Titre : Le XIXe siècle : journal quotidien politique et littéraire / directeur-rédacteur en chef : Gustave Chadeuil
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1894-03-22
Contributeur : Chadeuil, Gustave (1821-1896). Directeur de publication
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Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
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Description : 22 mars 1894 22 mars 1894
Description : 1894/03/22 (A24,N8102). 1894/03/22 (A24,N8102).
Droits : Consultable en ligne
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Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-199
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 29/04/2013
VINGTQUATRIÈME ANNÉE. — N* 8,102
I., LE NUMÉRO CINQ CENTIMES
JEUDI 22 MARS IS94
ï f 1 OT^n V
REDICTlOli ET IDIIIIISTRATIOI
142, Rue Montmartre
PARIS
DIRECTEUR POLITIQUE
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KO SU TH
Kossuth avait depuis longtemps quitté
la scène du monde. De Turin, où il
achevait de vieillir et de vivre, il regar-
dait tourner sous le souffle des événe-
ments les feuillets de l'Histoire dont il
avait écrit une page glorieuse.
Il no tenait plus de place que dans la
mémoire des hommes. On eût dit qu'il
était entré dans la paix du tombeau il
y a de longues années, et que la mort
entourait déjà son nom de son auréole.
Quand on passait sous les fenêtres de
ce vieillard, le regard montait respec-
tueusement vers la petite lumière qui
brillait derrière les vitres, et on se di-
sait que cette humble lueur avait illu-
miné jadis tout un peuple.
Le grand soldat de la Hongrie appar-
tenait à la période héroïque de la ré-
volution européenne. Comme Manin à
Venise, comme Garibaldi à Naples, il
avait marché en avant, sans songer à
des intérêts matériels, guidé par une
idée étincelante devant lui, pareille à
une étoile.
Vaincu, réfugié sur la terre étran-
gère, devenu aveugle, il ne regardait
plus que dans le lointain qui s'efface
chaque j our davantage, dans les brumes
du passé. Il savait que son œuvre hu-
maine était achovée, et il se fiait à la
justice de l'avenir pour lui faire la
place méritée par son patriotisme.
Cette justice, ses contemporains la lui
rendaient ; et il n'avait dépendu que de
sa seule volonté de rentrer triomphale-
ment dans son pays, pourvu qu'il en
accepiât les lois.
Mais cet homme de quatre-vingt-huit
ans avait gardé l'âme d'un Catonde la
Rome antique. Jamais il n'avait con-
senti à capituler devant la dynastie des
Habsbourg.
Il se croyait un drapeau que la force
avait renversé, mais qu'il ne voulait
pas incliner. Il était décidé à mourir
irréconciliable, debout, personnifiant
la cause de l'indépendance de la Hon-
grie, sans réserves, sans restrictions.
Comme Victor Hugo, avec moins
d'éclat peut-être, mais avec autant d'é-
nergie, il avait juré que « s'il n'en était
plus qu'un,il serait celui-là».et il le fut.
Lorsque après Sadowa le gouverne-
ment autrichien affolé comprit que
l'heure des résistances était passée et
qu'il fallait s'arranger avec Pesth,puis-
que la victoire implacable venait do se
prononcer pour Berlin, Kossuth eût
voulu pousser les choses à l'extrême. Il
repoussa de toutes ses forces la poli-
tique du compromis avec Vienne dont
Deak fut le célèbre inspirateur.
L'accord austro-hongrois qui a con-
sacré l'état de choses actuel n'eut ja-
mais son approbation. Il ne voulait pas
du dualisme qui a créé en définitive
une Hongrie affranchie, ayant seule-
ment le même souverain que l'Au
triche.
Toutefois, il ne passa jamais du blâme
théorique à la résistance pratique. Il
sentait que les esprits ne marchaient
plus à sa suite, et il comprit la leçon
que lui apportait sur la terre italienne
le deuil de la Hongrie, quand Deak suc-
comba.
En entendant décerner le nom de sage
à celui qui avait pratiqué au plus haut
point la politique des résultats, Kos-
suth put se dire qu'il demeurait l'image
d'une époque à jamais disparue, celle
où l'on se faisait tuer pour sa cause,
sans aucun espoir de la faire triom-
pher, uniquement afin d'arroser de son
sang un principe.
Son rôle, qui avait été immense en
1848, ne fut plus après l'écrasement
de la Hongrie sous les armées combi-
nées de la Russie et de. l'Autriche en
rapport avec ce que l'on aurait pu at-
tendre d'un ancien dictateur.
Non qu'il n'ait eu le désir, notam-
ment en 1859 lors de la guerre d'Ita-
lie, de remonter à cheval, mais la Hon-
grie ne l'aurait pas suivi. Ses lieutenants
étaient venus se ranger dans l'état-
major de Victor-Emmanuel. Il se j ugea
avec raison trop grand pour les y ac-
compagner.
Par un étrange retour des choses d'ici-
bas qui montre la fragilité humaine,
même celle de la haine, l'empereur
François-Joseph ne s'oppose pas à ce
que les compatriotes de Kossuth ren-
dent à ses cendres de significatifs hon-
neurs.
Les Chambres suspendront leurs séan-
ces en signe de deuil et des députations
officielles feront escorte à son cercueil.
Voilà donc, au bout de moins d'un
demi-siècle, ce qui reste de tant de co-
lères accumulées contre un homme.
Le jour viendra où sa dépouille. mor-
telle sera rapportée dans une apothéose.
Lui aussi aura son retour des cendres.
Ce sera juste, parce que Kossuth
aura légué au monde le solennel exem-
ple d'un homme qui a disposé des for-
ces et des trésors d'une nation et qui
n'avait rien emporté avec lui.
Dans son modeste logement en Pié-
mont, nul -s'il ne l'avait su n'aurait de-
viné celui qui avait secoué si fort le
trône impérial autrichien qu'il l'eut
renversé si l'empereur de Russie n'était
pas intervenu. -
De ce souvenir, Kossuth avait gardé
un ressentiment profond contre les
Russes. Il les détestait, et dans un ac-
cès de colère on l'entendit regretter
une fois que les Hongrois eussent op-
posé jadis une barrière vivante à l'in-
vasion de l'Europe parles Turcs.
Il aimait dans la France le germe
de la Révolution que notre pays a semé
en 1789 dans l'univers entier. Mais il
ne jugeait pas et ne sentait pas comme
les Français. Il était resté immobile,
assis sur le sommet d'une idée.
C'est ainsi que l'éternité commence
pour lui. Dans le monde entier les sol-
dats des idées libérales se découvriront
devant son cercueil et l'on mettra un
crêpe aux statues de la Liberté ; car Kos-
suth a cru en elle, a vécu pour elle et
ne l'a jamais reniée.
Ilsait.
"1.1iiJQl.I. J-
I. Ernest Boslaapr liaistre des Colonies
M. Ernest Boulanger, sénateur de la Meuse,
depuis plusieurs années rapporteur général
du budget au Luxembourg, est nommé mi-
nistre des colonies.
Rien dans les travaux antérieurs du nou-
veau ministre ne semblait le destiner à un
pareil portefeuille dont le titulaire, à ce qu'il
semble, devrait posséder une compétence
toute spéciale.
Jusqu'à l'âge de cinquante-quatre ans
M. Boulanger - qui compte actuellement
soixante-deux hivers, — a mené l'existence
laborieuse et modeste des employés de l'en-
registrement. Successivement commis-rédac-
teur, sous-chef, chef de bureau, administra-
teur, puis directeur général de l'enregistre-
ment, des domaines et du timbre, M. Bou-
langer (Ernest) se présenta aux élections sé-
natoriales en 1886 dans la Meuse, son pays
d'origine.
Une fois élu, il fit liquider sa pension de
retraite, sollicita et obtint la cravate de com-
mandeur de la Légion d'honneur et se défit
des opinions cléricales qu'il affichait à un-e
époque où le cléricalisme pouvait favoriser
ses projets ambtieux.
A peine installé au Luxembourg, M. Bou-
langer se réclama de sa compétence en ma-
tière fiscale pour briguer le rapport du bud-
get. Il convoitait alors le ministère des finan-
ces.
Une homonymie fâcheuse l'empêcha, au
cours du boulangisme, de décrocher le porte-
feuille de ses rêves. D'autre part, au Sénat
même, les allures cassantes, le tempérament
autoritaire — mal dissimulé — de l'ancien
directeur général de l'enregistrement ne tar-
dèrent pas à lui aliéner beaucoup de sympa-
thies.
Toutefois, comme M. Boulanger ne redoute
pas le travail qui peut être utile à ses inté-
rêts, comme le rapport général du budget est
une lourde charge, il devint le rapporteur at-
titré de la hauts assemblée.
Ayant vu le portefeuille des finances lui
échapper, le sénateur de la Meuse chercha,
d'un autre côté, les avantages matériels qu'il
n'espérait plus obtenir de la vie politique. Il
réussit à se faire agréer comme président du
conseil d'administration de la Compagnie des
omnibus et, dans le grand public comme dans
le personnel de la compagnie, on n'a pas ou-
blié la raideur dont M. Boulanger fit preuve
lors des revendications et des grèves de ces
dernières années.
L'honorable sénateur n'a d'ailleurs pas
ud seul instant hésité à accueillir l'offre qu'a
cru devoir lui faire M. Casimir-Perier. En ef-
fet, depuis huit ans qu'il rêve de devenir
« Monsieur le ministre », c'est la première
fois que M. Boulanger se voit l'objet d'une
proposition ministérielle.
Il s est d autant plus empresse a accepter le
ministère des colonies que ce nouveau porte-
feuille n'est, à ses yeux, que le premier pas
dans la carrière ministérielle.
Ce que M. Boulanger convoite, c'es la suc-
cession de M. Burdeau, et si le ministre des
finances, assez fatigué, on le sait, venait à ré-
signer ses fonctions, M. Boulanger passerait
très volontiers — et très naturellement, pense-
t-il — du pavillon de Flore au Louvre, en at-
tendant mieux, car le ministre des colonies
d'hier appartient à cette catégorie d'hommes
politiques qui prennent volontiers pour de-
vise celle de Fouquet : Quo non ascendant ?
