Titre : Le XIXe siècle : journal quotidien politique et littéraire / directeur-rédacteur en chef : Gustave Chadeuil
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1894-04-30
Contributeur : Chadeuil, Gustave (1821-1896). Directeur de publication
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Description : 30 avril 1894 30 avril 1894
Description : 1894/04/30 (A24,N8141). 1894/04/30 (A24,N8141).
Droits : Consultable en ligne
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Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-199
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 29/04/2013
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LA Humaine
La France aspire à étendre sa domina-
tion sur une immense étendue du conti-
nent africain. Depuis la conquête de l'Al-
gérie, nos gouvernements successifs ont
poursuivi ce but constant, et les expédi-
tions de Faidherbe au Sénégal conduisaient
au même résultat que nos récentes opéra-
tions militaires au Soudan, nos efforts an
Congo et notre campagne du Dahomey.
Bientôt se posera la question de tirer un
profit de nos succès, car la guerre n'est ja-
mais qu'un moyen, et nous allons nous
trouver en face de la grosse difficulté de
l'esclavage.
Pour envisager le problème en hommes
pratiques et non en théoriciens vivant
sur le sommet d'une idée et isolés de la
réalité, il convient de remarquer que la
traite et l'esclavage sont deux choses dis-
tinctes.
Certes, l'esclavage révolte la conscience
de l'humanitécivilisée, qui proteste contre
ce vestige du passé ; mais il ne faut pas
oublier que la société antique était basée
sur cette institution, qui constituait un
progrès par rapport à la barbarie primi-
tive.
Au début le vainqueur tuait son ennemi
pour le manger quand il s'est borné à
devenir son maître et à le faire travailler
à son profit, comme une bête de somme,
il y a eu un pas fait en avant vers la jus-
tice.
Plus tard encore, l'esclavage s'est trans-
formé et il est devenu le servage, le serf vi-
vant sur la terre qu'il arrose de ses
sueurs, y demeurant attaché et ne chan-
geant de maître que lorsque le soi lui-
même change de propriétaire.
Ces étapes, que notre continent a fran-
chies et qui ont laissé des traces profon-
des dans l'histoire, est-il possible de les
supprimer tout à coup en Afrique?
Beaucoup en doutent et se demandent
s'il est sage de pousser à ses conséquen-
ce-; complètes le principe de l'affranchis-
sement dans des pays où il ne faut rien
précipiter, sous peine de risquer de ne
rien obtenir.
*
* *
Quant à la traite faite par des mar-
chands de chair humaine qui ravagent
l'Afrique pour amener des malheureux
sur les marchés d'esclaves d'Asie, elle
apparaît comme la plus atroce des cho-
ses dont notre siècle soit encore le témoin
attristé. On peut, on doit la combattre
par tous les moyens.
Les marchands d'esclaves arrivent en
effet d'une façon inopinée autour d'un
village nègre qu'ils livrent aux flammes.
Précédés par l'incendie, suivis par la
mort, ils ne s'arrêtent, dans leur œuvre
de massacre, que lorsque tous les habi-
tants se sont rendus à discrétion.
Après avoir tué les vieillards des deux
eexes, dont ils ne pourraient tirer aucun
profit, ils organisent avec les survivants
une lugubre caravane qu'ils escortent le
pistolet au poing, brûlant la cervelle à
tous les traînards, sans pitié pour la fai-
blesse ou la maladie.
On organise le convoi de la façon sui-
vante : chacun des infortunés aie cou pris
dans une fourche de bois, dont le manche,
reposant sur l'épaule de celui qui le pré-
tède, est tenu par lui à la main.
On peut se figurer aisément ce long
Ihapelet humain qui, comme un serpent à
hi colonne vertébrale mobile, marche len-
tement à travers l'Afrique.
Le chemin parcouru est aisé à recon.
naître : les ossements des victimes, dont
les carnassiers ont dévoré les chairs, ser-
vent à marquer les étapes.
Or les marchands d'esclaves, à cause
tic l'obligation de trouver de l'eau, sui-
vent fatalement des ligaes où ils rencon-
trent des puits et des oasis.
Si des troupes se portaient à leur ren-
contre, on arriverait aisément à leur bar-
rer la route et à leur infliger un châti-
ment mérité.
.-.
C'est dans ce sens seulement qu'à
l'heure actuelle une croisade pourrait être
engagée d'une façon utile, car la suppres-
sion de la traite constituerait pour l'Afri-
que un progrès tel que notre génération
aurait rempli sa tâche humanitaire.
Un proverbe italien dit qu'il faut aller
doucement pour aller sainement. C'est
exact, surtout dans une œuvre aussi vaste
que la civilisation de l'Afrique. Quand la
traite aura disparu, nous aurons creusé
un premier sillon que nos descendants
agrandiront.
Seulement, la constitution de corps ar-
més pour détruire les marchands d'es-
claves exige une préparation prévoyante.
Tous ceux qui ont voyagé en Afrique
savent comment les choses se passent.
Après de longs jours de marche, on finit
par arriver à un puits, ou du moins à
quelque chose qui y ressemble.
Les Arabes commencent alors à en net-
toyer et à en déblayer les alentours, puis ils
descendent dans une espèce det rou, d'où
ils enlèvent péniblement les pierres, les
racines, la boue accumulées par le temps.
Après un travail pénible, ils finissent
par obtenir la valeur de quelques litres
d'un liquide douteux qu'il faut une ex-
trême bonne volonté pour appeler de
l'eau.
Ce n'est pas avec cela que l'on réussi-
rait à étancher la soif d'une colonne con-
sidérable, et on céderait à une illusion que
la réalité ne tarderait pas à rendre cruelle,
si on oubliait comment la zone torride
traite les Européens dès qu'ils ne sont
pas dans des conditions parfaites d'hy-
giène.
# #
L'expédition française envoyée pour
reprendre Saint-Domingue, sous le com-
mandement du générai Leclerc, beau-
frère de Bonaparte, se composait de trente
jaiiile hommes.
Bien petit fut le nombre de ceux qui
rentrèrent en France, et cependant Saint-
Domingue est un pays admirable, ayant
une végétation splendide, un paradis vé-
ritable à côté des sables africains.
Néanmoins le soleil des tropiques avait
fait son œuvre de mort.
Comme axiome, on doit poser en prin-
cipe dl'e impossibilité d'affronter le Sahara
avec de l'infanterie.
Des hommes de race blanche ne sau-
raient marcher sur des sables brûlants.
Les insolations, les maladies de toutes
sortes s'abattraient sur eux; un convoi
d'ambulance serait indispenssable, et on
voit tout de suite le nombre des chevaux
et des chameaux nécessaires. -
Pour un effectif de deux cents soldats,
il faut deux cents chevaux de selle, au-
tant de chameaux pour porter les vivres,
les tentes et les indisponibles.
Cela forme une grosse colonne. Mais
avec deux cents fusils à tir rapide, quel-
ques mitrailleuses, quelques canons-re-
revolvers, on serait certain de ne jamais
se heurter à une force militaire en état de
résister et on serait maître absolu de la
route des caravanes.
C'est dans cet ordre d'idées qu'il faut
entrer pour entamer l'œuvre de civilisa-
tion. Avant d'abolir l'esclavage, il faut
détruire la traite.
Thomas Graindore..
Lire dans le XIXe Siècle de demain
lundi l'article de M. ROGER MARX sur
LE SALON - DES CHAMPS-ELYSEES
ARRESTATION D'OFFICIERS FRANÇAIS
A CONSTAKTINOPliE
Constantinople, 28 avril.
Mardi dernier, le commandant et les offi-
ciers du stationnaire français Petrel étaient
allès en vêtements civils visiter le vieux sé-
rail, avec l'autorisation spéciale du sultan.
Ils furent arrêtés et détenus quelque temps
dans le parc par un poste de soldats turcs,
bien qu'ils eussent déclaré leur qualité.
L'ambassade de France réclama aussitôt
pour cette offense faite aux officiers français.
Le gouvernement ottoman promit de lui
donner satisfaction.
UNE VILLE SANS VIANDE
(DE NOTRE CORRESPONDANT PARTICULln)
Clermont-Ferrand, 28 avril.
Tous les bouchers, à deux ou trois près,
sont en grève depuis hier soir.
Habituellement, on tue le vendredi 40
bœufs, 100 veaux et 150 moutons. Hier il a
a été. abattu seulement 3 bêtes à cornes,
6 veaux et une dizaine de moutous.
La cause de cette grève est la taxe officielle
établie au commencement de la semaine par
le maire de Clermont. Les bouchers syndi-
qués ont résisté à toutes les tentatives d'ar-
rangement el déclaré qu'ils cesseront de ven-
dre aussi longtemps que la taxe ne sera. pas
supprimée. Une nouvelle taxe a été affichée
hier soir avec une majoration des prix. Les
bouchers ne l'acceptent pas. Ils veulent la
suppression.de toute taxe, basant leur déci-
sion sur les hauts prix exceptionnels du mar-
ché, conséquence de la crise de l'hiver dernier
causée par le manque de fourrage.
0
L'ATTACHE NAVAL
de l'ambassade de Russie
Un pénible accident a marqué à Dunkerque
l'arrivee de l'Absalon qui amenait l'équipage du
torpilleur russe Sesloretz.
M. Behr, attaché naval de l'ambassade russe à
Paris, a été hourté par une balle de laine prove-
nant d'un navire en déchargement. Dans sa chute,
le sympathique officier s'est foulé un poignet et a
reçu de nombreuses contusions.
UNE VICTIME DE LA ROULETTE
(DE NOTRE CORRESPONDANT PARTICULIER)
Cannes, 28 avril.
Une jeune femme connue dans le monde où l'on
joue, Mlle Adrienne R., qui appartient à une
grande famille lyonnaise, vient de se suicider à
Monte-Carlo en se tirant trois coups de revolver.
Mlle R. fréquentait régulièrement Monte-Carlo.
On la voyait constamment dans la salle des jeux.
C'est après avoir perdu la somme de deux cent
mille francs qu'elle a mis fin à ses jours.
Mlle R. avait vingt-trois ans.
INSULTEUR ITALIEN
A la suite d'un rapport transmis à la Sûreté
générale et communiqué à la chancellerie du
quai d'Orsay, un arrêté d'expulsion va être
signifié à un Italien nommé Garelli qui, de-
vant l'hôtel des Anglais, à Nice, pendant la
revue des troupes de la garnison passée par
le général Ferron, a sifflé à deux reprises sur
le passage des drapeaux de nos régiments.
Rossé d'importance par les assistants indi-
gnés, cet insulteur a été ensuite arrêté et sera
déféré au tribunal correctionnel.
Il faut espérer qu'une sévère condamnation
empêchera le retour d'un fait aussi scanda-
leux.
DETACHEMENT D'INFANTERIE
SOUS UNE AVALANCHE
Chambéry, 28 avril.
Les baraquements du col de Fréjus (poste
frontière) sont occupés par un détachement
du 970 d'infanterie, sous le commandement
d'un lieutenant, M. Rochefrette.
Mardi dernier, 34 avril,, une viDgtaine,
d'hommes étaient descendus à Modane pour
le ravitaillement des vivres nécessaires au
détachement. Les mulets, qui font habituelle-
ment ce service, ne pouvaient faire le trajet,
la route étant obstruée par les avalanches.
