'arrivée d'une de leurs
camarades qui devait partir avec eux, Mlle
Dulac, ils virent accourir une bonne qui vint
leur annoncer que sa maîtresse avait été vic-
time dans la nuit d'un épouvantable accident,
qu'elle avait été brûlée vive. La troupe de-
vant partir quand même, on lit prévenir MUe
Irma Perrot qui remplaça Mlle Dulac.
Quant à Mlle Dulac, voici ce qui s'était
passé. Dans la nuit de vendredi à samedi, elle
nettoyait avec de l'essence, chez elle, 110,
boulevard de Clicby, des gants qu'elle devait
emporter pour jouer dans certaines pièces. A
un moment elle prit un de ces gants imbibé
d'essence et le passa à sa mère par-dessus la
bougie allumée. Le gant prit feu et le com-
muniqua rapidement aux vêtements de Mlle
Dulac qui en un instant fut entourée de
flammes.
La mère se mit à crier et lorsqu'on put
étouffer le feu, la malheureuse jeune femme
était atrocement brûlée des pieds à la tête ;
elle avait perdu connaissance et on eut de la
peine à la ranimer. Un médecin fit aussitôt
des pansements, sans pouvoir se prononcer
sur son état. Hier, elle allait un peu mieux,
mais éig - Po peut répondre encore de la
; sauver, ..,.
,CHRONIQBE
;;'tŸ'1.i ! t, ———
I* On a parlé â plusieurs reprises, chez
nous, de cette histoire, à la vérité singu-
lière, mais peut-être, avec l'esprit de
« blague » qui nous est coutumier, pas
assez sérieusement. Il y a deux ans, un
écrivain viennois connu par ses travaux
d'économie politique, le docteur Hertzka,
publiait un livre intitulé Freiland (Terre
libre), où sous la forme du roman — un
roman assez grave tout de même — il dé-
crivait une société idéale fondée sur
de tout autres bases que celles sur lesquel-
les s'appuie la nôtre. Un peuple était
censé exister, en pleine Afrique, où il n'y
avait nulle iniquité sociale, où on ne con-
naissait aucune des monstruosités d'iné-
galité et de misère qui désolent la vieille
Europe.
Quelle chimère, n'est-ce pas? Quelle
audace d'imagination J Ce livre, cepen-
dant, eut dans les pays de langue alle-
mande et bientôt dans quelques autres
lui succès d'enthousiasme. Une chose
étrange se passa alors. La fiction fut prise
au sérieux, on se demanda si ce qui était
encore du domaine du rêve ne pouvait
pas entrer dans celui de la réalité. Pres-
que malgré lui, d'abord, le docteur Her-
tzka fut transformé en une sorte d'apô-
tre. Puisqu'il connaissait le secret de gué-
rir des maux séculaires, pourquoi n'es-
sayait-il pas de donner la vie à ces concep-
tions de son imagination? Ainsi, là où il
n'y avait eu que fantaisie philosophique,
on voulait voir parole d'évangile.
L'idée, qui venait d'inconnus devenus
tout à coup ses disciples, ne tarda pas à
séduire M. Hertzka. Pourquoi pas, en ef-
fet ? Pourquoi ne ferait-on pap, avec des
gens de bonne volonté, le loyal essai de
l'application de ses théories? L'expérience
n'était-elle pas tentante? Pourquoi, puis-
qu'il avait des adeptes tout prêts à le sui-
vre, ne pas la fonder, cette jeune société,
qui romprait résolument avec les erre-
ments de l'autre ? i
Au bout de quelques mois, sa décision
était prise. Après avoir tout pesé, il con-
viait ceux qui sont las d'espérer en vain,
sur notre continent, des réformes profon-
des, à devenir les libres citoyens d'un
nouvel Etat où les séduisantes doctrines
de son livre deviendraient la loi, volon-
tairement acceptée.
Or, l'expérience est entrée dans sa pé-
riode de réalisation. Un premier groupe
d'émigrants, parti de Hambourg, est ar-
rivé maintenant à destination. Un se-
cond, un troisième, d'autres vont suivre.
Ces convois sont composés des éléments
les meilleurs parmi les adhérents nom-
breux qui attendent leur tour d'embar-
quement. Quels sentiments, faits de joie
et d'inquiétude, doivent être ceux de l'ini-
tiateur !
Il y a eu, assurément, déjà des tenta-
tives en apparence analogues, depuis la
fameuse Icarie jusqu'à l'installation ré-
cente, et qui paraît avoir donné des ré-
sultats peu heureux, d'une colonie anar-
chiste dans un coin de l'Amérique du
Sud. Mais il n'y avait rien eu encore
d'aussi sérieux, et c'est précisément par
là que l'événement est particulièrement
intéressant.
Le docteur Hertzka est un homme
grave, nullement enclin au chimérique.
M. de Wyzewa, qui le connaît personnel-
lement, a donné sur lui des détails précis.
Il a été chargé pendant vingt ans de la
rédaction de la partie économique de la
Nouvelle Presse libre, le plus important
journal de Vienne. Il est si peu révolu-
tionnaire, au sens violent du mot, qu'il a
iondé des associations de propriétaires. Il
n'est pas devenu du jour au lendemain
anarchiste. C'est justement dans la direc-
tion qu'il veut donner à cette entreprise
qu'est le côté vraiment original de cet Etat
de Terre-Libre , qui a maintenant ses
premiers colons. Il ne vise pas à créer un
monde absolument nouveau, mais à ré-
gulariser, à consacrer, en les appliquant
dans toute leur rigueur, les principes éco-
nomiques qu'il estime les plus solides.
Si nous laissions là pour un moment no-
tre scepticisme, si nous nous bornions à
suivre attentivement ce qui va se faire?
La situation géographique de Terre-Li-
bre est bien choisie, paraît-il, sur la côte
orientale d'Afrique, à quelque cent kilo-
mètres de l'océan Indien, au bord d'un
grand fleuve, le Tana, au pied du haut
mont Kenia dont les neiges, encore qu'on
soit sous la ligne de l'équateur, répandent
une bienfaisante fraîcheur. On assure
qu'une exploration minutieuse a été faite
de cette région afin d'éviter les déconve-
nues et que, selon un plan sagement ar-
rêté, on se gardera d'envoyer brusque-
ment trop d'émigrants.
Le premier groupe est formé de repré-
sentants de toutes les nations ; il ne s'y
trouve point de Français, pourtant. Cela
doit tenir à ce que la propagande a été
faite en langue allemande, car je pense
qu'il ne manquerait pas, ici, d'hommes dé-
cidés à tenter l'épreuve. Il va de soi que
ce n'est là qu'une constatation, que je ne
parle de la colonie de Terre-Libre que phi-
losophiquement et que je n'entends point
prendre la responsabilité d'engager quel-
qu'un de mes compatriotes à grossir le
nombre des citoyens du peuple en forma-
tion. 11 sera toujours temps plus tard,
car on doit être accueillant à Terre-Li-
bre.