(Où ne monterai-je pas ?)
Les votes de M. Boulanger et le ministère
des colonies
La question du ministère des colonies s'é-
tant posée l'année dernière au Sénat, nous
avons recherché quelle avait été l'attitude de
M. Ernest Boulanger.
Dans sa séance du 1er mai dernier, le Sénat
votait, par 178 voix contre 40, une disposition
de loi ainsi concue :
« Le ministère de la marine est chargé de
l'administration générale des colonies. »
Or dans cette question qui engageait le
principe d'un ministère des colonies, M. Bou-
langer s'est abstenu.
Dans la séance du 13 mai, on discuta en
deuxième délibération le même projet.
MM. Charles Dupuy, alors président du
conseil, et Delcassé, sous-secrétaire d'Etat
aux colonies, intervinrent dans le débat pour
déclarer qu'ils étaient opposés au rattache-
ment des colonies à la marine et ils annoncè-
rent le dépôt prochain d'un projet de créa-
tion d'un ministère spécial des colonies.
L'ajournement du débat fut donc demandé
afin d'attendre le dépôt du projet ministé-
riel.
Dans ce scrutin, M. Boulanger vota contre,
avec MM. le général Billot et Lenoël qui
étaient les défenseurs acharnés du rattache-
ment à la marine.
Des votes émis par M. Boulanger il résulte
donc que le nouveau ministre était hostile à
la création d'un ministère spécial.
Les omnibus
M. Ernest Boulanger a donné, hier, sa dé-
mission de président du conseil d'admistra-
tion de la Compagnie des omnibus de Paris; il
sera vraisemblablement remplacé par M. Er-
nest Camescasse, vice-président, membre da
comité de diréctiilt ,'-- -
LE SUICIDE DE Me PINARD
LES DERNIÈRES LETTREt
Les amours d'un sénateur. - Promettre
et tenir font deux. — Trahison
de l'un et suicide de
l'autre.
Il y a trois jours, nous avons annoncé le
suicide de Mlle Alix Pinard, compositeur de
musique de talent. Ce suicide, écrivions-nous,
doit cacher un mystère douloureux. » On sait
aujourd'hui pourquoi Mlle Alix Pinard, sœur
de notre ancien confrère Albert Pinard, ac-
tuellement vice-consul à Andrinople, s'est
tuée, en allumant deux réchauds de charbon
de bois dans sa chambre de la rue du Mar-
ché, à Neuilly.
M. LE SÉNATEUR DIDE
11 y a une quinzaine d'années, M. le pasteur
Dide, sénateur du Gard (non réélu en 1894),
entra en relations avec la famille Pinard; il
ne tarda pas à s'éprendre de Mlle Alix, qui
avait alors trente ans et qui joignait à
une remarquable beauté les plus heureux
dons de l'esprit. M. Dide produisit une vive
impression sur Mlle Pinard. Il était marié,
mais déclara à la jeune femme qu'il romprait
cette union pour l'épouser.
En effet, il introduisit une demande en di-
vorce. Alix consentit à vivre avec lui. Mais
le divorce traînait, traînait; il fut enfin pro-
noncé. mais dans des conditions que M. Dide
jugeait, disait-il à sa maîtresse, inaccep-
tables. « Il faut que je fasse appel de ce juge-
ment. »
Sur ces entrefaites, M. Dide se remaria, dis-
simulant, grâce à de nombreuses précautions,
cette union i Mlle Pinard.
Cependant M. Dide ne reparaissait plus
que rarement, il laissait sans réponse toutes
les lettres.
Cette situation douloureuse durait depuis
trois années lorsque, il y a quelque temps,
sur les instances de Mme Chapelet, une amie
d'enfance, Mlle Pinard se détermina à obtenir
une solution. Elle la chargea de savoir si le
divorce était enfin devenu définitif. Mme Cha-
pelet apprit en même temps le divorce et le
nouveau mariage, mais elle n'osa rapporter
à son amie que la première partie de cette
nouvelle. *
Mlle Alix voulut alors voir M. Dide et pria
Mme Chapelet de l'accompagner. C'était ven.
dredi dernier.
— Nous arrivons chez le concierge, raconte
Mme Chapelet :
- M. Dide est-il chez lui et peut-il me re-
cevoir? demande Mlle Pinard.
- Iais je pense que oui, répond le con-
cierge. M. Dide n'est pas « sorti, madame est
malade.
- Comment, madame?
— Oui, madame Dide.
Soutenue par sa fierté, mon amie ne trahit
eucune faiblesse; elle voulut aussitôt monter
chez M. Dide; j'ai essayé de l'en dissuader;
ce fut inutile.
Elle se fit annoncer sous mon nom et nous
entrâmes ensemble. En la voyant, M. Dide fut
pris d'une sorte de tremblement : il s'accro-
chait aux murs, l'invitant à passer dans son
cabinet, car il redoutait que sa femme n'en-
tendît la scène qu'il prévoyait.
Je ne vous répéterai pas les reproches dont
elle l'accabla ; vous vous imaginez aisément
ce que fut cette dernière entrevue : il voulut
l'embrasser, il voulut s'agenouiller devant
elle.
— Misérable 1 si vous vous mettez à genoux,
je vous écraserai la tête comme à une vipère.
Si j'avais pu deviner votre infamie, je serais
venue ici avec un poignard; mais j'aime mieux
cela ; au moins je ne m'en irai pas dans l'au-
tre monde avec les mains sanglantes. Main-
tenant, je vais mourir.
— Oh ! on dit cela, mais on ne le fait pas !
— On ne le fait pas ! Moi je fais ce que je
dis.
Alors il essaya d'expliquer que, s'il s'était
muié, c'est qu'il avait besoin d'argent, qu'un
mariage riche s'offrait à lui, etc.
— Ne pouviez-vous au moins m'avertir ?
répliqua-t-elle.
— Mais je vous ai avertie.
- Menteur ! et comment?
— Mais, les journaux ont annoncé mon
mariage.
— Lesquels? Les Petites Affiches, peut-
être ? Je ne l'ai vu annoncé nulle part, et
est-ce là une façon de m'avertir ?
J'abrèse cette scène. En sortant. fiére et
tragique, Alice répéta : ---- --
— Je vais mourir, c'est vous qui êtes la
cause de ma mort ; mais avant de quitter
cette existence, j'appelle sur cette maison la
malédiction divine.
Mlle Pinard rentra chez elle; elle écrivit
au propriétaire de l'immeuble qu'elle habite,
et on la retrouva le lendemain étendue sans
vie sur son lit, en toilette de mariée; sur un
guéridon, une lettre adressée au commissaire
de police : « Si par malheur je n'étais pas
morte, terminait-elle, je demande qu'on ne
me donne aucun soin et qu'on me laisse mou-
rir tranquille, sinon je recommencerai. »
LA LETTRE AUX AMIS
Mlle Pinard avait prévenu également une
famille amie de sa triste résolution.
Voici cette dernière lettre :
Chers amis,
A vous deux, je dis : je vais mourir. J'ai été
odieusement et lâchement trompée par Auguste
Dide, ancien sénateur (18, rue Nicole, Paris). Il
est marié.
Pour moi l'outrage est trop grand, je préfère
mourir. Il m'a avoué, hier, qu'il s'était marié pour
la somme d'argent que lui apportait sa femme, et
moi, à qui depuis huit ans, à diverses reprises,
il avait fait les offres do mariage les plus formelles
et les plus précises, il m'a sacrifiée sans honte.
Voilà la vérité de ses enthousiasmes passion-
nés.
Ce qui me navre est la douleur de ma sœur bien-
aimée; je souffre un supplice tel pour elle que
c'est pis que laimort.
Je vous envoie, cher ami, les deux lettres que
j'ai écrites à ce misérable en 1892 et en 1894. Vous
j ugerez.
j a J'ai eu toutes les tendresses et tous les dévoue-
ments; j'ai subi pour lui des calomnies atroces
et il a eu le triste courage de me faire languir
sans me rien dire et finalement de violer ses pro-
messes et sa parole qui me semblaient sacrées.
Je veux espérer que vous ne m'abandonnerez
pas a cette heure suprême.
Vous.trouverez ici deux ou trois amis.
Voulez-vous accepter — ce qui sera facile -
d'être celui qui fera exécuter mes dernières vo-
lontés.
Mon testament est fait et tout est en ordre.
Adieu, chers amis, adieu pour toujours. J'ai
bien souffert et je vais ne plus souffrir.
ALIX PINARD-DÔGES.
10, rue du Marché (Neuilly-s.-Seine).
Samedi, 17 mars 1894.
L'adresse de ma sœur bien-aimée est chez Mme
la comtesse Ezsterhazy.
8. Bel Torda uteza. Rolozswar
, Hongrie.
DEUX LETTRES
Mlle Pinard parle de deux lettres envoyées
4 M. Dide en juillet 1892 et en février 1894.
Dans la première, elle s'étonne du silence de
M. Dide. Elle lui parle de son amour, de son
dévouement:
La preuve, bien cher ami, que yotre tendresse
m'est extrêmement précieuse, c'est que pour vous
j'ai tout refusé, tout repoussé. Depuis six ans,
j'aurais pu être heureuse, brillante, riche, que
sais-je ? Je crois vous avoir parlé du comte Albert
de .;.' Je reconnaissais ses mérites et j'étais
touchée de sa persévérante affection. Ce n'est que
sur ma volonté expresse qu'il s'est retiré dans ses
domaines à l'étranger. Il m"a attendue, espérée
des années, m'offrant son grand nom, ses, titres
héréditaires et séculaires, sa fortune de plusieurs
millions bien authentiques et bien palpables, et
tout ce qui s'ensuit.
