Titre : Le XIXe siècle : journal quotidien politique et littéraire / directeur-rédacteur en chef : Gustave Chadeuil
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1894-04-25
Contributeur : Chadeuil, Gustave (1821-1896). Directeur de publication
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Description : 25 avril 1894 25 avril 1894
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Droits : Consultable en ligne
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Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-199
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 29/04/2013
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La GuiIIoUnc à huis clos
La Chambre a mis à l'ordre du jour,
pour sa séance de rentrée, un projet de loi
de M. Joseph Reinach ayant pour objet
d'empêcher à l'avenir la publicité des
- exécutions capitales.
Il n'y a pas bien longtemps, c'est à la
peine de mort elle-même que s'attaquaient
les philosophes et les hommes d'Etat. On
n'avait pas peur alors d'abordor les ques-
tions de front. Nul ne songeait à ranger
les principes au rang des « vieilles gui-
tares ». Jules Favre à la tribune, Victor
Hugo dans le Dernier Jour d'un con-
damné, refusaient hardiment à la société
un droit que l'individu n'a pas lui-même.
Aujourd'hui, la sensibilité s'est émous-
sée. La boutade pmdhommesque d'Al-
phonse Karr : « Que MM. les assassins
commencent! » est le dernier mot de la
sagesse, le « tarte à la crème » de nos dis-
cussions sur la matière. C'est un courant
qu'on ne remontera pas de si tôt. Il ne
s'agit plus aujourd'hui de rechercher si la
peine de mort est juste, ii suffit qu'on la
croie utile. « Si je prouve, écrivait Becca-
ria, que la société en faisant mourir un de
ses membres ne fait rien qui soit néces-
saire ou utile à ses intérêts, j'aurai gagné
la cause de l'humanité. »
Cette démonstration a-t-elle été insuffi-
sante ou l'instinct de la préservation so-
ciale est-il maintenant plus fort que la
raison ? Ce qui est sûr, c'est que nul ne
propose en ce moment d'abolir la peine
de mort. Il suffit à l'ambition de nos légis-
lateurs que l'acte sanglant de la tragédie
se joue désormais dans la coulisse et que
les murs de la prison cachent à la foule la
vue du couperet.
A
Il n'y a pas bien longtemps, les parti-
sans de la peine de mort étaient en même
temps les partisans de la publicité des
exécutions. L'idée de débarrasser la so-
ciété du criminel, idée qui l'emporte en
ce moment dans les esprits, n'était que
secondaire autrefois. On avait pour cela à
sad sposition les in-pace, les oubliettes,
les cachots des forteresses, et l'on pouvait
supprimer les gêneurs sans avoir à comp-
ter avec la presse ou avec les comités de
Burveillance des prisons.
Si donc on voulait que l'échafaud se
dressât bien droit et bien haut, que le
condamné en gravit lentement les degrés
au grand jour de la place publique, c'est
qu'on prétendait tirer de cette expiation
suprême une grande et terrible leçon à
l'adresse des foules.
Aujourd'hui, les partisans de la peine
de mort sont à peu près unanimes à re-
connaitre que le but est manqué. Le bour-
reau est peut-être encore pour eux la che-
ville ouvrière de la société, mais ils n'in-
sistent plus sur le caractère moralisateur
de ses fonctions. Qu'on ne nous parle pas
de l'intimidation, de la terreur causée par
la vue du dernier supplice ! Ceux qui ont
assisté à une exécution capitale en sont
revenus avec la même sensation de dé-
goût. La foule se presse autour de l'écha-
faud comme à un spectacle. L'arrivée des
bois de justice, l'ouverture des portes de
la prison, l'apparition du condamné, la
chute du couteau, autant de « numéros »
qui font partie du programme de la fête.
Elle va place de la Roquette comme on
va à la foire du Trône; elle en revient
comme d'une orgie.
■A
M. Reinach a rappelé dans son rapport
les impressions de Tourguenieff à l'exécu-
tion de Troppmann. Pendant que lebour-
reau dresse la guillotine, une foule bigar-
rée s'agite et se bouscule. Ce n'est pas
seulement la lie de la populace. La haute
et la basse prostitution s'y rejoig-nent et
s'y coudoient ; on voit quelques habits et
quelques dames en toilette au milieu
d'un flot grouillant de rôdeurs, d'escarpes,
de souteneurs et de filous. Parfois, des
sifflets, des cris, des hurlements domi-
nent cette cohue : « Ohé Lambert f Ohé !
Troppmann t Fallait pas qu'y aille ! »
Ou encore c'est, au milieu des poussées
et des querelles, un refrain d'une chanson
cynique qui circule de bouche en bou-
che. « Ce peuple rassemblé répandait
une atmosphère aigre. Tous ces corps
avaient absorbé une immense quantité de
vin. Les assommoirs flamboyaient
comme des points rouges sur le fond du
tableau. » Cette description d'une exécu-
tion capitale convient à toutes les exécu-
tions. Seuls les scies et les refrains popu..
laires ont changé ;mais la foule atoujours
le même débraillement et le même cy-
nisme.
Nous sommes loin, on le voit, de cette
impression de recueillement et d'épou-
vante qui doit accompagner ce que les
moralistes appellent l'expiation suprême.
« L'expérience de tous les siècles, dit en-
core Beccaria, prouve que la crainte du
dernier supplice n'a jamais arrêté les scé-
lérats déterminés à porter le trouble dans
la société. L'âme s'endurcit par le specta-
cle renouvelé de la cruauté. Les supplices
devenus fréquents effrayent moins, parce
qu'on s'habitue à leur horreur. »
Et en effet, si le condamné meurt avec
résolution, il devient pour le public une
manière de personnage. On commente,
on admire son courage. La planche de la
guillotine est la tribune d'où il nargue
une dernière fois la société.
***
Dans ce cas la publicité des exécutions
Capitales, loin de détourner les assistants
du crime, serait plutôt une leçon de for-
fanterie railleuse, un encouragement su-
prême à braver la justice et les lois.
Un aumônier anglais que le souci des
dernières prières n'avait pas détourné des
inclinations à la statistique constatait
que, sur 167 condamnés à mort,161 avaient
assisté à des exécutions capitales. Il en
est de même chez nous. Presque tous les
criminels guillotinés dans ces dernières
- années avaient fait place de la Roquette
leur sinistre apprentissage.
r Si la publicité des exécutions a été sup-
primée en Angleterre, si le bourreau ac-
complit aujourd'hui sa besogne à l'inté-
rieur de la prison, c'est qu'on s'est aperça
à quel point ce genre de spectacle émous-
sait les sentiments du public et, loin de
lui inspirer l'effroi, le rendait, au con-
traire, réfractaire à la crainte. A la suite
de la pendaison d'un criminel, on vit des
enfants imiter dans leurs jeux l'exécution
à laquelle ils venaient d'assister. L'un fai-
sait le bourreau, un autre l'aumônier,
celui-ci le shériff, celui-là le condamné.
Et la foule applaudissait à cette représen-
tation fictive comme à la réalité. Gens
pratiques avant tout, les Anglais compri-
rent qu'il était temps de faire cesser un
spectacle qui, au lieu de la terreur ou de
la pitié, ne remuait plus que les pires
sentiments de l'âme humaine.
- »»
La magistrature, française si attachée à
ses traditions et au respect superstitieux
dé la forme, se prononça du reste à une
forte, majorité pour l'exécution à huis
clos. D'une enquête faite en 1884 il ré-
sulte que presque toutes les cours d'appel
et la cour de cassation verraient sans in-
convénient l'échafaud disparaître de la
place publique. Seuls les procureurs gé-
néraux de Nîmes, d'Agen, d'Orléans, de
Riom, de Limoges, s'étaient prononcés
contre cette dérogation aux usages. Encore
n'est-il pas prouvé que, depuis dix ans,
l'opinion de ces parquets ne se soit pas
modifiée.
Ce quLpeut retenir en effet le magistrat,
ce n'est pas assurément le côté moral de
la question, et pas un ne s'abuse au point
de considérer la guillotine comme une
dernière leçon de choses.Ce qui le retient,
c'est plutôt un scrupule professionnel, la
crainte de voir le huis clos supprimer en
quelque sorte le caractère authentique de
la peine. Mais il n'est pas impossible
d'entourer le dernier supplice des garan-
ties légales qui semblent indispensables
aux Bridoisons amoureux de la forme.
* Déjà la guillotine s'est faite discrète et
basse : elle se dresse avant le jour, loin
des regards de la foule, maintenue par la
force publique à distance respectueuse.
Aujourd'hui quand on assiste à une exé-
cution, on ne voit plus que la croupe des
chevaux de la gendarmerie. Quand on n'a-
percevra plus que le mur « derrière lequel
il se passe quelque chose », la différence
ne sera pas bien grande, jusqu'au jour où
le progrès des mœurs permettra d'aller
chasser la sombre machine de son dernier
repaire.
Thomas Graindorge.
HJWIIH—a—— 111111111111 !■
LA RENTREE DES CHAMBRES
Hier, au Palais-Bourbon, les couloirs sont
restés absolument déserts, quoique ce fut la
veille de la reprise des travaux parlemen-
taires.
Une vingtaine de députés au plus ont fait
une courte apparition dans les couloirs où les
nouvelles politiques faisaient absolument dé-
faut.
Nous avons déjà indiqué quel était l'ordre
des travaux parlementaires; nous n'avons
qu'à ajouter que M. Jaurès, qui avait déposé
une interpellation avant la séparation sur les
ressources financières de certains anarchis-
tes, persiste dans son intention de soulever
un incident à ce sujet à la tribune ; il se met-
tra aux ordres de la Chambre.
On annonce en outre une question de M.
de Mahy sur les affaires de Madagascar.