Mais qu'il sera curieux, en attendant,
de voir ce que donnera le système du doc-
teur Hertzka. Encore une fois, il ne s'agit
pas là, à proprement parler, de commu-
nisme. Si les principes proclamés à Terre-
Libre relèvent d'un maître, c'est à Adam
Smith, le créateur de l'économie politi-
que, qu'on les peut faire remonter.
Ces principes, les voici en substance. Ils
ne partent pas du point de vue que tous
les hommes sont absolument égaux, mais
ils regardent tous les hommes comme
ayant des droits éaux. Donc, d'abord,
pour tous, le droit a la vie. Mais ils ne
songent pas à rejeter sur la société le soin
de chaque individu ; c'est à chacun qu'il
appartient de prendre soin de soi. Seule-
ment on écarte pour chacun les obstacles
qui s'opposent, dans notre vieux monde,
à la libre activité de l'intérêt individuel,
avec la certitude que le résultat correspon-
dra à l'intérêt de tous. A Terre-Libre on
travaillera pour qu'on jouisse soi-même
- de ce qu'on a produit, et non pour que les
autres en jouissent, c'est-à-dire qu'on n'ad-
met le travail que - dans l'intérêt du tra-
vailleur. Les institutions seront telles que
si les plus habiles et les plus laborieux
deviennent.plus riches que les autres, ils
ne pourront du moins employer leur sur-
croît de richesse à asservir à leur domina-
tion les forces d'autrui.
Toutes les professions seront exercées
par des associations : chacun doit toujours
avoir la possibilité de trouver un travail
en rapport avec ses aptitudes. Oi. comme
il ne s'agit pas de salariés, mais d'asso-
ciés, employés selon leurs facultés, ayant
tous intérêt à la prospérité de l'entreprise,
ils ne pourront désirer qu'une exploita-
tion intelligente, et ils mettront forcé-
ment à leur tête les meilleurs d'entre eux,
avec des avantages proportionnés aux ser-
vices rendus par eux, services dont cha-
cun bénéficiera.
Puisqu'on sera ainsi associations en
face d'autres associations, à quoi bon
payer avec de l'argent comptant ? Le sa-
laire revenant à chacun sera marqué à -
son actif à une banque centrale ; de même
ses dépenses seront communiquées à cette
banque par les sociétés auxquelles il aura
eu à s'adresser pour satisfaire à ses be-
soins, matériels ou intellectuels. Ainsi
chaque citoyen aura-t-il son compte, dont
il recevra a intervalles déterminés un
extrait.
Ceci, il faut l'avouer, parait un peu
compliqué, et l'association des e:nployés
de banque sera diablement occupée.
Les femmes, les enfants, les vieillards
auront droit à un entretien répondant au
niveau de la richesse générale. On tien-
dra galamment, à Terre-Libre, que la na-
ture a assigné à la femme un autre rôle
que celui de l'homme. Son existence étant
assurée, elle ne sera plus sous la tutelle
de son époux, et on imagine que l'intérêt
ne se mêlera plus à l'amour.
Au point de vue politique, il y aura au-
tant d'assemblées élues qu'il y aura de
branches d'administration ; il en résultera
que les décisions seront prises par les
hommes compétents dans telle ou telle
matière. Un conseil supérieur attribuéra
les discussions à tel ou tel de ces petits
parlements, selon la question à résoudre.
L'utilité de la généralité devant être, de
par les institutions, en harmonie parfaite
avec l'intérêt personnel de tous, il n'y
aura point, à proprement parler, de jus-
tice. il n'y aura que des arbitres, pour les
menus différends. Mais d'où naîtraient de
graves difficultés, puisque chaque habi-
tant de Terre-Libre aura les mêmes droits
au sol commun et à l'ensemble des
moyens de production qu'il fournira?
Il y a bien d'autres choses encore dans
la constitution projetée pour ce fraternel
Etat. Il semble même que tout ait été à
ce point prévu que toute cette régularité
puisse, parfois, paraître excessive.
Mais voilà : tout ceci n'est que de la
théorie, et peut-être table-t-on trop sur la
raison des citoyens de Terre-Libre. Il faut
compter aussi avec les passions humaines.
Que donnera la pratique Y Là est ic grand
point.
Et, pourtant, si tout cela n'était pas de
l'utopie? Si ces émigrants pleins de foi
allaient seulement démontrer que quel-
ques-unes, au moins, des iniquités dont.
souffre, en frémissant, notre vieille Eu-
rope, pourraient pacifiquement dispa-
raitrel.
Paul Ginisty.
LES DROITS DU MARI
La Ligue des revendications féministes
- , - à la rescousse !
La première chambre du tribunal civil de
la Seine vient de trancher un point de droit
assez délicat concernant les droits du mari
sur les biens de sa femme.
Voici à quel propos :
M. Bruitte, restaurateur à P¡.ris, épousait,
le 10 avril 1891, Mme veuve Radot qui lui
apportait une quarantaine de mille francs en
titres au porteur de nos grandes compagnies
de chemins de fer. ",
Quand M. Bruitte voulut administrer cette
petite fortune, sa femme lui répondit catégo-
riquement que ses opinions « économiques et
sociales. ne lui permettaient pas de laisser
administrer par son mari les biens qu'elle
avait versés dans la communauté. Elle ajouta
qu'admirâtirice et adepte des théories de Mme
Astié de Valsayre, elle entendait conserver
l'administration personnelle dc sa fortune.
— D'ailleurs, continua-t-elle, mes valeurs'
sont en lieu sûr et personne ne pourra les dé-
couvrir.
Mme Bruitte avait compté sans le flair ma-
rital. Le restaurateur, en effet, mettait bien-
tôt la main sur des récépissés émanant de la
Banque de France et constatant qu'un cer-
tain nombre de titres avaient été remis par
Mme Radot à cet établissement financier ea
garantie d'un emprunt. -
M. Bruitte s'empressa, « offros de droit »
préalablement faites, de réclamer les fameux
titres au porteur à la Banque de France.
Celle-ci refusa de se dessaisir des valeurs hora
la présence de Mme Bruitte, dont elle exi-
geait la signature. Le mari soutint que sa si-
gnature seule suffisait. La Banque de France
persista dans ses exigences.
Bref, on plaida. -
L'affaire est venue à la première chambre
du tribunal civil de la Seine, où M* Marc
Réville s'est présenté pour M. Bruitte et M*
Léon Cléry pour la Banque de France.