Il y a peu de mois, un autre personnage — qui
m'est complètement indifférent — m'écrivit qu'il
pensait que je ne dédaignerais plus de porter son
nom (sic). Il crut me trouver plus favorable parce-
qu'il venait d'être nommé à un poste très considé-
rable dans la haute magistrature. - -
Je n'ai pas hésité un seul instant à refuser tout
cela. J'ai considéré - et je considère,-- qu'impec-
cable est votre loyauté et que vos promesses de
mariage, faites à moi si librement, sont aussi sa-
crées que si déjà elles étaient sanctionnées par la
loi.
Je vais attendre et espérer encore, njoute-t-elle,
un certain laps do temps ; si à ce temps marqué
je ne suis pas votre femme ou bien près de l'être,
eh bien 1 tout sera dit : je mourrai.
Dans la seconde, qui est la dernière écrite à
M. Dide, datée du 4 février 1894, elle lui rap-
pelle ses offre et promesses de mariage. « Qui
vous y forçait ? lui demande-t-elle. J'ai cru à
votre parole. »
En 1890 le divorce fut prononcé. Vous êtes venu
me dire que le jugement rendu contre vous était
injurieux, qu'il vous fallait recommencer en ap-
pel, etc., etc.
Avec tout mon courage, je me suis persuadée
que votre nom devait sortir intact de ce procès et
que je devais être la première- à accepter cette
moavelle épreuve sans vous montrer mon découra-
gement.
Mais, voyant qu'après chaque ctape il fallait tou-
jours atteindre une étape nouvelle, la désespé-
rance m'a gagnée.
Deux fois, vous m'avez dit : « Je suis tenu par
mes fils. » De quelle manière? -
Et plus loin :
Vous avez réussi à faire de moi l'être le plus
malheureux qu'il y ait sur terre. Vous me disiez
un jour : « La destinée est amère, nous aurions
été heureux. » Certes, j'aurais tâché de vous faire
oublier les misères morales endurées.
Heureux, je vous aurais aimé, malheureux, je
vous aurais consolé.
Adieu, j'ai le cœur trop navré.
Alix PINARD-DÔGES.
10, rue du Marché, Neuilly-sur-Seine.
Quelques jours après, 1 la malheureuse
femme tenait, elle, la promesse faite : elle se
suicidait.
LES OBSÈQUES
Les obsèques ont eu lieu hier à midi.
Quelques amis ont accompagné la pauvre
morte dont le corbillard était rempli de
fleurs. M. le pasteur Duchemin est venu ré-
citer quelques prières dans la chambre mor-
tuaire et le cortège a pris aussitôt la direction
du cimetière Montparnasse où la famille pos-
sède un caveau.
Nous avons vu M. Dide, qui nous a dé-
claré :
Que jamais il n'avait promis le mariage à
Mlle Pinard; que, depuis le jour où il s'est
remarié, il avait rompu toute relation ; qu'il
n'est pour rien dans ce suicide et qu'il n'au-
rait jamais épousé une femme de son âge.
M. Dide a cinquante-quatre ans.
MORT DE KOSSUTH
Turin, 20 mars.
Kossuth, vient de mourir à dix heures cin-
quante-cinq du soir.
Louis Kossuth était né le 16 décembre 1802
à Monok (comitat de Zemplin, Hongrie).Il fut
d'abord avocat, ensuite, de 1842 à 1844, direc-
teur du Pesti Hirlap, organe de l'opposition
radicale. Elu à la diète hongroise, il inscrivit
dans son programme la libération des serfs,
la liberté de la presse, etc. Au mois de mars
1848, ministre des finances, puis président du
comité de la défense nationale, il fut le véri-
table organisateur de la lutte pour l'indépen.
dance de la Hongrie. Le 14 avril 1849, le
Reichstag de Debreczin, sur la proposition
de Kossuth, prononçait la déchéance de la
maison de Habsbourg-Lorraine.
Nommé gouverneur de la Hongrie, Kos-
suth dut battre en retraite devant les troupes
russes. Le 11 août, il remit le gouvernement
aux mains du général Georgéi et le 17 il fran-
chit la frontière de la Turquie. Interné d'a-
bord à Kustahia, dans l'Asie-Mineure, il se
rendit ensuite en Angleterre. Amnistié en 1867,
Kossuth n'a jamais voulu 'rentrer en Hongrie.
Depuis de longues années il vivait à Turin.
* LES VACANCES DU CONSEIL
Le conseil municipal doit se séparer ven-
dredi pour les vacances de Pâques ; mais,
avant la clôture de la session, il invitera le
préfet de la Seine à le convoquer au plus
tard dans la première semaine d'avril.
On prête à M. Poubelle l'intention d'ajour-
ner la rentrée du conseil municipal jusqu'au
commencement de mai; c'est pour paralyser
l'intention du préfet qu'une résolution, signée
de la moitié plus un des membres du conseil,
sera votée avant la fin de la session ac-
tuelle.
De son côté, M. Patenne, président du con-
seil général, va insister pour que l'assemblée
départementale ait une session distincte du
conseil municipal et se réunisse dans le cou-
rant du mois d'avril.
SUICIDE A LA PRISON DE LA SANTÉ
Les suicides dans les prisons sont à la
mode.
Lesteven, le « basculeur » de femmes, se
suicidait à la Roquette il y a trois semaines;
Malher, un malheureux innocefit arrêté com-
me anarchiste, se tuait il y a dix jours à Ma-
zas. et hier Lambert, ce boulanger qui avait
fait venir sa femme d'Amiens pour la forcer
à se suicider, était trouvé mort dans sa cel-
lule, à la prison de la Santé, par les gardiens
lorsqu'ils firent leur ronde le matin.
Lambert avaAt été condamné à huit ans de
réclusion par la cour d'assises de la Seine le
9 février dernier.
LA SITUATION POLITIQUE EN HOLLANDE
La Haye, 20 mars.
A la clôture, de la séance des Etats généraux, le
ministre Tak a annoncé que la seconde Chambre
avait été dissoute, la reine étant convaincue que
dans les circonstances actuelles l'appel à la nation
est désirable pour parvenir à une organisation sa-
tisfaisante du droit électoral.
Les élections législatives auront lieu le 10 avril ;
le scrutin pour les ballottages est fixé au 24 avril.
La prochaine, session de la seconde Chambre
swra ouverte le 16 mai.
TREMBLEMENT DE TERRE
: ,', Athènes, 20 mars. -
Ud violent tremblement do terre a été ressenti à
LariSftu De nombreuses maisons sont léwrdéès.
LA VIE DE PARIS
Pour de fameux potins, ce sont de fa-
meux potins que ceux que nous avons
aujourd'hui sur la planche.Tout d'abord,
une histoire obscure et douloureuse, celle
de ce sénateur, plus jeune et d'allure sé-
vère, qui se trouve mêlé à un drame-.l'a-
mour, à un suicide de femme. Trop légè-
rement, il me semble, on a déjà porté un
jugement sur cette triste aventure. On a
voulu voir dans l'homme qui s'y trouve
pris un galantin peut-être trop peu scru-
puleux. C'est vite dit. Il convient, je
pense, d attendre avant de juger. Et, en
tout cas, l'aventure ne saurait être trou-
vée plaisante que par des gens de peu de
cœur.
Ce qui me parait d'ordre plus gai, parce
que la vie de personne n'y est en jeu,
parce qu'il ne s'agit que d'argent, et ceci
entre des gens qui en ont et qui appar-
tiennent au monde des inutiles, c'est le
conflit qui vient de s'élever entre M. Max
Lebaudy et M. le prince Hély de Tal-
leyrand-Périgord. M. Max Lebaudy est ce
jeune homme qui a fait parler énormé-
ment de lui déjà dans un certain monde
dont tous les mondes sont curieux et qu'on
désigne sous le nom du « Petit Su-.
crier ».
C'est, en effet, le fils de ce M. Lebaudy
/VU t N Çit iTnû Ia tif N N a A,,1,..nnlA ;.1.- 1.,.
quL a ,,<.UOI uuo lynuuç i/uiudocuc UdUiJI il,
commerce et aucuns disent dans l'aceapa-
rement des sucres, et il est très petit de
taille : çle là le sobriquet. Le « Petit Su-
crier », qui vient d'atteindre sa majorité,
devait avoir un conseil judiciaire. Mais il
a gagné son procès, grâce à une admira-
ble plaidoirie de Me Waldeck-Rousseau
qui, hardiment et justement, a soutenu
cette thèse qu'un fils de famille prodigue
-était encore moins nuisible au point de
vue social que s'il était avare. Quant au
prince Hély de Talleyrand-Périgord, c'est
le fils du prince de Sagan, bien connu
comme homme de sport et arbitre des
élégances.
Or, sitôt majeur, M. Max Lebaudy a
fait paraître dans les journaux une note
que vous avez lue, où il est dit que les
traites et les billets qui existent de lui et
qui sont en circulation sont ou des faux,
ou des valeurs escroquées et extorquées
et qu'il ne les payera pas. Là-dessus, vi-
rulente protestation du prince de Talley-
rand-Périgord, signifiée par voie d'huis-
sier à qui de droit et où il est dit que la
note du « Petit Sucrier» est diffamatoire
pour le prince.
M. de Talleyrand-Périgord possède en ef-
fet, nous a-t-il appris, pour quatre cent
mille francs de traites de M. Lebaudy. Il
affirme que ces traites ont été signées de-
vant lui, qu'elles avaient un objet et qu'il
va, à l'échéance prochaine, poursuivre le
« Petit Sucrier» à la fois au ci vil et en poli-
ce correctionnelle. Ce sera un joli procès.
Ce qui serait assez piquant, ce serait de
connaître l' « objet » de ces traites, quelle
affaire, quelle convention leur donne
une valeur réelle? On sait que M. le prince
dé Talleyrand n'a pas de fortune person-
nelle, car il a eu des débats judiciaires
publics avec sa mère, Mme la princesse
de Sagan, à propos d'une pension alimen-
taire que celle-ci devait lui payer. Ce
jeune homme, comme on dit avec deux
expressions admirables, n'ayant pas réa-
lisé ses parents, vit d'espérances.