Au retour, au moment où le détachement ar-
rivait au lieu dit le « Pas des Roches », une
grande masse de neige se détachant de deux
rochers s'abattit sur la petite troupe, renversa
les hommes et entraîna les deux derniers, un
caporal et un homme, jusqu'au fond du ra-
vin de Fréjus par une pente très accentuée
et à près de 300 mètres de profondeur.
Le premier moment de stupeur passé, on
songea aux moyens à employer pour pro-
céder au sauvetage des deux soldats entraî-
nés par l'avalanche, et dans cette occasion,
on ne saurait trop admirer le sang-froid et
l'esprit d'initiative montrés par le lieutenant
Rochefrette, ni trop louer le courage et l'é-
nergie des hommes qui, malgré l'émotion
bien naturelle qu'ils venaient de ressentir et
la menace d'une nouvelle avalanche, n'hési-
tèrent pas un instant à se porter au secours
de leurs camarades. Après de longs efforts
ceux-ci furent enfin dégagés. Leurs blessures
ne présentent aucun caractère grave et ne
consistent qu'en de fortes contusions.
Ils ne doivent d'avoir échappé à la mort
qu'à la présence d'une forte couche de neige
qui a amorti le choc, et à là rapidité dea ee-
cours qui ont été prodigués, „ .:.'-' ,
CONDAMNATION A MORT
D'ÉMILE HENRY
LE TESTAMENT DU CONDAMNÉ
La série des témoins. — Le procureur
demande la tête de l'accusé. — Décla-
ration de l'anarchiste.- Le verdict.
Cette seconde audience a été indiscutable-
ment plus intéressante que la précédente.
Emile Henry e y a révélé davantage son ca-
ractère : il n'en sort pas plus sympathique
mais plus net.
Quoique donc s'étant prolongé jusqu'à
près de huit heures du soir, ce dernier acte du
procès du jeune anarchiste a paru relative-
ment court.
Nous avons eu d'abord à enregistrer di-
verses dépositions. M. le juge d'instruction
Meyer nous a raconté une histoire extraordi-
naire de brigands, d'hommes masqués ayant
envahi nuitamment la propriété, sise en Nor-
mandie, d'une dame Rossel, laquelle avait
hérité de 800,000 francs d'un oncle venu de
Panama 1
Ces hommes, avant de se masquer, étaient
descendus dans des hôtelleries du pays et se
donnaient comme de riches Anglais voulant
construire des usines dans la région ; lemaire,
le jour de la Saint-Sylvestre, leur avait offert
une tasse de thé chez lui, et ce maire affirme
que l'anarchiste Ortiz et Emile Henry figu-
raient dans le quatuor.
Emile Henry lève les épaules à démolir un
nouveau lustre.
Il est plus gêné par le dire du serrurier dont
il avait lui-même invoqué le témoignage.
Henry avait dit qu'il avait travaillé, rue du
Temple, pendant cette période obscure de son
existence qui va du 8 novembre 4893-au 12 fé-
vrier 1894. Le serrurier dit bien qu'il a eu
chez lui « Louis Dubois », mais comme ap-
prenti : et il ne lui a pas donné la moindre
rétribution.
— De quoi viviez-vous ? demande de nou-
veau le président ?
Et l'accusé de répondre :
— Je vivais de privations.
Le témoin suivant, M. Dupuy, sculpteur-
ornemaniste, occupait Emile Henry comme
employé à l'époque de l'attentat de la rue des
Bons-Enfants.
Résumons cette déposition :
— J'ai, dit le témoin, pris Henry dans mon ate-
lier sur la recommandation d'Ortiz dont je ne
soupçonnais ni les opinions, ni les habitudes.
Emile Henry a été un excellent employé, régu-
lier, ardent au travail, d'une égalité d'humeur ac-
complie. Ni le jour, ni le lendemain de l'explosion
de la bombe, il n'a présenté rien de particulier. Il
a paru partager l'émotion des autres ouvriers,
quand la nouvelle nous est arrivée.
Il me paraît encore aujourd'hui bien difficile
qu'Emile Henry ait eu le temps de déposer une
bombe avenue de l'Opéra.
M. le commissaire de police Bernard a re-
fait dans quatre voitures la promenade dé-
crite par Henry. C'est, dit le témoin, un
record très admissible; il l'a couvert en ga-
gnant même quelques minutes.
- Mme Colin, papetière; M. Comte, quin-
caillier ; M. Quillot, représentant de l'ancienne
maison do produits chimiquos Fontaino, con-
firment par leurs propres déclarations la vé-
racité des aveux de l'accusé.
M. Vieille, ingénieur des poudres et salpê
très, l'inventeur de la poudre sans fumée, et
le municipal M. Girard manipulent devant le
jury un couple de marmites, sosies de l'engin
de la rue des Bons-Enfants.
M. Girard exprime cet avis que Emile
Henry n'a pas bouclé seul sa marmite.
— M. Girard n'est pas serrurier, dit l'ac-
cusé.
Le défenseur, Me Hornbostel, veut que
l'expert dise quel était le plus dangereux des
deux engins : la bombe du Terminus ou le
pot-au-feu du commissariat.
Emile Henry. — Oh! c'était la même chose,
allez l
On entend M. Bordenave, ringénieur-cons-
tructeur qui, reconnaissant à Emile Henry
une intelligence très vive, des facultés de tra-
vail particulières, voulut se l'attacher.
M. Bordenave, qui, on le sait, était parent
de l'accusé, dépose avec une émotion visible.
Au moment où il se retire, Emile Henry se
lève comme pour dire quelques mots.
Le président. — Vous voulez adresser une ques-
tion au témoin ?
Henry. — Non.
- Alors asseyez-vous.
- Mais je veux dire.
- Parlez.
- Non, je ne parlerai pas maintenant.
Cependant, s'adressant au témoin directe-
ment, Emile Henry lui dit :
— Je vous dis adieu, M. Bordenave, je ne vous
verrai plus.
Témoins à décharge
Maintenant voici les témoins à déch arge.
Ce sont notamment les anciens professeurs
de l'accusé: « Il n'y avait pas, disent-ils, de
meilleur disciple, d'élève plus doux, plus
travailleur, plus intelligent. »
Et M. Philippe, professeur de mathémati-
ques spéciales à l'école Jean-Baptiste-Say,
ajoute :
— Emile Henry, malheureusement, n'avait pas la
moindre idée de la vie pratique. Néanmoins je ne
m'explique pas qu'il en soit arrivé là où il est.
Il nous faut mentionner plus complètement
la déposition du docteur Goupil. Ce vétéran
de nos luttes intestines, vieil ami de la famille
de l'accusé, crée d'abord un petit incident en
refusant de prêter serment" genre de protesta-
tion un peu démodé.
M. l'avocat général Bulot consent à ce que
le témoin soit entendu à titre de renseigne-
ment. Le docteur Goupil dit alors aux jurés :
- J'ai connu le père d'Emile Henry beaucoup.
Je l'ai même soigne dans sa dernière maladie. Il
est mort d'une congestion cérébrale. D'un autre
côté, Emile Henry a eu une fièvre typhoïde. J'ai eu
l'occasion de l'expliquer à quelques-uns d'entre
vous, pas à beaucoup, car peu ont voulu m'en-
tendre.
Pour moi, Emile Henry est un détraqué.
Henry (brusquement). — Ah t pardon. Je ne suis
pas fou. Je suis conscient.
Le témoin. — Du reste, j'ai recueilli un certain
nombre de notes sur cette question et je les ai
transmises à l'avocat qui pourra les utiliser dans
sa plaidoirie.
Henry (s'adressant au docteur). — Je ne suis pas
un détraqué. Je vous remercie d'être venu ici pour
essayer de sauver ma tête. Mais ma tête n'a pas
besoin d'être sauvée. Je suis parfaitement cons-
cient. Vous avez parlé d'une fièvre typhoïde. Mais
j'ai obtenu mes succès scolaires après cette fièvre
typhoïde, ce qui prouve que mon cerveau n'était
pas attaqué..
D'autre part, vous avez dit que mon père avait
succombé a une congestion cerébrale. Mais vous
savez que cette congestion était accidentelle, le ré-
sultat des vapeurs mercurielles dont il avait été
entouré dans son usine. Il n'a donc pas pu me
transmettre quoi que ce soit par hérédité. Je ne
suis pas fou, je le répète ; je suis très conscient.
Encore une fois, je remercie le docteur, mais je re-
vendique absolument la responsabilité de ce que
j'ai fait. (M.ouvement prolonge.)
M. Ogier d'Ivry, officier supérieur de cava-
lerie et poète, cousin de l'accusé, succède au
docteur: ,'
— Emile Henry, dit-il, est mon eousin. Je l'ai vu
«tne dot$aig$de fys*. CétaH
charmant enfant, intelligent, un peu rêveur, mais,
à mon sens, déjà tout à fait déséquilibré. Il appar-
tient par ses origines à cette race de Carnisards,
toujours portée aux résolutions extrêmes dans le
mal comme dans le bien. Chez lui, c'est le mauvais
génie qui l'a emporté.
Je parle de lui sans aucune sympathie. Son
crime me dégoûte. Mais, en toute justice, ce n'est
pas un cerveau bien fait
D. — Vous l'avez embrassé à l'instruction?
R. (avec hésitation). — Oui.
On se demandait si la mère de l'accusé se-
rait entendue. La malheureuse femme, deux
jours durant, aura erré dans les couloirs du
Palais, y traînant sa douleur dont le spectacle
était navrant.
A l'appel du nom de Mme Henry, M. le
conseiller Pottier se tournant vers Me Hor.-
bostel prononce ces paroles écoutées dans un
profond silence:
- Le défenseur d'Emile Henry m'a demandé de
faire entendre Mme Henry. Je lui ai répondu que
jamais je ne prendrais la responsabilité de faire
assister une mère à un réquisitoire où l'on doit
demander la condamnation à mort de son fils. Je
lui ai dit qu'il n'avait qu'un meyen de me forcer
la main : c'était de citer Mme Henry. Il l'a fait.
(Mouvement prolongé.)
Toutefois le président ajoute qu'il à, d'autre
part, reçu de l'accusé une lettre lui deman-
dant de refuser à sa mère toute autorisation
qu'elle pourrait demander d'assister aux dé-
bats.
Le président. — Je demande maintenant au
défenseur : insistez-vous pour l'audition de Mme
Henry ?
Emile Henry. — Je déclare, moi, que je renonce
à son audition. Je ne veux pas avoir le spectacle
de ma mère se trouvant mal devant moi.
Mo Hornbostel fait un geste désespéré et
s'incline.
Mme Henry n'est pas entendue.
Le réquisitoire
Au cours de son réquisitoire, M. l'avocat
général Bulot a été plusieurs fois interrompu
violemment par Emile Henry à qui le prési-
dent est obligé de rappeler l'existence du
texte de loi qui permet de continuer les dé-
bats sans la présence des accusés turbulents.
Henry doit ronger son frein et attendre le
moment de répondre, ce qu'il s'est promis de
faire depuis longtemps.
Il va de soi que M. l'avocat général Bulot a
requis la peine capitale, impressionnant fort
le jury en dressant le tableau des victimes
faites par les bombes meurtrières d'Emile
Henry.
— Cinq veuves et dix orphelins pleurent encore
les êtres chers qui leur ont été ravis. Voilà com-
ment l'anarchie solutionne la question sociale, et
Henry vient nous dire ici qu'il regrette de n'avoir
pas fait plus de victimes.