Le tribunal a rendu une décision aux
termes de laquelle la Banque de France est
condamnée à remettre, danâ la huitaine de la
signification du jugement, les valeurs à
M. Bruitte, sur sa simple signature.
Le jugement établit, en principe, que les
droits du mari sont absolus et que, sous le
régime de la communauté, même réduite aux
acquêts, il peut, comme il l'entend, disposer
des biens de sa femme.
Et maintenant la parole est à la Ligue pour
rém&acipation«de& femmes. Pourvu que le
jugement de la première chambre ne soit
pas, dans, une^ réunion publique à grand or*
çhestré, « cloué au pilori de iindigaatibnl *
LE fNUMâÙ) CINQ CENTIMES
: MARDI 1" MAI
REDACTIOU-ET AORIHISTRATIOR
142, Rue Montmartre
Rue Montmart r
PAlWI ',t-.-
h V
I:IECTEUI POLITIQUE
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Adresse télépoaphlque : XTX* SZÈCLZ—PARIS
Téléphone : 20.289 Ma.
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(M Abonnements sont reçus sans frais liai
IM8 les Bureaux de Poste.
LIRE A LA 2e PAGE
LE SALON CES CHAMPS-ELYSÉES
Par ROGER MARX
DilriMsjpaistes ,
Le factum récité samedi soir par
Henry devant la cour d'assises a une
originalité : 'il n'est pas de ton décla-
matoire, comme le sont les réquisi-
toires contre la société que d'autres
avaient prononcés avant lui. Ceux qui
aiment le ton pathétique et auxquels il
faut les trémolos 'de l'orchestre pour
souligner les passages émouvants s'en
montreront quelque peu étonnés. Mais
la froideur avec laquelle Henry se livre
sur lui-mêmeà une étude psychologique,
la simplicité qui veut se faire orgueil-
leuse et hautaine avec laquelle il déduit
les motifs qui ont guidé son Dras; sont
de nature à troubler plus d'un esprit
peut-être et à déconcerter certains de
ceux qui n'ont pas une bien grande so-
lidité de raisonnement.
Ce morceau ne résout assurément
pas d'une façon définitive le doute que
l'on a pu émettre sur l'état mental de
l'anarchiste. S'il prouve, que celui-ci
enchaîne ses idées et qu'ilne présente
aucun symptôme d'inconscience, il n'é-
tablit pas qu'il soit cependant un
détraqué incapable de faire la dis
tinction entre une idée juste et une
idée fausse, ou un impulsif hors d'é-
tat de résister à un entraînement, de
surmonter le découragement qu'un
premier échec lui a causé.
Laborieux, il l'a été, peut-être même
avec excès, à un âge où l'intelligence
ne supporte pas l'effort incessant; intel-
ligent, le succès relatif qu'il a remporté
en étant admissible à l'Ecole polytech-
nique ne permet pas de douter qu'il le
soit. Mais, dans cette partie de sa vie, il
suit un chemin tracé d'avance et il ne
met pas en doute, un seul instant, que
ce chemin le conduira tout droit, sans
prévoir, sans songer qu'un obstacle
pourra se dresser devant lui. Le jour où
un obstacle se présente, toute sa con-
fiance disparaît, il perd toute direction
et il ne sait plus que maudire la société,
s'en prendre à elle de son échec, ce qui
n'est un signe ni d'intelligence ni d'é-
nergie, mais est, au contraire, l'ordi-
naire ressource des esprits faibles et
des volontés chancelantes.
Il ne s'en tient pas à ces malédictions
platoniques : il lui paraît Jout légitime
de tirer vengeance d'une société assez
mal organisée pour ne lui avoir pas
donné plus de facilités, pour n'avoir
pas ouvert largement la voie devant lui,
et il conclut froidement qu'en lançant
au hasard des bombes, il atteindra tou-
jours des ennemis, car il a déclaré la
guerre à la société tout entière.
Il n'a aucune raison d'animosité per-
sonnelle contre la Compagnie de Car-
maux. Mais la maison où sont ses
bureaux est une maison riche, habitée
par des bourgeois. Quelles que soient
les victimes, le but désirable sera atteint.
« Il n'y aura -. pas de victimes inno-
centes, car la bourgeoisie tout en-
tière vit de l'exploitation des malheu-
reux ; elle doit, tout entière, expier ses
crimes. » Si l'engin n'éclate pas à l'a-
venue de l'Opéra, il éclatera au com-
missariat de police, atteignant toujours
ainsi ceux qu'Henry considère comme
ses ennemis.
Il n'a non plus aucune raison de
choisir un café plutôt qu'un autre. Il
ne se décide que parce qu'il y a plus de
monde là qu'ailleurs et qu'il veut frap-
per en bloc. Il tape dans le tas, comme
il le déclare lui-même, et il prétend lé-
gitimer son acte en disant que c'est
pour que « la bourgeoisie comprenne
bien que ceux qui ont souffert sont las
de leurs souffrances ».
Si convaincu qu'Henry se soit mon-
tré de la « légitimité » de ce qu'il ap-
pelle des « réprésailles », cette convic-
tion ne saurait passer dans un esprit
doué de quelque réflexion. Que la so-
ciété ce soit pas organisée de la façon
la plus satisfaisante, nul, certes, ne
songe à le contester, et les efforts in-
cessants que tous les partis politiques,
toutes les écoles économiques ou socia-
les, font pour l'améliorer dans le sens
de leurs désirs, montrent bien que nul ne
la croit parvenue à un bien haut point
de perfection. A supposer même qu'elle
fût plus imparfaite encore qu'elle ne
l'est, que toutes les critiques, tous les
griefs d'Henry, fussent justifiés, serait-
ce cependant une raison pour légitimer
les moyens de réforme auquel il a re-
couru?
On peut bien admettre "quemême
ces moyens ayant réussi, les doctrines
anarchistes ayant prévalu et la société
ayant été réorganisée sur des bases
nouvelles, trop incertaines d'ailleurs
par que l'on puisse en apprécier la
force, il se trouverait des mécontents,
des hommes pour lesquels l'état de
choses nouveau paraîtrait défectueux
pour quelque endroit critiquable à cer-
tains égard. 6eux-là auront ils donc le
droit de dynamiter à leur tour les dy-
namiteurs ? Leur seul moyen d'action
sera-t-il le retour à la violence ? Ou
bien la société anarchique proclamera-
t-elle illégitime contre elle l'emploi de
procédés qui lui paraissent légitimes
employés contre les autres ?
Si les anarchistes n'en admettent pas
la légitimité, dirigée contre l'état de
choses issu de la révolution qu'ils pro-
phétisent, ils ne peuvent, sans une con-
tradiction grossière, contester à la so-
ciété actuelle le droit de se défendre
contre eux ; et s'ils l'acceptent, ils arri-
vent à cette conception monstrueuse de
remplacer le droit par la violence, la
justice par la force, la civilisation par
un retour à la barbarie. C'est une triste
réforme, et il serait difficile de la con-
sidérer comme un progrès.
