Titre : Le XIXe siècle : journal quotidien politique et littéraire / directeur-rédacteur en chef : Gustave Chadeuil
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1879-02-01
Contributeur : Chadeuil, Gustave (1821-1896). Directeur de publication
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Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
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Description : 01 février 1879 01 février 1879
Description : 1879/02/01 (A9,N2600). 1879/02/01 (A9,N2600).
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k7562646z
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-199
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 05/08/2013
"'¡u,J' AiPi.. N. 2600 Prix du Numéro à Paris s 15 Centimes.— Départements : 20 C mî Samedi 1" Février 1879'
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JOURNAL RÉPUBLICAIN CONSERVATE-UR
r REDACTION
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LA DÉMISSION
DU MARÉCHAL DE MAC-MAHON
Vojci le texte de la lettre que MÓ le maré-
chal de Mie-Mahon a adressée à la Chambre
des députés et au Sénat 2 1
Monsieur le président de la Chambre
des députés,
Dès l'ouverture de cette session; le mi-
nistère vous à présenté lin progf anime des
lois qui paraissaient, tout en donnant sa-
tisfaction à l'opinion publique, pouvoir
être votées sans danger pour la sécurité et
la bonne administration du pays.
Faisant abstraction de toute idée per-
SbnnfiUe, fr avais donné mon appro-
bation, car je ne sacrifiais aucun des prin-
cipes auxquels ma conscience me prescri-
vait de rester fidèle.
Aujourd'hui le ministère, croyant ré-
pondre à l'opinion de la majorité dans les
deux Chambres, me propose, en ce qui
ëbneëriie les grands commandements mi-
litaires, des mesures générales que je con-
sidère comme contraires aux intérêts de
l'armée et par suite à ceux du pays.
Je ne puis y souscrire. En [présence de
cs e refus, le ministère se retire.
Tout autre ministère pris dans la majo-
rité des Assemblées m'imposerait les mê-
mes conditions.
;', Je crois dès lors devoir abréger la durée
lu mandat qui m'avait été confié par l'As-
semblée nationale : je donne ma démis-
sion de président de la République.
En quittant le pouvoir, j'ai la consola-
tion de penser que, durant les cinquante-
trois années que j'ai consacrées au ser-
rée de mon pays comme soldat ou comme
citoyen, je n'ai jamais été guidé par d'au-
tres sentiments que ceux de l'honneur et
du devoir et par un dévouement absolu à
la patrie.
Je vous invite, monsieur le président, à
communiquer ma décision à la Chambre
des députés.
Veuillez agréer l'expression de ma haute
considération.
Maréchal DB MAG-MAHON,
duc DE MAGENTA.
Versailles, le 30 janvier 1879.
—— <&.——
LA PAIX PUBLIQUE
Comme on le prévoyait avant-hier sans
toutefois pouvoir l'affirmer, M. le maré-
chal de Mac-Mahon, président de la Ré-
publique, a donné sa démission. Il l'a
donnée dans une forme excellente, avec
une modération, un patriotisme, une
conscience qui l'honorent. Si nous n'a-
vons pas pu prendre sur nous d'accueil-
lir sans un peu d'ironie la soumission du
14 décembre 1877, c'est que, sans met-
tre en doute la sincérité de l'auteur,
nons ne lepensionspas suffisamment ga-
ranti contre les tentations de récidive.
Mais la démission du 30 janvier 1879
nous désarme en même temps qu'elle ras-
sure la France. Si le brave soldat qui re-
prend aujourd'hui sa place dans les rangs
de l'armée nationale s'intéresse peu ou
prou aux sentiments toujours sincères,
mais parfois excessifs, de la presse, il
trouvera la contre-partie de nos vivacités
d hier dans la respectueuse justice que
nous lui rendons aujourd'hui. Nous le fé-
licitons d'être sorti honorablement de
l'impasse où les Buffet, les Broglie, les
Dupanloup et les Target l'ont engagé,
sans l'avertir loyalement, le 24 mai 1873.
Il y a tout un monde, tout un siècle
entre cette abominable nuit du 24 mai et
la belle et sereine journée d'hier. Je vois
encore, au retour de Versailles, les bons
citoyens qui rentraient en criant : Vive
Thiers ! vive la République ! assaillis au
coin du boulevard et de la rue Drouot par
une horde de policiers impériaux qui les
frappaient à coups de poing et les saisis-
saient à la gorge. Ce symptôme à lui
seul annonçait le triomphe insolent d'une
conspiration, la défaite du droit, l'avé-
nement de la force brutale. Hier, à Ver-
sailles, l'élection du nouveau président,
conformément aux lois constitutionnel-
les, s'est accomplie avec la plus noble
et la plus imposante simplicité. N'eût
été la présence de quelques bons gendar-
mes qui formaient la haie dans la salle
des Pas-Perdus, on aurait dit que le Sé-
nat se rendait en voisin de campagne chez
les élus du suffrage universel. Il n'a pas
même été nécessaire d'agrandir la Cham-
bre par la démolition des cloisons mobi-
les ; on s'est un peu serré pour faire place
aux arrivants, on a apporté quelques
chaises, et l'Assemblée nationale a été
installée et constituée. La lettre de
M. le maréchal de Mac-Mahon s'est
lue au milieu d'un profond silence,
où la compassion et la sympathie avaient
leur part, sans un mot, sans un mou-
vement qui trahît le souvenir des épreu-
ves passées. Le seul sentiment qui se
soit manifesté dans la salle et dans les
couloirs est une large effusion de con-
fiance dans l'avenir.
Paris n'a pas été moins sage ni moins
digne que Versailles. Aucun héraut ne
parcouraitlesruesen criant, selonla tra-
dition de l'ancien régime : le roi est mort,
vive le roi 1 Mais les tranquilles citadins,
sûrs d'eux-mêmes et de leurs honora-
bles représentants, ont attendu avec pa-
tience et lu avec plaisir la dernière
nouvelle du jour : M. Jules Grévy est élu
président de la République par 563 voix.
Les puissances européennes,qui étaient
brillamment représentées à la séance, ne
seront pas plus troublées que nous-mê-
mes en apprenant que le chef de l'Etat
sera, pendant sept années, un avocat
illustre, un citoyen de vie intègre, un
républicain éprouvé, un bourgeois paci-
fique, aimablëlflfgaî, sans morguë, sâùs
panache, sans uniforme, sans décora-
tions : il n'a pas même la Légion d'hon-
neur!
Voilà, mes chers amis, comment la
République bouleverse l'intérieur et por-
te ombrage à l'étranger !