FRANCIS EN CORRECTIONNELLE
- Jean-Pierre François dit Francis, l'anar-
chiste ou l'ex-anarchiste, nous ne savons au
juste, compromis dans l'affaire du restaurant
Véry où il fut acquitté, comparaîtra aujour-
d'hui mardi devant la neuvième chambre de
police correctionnelle, présidée par M. Bidault
de l'Isle, sous l'inculpation d'outrages aux
agents.
Voici à quel propos :
Lors des perquisitions opérées par la po-
lice chez nombre d'anarchistes soupçonnés
d'affiliation à une association de malfaiteurs,
Jean-Pierre François dit Francis reçut à do-
micile la visite d'un commissaire de police et
de plusieurs agents auxquels il fit une récep-
tion dépourvue d'enthousiasme.
A un certain moment même, d'après la
prévention, Francis se serait permis de dire
aux agents qui perquisitionnaient chez lui :
— vous agissez comme des cambrioleurs.
Vaillant sera vengé ! Si on arrête tous les
anarchistes, les bombes n'en partiront pas
moins. toutes seules!
Francis sera défendu devant les juges de la
neuvième chambre par Me Georges Desplas
qui, en cour d'assises, a obtenu des jurés
l'acquittement du prétendu complice de Meu-
nier.
Il est à craindre qu'en correctionnelle M*
Desplas soit moins heureux.
LES MINISTRES A LYON
Le bruit a couru hier à la Chambre que
M. Rivaud, préfet du Rhône, était arrivé hier
matin à Paris pour négocier auprès de MM.
Casimir-Perier, Marty, Burdeau et Jonnart,
qui devaient se rendre à Lyon le 29 avril à
l'occasion de l'inauguration de l'exposition,
l'ajournement sine die de leur voyage.
Le prétexte que l'on donnait était qu'une
manifestation cléricale était organisée pour
protester, lors de l'arrivée des ministres, con-
tre la mesure prise contre M. Coullié, arche-
vêque de Lyon.
De plus, on prévoit une contre-manifesta-
tion anticléricale et antigouvernementale des
groupes socialistes révolutionnaires et anar-
chistes.
La décision des ministres ne sera connue
que ce matin après le conseil. Peut-être les
ministres profiteront-ils de l'échappatoire qui
leur est offerte par M. Rivaud pour se dispen-
ser d'aller, par leur présence, faire réclame à
une entreprise industrielle vouée à un four
noir.
UN CRIME HORRIBLE
Metz, 23 avril.
Un crime horrible vient d'être découvert à Hau-
tes-Vigneulles près de Faulquemont. Une jeune
femme de cette localité a tué son mari à coups de
hachette, et, aidée de son amant, elle a découpé le
cadavre pour en faire bouillir les morceaux jus-
qu'à!ce que les chairs se détachassent des os. Elle a
ensuite fait calciner ceux-ci dans l'âtre. Quant à la
chair, elle en a nourri ses pores.
La disparition inexplicable de la victime de cet
assassinat date de quelques mois ; ce sont des dé-
bris d'ossements incomplètement brillés, trouvés
dans la forêt voisine où on les avait cachés sous
un amoncellement de pierres, qui ont fait décou-
vrir le crime et son auteur :
La Succession Carnot
L'ÉLECTION DU PRÉSIDENT
La date de l'élection. — Le Congrès de
Versailles. — M. Carnot sera-t-if can-
didat ? — Les compétiteurs.
Les Chambres reprennent aujourd'hui leurs
travaux. Cette seconde partie de la session
ordinaire, qui sera presque entièrement em-
ployée à la discussion du prochain budget
et à l'examen des diverses réformes fiscales
proposées par le gouvernement, sera certai-
nement agitée par les préoccupations politi-
ques se rattachant à l'élection présidentielle,
les pou voirs de M. Carnot expirant le 3 dé-
cembre prochain, son élévation à la prési-
dence de la République datant du 3 décembre
1887.
Le monde parlementaire se préoccupe de-
puis quelque temps de cette échéance, l'élec-
tion du nouveau président devant avoir lieu,
d'après la Constitution, un mois au moins
avant le terme légal de l'expiration des pou-
voirs du président de la République. Dans le
cas où la convocation de l'Assemblée natio-
nale ne serait pas faite dans le délai fixé, il
serait procédé à l'élection, de plein droit, le
quinzième jour avant l'expiration des pou-
voirs présidentiels.
LA DATE DE L'ÉLECTION
Mais la décision en est déjà prise : l'élec-
tion aura lieu un mois au moins avant le
terme légal; on cite même deux dates, celtes
du 22 et du 29 octobre.
Disons ici que la date de convocation de
l'Assemblée nationale, qui est composée, on
le sait, des sénateurs et des députés réunis,
est arrêtée dans une conférence tenue entre
le président du Sénat, le président de la
Chambre et le président du conseil.
Ainsi qu'on le voit, les préliminaires cons-
titutionnels d'une élection présidentielle sont
très peu compliqués, et ce n'est pas de ce
côté qu'il faut s'attendre à voir surgir des
complications. M. Carnot, toujours correct et
en gardien fidèle et résolu de la Constitution
— ce sont ses propres expressions — ne fera
aucune opposition à ce que l'une ou l'autre
des deux dates que nous avons indiquées soit
choisie.
Mais ce qui nous a paru intéressant de re-
chercher dès aujourd'hui, c'est de savoir
comment cette élection se présente au point
de vue politique.
M. CARNOT SE REPRÉSENTERA-T-IL ?
D'abord la question qui se pose naturelle-
ment est celle de savoir si M. Carnot se re-
présentera. Nous devons avouer que les avis
sont très partagés et que le président de la
République lui-même, qui s'est posé à plu-
sieurs reprises le problème, ne l'a pas encore
résolu. A la vérité, M. Carnot préférerait res-
ter à la présidence de la République, et il est
bien naturel de penser que son amour-pro-
pre serait très flatté si de nombreux suffrages
lui renouvelaient son septennat.
Mais il faut envisager l'autre côté de la mé-
daille. La réélection obtenue, il faudra gou-
verner, former de nouveaux ministères, voire
même être très attaqué. Là se dresse l'exem-
ple de la présidence de M. Jules Grévy qui fut
obligé de se démettre le 1er décembre 1887,
alors que ses pouvoirs lui avaient été renou-
velés le 28 décembre 1885.
Donc s'il est absolument certain que M.
Carnot désire être réélu président de la Répu-
blique, il n'est pas encore prouvé qu'il alfron-
terale prochain scrutin.
Nous savons bien que ses amis qui siègent
au Parlement font campagne en sa faveur en
faisant prévoir qu'il hésite à solliciter les suf-
frages de l'Assemblée nationale. Cette ma-
nœuvre est trop peu habile pour que nous
nous y arrêtions plus longtemps.
LES AUTRES CANDIDATS
Que M. Carnot soit ou ne soit pas candidat,
on lui oppose déjà un certain nombre de
compétiteurs, dont plusieurs ont plus ou
moins de chances de décrocher la timbale.
En première ligne se place M. Casimir-Pe-
rier, le président actuel du conseil des minis-
tres, qui est poussé à la magistrature suprême
par les groupes modérés de la Chambre et
du Sénat — les homogènes, comme on les ap-
pelle dans les couloirs du Palais-Bourbon. M.
Casimir-Perier serait encore appuyé par les
éléments réactionnaires soi-disant ralliés à la
République, ceux pour lesquels M. Spuller
a fait son discours sur « l'esprit nouveau w.
Nous devons dire ici un mot de l'attitude
nouvelle prise par les ralliés, dont le con-
concours à M. Carnot semblait acquis. Ce
dernier ne leur ayant pas donné tout ce qu'ils
attendaient et le ministère de M. Charles Du-
puy n'ayant pas réussi à les faire élire tous,
ils se sont retournés vers M. Casimir-Perier,
dont l'apparente énergie leur semble être une
garantie pourl'avenir. De plus, il faut bien le
dire, il ont reçu du ministère actuel des gages
très appréciables : il n'y a pas de faveur
qu'ils demandent qui ne leur soit accordée
sur l'heure, et cela au détriment des républi-
cains.
Une autre candidature qui a des partisans
est celle de M. Challemel-Lacour, président
du Sénat, qui, disent ses amis, ferait très
bonne figure et paraît très désigné étant don-
nées les hautes fonctions qu'il occupe au
Sénat et à l'Académie. Une objection est faite
cependant contre M. Challemel-Lacour: elle
vise son célibat. Pensez donc, l'Elysée sans
une présidente pour recevoir, cela ne se peut
pas t
- La troisième candidature dont nous avons
à parler est celle de M. Charles Dupuy. ,
Celle-ci n'a aucune chance ; il est impossible
en effet de concevoir qu'un homme aussi mé-
diocre, dont la fortune politique est inexplica-
ble, puisse prétendre au premier siège de
l'Etat républicain. Du reste, députés et sé-
nateurs commencent à le connaître, et s'il a la
prétention de recueillir quelques suffrages, ils
seront si peu nombreux qu'ils constitueront
un échec irrémédiable.
On parle également pour la présidence de
M. Méline; ce sont quelques enragés protec-
tionnistes qui ont mis ce nom en avant.
Enfin, quand nous aurons dit que M. Ma-
gnin, gouverneur de la Banque de France,
songe également à l'écharpe présidentielle, il
ne nous restera qu'à énumérer les noms de
MM. de Freycinet, Constans, Henri Brisson,
Cavaignac, l'amiral Gervais, le général Mer-
cier, comme étant ceux que l'on ajoute à cette
liste de candidat futurs. Il est bien entendu
que l'amiral Gervais et le général Mercier
n'ont pas été consultés et que c'est en dehors
d'eux que l'on cite leurs noms.
Ajoutons, pour être complet, que quelques
monarchistes feront une manifestation pla-
tonique en se comptant sur le nom de M. le
duc d'Aumale.
LA SIGNIFICATION POLITIQUE
Nous arrêtons là notre énumération et il
nous reste à dire, au point de vue politique,
quelle sera l'attitude des partis dans l'élection
présidentielle.
Si la plupart des modérés soutiennent M.