Comment M, Perdre respecte la loi
Le commissaire de police à la Compagnie
transatlantique.
Les lecteurs du XIX- Siècle ont été mis au
courant de l'obstination vraiment inouïe avec
laquelle la Compagnie transatlantique dé-
sobéit aux prescriptions es plus formelles de
la loi.
La Compagnie transatlantique est une so-
ciété anonyme, par conséquent soumise aux
prescriptions de la loi de 1867.
De plus, c'est une société subventionnée
par l'Etat et chargée d'un service public.
Plus qu'aucune autre elle devrait donc
avoir le respect de la loi.
Or, la loi de 1867 dit expressément, arti-
cle 28 : ;
Dans toute assemblée générale les délibérations
sont prises à la majorité des voix. Il est tenu une
feuille de présence : elle contient les noms et do-
micile des actionnaires et le nombre d'velions dont
chacun d'eux est porteur. Cette feuille, certifiée par
le bureau de l'assemblée, est déposée au siège so-
cial et doit être communiquée à tout requérant.
Fort de cet article de la loi, un actionnaire
de la Compagnie transatlantique a, comme
nous l'avons dit, demandé à M. Eugène Pe-
reire communication de la liste de la der-
nière assemblée, qu'encore une fois il n'est
jamais venu à l'esprit d'aucune société sé-
rieuse de refuser non seulement à un action-
naire, mais môme, comme le dit la loi, à un
requérant quel queil. soit.
M. Pereire a refusé cette communication. Il
s'est laissé assigner devant le juge des réfé-
rés, lequel a rendu une ordonnance qui con-
damne la Compagnie transatlantique à se
conformer à la loi.
Cette ordonnance, que nous avons publiée,
est exécutoire nonobstant appel, même avec
l'assistance du commissaire de police.
Muni de cette ordonnance, le requérant
s'est rendu à la Compagnie transatlantique et
le procès-verbal que nous publions ci-dessous
est une preuve nouvelle de la manière vrai-
ment étrange dont M. Pereire et ses collègues
respectent, non plus seulement la loi, mais
encore les décisions de la justice:
L'an mil huit cent quatre-vingt-quatorze, le vingt
six avril,
A la requête de monsieur Emile Rousseau, pro-
Eriétaire, demeurant à Asnières lSeine), rue Amé-
lie, ne 7,
Pour lequel domicile est élu à Paris, 33. rue du
Sentier, en l'étude de M* Moreau, avoué.
Je, Jules-Pierre-Marie Berton, huissier près du
Tribunal civil de la Seine séant à Paris, y demeu-
rant, 3, rue du Faubourg-Poisonnière, soussigné.
En vertu de la grosse duement en forme execu-
toire d'une ordonnance de référé rendue par mon-
sieur le président du tribunal civil de la Seine,
le trois avril mil huit cent quatro-vingt-quatorzo
enregistrée et signifiée,
Me suis transporté, assisté de mon requérant,
: A Paris, rue Auber, na 6, au siège de la Compa-
gnie générale transatlantique,
Où étant, j'ai fait sommation à ladite Compagnie
générale transatlantique, en la personne de son
directeur et parlant a monsieur le chef du con-
tentieux de ladite Compagnie. - * '0-
De, conformément à ladite ordonnance, avoir à
l'instant même à représenter au requérant ici pré-
sent et à lui en laisser prendre communication la
feuille de présence des actionnaires de ladite So-
ciété dressée lors de l'assemblée générale du vingt-
neuf juin dernier par la Compagnie générale trans-
atlantique.
A quoi il m'a été répondu par monsieur le chef
du contentieux de la Compagnie Transatlantique
que le document réclamé à la Compagnie est aux
mains de l'avocat chargé de la représenter devant
la Cour sur l'appel interjeté par elle de l'ordonnance
de référé en vertu de laquelle nous procédons ;
qu'il ne lui est donc pas possible de nous remet-
tre quant à présent cette pièce. Requis de signer, a
dit être inutile.
Vu cette réponse, j'ai dû requérir l'assistance de
monsieur le commissaire de police du quartier et,
de retour avec ce magistrat, j'ai réitéré la somma-
tion ci-dessus; mais monsieur le chef du conten-
tieux de la Compagnie transatlantique a persisté
dans sa déclaration qui précède.
Vu l'impossibilité de procéder quant à présent à
l'exécution de ladite ordonnance, je me suis retiré
en faisant pour mon requérant toutes protestations
et réserves de droit et notamment sous réserve de
tous dommages-intérêrêts;
Et de es que dessus, j'ai rédigé le présent procès-
verbal en présence et accompagné de messieurs
Alexandre Dalancourt et Georges Laville, témoins
par moi requis, demeurant à Paris, 3, rue du Fau-
ourg-Poissonnière, soussignés, et en présence de
monsieur le commissaire de poliee, duquel procès-
vecbal j'ai laissé copie à la Compagnie générale
transatlantique, parlant comme dessus.
Coût : trente francs soixante-quinze centimes. -
Employé une feuille de papier spécial à 1 fr. 20
pour la copie.
Signé : J. BERTON; A. DALANCOURT ; G. LAVILLE.
Il arrive souvent, hélas l qu'un créancier
soit obligé de se faire assister du commissaire
de police pour opérer la saisie du mobilier
ou des effets d'un débiteur insolvable ou de
mauvaise foi. ,
Mais un actionnaire obligé de se faire as-
sister du commissaire de police dans le but,
non atteint d'ailleurs jusqu'ici, d'obliger une
compagnie subventionnée par l'Etat de se
conformer aux lois de cet Etat, c'est un
spectacle et un scandale qu'on n'avait ja-
mais vus. ! \J .;.," i
M. Eugène Pereire fait dire par son chef du
contentieux qu'il se moque de l'ordonnance
du juge des référés, parce qu'elle est sans
sanction effective.
Nous croyons que M. Pereire se trompe
lourdement ; il s'en apercevra bientôt.
En attendant, la résistance de ce financier
incapable et prétentieux prouve quelle atroce
frayeur lui fait éprouver la seule idée que les
actionnaires de la Compagnie transatlanti-
que pourraient se concertei entre eux pour ar-
rêter ensemble les seules mesures capables,
de les préserver d'une J'ume complète et dé*
finitive. • - •'.» •- r"*. : - .," ",.:' :
LES MINISTRES A LYON 1
,
INAUGURATION DE, CE QUI SERA
PEUT-ÊTRE L'EXPOSITION "-
Petit tableau suggestif. — Exposants qui
n'ont rien exposé. — Vif incident
au banquet. — Le tramway de
M. Claret.fi * y
(Par dépêche de notre envoyé spécial)
Lyon, 29 avril. ;
C'est par une pluie battante que M.Casimir-
Perier a inauguré, cet après-midi, l'exposi-
tion de Lyon, ou plutôt ce qui est appelé à le
devenir un jour. Il est impossible, en effet,
d'imaginer quelque chose de plus fantaisiste
que ce titre d'exposition universelle décerné
à ces grandes bâtisses à moitié construites qui
s'élèvent au milieu des décombres, des plâ-
tras, sans ordre, sans méthode, sans expo-
sants surtout.