Il s'en faut assurément que la consti-
tution de 1875 soit parfaite, et peut-être
en révisera-t-on quelques articles un de
ces jours. Mais le self-governement,
l'autonomie du nombre, l'empire du pays
assuré au pays lui-même ont, paraît-il,
des vertus suffisantes pour conjurer tous
les mauvais effets d'une crise de gou-
vernement. Les commerçants, les indus-
triels, les banquiers qui tremblaient en
pensant à l'échéance de novembre 1880
sont-ils rassurés quand ils voient devant
eux sept ans de présidence, et quand ils
savent comment en quelques heures un
président remplace l'autre ?
Le cabinet lui-même n'est pas changé,
et nous comptons assez sur la justice et
la reconnaissance du Parlement pour es-
pérer qu'on ne le changera pas de sitôt.
La seule question qui s'impose, et
d'urgence, est la succession de l'honora-
ble M. Grévy comme président de la
Chambre. Elle sera résolue avant ce soir,
par un vote assuré dès à présent. Les
membres de la majorité, par une intuition
politique qui fera l'admiration de la Fran-
ce, se sont avisés de porter au fauteuil
leur leader d'hier, M. Gambetta. La lutte
étant finie et la République fondée, on
immobilisera pour un temps ce grand
lutteur. On le vieillit ainsi de dix ou quin-
ze années ; on remplace entre ses mains
par une haute et puissante autorité par-
lementaire cette influence occulte contre
laquelle rugissaient à l'unisson tous les
publicistes de droite ; on désarme les
adversaires et les amis qui prétendaient
à bonne ou mauvaise intention lui im-
poser la présidence du conseil ; on
partage les trois grands pouvoirs de l'Etat
entre trois hommes, dont l'un, M. Grévy,
représente la gauche ; l'autre, M. Martel,
le centre gauche, et M. Gambetta l'Union
républicaine. On donne àM. Gambetta tout
le temps d'achever son programme, de
faire pénétrer ses idées dans le Parle-
ment et le pays et d'acquérir aux yeux
de dix millions d'électeurs la maturité of-
ficielle, comme il a pour nous, qui
le connaissons bien, la maturité réelle.
Enfin la Chambre, en conférant au dé-
puté du 20" arrondissement la plus haute
dignité dont elle dispose, attestera par
cela seul que Paris n'est point à ses yeux
une capitale déchue, déclassée, suspçcte
et indigne d'héberger dans ses murs un
gouvernement régulier.
ABOUT.
■ m :i M ———————
LE MAINTIEN DU MINISTÈRE
Tout le monde est content; et, dans
cette joie universelle, tout le monde s'ac-
corde à reconnaître que la plus belle part
de cette admirable journée du 30 janvier
1879 revient au ministère du 14 décem-
bre 1877.
Il n'y avait qu'une voix là-dessus hier
à Versailles, dans cette heure d'effusion
qui a précédé la séance solennelle de
l'Assemblée nationale pour la première
fois réunie, aux termes de la constitu-
tion.
Dans les conversations des couloirs, la
plupart des républicains commentaient
l'heureuse rapidité des événements, et,
comme il était naturel, tous les esprits
se reportaient à l'interpellation d'il y a
dix jours.
Sans ombre de récrimination contre
leurs collègues (car il n'y avait place hier
que pour le contentement et l'espérance),
les députés qui ont voté, le 20 janvier,
l'ordre du jour Ferry et maintenu le cabi-
net Dufaure, se félicitaient hautement du
résultat si complet et si prompt de la po-
litique qu'ils avaient adoptée.
Et leurs collègues dissidents, ceux qui
pensaient naguère que l'ordre du jour
Ferry n'offrait point de garanties suffi-
santes au Parlement républicain, se féli-
citaient à leur tour, avec autant de bonne
humeur que de franchise, que la majo-
rité ne les eût point suivis le 20 janvier
et que le ministère fût resté debout.
« Convenez pourtant, ajoutaient-ils,
que la férocité qu'on nous reprochait au-
ra servi à quelque chose. Si nous avions
été moins rébarbatifs, l'ordre du jour
Ferry aurait été moins net sans doute, le
cabinet n'aurait pas été amené à prendre
de si formels engagements, le maréchal
ne se serait ni démis ni même soumis, et
les choses auraient continué de marcher
péniblement cahin-caha. »
A ces propos, les députés de la majo-
rité ministérielle du 20 janvier répon-
daient gaiement : « Vous avez eu raison,
et nous avions raison aussi. » Bref, dans
cet échange de cordiale explications en-
tre collègues républicains divisés naguè-
re sur un point de conduite, tout le mon-
de se rendait mutuellement le témoigna-
ge de n'avoir agi qu'au mieux des inté-
rêts de la République/Voilà ce que nous
entendions hier et énous rapportons
maintenant en écho tfdèle. Et quant à l'op-
portunité de maintenir en fonctions le
ministère, il n'y avait aussi, pensons-
nous, qu'un avis.
Sans nul doute, le remplacement de M.
le maréchal de Mac-Mahon par un nouveau
président de la République entraîne tout
naturellement la démission du cabinet ; il
va de soi que les ministres du maréchal
-
doivent résigner leurs fonctions entre les
mains de M. Grévy. Mais ce qui sera na-
turel aussi et ce qui répondra aux vœux
des deux Chambres, ce sera que M. le
président de la République n'accepte que
pour la forme cette démission imposée
par les convenances, et qu'il s'entoure
aussitôt, lui, président parlementaire et
républicain, des mêmes ministres qui ont
soutenu en gens de cœur, contre le prési-
dent des vieilles factions monarchiques,
les droits de la République et du Parle-
ment.
Voilà ce que l'on dit, voilà ce que l'on
pense. Et ne croyez pas que la majorité ré-
publicaine de l'Assemblée nationale d'hier
obéisse en ceci à un entraînement sym-
pathique où le cœur aurait plus de part
que les calculs de la froide raison. On ne
s'est pas dit seulement : « Il est juste
qu'il soit à l'honneur puisqu'il a été si
bravement à la peine. » Il s'agit, en effet,
de choses de plus de conséquence que l'é-
tendard de Jeanne d'Arc. Non, l'on a admi-
ré la solide et vigoureuse résistance de M.
Dufaure et de ses collègues contre le
pouvoir personnel; et on en a conclu que
ces mêmes ministres, qui ont fait pré-
valoir d'une main si ferme les droits du
gouvernement parlementaire, ne pour-
ront pas, ne sauront pas être autre chose
que les exécuteurs éclairés, dévoués et
respectueux des volontés du Parlement.
Pendant ces derniers jours, dans les con-
seils tenus à l'Elysée,ils avaient, pour ainsi
dire, incarné en eux la représentation
nationale, et, sur la conduite qu'ils ont
tenue, la représentation nationale a jugé
que sa confiance ne saurait être placée
en des mail-s plus sûres et plus éprou-
vées.