Le testament
Emile Henry avait patiemment logé dans
sa mémoire le morceau oratoire qu'il a débite
devant le jury.
Reconnaissons que le jeune anarchiste a
fait son récit avec infiniment d'art. Rien de
plus difficile que d'approprier le geste à un
discours ainsi appris, et Emile Henry a eu ce
geste comme aussi les intonations voulues, se
tournant tour à tour vers la cour, le jury,
l'avocat général et partdeux. fois vers le banc
des journalistes, des bourgeois aussi, pa-
raît-il.
Deux ou trois fois il s'est arrêté, mais pas
bien longtemps, et c'est à peine s'il a eu be-
soin de jeter un rapide coup d'œil sur les no-
tes qu'il avait apportées, notes toutes de sa
main, a-t-il pris bien soin de dire au prési-
dent.
Voici donc cette déclaration. Peut-être perd-
elle à la simple lecture, mais elle constitue
un document qu'il faut, croyons-nous, con-
naître, et c'est pour ce motif que nous la pu-
blions en son entier.
Messieurs les jurés,
Tous connaissez les faits dont je suis accusé :
l'explosion de la rue des Bons-Enfants qui a tué
cinq personnes et déterminé la mort d'une sixième,
l'explosion du café Terminus, qui a tué une per-
sonne, déterminé la mort d'une seconde et blesse un
certain nombre d'autres, enfin, six coups de revol-
ver tirés par moi sur ceux qui me poursuivaient
après ce dernier attentat.
Les débats vous ont montré que je me reconnais
l'auteur responsable de ces actes.
Ce n'est donc pas une défense que je veux vous
Srésenter ; je ne cherche en aucune façon à me
dérober aux représailles de la société que j'ai at-
taquée.
ta D'ailleurs je ne relève que d'un seul tribunal,
moi-même, et le verdict de tout autre m'est inditré-
rent.
Je veux simplement vous donner l'explication de
mes actes et vous dire comment j'ai été amené à
les accomplir.
Je suis anarchiste depuis peu de temps. Ce n'est
guère que vers le milieu de l'année 1891 que je me
suis lancé dans le mouvement révolutionnaire.
Auparavant j'avais vécu dans des milieux entiè-
rement imbus de la morale actuelle. J'avais été
habitué à respecter et même à aimer les prin-
cipes de patrie, de famille, d'autorité et de pro-
priété.
Mais les éducateurs de la génération actuelle ou-
blient trop fréquemment une chose, c'est que la vie
avec ses luttes et ses déboires, avec ses injustices
et ses iniquités, se charge bien, l'indiscrète, de des-
siller les yeux des ignorants et de les ouvrir à la
réalité. C'est ce qui m'arriva, comme il arrive à
tous. On m'avait dit que cette vie était facile et lar-
gement ouverte aux intelligents et aux énergiques,
et l'expérience me montre que seuls les cyniques et
les rampants peuvent se faire bonne place au ban-
quet. On m'avait dit que les institutions sociales
étaient basées sur la justice et l'égalité et je ne
constatai autour de moi que mensonges et fourbe-
ries.
Chaque jour m'enlevait une illusion.
Partout où j'allais, j'étais témoin des mêmes dou-
leurs chez les uns, des mêmes jouissances chez les
autres.
Je ne tardai pas à comprendre que les grands
mots que l'on m'avait appris à vénérer, honneur,
dévouement, devoir, n'étaient qu'un masque voi-
lant les plus honteuses turpitudes.
L'usinier qui édifiait une fortune colossale sur
le travail de ses ouvriers qui, eux, manquaient de
tout, était un monsieur honnête !
Le député, le ministre, dont les mains étaient
toujours ouvertes aux pots-de-vin, étaient dévoués
au bien public.
L'officier qui expérimentait le fusil nouveau mo-
dèle sur des enfants de sept ans avait bien fait son
devoir, et en plein Parlement, le président du con-
seil lui adressait ses félicitations 1 Tout ce que je
vis me révolta et mon esprit s'attacha à la critique
de l'organisation sociale. Cette critique a ét6 trop
souvent faite pour que je la recommence. Il me
suffira de vous dire que je devins l'ennemi d'une
société que je jugeais criminelle.
Un moment attiré par le socialisme, je ne tardai
pas à m'éloigner de ce parti.
J'avais trop l'amour de la liberté, trop le respect
de l'initiative individuelle, trop de répugnance à
l'incorporation, pour prendre un numéro dans l'ar-
mée matriculée du quatrième Etat.
D'aiUelU's, je vis qu'au fond le socialisme ne
D'ailleurs, à l'ordre actuel, il maintient le prin-
change rien à l'ordre actuel, il maintient le priD-
cipe autoritaire, et ce principe, malgré ce qu'en
peuvent dire de prétendus libres penseurs, n'est
qu'un vieux reste de la foi en une puissance supé-
rieure.
Or. j'étais matérialiste et athée ; des études
scientifiques m'avaient graduellement initié au jeu
des forces naturelles ; j'avais compris que l'hypo-
thèse Dieu était-écartée par la science moderne qui
n'en avait plus besoin. La morale religieuse et au-
toritaire, basée sur le faux, devait disparaître.
Quelle était alors la nouvelle morale en harmonie
avec les lois de la nature qui devait régénérer le
vieux monde et enfanter une humanité heureuse?
C'est à ce moment que je me mis en relations
avec quelques compagnons anarchistes, qu'aujour-
d'hui je considère comme des meilleure que j'aie
connus. -
là Quo Agi-t- 49-M «fcW* ton*
d'abord : j'appréciai en eux une grande sincérité et
une franchise absolue, un mépris profond de tous
les préjugés, et je voulus connaître l'idée qui faisait
ces hommes si différents de tous ceux que j'avais
vus jusque-là.
Cette idée trouva en mon esprit un terrain tout
préparé par des observations et des réflexions per-
sonnelles à la recevoir.
Elle ne fit que préciser ce qu'il y avait encore
chez moi de vague et de flottant.
Je devins à mon tour anarchiste.
Je n'ai pas à développer ici la théorie de l'anar-
chie, je ne veux en retenir que le côté révolution-
naire, le côté destructeur et négatif pour lequel je
comparais devant vous.
En ce moment de lutte aiguë entre la bourgeoi-
sie et ses ennemis, je suis presque tenté de dire
avec les héros de Germinal: « Tous les raisonne-
ments sur l'avenir sont criminels, parce qu'ils em-
pêchent la destruction pure et simple et entravent
la marche de la révolution. »
Dès qu'une idée est mûre, qu'elle a trouvé sa
formule, il faut sans plus tarder en poursuivre la
réalisation. J'étais convaincu que l'organisation
actuelle était mauvaise, j'ai voulu lutter contre
elle, afin de hâter sa disparition.
J'ai apporté dans la lutte une haine profonde,
chaque jour avivée par le spectacle révoltant de
cette société où tout est bas, tout est louche, tout
est laid, où tout est une entrave à l'épanchement
des passions humaines, aux tendances généreuses
du cœur, au libre essor de la pensée.
J'ai voulu frapper aussi fort et aussi juste que
je le pourrais. Passons donc au. premier attentat
que j'ai commis, à l'explosion de la rue des Bons-
Enfants.
J'avais suivi avec attention les évènements de
Carmaux.
Les premières nouvelles de la grève m'avaient
comble de joie : les mineurs paraissaient disposés
à renoncer enfin aux grèves pacifiques et inutiles,
où le travailleur confiant attend patiemment que
ses quelques francs triomphent des millions des
compagnies.
Ils semblaient entrés dans une voie de violence,
qui s'affirma résolument le 15 août 1892.
Les bureaux et les bâtiments de la mine furent
envahis jjar uue foulo laaao de soufFiir sans se
venger, justice allait être faite de l'ingénieur si
haï de ses ouvriers, lorsque des timorés s'interpo-
sèrent.
Quels étaient ces hommes ?
Les mêmes qui font avorter tous les mouve-
ments révolutionnaires, parce qu'ils craignent
qu'une fois lancé le peuple n'obéisse plus à leur
voix, ceux qui poussent des milliers d'hommes à
endurer des privations pendant des mois entiers
afin de battre la grosse caisse sur leurs souf-
frances et se créer une popularité qui leur per-
mettra de décrocher un mandat — je veux dire les
chefs socialistes. Ces hommes, en effet, prirent
la tête du mouvement gréviste.
On vit tout à coup s'abattre sur le pays une nuée
de messieurs beaux parleurs qui se mirent à la
dispositions entière de la grève, organisèrent des
souscriptions, firent des conférences, adressèrent
des appels de fonds de tous côtés. Les mineurs dé-
posèrent toute initiative entre leurs mains. Ce qui
arriva, on le sait.
La grève s'éternisa, les mineurs firent une plus
intime connaissance avec la faim, leur compagne
habituelle, ils mangèrent le petit fonds de réserve
de leur syndicat et celui des autres corporations
qui leur vinrent en aide, puis au bout de deux
mois, l'oreille basse, ils retournèrent à leur fosse,
plus misérables qu'auparavant. Il eût été si simple,
dès le début, d'attaquer la compagnie dans son
seul endroit sensible : l'argent, de brûler le stock
de charbon, de briser les machines d'extraction, de
démolir les pompes d'épuisement.
Certes, la compagnie eût capitulé bien vite. Mais
les grands pontifes du socialisme n'admettent pas
ces procédés-là, qui sont des procédés anarchistes.
A ce jeu il y a de la prison à risquer, et, qui sait,
peut-être une do ces balles qui firent merveille à
Fourmies. On n'y gagne aucun siège municipal ou
législatif. Bref, l'ordre un instant troublé régna de
nouveau à Carmaux.
La compagnie, plus puissante que jamais, conti-
nua son exploitation et messieurs les actionnaires
se félicitaient de l'heureuse issue de la grève. Al-
lons, les dividendes seraient encore bons à tou-
cher.
C'est alors que je me suis décidé à mêler à ce
concert d'heureux accents une voix que les bour-
geois avaient déjà entendue, mais qu'ils croyaient
morte avec Ravachol, celle de la dynamite.
J'ai voulu montrer à la bourgeoisie que désor-
mais il n'y aurait plus pour elle de joies complè-
tes, que ses triomphes insolents seraient troublés,
que son veau d'or tremblerait violemment sur son
piédestal, jusqu'à la secousse définitive qui le jet-
terait bas dans la fange et dans le sang.
En même temps, j'ai voulu faire comprendre aux
mineurs qu'il n'y a qu'une seule catégorie d'hom-
mes, les anarchistes, qui ressentent sincèrement
leurs souffrances et qui sont prêts à les venger.
Ces hommes-là ne siègent pas au Parlement,
comme messieurs Guesde et consorts, mais ils
marchent à la guillotine.
Je préparai donc une marmite. Un moment l'ac-
cusation que l'on avait lancée à Ravachol me re-
vint en mémoire : Et les victimes innocentes?
Mais je résolus bien vite la question. La maison
où se trouvaient les bureaux de la Compagnie de
Carmaux n'était habitée que par des bourgeois. Il
n'y aurait donc pas de victimes innocentes.
La bourgeoisie tout entière vit de l'exploita-
tion des malheureux, elle doit tout entière expier
ses crimes.
Aussi, c'est avec la certitude absolue de la légi-
timité de mon acte que je déposai ma marmite de-
vant la porte des bureaux de la société.