Casimir-Perier, il «et permis de se demander
où M. Carnot trouvera ses voix..
.,..
S étrange que celaparaisse être, le président
de 11 République, s'il se représente, n'aura
pas de plus fidèles défenseurs que les radi-
aux, de MM. Floquet et Henri Brisson à M.
Léon Bourgeois. Les républicains avancés qui
en 1887, ont fait la première élection de M.
Carnot. ne désespèrent pas d'amener sa réé-
Itction.
Cette attitude appelle une explication. Les
rsdicaux se tiennent en effet ce raisonne-
mint : M. Casimir-Perier, qui est l'adversaire
leplus dangereux de M. Carnot, étant sou-
teiu par les ralliés et les partisans de l'esprit
noiveau, ils doivent tout faire pour entraver
la éussite de cette politique. Pour lui faire
plus facilement échec, les radicaux pensent
qu'l n'y a qu'un moyen : soutenir M. Car-
not.Nous donnons le raisonnement pour ce
qu'L vaut, mais il nous faut constater un
bruit d'après lequel M. Casimir-Perier ne se-
rait las candidat si M. Carnot sollicite le re-
nouvllement de ses pouvoirs.
Telfes sont les impressions que nous avons
recueilies depuis quelques jours auprès des
députéi ; elles ne mettent pas en lumière un
fait bica précis, mais elles font prévoir que
la vie politique va reprendre toute son acti-
vité et qie de la prochaine élection présiden-
tielle dépendra nécessairement la direction
politiquo^ui sera donnés à ce pays.
République républicaine ou République
réactionnaire, voilà les deux politiques qui
vont se trotver en présence devant cet impor-
tant scrutin.
LES CONGRÈS PASSÉS
Le prochain Congrès, qui aura lieu a Ver-
sailles vers la fin du mois d'octobre, sera le
sixième Congrès tenu depuis le vote de la
Constitution de 1875.
C'est le 30 janvier 1879 que, pour la pre-
mière fois, le Sénat et la Chambre furent
réunis à Versailles en Congrès: il s'agissait
d'élire le nouveau président de la République,
qui fut M. Jules Grévy, en remplacement de
M. le maréchal de Mac-Mahon, démission-
naire le jour même de l'élection de son suc-
cesseur.
Un deuxième Congrès eut lieu le 19 juin
1879 pour abroger l'article 9 de la Constitu-
tion qui fixait le siège des pouvoirs publics
à Versailles.
Lo 4 août 1884, le Congres se réunit pour la
troisième fois, dons le but d'opérer une revi-
sion partielle de la Constitution.
Un quatrième Congrès eut lieu le 28 dé-
cembre 1885 pour la nomination du président
de la République, les pouvoirs de M. Jules
Grévv étant arrivés à expiration. M. - Jules
Grévy fut réélu. -
Le cinquième Congrès siégea le 3 décembre
1887; il procéda à l'élection de M. Carnot.
LES ARTICLES CONSTITUTIONNELS
Voici maintenant les articles de la loi cons-
titutionnelle relatifs à l'élection du président
de la République :
En cas de vacance par décè ou pour toute autre
cause, les deux Chambres réunies procèdent im-
médiatement à l'élection d'un nouveau président.
Dans l'intervalle, le conseil des ministres est
investi des pouvoirs exécutifs.
Le président de la République est élu à la ma-
jorité absolue des suffrages, par le Sénat et la
Chambre des députés, réunis en Assemblée natio-
nale.
Il est élu pour sept ans ; il est rééligible.
Lors de l'élection du président de la Répu-
blique en 1887, 1q Journal officiel avait pu-
blié en ces termes l'ordre du jour du Con-
grès :
A une heure, séance publique. Scrutin pour l'é-
lection du président de la Republique.
C'est le président du Sénat qui préside la
séance du Congrès. l'élection présidentielle
Comme on 1 a vu, l'élection présidentielle
se fait à la majorité absolue des votants.
L'obligation de la moitié plus un des mem-
bres composant le Congrès n'est imposée
qu'en cas de revision de la Constitution.
Pour l'élection présidentielle, on ne consi-
dère que le nombre des votants.
Le Sénat compte 300 membres et la Cham-
brt actuelle 581 ; cela fait un total de 881 vo-
tants.
L'abondance des matièrés nous oblige
à renvoyer à demain un intéressant ar-
ticle sur les Dépenses (X entretien de la
Compagnie transatlantique. 1
LES MANDARINS ANNAMITES A L'ELYSEE
Le président de la République a reçu hier,
à cinq heures, les trois mandarins annamites
venus en France avec M. de Lanessan :
Nguyen Trong Hich, troisième régent ; Bang,
ministre honoraire; Tout That Cheim, con-
seiller du ministère des rites.
M. Boulanger, ministre des colonies, et M.
de Lanessan, gouverneur général de l'Indo-
Chine, ont présenté les mandarins à M. Car-
not. -
Les trois mandarins avaient revêtu le ri-
che costume national,tout en soie et or ; leurs
cheveux tressés en natte étaient emprison-
nés dans de superbes foulards. La robe du
troisième régent était tissée en or ; celle du
ministre honoraire était tissée sur fond noir
et or; celle du conseiller du ministère des
rites, sur fond bleu de paon. Chacun des
mandarins portait d'épaisses sandales à se-
melles de feutre.
Après plusieurs révérences et saluts, ils ont
remis à M. Carnot une boîte recouverte de
soie jaune, contenant à son adresse une lettre
de l'empereur d'Annam.
En remettant cette boite, le troisième ré-
gent a, en annamite, affirmé l'affection de
l'empereur d'Annam pour la France et son
respect pour la personne de M. Carnot.
Ce discours a été traduit en français par
l'interprète.
M. Carnot a répondu qu'il remerciait l em-
pereur des vœux qu'il faisait pour le gouver-
nement français et pour lui et des magnifi-
ques cadeaux qu'il lui a envoyés.
Ces cadeaux sont exposés dans le salon dit
des Cinq-Sens.
Signalons, parmi les objets envoyés par
l'empereur d'Annam, une tenture en soie
jaune portant en broderie rouge une adresse
au président de la République, dont voici la
traduction :
Nous vous prions d'agréer les vœux que respec-
tueusement nous formons pour la paix et la pros-
périté du gouvernement de la République fran-
çaise et pour sa splendeur.
Que le brillant éclat de ses vertus éclaire l'An.
nam et rejaillisse sur lui!
Fait à Hué, en l'an Giapngd, le sixième du rè-
gne de Than Thy, un bon jour du commencement
du printemps.
Un autre don consiste en un grand vase de
porcelaine dont la décoration comporte un
arbre chargé de fleurs représentant la pros-
périté de la vie.
Citons encore deux arbres dorés sous vi-
trins, dont la réunion représente l'alliance de
la France et de l'Annam, sept sapèques en
or et sept sapèques en argent, pièces histori-
ques de l'histoire de l'Annam.
La réception officielle terminée, un lunch a
été servi, après lequel les mandarins se sont
< retirés.
CHRONIQUE
L'histoire est à la mode. Dieu sait si
l'on s'est occupé de Napoléon depuis deux
ou trois ans et, en évoquant cette granae
figure, ayant trouvé le moyen d'être ty-
rannique encore quelque soixante-quinze
ans après sa mort, à quelles conclusions
merveilleusement contradictoires sont ar-
rivés des chercheurs animés d'un zèle
égal t La matière, tout de même, com-
mence à être épuisée. Voici qu'après le
grand empereur on fouille avec curiosité
l'existence de l'autre, le neveu, ce qui est
tout autre chose! Dans cent ans, de ce-
lui-ci on fera peut-être aussi un person-
nage de drame — et quel dénouement
aura ce drame f — mais ce sera une entre-
prise difficile de faire vibrer la foule, car
ce ne seront plus là, hélas 1 des souvenirs
prestigieux qui seront en cause. L'homme
cependant, quand on cherche à se dégager
de toute passion apparaît romanesque,
avec je ne sais quoi de fatal le menant ;
au-dessus de lui.
En attendant, en cette vie mouvemen-
tée et singulière, c'est aujourd'hui l'épi-
sode de l'évasion du fort de Ham qui re-
vient sur l'eau. La légende du maçon
Badinguet, complice prétendu de cette
évasion, déjà très ébranlée, est complète-
ment détruite. Son rôle est contesté par la
simple raison qu'il n'exista jamais. Ce
petit débat historique fit répandre beau-
coup d'encre. M. Hachet-Souplet l'a ou-
vert de nouveau, ou plutôt, se trouvant par
traditions de famille en mesure d'être bien
informé, il répond aux assertions de sir
Drummond Wolff qui, il y a quelque
temps, dans ses Souvenirs, assurait que
l'évasion avait été préparée et rendue pos-
sible par le concours d'un publiciste diri-
geant à Saint-Quentin un journal, M. Ca-
lixte Souplet, qui, quoique républicain,
s'était vivement intéressé au prince Louis-
Napoléon prisonnier.
M. Hachet-Souplet est le petit-fils de
Calixte Souplet, qui est mort en 1867. Il
établit qu'il n'y a, dans le récit de l'An-
glais Drummond Wolff, que pure imagi-
nation. Calixte Souplet entra, en effet,
très avant dans l'amitié du prince, qui
voyait en lui un confident de ses rêveries
socialistes, mais il ne participa en rien à
sa fuite. Il ne la connut même qu'après
coup, en même temps que tout le monde,
et Louis-Napoléon mit plusieurs jours à
lui envoyer, de Londres, le récit sommaire
des péripéties de son départ. - Cettre lettre,
entre parenthèses, est fort curieuse. Le
prince y contait que, en arrivant à Lon-
dres, il avait vu des hommes du peuple
« pleurer de joie » en apprenant qu'il avait
reconquis sa liberté. Cet attendrissement,
allant jusqu'aux larmes, d'ouvriers an-
glais est un peu étonnant.