C'est le sentiment d'aujourd'hui, ce se-
ra celui de demain. Sous la présidence
du maréchal de Mac-Mahon, le cabinet
Dufaure s'est appelé le cabinet du 14 dé-
cembre 1877; sous la présidence de M.
Grévy, il s'appellera le cabinet du 30
janvier 1879, et nous espérons que nous
le verrons longtemps aux affaires. Car,
d'une part, aucun obstacle dressé par le
pouvoir personnel ne l'empêchera de
déférer aux vœux de la représentation
nationale ; et, d'autre part, le Parlement,
qui connaît les vœux et les intérêts de la
France, ne songera qu'à prolonger autant
qu'il pourra l'ère si désirée d'harmonie
que la démission du maréchal de Mac-
Mahon vient d'inaugurer.
EUGÈNE LIÉBERT.
Journée du 30 janvier
AU SÉNAT
Le Sénat est habitué aux séances cour-
tes, mais jamais on n'en vit de plus cour-
te, — ni de mieux remplie. Il n'y avait
rien à l'ordre du jour et l'on savait pour-
tant qu'il allait se passer quelque chose
de considérable et d'inédit. Depuis l'As-
semblée nationale de 1871,dont il a gardé
d'ailleurs quelques restes, jamais le Sé-
nat ne s'était trouvé à pareille fête. Une
fête grave, cependant, mêlée d'un peu de
recueillement et d'une solennité impo-
sante. Cette séance de dix minutes, qui
sera une séance historique,a eu très grand
air. Quand le président s'est levé, pâle,
visiblement ému, tenant à la main la lettre
du maréchal qu'il allait lire, un frémisse-
ment a parcouru la salle : le bourdonne-
ment confus des tribunes s'est apaisé
comme par enchantement, et la lecture
s'est faite au milieu d'un religieux si-
lence qu'entrecoupaient seulement quel-
ques « très bien » discrets, presque ti-
mides, la dernière marque de sympathie
de la droite à un homme qui est tombé
pour elle et qui ne tombe pourtant pas
dans ses bras.
A gauche, le premier mouvement a été
d'applaudir : le second, qui est le bon en
politique, a conseillé la dignité et la ré-
serve, et la majorité du Sénat, dont la joie
n'était pourtant pas douteuse, ne l'a ma-
nifestée qu'un instant après, dans les cou-
loirs, où l'animation, le bruit, l'affluence
rappelaient, en sens inverse, cette date du
24 mai 1873 que la journée d'hier a si
complètement effacée 1
E. A.
A LA CHAMBRE
COMMENT SE FAIT UNE REVOLUTION
On prend tranquillement le chemin de
fer, après déjeuner ; on arrive à Versail-
les, à une heure et demie, et. l'on ap-
prend que le maréchal a donné sa démis-
sion. Les yeux illuminent; les bouches sou-
rient ; les mains se tendent à droite, à
gauche ; des gens qui se * voient pour la
première fois ont de joyeuses étreintes :
« Monsieur, je n'ai pas l'honneur de vous
connaître, mais permettez-moi de vous
féliciter.» — «Ah ! monsieur,certainement,
vous ne doutez pas de toute la part que je
prends à la joie qui nous arrive 1 »
Et l'on niera le progrès ! Mais, conser-
vateurs incrédules, qui, en votre temps,
viviez dans la crainte perpétuelle des bar-
ricades, regardez donc autour de vous.
S'il en est encore, elles sont de neige 1
Comme le Sénat a fixé sa séance à trois
heures, la réunion de la Chambre est re-
tardée
heures, d'une heure, pour que la commu-
nication présidentielle soit portée en mê-
me temps à la connaissance des deux
Chambres. On rit, on bavarde joyeuse-
ment ; les bonapartistes eux-mêmes, grou-
pés autour de M. Rouher, se livrent à une
causette d'où la gaîté n'est pas exclup. Il
parait que pas mal de bonapartistes vo-
tent aussi pour M. Jules Grévy, président
de la République. Mais, alors, cela devient
presque ennuyeux, cette révolution où
tout est réglé d'avance, où il n'y a pas le
moindre imprém.. Car, nous ne vous l'a-
vons pas encore dit, mais chacun l'a deviné
déjà: M. Grévy est choisi à l'unanimité
par les républicains.
A trois heures dix, MM. de Marcère,
Gresley, Bardoux, font leur apparition. Et
v'lan! les poignées de mains de pleuvoir.
A trois heures an quart, M. Grévy monte
au fauteuil présidentiel. En même temps,
les deux portes d'entrée dégorgent un flot
de députés, un flot noir qui monte, monte,
envahit tous les bancs.
Cinq minutes pour laisser se produire
le tassement. Et M. Grévy se lève : « Mes-
sieurs, je reçois de M. le président de la
République une lettre que je place sous
les yeux de la Chambre. » Il lit.
Vous la connaissez, cette lettre. Etant
donnés le caractère, les idées et les antécé-
dents de M. le maréchal de Mac-Mahon,
elle lit; saurait guère être mieux ; c'est
pourquoi elle est bien.
Quant à la salle, elle est superbe : pas
un mot, pas une exclamation, aussi bien
d'un côté que de l'autre ; seulement des
« chut ! » de temps à autre, des « chut 1 »
nerveux qui viennent imposer silence au
silence même; comme pour étouffer d'a-
vance toute manifestation quelle qu'elle
soit. Dame 1 c'est le mort qui parle !
L'attitude de M. Grévy est admirable;
oette dignité froide, qu'il possède naturel-
lement, se mouvant, impassible, au milieu
de ce silence absolu, est d'un grand effet.
Et puis, tout est parfaitement réglé d'a-
vance ; à la lecture de la lettre présiden-
tielle, succède instantanément la lecture
des articles de la constitution.
« En conséquence, la Chambre des dé-
putés se réunira, à quatre heures et de-
mie, dans cette enceinte, pour former avec
le Sénat l'Assemblée nationale qui doit
procéder à l'élection du nouveau Prési-
dent de la République. »
Le tout dure six minutes.
Et, avant de déclarer la séance suspen-
due, M. Grévy dit, de son ton froidement
indifférent:
« Après la clôture de la séance de l'As-
semblée nationale, la Chambre se réunira
pour fixer l'ordre du jour de la séance de
demain. »
Prémédité ou inconscient, le mot est di-
gne d'avoir sa place dans l'histoire. Il ren-
ferme un grand enseignement : la journée
a commencé par le dépôt d'un projet
d'intérêt local, elle doit se terminer par la
fixation de l'ordre du jour ; entre temps,
par une simple suspension de l'ordre du
jour, on élira le chef de l'Etat.