Il est donc invraisemblable qu'il ait pu
prêter vingt mille louis à son camarade de
cercle et de plaisirs. Le plus probable, ce
qui permet des réflexions sur le crédit à
Paris, c'est que les deux camarades au-
ront fait quelque affaire d'usure de compte
à demi et que M. Max Lebaudy, seul sol-
vable pour, le moment, envoie promener
l'usurier, soit que le billet ait été souscrit
quand il était mineur, soit que les condi-
tions du prêt lui aient paru trop onéreu-
ses. Oh ! il a de la défense, le « Petit Su-
crier >» !
Que disait donc l'avocat de Mme Le-
baudy mère, la célèbre « économe » de
Versailles, que son fils se ruinerait avec
les usuriers et les filles ? Déjà, au pro-
cès, M. Max Lebaudy a déclaré qu'il était,
auprès des demoiselles, un grand « po-
seur de lapins ». Et le voilà qui pose des
lapins aussi, des lapins gros comme des
lièvres, aux prêteurs ! Je ne saurais l'en
louer tout à fait et je suis frappé de cette
habileté redoutable chez un jeune homme
de vint et un ans.
On est injuste pour les courtisanes. On
s'en tient trop à la jurisprudence antique
où, une courtisane célèbre ayant cité en
justice un jeune homme qui lui avait
« posé un lapin », le juge condamna le
jeune homme à faire sonner un talent
d'or devant la plaideuse. « Elle t'a donné
l'ombre de son amour, disaient les consi-
dérants : tu lui dois le son de ton ar-
gent. » Arrêt digne d'un juge de la divine
et spirituelle Attique". Mais je trouve
excessive cette jurisprudence. Quand une
créature est réduite à vendre son corps,
je ne vois pas pourquoi on ne condamne-
rait pas l'acheteur à le payer ? Pour moi,
je considère que ne pas payer les dettes
d'amour ou les dettes de jeu, c'est tout
un, et, dans un cas comme dans l'autre,
une façon d'escroquerie. Escroquerie d'au-
tant plus fâcheuse qu'elle échappe à la loi.
Quant aux usuriers, appelés prêteurs
par les gens qui sont parlementaires, vous
pensez bien que ces espèces ne m'inspi-
rent pas une bien grande sympathie. Ce-
pendant, je ne suis pas très éloigné de
penser que, dans ces derniers temps sur-
tout, ils ont eu affaire à une génération de
jeunes gens qui ont tué le métier par leur
mauvaise foi.
De mon temps, les gens qui allaient
chez l'usurier, bourgeois ou gentilshom-
mes, pensaient tous comme le marquis de
Presles : « Le père Jacob peut être une
bonne canaille, mais on n'a le droit de le
penser et de le dire que si on le paye ».
Beaucoup de jeunes gens de notre temps
ont une autre façon de faire. Ils mettent
les usuriers dedans. Aussi devient-il plus
difficile d'en trouver et le crédit irregu-
lier se fait-il de plus en plus féroce, parce
qu'on le trompe. C'est bien le cas de dire
que le lapin a commencé. L'empruntcui
excipe de son état de minorité, du cot.~pi.
judiciaire, du taux de l'intérêt et lait
chanter le prêteur. Jejie trouve pas cela
bien joli.
Je ne sais pas si M. Lebaudy a suivi
cette méthode. Mais quand je le vois re-
fuser de payer ses traites, quelles que
soient ces traites,je me demande si, après
lui avoir voulu donner un conseil judiciaire
parcequ'il passait pour prodigue, il ne se-
rait pas bon de lui donner un tuteur qui
lui apprit à dépenser son argent et à mon-
trer un peu de mépris au moins pour I33
millions qui ne lui ont rien coûté que la
peine de naître.
Henry Fouquier.
MON CONTRE ROTHSGHILD
Nous avons recu la lettre suivante :
A monsieur le directeur du XIXe Siècle.
Monsieur le directeur.
-- 7
En annonçant que j'allais faire appel du
jugement intervenu dans mon procès contre
M. de Rothschild, président, et M. Weill, di-
recteur de la Société de transmission de la
force par l'électricité, le XIXe Siècle était
exactement informé.
Oui, JE FAIS APPEL, et comme le XIXo Siè-
cle l'a dit, ma cause sera défendue devant la
cour par Me Mlerand.
Il est d'usage constant au Palais, quand on
actionne une société anonyme, d'assigner seu-
lement le président du conseil d'adruinistra.
tion et le directeur. Nous l'avons fait. Le ju-
gement en décide autrement, évidemment à
cause de la personnalité de M. de Rothschild.
Les conseillers en appel jugeront autrement,
j en suis sûr, car nous aurons alors assigné
tous les administrateurs de la société qui,
d'après les statuts, ont seuls qualité pour la
.représenter en justice.
Je viens de recevoir le compte rendu sténo-
graphique des courts débats qui ont eu lieu
le 9 devant le tribunal.
Je remarque que Me Strauss, avocat de mon
adversaire M. de Rothschild, a affirmé que
j'avais connaissance d'une délibération du
conseil d'administration de la société, en mars
1891, désignant M. Weill, le directeur actuel,
pour ester en justice, au nom de la société.
Peut-être cette information a-t-elle iriflué sur
la teneur du jugement. En tout cas, Me Strauss
me permettra de lui dire que sa déclaration
constitue une contre-vérite.
Je l'affirme d'une façon absolue : j'ignorai.
cette délibération qui n'a pas été publiée. Si
nous avons assigné M. Weill conjointement
avec M. de Rothschild, c'est pour obéir à la
coutume constante.
Contrairement aux usages, Me Strauss a
introduit dans le dossier une lettre relatant
des pourparlers amiables qui n'ont point
abouti.
Cette communication m'autorise à agir
de même; je remercie fort l'avocat de
M. de Rothschild d'avoir ainsi agi, car je
n'aurais eu l'incorrection de commencer.
Me Strauss a bien mis dans son dossier la
lettre de M. Weill, mais il a oublié (?) d'y
joindre ma réponse. Serait-ce parce qu'elle a
été faite par lientremise du grand rabbin de
France, M. Zadoc Kahn ?
Permettez-moi de recourir à la grande pu-
blicité du X/Xe Siècle pour faire connaîtra
au public ce que Me Strauss a cru bon de lui
celer.
Voici les pièces.
D'abord la lettre de M. Weill à M. Hamon,
que Me Strauss a mise en son dossier :
Monsieur,
Après en avoir conféré avec notre avocat, chez
lequel s'était rendu en votre nom M. May.
Nous pensons que le seul moyen de termi-
ner le différend qui nous divise est d'obtenir I&
plus promptement possible la nomination d'experts
par le tribunal devant lequel vous avez introduit
voire demande. Nous vous donnons l'assurance
que, loin de vouloir relarder la solution de ce dif-
férend, nous sommes tout disposés à vous donnât
notre concours pour la hâter dans ces COrft"J£..
tions.
Si donc votre avocat veut bien s'entendre à cet
égard avec le nôtre, il trouvera de sa part toutes
les facilités à cet effet.
Le directeur, 'VElU..
Au reçu de cette lettre je fus pour voir le
grand rabbin, M. Zadoc Kahn, que j'avais déjà
entretenu de mon différend avec M. de Roth-
schild.
Le grand rabbin de France était absent, 4
Dieppe, d'où il m'écrivit la lettre suivante :
LETTRE DU GRAND RABBIN
Dieppe, 20 juillet, 1832.
17, rue Saint-Georges.
Monsieur,
Comme je vous l'avais promis, j'ai entretenu de
votre affaire M. Tambour, de la maison do Roths-
child. Il m'a affirmé immédiatement que cetia af-
faire serait examinée dans un esprit de « bienveil-
lance et d'équité a, mais en même temps il a ajouté
que vos exigences sont exorbitantes et hors de
toute proportion avec le préjudice causé. Pourquoi,
dans cette situation n'acuptea-vous pas la solution
proposée, la nomination d'experts qui, sans partia-
lité aucune, prononceraient sur le différend ?
Il n'y a aucune raison de suspecter à l'avança
ceux qui ont la confiance du tribunal.
Je crois devoir vous informer que M. le baron
Alphonse de Rothschild est absent de Paris. Mais
serait-il présent, aurait-il la compétence technique
nécessaire pour se constituer seul et unique arbi-
tre ?
Agréez, monsieur, l'assurance de ma haute con-
sidération.
ZADOC KAHN.
C'est alors que je lui transmis la lettre do
M. Weill, en 1 accompagnant de cette lettre :
24 juillet 1893.
Monsieur le grand rabbin,
Vous avez bien voulu me prêter votre bienveil-
lante intervention pour mettre fin au différend
existant entre la Société du transport de la force
par l'électricité et moi. Je crois de mon devoir de
vous communiquer la lettre que cette société vient
de m'adresser.
Loin de voir cette affaire réglée avec « bienveil.
lance et équité », selon votre expression, si j'ac-
ceptais d'entrer dans la voie où la société voudrait
m'engager, je me trouverais sous le coup des me-
naces de M. Weill, qui ont produit sur mon
esprit une si pénible impression.
M. Weill ne m'a-t-il pas dit qu'il dépenserait
deux millions, s'il le fallait, pour ne pas me payer
ce que je crois m'être dû en toute justice.
Or, la proposition qui m'est faite de consentir
amiablement à la nomination d'experts ne serait q de
la mise à exécution de cette menace.
En effet, des experts peuvent eubir une influence
quelconque. M* Strauss lui même Ji- déclarait alors
qu'il se refusait à un arbitrage. Pourquoi donc y
revenir maintenant? Le seul expert ou arbitre
i'uno affaire où le nom de Rothschild est engagé
ne peut être que le chef même de cette maison. Je
l'ai déjà dit et suis toujours, quoique l'on dise,
trop confiant dans la haute honorabilité de M. la
baron Alphonse de Rothschild pour mettra en
doute toute son indépendance et son esprit d. jus-
tice.