Jamais, pour notre part, nous n'avons as-
sisté à pareil spectacle, et s'il est vrai, comme
on le dit, que M. Glaret ait loué à l'heure ac-
tuelle pour dix-huit cent mille francs d'empla-
cements, il est au moins permis de se deman-
der quel est le but qui a guidé les industriels tt
les commerçants qui ont versé dans sa caisse
cette assez jolie somme. Sans exagération, il
n'y a pas plus de cinquante vitrines qui
soient à peu près garnies ; les autres ne sont
même pas achevées de peindre. Certaines sont
à peine commencées. Bien mieux, le plancher
du bâtiment central n'est pas fini de poser et,
dans les pavillons annexes, les toitures man-
quent généralement. ,'"
Le palais des arts religieux, où a eu lieu la
cérémonie, n'est pas beaucoup plus avancé.
Il a bien un toit, mais il pleut à travers.
En fait, l'exposition de M. Claret rappelle
en petit l'exposition de 1867. Elle est édifiée
sur le même modèle : une vaste rotonde divi-
sée en sections aboutissant toutes à un point
central.
Malheureusement, comme on a laissé aux
exposants le soin de choisir eux-mêmes dans
chacune des sections la place qui leur sem-
blait la meilleure, sans se préoccuper seule-
ment de faire respecter les passages qui doi-
vent servir aux promeneurs, il en résulte que
c'est un fouillis inextricable, au milieu duquel
il est impossible de se reconnaître.
A ce défaut s'en ajoute un autre qui nuit
considérablement à l'aspect du monument :
c'est que l'entrée a été mise de biais, on ne
sait trop pourquoi.
Ceci n'est rien, du reste, à côté des mille
choses étranges et bigarres qu'on a été amené
à relever au cours de cette première visite.
C'est ainsi qu'un de nos confrères, cherchant
vainement le pavillon de l'agriculture, de-
manda à un gardien de vouloir bien le lui
indiquer. Le gardien, très obligeamment, lui
montre la charpente d'une construction :
— C'est ça, lui dit-il. »
En réalité, tout est de même.
Plus loin, un autre de nos confrères roulait
entrer dans une enceinte réservée. On lui en
interdit l'accès.
— La consigne est absolue, fait un pré-
posé. *
— Il y a donc là des objets précieux ? de-
mande notre confrère.
—- Oh 1 nqp, Monsieur, répond le préposé,
il n'y a rien du tout.
C'est le mot de la situation. En revanche,
il y a une baraque de somnambule en excel-
lent état. On préférerait peut-être y rencontrer
autre chose, une installation moins sommaire
des soyeux. Seul le panorama est délicieux,
mais M. Claret ne saurait franchement s'en
attribuer le mérite. -
Les ministres ont d'ailleurs paru peu sa-
tisfaits de la mauvaise plaisanterie qu'on
leur a faite en les invitant à venir inaugurer
cette soi-disant exposition.
Quelques coups de sifflet ont encore éclaté
sur leur passage. Ils ont été pourtant infini-
ment plus disséminés qu'hier. Mais l'accueil
est resté aussi froid, et si M. Casimir-Perier et
ses collègues ont fait, malgré tout, bonne
contenance, il est aisé de juger qu'ils rem-
porteront de leur voyage une impression peu
favorable.
M. Claret aurait pu s'en rendre compte,
car tout le monde a remarqué l'indifférence
qu'on a affectée envers lui pendant la cérémo-
nie. A part le maire qui, dans son discours, a
cru devoir glisser quelques mots aimables
pour « ce fils de ses œuvres », personne n'a fait
la plus petite allusion au concessionnaire
général qui bedonnant, la barbe grisonnante,
l'œil éteint, se tenait dans une attitude assez
embarrassée, regardant d'un air très marri sa
boutonnière où fleurit un ruban rouge qu'il
voudrait bien voir s'épanouir en rosette mais
dont l'éclosion se fait, hélas! un peut at-
tendre. On tient probablement à être un peu
mieux fixé sur le résultat de son entreprise,
pour contenter ses désirs et cela s'explique.
On parle déjà de difficultés de toutes sortes,
de discussions assez vives qui auraient éclaté
entre lui et certains entrepreneurs, et ces
bruits ne sont pas faits, bien entendu, pour
dissiper l'inquiétude que l'état des travaux
de l'exposition peut faire concevoir.
En tout cas on s'est soigneusement abstenu
pendant le banquet de lui donner le moindre
encouragement. Pas une phrase, pas un mot
n'a été prononcé en sa faveur.
L'inauguration et le banquet
Je ne m'étendrai pas sur la cérémonie de
l'inauguration ; ce genre de fête se passe en
discours et en petites promenades à travers
des galeries, remplacées à Lyon par des es-
quisses informes où domine le plâtras, ce qui
n'a pas empêché les membres du gouverne-
ment, avant de se retirer, de serrer chaleureu-
sement la main à MM. Claret père et fils, ex-
boulangistes. 1
Le discours de la journée a été prononcé
par M. Casimir-Perier, discours politique
s'entend, qui a été coupé par un incident des
plus vifs. *
C'est au parc de la Tête-d'Or qu'il a été
prononcé, dans le palais de l'Algérie et des
colonies. Cinq toasts ont été portés : par
M. Rivaud, préfet, au président de la Répu-
blique; par M. Ch. Dupuy, président de la
Chambre, qui, dans une allocution très ba-
nale, a bu à M. Gailleton, « maître ès sciences
médicales et ès art administratif », par
M. Champoudry, président du conseil muni-
cipal de Paris, par M. Gailleton auquel M. Ca-
simir-Périer a répondu.
C'est une heureuse fortune, a-t-il dit, pour un
chef de gouvernement, de pouvoir parler en un lieu
où la loyauté sobre des déclarations est plus en
honneur que les brillants artifices' du langage. Je
sais que je puis parler à cœur ouvert. Pour gou-
verner la démocratie, il faut lui appartenir tout en-
tier et avoir foi en elle. Lui meutir ou la flatter,
c'est lui témoigner de la défiance ou du mépris.