P. L.
A L'ASSEMBLÉE NATIONALE
Quatre heures et demie. — La rentrée
est bruyante. Durant l'heure de suspen-
sion, on a fait évacuer la salle, sous le fal-
lacieux prétexte de l'aménager, de façon à
y recevoir trois cents membres de plus.
Nous comptons jusqu'à cinq chaises sup-
plémentaires en tout.
Des notabilités sénatoriales de la réac-
tion : MM. Buffet, de Larcy, etc., ont pris
les devants pour s'installer dans les pre-
miers bancs de la droite. Çk et là, on voit
des députés qui font des politesses aux sé-
nateurs ; on s'offre des genoux.
Ponctuel, M. Martel n'est en retard que
d'une minute pour prendre possession du
fauteuil présidentiel, avec son escorte du
Sénat. Jamais la salle n'a présenté un pa-
reil aspect ; il semble qu'elle va craquer,
le contenu étant plus considérable que le
contenant. On s'assied sur les escaliers qui
coupent les rangs de fauteuils ; on ajoute
des bancs volants devant les premiers
bancs fixes, dans l'hémicycle, comme lors
des grandes recettes théâtrales, on rem-
plit l'orchestre de chaises. Tout tient!
Quatre heures trente-sept. — M. Martel
se lève et donne derechef lecture de la
lettre de démission. Une seule interrup-
tion, un « très bien » assez accentué, par-
tant du côté droit, qui souligne le pas-
sage du « dévouement absolu à la patrie.»
Prestement, le texte des lois constitu-
tionnelles est lu par le président, l'As-
semblée nationale est déclarée constituée,
les urnes sont déjà là, on va procéder à
l'élection d'un président de la République
par appel nominal.
Nous nous demandions depuis le matin
quelle conduite avaient arrêtée les droi-
tes. Ce qui se passe semble prouver qu'el-
les n'en ont arrêté aucune.
En effet, pour entraver le vote, qui
voyons-nous se précipiter à la tribune ?.
M. Sarlande, un jeune bonapartiste, peut-
être le plus jeune membre de la Cham-
bre. Il est clair que, s'il y avait une mis-
sion sérieuse à accomplir, on ne la confie-
rait pas à cet Eliacin politique, et, s'il
s'en charge, c'est que la mission à accom-
plir n'est pas considérée comme glorieuse
par les gens sérieux.
« Non ! non 1 crient les républicains.
M. de Gavardie — vous voyez bien qu'il
ne peut y avoir rien de sérieux dans l'af-
faire 1 — s'élance à son tour. Les « non 1 »
éclatent, plus vigoureux que jamais. M.
de Gavardie, toujours présomptueux, pré-
tend, à l'aide de sa seule voix, — celle qui
lui a permis de l'emporter péniblement
sur M. Victor Lefranc, — imposer sa vo-
lonté aux huit cents voix réunies de ses
collègues.
Mais les « non « deviennent furibonds.
Ce que voyant, M. de Gavardie se venge
de son impuissance en montrant le poing à
M. Gambetta. Encore un qui en est resté au
refrain : « Quatre septembre 1 » Chante
ton refrain, mon bonhomme, chante,
chante 1 Ça n'empêche pas les choses de
marcher.
Nous finissons par apprendre, delà bou-
che de M. Martel queM. de Gavardie voulait
poser à l'Assemblée nationale cette ques-
tion : N'est-il pas nécessaire avant tout d'ac-
cepter la démission du maréchal?
Répondant au sentiment des républi-
cains, M. Martel rappelle que l'Assemblée
nationale, d'après le texte même de la loi,
n'est pas un congrès chargé de trancher
des questions constitutionnelles, mais doit
être considérée comme en corps élec-
toral réuni pour voter sans débat.
M. de Gavardie est toujours là;, qui s'in-
cruste à la tribune ; un vote de la majorité
parvient cependant à l'en arracher.
La tenue de la droite?. Elle est celle
de gens qui, peu désireux en général de
jouer un sot rôle, ne seraient pas fâchés
que quelqu'un s'en chargeât, afin de trou-
ver l'occasion de crier en masse, sans avoir
à se compromettre individuellement. Oui,
au fond, ces gens-là seraient enchantés
que l'Assemblée manquât de dignité, que
cette élection présidentielle sortît comme
du chaos ; mais, voilà, ils ont peur, en
donnant le branle, de se faire montrer du
doigt par le pays.
Et M. Martel lit la constitution: «Le
président est élu à la majorité des suffra-
ges. Il est élu pour sept ans et est rééligi-
ble. »
M. de la Bassetière, légitimiste, semble
avoir une observation à placer. Mais, com-
me c'est une douce nature, il n'insiste
pas. -
Le vote par appel nominal commence.
Enfin 1
Le tout n'a guère duré que vingt mi-
nutes ; mais il y a des minutes qui parais-
sent fort longues. Le bureau du Sénat
avait ce vague sentiment qu'il n'était pas
dans ses meubles, il avait l'air d'être en
garni, cherchant ses textes, ses urnes, ses
papiers, et ne sachant pas exactement où
» la bonne » les avait fourrés.
M. Tailhand? appelle l'huissier. Pas de
M. Tailhand !
M. Taillefer?. Pas de M. Taillefer !
C'est M. Talandier qui vote le premier.
Il faut dire que l'huissier crieur, quel que
soit son creux, a peine à dominer le brou-
haha.
Il est cinq heures ; huit cents noms à
appeler, plus le contre-appel pour ceux
qui n'ont pas répondu au premier tour.
En route pour huit heures !
Des rires et des applaudissements
mélangés. C'est M. Wallon, dit le Père de
la Constitution, qui jetie son bulletin dans
l'urne. Il doit trouver que l'enfant est en
train de grandir, — peut-être même qu'il
est entré dans l'âge ingrat !
Quand M. Baragnon paraît, la salle en-
tière éclate de rire. — 0 Baragnon, où
est ta folle jeunesse? Que tu étais plus
brillant le soir du 24 mai 18731 Dans tes
yeux luisait comme le reflet du maroquin
d'un portefeuille. Numa, Numa, le pays a
marché; il a passé sur - le corps des tiens.
.i. Un tonnerre d applaudissements re-
tentit; le voilà qui reprend par deux fois.
C'est M. Dufaurequi, son bulletin en main,
monte à la tribune, puis-en descend pour
regagner sa place. Les républicains, de-
bout, acclament le vieil athlète parlemen-
taire.
A six heures trois quarts, appel et con-
tre-appel sont terminés. Les tribunes res-
tent toujours bondées de spectateurs; tout
ce monde, qui n'a rien à voir, tient bon.