Les relations du prince avec Souplet,
qui rédigeait le Guetteur de Saint-Quen-
tin, s'étaient nouées dès 1842. En les si-
gnant de deux X, Louis-Napoléon donna
nombre d'articles à ce journal sur une
foule de questions; il y fit notamment pa-
raître une étude historique sur Jacques II
d'Angleterre qui lui permettait de trans-
parentes allusions modernes, et des étu-
des critiques sur l'organisation militaire
de la France, qu'il est lamentable de re-
trouver sous sa plume. « Le terrible
exemple de Waterloo, y disait-il, ne nous
a pas profité f » Ailleurs, il prêchait l'en-
tente entre le clergé et l'Université, ou il
revenait sur sa brochure, fameuse par ses
utopies, Y Extinction du paupérisme.
bouplet revoyait vraisemblablement ces
travaux philosophiques du prince, avait
avec lui de fréquentes conversations. Son
rôle se bornait là. Quand Louis-Napoléon
fut au pouvoir, le journaliste non seule-
ment ne lui demanda rien, mais ne se fit
pas faute de le combattre. Le Guetteur,
qui avait donné asile aux élucubrations
du prince pendant sa captivité, fut même
supprimé en 1857, ce qui est un bel exem-
ple d'ingratitude. ou de rouerie politi-
que, car il pouvait déplaire à l'empereur
qu'on pût facilement consulter une collec-
tion qui contenait l'exposé d'opinions qui
avaient diablement cessé d'être les sien-
nes.
Ceci dit, M. Hachet-Souplet, d'après les
notes laissées par son grand-père ou des
conversations avec les survivants de ceux
qui connurent Louis-Napoléon à Ham, a
évoqué le prince en sa prison. Quand il y
arriva, un garde du génie, nommé Flajol-
lot, s'imagina naïvement que c'était pour
y être lusille et se prépara de bonne foi a
empêcher ce meurtre par tous les moyens
en son pouvoir. Louis-Philippe n'était pas
aussi sanguinaire, et Flajollot en fut pour
ses préparatifs, qu'il sut rappeler, d'ail-
leurs, au bon moment en demandant une
pension.
Louis-Napoléon ne fut pourtant assez
durement traité que pendant trois jours,
durant lesquels on le priva de plume, de
papier, de livres, de couteau. Son instal-
lation fut bientôt plus confortable, encore
que les dépenses de sa table n'eussent été
fixées d'abord qu'au chiffre de sept francs
par jour. Il avait trois pièces à sa dispo-
sition. Peu à peu il fut autorisé à monter
à cheval dans l'enceinte du fort, à recevoir
des visites,— il recevait jusqu'aux enfants
d'une pension auxquels il donnait à goû-
ter — et sa correspondance ne fut plus
soumise qu'à de légères formalités. Au
reste, son valet de chambre, Thélin, sor-
tait librement, et le commandant du fort,
Demarle, ne visait, par suite, que les let-
tres qu'on voulait bien lui montrer.
Le prince portait alors un étrange cos-
tume, moitié militaire et moitié civil : une
tunique bleue, un pantalon à la hussarde,
un kepi rouge. Ce costume, joint au pres-
tige du malheur, contribua-t-il à allumer
des incendies dans le cœur de quelques
jeunes femmes de Ham ? En prison, il eut
des maltresses. Une romanesque petite
personne avait, paraît-il, soupiré en vain
pour le prince et avait fini par se ra-
battre sur son valet de chambre. Mais
Louis Napoléon fut moins insensible aux
charmes d'une fillette, Alexandrine Ver-
geot, qu'on appelait la « Belle Sabotièreib.
On sait qu'il eut d'elle deux enfants, aux-
quels, devenu empereur, il attribua un
titre de comte et qui, plus tard, lui cau-
sèrent quelque ennui.
Peut-être eût-il pu s'évader déjà au
moment - du retour des cendres ; la garni-
son de Ham était alors composée, par un
hasard curieux, de détachements des 42*
et 46e régiments de ligne — de ceux qu'il
avait harangués à Strasbourg et à Bou-
logne. En décembre 1840, on lui avait
offert d'organiser un complot. Au dehors
il eût trouvé des amis qui l'eussent con-
duit jusqu'à Paris. Mais sans doute pen-
sa- t-il que la captivité, l'apparence du
malheur lui étaient nécessaires pendant
quelque temps. Peut-être aussi redouta-
t-il un piège.
En 1846, il avait un prétexte sentimen-
tal pour justifier son évasion : le refus qui
lui avait été fait par le gouvernement
quand il avait demandé d'aller à Florence
fermer les yeux. à son père (lequel se sou-
ciait assez peu de lui), en engageant sa
parole de venir se reconstituer prison-
nier. Alors il s'employa avec décision 4
se rendre libre.
Le comte Orsi, qui avait participé à
l'expédition de Boulogne, se procura cent
cinquante mille francs en les empruntant,
non sans peine, au duc de Brunswick,
abusé, à la fin, par d'étranges promesses.
On sait que des travaux accomplis dans
le fort et y amenant un va-et-vient d'ou-
vriers servirent ses projets. Tout fut dé-
cidé pour le 25 mai.
Par l'entremise du frère de lait du prince,
Bure, le valet de chambre Thélin s'était
procuré une chemise de grosse toile, deux
blouses (achetées cinq francs vingt-cinq
centimes), une casquette de drap, un ta-
blier, un foulard, un pantalon de toile. Le
matin du 25, Louis-Napoléon écrivit, en
se plaignant d'être indisposé, à l'abbé
Tirmache, pour le prier de remettre la
messe qu'il devait dire au fort. A six heu-
res et demie, les ouvriers peintres qui
travaillaient aux boiseries du logement
du prisonnier étaient conviés par Thélin
à venir boire un verre de vin au rez-de-
chaussée. Un seul, nommé Hébert, refusa
d'abord et faillit, parson obstination,faire
tout manquer. Pendant ce temps, le prince
coupait ses moustaches, revêtait son cos-
tume, plaçait sur son épaule une planche
de sa bibliothèque, et tandis que Thélin,
qui avait faussé compagnie à ses invités,
éclairait le chemin en causant avec les
gardiens avec une apparente indifférence,
il traversait la cour remplie de soldats, se
heurtait au lieutenant de service, lais-
sait alors tomber la pipe qu'il avait à la
bouche pour avoir un prétexte pour se
baisser, demandait la porte d'une voix
rude, gagnait la campagne, était rejoint
par Thélin, montait dans le cabriolet re-
tenu par celui-ci, brûlait le pavé jusqu'à
Saint-Quentin.
Il avait caché la blouse, dont il s'était
défait en hâte, dans un fourré, où elle fut
découverte par un laboureur, Camus, qui
parla de sa trouvaille. Sa femme était en
train de la laver quand les gendarmes
vinrent la lui retirer des mains.
Cette blouse historique, laissée après le
procès au docteur Conneau, qui la remit
au directeur du Guetteur, M. Hachet-
Souplet la possède aujourd'hui. Elle est
en coton croisé bleu ; l'énergique lavage
de la femme Camus l'avait un peu décou-
sue. Elle porte encore les cachets du tri-
bunal. Il y a de quoi réfléchir devant cette
défroque. Sans cette blouse, l'histoire
était-elle modifiée ? Dans sa lettre à Sou-
plet où il lui narrait son évasion, le
prince ne dédaignait pas les jeux de mots
et appelait la planche qu'il avait placée sur
ses épaules sa planche. de salut.
Dans tout ceci, il n'y a point ombre de
Badinguet. Bure, homme d'ordre, avait
inscrit le prix, s'élevant en tout à vingt-
cinq francs, du travestissepaent acheté à
Paris, qui devait rendre la liberté à Louis-
Napoléon. Il y avait ajouté une mention
singulière : « Payé à M. Paulin, facture
d'un cliché du talisman de Charlemagne,
12 francs. » Etait-ce là un talisman qu'a-
vait souhaité le prince, ne se contentant
pas de la lettre de Napoléon qu'il portait
sur lui ?
En 1856, l'empereur, dans une partie
improvisée, emmena l'impératrice à Ham
pour lui faire visiter sa prison. Il n'avait
pas annoncé son arrivée. Le soldat de
garde refusa de laisser entrer le souverain.
— «Quand même vous seriez le petit capo-
ral. », dit avec quelque variante l'inflexi-
ble factionnaire. Ce souvenir n'était
point pour déplaire à l'héritier de l'Au-
tre.
Paul Ginisty.
L'Affaire UMj-k Talloyrand
NOTRE ENQUÊTE
Notre article d'hier sur cette lamentable
affaire a produit une profonde sensation ; il
a fait les frais de toutes les conversations au
Palais de Justice.
Tout le monde est d'avis que le comte Elie
de Talleyrand était léger et dans sa façon
d'agir et dans ses affaires, voire même dans
le choix de ses amis. Mais on est convaincu
qu'il n apasfaitde faux, ni substitué de chiffre
à un autre, ni commis d'abus de confiance. Ses
difficultés avec M. Max Lebaudy doivent
plutôt avoir pour point de départ une inter-
prétation défavorable—pour M. de Talleyrand
— d'un certain traité signé entre les deux
amis et que M. Dopffer doit posséder à l'heure
qu'il est.
Dans l'entourage du prince de Sagan on
croit que cette triste affaire sera réglée dana
les quarante-huit heures.
Certains amis et parents éloignés du jeune
comte Elie, connaissant bien les désirs de la
princesse sa mère, craignent qu'elle n'exploite
la pénible situation de son fils à son désavan-
tage.
Ils ne comprennent pas, en effet, pour
quelles raisons certains journaux prétendent
que le comte Elie avait été atteint d'une ma-
ladie de cerveau à la suite d'une grave fièvre
typhoïde. Le comte Elie n'a jamais été malade
de sa vie.