J'ai expliqué, au cours des débats, comment j'es-
pérais, au cas où mon engin serait dëeoll(>.rt avant
son explosion, qu'il éclaterait au commissariat de
police, atteignant toujours ainsi mes ennemis. Voilà
donc les mobiles qui m'ont fait commettre le pre-
mier attentat que l'on me reproche.
Passons au second, celui du café Terminus. J'é-
tais venu à Taris lorg-de l'affaire Vaillant. J'avais
assisté à la répression formidable qui suivit l'at-
tentat du Palais-Bourbon. Je fus témoin des me-
sures draconiennes prises par le gouvernement
contre les anarchistes.
De tous côtés on espionnait, on perquisitionnait,
on arrêtait. Au hasard des rafles, une foule d'in-
dividus étaient arrachés à leur famille et jetés en
prison. Que devenaient les femmes et les enfants
de ces camarades pendant leur incarcération? Nul
ne s'en occupait.
L'anarchiste n'était plus un homme : c'était une
bête fauve que l'on traquait de toutes parts et dont
toute la presse bourgeoise, esclave vile de la force,
demandait sur tous les tons l'extermination.
En même temps, les journaux et les brochures
libertaires étaient saisis, le droit de réunion était
prohibé.
Mieux que cela : lorsqu'on voulait se débarras-
ser complètement d'un compagnon, un mouchard
déposait le soir dans sa chambre un paquet conte-
nant du tanin, disait-il, et le lendemain une perqui-
sition avait lieu, sur un ordre daté de l'avant-
veille. On trouvait une boite pleine de poudre
suspecte, le camarade passait en jugement et ré-
coltait trois ans de prison.
Demandez donc si cela n'est pas vrai au miséra-
ble indicateur qui s'introduisit chez le compagnon
Mérigeaud ?
Mais tous ces procédés étaient bons. Ils frap-
paient un ennemi dont on avait eu peur, et ceux
qui avaient tremblé voulaient se montrer coura-
geux.
Comme couronnement à cette croisade contre les
hérétiques, n'entendit-on point M. Raynal, ministre
de l'intérieur, déclarer à la tribune de la Chambre
que les mesures prises par le gouvernement avaient
eu un bon résultat, qu'elles avaient jeté la terreur
dans le camp anarchiste? Ce n'était pas encore as-
sez. On avait condamné à mort un homme qui n'a-
vait tué personne, il fallait paraître courageux
jusqu'au bout : on le guillotina un beau matin.
Mais, messieurs les bourgeois, vous aviez un
peu trop compté sans votre hôte.
Vous aviez arrêté des centaines d'individus, vous
aviez violé bien des domiciles ; mais il y avait en-
core hors de vos prisons des hommes que vous
ignoriez, qui, dans l'ombre, assistaient à votre
ignorieà z, l'auarchiste et qui n'attendaient que le
chasse
moment favorable pour, 4 leur tour, chasser les
éhuseurs.
Les paroles de M. Raynal étaient bien un défi
jeté aux anarchistes. Le gant a été relevé. La
bombe du café Terminus est la réponse à toutes
vos violations de la liberté, à vos arrestations, à
vos perquisitions, à vos lois sur la presse, à vos
expulsions en masse d'étrangers, à vos guilloti-
radeg. MaiB pourquoi, d es-voua, &U« 8jtV
à des consommateurs paisibles qui écoutent de la
musique et qui, peut-être ne sont ni magistrat?, ni
députés, ni fonctionnaires?
Pourquoi? C'est bien simple. La bourgeoisie
n'a fait qu'un bloc des anarciiist.es. Un seul
homme, Vaillant, avait.lancé une bombe; les neuf
dixièmes des compagnons ne le connaissaient
même pas. Cela n'y fit rien. On persécuta en masse.
Tout ce qui avait quelque relation anarchiste fut
traqué.
Eh bien! puisque vous rendez ainsi tout un parti
responsable des actes d'un seul homme et que
vous frappez en bloc, nous aussi nous frappons
en bloc.
Devons-nous nous attaquer seulement aux dé-
putés qui font les lois contre nous, aux magistrats
qui appliquent ces lois, aux policiers qui nous
arrêtent ?
Je ne le pense pas.
Tous ces hommes ne sont que des instrument.
n'agissant pas en leur propre nom. Leurs fonc-
tions ont été instituées par la bourgeoisie pour sa
défense: ils ne sont pas plus coupables que les
autres.
Les bons bourgeois qui, sans être révolus d'au-
cune fonction, touchent cependant les coupons de
leurs obligations, qui vivont oisifs tle.5 bénéfices
produits par le travail des ouvriers, ceux-là aussi
doivent avoir leur part de représailles.
Et non seulement eux, mais encore tous ceux qui
sont satisfaits de Tordre actuel, qui applaudissent
aux actes du gouvernement et se fout ses com-
plices, ced employés à 300 et à 500 francs par mois ,
qui haïssent le peuple plus encore que le gros bour-
geois, cette masse bête et prétentieuse qui se range
toujours du côté du plus fort, ciieutèle ordinaire
du Terminus et autres grands cafés.
Yoilà pourquoi j'ai frappé dans le tas, sans
choisir mes victimes.
Il faut que la bourgeoisie comprenne bien que
ceux qui ont souffert sont enfin las de leurs souf-
frances. Ils montrent les dents et frappent d'au-
tant plus brutalement qu'on a été plus brutal avec
eux.
Ils n'ont aucun respect de la vie humaine,
parce que les bourgeois eux mêmes n'ea ont aucun
souci.
fia n'est pas aux assassins qui ont fait la se-
maine sanglante et Fourmies de traiter les autres
d'assassins.
Ils n'épargnent ni femmes ni enfants bourgeois,
parce que les femmes et les enfants de coux qu'ils
aiment ne sont pas épargnés non plus. Ne sont-ce
pas là des victimes innocentes, ces enfants qui,
dans les faubourgs, se meurent lentement d'anémie
parce que le pain est rare à la maison, ces fem-
mes qui, dans vos ateliers pâlissent et s'épuisent
pour gagner quarante sous par jour, heureuses
encore quand la misère ne les force pas à se pros- ;
tituer ; ces vieillards dont vous avez fait des ma- j.
chines à produire toute leur viu et que vous jetez
à la voirie et à l'hôpital quand leurs forces sont
exténuées?
Ayez au moins le courage de vos crimes, mes- f
sieurs les bourgeois, et convenez que nos repré- ;
sailles sont grandement légitimes.
Certes, je ne m'illusionne pas. Je sais que mes
actes ne seront pas encore bien compris des foules
insuffisamment préparées. Même parmi les ou-
vriers, pour lesquels j'ai lutté, beaucoup, égarés
par vos journaux, me croient leur ennemi. Mais
cela m'importe peu. Je ne me soucie du jugement
de personne. Je n'ignore pas non plus qu'il existe
des individus se disant anarchistes qui s'empres-
sent de réprouver toute solidarité avec les propa-
gandistes par le fait.
Ils essayent d'établir une distinction subtile entre
les théoriciens et les terroristes. Trop lâches pour
risquer leur vie, ils renient ceux qui agissent.
Mais l'influence qu'ils prétendent avoir sur le
mouvement révolutionnaire est nulle. Aujour-
d'hui, le champ est à l'action sans faiblesse et sans
reculade.
Alexandre Herzen, le révolutionnaire russe, l'a
dit : « De deux choses l'une, ou justicier et mar-
cher en avant, ou gracier et trébucher à moitié
route. »
Nous ne voulons ni gracier ni trébucher et nous
marcherons toujours en avant jusqu'à ce que la ré-
volution, but de nos efforts, vienne enfin couron-
ner notre œuvre en faisant le monde libre.
Dans cette guerre sans pitié que nous avons dé-
clarée à la bourgeoisie, nous ne demandons aucune
pitié.
Nous donnons la mort, nous saurons la subir.
Aussi c'est avec indifférence que j'attends votre
verdict.
Je sais que ma tète n'est pas la dernière qua
vous couperez ; d'autres tomberont encore, car les
meurt-de-faim commencent à connaître le chemin
de vos grands cafés et de vos grands restaurants
Terminus et Foyot.
Vous ajouterez d'autres noms à la liste sanglante
de nos morts.
Vous avez pendu à Chicago, décapité en Alle-
magne, garrotté à Xérès, fusillé à Barcelone, guil-
lotiné à Montbrison et à Paris, mais ce que voua
ne pourrez jamais détruire, c'estl'anarchie.
Ses racines sont trop profondes ; elle est née au
sein d'une société pourrie qui se disloque; elle est
une réaction violente contre l'ordre établi. Elle re..
présente les aspirations égalitaires et libertaires qui
viennent battre en brèche l'autorité actuelle, elle est
partout, ce qui la rend insaisissable. Elle finira
par vous tuer.
Voilà, messieurs les jurés, ce que j'avais à voua
dire.
Vous allez maintement entendra mon avocat.
Vos lois imp"ant à tout accusé un défenseur,
ma famille a choisi M" Hornbostel.
Mais ce qu'il pourra vous dire n'infirme en rien
ce que j'ai dit. Mes déclarations sont l'expression
exacte de ma pensée. Je m'y tiens intégralement.
(Mouvement prolongé.)
, Le plaidoyer
L'auditoire a écouté cette longue déclara-
tion sans rien manifester. C'est un vif senti.
ment de curiosité qui dominait.
ME Hornbostel se lève alors pour pronon.
cer la défense de l'accusé.
Mon Dieu, la singulière plaidoirie !
Ma Hornbostel désarme la critique par la
robustesse de sa foi' : c'est l'homme le plus
convaincu qui soit de son talent d'orateur.
Si on analyse ce talent, on y trouve, avec
une parcelle de Démosthène, infiniment da
Galino ; ajoutons que cette éloquence, partant
du nez autant que du cœur, rappelle beau-
coup plus la Canebière que l'Agora, et sa
seule excuse est d'être remplie de bonnes in-
tentions.
— Avez-vous jamais vu, dit M* Hornbostel s'a.
dressant aux jurés, avez-vous jamais vu se dérou-
ler dans vos annales un semblable criminel ?
Le défenseur soulève sur ses biceps solidea
« l'enfant terrible » que représente pour lui;
son client et le présente au jury comme ayant
hérité des c microbes de la pensée » qui mi.
naient le cerveau de ses parents. Songez
donc ! Emile Henry fut conçu durant les nuits
tourmentées de la Commune l
Nous ne disons pas qu'il n'y ait pas eu
quelques bonnes choses dites au cours de cette
plaidoirie, mais combien noyées.
Le défenseur exprime l'espoir que le jury
ne sera pas inexorable pour Emile Henry, qui
en est à sa première infraction aux règlements
sociaux (sic).
Le verdict
Vers six heures et demie le jury est appelé
à délibérer sur les quarante et quelques ques-
tions qui lui sont soumises. Il consacre trois
quarts d'heure à cet examen, et le chef du
jury formule par ces mots le résultat de cet
examen:
— Oui à la majorité, sur toutes les ques-
tions.
Le verdict est muet sur les circonstances
atténuantes.
- Vous n'avez rien à dire sur l'application
de la peine? demande le président à l'accusé.
— J'accepte, répond Henry, la sentence,
telle qu'elle sera.
Cette sentence, c'est la peine de mort que,
la cour prononce contre Emile Henry, abso-
lument impassible, pour mieux dire presque
souriant.