Au dépouillement !
Les curieux, qui s'intéressent aux dé-
tails, remarquent que MM. Jules Grévy
et d'Audiffret-Pasquier n'ont pas pris part
au vote. Chacun a ses raisons.
Sept heures quarante. — La salle s'est
remplie de nouveau ; M. Martel tient en
main le résultat du dépouillement :
Votants 713
Blancs ou nuls 43
Suffrages exprimés 670
Majorité absolue 336
M. JULES GRÉVY 563
M. LE GÉNÉRAL CHANZY 99
Et toujours au milieu du même magni-
fique silence, M. Martel continue : « M.
Jules Grévy ayant obtenu la majorité des
suffrages, aux termes de la constitution,
je le proclame président de la Républi-
que. »
Alors, oh! mais alors. Non, ce specta-
cle ne peut se décrire, cette émotion ne
peut se rendre. Un bravo fougueux, ter-
rible, bondit hors de cinq cents poitrines
et plus ; il roule, secouant la salle, faisant
frissonner les individus. Et, au moment
où il meurt, un immense cri de « Vive la
République 1 lui succède.
Il est impossible de ne pas se sentir re-
mué de ce petit tressaillement interne qui
vous fait passer alternativement des cha-
leurs au cœur et des froids dans le dos.
Et quand, le procès-verbal rapidement
lu et adopté, M. Martel termine par les
mots sacramentels : « La séance est levée»,
c'est encore un immense cri de : Vive la
République 1 qui part de toutes les poi-
trines.
Ah ! oui, eette fois, on peut le lancer, ce
cri de joie.
Un philosophe grec prouvait le mouve-
ment en marchant. La République a prou-
vé quelle était capable d'exister en exis-
tant, et en existant malgré toutes les em-
bûches de ses mortels ennemis ; aujour-
d'hui encore, elle a prouvé que cette tran-
quillité que cherche le pays, elle était
capable de la lui donner, et cela elle l'a
prouvé rien que par la façon admirable-
ment calme et digne dont s'est opérée, en
un instant, la brusque transmission des
pouvoirs.
P. L.
A LA CHAMBRE
(28 séance.)
Deux minutes après que M. Martel a
quitté le fauteuil présidentiel, M. Beth-
mont s'en empare. Cette fois, nous ne
sommes plus à l'Assemblée nationale,
nous sommes à la Chambre des députés.
sOn a prié les sénateurs de s'écouler.
Sans perdre une minute, M. Beth-
mont donne lecture d'une lettre de M.
Jules Grévy, exprimant ses profonds re-
grets d'abandonner la présidence de la
Chambre. Une phrase de cette lettre est
à noter à cause du mouvement qu'elle
suscite : « la sympathie que mes
collègues m'ont témoignée, et qui me
suivra, je l'espère, dans les nouvelles fonc-
tions, etc. » Cette phrase est couverte
d'applaudissements par les républicains.
Et nous devons dire que, debout au mi-
lieu de la droite, M. Haussmann, regar-
dant de très-haut les droitiers qui sem-
blent le désapprouver, redouble ses
bruyantes approbations, et témoigne ainsi
que, sans être républicain, on peut rendre
justice à la droiture, au caractère élevé
d'un homme que la France a choisi au-
jourd'hui, à juste titre, pour son plus
haut représentant.
La fixation de l'ordre du jour de demain
porte : nomination du président de la
Chambre. Demain, M. Gambetta sera élu.
A partir d'aujourd'hui, nous sommes en
République.
PAUL LAFARGUE;
, » ————————.
Le Départ pour Versailles
Une note insérée dans tous les journaux
républicains avait invité les députés et
sénateurs à partir pour Versailles par le
train de onze heures. Aussi, dès le matin,
la salle d'attente est-elle très-animée par
les allées et venues des personnes qui
cherchent des nouvelles. Elles sont du
reste peu nombreuses, et presque toutes
datent de la veille au soir.
Cependant un député raconte qu'il a
rencontré M. Léon Say et l'a interrogé :
« Moi, a répondu le ministre, mais je ne
sais rien. rien du tout. pas même l'heu-
re où l'on và se réunir en congrès 1. »
C'est sur ce joli mot qu'on part pour
Versailles.
Le train de onze heures est comble.
Parmi les voyageurs se trouvent plusieurs
sous-secrétaires d'Etat, M. Girerd, M. Co-
chery, qui semblent convaincus que le
maréchal enverra sa démission aux Cham-
bres. Lés visages sont tous riants,on a con-
fiance. On sent que la journée ne se pas-
sera pas sans que la présidence de la Ré-
publique passe enfin entre les mains d'un
homme d'Etat digne de représenter la
France républicaine.
Les trains qui partent ensuite emmè-
nent à leur tour les députés, les sénateurs
en retard.
A midi 15, tout le monde à peu près est
déjà parti pour Versailles.
Les Couloirs de la Chambre
Midi. — Malgré l'heure peu avancée, un
grand nombre de députés sont déjà réu-
nis dans les couloirs. Des groupes animés
se forment partout, on discute vivement
les événements.
Il paraît que dans la salle, M. de Joly,
l'architecte, fait répéter la manœuvre
d'installation des sièges telle qu'elle se fe-
rait en cas de réunion d'une Assemblée
nationale. C'est un précieux indice des
prévisions du bureau. ¿
» * ,t-".
Le préfet de police a eu ce matin une
entrevue avec le maréchal, qui lui a dé-
claré qu'il était absolument résolu à se
démettre.
M. Albert Gigot a fait part des pa-
roles du Président à plusieurs députés de
la gauche, et cette nouvelle se répand ra-
pidement.
*
M «
Midi 30. — Une entrevue vient d'avoir
lieu entre les présidents des deux Cham-
bres. Dans cet entretien, les détails de la
procédure à suivre dans l'éventualité de
la démission du maréchal et de la réu-
nion des Chambres en Assemblée natio-
nale ont été réglés d'un commun accord.
*
« «
On raconte que M. de Marcère a passé
la nuit à envoyer des télégrammes à tous
les agents de l'administration dans les dé-
partements pour les mettre au courant de
la situation et les prévenir des mesures à
prendre si la crise gouvernementale cau-
sait quelque agitation.
• *
Une heure 30. — Une grande rumeur se
fait parmi les groupes les plus voisins de
la porte d'entrée. Les ministres arrivent.
Enfin 1.
On sè précipite. M. de Marcère et l'ami-
ral Pothuau entrent les premiers; M. Léon
Say et M. Bardoux les suivent, se donnant
le bras. On les entoure, on les presse de
questions, on les interroge anxieusement.
« Le conseil est fini, disent-ils, et le ma-
réchal a donné sa démission ».