Du reste, l'affaire est simple. De quoi s'agit-il t
Par une faute commise, on me ruine; la logique
et la justice voudraient que la raine fût du coté de
- celui qui a commis la faute, et Salomon dans sa
justice n'en aurait pas jugé autrement.
Or, je suis ioia ae demuder to ratas de la ffl
I., LE NUMÉRO CINQ CENTIMES
JEUDI 22 MARS IS94
ï f 1 OT^n V
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tous les Bureaux de Poste.
KO SU TH
Kossuth avait depuis longtemps quitté
la scène du monde. De Turin, où il
achevait de vieillir et de vivre, il regar-
dait tourner sous le souffle des événe-
ments les feuillets de l'Histoire dont il
avait écrit une page glorieuse.
Il no tenait plus de place que dans la
mémoire des hommes. On eût dit qu'il
était entré dans la paix du tombeau il
y a de longues années, et que la mort
entourait déjà son nom de son auréole.
Quand on passait sous les fenêtres de
ce vieillard, le regard montait respec-
tueusement vers la petite lumière qui
brillait derrière les vitres, et on se di-
sait que cette humble lueur avait illu-
miné jadis tout un peuple.
Le grand soldat de la Hongrie appar-
tenait à la période héroïque de la ré-
volution européenne. Comme Manin à
Venise, comme Garibaldi à Naples, il
avait marché en avant, sans songer à
des intérêts matériels, guidé par une
idée étincelante devant lui, pareille à
une étoile.
Vaincu, réfugié sur la terre étran-
gère, devenu aveugle, il ne regardait
plus que dans le lointain qui s'efface
chaque j our davantage, dans les brumes
du passé. Il savait que son œuvre hu-
maine était achovée, et il se fiait à la
justice de l'avenir pour lui faire la
place méritée par son patriotisme.
Cette justice, ses contemporains la lui
rendaient ; et il n'avait dépendu que de
sa seule volonté de rentrer triomphale-
ment dans son pays, pourvu qu'il en
accepiât les lois.
Mais cet homme de quatre-vingt-huit
ans avait gardé l'âme d'un Catonde la
Rome antique. Jamais il n'avait con-
senti à capituler devant la dynastie des
Habsbourg.
Il se croyait un drapeau que la force
avait renversé, mais qu'il ne voulait
pas incliner. Il était décidé à mourir
irréconciliable, debout, personnifiant
la cause de l'indépendance de la Hon-
grie, sans réserves, sans restrictions.
Comme Victor Hugo, avec moins
d'éclat peut-être, mais avec autant d'é-
nergie, il avait juré que « s'il n'en était
plus qu'un,il serait celui-là».et il le fut.
Lorsque après Sadowa le gouverne-
ment autrichien affolé comprit que
l'heure des résistances était passée et
qu'il fallait s'arranger avec Pesth,puis-
que la victoire implacable venait do se
prononcer pour Berlin, Kossuth eût
voulu pousser les choses à l'extrême. Il
repoussa de toutes ses forces la poli-
tique du compromis avec Vienne dont
Deak fut le célèbre inspirateur.
L'accord austro-hongrois qui a con-
sacré l'état de choses actuel n'eut ja-
mais son approbation. Il ne voulait pas
du dualisme qui a créé en définitive
une Hongrie affranchie, ayant seule-
ment le même souverain que l'Au
triche.
Toutefois, il ne passa jamais du blâme
théorique à la résistance pratique. Il
sentait que les esprits ne marchaient
plus à sa suite, et il comprit la leçon
que lui apportait sur la terre italienne
le deuil de la Hongrie, quand Deak suc-
comba.
En entendant décerner le nom de sage
à celui qui avait pratiqué au plus haut
point la politique des résultats, Kos-
suth put se dire qu'il demeurait l'image
d'une époque à jamais disparue, celle
où l'on se faisait tuer pour sa cause,
sans aucun espoir de la faire triom-
pher, uniquement afin d'arroser de son
sang un principe.
Son rôle, qui avait été immense en
1848, ne fut plus après l'écrasement
de la Hongrie sous les armées combi-
nées de la Russie et de. l'Autriche en
rapport avec ce que l'on aurait pu at-
tendre d'un ancien dictateur.
Non qu'il n'ait eu le désir, notam-
ment en 1859 lors de la guerre d'Ita-
lie, de remonter à cheval, mais la Hon-
grie ne l'aurait pas suivi. Ses lieutenants
étaient venus se ranger dans l'état-
major de Victor-Emmanuel. Il se j ugea
avec raison trop grand pour les y ac-
compagner.
Par un étrange retour des choses d'ici-
bas qui montre la fragilité humaine,
même celle de la haine, l'empereur
François-Joseph ne s'oppose pas à ce
que les compatriotes de Kossuth ren-
dent à ses cendres de significatifs hon-
neurs.
Les Chambres suspendront leurs séan-
ces en signe de deuil et des députations
officielles feront escorte à son cercueil.
Voilà donc, au bout de moins d'un
demi-siècle, ce qui reste de tant de co-
lères accumulées contre un homme.
Le jour viendra où sa dépouille. mor-
telle sera rapportée dans une apothéose.
Lui aussi aura son retour des cendres.
Ce sera juste, parce que Kossuth
aura légué au monde le solennel exem-
ple d'un homme qui a disposé des for-
ces et des trésors d'une nation et qui
n'avait rien emporté avec lui.
Dans son modeste logement en Pié-
mont, nul -s'il ne l'avait su n'aurait de-
viné celui qui avait secoué si fort le
trône impérial autrichien qu'il l'eut
renversé si l'empereur de Russie n'était
pas intervenu. -
De ce souvenir, Kossuth avait gardé
un ressentiment profond contre les
Russes. Il les détestait, et dans un ac-
cès de colère on l'entendit regretter
une fois que les Hongrois eussent op-
posé jadis une barrière vivante à l'in-
vasion de l'Europe parles Turcs.
Il aimait dans la France le germe
de la Révolution que notre pays a semé
en 1789 dans l'univers entier. Mais il
ne jugeait pas et ne sentait pas comme
les Français. Il était resté immobile,
assis sur le sommet d'une idée.
C'est ainsi que l'éternité commence
pour lui. Dans le monde entier les sol-
dats des idées libérales se découvriront
devant son cercueil et l'on mettra un
crêpe aux statues de la Liberté ; car Kos-
suth a cru en elle, a vécu pour elle et
ne l'a jamais reniée.
Ilsait.
"1.1iiJQl.I. J-
I. Ernest Boslaapr liaistre des Colonies
M. Ernest Boulanger, sénateur de la Meuse,
depuis plusieurs années rapporteur général
du budget au Luxembourg, est nommé mi-
nistre des colonies.
Rien dans les travaux antérieurs du nou-
veau ministre ne semblait le destiner à un
pareil portefeuille dont le titulaire, à ce qu'il
semble, devrait posséder une compétence
toute spéciale.
Jusqu'à l'âge de cinquante-quatre ans
M. Boulanger - qui compte actuellement
soixante-deux hivers, — a mené l'existence
laborieuse et modeste des employés de l'en-
registrement. Successivement commis-rédac-
teur, sous-chef, chef de bureau, administra-
teur, puis directeur général de l'enregistre-
ment, des domaines et du timbre, M. Bou-
langer (Ernest) se présenta aux élections sé-
natoriales en 1886 dans la Meuse, son pays
d'origine.
Une fois élu, il fit liquider sa pension de
retraite, sollicita et obtint la cravate de com-
mandeur de la Légion d'honneur et se défit
des opinions cléricales qu'il affichait à un-e
époque où le cléricalisme pouvait favoriser
ses projets ambtieux.
A peine installé au Luxembourg, M. Bou-
langer se réclama de sa compétence en ma-
tière fiscale pour briguer le rapport du bud-
get. Il convoitait alors le ministère des finan-
ces.
Une homonymie fâcheuse l'empêcha, au
cours du boulangisme, de décrocher le porte-
feuille de ses rêves. D'autre part, au Sénat
même, les allures cassantes, le tempérament
autoritaire — mal dissimulé — de l'ancien
directeur général de l'enregistrement ne tar-
dèrent pas à lui aliéner beaucoup de sympa-
thies.
Toutefois, comme M. Boulanger ne redoute
pas le travail qui peut être utile à ses inté-
rêts, comme le rapport général du budget est
une lourde charge, il devint le rapporteur at-
titré de la hauts assemblée.
Ayant vu le portefeuille des finances lui
échapper, le sénateur de la Meuse chercha,
d'un autre côté, les avantages matériels qu'il
n'espérait plus obtenir de la vie politique. Il
réussit à se faire agréer comme président du
conseil d'administration de la Compagnie des
omnibus et, dans le grand public comme dans
le personnel de la compagnie, on n'a pas ou-
blié la raideur dont M. Boulanger fit preuve
lors des revendications et des grèves de ces
dernières années.
L'honorable sénateur n'a d'ailleurs pas
ud seul instant hésité à accueillir l'offre qu'a
cru devoir lui faire M. Casimir-Perier. En ef-
fet, depuis huit ans qu'il rêve de devenir
« Monsieur le ministre », c'est la première
fois que M. Boulanger se voit l'objet d'une
proposition ministérielle.
Il s est d autant plus empresse a accepter le
ministère des colonies que ce nouveau porte-
feuille n'est, à ses yeux, que le premier pas
dans la carrière ministérielle.
Ce que M. Boulanger convoite, c'es la suc-
cession de M. Burdeau, et si le ministre des
finances, assez fatigué, on le sait, venait à ré-
signer ses fonctions, M. Boulanger passerait
très volontiers — et très naturellement, pense-
t-il — du pavillon de Flore au Louvre, en at-
tendant mieux, car le ministre des colonies
d'hier appartient à cette catégorie d'hommes
politiques qui prennent volontiers pour de-
vise celle de Fouquet : Quo non ascendant ?
(Où ne monterai-je pas ?)