- Henry, vous avez trois jours francs peut
vous pourvoir contre Tarrét que voua v
rÿl,,- ",""
VINGT-QUATRIÈME ANNÉE. - N- 8,141. - ♦JE NliMfeO CINO CÊNTJM:': :^X TTTlsrm
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Départements — 7 1.; — 12 f.; - 24 i
DnlonPostale — 9 f.; — 16 f.; - 32 L
les Abonnements sont reçut sans trait dABS
tous les Bureaux de Posta.
LA Humaine
La France aspire à étendre sa domina-
tion sur une immense étendue du conti-
nent africain. Depuis la conquête de l'Al-
gérie, nos gouvernements successifs ont
poursuivi ce but constant, et les expédi-
tions de Faidherbe au Sénégal conduisaient
au même résultat que nos récentes opéra-
tions militaires au Soudan, nos efforts an
Congo et notre campagne du Dahomey.
Bientôt se posera la question de tirer un
profit de nos succès, car la guerre n'est ja-
mais qu'un moyen, et nous allons nous
trouver en face de la grosse difficulté de
l'esclavage.
Pour envisager le problème en hommes
pratiques et non en théoriciens vivant
sur le sommet d'une idée et isolés de la
réalité, il convient de remarquer que la
traite et l'esclavage sont deux choses dis-
tinctes.
Certes, l'esclavage révolte la conscience
de l'humanitécivilisée, qui proteste contre
ce vestige du passé ; mais il ne faut pas
oublier que la société antique était basée
sur cette institution, qui constituait un
progrès par rapport à la barbarie primi-
tive.
Au début le vainqueur tuait son ennemi
pour le manger quand il s'est borné à
devenir son maître et à le faire travailler
à son profit, comme une bête de somme,
il y a eu un pas fait en avant vers la jus-
tice.
Plus tard encore, l'esclavage s'est trans-
formé et il est devenu le servage, le serf vi-
vant sur la terre qu'il arrose de ses
sueurs, y demeurant attaché et ne chan-
geant de maître que lorsque le soi lui-
même change de propriétaire.
Ces étapes, que notre continent a fran-
chies et qui ont laissé des traces profon-
des dans l'histoire, est-il possible de les
supprimer tout à coup en Afrique?
Beaucoup en doutent et se demandent
s'il est sage de pousser à ses conséquen-
ce-; complètes le principe de l'affranchis-
sement dans des pays où il ne faut rien
précipiter, sous peine de risquer de ne
rien obtenir.
*
* *
Quant à la traite faite par des mar-
chands de chair humaine qui ravagent
l'Afrique pour amener des malheureux
sur les marchés d'esclaves d'Asie, elle
apparaît comme la plus atroce des cho-
ses dont notre siècle soit encore le témoin
attristé. On peut, on doit la combattre
par tous les moyens.
Les marchands d'esclaves arrivent en
effet d'une façon inopinée autour d'un
village nègre qu'ils livrent aux flammes.
Précédés par l'incendie, suivis par la
mort, ils ne s'arrêtent, dans leur œuvre
de massacre, que lorsque tous les habi-
tants se sont rendus à discrétion.
Après avoir tué les vieillards des deux
eexes, dont ils ne pourraient tirer aucun
profit, ils organisent avec les survivants
une lugubre caravane qu'ils escortent le
pistolet au poing, brûlant la cervelle à
tous les traînards, sans pitié pour la fai-
blesse ou la maladie.
On organise le convoi de la façon sui-
vante : chacun des infortunés aie cou pris
dans une fourche de bois, dont le manche,
reposant sur l'épaule de celui qui le pré-
tède, est tenu par lui à la main.
On peut se figurer aisément ce long
Ihapelet humain qui, comme un serpent à
hi colonne vertébrale mobile, marche len-
tement à travers l'Afrique.
Le chemin parcouru est aisé à recon.
naître : les ossements des victimes, dont
les carnassiers ont dévoré les chairs, ser-
vent à marquer les étapes.
Or les marchands d'esclaves, à cause
tic l'obligation de trouver de l'eau, sui-
vent fatalement des ligaes où ils rencon-
trent des puits et des oasis.
Si des troupes se portaient à leur ren-
contre, on arriverait aisément à leur bar-
rer la route et à leur infliger un châti-
ment mérité.
.-.
C'est dans ce sens seulement qu'à
l'heure actuelle une croisade pourrait être
engagée d'une façon utile, car la suppres-
sion de la traite constituerait pour l'Afri-
que un progrès tel que notre génération
aurait rempli sa tâche humanitaire.
Un proverbe italien dit qu'il faut aller
doucement pour aller sainement. C'est
exact, surtout dans une œuvre aussi vaste
que la civilisation de l'Afrique. Quand la
traite aura disparu, nous aurons creusé
un premier sillon que nos descendants
agrandiront.
Seulement, la constitution de corps ar-
més pour détruire les marchands d'es-
claves exige une préparation prévoyante.
Tous ceux qui ont voyagé en Afrique
savent comment les choses se passent.
Après de longs jours de marche, on finit
par arriver à un puits, ou du moins à
quelque chose qui y ressemble.
Les Arabes commencent alors à en net-
toyer et à en déblayer les alentours, puis ils
descendent dans une espèce det rou, d'où
ils enlèvent péniblement les pierres, les
racines, la boue accumulées par le temps.
Après un travail pénible, ils finissent
par obtenir la valeur de quelques litres
d'un liquide douteux qu'il faut une ex-
trême bonne volonté pour appeler de
l'eau.
Ce n'est pas avec cela que l'on réussi-
rait à étancher la soif d'une colonne con-
sidérable, et on céderait à une illusion que
la réalité ne tarderait pas à rendre cruelle,
si on oubliait comment la zone torride
traite les Européens dès qu'ils ne sont
pas dans des conditions parfaites d'hy-
giène.
# #
L'expédition française envoyée pour
reprendre Saint-Domingue, sous le com-
mandement du générai Leclerc, beau-
frère de Bonaparte, se composait de trente
jaiiile hommes.
Bien petit fut le nombre de ceux qui
rentrèrent en France, et cependant Saint-
Domingue est un pays admirable, ayant
une végétation splendide, un paradis vé-
ritable à côté des sables africains.
Néanmoins le soleil des tropiques avait
fait son œuvre de mort.
Comme axiome, on doit poser en prin-
cipe dl'e impossibilité d'affronter le Sahara
avec de l'infanterie.
Des hommes de race blanche ne sau-
raient marcher sur des sables brûlants.
Les insolations, les maladies de toutes
sortes s'abattraient sur eux; un convoi
d'ambulance serait indispenssable, et on
voit tout de suite le nombre des chevaux
et des chameaux nécessaires. -
Pour un effectif de deux cents soldats,
il faut deux cents chevaux de selle, au-
tant de chameaux pour porter les vivres,
les tentes et les indisponibles.
Cela forme une grosse colonne. Mais
avec deux cents fusils à tir rapide, quel-
ques mitrailleuses, quelques canons-re-
revolvers, on serait certain de ne jamais
se heurter à une force militaire en état de
résister et on serait maître absolu de la
route des caravanes.
C'est dans cet ordre d'idées qu'il faut
entrer pour entamer l'œuvre de civilisa-
tion. Avant d'abolir l'esclavage, il faut
détruire la traite.
Thomas Graindore..
Lire dans le XIXe Siècle de demain
lundi l'article de M. ROGER MARX sur
LE SALON - DES CHAMPS-ELYSEES
ARRESTATION D'OFFICIERS FRANÇAIS
A CONSTAKTINOPliE
Constantinople, 28 avril.
Mardi dernier, le commandant et les offi-
ciers du stationnaire français Petrel étaient
allès en vêtements civils visiter le vieux sé-
rail, avec l'autorisation spéciale du sultan.
Ils furent arrêtés et détenus quelque temps
dans le parc par un poste de soldats turcs,
bien qu'ils eussent déclaré leur qualité.
L'ambassade de France réclama aussitôt
pour cette offense faite aux officiers français.
Le gouvernement ottoman promit de lui
donner satisfaction.
UNE VILLE SANS VIANDE
(DE NOTRE CORRESPONDANT PARTICULln)
Clermont-Ferrand, 28 avril.
Tous les bouchers, à deux ou trois près,
sont en grève depuis hier soir.
Habituellement, on tue le vendredi 40
bœufs, 100 veaux et 150 moutons. Hier il a
a été. abattu seulement 3 bêtes à cornes,
6 veaux et une dizaine de moutous.
La cause de cette grève est la taxe officielle
établie au commencement de la semaine par
le maire de Clermont. Les bouchers syndi-
qués ont résisté à toutes les tentatives d'ar-
rangement el déclaré qu'ils cesseront de ven-
dre aussi longtemps que la taxe ne sera. pas
supprimée. Une nouvelle taxe a été affichée
hier soir avec une majoration des prix. Les
bouchers ne l'acceptent pas. Ils veulent la
suppression.de toute taxe, basant leur déci-
sion sur les hauts prix exceptionnels du mar-
ché, conséquence de la crise de l'hiver dernier
causée par le manque de fourrage.
0
L'ATTACHE NAVAL
de l'ambassade de Russie
Un pénible accident a marqué à Dunkerque
l'arrivee de l'Absalon qui amenait l'équipage du
torpilleur russe Sesloretz.
M. Behr, attaché naval de l'ambassade russe à
Paris, a été hourté par une balle de laine prove-
nant d'un navire en déchargement. Dans sa chute,
le sympathique officier s'est foulé un poignet et a
reçu de nombreuses contusions.
UNE VICTIME DE LA ROULETTE
(DE NOTRE CORRESPONDANT PARTICULIER)
Cannes, 28 avril.
Une jeune femme connue dans le monde où l'on
joue, Mlle Adrienne R., qui appartient à une
grande famille lyonnaise, vient de se suicider à
Monte-Carlo en se tirant trois coups de revolver.
Mlle R. fréquentait régulièrement Monte-Carlo.
On la voyait constamment dans la salle des jeux.
C'est après avoir perdu la somme de deux cent
mille francs qu'elle a mis fin à ses jours.
Mlle R. avait vingt-trois ans.
INSULTEUR ITALIEN
A la suite d'un rapport transmis à la Sûreté
générale et communiqué à la chancellerie du
quai d'Orsay, un arrêté d'expulsion va être
signifié à un Italien nommé Garelli qui, de-
vant l'hôtel des Anglais, à Nice, pendant la
revue des troupes de la garnison passée par
le général Ferron, a sifflé à deux reprises sur
le passage des drapeaux de nos régiments.
Rossé d'importance par les assistants indi-
gnés, cet insulteur a été ensuite arrêté et sera
déféré au tribunal correctionnel.
Il faut espérer qu'une sévère condamnation
empêchera le retour d'un fait aussi scanda-
leux.
DETACHEMENT D'INFANTERIE
SOUS UNE AVALANCHE
Chambéry, 28 avril.
Les baraquements du col de Fréjus (poste
frontière) sont occupés par un détachement
du 970 d'infanterie, sous le commandement
d'un lieutenant, M. Rochefrette.
Mardi dernier, 34 avril,, une viDgtaine,
d'hommes étaient descendus à Modane pour
le ravitaillement des vivres nécessaires au
détachement. Les mulets, qui font habituelle-
ment ce service, ne pouvaient faire le trajet,
la route étant obstruée par les avalanches.