Un long soupir de soulagement sort de
toutes les poitrines. Quelques applaudis-
sements éclatent, mais des chut ! répétés
calment aussitôt ces manifestations un
peu prématurées.
Peu à peu on apprend quelques détails
sur ce qui s'est passé au conseil des mi-
nistres. Ce conseil n'a duré qu'une demi-
heure et a été très digne. Le maréchal a
annoncé aux ministres qu'il était irrévo-
cablement décidé à se retirer, désapprou-
vant les mesures que la majorité croit de-
voir exiger. Il a rappelé en termes émus
les péripéties de sa présidence, qui n'a été
pour lui, a-t-dit, qu'un long martyre, et a
donné communicalion aux ministres de la
lettre de démission qu'il avait préparée.
Un passage de cet écrit ayant été l'objet
de diverses observations, le maréchal l'a
modifié, puis il a invité le président du
conseil à le contre-signer. M. D ufaure a re-
fusé, en faisant observer que, cette lettre
étant un acte absolument personnel, il
n'y avait pas lieu pour le cabinet d'en
prendre la responsabilité. Après quelques
mots de courtoisie, le conseil s'est sé-
paré.
*
* •
Deux heures. — Les bureaux des gau-
ches de la Chambre se sont réunies
à 1 heure dans une des salles du pa-
lais, conformément à une décision prise
par les présidents de groupe dans une en-
trevue qu'ils ont eue ce matin au Palais-
Bourbon, à neuf heures.
Assistaient à cette séance : pour la gau-
che, MM. Albert Grévy, Bernard-Lavergne,
Rameau, Camille Sée, Fallières, Margaine,
Lévêque, Jules Ferry, Villain, Tirard, Ni-
nard, Noël-Parfait, Fréminet, Langlois,
Bamberger, Malézieux,Deschanel, Turquet,
Goblet; — pour l'Union républicaine, MM.
Gambetta, Floquet, Allain-Targé, Leliè-
vre, Marcelin Pellet, Brisson, Spnller, de
Mahy, Gatineau, Lisbonne;—pour lecen-
tre gauche, MM. Danelle Bernardin, Bastid,
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LA DÉMISSION
DU MARÉCHAL DE MAC-MAHON
Vojci le texte de la lettre que MÓ le maré-
chal de Mie-Mahon a adressée à la Chambre
des députés et au Sénat 2 1
Monsieur le président de la Chambre
des députés,
Dès l'ouverture de cette session; le mi-
nistère vous à présenté lin progf anime des
lois qui paraissaient, tout en donnant sa-
tisfaction à l'opinion publique, pouvoir
être votées sans danger pour la sécurité et
la bonne administration du pays.
Faisant abstraction de toute idée per-
SbnnfiUe, fr avais donné mon appro-
bation, car je ne sacrifiais aucun des prin-
cipes auxquels ma conscience me prescri-
vait de rester fidèle.
Aujourd'hui le ministère, croyant ré-
pondre à l'opinion de la majorité dans les
deux Chambres, me propose, en ce qui
ëbneëriie les grands commandements mi-
litaires, des mesures générales que je con-
sidère comme contraires aux intérêts de
l'armée et par suite à ceux du pays.
Je ne puis y souscrire. En [présence de
cs e refus, le ministère se retire.
Tout autre ministère pris dans la majo-
rité des Assemblées m'imposerait les mê-
mes conditions.
;', Je crois dès lors devoir abréger la durée
lu mandat qui m'avait été confié par l'As-
semblée nationale : je donne ma démis-
sion de président de la République.
En quittant le pouvoir, j'ai la consola-
tion de penser que, durant les cinquante-
trois années que j'ai consacrées au ser-
rée de mon pays comme soldat ou comme
citoyen, je n'ai jamais été guidé par d'au-
tres sentiments que ceux de l'honneur et
du devoir et par un dévouement absolu à
la patrie.
Je vous invite, monsieur le président, à
communiquer ma décision à la Chambre
des députés.
Veuillez agréer l'expression de ma haute
considération.
Maréchal DB MAG-MAHON,
duc DE MAGENTA.
Versailles, le 30 janvier 1879.
—— <&.——
LA PAIX PUBLIQUE
Comme on le prévoyait avant-hier sans
toutefois pouvoir l'affirmer, M. le maré-
chal de Mac-Mahon, président de la Ré-
publique, a donné sa démission. Il l'a
donnée dans une forme excellente, avec
une modération, un patriotisme, une
conscience qui l'honorent. Si nous n'a-
vons pas pu prendre sur nous d'accueil-
lir sans un peu d'ironie la soumission du
14 décembre 1877, c'est que, sans met-
tre en doute la sincérité de l'auteur,
nons ne lepensionspas suffisamment ga-
ranti contre les tentations de récidive.
Mais la démission du 30 janvier 1879
nous désarme en même temps qu'elle ras-
sure la France. Si le brave soldat qui re-
prend aujourd'hui sa place dans les rangs
de l'armée nationale s'intéresse peu ou
prou aux sentiments toujours sincères,
mais parfois excessifs, de la presse, il
trouvera la contre-partie de nos vivacités
d hier dans la respectueuse justice que
nous lui rendons aujourd'hui. Nous le fé-
licitons d'être sorti honorablement de
l'impasse où les Buffet, les Broglie, les
Dupanloup et les Target l'ont engagé,
sans l'avertir loyalement, le 24 mai 1873.
Il y a tout un monde, tout un siècle
entre cette abominable nuit du 24 mai et
la belle et sereine journée d'hier. Je vois
encore, au retour de Versailles, les bons
citoyens qui rentraient en criant : Vive
Thiers ! vive la République ! assaillis au
coin du boulevard et de la rue Drouot par
une horde de policiers impériaux qui les
frappaient à coups de poing et les saisis-
saient à la gorge. Ce symptôme à lui
seul annonçait le triomphe insolent d'une
conspiration, la défaite du droit, l'avé-
nement de la force brutale. Hier, à Ver-
sailles, l'élection du nouveau président,
conformément aux lois constitutionnel-
les, s'est accomplie avec la plus noble
et la plus imposante simplicité. N'eût
été la présence de quelques bons gendar-
mes qui formaient la haie dans la salle
des Pas-Perdus, on aurait dit que le Sé-
nat se rendait en voisin de campagne chez
les élus du suffrage universel. Il n'a pas
même été nécessaire d'agrandir la Cham-
bre par la démolition des cloisons mobi-
les ; on s'est un peu serré pour faire place
aux arrivants, on a apporté quelques
chaises, et l'Assemblée nationale a été
installée et constituée. La lettre de
M. le maréchal de Mac-Mahon s'est
lue au milieu d'un profond silence,
où la compassion et la sympathie avaient
leur part, sans un mot, sans un mou-
vement qui trahît le souvenir des épreu-
ves passées. Le seul sentiment qui se
soit manifesté dans la salle et dans les
couloirs est une large effusion de con-
fiance dans l'avenir.