Les votes de M. Boulanger et le ministère
des colonies
La question du ministère des colonies s'é-
tant posée l'année dernière au Sénat, nous
avons recherché quelle avait été l'attitude de
M. Ernest Boulanger.
Dans sa séance du 1er mai dernier, le Sénat
votait, par 178 voix contre 40, une disposition
de loi ainsi concue :
« Le ministère de la marine est chargé de
l'administration générale des colonies. »
Or dans cette question qui engageait le
principe d'un ministère des colonies, M. Bou-
langer s'est abstenu.
Dans la séance du 13 mai, on discuta en
deuxième délibération le même projet.
MM. Charles Dupuy, alors président du
conseil, et Delcassé, sous-secrétaire d'Etat
aux colonies, intervinrent dans le débat pour
déclarer qu'ils étaient opposés au rattache-
ment des colonies à la marine et ils annoncè-
rent le dépôt prochain d'un projet de créa-
tion d'un ministère spécial des colonies.
L'ajournement du débat fut donc demandé
afin d'attendre le dépôt du projet ministé-
riel.
Dans ce scrutin, M. Boulanger vota contre,
avec MM. le général Billot et Lenoël qui
étaient les défenseurs acharnés du rattache-
ment à la marine.
Des votes émis par M. Boulanger il résulte
donc que le nouveau ministre était hostile à
la création d'un ministère spécial.
Les omnibus
M. Ernest Boulanger a donné, hier, sa dé-
mission de président du conseil d'admistra-
tion de la Compagnie des omnibus de Paris; il
sera vraisemblablement remplacé par M. Er-
nest Camescasse, vice-président, membre da
comité de diréctiilt ,'-- -
LE SUICIDE DE Me PINARD
LES DERNIÈRES LETTREt
Les amours d'un sénateur. - Promettre
et tenir font deux. — Trahison
de l'un et suicide de
l'autre.
Il y a trois jours, nous avons annoncé le
suicide de Mlle Alix Pinard, compositeur de
musique de talent. Ce suicide, écrivions-nous,
doit cacher un mystère douloureux. » On sait
aujourd'hui pourquoi Mlle Alix Pinard, sœur
de notre ancien confrère Albert Pinard, ac-
tuellement vice-consul à Andrinople, s'est
tuée, en allumant deux réchauds de charbon
de bois dans sa chambre de la rue du Mar-
ché, à Neuilly.
M. LE SÉNATEUR DIDE
11 y a une quinzaine d'années, M. le pasteur
Dide, sénateur du Gard (non réélu en 1894),
entra en relations avec la famille Pinard; il
ne tarda pas à s'éprendre de Mlle Alix, qui
avait alors trente ans et qui joignait à
une remarquable beauté les plus heureux
dons de l'esprit. M. Dide produisit une vive
impression sur Mlle Pinard. Il était marié,
mais déclara à la jeune femme qu'il romprait
cette union pour l'épouser.
En effet, il introduisit une demande en di-
vorce. Alix consentit à vivre avec lui. Mais
le divorce traînait, traînait; il fut enfin pro-
noncé. mais dans des conditions que M. Dide
jugeait, disait-il à sa maîtresse, inaccep-
tables. « Il faut que je fasse appel de ce juge-
ment. »
Sur ces entrefaites, M. Dide se remaria, dis-
simulant, grâce à de nombreuses précautions,
cette union i Mlle Pinard.
Cependant M. Dide ne reparaissait plus
que rarement, il laissait sans réponse toutes
les lettres.
Cette situation douloureuse durait depuis
trois années lorsque, il y a quelque temps,
sur les instances de Mme Chapelet, une amie
d'enfance, Mlle Pinard se détermina à obtenir
une solution. Elle la chargea de savoir si le
divorce était enfin devenu définitif. Mme Cha-
pelet apprit en même temps le divorce et le
nouveau mariage, mais elle n'osa rapporter
à son amie que la première partie de cette
nouvelle. *
Mlle Alix voulut alors voir M. Dide et pria
Mme Chapelet de l'accompagner. C'était ven.
dredi dernier.
— Nous arrivons chez le concierge, raconte
Mme Chapelet :
- M. Dide est-il chez lui et peut-il me re-
cevoir? demande Mlle Pinard.
- Iais je pense que oui, répond le con-
cierge. M. Dide n'est pas « sorti, madame est
malade.
- Comment, madame?
— Oui, madame Dide.
Soutenue par sa fierté, mon amie ne trahit
eucune faiblesse; elle voulut aussitôt monter
chez M. Dide; j'ai essayé de l'en dissuader;
ce fut inutile.
Elle se fit annoncer sous mon nom et nous
entrâmes ensemble. En la voyant, M. Dide fut
pris d'une sorte de tremblement : il s'accro-
chait aux murs, l'invitant à passer dans son
cabinet, car il redoutait que sa femme n'en-
tendît la scène qu'il prévoyait.
Je ne vous répéterai pas les reproches dont
elle l'accabla ; vous vous imaginez aisément
ce que fut cette dernière entrevue : il voulut
l'embrasser, il voulut s'agenouiller devant
elle.
— Misérable 1 si vous vous mettez à genoux,
je vous écraserai la tête comme à une vipère.
Si j'avais pu deviner votre infamie, je serais
venue ici avec un poignard; mais j'aime mieux
cela ; au moins je ne m'en irai pas dans l'au-
tre monde avec les mains sanglantes. Main-
tenant, je vais mourir.
— Oh ! on dit cela, mais on ne le fait pas !
— On ne le fait pas ! Moi je fais ce que je
dis.
Alors il essaya d'expliquer que, s'il s'était
muié, c'est qu'il avait besoin d'argent, qu'un
mariage riche s'offrait à lui, etc.
— Ne pouviez-vous au moins m'avertir ?
répliqua-t-elle.
— Mais je vous ai avertie.
- Menteur ! et comment?
— Mais, les journaux ont annoncé mon
mariage.
— Lesquels? Les Petites Affiches, peut-
être ? Je ne l'ai vu annoncé nulle part, et
est-ce là une façon de m'avertir ?
J'abrèse cette scène. En sortant. fiére et
tragique, Alice répéta : ---- --
— Je vais mourir, c'est vous qui êtes la
cause de ma mort ; mais avant de quitter
cette existence, j'appelle sur cette maison la
malédiction divine.
Mlle Pinard rentra chez elle; elle écrivit
au propriétaire de l'immeuble qu'elle habite,
et on la retrouva le lendemain étendue sans
vie sur son lit, en toilette de mariée; sur un
guéridon, une lettre adressée au commissaire
de police : « Si par malheur je n'étais pas
morte, terminait-elle, je demande qu'on ne
me donne aucun soin et qu'on me laisse mou-
rir tranquille, sinon je recommencerai. »
LA LETTRE AUX AMIS
Mlle Pinard avait prévenu également une
famille amie de sa triste résolution.
Voici cette dernière lettre :
Chers amis,
A vous deux, je dis : je vais mourir. J'ai été
odieusement et lâchement trompée par Auguste
Dide, ancien sénateur (18, rue Nicole, Paris). Il
est marié.
Pour moi l'outrage est trop grand, je préfère
mourir. Il m'a avoué, hier, qu'il s'était marié pour
la somme d'argent que lui apportait sa femme, et
moi, à qui depuis huit ans, à diverses reprises,
il avait fait les offres do mariage les plus formelles
et les plus précises, il m'a sacrifiée sans honte.
Voilà la vérité de ses enthousiasmes passion-
nés.
Ce qui me navre est la douleur de ma sœur bien-
aimée; je souffre un supplice tel pour elle que
c'est pis que laimort.
Je vous envoie, cher ami, les deux lettres que
j'ai écrites à ce misérable en 1892 et en 1894. Vous
j ugerez.
j a J'ai eu toutes les tendresses et tous les dévoue-
ments; j'ai subi pour lui des calomnies atroces
et il a eu le triste courage de me faire languir
sans me rien dire et finalement de violer ses pro-
messes et sa parole qui me semblaient sacrées.
Je veux espérer que vous ne m'abandonnerez
pas a cette heure suprême.
Vous.trouverez ici deux ou trois amis.
Voulez-vous accepter — ce qui sera facile -
d'être celui qui fera exécuter mes dernières vo-
lontés.
Mon testament est fait et tout est en ordre.
Adieu, chers amis, adieu pour toujours. J'ai
bien souffert et je vais ne plus souffrir.
ALIX PINARD-DÔGES.
10, rue du Marché (Neuilly-s.-Seine).
Samedi, 17 mars 1894.
L'adresse de ma sœur bien-aimée est chez Mme
la comtesse Ezsterhazy.
8. Bel Torda uteza. Rolozswar
, Hongrie.
DEUX LETTRES
Mlle Pinard parle de deux lettres envoyées
4 M. Dide en juillet 1892 et en février 1894.
Dans la première, elle s'étonne du silence de
M. Dide. Elle lui parle de son amour, de son
dévouement:
La preuve, bien cher ami, que yotre tendresse
m'est extrêmement précieuse, c'est que pour vous
j'ai tout refusé, tout repoussé. Depuis six ans,
j'aurais pu être heureuse, brillante, riche, que
sais-je ? Je crois vous avoir parlé du comte Albert
de .;.' Je reconnaissais ses mérites et j'étais
touchée de sa persévérante affection. Ce n'est que
sur ma volonté expresse qu'il s'est retiré dans ses
domaines à l'étranger. Il m"a attendue, espérée
des années, m'offrant son grand nom, ses, titres
héréditaires et séculaires, sa fortune de plusieurs
millions bien authentiques et bien palpables, et
tout ce qui s'ensuit.
Il y a peu de mois, un autre personnage — qui
m'est complètement indifférent — m'écrivit qu'il
pensait que je ne dédaignerais plus de porter son
nom (sic). Il crut me trouver plus favorable parce-
qu'il venait d'être nommé à un poste très considé-
rable dans la haute magistrature. - -
Je n'ai pas hésité un seul instant à refuser tout
cela. J'ai considéré - et je considère,-- qu'impec-
cable est votre loyauté et que vos promesses de
mariage, faites à moi si librement, sont aussi sa-
crées que si déjà elles étaient sanctionnées par la
loi.