Au retour, au moment où le détachement ar-
rivait au lieu dit le « Pas des Roches », une
grande masse de neige se détachant de deux
rochers s'abattit sur la petite troupe, renversa
les hommes et entraîna les deux derniers, un
caporal et un homme, jusqu'au fond du ra-
vin de Fréjus par une pente très accentuée
et à près de 300 mètres de profondeur.
Le premier moment de stupeur passé, on
songea aux moyens à employer pour pro-
céder au sauvetage des deux soldats entraî-
nés par l'avalanche, et dans cette occasion,
on ne saurait trop admirer le sang-froid et
l'esprit d'initiative montrés par le lieutenant
Rochefrette, ni trop louer le courage et l'é-
nergie des hommes qui, malgré l'émotion
bien naturelle qu'ils venaient de ressentir et
la menace d'une nouvelle avalanche, n'hési-
tèrent pas un instant à se porter au secours
de leurs camarades. Après de longs efforts
ceux-ci furent enfin dégagés. Leurs blessures
ne présentent aucun caractère grave et ne
consistent qu'en de fortes contusions.
Ils ne doivent d'avoir échappé à la mort
qu'à la présence d'une forte couche de neige
qui a amorti le choc, et à là rapidité dea ee-
cours qui ont été prodigués, „ .:.'-' ,
CONDAMNATION A MORT
D'ÉMILE HENRY
LE TESTAMENT DU CONDAMNÉ
La série des témoins. — Le procureur
demande la tête de l'accusé. — Décla-
ration de l'anarchiste.- Le verdict.
Cette seconde audience a été indiscutable-
ment plus intéressante que la précédente.
Emile Henry e y a révélé davantage son ca-
ractère : il n'en sort pas plus sympathique
mais plus net.
Quoique donc s'étant prolongé jusqu'à
près de huit heures du soir, ce dernier acte du
procès du jeune anarchiste a paru relative-
ment court.
Nous avons eu d'abord à enregistrer di-
verses dépositions. M. le juge d'instruction
Meyer nous a raconté une histoire extraordi-
naire de brigands, d'hommes masqués ayant
envahi nuitamment la propriété, sise en Nor-
mandie, d'une dame Rossel, laquelle avait
hérité de 800,000 francs d'un oncle venu de
Panama 1
Ces hommes, avant de se masquer, étaient
descendus dans des hôtelleries du pays et se
donnaient comme de riches Anglais voulant
construire des usines dans la région ; lemaire,
le jour de la Saint-Sylvestre, leur avait offert
une tasse de thé chez lui, et ce maire affirme
que l'anarchiste Ortiz et Emile Henry figu-
raient dans le quatuor.
Emile Henry lève les épaules à démolir un
nouveau lustre.
Il est plus gêné par le dire du serrurier dont
il avait lui-même invoqué le témoignage.
Henry avait dit qu'il avait travaillé, rue du
Temple, pendant cette période obscure de son
existence qui va du 8 novembre 4893-au 12 fé-
vrier 1894. Le serrurier dit bien qu'il a eu
chez lui « Louis Dubois », mais comme ap-
prenti : et il ne lui a pas donné la moindre
rétribution.
— De quoi viviez-vous ? demande de nou-
veau le président ?
Et l'accusé de répondre :
— Je vivais de privations.
Le témoin suivant, M. Dupuy, sculpteur-
ornemaniste, occupait Emile Henry comme
employé à l'époque de l'attentat de la rue des
Bons-Enfants.
Résumons cette déposition :
— J'ai, dit le témoin, pris Henry dans mon ate-
lier sur la recommandation d'Ortiz dont je ne
soupçonnais ni les opinions, ni les habitudes.
Emile Henry a été un excellent employé, régu-
lier, ardent au travail, d'une égalité d'humeur ac-
complie. Ni le jour, ni le lendemain de l'explosion
de la bombe, il n'a présenté rien de particulier. Il
a paru partager l'émotion des autres ouvriers,
quand la nouvelle nous est arrivée.
Il me paraît encore aujourd'hui bien difficile
qu'Emile Henry ait eu le temps de déposer une
bombe avenue de l'Opéra.
M. le commissaire de police Bernard a re-
fait dans quatre voitures la promenade dé-
crite par Henry. C'est, dit le témoin, un
record très admissible; il l'a couvert en ga-
gnant même quelques minutes.
- Mme Colin, papetière; M. Comte, quin-
caillier ; M. Quillot, représentant de l'ancienne
maison do produits chimiquos Fontaino, con-
firment par leurs propres déclarations la vé-
racité des aveux de l'accusé.
M. Vieille, ingénieur des poudres et salpê
très, l'inventeur de la poudre sans fumée, et
le municipal M. Girard manipulent devant le
jury un couple de marmites, sosies de l'engin
de la rue des Bons-Enfants.
M. Girard exprime cet avis que Emile
Henry n'a pas bouclé seul sa marmite.
— M. Girard n'est pas serrurier, dit l'ac-
cusé.
Le défenseur, Me Hornbostel, veut que
l'expert dise quel était le plus dangereux des
deux engins : la bombe du Terminus ou le
pot-au-feu du commissariat.
Emile Henry. — Oh! c'était la même chose,
allez l
On entend M. Bordenave, ringénieur-cons-
tructeur qui, reconnaissant à Emile Henry
une intelligence très vive, des facultés de tra-
vail particulières, voulut se l'attacher.
M. Bordenave, qui, on le sait, était parent
de l'accusé, dépose avec une émotion visible.
Au moment où il se retire, Emile Henry se
lève comme pour dire quelques mots.
Le président. — Vous voulez adresser une ques-
tion au témoin ?
Henry. — Non.
- Alors asseyez-vous.
- Mais je veux dire.
- Parlez.
- Non, je ne parlerai pas maintenant.
Cependant, s'adressant au témoin directe-
ment, Emile Henry lui dit :
— Je vous dis adieu, M. Bordenave, je ne vous
verrai plus.
Témoins à décharge
Maintenant voici les témoins à déch arge.
Ce sont notamment les anciens professeurs
de l'accusé: « Il n'y avait pas, disent-ils, de
meilleur disciple, d'élève plus doux, plus
travailleur, plus intelligent. »
Et M. Philippe, professeur de mathémati-
ques spéciales à l'école Jean-Baptiste-Say,
ajoute :
— Emile Henry, malheureusement, n'avait pas la
moindre idée de la vie pratique. Néanmoins je ne
m'explique pas qu'il en soit arrivé là où il est.
Il nous faut mentionner plus complètement
la déposition du docteur Goupil. Ce vétéran
de nos luttes intestines, vieil ami de la famille
de l'accusé, crée d'abord un petit incident en
refusant de prêter serment" genre de protesta-
tion un peu démodé.
M. l'avocat général Bulot consent à ce que
le témoin soit entendu à titre de renseigne-
ment. Le docteur Goupil dit alors aux jurés :
- J'ai connu le père d'Emile Henry beaucoup.
Je l'ai même soigne dans sa dernière maladie. Il
est mort d'une congestion cérébrale. D'un autre
côté, Emile Henry a eu une fièvre typhoïde. J'ai eu
l'occasion de l'expliquer à quelques-uns d'entre
vous, pas à beaucoup, car peu ont voulu m'en-
tendre.
Pour moi, Emile Henry est un détraqué.
Henry (brusquement). — Ah t pardon. Je ne suis
pas fou. Je suis conscient.
Le témoin. — Du reste, j'ai recueilli un certain
nombre de notes sur cette question et je les ai
transmises à l'avocat qui pourra les utiliser dans
sa plaidoirie.
Henry (s'adressant au docteur). — Je ne suis pas
un détraqué. Je vous remercie d'être venu ici pour
essayer de sauver ma tête. Mais ma tête n'a pas
besoin d'être sauvée. Je suis parfaitement cons-
cient. Vous avez parlé d'une fièvre typhoïde. Mais
j'ai obtenu mes succès scolaires après cette fièvre
typhoïde, ce qui prouve que mon cerveau n'était
pas attaqué..
D'autre part, vous avez dit que mon père avait
succombé a une congestion cerébrale. Mais vous
savez que cette congestion était accidentelle, le ré-
sultat des vapeurs mercurielles dont il avait été
entouré dans son usine. Il n'a donc pas pu me
transmettre quoi que ce soit par hérédité. Je ne
suis pas fou, je le répète ; je suis très conscient.
Encore une fois, je remercie le docteur, mais je re-
vendique absolument la responsabilité de ce que
j'ai fait. (M.ouvement prolonge.)
M. Ogier d'Ivry, officier supérieur de cava-
lerie et poète, cousin de l'accusé, succède au
docteur: ,'
— Emile Henry, dit-il, est mon eousin. Je l'ai vu
«tne dot$aig$de fys*. CétaH
charmant enfant, intelligent, un peu rêveur, mais,
à mon sens, déjà tout à fait déséquilibré. Il appar-
tient par ses origines à cette race de Carnisards,
toujours portée aux résolutions extrêmes dans le
mal comme dans le bien. Chez lui, c'est le mauvais
génie qui l'a emporté.
Je parle de lui sans aucune sympathie. Son
crime me dégoûte. Mais, en toute justice, ce n'est
pas un cerveau bien fait
D. — Vous l'avez embrassé à l'instruction?
R. (avec hésitation). — Oui.
On se demandait si la mère de l'accusé se-
rait entendue. La malheureuse femme, deux
jours durant, aura erré dans les couloirs du
Palais, y traînant sa douleur dont le spectacle
était navrant.
A l'appel du nom de Mme Henry, M. le
conseiller Pottier se tournant vers Me Hor.-
bostel prononce ces paroles écoutées dans un
profond silence:
- Le défenseur d'Emile Henry m'a demandé de
faire entendre Mme Henry. Je lui ai répondu que
jamais je ne prendrais la responsabilité de faire
assister une mère à un réquisitoire où l'on doit
demander la condamnation à mort de son fils. Je
lui ai dit qu'il n'avait qu'un meyen de me forcer
la main : c'était de citer Mme Henry. Il l'a fait.
(Mouvement prolongé.)
Toutefois le président ajoute qu'il à, d'autre
part, reçu de l'accusé une lettre lui deman-
dant de refuser à sa mère toute autorisation
qu'elle pourrait demander d'assister aux dé-
bats.
Le président. — Je demande maintenant au
défenseur : insistez-vous pour l'audition de Mme
Henry ?
Emile Henry. — Je déclare, moi, que je renonce
à son audition. Je ne veux pas avoir le spectacle
de ma mère se trouvant mal devant moi.
Mo Hornbostel fait un geste désespéré et
s'incline.
Mme Henry n'est pas entendue.
Le réquisitoire
Au cours de son réquisitoire, M. l'avocat
général Bulot a été plusieurs fois interrompu
violemment par Emile Henry à qui le prési-
dent est obligé de rappeler l'existence du
texte de loi qui permet de continuer les dé-
bats sans la présence des accusés turbulents.
Henry doit ronger son frein et attendre le
moment de répondre, ce qu'il s'est promis de
faire depuis longtemps.
Il va de soi que M. l'avocat général Bulot a
requis la peine capitale, impressionnant fort
le jury en dressant le tableau des victimes
faites par les bombes meurtrières d'Emile
Henry.
— Cinq veuves et dix orphelins pleurent encore
les êtres chers qui leur ont été ravis. Voilà com-
ment l'anarchie solutionne la question sociale, et
Henry vient nous dire ici qu'il regrette de n'avoir
pas fait plus de victimes.