Paris n'a pas été moins sage ni moins
digne que Versailles. Aucun héraut ne
parcouraitlesruesen criant, selonla tra-
dition de l'ancien régime : le roi est mort,
vive le roi 1 Mais les tranquilles citadins,
sûrs d'eux-mêmes et de leurs honora-
bles représentants, ont attendu avec pa-
tience et lu avec plaisir la dernière
nouvelle du jour : M. Jules Grévy est élu
président de la République par 563 voix.
Les puissances européennes,qui étaient
brillamment représentées à la séance, ne
seront pas plus troublées que nous-mê-
mes en apprenant que le chef de l'Etat
sera, pendant sept années, un avocat
illustre, un citoyen de vie intègre, un
républicain éprouvé, un bourgeois paci-
fique, aimablëlflfgaî, sans morguë, sâùs
panache, sans uniforme, sans décora-
tions : il n'a pas même la Légion d'hon-
neur!
Voilà, mes chers amis, comment la
République bouleverse l'intérieur et por-
te ombrage à l'étranger !
Il s'en faut assurément que la consti-
tution de 1875 soit parfaite, et peut-être
en révisera-t-on quelques articles un de
ces jours. Mais le self-governement,
l'autonomie du nombre, l'empire du pays
assuré au pays lui-même ont, paraît-il,
des vertus suffisantes pour conjurer tous
les mauvais effets d'une crise de gou-
vernement. Les commerçants, les indus-
triels, les banquiers qui tremblaient en
pensant à l'échéance de novembre 1880
sont-ils rassurés quand ils voient devant
eux sept ans de présidence, et quand ils
savent comment en quelques heures un
président remplace l'autre ?
Le cabinet lui-même n'est pas changé,
et nous comptons assez sur la justice et
la reconnaissance du Parlement pour es-
pérer qu'on ne le changera pas de sitôt.
La seule question qui s'impose, et
d'urgence, est la succession de l'honora-
ble M. Grévy comme président de la
Chambre. Elle sera résolue avant ce soir,
par un vote assuré dès à présent. Les
membres de la majorité, par une intuition
politique qui fera l'admiration de la Fran-
ce, se sont avisés de porter au fauteuil
leur leader d'hier, M. Gambetta. La lutte
étant finie et la République fondée, on
immobilisera pour un temps ce grand
lutteur. On le vieillit ainsi de dix ou quin-
ze années ; on remplace entre ses mains
par une haute et puissante autorité par-
lementaire cette influence occulte contre
laquelle rugissaient à l'unisson tous les
publicistes de droite ; on désarme les
adversaires et les amis qui prétendaient
à bonne ou mauvaise intention lui im-
poser la présidence du conseil ; on
partage les trois grands pouvoirs de l'Etat
entre trois hommes, dont l'un, M. Grévy,
représente la gauche ; l'autre, M. Martel,
le centre gauche, et M. Gambetta l'Union
républicaine. On donne àM. Gambetta tout
le temps d'achever son programme, de
faire pénétrer ses idées dans le Parle-
ment et le pays et d'acquérir aux yeux
de dix millions d'électeurs la maturité of-
ficielle, comme il a pour nous, qui
le connaissons bien, la maturité réelle.
Enfin la Chambre, en conférant au dé-
puté du 20" arrondissement la plus haute
dignité dont elle dispose, attestera par
cela seul que Paris n'est point à ses yeux
une capitale déchue, déclassée, suspçcte
et indigne d'héberger dans ses murs un
gouvernement régulier.
ABOUT.
■ m :i M ———————
LE MAINTIEN DU MINISTÈRE
Tout le monde est content; et, dans
cette joie universelle, tout le monde s'ac-
corde à reconnaître que la plus belle part
de cette admirable journée du 30 janvier
1879 revient au ministère du 14 décem-
bre 1877.
Il n'y avait qu'une voix là-dessus hier
à Versailles, dans cette heure d'effusion
qui a précédé la séance solennelle de
l'Assemblée nationale pour la première
fois réunie, aux termes de la constitu-
tion.
Dans les conversations des couloirs, la
plupart des républicains commentaient
l'heureuse rapidité des événements, et,
comme il était naturel, tous les esprits
se reportaient à l'interpellation d'il y a
dix jours.
Sans ombre de récrimination contre
leurs collègues (car il n'y avait place hier
que pour le contentement et l'espérance),
les députés qui ont voté, le 20 janvier,
l'ordre du jour Ferry et maintenu le cabi-
net Dufaure, se félicitaient hautement du
résultat si complet et si prompt de la po-
litique qu'ils avaient adoptée.
Et leurs collègues dissidents, ceux qui
pensaient naguère que l'ordre du jour
Ferry n'offrait point de garanties suffi-
santes au Parlement républicain, se féli-
citaient à leur tour, avec autant de bonne
humeur que de franchise, que la majo-
rité ne les eût point suivis le 20 janvier
et que le ministère fût resté debout.
« Convenez pourtant, ajoutaient-ils,
que la férocité qu'on nous reprochait au-
ra servi à quelque chose. Si nous avions
été moins rébarbatifs, l'ordre du jour
Ferry aurait été moins net sans doute, le
cabinet n'aurait pas été amené à prendre
de si formels engagements, le maréchal
ne se serait ni démis ni même soumis, et
les choses auraient continué de marcher
péniblement cahin-caha. »
A ces propos, les députés de la majo-
rité ministérielle du 20 janvier répon-
daient gaiement : « Vous avez eu raison,
et nous avions raison aussi. » Bref, dans
cet échange de cordiale explications en-
tre collègues républicains divisés naguè-
re sur un point de conduite, tout le mon-
de se rendait mutuellement le témoigna-
ge de n'avoir agi qu'au mieux des inté-
rêts de la République/Voilà ce que nous
entendions hier et énous rapportons
maintenant en écho tfdèle. Et quant à l'op-
portunité de maintenir en fonctions le
ministère, il n'y avait aussi, pensons-
nous, qu'un avis.
Sans nul doute, le remplacement de M.
le maréchal de Mac-Mahon par un nouveau
président de la République entraîne tout
naturellement la démission du cabinet ; il
va de soi que les ministres du maréchal
-
doivent résigner leurs fonctions entre les
mains de M. Grévy. Mais ce qui sera na-
turel aussi et ce qui répondra aux vœux
des deux Chambres, ce sera que M. le
président de la République n'accepte que
pour la forme cette démission imposée
par les convenances, et qu'il s'entoure
aussitôt, lui, président parlementaire et
républicain, des mêmes ministres qui ont
soutenu en gens de cœur, contre le prési-
dent des vieilles factions monarchiques,
les droits de la République et du Parle-
ment.