Lui dire ce qui risque ( la lui déplaire, c'est sou-
vent la servir. La juger capable d entendre ce qui
lui déplaît, c'est la respecter. Tels sont les princi-
pes qui, en toute circonstance, inspireront notre
politique. - ,.
S'il est légitime que les républicains se sou-
viennent qu'ils ont été longtemps - c'est leur bon-
neur; — des hommes de lutte, marchant à la con-
quête des libertés publiques, plus habitués à l'op-
position qu'au gouvernement, qu'ils sachent bien
- ,<0,- , BM.
qu'aujourd'hui, responsables de la France, ils ont
de nouveaux devoirs à remplir, qu'ils ne voient
pas dans le pouvoir un adversaire, qu'ils y cher.
chent et qu'ils y trouvent la volonté et l'action qua-
tidienne. au service de toutes les doctrines de la
•> Révolution. Le gouvernement qui est devant vous
qu'une ambition, c'est que la démocratie triom-
phante se, reconnaisse en lui.
Vif incident :
A ce moment, l'incident se produit. Le di-
recteur d'un journal ; républicain-socialiste
interrompt et crie : « Pas de politique 1 » Ç'a
été joli 1 Un tumulte indescriptible se produit.
Quelques violents s'approchent de l'interrup-
teur et veulent tout simplement le passer à
tabac.
- A la porte
- Enlevez-le t
;, — Expulsez-le ! -
MM. Claret, père et fils, se faisaient remar-
quer par leur indignation véhémente. D'au-
tres, plus sages, font observer que, somme
toute, le crime n'est pas grand et protègent
celui qu'on veut « enlever ».
On se calme et M. Casimir-Perier peut pour-
suivre son discours en rappelant ce que le
gouvernement dont il est le chef a déjà
fait : projets militaires déposés, projet dégre-
vant les ventes d'immeubles et organisant un
système d'assurances agricoles, puis le projet
de budget « dans lequel le ministre des finan-
ces a introduit tant de mesures ingénieuses
et sages, tant de réformes généreuses et fé-
condes ».
Pas une allusion à M. Coullié ni à l'esprit
nouveau. Voici la fin du discours :
Nous nous efforcerons, avec la conscience du rôle
qui incombe à ceux qui, étant un gouvernement,
doivent répudier les passions étroites des partis,
nous nous efforcerons de rompre toutes les classi-
fications arbitraires, de détruire toutes les cote-
ries, de convaincre et d'apaiser. L'ainhition suprê-
me de celui qui aime son pays et qui est pour
toujours attaché à la même cause, c'est de grouper
autour du même drapeau tous les enfants de la
commune patrie.
Nous savons que notre histoire nationale c'est,
pendant près de dix siècles, l'effort successif de la
monarchie pour réunir des provinces éparses, les
sceller les unes aux autres, briser les pouvoirs lo-
caux et créer la France. Et nous voulons que la
République, fille de 1789, triomphante entin du
despotisme impérial et de la tyrannie démagogique,
offre au monde le spectacle d'une unité morale si
fortement constituée, qu'elle ait le droit de ne rien
craindre et de tout espérer.
Les ministres se souviendront 'de cette vi-
site à Lyon. Coups de sifflet à l'arrivée,
inauguration d'une exposition qui n'existe
pas, protestation au banquet : rien n'a man-
qué à la fête. - -
Comme mot de la fin, je me borne à vous
signaler la dernière invention de M. Claret.
C'est une voiture de tramway vernie en
blanc, ornée de sculptures de bois doré. C'est
là-dedans qu'en sortant de la grande coupole
le cortège a pris place. M. Marty, ministre du
commerce, n'en croyait pas ses yeux et pous-
sait des petits cris d'admiration. Le public
riait à se tordre. :;:Z:; 1
[A propos de ce tramway, l'Agence Havas donne
les renseignements suivants : Ce tramway, d'un
système nouveau et très ingénieux, importé en
France par M. Claret, se meut sans laisser après
son passage aucune trace d'électricité sur la voie,
Les ministres s'en sont fait expliquer avec intérêt
le mécanisme par M. Claret père.j
DERNIÈRE HEURE
Les cléricaux
Il parait que les cléricaux se préparent à
être moins calmes demain, à l'occasion de la
rentrée de l'archevêque, qui revient, juste
après le départ des ministres, de la tournée
qu'il a faite dans son diocèse.
A ce propos, il est bon de noter que toutes
les petites manifestations auxquelles ils se
sont livrés, que toutes les pressions qu'on a
essayé d'exercer sur luisemblent avoir décidé
le président du conseil à maintenir la mesure
prise envers M. Coullié.
Ce soir, à onze heures, une manifestation
sans grande importance s'est produite. Une
bande de deux cents jeunes gens a traversé la
place Bellecour en conspuant les ministres et
les jésuites tout à la fois.
ELECTION LEGISLATIVE
DOUBS
Arrondissement de Montbéliard
M. Hûgust, républicain. ÉLU,
[Il s'agissait de remplacer M. Viette, ancien mi-
nistra des travaux publics qui avait été élu aux
élections générales, le 22 août, sans concurrent,
par 12,518 voix. M. Huguet est le neveu de M
Yiotte.]
L'INCIDENT FRANCO-TURC "',-
Nous avons parlé dans notre dernier nu-
méro d'un incident survenu à Constantinople,
au cours duquel les officiers du stationnaire
français Pétrel auraient été arrêtés pendant
une visite faite en vêtements civils, avec l'au-
torisation du sultan, au vieux sérail, par un
fonctionnaire de police qui a voulu leur faire
subir un interrogatoire. Le gouvernement ot-
toman, sur la réclamation de l'ambassade,
avait promis satisfaction en raison de cette
offense faite à nos officiers.
Nous sommes à même de faire savoir que
le sultan a fait exprimer ses regrets person-
nels à M. Cambon et que la Porte a informé
officiellement notre ambassade que le fonc-
tionnaire de police auteur de cette méprise a
été révoqué.
UNE ARTISTE BRULEE VIVE
Samedi, au moment où la troupe du Théâ-
tre-Libre, qui se rend à Bucarest et à Cons-
tantinople, était réunie à la gare de l'Est, et
alors que les artistes que M. Antoine emmène
avec lui attendaient l'arrivée d'une de leurs
camarades qui devait partir avec eux, Mlle
Dulac, ils virent accourir une bonne qui vint
leur annoncer que sa maîtresse avait été vic-
time dans la nuit d'un épouvantable accident,
qu'elle avait été brûlée vive. La troupe de-
vant partir quand même, on lit prévenir MUe
Irma Perrot qui remplaça Mlle Dulac.