Je vais attendre et espérer encore, njoute-t-elle,
un certain laps do temps ; si à ce temps marqué
je ne suis pas votre femme ou bien près de l'être,
eh bien 1 tout sera dit : je mourrai.
Dans la seconde, qui est la dernière écrite à
M. Dide, datée du 4 février 1894, elle lui rap-
pelle ses offre et promesses de mariage. « Qui
vous y forçait ? lui demande-t-elle. J'ai cru à
votre parole. »
En 1890 le divorce fut prononcé. Vous êtes venu
me dire que le jugement rendu contre vous était
injurieux, qu'il vous fallait recommencer en ap-
pel, etc., etc.
Avec tout mon courage, je me suis persuadée
que votre nom devait sortir intact de ce procès et
que je devais être la première- à accepter cette
moavelle épreuve sans vous montrer mon découra-
gement.
Mais, voyant qu'après chaque ctape il fallait tou-
jours atteindre une étape nouvelle, la désespé-
rance m'a gagnée.
Deux fois, vous m'avez dit : « Je suis tenu par
mes fils. » De quelle manière? -
Et plus loin :
Vous avez réussi à faire de moi l'être le plus
malheureux qu'il y ait sur terre. Vous me disiez
un jour : « La destinée est amère, nous aurions
été heureux. » Certes, j'aurais tâché de vous faire
oublier les misères morales endurées.
Heureux, je vous aurais aimé, malheureux, je
vous aurais consolé.
Adieu, j'ai le cœur trop navré.
Alix PINARD-DÔGES.
10, rue du Marché, Neuilly-sur-Seine.
Quelques jours après, 1 la malheureuse
femme tenait, elle, la promesse faite : elle se
suicidait.
LES OBSÈQUES
Les obsèques ont eu lieu hier à midi.
Quelques amis ont accompagné la pauvre
morte dont le corbillard était rempli de
fleurs. M. le pasteur Duchemin est venu ré-
citer quelques prières dans la chambre mor-
tuaire et le cortège a pris aussitôt la direction
du cimetière Montparnasse où la famille pos-
sède un caveau.
Nous avons vu M. Dide, qui nous a dé-
claré :
Que jamais il n'avait promis le mariage à
Mlle Pinard; que, depuis le jour où il s'est
remarié, il avait rompu toute relation ; qu'il
n'est pour rien dans ce suicide et qu'il n'au-
rait jamais épousé une femme de son âge.
M. Dide a cinquante-quatre ans.
MORT DE KOSSUTH
Turin, 20 mars.
Kossuth, vient de mourir à dix heures cin-
quante-cinq du soir.
Louis Kossuth était né le 16 décembre 1802
à Monok (comitat de Zemplin, Hongrie).Il fut
d'abord avocat, ensuite, de 1842 à 1844, direc-
teur du Pesti Hirlap, organe de l'opposition
radicale. Elu à la diète hongroise, il inscrivit
dans son programme la libération des serfs,
la liberté de la presse, etc. Au mois de mars
1848, ministre des finances, puis président du
comité de la défense nationale, il fut le véri-
table organisateur de la lutte pour l'indépen.
dance de la Hongrie. Le 14 avril 1849, le
Reichstag de Debreczin, sur la proposition
de Kossuth, prononçait la déchéance de la
maison de Habsbourg-Lorraine.
Nommé gouverneur de la Hongrie, Kos-
suth dut battre en retraite devant les troupes
russes. Le 11 août, il remit le gouvernement
aux mains du général Georgéi et le 17 il fran-
chit la frontière de la Turquie. Interné d'a-
bord à Kustahia, dans l'Asie-Mineure, il se
rendit ensuite en Angleterre. Amnistié en 1867,
Kossuth n'a jamais voulu 'rentrer en Hongrie.
Depuis de longues années il vivait à Turin.
* LES VACANCES DU CONSEIL
Le conseil municipal doit se séparer ven-
dredi pour les vacances de Pâques ; mais,
avant la clôture de la session, il invitera le
préfet de la Seine à le convoquer au plus
tard dans la première semaine d'avril.
On prête à M. Poubelle l'intention d'ajour-
ner la rentrée du conseil municipal jusqu'au
commencement de mai; c'est pour paralyser
l'intention du préfet qu'une résolution, signée
de la moitié plus un des membres du conseil,
sera votée avant la fin de la session ac-
tuelle.
De son côté, M. Patenne, président du con-
seil général, va insister pour que l'assemblée
départementale ait une session distincte du
conseil municipal et se réunisse dans le cou-
rant du mois d'avril.
SUICIDE A LA PRISON DE LA SANTÉ
Les suicides dans les prisons sont à la
mode.
Lesteven, le « basculeur » de femmes, se
suicidait à la Roquette il y a trois semaines;
Malher, un malheureux innocefit arrêté com-
me anarchiste, se tuait il y a dix jours à Ma-
zas. et hier Lambert, ce boulanger qui avait
fait venir sa femme d'Amiens pour la forcer
à se suicider, était trouvé mort dans sa cel-
lule, à la prison de la Santé, par les gardiens
lorsqu'ils firent leur ronde le matin.
Lambert avaAt été condamné à huit ans de
réclusion par la cour d'assises de la Seine le
9 février dernier.
LA SITUATION POLITIQUE EN HOLLANDE
La Haye, 20 mars.
A la clôture, de la séance des Etats généraux, le
ministre Tak a annoncé que la seconde Chambre
avait été dissoute, la reine étant convaincue que
dans les circonstances actuelles l'appel à la nation
est désirable pour parvenir à une organisation sa-
tisfaisante du droit électoral.
Les élections législatives auront lieu le 10 avril ;
le scrutin pour les ballottages est fixé au 24 avril.
La prochaine, session de la seconde Chambre
swra ouverte le 16 mai.
TREMBLEMENT DE TERRE
: ,', Athènes, 20 mars. -
Ud violent tremblement do terre a été ressenti à
LariSftu De nombreuses maisons sont léwrdéès.
LA VIE DE PARIS
Pour de fameux potins, ce sont de fa-
meux potins que ceux que nous avons
aujourd'hui sur la planche.Tout d'abord,
une histoire obscure et douloureuse, celle
de ce sénateur, plus jeune et d'allure sé-
vère, qui se trouve mêlé à un drame-.l'a-
mour, à un suicide de femme. Trop légè-
rement, il me semble, on a déjà porté un
jugement sur cette triste aventure. On a
voulu voir dans l'homme qui s'y trouve
pris un galantin peut-être trop peu scru-
puleux. C'est vite dit. Il convient, je
pense, d attendre avant de juger. Et, en
tout cas, l'aventure ne saurait être trou-
vée plaisante que par des gens de peu de
cœur.
Ce qui me parait d'ordre plus gai, parce
que la vie de personne n'y est en jeu,
parce qu'il ne s'agit que d'argent, et ceci
entre des gens qui en ont et qui appar-
tiennent au monde des inutiles, c'est le
conflit qui vient de s'élever entre M. Max
Lebaudy et M. le prince Hély de Tal-
leyrand-Périgord. M. Max Lebaudy est ce
jeune homme qui a fait parler énormé-
ment de lui déjà dans un certain monde
dont tous les mondes sont curieux et qu'on
désigne sous le nom du « Petit Su-.
crier ».
C'est, en effet, le fils de ce M. Lebaudy
/VU t N Çit iTnû Ia tif N N a A,,1,..nnlA ;.1.- 1.,.
quL a ,,<.UOI uuo lynuuç i/uiudocuc UdUiJI il,
commerce et aucuns disent dans l'aceapa-
rement des sucres, et il est très petit de
taille : çle là le sobriquet. Le « Petit Su-
crier », qui vient d'atteindre sa majorité,
devait avoir un conseil judiciaire. Mais il
a gagné son procès, grâce à une admira-
ble plaidoirie de Me Waldeck-Rousseau
qui, hardiment et justement, a soutenu
cette thèse qu'un fils de famille prodigue
-était encore moins nuisible au point de
vue social que s'il était avare. Quant au
prince Hély de Talleyrand-Périgord, c'est
le fils du prince de Sagan, bien connu
comme homme de sport et arbitre des
élégances.
Or, sitôt majeur, M. Max Lebaudy a
fait paraître dans les journaux une note
que vous avez lue, où il est dit que les
traites et les billets qui existent de lui et
qui sont en circulation sont ou des faux,
ou des valeurs escroquées et extorquées
et qu'il ne les payera pas. Là-dessus, vi-
rulente protestation du prince de Talley-
rand-Périgord, signifiée par voie d'huis-
sier à qui de droit et où il est dit que la
note du « Petit Sucrier» est diffamatoire
pour le prince.
M. de Talleyrand-Périgord possède en ef-
fet, nous a-t-il appris, pour quatre cent
mille francs de traites de M. Lebaudy. Il
affirme que ces traites ont été signées de-
vant lui, qu'elles avaient un objet et qu'il
va, à l'échéance prochaine, poursuivre le
« Petit Sucrier» à la fois au ci vil et en poli-
ce correctionnelle. Ce sera un joli procès.
Ce qui serait assez piquant, ce serait de
connaître l' « objet » de ces traites, quelle
affaire, quelle convention leur donne
une valeur réelle? On sait que M. le prince
dé Talleyrand n'a pas de fortune person-
nelle, car il a eu des débats judiciaires
publics avec sa mère, Mme la princesse
de Sagan, à propos d'une pension alimen-
taire que celle-ci devait lui payer. Ce
jeune homme, comme on dit avec deux
expressions admirables, n'ayant pas réa-
lisé ses parents, vit d'espérances.