Le testament
Emile Henry avait patiemment logé dans
sa mémoire le morceau oratoire qu'il a débite
devant le jury.
Reconnaissons que le jeune anarchiste a
fait son récit avec infiniment d'art. Rien de
plus difficile que d'approprier le geste à un
discours ainsi appris, et Emile Henry a eu ce
geste comme aussi les intonations voulues, se
tournant tour à tour vers la cour, le jury,
l'avocat général et partdeux. fois vers le banc
des journalistes, des bourgeois aussi, pa-
raît-il.
Deux ou trois fois il s'est arrêté, mais pas
bien longtemps, et c'est à peine s'il a eu be-
soin de jeter un rapide coup d'œil sur les no-
tes qu'il avait apportées, notes toutes de sa
main, a-t-il pris bien soin de dire au prési-
dent.
Voici donc cette déclaration. Peut-être perd-
elle à la simple lecture, mais elle constitue
un document qu'il faut, croyons-nous, con-
naître, et c'est pour ce motif que nous la pu-
blions en son entier.
Messieurs les jurés,
Tous connaissez les faits dont je suis accusé :
l'explosion de la rue des Bons-Enfants qui a tué
cinq personnes et déterminé la mort d'une sixième,
l'explosion du café Terminus, qui a tué une per-
sonne, déterminé la mort d'une seconde et blesse un
certain nombre d'autres, enfin, six coups de revol-
ver tirés par moi sur ceux qui me poursuivaient
après ce dernier attentat.
Les débats vous ont montré que je me reconnais
l'auteur responsable de ces actes.
Ce n'est donc pas une défense que je veux vous
Srésenter ; je ne cherche en aucune façon à me
dérober aux représailles de la société que j'ai at-
taquée.
ta D'ailleurs je ne relève que d'un seul tribunal,
moi-même, et le verdict de tout autre m'est inditré-
rent.
Je veux simplement vous donner l'explication de
mes actes et vous dire comment j'ai été amené à
les accomplir.
Je suis anarchiste depuis peu de temps. Ce n'est
guère que vers le milieu de l'année 1891 que je me
suis lancé dans le mouvement révolutionnaire.
Auparavant j'avais vécu dans des milieux entiè-
rement imbus de la morale actuelle. J'avais été
habitué à respecter et même à aimer les prin-
cipes de patrie, de famille, d'autorité et de pro-
priété.
Mais les éducateurs de la génération actuelle ou-
blient trop fréquemment une chose, c'est que la vie
avec ses luttes et ses déboires, avec ses injustices
et ses iniquités, se charge bien, l'indiscrète, de des-
siller les yeux des ignorants et de les ouvrir à la
réalité. C'est ce qui m'arriva, comme il arrive à
tous. On m'avait dit que cette vie était facile et lar-
gement ouverte aux intelligents et aux énergiques,
et l'expérience me montre que seuls les cyniques et
les rampants peuvent se faire bonne place au ban-
quet. On m'avait dit que les institutions sociales
étaient basées sur la justice et l'égalité et je ne
constatai autour de moi que mensonges et fourbe-
ries.
Chaque jour m'enlevait une illusion.
Partout où j'allais, j'étais témoin des mêmes dou-
leurs chez les uns, des mêmes jouissances chez les
autres.
Je ne tardai pas à comprendre que les grands
mots que l'on m'avait appris à vénérer, honneur,
dévouement, devoir, n'étaient qu'un masque voi-
lant les plus honteuses turpitudes.
L'usinier qui édifiait une fortune colossale sur
le travail de ses ouvriers qui, eux, manquaient de
tout, était un monsieur honnête !
Le député, le ministre, dont les mains étaient
toujours ouvertes aux pots-de-vin, étaient dévoués
au bien public.
L'officier qui expérimentait le fusil nouveau mo-
dèle sur des enfants de sept ans avait bien fait son
devoir, et en plein Parlement, le président du con-
seil lui adressait ses félicitations 1 Tout ce que je
vis me révolta et mon esprit s'attacha à la critique
de l'organisation sociale. Cette critique a ét6 trop
souvent faite pour que je la recommence. Il me
suffira de vous dire que je devins l'ennemi d'une
société que je jugeais criminelle.
Un moment attiré par le socialisme, je ne tardai
pas à m'éloigner de ce parti.
J'avais trop l'amour de la liberté, trop le respect
de l'initiative individuelle, trop de répugnance à
l'incorporation, pour prendre un numéro dans l'ar-
mée matriculée du quatrième Etat.
D'aiUelU's, je vis qu'au fond le socialisme ne
D'ailleurs, à l'ordre actuel, il maintient le prin-
change rien à l'ordre actuel, il maintient le priD-
cipe autoritaire, et ce principe, malgré ce qu'en
peuvent dire de prétendus libres penseurs, n'est
qu'un vieux reste de la foi en une puissance supé-
rieure.
Or. j'étais matérialiste et athée ; des études
scientifiques m'avaient graduellement initié au jeu
des forces naturelles ; j'avais compris que l'hypo-
thèse Dieu était-écartée par la science moderne qui
n'en avait plus besoin. La morale religieuse et au-
toritaire, basée sur le faux, devait disparaître.
Quelle était alors la nouvelle morale en harmonie
avec les lois de la nature qui devait régénérer le
vieux monde et enfanter une humanité heureuse?
C'est à ce moment que je me mis en relations
avec quelques compagnons anarchistes, qu'aujour-
d'hui je considère comme des meilleure que j'aie
connus. -
là Quo Agi-t- 49-M «fcW* ton*
d'abord : j'appréciai en eux une grande sincérité et
une franchise absolue, un mépris profond de tous
les préjugés, et je voulus connaître l'idée qui faisait
ces hommes si différents de tous ceux que j'avais
vus jusque-là.
Cette idée trouva en mon esprit un terrain tout
préparé par des observations et des réflexions per-
sonnelles à la recevoir.
Elle ne fit que préciser ce qu'il y avait encore
chez moi de vague et de flottant.
Je devins à mon tour anarchiste.
Je n'ai pas à développer ici la théorie de l'anar-
chie, je ne veux en retenir que le côté révolution-
naire, le côté destructeur et négatif pour lequel je
comparais devant vous.
En ce moment de lutte aiguë entre la bourgeoi-
sie et ses ennemis, je suis presque tenté de dire
avec les héros de Germinal: « Tous les raisonne-
ments sur l'avenir sont criminels, parce qu'ils em-
pêchent la destruction pure et simple et entravent
la marche de la révolution. »
Dès qu'une idée est mûre, qu'elle a trouvé sa
formule, il faut sans plus tarder en poursuivre la
réalisation. J'étais convaincu que l'organisation
actuelle était mauvaise, j'ai voulu lutter contre
elle, afin de hâter sa disparition.
J'ai apporté dans la lutte une haine profonde,
chaque jour avivée par le spectacle révoltant de
cette société où tout est bas, tout est louche, tout
est laid, où tout est une entrave à l'épanchement
des passions humaines, aux tendances généreuses
du cœur, au libre essor de la pensée.
J'ai voulu frapper aussi fort et aussi juste que
je le pourrais. Passons donc au. premier attentat
que j'ai commis, à l'explosion de la rue des Bons-
Enfants.
J'avais suivi avec attention les évènements de
Carmaux.
Les premières nouvelles de la grève m'avaient
comble de joie : les mineurs paraissaient disposés
à renoncer enfin aux grèves pacifiques et inutiles,
où le travailleur confiant attend patiemment que
ses quelques francs triomphent des millions des
compagnies.
Ils semblaient entrés dans une voie de violence,
qui s'affirma résolument le 15 août 1892.
Les bureaux et les bâtiments de la mine furent
envahis jjar uue foulo laaao de soufFiir sans se
venger, justice allait être faite de l'ingénieur si
haï de ses ouvriers, lorsque des timorés s'interpo-
sèrent.
Quels étaient ces hommes ?
Les mêmes qui font avorter tous les mouve-
ments révolutionnaires, parce qu'ils craignent
qu'une fois lancé le peuple n'obéisse plus à leur
voix, ceux qui poussent des milliers d'hommes à
endurer des privations pendant des mois entiers
afin de battre la grosse caisse sur leurs souf-
frances et se créer une popularité qui leur per-
mettra de décrocher un mandat — je veux dire les
chefs socialistes. Ces hommes, en effet, prirent
la tête du mouvement gréviste.
On vit tout à coup s'abattre sur le pays une nuée
de messieurs beaux parleurs qui se mirent à la
dispositions entière de la grève, organisèrent des
souscriptions, firent des conférences, adressèrent
des appels de fonds de tous côtés. Les mineurs dé-
posèrent toute initiative entre leurs mains. Ce qui
arriva, on le sait.
La grève s'éternisa, les mineurs firent une plus
intime connaissance avec la faim, leur compagne
habituelle, ils mangèrent le petit fonds de réserve
de leur syndicat et celui des autres corporations
qui leur vinrent en aide, puis au bout de deux
mois, l'oreille basse, ils retournèrent à leur fosse,
plus misérables qu'auparavant. Il eût été si simple,
dès le début, d'attaquer la compagnie dans son
seul endroit sensible : l'argent, de brûler le stock
de charbon, de briser les machines d'extraction, de
démolir les pompes d'épuisement.
Certes, la compagnie eût capitulé bien vite. Mais
les grands pontifes du socialisme n'admettent pas
ces procédés-là, qui sont des procédés anarchistes.
A ce jeu il y a de la prison à risquer, et, qui sait,
peut-être une do ces balles qui firent merveille à
Fourmies. On n'y gagne aucun siège municipal ou
législatif. Bref, l'ordre un instant troublé régna de
nouveau à Carmaux.
La compagnie, plus puissante que jamais, conti-
nua son exploitation et messieurs les actionnaires
se félicitaient de l'heureuse issue de la grève. Al-
lons, les dividendes seraient encore bons à tou-
cher.
C'est alors que je me suis décidé à mêler à ce
concert d'heureux accents une voix que les bour-
geois avaient déjà entendue, mais qu'ils croyaient
morte avec Ravachol, celle de la dynamite.
J'ai voulu montrer à la bourgeoisie que désor-
mais il n'y aurait plus pour elle de joies complè-
tes, que ses triomphes insolents seraient troublés,
que son veau d'or tremblerait violemment sur son
piédestal, jusqu'à la secousse définitive qui le jet-
terait bas dans la fange et dans le sang.
En même temps, j'ai voulu faire comprendre aux
mineurs qu'il n'y a qu'une seule catégorie d'hom-
mes, les anarchistes, qui ressentent sincèrement
leurs souffrances et qui sont prêts à les venger.
Ces hommes-là ne siègent pas au Parlement,
comme messieurs Guesde et consorts, mais ils
marchent à la guillotine.
Je préparai donc une marmite. Un moment l'ac-
cusation que l'on avait lancée à Ravachol me re-
vint en mémoire : Et les victimes innocentes?
Mais je résolus bien vite la question. La maison
où se trouvaient les bureaux de la Compagnie de
Carmaux n'était habitée que par des bourgeois. Il
n'y aurait donc pas de victimes innocentes.
La bourgeoisie tout entière vit de l'exploita-
tion des malheureux, elle doit tout entière expier
ses crimes.
Aussi, c'est avec la certitude absolue de la légi-
timité de mon acte que je déposai ma marmite de-
vant la porte des bureaux de la société.