Ce qui est certain, c'est que Mme de Sagan,
réservant pour son fils cadet toutes ses ten-
dresses — et très irritée contre l'aîné—avait,
il y a quinze ans de cela, formé le projet de
le faire entemex dau une maison de santé.
En effet, à cette époque déjà éloigaée, le taro* -
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tous les Bureaux de Poste.
La GuiIIoUnc à huis clos
La Chambre a mis à l'ordre du jour,
pour sa séance de rentrée, un projet de loi
de M. Joseph Reinach ayant pour objet
d'empêcher à l'avenir la publicité des
- exécutions capitales.
Il n'y a pas bien longtemps, c'est à la
peine de mort elle-même que s'attaquaient
les philosophes et les hommes d'Etat. On
n'avait pas peur alors d'abordor les ques-
tions de front. Nul ne songeait à ranger
les principes au rang des « vieilles gui-
tares ». Jules Favre à la tribune, Victor
Hugo dans le Dernier Jour d'un con-
damné, refusaient hardiment à la société
un droit que l'individu n'a pas lui-même.
Aujourd'hui, la sensibilité s'est émous-
sée. La boutade pmdhommesque d'Al-
phonse Karr : « Que MM. les assassins
commencent! » est le dernier mot de la
sagesse, le « tarte à la crème » de nos dis-
cussions sur la matière. C'est un courant
qu'on ne remontera pas de si tôt. Il ne
s'agit plus aujourd'hui de rechercher si la
peine de mort est juste, ii suffit qu'on la
croie utile. « Si je prouve, écrivait Becca-
ria, que la société en faisant mourir un de
ses membres ne fait rien qui soit néces-
saire ou utile à ses intérêts, j'aurai gagné
la cause de l'humanité. »
Cette démonstration a-t-elle été insuffi-
sante ou l'instinct de la préservation so-
ciale est-il maintenant plus fort que la
raison ? Ce qui est sûr, c'est que nul ne
propose en ce moment d'abolir la peine
de mort. Il suffit à l'ambition de nos légis-
lateurs que l'acte sanglant de la tragédie
se joue désormais dans la coulisse et que
les murs de la prison cachent à la foule la
vue du couperet.
A
Il n'y a pas bien longtemps, les parti-
sans de la peine de mort étaient en même
temps les partisans de la publicité des
exécutions. L'idée de débarrasser la so-
ciété du criminel, idée qui l'emporte en
ce moment dans les esprits, n'était que
secondaire autrefois. On avait pour cela à
sad sposition les in-pace, les oubliettes,
les cachots des forteresses, et l'on pouvait
supprimer les gêneurs sans avoir à comp-
ter avec la presse ou avec les comités de
Burveillance des prisons.
Si donc on voulait que l'échafaud se
dressât bien droit et bien haut, que le
condamné en gravit lentement les degrés
au grand jour de la place publique, c'est
qu'on prétendait tirer de cette expiation
suprême une grande et terrible leçon à
l'adresse des foules.
Aujourd'hui, les partisans de la peine
de mort sont à peu près unanimes à re-
connaitre que le but est manqué. Le bour-
reau est peut-être encore pour eux la che-
ville ouvrière de la société, mais ils n'in-
sistent plus sur le caractère moralisateur
de ses fonctions. Qu'on ne nous parle pas
de l'intimidation, de la terreur causée par
la vue du dernier supplice ! Ceux qui ont
assisté à une exécution capitale en sont
revenus avec la même sensation de dé-
goût. La foule se presse autour de l'écha-
faud comme à un spectacle. L'arrivée des
bois de justice, l'ouverture des portes de
la prison, l'apparition du condamné, la
chute du couteau, autant de « numéros »
qui font partie du programme de la fête.
Elle va place de la Roquette comme on
va à la foire du Trône; elle en revient
comme d'une orgie.
■A
M. Reinach a rappelé dans son rapport
les impressions de Tourguenieff à l'exécu-
tion de Troppmann. Pendant que lebour-
reau dresse la guillotine, une foule bigar-
rée s'agite et se bouscule. Ce n'est pas
seulement la lie de la populace. La haute
et la basse prostitution s'y rejoig-nent et
s'y coudoient ; on voit quelques habits et
quelques dames en toilette au milieu
d'un flot grouillant de rôdeurs, d'escarpes,
de souteneurs et de filous. Parfois, des
sifflets, des cris, des hurlements domi-
nent cette cohue : « Ohé Lambert f Ohé !
Troppmann t Fallait pas qu'y aille ! »
Ou encore c'est, au milieu des poussées
et des querelles, un refrain d'une chanson
cynique qui circule de bouche en bou-
che. « Ce peuple rassemblé répandait
une atmosphère aigre. Tous ces corps
avaient absorbé une immense quantité de
vin. Les assommoirs flamboyaient
comme des points rouges sur le fond du
tableau. » Cette description d'une exécu-
tion capitale convient à toutes les exécu-
tions. Seuls les scies et les refrains popu..
laires ont changé ;mais la foule atoujours
le même débraillement et le même cy-
nisme.
Nous sommes loin, on le voit, de cette
impression de recueillement et d'épou-
vante qui doit accompagner ce que les
moralistes appellent l'expiation suprême.
« L'expérience de tous les siècles, dit en-
core Beccaria, prouve que la crainte du
dernier supplice n'a jamais arrêté les scé-
lérats déterminés à porter le trouble dans
la société. L'âme s'endurcit par le specta-
cle renouvelé de la cruauté. Les supplices
devenus fréquents effrayent moins, parce
qu'on s'habitue à leur horreur. »
Et en effet, si le condamné meurt avec
résolution, il devient pour le public une
manière de personnage. On commente,
on admire son courage. La planche de la
guillotine est la tribune d'où il nargue
une dernière fois la société.
***
Dans ce cas la publicité des exécutions
Capitales, loin de détourner les assistants
du crime, serait plutôt une leçon de for-
fanterie railleuse, un encouragement su-
prême à braver la justice et les lois.
Un aumônier anglais que le souci des
dernières prières n'avait pas détourné des
inclinations à la statistique constatait
que, sur 167 condamnés à mort,161 avaient
assisté à des exécutions capitales. Il en
est de même chez nous. Presque tous les
criminels guillotinés dans ces dernières
- années avaient fait place de la Roquette
leur sinistre apprentissage.
r Si la publicité des exécutions a été sup-
primée en Angleterre, si le bourreau ac-
complit aujourd'hui sa besogne à l'inté-
rieur de la prison, c'est qu'on s'est aperça
à quel point ce genre de spectacle émous-
sait les sentiments du public et, loin de
lui inspirer l'effroi, le rendait, au con-
traire, réfractaire à la crainte. A la suite
de la pendaison d'un criminel, on vit des
enfants imiter dans leurs jeux l'exécution
à laquelle ils venaient d'assister. L'un fai-
sait le bourreau, un autre l'aumônier,
celui-ci le shériff, celui-là le condamné.
Et la foule applaudissait à cette représen-
tation fictive comme à la réalité. Gens
pratiques avant tout, les Anglais compri-
rent qu'il était temps de faire cesser un
spectacle qui, au lieu de la terreur ou de
la pitié, ne remuait plus que les pires
sentiments de l'âme humaine.
- »»
La magistrature, française si attachée à
ses traditions et au respect superstitieux
dé la forme, se prononça du reste à une
forte, majorité pour l'exécution à huis
clos. D'une enquête faite en 1884 il ré-
sulte que presque toutes les cours d'appel
et la cour de cassation verraient sans in-
convénient l'échafaud disparaître de la
place publique. Seuls les procureurs gé-
néraux de Nîmes, d'Agen, d'Orléans, de
Riom, de Limoges, s'étaient prononcés
contre cette dérogation aux usages. Encore
n'est-il pas prouvé que, depuis dix ans,
l'opinion de ces parquets ne se soit pas
modifiée.
Ce quLpeut retenir en effet le magistrat,
ce n'est pas assurément le côté moral de
la question, et pas un ne s'abuse au point
de considérer la guillotine comme une
dernière leçon de choses.Ce qui le retient,
c'est plutôt un scrupule professionnel, la
crainte de voir le huis clos supprimer en
quelque sorte le caractère authentique de
la peine. Mais il n'est pas impossible
d'entourer le dernier supplice des garan-
ties légales qui semblent indispensables
aux Bridoisons amoureux de la forme.
* Déjà la guillotine s'est faite discrète et
basse : elle se dresse avant le jour, loin
des regards de la foule, maintenue par la
force publique à distance respectueuse.
Aujourd'hui quand on assiste à une exé-
cution, on ne voit plus que la croupe des
chevaux de la gendarmerie. Quand on n'a-
percevra plus que le mur « derrière lequel
il se passe quelque chose », la différence
ne sera pas bien grande, jusqu'au jour où
le progrès des mœurs permettra d'aller
chasser la sombre machine de son dernier
repaire.
Thomas Graindorge.
HJWIIH—a—— 111111111111 !■
LA RENTREE DES CHAMBRES
Hier, au Palais-Bourbon, les couloirs sont
restés absolument déserts, quoique ce fut la
veille de la reprise des travaux parlemen-
taires.
Une vingtaine de députés au plus ont fait
une courte apparition dans les couloirs où les
nouvelles politiques faisaient absolument dé-
faut.
Nous avons déjà indiqué quel était l'ordre
des travaux parlementaires; nous n'avons
qu'à ajouter que M. Jaurès, qui avait déposé
une interpellation avant la séparation sur les
ressources financières de certains anarchis-
tes, persiste dans son intention de soulever
un incident à ce sujet à la tribune ; il se met-
tra aux ordres de la Chambre.
On annonce en outre une question de M.
de Mahy sur les affaires de Madagascar.
FRANCIS EN CORRECTIONNELLE
- Jean-Pierre François dit Francis, l'anar-
chiste ou l'ex-anarchiste, nous ne savons au
juste, compromis dans l'affaire du restaurant
Véry où il fut acquitté, comparaîtra aujour-
d'hui mardi devant la neuvième chambre de
police correctionnelle, présidée par M. Bidault
de l'Isle, sous l'inculpation d'outrages aux
agents.