Quant à Mlle Dulac, voici ce qui s'était
passé. Dans la nuit de vendredi à samedi, elle
nettoyait avec de l'essence, chez elle, 110,
boulevard de Clicby, des gants qu'elle devait
emporter pour jouer dans certaines pièces. A
un moment elle prit un de ces gants imbibé
d'essence et le passa à sa mère par-dessus la
bougie allumée. Le gant prit feu et le com-
muniqua rapidement aux vêtements de Mlle
Dulac qui en un instant fut entourée de
flammes.
La mère se mit à crier et lorsqu'on put
étouffer le feu, la malheureuse jeune femme
était atrocement brûlée des pieds à la tête ;
elle avait perdu connaissance et on eut de la
peine à la ranimer. Un médecin fit aussitôt
des pansements, sans pouvoir se prononcer
sur son état. Hier, elle allait un peu mieux,
mais éig - Po peut répondre encore de la
; sauver, ..,.
,CHRONIQBE
;;'tŸ'1.i ! t, ———
I* On a parlé â plusieurs reprises, chez
nous, de cette histoire, à la vérité singu-
lière, mais peut-être, avec l'esprit de
« blague » qui nous est coutumier, pas
assez sérieusement. Il y a deux ans, un
écrivain viennois connu par ses travaux
d'économie politique, le docteur Hertzka,
publiait un livre intitulé Freiland (Terre
libre), où sous la forme du roman — un
roman assez grave tout de même — il dé-
crivait une société idéale fondée sur
de tout autres bases que celles sur lesquel-
les s'appuie la nôtre. Un peuple était
censé exister, en pleine Afrique, où il n'y
avait nulle iniquité sociale, où on ne con-
naissait aucune des monstruosités d'iné-
galité et de misère qui désolent la vieille
Europe.
Quelle chimère, n'est-ce pas? Quelle
audace d'imagination J Ce livre, cepen-
dant, eut dans les pays de langue alle-
mande et bientôt dans quelques autres
lui succès d'enthousiasme. Une chose
étrange se passa alors. La fiction fut prise
au sérieux, on se demanda si ce qui était
encore du domaine du rêve ne pouvait
pas entrer dans celui de la réalité. Pres-
que malgré lui, d'abord, le docteur Her-
tzka fut transformé en une sorte d'apô-
tre. Puisqu'il connaissait le secret de gué-
rir des maux séculaires, pourquoi n'es-
sayait-il pas de donner la vie à ces concep-
tions de son imagination? Ainsi, là où il
n'y avait eu que fantaisie philosophique,
on voulait voir parole d'évangile.
L'idée, qui venait d'inconnus devenus
tout à coup ses disciples, ne tarda pas à
séduire M. Hertzka. Pourquoi pas, en ef-
fet ? Pourquoi ne ferait-on pap, avec des
gens de bonne volonté, le loyal essai de
l'application de ses théories? L'expérience
n'était-elle pas tentante? Pourquoi, puis-
qu'il avait des adeptes tout prêts à le sui-
vre, ne pas la fonder, cette jeune société,
qui romprait résolument avec les erre-
ments de l'autre ? i
Au bout de quelques mois, sa décision
était prise. Après avoir tout pesé, il con-
viait ceux qui sont las d'espérer en vain,
sur notre continent, des réformes profon-
des, à devenir les libres citoyens d'un
nouvel Etat où les séduisantes doctrines
de son livre deviendraient la loi, volon-
tairement acceptée.
Or, l'expérience est entrée dans sa pé-
riode de réalisation. Un premier groupe
d'émigrants, parti de Hambourg, est ar-
rivé maintenant à destination. Un se-
cond, un troisième, d'autres vont suivre.
Ces convois sont composés des éléments
les meilleurs parmi les adhérents nom-
breux qui attendent leur tour d'embar-
quement. Quels sentiments, faits de joie
et d'inquiétude, doivent être ceux de l'ini-
tiateur !
Il y a eu, assurément, déjà des tenta-
tives en apparence analogues, depuis la
fameuse Icarie jusqu'à l'installation ré-
cente, et qui paraît avoir donné des ré-
sultats peu heureux, d'une colonie anar-
chiste dans un coin de l'Amérique du
Sud. Mais il n'y avait rien eu encore
d'aussi sérieux, et c'est précisément par
là que l'événement est particulièrement
intéressant.
Le docteur Hertzka est un homme
grave, nullement enclin au chimérique.
M. de Wyzewa, qui le connaît personnel-
lement, a donné sur lui des détails précis.
Il a été chargé pendant vingt ans de la
rédaction de la partie économique de la
Nouvelle Presse libre, le plus important
journal de Vienne. Il est si peu révolu-
tionnaire, au sens violent du mot, qu'il a
iondé des associations de propriétaires. Il
n'est pas devenu du jour au lendemain
anarchiste. C'est justement dans la direc-
tion qu'il veut donner à cette entreprise
qu'est le côté vraiment original de cet Etat
de Terre-Libre , qui a maintenant ses
premiers colons. Il ne vise pas à créer un
monde absolument nouveau, mais à ré-
gulariser, à consacrer, en les appliquant
dans toute leur rigueur, les principes éco-
nomiques qu'il estime les plus solides.
Si nous laissions là pour un moment no-
tre scepticisme, si nous nous bornions à
suivre attentivement ce qui va se faire?
La situation géographique de Terre-Li-
bre est bien choisie, paraît-il, sur la côte
orientale d'Afrique, à quelque cent kilo-
mètres de l'océan Indien, au bord d'un
grand fleuve, le Tana, au pied du haut
mont Kenia dont les neiges, encore qu'on
soit sous la ligne de l'équateur, répandent
une bienfaisante fraîcheur. On assure
qu'une exploration minutieuse a été faite
de cette région afin d'éviter les déconve-
nues et que, selon un plan sagement ar-
rêté, on se gardera d'envoyer brusque-
ment trop d'émigrants.
Le premier groupe est formé de repré-
sentants de toutes les nations ; il ne s'y
trouve point de Français, pourtant. Cela
doit tenir à ce que la propagande a été
faite en langue allemande, car je pense
qu'il ne manquerait pas, ici, d'hommes dé-
cidés à tenter l'épreuve. Il va de soi que
ce n'est là qu'une constatation, que je ne
parle de la colonie de Terre-Libre que phi-
losophiquement et que je n'entends point
prendre la responsabilité d'engager quel-
qu'un de mes compatriotes à grossir le
nombre des citoyens du peuple en forma-
tion. 11 sera toujours temps plus tard,
car on doit être accueillant à Terre-Li-
bre.
Mais qu'il sera curieux, en attendant,
de voir ce que donnera le système du doc-
teur Hertzka. Encore une fois, il ne s'agit
pas là, à proprement parler, de commu-
nisme. Si les principes proclamés à Terre-
Libre relèvent d'un maître, c'est à Adam
Smith, le créateur de l'économie politi-
que, qu'on les peut faire remonter.