Il est donc invraisemblable qu'il ait pu
prêter vingt mille louis à son camarade de
cercle et de plaisirs. Le plus probable, ce
qui permet des réflexions sur le crédit à
Paris, c'est que les deux camarades au-
ront fait quelque affaire d'usure de compte
à demi et que M. Max Lebaudy, seul sol-
vable pour, le moment, envoie promener
l'usurier, soit que le billet ait été souscrit
quand il était mineur, soit que les condi-
tions du prêt lui aient paru trop onéreu-
ses. Oh ! il a de la défense, le « Petit Su-
crier >» !
Que disait donc l'avocat de Mme Le-
baudy mère, la célèbre « économe » de
Versailles, que son fils se ruinerait avec
les usuriers et les filles ? Déjà, au pro-
cès, M. Max Lebaudy a déclaré qu'il était,
auprès des demoiselles, un grand « po-
seur de lapins ». Et le voilà qui pose des
lapins aussi, des lapins gros comme des
lièvres, aux prêteurs ! Je ne saurais l'en
louer tout à fait et je suis frappé de cette
habileté redoutable chez un jeune homme
de vint et un ans.
On est injuste pour les courtisanes. On
s'en tient trop à la jurisprudence antique
où, une courtisane célèbre ayant cité en
justice un jeune homme qui lui avait
« posé un lapin », le juge condamna le
jeune homme à faire sonner un talent
d'or devant la plaideuse. « Elle t'a donné
l'ombre de son amour, disaient les consi-
dérants : tu lui dois le son de ton ar-
gent. » Arrêt digne d'un juge de la divine
et spirituelle Attique". Mais je trouve
excessive cette jurisprudence. Quand une
créature est réduite à vendre son corps,
je ne vois pas pourquoi on ne condamne-
rait pas l'acheteur à le payer ? Pour moi,
je considère que ne pas payer les dettes
d'amour ou les dettes de jeu, c'est tout
un, et, dans un cas comme dans l'autre,
une façon d'escroquerie. Escroquerie d'au-
tant plus fâcheuse qu'elle échappe à la loi.
Quant aux usuriers, appelés prêteurs
par les gens qui sont parlementaires, vous
pensez bien que ces espèces ne m'inspi-
rent pas une bien grande sympathie. Ce-
pendant, je ne suis pas très éloigné de
penser que, dans ces derniers temps sur-
tout, ils ont eu affaire à une génération de
jeunes gens qui ont tué le métier par leur
mauvaise foi.
De mon temps, les gens qui allaient
chez l'usurier, bourgeois ou gentilshom-
mes, pensaient tous comme le marquis de
Presles : « Le père Jacob peut être une
bonne canaille, mais on n'a le droit de le
penser et de le dire que si on le paye ».
Beaucoup de jeunes gens de notre temps
ont une autre façon de faire. Ils mettent
les usuriers dedans. Aussi devient-il plus
difficile d'en trouver et le crédit irregu-
lier se fait-il de plus en plus féroce, parce
qu'on le trompe. C'est bien le cas de dire
que le lapin a commencé. L'empruntcui
excipe de son état de minorité, du cot.~pi.
judiciaire, du taux de l'intérêt et lait
chanter le prêteur. Jejie trouve pas cela
bien joli.
Je ne sais pas si M. Lebaudy a suivi
cette méthode. Mais quand je le vois re-
fuser de payer ses traites, quelles que
soient ces traites,je me demande si, après
lui avoir voulu donner un conseil judiciaire
parcequ'il passait pour prodigue, il ne se-
rait pas bon de lui donner un tuteur qui
lui apprit à dépenser son argent et à mon-
trer un peu de mépris au moins pour I33
millions qui ne lui ont rien coûté que la
peine de naître.
Henry Fouquier.
MON CONTRE ROTHSGHILD
Nous avons recu la lettre suivante :
A monsieur le directeur du XIXe Siècle.
Monsieur le directeur.
-- 7
En annonçant que j'allais faire appel du
jugement intervenu dans mon procès contre
M. de Rothschild, président, et M. Weill, di-
recteur de la Société de transmission de la
force par l'électricité, le XIXe Siècle était
exactement informé.
Oui, JE FAIS APPEL, et comme le XIXo Siè-
cle l'a dit, ma cause sera défendue devant la
cour par Me Mlerand.
Il est d'usage constant au Palais, quand on
actionne une société anonyme, d'assigner seu-
lement le président du conseil d'adruinistra.
tion et le directeur. Nous l'avons fait. Le ju-
gement en décide autrement, évidemment à
cause de la personnalité de M. de Rothschild.
Les conseillers en appel jugeront autrement,
j en suis sûr, car nous aurons alors assigné
tous les administrateurs de la société qui,
d'après les statuts, ont seuls qualité pour la
.représenter en justice.
Je viens de recevoir le compte rendu sténo-
graphique des courts débats qui ont eu lieu
le 9 devant le tribunal.
Je remarque que Me Strauss, avocat de mon
adversaire M. de Rothschild, a affirmé que
j'avais connaissance d'une délibération du
conseil d'administration de la société, en mars
1891, désignant M. Weill, le directeur actuel,
pour ester en justice, au nom de la société.
Peut-être cette information a-t-elle iriflué sur
la teneur du jugement. En tout cas, Me Strauss
me permettra de lui dire que sa déclaration
constitue une contre-vérite.
Je l'affirme d'une façon absolue : j'ignorai.
cette délibération qui n'a pas été publiée. Si
nous avons assigné M. Weill conjointement
avec M. de Rothschild, c'est pour obéir à la
coutume constante.
Contrairement aux usages, Me Strauss a
introduit dans le dossier une lettre relatant
des pourparlers amiables qui n'ont point
abouti.
Cette communication m'autorise à agir
de même; je remercie fort l'avocat de
M. de Rothschild d'avoir ainsi agi, car je
n'aurais eu l'incorrection de commencer.
Me Strauss a bien mis dans son dossier la
lettre de M. Weill, mais il a oublié (?) d'y
joindre ma réponse. Serait-ce parce qu'elle a
été faite par lientremise du grand rabbin de
France, M. Zadoc Kahn ?
Permettez-moi de recourir à la grande pu-
blicité du X/Xe Siècle pour faire connaîtra
au public ce que Me Strauss a cru bon de lui
celer.
Voici les pièces.
D'abord la lettre de M. Weill à M. Hamon,
que Me Strauss a mise en son dossier :
Monsieur,
Après en avoir conféré avec notre avocat, chez
lequel s'était rendu en votre nom M. May.
Nous pensons que le seul moyen de termi-
ner le différend qui nous divise est d'obtenir I&
plus promptement possible la nomination d'experts
par le tribunal devant lequel vous avez introduit
voire demande. Nous vous donnons l'assurance
que, loin de vouloir relarder la solution de ce dif-
férend, nous sommes tout disposés à vous donnât
notre concours pour la hâter dans ces COrft"J£..
tions.
Si donc votre avocat veut bien s'entendre à cet
égard avec le nôtre, il trouvera de sa part toutes
les facilités à cet effet.
Le directeur, 'VElU..
Au reçu de cette lettre je fus pour voir le
grand rabbin, M. Zadoc Kahn, que j'avais déjà
entretenu de mon différend avec M. de Roth-
schild.
Le grand rabbin de France était absent, 4
Dieppe, d'où il m'écrivit la lettre suivante :
LETTRE DU GRAND RABBIN
Dieppe, 20 juillet, 1832.
17, rue Saint-Georges.
Monsieur,
Comme je vous l'avais promis, j'ai entretenu de
votre affaire M. Tambour, de la maison do Roths-
child. Il m'a affirmé immédiatement que cetia af-
faire serait examinée dans un esprit de « bienveil-
lance et d'équité a, mais en même temps il a ajouté
que vos exigences sont exorbitantes et hors de
toute proportion avec le préjudice causé. Pourquoi,
dans cette situation n'acuptea-vous pas la solution
proposée, la nomination d'experts qui, sans partia-
lité aucune, prononceraient sur le différend ?
Il n'y a aucune raison de suspecter à l'avança
ceux qui ont la confiance du tribunal.
Je crois devoir vous informer que M. le baron
Alphonse de Rothschild est absent de Paris. Mais
serait-il présent, aurait-il la compétence technique
nécessaire pour se constituer seul et unique arbi-
tre ?
Agréez, monsieur, l'assurance de ma haute con-
sidération.
ZADOC KAHN.
C'est alors que je lui transmis la lettre do
M. Weill, en 1 accompagnant de cette lettre :
24 juillet 1893.
Monsieur le grand rabbin,
Vous avez bien voulu me prêter votre bienveil-
lante intervention pour mettre fin au différend
existant entre la Société du transport de la force
par l'électricité et moi. Je crois de mon devoir de
vous communiquer la lettre que cette société vient
de m'adresser.
Loin de voir cette affaire réglée avec « bienveil.
lance et équité », selon votre expression, si j'ac-
ceptais d'entrer dans la voie où la société voudrait
m'engager, je me trouverais sous le coup des me-
naces de M. Weill, qui ont produit sur mon
esprit une si pénible impression.
M. Weill ne m'a-t-il pas dit qu'il dépenserait
deux millions, s'il le fallait, pour ne pas me payer
ce que je crois m'être dû en toute justice.
Or, la proposition qui m'est faite de consentir
amiablement à la nomination d'experts ne serait q de
la mise à exécution de cette menace.
En effet, des experts peuvent eubir une influence
quelconque. M* Strauss lui même Ji- déclarait alors
qu'il se refusait à un arbitrage. Pourquoi donc y
revenir maintenant? Le seul expert ou arbitre
i'uno affaire où le nom de Rothschild est engagé
ne peut être que le chef même de cette maison. Je
l'ai déjà dit et suis toujours, quoique l'on dise,
trop confiant dans la haute honorabilité de M. la
baron Alphonse de Rothschild pour mettra en
doute toute son indépendance et son esprit d. jus-
tice.
Du reste, l'affaire est simple. De quoi s'agit-il t
Par une faute commise, on me ruine; la logique
et la justice voudraient que la raine fût du coté de
- celui qui a commis la faute, et Salomon dans sa
justice n'en aurait pas jugé autrement.
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