Voici à quel propos :
Lors des perquisitions opérées par la po-
lice chez nombre d'anarchistes soupçonnés
d'affiliation à une association de malfaiteurs,
Jean-Pierre François dit Francis reçut à do-
micile la visite d'un commissaire de police et
de plusieurs agents auxquels il fit une récep-
tion dépourvue d'enthousiasme.
A un certain moment même, d'après la
prévention, Francis se serait permis de dire
aux agents qui perquisitionnaient chez lui :
— vous agissez comme des cambrioleurs.
Vaillant sera vengé ! Si on arrête tous les
anarchistes, les bombes n'en partiront pas
moins. toutes seules!
Francis sera défendu devant les juges de la
neuvième chambre par Me Georges Desplas
qui, en cour d'assises, a obtenu des jurés
l'acquittement du prétendu complice de Meu-
nier.
Il est à craindre qu'en correctionnelle M*
Desplas soit moins heureux.
LES MINISTRES A LYON
Le bruit a couru hier à la Chambre que
M. Rivaud, préfet du Rhône, était arrivé hier
matin à Paris pour négocier auprès de MM.
Casimir-Perier, Marty, Burdeau et Jonnart,
qui devaient se rendre à Lyon le 29 avril à
l'occasion de l'inauguration de l'exposition,
l'ajournement sine die de leur voyage.
Le prétexte que l'on donnait était qu'une
manifestation cléricale était organisée pour
protester, lors de l'arrivée des ministres, con-
tre la mesure prise contre M. Coullié, arche-
vêque de Lyon.
De plus, on prévoit une contre-manifesta-
tion anticléricale et antigouvernementale des
groupes socialistes révolutionnaires et anar-
chistes.
La décision des ministres ne sera connue
que ce matin après le conseil. Peut-être les
ministres profiteront-ils de l'échappatoire qui
leur est offerte par M. Rivaud pour se dispen-
ser d'aller, par leur présence, faire réclame à
une entreprise industrielle vouée à un four
noir.
UN CRIME HORRIBLE
Metz, 23 avril.
Un crime horrible vient d'être découvert à Hau-
tes-Vigneulles près de Faulquemont. Une jeune
femme de cette localité a tué son mari à coups de
hachette, et, aidée de son amant, elle a découpé le
cadavre pour en faire bouillir les morceaux jus-
qu'à!ce que les chairs se détachassent des os. Elle a
ensuite fait calciner ceux-ci dans l'âtre. Quant à la
chair, elle en a nourri ses pores.
La disparition inexplicable de la victime de cet
assassinat date de quelques mois ; ce sont des dé-
bris d'ossements incomplètement brillés, trouvés
dans la forêt voisine où on les avait cachés sous
un amoncellement de pierres, qui ont fait décou-
vrir le crime et son auteur :
La Succession Carnot
L'ÉLECTION DU PRÉSIDENT
La date de l'élection. — Le Congrès de
Versailles. — M. Carnot sera-t-if can-
didat ? — Les compétiteurs.
Les Chambres reprennent aujourd'hui leurs
travaux. Cette seconde partie de la session
ordinaire, qui sera presque entièrement em-
ployée à la discussion du prochain budget
et à l'examen des diverses réformes fiscales
proposées par le gouvernement, sera certai-
nement agitée par les préoccupations politi-
ques se rattachant à l'élection présidentielle,
les pou voirs de M. Carnot expirant le 3 dé-
cembre prochain, son élévation à la prési-
dence de la République datant du 3 décembre
1887.
Le monde parlementaire se préoccupe de-
puis quelque temps de cette échéance, l'élec-
tion du nouveau président devant avoir lieu,
d'après la Constitution, un mois au moins
avant le terme légal de l'expiration des pou-
voirs du président de la République. Dans le
cas où la convocation de l'Assemblée natio-
nale ne serait pas faite dans le délai fixé, il
serait procédé à l'élection, de plein droit, le
quinzième jour avant l'expiration des pou-
voirs présidentiels.
LA DATE DE L'ÉLECTION
Mais la décision en est déjà prise : l'élec-
tion aura lieu un mois au moins avant le
terme légal; on cite même deux dates, celtes
du 22 et du 29 octobre.
Disons ici que la date de convocation de
l'Assemblée nationale, qui est composée, on
le sait, des sénateurs et des députés réunis,
est arrêtée dans une conférence tenue entre
le président du Sénat, le président de la
Chambre et le président du conseil.
Ainsi qu'on le voit, les préliminaires cons-
titutionnels d'une élection présidentielle sont
très peu compliqués, et ce n'est pas de ce
côté qu'il faut s'attendre à voir surgir des
complications. M. Carnot, toujours correct et
en gardien fidèle et résolu de la Constitution
— ce sont ses propres expressions — ne fera
aucune opposition à ce que l'une ou l'autre
des deux dates que nous avons indiquées soit
choisie.
Mais ce qui nous a paru intéressant de re-
chercher dès aujourd'hui, c'est de savoir
comment cette élection se présente au point
de vue politique.
M. CARNOT SE REPRÉSENTERA-T-IL ?
D'abord la question qui se pose naturelle-
ment est celle de savoir si M. Carnot se re-
présentera. Nous devons avouer que les avis
sont très partagés et que le président de la
République lui-même, qui s'est posé à plu-
sieurs reprises le problème, ne l'a pas encore
résolu. A la vérité, M. Carnot préférerait res-
ter à la présidence de la République, et il est
bien naturel de penser que son amour-pro-
pre serait très flatté si de nombreux suffrages
lui renouvelaient son septennat.
Mais il faut envisager l'autre côté de la mé-
daille. La réélection obtenue, il faudra gou-
verner, former de nouveaux ministères, voire
même être très attaqué. Là se dresse l'exem-
ple de la présidence de M. Jules Grévy qui fut
obligé de se démettre le 1er décembre 1887,
alors que ses pouvoirs lui avaient été renou-
velés le 28 décembre 1885.
Donc s'il est absolument certain que M.
Carnot désire être réélu président de la Répu-
blique, il n'est pas encore prouvé qu'il alfron-
terale prochain scrutin.
Nous savons bien que ses amis qui siègent
au Parlement font campagne en sa faveur en
faisant prévoir qu'il hésite à solliciter les suf-
frages de l'Assemblée nationale. Cette ma-
nœuvre est trop peu habile pour que nous
nous y arrêtions plus longtemps.
LES AUTRES CANDIDATS
Que M. Carnot soit ou ne soit pas candidat,
on lui oppose déjà un certain nombre de
compétiteurs, dont plusieurs ont plus ou
moins de chances de décrocher la timbale.
En première ligne se place M. Casimir-Pe-
rier, le président actuel du conseil des minis-
tres, qui est poussé à la magistrature suprême
par les groupes modérés de la Chambre et
du Sénat — les homogènes, comme on les ap-
pelle dans les couloirs du Palais-Bourbon. M.
Casimir-Perier serait encore appuyé par les
éléments réactionnaires soi-disant ralliés à la
République, ceux pour lesquels M. Spuller
a fait son discours sur « l'esprit nouveau w.
Nous devons dire ici un mot de l'attitude
nouvelle prise par les ralliés, dont le con-
concours à M. Carnot semblait acquis. Ce
dernier ne leur ayant pas donné tout ce qu'ils
attendaient et le ministère de M. Charles Du-
puy n'ayant pas réussi à les faire élire tous,
ils se sont retournés vers M. Casimir-Perier,
dont l'apparente énergie leur semble être une
garantie pourl'avenir. De plus, il faut bien le
dire, il ont reçu du ministère actuel des gages
très appréciables : il n'y a pas de faveur
qu'ils demandent qui ne leur soit accordée
sur l'heure, et cela au détriment des républi-
cains.
Une autre candidature qui a des partisans
est celle de M. Challemel-Lacour, président
du Sénat, qui, disent ses amis, ferait très
bonne figure et paraît très désigné étant don-
nées les hautes fonctions qu'il occupe au
Sénat et à l'Académie. Une objection est faite
cependant contre M. Challemel-Lacour: elle
vise son célibat. Pensez donc, l'Elysée sans
une présidente pour recevoir, cela ne se peut
pas t
- La troisième candidature dont nous avons
à parler est celle de M. Charles Dupuy. ,
Celle-ci n'a aucune chance ; il est impossible
en effet de concevoir qu'un homme aussi mé-
diocre, dont la fortune politique est inexplica-
ble, puisse prétendre au premier siège de
l'Etat républicain. Du reste, députés et sé-
nateurs commencent à le connaître, et s'il a la
prétention de recueillir quelques suffrages, ils
seront si peu nombreux qu'ils constitueront
un échec irrémédiable.
On parle également pour la présidence de
M. Méline; ce sont quelques enragés protec-
tionnistes qui ont mis ce nom en avant.
Enfin, quand nous aurons dit que M. Ma-
gnin, gouverneur de la Banque de France,
songe également à l'écharpe présidentielle, il
ne nous restera qu'à énumérer les noms de
MM. de Freycinet, Constans, Henri Brisson,
Cavaignac, l'amiral Gervais, le général Mer-
cier, comme étant ceux que l'on ajoute à cette
liste de candidat futurs. Il est bien entendu
que l'amiral Gervais et le général Mercier
n'ont pas été consultés et que c'est en dehors
d'eux que l'on cite leurs noms.
Ajoutons, pour être complet, que quelques
monarchistes feront une manifestation pla-
tonique en se comptant sur le nom de M. le
duc d'Aumale.
LA SIGNIFICATION POLITIQUE
Nous arrêtons là notre énumération et il
nous reste à dire, au point de vue politique,
quelle sera l'attitude des partis dans l'élection
présidentielle.
Si la plupart des modérés soutiennent M.
Casimir-Perier, il «et permis de se demander
où M. Carnot trouvera ses voix..
.,..