J'ai expliqué, au cours des débats, comment j'es-
pérais, au cas où mon engin serait dëeoll(>.rt avant
son explosion, qu'il éclaterait au commissariat de
police, atteignant toujours ainsi mes ennemis. Voilà
donc les mobiles qui m'ont fait commettre le pre-
mier attentat que l'on me reproche.
Passons au second, celui du café Terminus. J'é-
tais venu à Taris lorg-de l'affaire Vaillant. J'avais
assisté à la répression formidable qui suivit l'at-
tentat du Palais-Bourbon. Je fus témoin des me-
sures draconiennes prises par le gouvernement
contre les anarchistes.
De tous côtés on espionnait, on perquisitionnait,
on arrêtait. Au hasard des rafles, une foule d'in-
dividus étaient arrachés à leur famille et jetés en
prison. Que devenaient les femmes et les enfants
de ces camarades pendant leur incarcération? Nul
ne s'en occupait.
L'anarchiste n'était plus un homme : c'était une
bête fauve que l'on traquait de toutes parts et dont
toute la presse bourgeoise, esclave vile de la force,
demandait sur tous les tons l'extermination.
En même temps, les journaux et les brochures
libertaires étaient saisis, le droit de réunion était
prohibé.
Mieux que cela : lorsqu'on voulait se débarras-
ser complètement d'un compagnon, un mouchard
déposait le soir dans sa chambre un paquet conte-
nant du tanin, disait-il, et le lendemain une perqui-
sition avait lieu, sur un ordre daté de l'avant-
veille. On trouvait une boite pleine de poudre
suspecte, le camarade passait en jugement et ré-
coltait trois ans de prison.
Demandez donc si cela n'est pas vrai au miséra-
ble indicateur qui s'introduisit chez le compagnon
Mérigeaud ?
Mais tous ces procédés étaient bons. Ils frap-
paient un ennemi dont on avait eu peur, et ceux
qui avaient tremblé voulaient se montrer coura-
geux.
Comme couronnement à cette croisade contre les
hérétiques, n'entendit-on point M. Raynal, ministre
de l'intérieur, déclarer à la tribune de la Chambre
que les mesures prises par le gouvernement avaient
eu un bon résultat, qu'elles avaient jeté la terreur
dans le camp anarchiste? Ce n'était pas encore as-
sez. On avait condamné à mort un homme qui n'a-
vait tué personne, il fallait paraître courageux
jusqu'au bout : on le guillotina un beau matin.
Mais, messieurs les bourgeois, vous aviez un
peu trop compté sans votre hôte.
Vous aviez arrêté des centaines d'individus, vous
aviez violé bien des domiciles ; mais il y avait en-
core hors de vos prisons des hommes que vous
ignoriez, qui, dans l'ombre, assistaient à votre
ignorieà z, l'auarchiste et qui n'attendaient que le
chasse
moment favorable pour, 4 leur tour, chasser les
éhuseurs.
Les paroles de M. Raynal étaient bien un défi
jeté aux anarchistes. Le gant a été relevé. La
bombe du café Terminus est la réponse à toutes
vos violations de la liberté, à vos arrestations, à
vos perquisitions, à vos lois sur la presse, à vos
expulsions en masse d'étrangers, à vos guilloti-
radeg. MaiB pourquoi, d es-voua, &U« 8jtV
à des consommateurs paisibles qui écoutent de la
musique et qui, peut-être ne sont ni magistrat?, ni
députés, ni fonctionnaires?
Pourquoi? C'est bien simple. La bourgeoisie
n'a fait qu'un bloc des anarciiist.es. Un seul
homme, Vaillant, avait.lancé une bombe; les neuf
dixièmes des compagnons ne le connaissaient
même pas. Cela n'y fit rien. On persécuta en masse.
Tout ce qui avait quelque relation anarchiste fut
traqué.
Eh bien! puisque vous rendez ainsi tout un parti
responsable des actes d'un seul homme et que
vous frappez en bloc, nous aussi nous frappons
en bloc.
Devons-nous nous attaquer seulement aux dé-
putés qui font les lois contre nous, aux magistrats
qui appliquent ces lois, aux policiers qui nous
arrêtent ?
Je ne le pense pas.
Tous ces hommes ne sont que des instrument.
n'agissant pas en leur propre nom. Leurs fonc-
tions ont été instituées par la bourgeoisie pour sa
défense: ils ne sont pas plus coupables que les
autres.
Les bons bourgeois qui, sans être révolus d'au-
cune fonction, touchent cependant les coupons de
leurs obligations, qui vivont oisifs tle.5 bénéfices
produits par le travail des ouvriers, ceux-là aussi
doivent avoir leur part de représailles.
Et non seulement eux, mais encore tous ceux qui
sont satisfaits de Tordre actuel, qui applaudissent
aux actes du gouvernement et se fout ses com-
plices, ced employés à 300 et à 500 francs par mois ,
qui haïssent le peuple plus encore que le gros bour-
geois, cette masse bête et prétentieuse qui se range
toujours du côté du plus fort, ciieutèle ordinaire
du Terminus et autres grands cafés.
Yoilà pourquoi j'ai frappé dans le tas, sans
choisir mes victimes.
Il faut que la bourgeoisie comprenne bien que
ceux qui ont souffert sont enfin las de leurs souf-
frances. Ils montrent les dents et frappent d'au-
tant plus brutalement qu'on a été plus brutal avec
eux.
Ils n'ont aucun respect de la vie humaine,
parce que les bourgeois eux mêmes n'ea ont aucun
souci.
fia n'est pas aux assassins qui ont fait la se-
maine sanglante et Fourmies de traiter les autres
d'assassins.
Ils n'épargnent ni femmes ni enfants bourgeois,
parce que les femmes et les enfants de coux qu'ils
aiment ne sont pas épargnés non plus. Ne sont-ce
pas là des victimes innocentes, ces enfants qui,
dans les faubourgs, se meurent lentement d'anémie
parce que le pain est rare à la maison, ces fem-
mes qui, dans vos ateliers pâlissent et s'épuisent
pour gagner quarante sous par jour, heureuses
encore quand la misère ne les force pas à se pros- ;
tituer ; ces vieillards dont vous avez fait des ma- j.
chines à produire toute leur viu et que vous jetez
à la voirie et à l'hôpital quand leurs forces sont
exténuées?
Ayez au moins le courage de vos crimes, mes- f
sieurs les bourgeois, et convenez que nos repré- ;
sailles sont grandement légitimes.
Certes, je ne m'illusionne pas. Je sais que mes
actes ne seront pas encore bien compris des foules
insuffisamment préparées. Même parmi les ou-
vriers, pour lesquels j'ai lutté, beaucoup, égarés
par vos journaux, me croient leur ennemi. Mais
cela m'importe peu. Je ne me soucie du jugement
de personne. Je n'ignore pas non plus qu'il existe
des individus se disant anarchistes qui s'empres-
sent de réprouver toute solidarité avec les propa-
gandistes par le fait.
Ils essayent d'établir une distinction subtile entre
les théoriciens et les terroristes. Trop lâches pour
risquer leur vie, ils renient ceux qui agissent.
Mais l'influence qu'ils prétendent avoir sur le
mouvement révolutionnaire est nulle. Aujour-
d'hui, le champ est à l'action sans faiblesse et sans
reculade.
Alexandre Herzen, le révolutionnaire russe, l'a
dit : « De deux choses l'une, ou justicier et mar-
cher en avant, ou gracier et trébucher à moitié
route. »
Nous ne voulons ni gracier ni trébucher et nous
marcherons toujours en avant jusqu'à ce que la ré-
volution, but de nos efforts, vienne enfin couron-
ner notre œuvre en faisant le monde libre.
Dans cette guerre sans pitié que nous avons dé-
clarée à la bourgeoisie, nous ne demandons aucune
pitié.
Nous donnons la mort, nous saurons la subir.
Aussi c'est avec indifférence que j'attends votre
verdict.
Je sais que ma tète n'est pas la dernière qua
vous couperez ; d'autres tomberont encore, car les
meurt-de-faim commencent à connaître le chemin
de vos grands cafés et de vos grands restaurants
Terminus et Foyot.
Vous ajouterez d'autres noms à la liste sanglante
de nos morts.
Vous avez pendu à Chicago, décapité en Alle-
magne, garrotté à Xérès, fusillé à Barcelone, guil-
lotiné à Montbrison et à Paris, mais ce que voua
ne pourrez jamais détruire, c'estl'anarchie.
Ses racines sont trop profondes ; elle est née au
sein d'une société pourrie qui se disloque; elle est
une réaction violente contre l'ordre établi. Elle re..
présente les aspirations égalitaires et libertaires qui
viennent battre en brèche l'autorité actuelle, elle est
partout, ce qui la rend insaisissable. Elle finira
par vous tuer.
Voilà, messieurs les jurés, ce que j'avais à voua
dire.
Vous allez maintement entendra mon avocat.
Vos lois imp"ant à tout accusé un défenseur,
ma famille a choisi M" Hornbostel.
Mais ce qu'il pourra vous dire n'infirme en rien
ce que j'ai dit. Mes déclarations sont l'expression
exacte de ma pensée. Je m'y tiens intégralement.
(Mouvement prolongé.)
, Le plaidoyer
L'auditoire a écouté cette longue déclara-
tion sans rien manifester. C'est un vif senti.
ment de curiosité qui dominait.
ME Hornbostel se lève alors pour pronon.
cer la défense de l'accusé.
Mon Dieu, la singulière plaidoirie !
Ma Hornbostel désarme la critique par la
robustesse de sa foi' : c'est l'homme le plus
convaincu qui soit de son talent d'orateur.
Si on analyse ce talent, on y trouve, avec
une parcelle de Démosthène, infiniment da
Galino ; ajoutons que cette éloquence, partant
du nez autant que du cœur, rappelle beau-
coup plus la Canebière que l'Agora, et sa
seule excuse est d'être remplie de bonnes in-
tentions.
— Avez-vous jamais vu, dit M* Hornbostel s'a.
dressant aux jurés, avez-vous jamais vu se dérou-
ler dans vos annales un semblable criminel ?
Le défenseur soulève sur ses biceps solidea
« l'enfant terrible » que représente pour lui;
son client et le présente au jury comme ayant
hérité des c microbes de la pensée » qui mi.
naient le cerveau de ses parents. Songez
donc ! Emile Henry fut conçu durant les nuits
tourmentées de la Commune l
Nous ne disons pas qu'il n'y ait pas eu
quelques bonnes choses dites au cours de cette
plaidoirie, mais combien noyées.
Le défenseur exprime l'espoir que le jury
ne sera pas inexorable pour Emile Henry, qui
en est à sa première infraction aux règlements
sociaux (sic).
Le verdict
Vers six heures et demie le jury est appelé
à délibérer sur les quarante et quelques ques-
tions qui lui sont soumises. Il consacre trois
quarts d'heure à cet examen, et le chef du
jury formule par ces mots le résultat de cet
examen:
— Oui à la majorité, sur toutes les ques-
tions.
Le verdict est muet sur les circonstances
atténuantes.
- Vous n'avez rien à dire sur l'application
de la peine? demande le président à l'accusé.
— J'accepte, répond Henry, la sentence,
telle qu'elle sera.
Cette sentence, c'est la peine de mort que,
la cour prononce contre Emile Henry, abso-
lument impassible, pour mieux dire presque
souriant.
- Henry, vous avez trois jours francs peut
vous pourvoir contre Tarrét que voua v
rÿl,,- ",""
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