Ces principes, les voici en substance. Ils
ne partent pas du point de vue que tous
les hommes sont absolument égaux, mais
ils regardent tous les hommes comme
ayant des droits éaux. Donc, d'abord,
pour tous, le droit a la vie. Mais ils ne
songent pas à rejeter sur la société le soin
de chaque individu ; c'est à chacun qu'il
appartient de prendre soin de soi. Seule-
ment on écarte pour chacun les obstacles
qui s'opposent, dans notre vieux monde,
à la libre activité de l'intérêt individuel,
avec la certitude que le résultat correspon-
dra à l'intérêt de tous. A Terre-Libre on
travaillera pour qu'on jouisse soi-même
- de ce qu'on a produit, et non pour que les
autres en jouissent, c'est-à-dire qu'on n'ad-
met le travail que - dans l'intérêt du tra-
vailleur. Les institutions seront telles que
si les plus habiles et les plus laborieux
deviennent.plus riches que les autres, ils
ne pourront du moins employer leur sur-
croît de richesse à asservir à leur domina-
tion les forces d'autrui.
Toutes les professions seront exercées
par des associations : chacun doit toujours
avoir la possibilité de trouver un travail
en rapport avec ses aptitudes. Oi. comme
il ne s'agit pas de salariés, mais d'asso-
ciés, employés selon leurs facultés, ayant
tous intérêt à la prospérité de l'entreprise,
ils ne pourront désirer qu'une exploita-
tion intelligente, et ils mettront forcé-
ment à leur tête les meilleurs d'entre eux,
avec des avantages proportionnés aux ser-
vices rendus par eux, services dont cha-
cun bénéficiera.
Puisqu'on sera ainsi associations en
face d'autres associations, à quoi bon
payer avec de l'argent comptant ? Le sa-
laire revenant à chacun sera marqué à -
son actif à une banque centrale ; de même
ses dépenses seront communiquées à cette
banque par les sociétés auxquelles il aura
eu à s'adresser pour satisfaire à ses be-
soins, matériels ou intellectuels. Ainsi
chaque citoyen aura-t-il son compte, dont
il recevra a intervalles déterminés un
extrait.
Ceci, il faut l'avouer, parait un peu
compliqué, et l'association des e:nployés
de banque sera diablement occupée.
Les femmes, les enfants, les vieillards
auront droit à un entretien répondant au
niveau de la richesse générale. On tien-
dra galamment, à Terre-Libre, que la na-
ture a assigné à la femme un autre rôle
que celui de l'homme. Son existence étant
assurée, elle ne sera plus sous la tutelle
de son époux, et on imagine que l'intérêt
ne se mêlera plus à l'amour.
Au point de vue politique, il y aura au-
tant d'assemblées élues qu'il y aura de
branches d'administration ; il en résultera
que les décisions seront prises par les
hommes compétents dans telle ou telle
matière. Un conseil supérieur attribuéra
les discussions à tel ou tel de ces petits
parlements, selon la question à résoudre.
L'utilité de la généralité devant être, de
par les institutions, en harmonie parfaite
avec l'intérêt personnel de tous, il n'y
aura point, à proprement parler, de jus-
tice. il n'y aura que des arbitres, pour les
menus différends. Mais d'où naîtraient de
graves difficultés, puisque chaque habi-
tant de Terre-Libre aura les mêmes droits
au sol commun et à l'ensemble des
moyens de production qu'il fournira?
Il y a bien d'autres choses encore dans
la constitution projetée pour ce fraternel
Etat. Il semble même que tout ait été à
ce point prévu que toute cette régularité
puisse, parfois, paraître excessive.
Mais voilà : tout ceci n'est que de la
théorie, et peut-être table-t-on trop sur la
raison des citoyens de Terre-Libre. Il faut
compter aussi avec les passions humaines.
Que donnera la pratique Y Là est ic grand
point.
Et, pourtant, si tout cela n'était pas de
l'utopie? Si ces émigrants pleins de foi
allaient seulement démontrer que quel-
ques-unes, au moins, des iniquités dont.
souffre, en frémissant, notre vieille Eu-
rope, pourraient pacifiquement dispa-
raitrel.
Paul Ginisty.
LES DROITS DU MARI
La Ligue des revendications féministes
- , - à la rescousse !
La première chambre du tribunal civil de
la Seine vient de trancher un point de droit
assez délicat concernant les droits du mari
sur les biens de sa femme.
Voici à quel propos :
M. Bruitte, restaurateur à P¡.ris, épousait,
le 10 avril 1891, Mme veuve Radot qui lui
apportait une quarantaine de mille francs en
titres au porteur de nos grandes compagnies
de chemins de fer. ",
Quand M. Bruitte voulut administrer cette
petite fortune, sa femme lui répondit catégo-
riquement que ses opinions « économiques et
sociales. ne lui permettaient pas de laisser
administrer par son mari les biens qu'elle
avait versés dans la communauté. Elle ajouta
qu'admirâtirice et adepte des théories de Mme
Astié de Valsayre, elle entendait conserver
l'administration personnelle dc sa fortune.
— D'ailleurs, continua-t-elle, mes valeurs'
sont en lieu sûr et personne ne pourra les dé-
couvrir.
Mme Bruitte avait compté sans le flair ma-
rital. Le restaurateur, en effet, mettait bien-
tôt la main sur des récépissés émanant de la
Banque de France et constatant qu'un cer-
tain nombre de titres avaient été remis par
Mme Radot à cet établissement financier ea
garantie d'un emprunt. -
M. Bruitte s'empressa, « offros de droit »
préalablement faites, de réclamer les fameux
titres au porteur à la Banque de France.
Celle-ci refusa de se dessaisir des valeurs hora
la présence de Mme Bruitte, dont elle exi-
geait la signature. Le mari soutint que sa si-
gnature seule suffisait. La Banque de France
persista dans ses exigences.
Bref, on plaida. -
L'affaire est venue à la première chambre
du tribunal civil de la Seine, où M* Marc
Réville s'est présenté pour M. Bruitte et M*
Léon Cléry pour la Banque de France.
Le tribunal a rendu une décision aux
termes de laquelle la Banque de France est
condamnée à remettre, danâ la huitaine de la
signification du jugement, les valeurs à
M. Bruitte, sur sa simple signature.
Le jugement établit, en principe, que les
droits du mari sont absolus et que, sous le
régime de la communauté, même réduite aux
acquêts, il peut, comme il l'entend, disposer
des biens de sa femme.
Et maintenant la parole est à la Ligue pour
rém&acipation«de& femmes. Pourvu que le
jugement de la première chambre ne soit
pas, dans, une^ réunion publique à grand or*
çhestré, « cloué au pilori de iindigaatibnl *
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