S étrange que celaparaisse être, le président
de 11 République, s'il se représente, n'aura
pas de plus fidèles défenseurs que les radi-
aux, de MM. Floquet et Henri Brisson à M.
Léon Bourgeois. Les républicains avancés qui
en 1887, ont fait la première élection de M.
Carnot. ne désespèrent pas d'amener sa réé-
Itction.
Cette attitude appelle une explication. Les
rsdicaux se tiennent en effet ce raisonne-
mint : M. Casimir-Perier, qui est l'adversaire
leplus dangereux de M. Carnot, étant sou-
teiu par les ralliés et les partisans de l'esprit
noiveau, ils doivent tout faire pour entraver
la éussite de cette politique. Pour lui faire
plus facilement échec, les radicaux pensent
qu'l n'y a qu'un moyen : soutenir M. Car-
not.Nous donnons le raisonnement pour ce
qu'L vaut, mais il nous faut constater un
bruit d'après lequel M. Casimir-Perier ne se-
rait las candidat si M. Carnot sollicite le re-
nouvllement de ses pouvoirs.
Telfes sont les impressions que nous avons
recueilies depuis quelques jours auprès des
députéi ; elles ne mettent pas en lumière un
fait bica précis, mais elles font prévoir que
la vie politique va reprendre toute son acti-
vité et qie de la prochaine élection présiden-
tielle dépendra nécessairement la direction
politiquo^ui sera donnés à ce pays.
République républicaine ou République
réactionnaire, voilà les deux politiques qui
vont se trotver en présence devant cet impor-
tant scrutin.
LES CONGRÈS PASSÉS
Le prochain Congrès, qui aura lieu a Ver-
sailles vers la fin du mois d'octobre, sera le
sixième Congrès tenu depuis le vote de la
Constitution de 1875.
C'est le 30 janvier 1879 que, pour la pre-
mière fois, le Sénat et la Chambre furent
réunis à Versailles en Congrès: il s'agissait
d'élire le nouveau président de la République,
qui fut M. Jules Grévy, en remplacement de
M. le maréchal de Mac-Mahon, démission-
naire le jour même de l'élection de son suc-
cesseur.
Un deuxième Congrès eut lieu le 19 juin
1879 pour abroger l'article 9 de la Constitu-
tion qui fixait le siège des pouvoirs publics
à Versailles.
Lo 4 août 1884, le Congres se réunit pour la
troisième fois, dons le but d'opérer une revi-
sion partielle de la Constitution.
Un quatrième Congrès eut lieu le 28 dé-
cembre 1885 pour la nomination du président
de la République, les pouvoirs de M. Jules
Grévv étant arrivés à expiration. M. - Jules
Grévy fut réélu. -
Le cinquième Congrès siégea le 3 décembre
1887; il procéda à l'élection de M. Carnot.
LES ARTICLES CONSTITUTIONNELS
Voici maintenant les articles de la loi cons-
titutionnelle relatifs à l'élection du président
de la République :
En cas de vacance par décè ou pour toute autre
cause, les deux Chambres réunies procèdent im-
médiatement à l'élection d'un nouveau président.
Dans l'intervalle, le conseil des ministres est
investi des pouvoirs exécutifs.
Le président de la République est élu à la ma-
jorité absolue des suffrages, par le Sénat et la
Chambre des députés, réunis en Assemblée natio-
nale.
Il est élu pour sept ans ; il est rééligible.
Lors de l'élection du président de la Répu-
blique en 1887, 1q Journal officiel avait pu-
blié en ces termes l'ordre du jour du Con-
grès :
A une heure, séance publique. Scrutin pour l'é-
lection du président de la Republique.
C'est le président du Sénat qui préside la
séance du Congrès. l'élection présidentielle
Comme on 1 a vu, l'élection présidentielle
se fait à la majorité absolue des votants.
L'obligation de la moitié plus un des mem-
bres composant le Congrès n'est imposée
qu'en cas de revision de la Constitution.
Pour l'élection présidentielle, on ne consi-
dère que le nombre des votants.
Le Sénat compte 300 membres et la Cham-
brt actuelle 581 ; cela fait un total de 881 vo-
tants.
L'abondance des matièrés nous oblige
à renvoyer à demain un intéressant ar-
ticle sur les Dépenses (X entretien de la
Compagnie transatlantique. 1
LES MANDARINS ANNAMITES A L'ELYSEE
Le président de la République a reçu hier,
à cinq heures, les trois mandarins annamites
venus en France avec M. de Lanessan :
Nguyen Trong Hich, troisième régent ; Bang,
ministre honoraire; Tout That Cheim, con-
seiller du ministère des rites.
M. Boulanger, ministre des colonies, et M.
de Lanessan, gouverneur général de l'Indo-
Chine, ont présenté les mandarins à M. Car-
not. -
Les trois mandarins avaient revêtu le ri-
che costume national,tout en soie et or ; leurs
cheveux tressés en natte étaient emprison-
nés dans de superbes foulards. La robe du
troisième régent était tissée en or ; celle du
ministre honoraire était tissée sur fond noir
et or; celle du conseiller du ministère des
rites, sur fond bleu de paon. Chacun des
mandarins portait d'épaisses sandales à se-
melles de feutre.
Après plusieurs révérences et saluts, ils ont
remis à M. Carnot une boîte recouverte de
soie jaune, contenant à son adresse une lettre
de l'empereur d'Annam.
En remettant cette boite, le troisième ré-
gent a, en annamite, affirmé l'affection de
l'empereur d'Annam pour la France et son
respect pour la personne de M. Carnot.
Ce discours a été traduit en français par
l'interprète.
M. Carnot a répondu qu'il remerciait l em-
pereur des vœux qu'il faisait pour le gouver-
nement français et pour lui et des magnifi-
ques cadeaux qu'il lui a envoyés.
Ces cadeaux sont exposés dans le salon dit
des Cinq-Sens.
Signalons, parmi les objets envoyés par
l'empereur d'Annam, une tenture en soie
jaune portant en broderie rouge une adresse
au président de la République, dont voici la
traduction :
Nous vous prions d'agréer les vœux que respec-
tueusement nous formons pour la paix et la pros-
périté du gouvernement de la République fran-
çaise et pour sa splendeur.
Que le brillant éclat de ses vertus éclaire l'An.
nam et rejaillisse sur lui!
Fait à Hué, en l'an Giapngd, le sixième du rè-
gne de Than Thy, un bon jour du commencement
du printemps.
Un autre don consiste en un grand vase de
porcelaine dont la décoration comporte un
arbre chargé de fleurs représentant la pros-
périté de la vie.
Citons encore deux arbres dorés sous vi-
trins, dont la réunion représente l'alliance de
la France et de l'Annam, sept sapèques en
or et sept sapèques en argent, pièces histori-
ques de l'histoire de l'Annam.
La réception officielle terminée, un lunch a
été servi, après lequel les mandarins se sont
< retirés.
CHRONIQUE
L'histoire est à la mode. Dieu sait si
l'on s'est occupé de Napoléon depuis deux
ou trois ans et, en évoquant cette granae
figure, ayant trouvé le moyen d'être ty-
rannique encore quelque soixante-quinze
ans après sa mort, à quelles conclusions
merveilleusement contradictoires sont ar-
rivés des chercheurs animés d'un zèle
égal t La matière, tout de même, com-
mence à être épuisée. Voici qu'après le
grand empereur on fouille avec curiosité
l'existence de l'autre, le neveu, ce qui est
tout autre chose! Dans cent ans, de ce-
lui-ci on fera peut-être aussi un person-
nage de drame — et quel dénouement
aura ce drame f — mais ce sera une entre-
prise difficile de faire vibrer la foule, car
ce ne seront plus là, hélas 1 des souvenirs
prestigieux qui seront en cause. L'homme
cependant, quand on cherche à se dégager
de toute passion apparaît romanesque,
avec je ne sais quoi de fatal le menant ;
au-dessus de lui.
En attendant, en cette vie mouvemen-
tée et singulière, c'est aujourd'hui l'épi-
sode de l'évasion du fort de Ham qui re-
vient sur l'eau. La légende du maçon
Badinguet, complice prétendu de cette
évasion, déjà très ébranlée, est complète-
ment détruite. Son rôle est contesté par la
simple raison qu'il n'exista jamais. Ce
petit débat historique fit répandre beau-
coup d'encre. M. Hachet-Souplet l'a ou-
vert de nouveau, ou plutôt, se trouvant par
traditions de famille en mesure d'être bien
informé, il répond aux assertions de sir
Drummond Wolff qui, il y a quelque
temps, dans ses Souvenirs, assurait que
l'évasion avait été préparée et rendue pos-
sible par le concours d'un publiciste diri-
geant à Saint-Quentin un journal, M. Ca-
lixte Souplet, qui, quoique républicain,
s'était vivement intéressé au prince Louis-
Napoléon prisonnier.
M. Hachet-Souplet est le petit-fils de
Calixte Souplet, qui est mort en 1867. Il
établit qu'il n'y a, dans le récit de l'An-
glais Drummond Wolff, que pure imagi-
nation. Calixte Souplet entra, en effet,
très avant dans l'amitié du prince, qui
voyait en lui un confident de ses rêveries
socialistes, mais il ne participa en rien à
sa fuite. Il ne la connut même qu'après
coup, en même temps que tout le monde,
et Louis-Napoléon mit plusieurs jours à
lui envoyer, de Londres, le récit sommaire
des péripéties de son départ. - Cettre lettre,
entre parenthèses, est fort curieuse. Le
prince y contait que, en arrivant à Lon-
dres, il avait vu des hommes du peuple
« pleurer de joie » en apprenant qu'il avait
reconquis sa liberté. Cet attendrissement,
allant jusqu'aux larmes, d'ouvriers an-
glais est un peu étonnant.
Les relations du prince avec Souplet,
qui rédigeait le Guetteur de Saint-Quen-
tin, s'étaient nouées dès 1842. En les si-
gnant de deux X, Louis-Napoléon donna
nombre d'articles à ce journal sur une
foule de questions; il y fit notamment pa-
raître une étude historique sur Jacques II
d'Angleterre qui lui permettait de trans-
parentes allusions modernes, et des étu-
des critiques sur l'organisation militaire
de la France, qu'il est lamentable de re-
trouver sous sa plume. « Le terrible
exemple de Waterloo, y disait-il, ne nous
a pas profité f » Ailleurs, il prêchait l'en-
tente entre le clergé et l'Université, ou il
revenait sur sa brochure, fameuse par ses
utopies, Y Extinction du paupérisme.
bouplet revoyait vraisemblablement ces
travaux philosophiques du prince, avait
avec lui de fréquentes conversations. Son
rôle se bornait là. Quand Louis-Napoléon
fut au pouvoir, le journaliste non seule-
ment ne lui demanda rien, mais ne se fit
pas faute de le combattre. Le Guetteur,
qui avait donné asile aux élucubrations
du prince pendant sa captivité, fut même
supprimé en 1857, ce qui est un bel exem-
ple d'ingratitude. ou de rouerie politi-
que, car il pouvait déplaire à l'empereur
qu'on pût facilement consulter une collec-
tion qui contenait l'exposé d'opinions qui
avaient diablement cessé d'être les sien-
nes.
Ceci dit, M. Hachet-Souplet, d'après les
notes laissées par son grand-père ou des
conversations avec les survivants de ceux
qui connurent Louis-Napoléon à Ham, a
évoqué le prince en sa prison. Quand il y
arriva, un garde du génie, nommé Flajol-
lot, s'imagina naïvement que c'était pour
y être lusille et se prépara de bonne foi a
empêcher ce meurtre par tous les moyens
en son pouvoir. Louis-Philippe n'était pas
aussi sanguinaire, et Flajollot en fut pour
ses préparatifs, qu'il sut rappeler, d'ail-
leurs, au bon moment en demandant une
pension.
Louis-Napoléon ne fut pourtant assez
durement traité que pendant trois jours,
durant lesquels on le priva de plume, de
papier, de livres, de couteau. Son instal-
lation fut bientôt plus confortable, encore
que les dépenses de sa table n'eussent été
fixées d'abord qu'au chiffre de sept francs
par jour. Il avait trois pièces à sa dispo-
sition. Peu à peu il fut autorisé à monter
à cheval dans l'enceinte du fort, à recevoir
des visites,— il recevait jusqu'aux enfants
d'une pension auxquels il donnait à goû-
ter — et sa correspondance ne fut plus
soumise qu'à de légères formalités. Au
reste, son valet de chambre, Thélin, sor-
tait librement, et le commandant du fort,
Demarle, ne visait, par suite, que les let-
tres qu'on voulait bien lui montrer.
Le prince portait alors un étrange cos-
tume, moitié militaire et moitié civil : une
tunique bleue, un pantalon à la hussarde,
un kepi rouge. Ce costume, joint au pres-
tige du malheur, contribua-t-il à allumer
des incendies dans le cœur de quelques
jeunes femmes de Ham ? En prison, il eut
des maltresses. Une romanesque petite
personne avait, paraît-il, soupiré en vain
pour le prince et avait fini par se ra-
battre sur son valet de chambre. Mais
Louis Napoléon fut moins insensible aux
charmes d'une fillette, Alexandrine Ver-
geot, qu'on appelait la « Belle Sabotièreib.
On sait qu'il eut d'elle deux enfants, aux-
quels, devenu empereur, il attribua un
titre de comte et qui, plus tard, lui cau-
sèrent quelque ennui.
Peut-être eût-il pu s'évader déjà au
moment - du retour des cendres ; la garni-
son de Ham était alors composée, par un
hasard curieux, de détachements des 42*
et 46e régiments de ligne — de ceux qu'il
avait harangués à Strasbourg et à Bou-
logne. En décembre 1840, on lui avait
offert d'organiser un complot. Au dehors
il eût trouvé des amis qui l'eussent con-
duit jusqu'à Paris. Mais sans doute pen-
sa- t-il que la captivité, l'apparence du
malheur lui étaient nécessaires pendant
quelque temps. Peut-être aussi redouta-
t-il un piège.
En 1846, il avait un prétexte sentimen-
tal pour justifier son évasion : le refus qui
lui avait été fait par le gouvernement
quand il avait demandé d'aller à Florence
fermer les yeux. à son père (lequel se sou-
ciait assez peu de lui), en engageant sa
parole de venir se reconstituer prison-
nier. Alors il s'employa avec décision 4
se rendre libre.
Le comte Orsi, qui avait participé à
l'expédition de Boulogne, se procura cent
cinquante mille francs en les empruntant,
non sans peine, au duc de Brunswick,
abusé, à la fin, par d'étranges promesses.
On sait que des travaux accomplis dans
le fort et y amenant un va-et-vient d'ou-
vriers servirent ses projets. Tout fut dé-
cidé pour le 25 mai.
Par l'entremise du frère de lait du prince,
Bure, le valet de chambre Thélin s'était
procuré une chemise de grosse toile, deux
blouses (achetées cinq francs vingt-cinq
centimes), une casquette de drap, un ta-
blier, un foulard, un pantalon de toile. Le
matin du 25, Louis-Napoléon écrivit, en
se plaignant d'être indisposé, à l'abbé
Tirmache, pour le prier de remettre la
messe qu'il devait dire au fort. A six heu-
res et demie, les ouvriers peintres qui
travaillaient aux boiseries du logement
du prisonnier étaient conviés par Thélin
à venir boire un verre de vin au rez-de-
chaussée. Un seul, nommé Hébert, refusa
d'abord et faillit, parson obstination,faire
tout manquer. Pendant ce temps, le prince
coupait ses moustaches, revêtait son cos-
tume, plaçait sur son épaule une planche
de sa bibliothèque, et tandis que Thélin,
qui avait faussé compagnie à ses invités,
éclairait le chemin en causant avec les
gardiens avec une apparente indifférence,
il traversait la cour remplie de soldats, se
heurtait au lieutenant de service, lais-
sait alors tomber la pipe qu'il avait à la
bouche pour avoir un prétexte pour se
baisser, demandait la porte d'une voix
rude, gagnait la campagne, était rejoint
par Thélin, montait dans le cabriolet re-
tenu par celui-ci, brûlait le pavé jusqu'à
Saint-Quentin.
Il avait caché la blouse, dont il s'était
défait en hâte, dans un fourré, où elle fut
découverte par un laboureur, Camus, qui
parla de sa trouvaille. Sa femme était en
train de la laver quand les gendarmes
vinrent la lui retirer des mains.
Cette blouse historique, laissée après le
procès au docteur Conneau, qui la remit
au directeur du Guetteur, M. Hachet-
Souplet la possède aujourd'hui. Elle est
en coton croisé bleu ; l'énergique lavage
de la femme Camus l'avait un peu décou-
sue. Elle porte encore les cachets du tri-
bunal. Il y a de quoi réfléchir devant cette
défroque. Sans cette blouse, l'histoire
était-elle modifiée ? Dans sa lettre à Sou-
plet où il lui narrait son évasion, le
prince ne dédaignait pas les jeux de mots
et appelait la planche qu'il avait placée sur
ses épaules sa planche. de salut.
Dans tout ceci, il n'y a point ombre de
Badinguet. Bure, homme d'ordre, avait
inscrit le prix, s'élevant en tout à vingt-
cinq francs, du travestissepaent acheté à
Paris, qui devait rendre la liberté à Louis-
Napoléon. Il y avait ajouté une mention
singulière : « Payé à M. Paulin, facture
d'un cliché du talisman de Charlemagne,
12 francs. » Etait-ce là un talisman qu'a-
vait souhaité le prince, ne se contentant
pas de la lettre de Napoléon qu'il portait
sur lui ?
En 1856, l'empereur, dans une partie
improvisée, emmena l'impératrice à Ham
pour lui faire visiter sa prison. Il n'avait
pas annoncé son arrivée. Le soldat de
garde refusa de laisser entrer le souverain.
— «Quand même vous seriez le petit capo-
ral. », dit avec quelque variante l'inflexi-
ble factionnaire. Ce souvenir n'était
point pour déplaire à l'héritier de l'Au-
tre.
Paul Ginisty.
L'Affaire UMj-k Talloyrand
NOTRE ENQUÊTE
Notre article d'hier sur cette lamentable
affaire a produit une profonde sensation ; il
a fait les frais de toutes les conversations au
Palais de Justice.
Tout le monde est d'avis que le comte Elie
de Talleyrand était léger et dans sa façon
d'agir et dans ses affaires, voire même dans
le choix de ses amis. Mais on est convaincu
qu'il n apasfaitde faux, ni substitué de chiffre
à un autre, ni commis d'abus de confiance. Ses
difficultés avec M. Max Lebaudy doivent
plutôt avoir pour point de départ une inter-
prétation défavorable—pour M. de Talleyrand
— d'un certain traité signé entre les deux
amis et que M. Dopffer doit posséder à l'heure
qu'il est.
Dans l'entourage du prince de Sagan on
croit que cette triste affaire sera réglée dana
les quarante-huit heures.
Certains amis et parents éloignés du jeune
comte Elie, connaissant bien les désirs de la
princesse sa mère, craignent qu'elle n'exploite
la pénible situation de son fils à son désavan-
tage.
Ils ne comprennent pas, en effet, pour
quelles raisons certains journaux prétendent
que le comte Elie avait été atteint d'une ma-
ladie de cerveau à la suite d'une grave fièvre
typhoïde. Le comte Elie n'a jamais été malade
de sa vie.
Ce qui est certain, c'est que Mme de Sagan,
réservant pour son fils cadet toutes ses ten-
dresses — et très irritée contre l'aîné—avait,
il y a quinze ans de cela, formé le projet de
le faire entemex dau une maison de santé.
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