Voilà ce que l'on dit, voilà ce que l'on
pense. Et ne croyez pas que la majorité ré-
publicaine de l'Assemblée nationale d'hier
obéisse en ceci à un entraînement sym-
pathique où le cœur aurait plus de part
que les calculs de la froide raison. On ne
s'est pas dit seulement : « Il est juste
qu'il soit à l'honneur puisqu'il a été si
bravement à la peine. » Il s'agit, en effet,
de choses de plus de conséquence que l'é-
tendard de Jeanne d'Arc. Non, l'on a admi-
ré la solide et vigoureuse résistance de M.
Dufaure et de ses collègues contre le
pouvoir personnel; et on en a conclu que
ces mêmes ministres, qui ont fait pré-
valoir d'une main si ferme les droits du
gouvernement parlementaire, ne pour-
ront pas, ne sauront pas être autre chose
que les exécuteurs éclairés, dévoués et
respectueux des volontés du Parlement.
Pendant ces derniers jours, dans les con-
seils tenus à l'Elysée,ils avaient, pour ainsi
dire, incarné en eux la représentation
nationale, et, sur la conduite qu'ils ont
tenue, la représentation nationale a jugé
que sa confiance ne saurait être placée
en des mail-s plus sûres et plus éprou-
vées.
C'est le sentiment d'aujourd'hui, ce se-
ra celui de demain. Sous la présidence
du maréchal de Mac-Mahon, le cabinet
Dufaure s'est appelé le cabinet du 14 dé-
cembre 1877; sous la présidence de M.
Grévy, il s'appellera le cabinet du 30
janvier 1879, et nous espérons que nous
le verrons longtemps aux affaires. Car,
d'une part, aucun obstacle dressé par le
pouvoir personnel ne l'empêchera de
déférer aux vœux de la représentation
nationale ; et, d'autre part, le Parlement,
qui connaît les vœux et les intérêts de la
France, ne songera qu'à prolonger autant
qu'il pourra l'ère si désirée d'harmonie
que la démission du maréchal de Mac-
Mahon vient d'inaugurer.
EUGÈNE LIÉBERT.
Journée du 30 janvier
AU SÉNAT
Le Sénat est habitué aux séances cour-
tes, mais jamais on n'en vit de plus cour-
te, — ni de mieux remplie. Il n'y avait
rien à l'ordre du jour et l'on savait pour-
tant qu'il allait se passer quelque chose
de considérable et d'inédit. Depuis l'As-
semblée nationale de 1871,dont il a gardé
d'ailleurs quelques restes, jamais le Sé-
nat ne s'était trouvé à pareille fête. Une
fête grave, cependant, mêlée d'un peu de
recueillement et d'une solennité impo-
sante. Cette séance de dix minutes, qui
sera une séance historique,a eu très grand
air. Quand le président s'est levé, pâle,
visiblement ému, tenant à la main la lettre
du maréchal qu'il allait lire, un frémisse-
ment a parcouru la salle : le bourdonne-
ment confus des tribunes s'est apaisé
comme par enchantement, et la lecture
s'est faite au milieu d'un religieux si-
lence qu'entrecoupaient seulement quel-
ques « très bien » discrets, presque ti-
mides, la dernière marque de sympathie
de la droite à un homme qui est tombé
pour elle et qui ne tombe pourtant pas
dans ses bras.
A gauche, le premier mouvement a été
d'applaudir : le second, qui est le bon en
politique, a conseillé la dignité et la ré-
serve, et la majorité du Sénat, dont la joie
n'était pourtant pas douteuse, ne l'a ma-
nifestée qu'un instant après, dans les cou-
loirs, où l'animation, le bruit, l'affluence
rappelaient, en sens inverse, cette date du
24 mai 1873 que la journée d'hier a si
complètement effacée 1
E. A.
A LA CHAMBRE
COMMENT SE FAIT UNE REVOLUTION
On prend tranquillement le chemin de
fer, après déjeuner ; on arrive à Versail-
les, à une heure et demie, et. l'on ap-
prend que le maréchal a donné sa démis-
sion. Les yeux illuminent; les bouches sou-
rient ; les mains se tendent à droite, à
gauche ; des gens qui se * voient pour la
première fois ont de joyeuses étreintes :
« Monsieur, je n'ai pas l'honneur de vous
connaître, mais permettez-moi de vous
féliciter.» — «Ah ! monsieur,certainement,
vous ne doutez pas de toute la part que je
prends à la joie qui nous arrive 1 »
Et l'on niera le progrès ! Mais, conser-
vateurs incrédules, qui, en votre temps,
viviez dans la crainte perpétuelle des bar-
ricades, regardez donc autour de vous.
S'il en est encore, elles sont de neige 1
Comme le Sénat a fixé sa séance à trois
heures, la réunion de la Chambre est re-
tardée
heures, d'une heure, pour que la commu-
nication présidentielle soit portée en mê-
me temps à la connaissance des deux
Chambres. On rit, on bavarde joyeuse-
ment ; les bonapartistes eux-mêmes, grou-
pés autour de M. Rouher, se livrent à une
causette d'où la gaîté n'est pas exclup. Il
parait que pas mal de bonapartistes vo-
tent aussi pour M. Jules Grévy, président
de la République. Mais, alors, cela devient
presque ennuyeux, cette révolution où
tout est réglé d'avance, où il n'y a pas le
moindre imprém.. Car, nous ne vous l'a-
vons pas encore dit, mais chacun l'a deviné
déjà: M. Grévy est choisi à l'unanimité
par les républicains.
A trois heures dix, MM. de Marcère,
Gresley, Bardoux, font leur apparition. Et
v'lan! les poignées de mains de pleuvoir.
A trois heures an quart, M. Grévy monte
au fauteuil présidentiel. En même temps,
les deux portes d'entrée dégorgent un flot
de députés, un flot noir qui monte, monte,
envahit tous les bancs.
Cinq minutes pour laisser se produire
le tassement. Et M. Grévy se lève : « Mes-
sieurs, je reçois de M. le président de la
République une lettre que je place sous
les yeux de la Chambre. » Il lit.
Vous la connaissez, cette lettre. Etant
donnés le caractère, les idées et les antécé-
dents de M. le maréchal de Mac-Mahon,
elle lit; saurait guère être mieux ; c'est
pourquoi elle est bien.
Quant à la salle, elle est superbe : pas
un mot, pas une exclamation, aussi bien
d'un côté que de l'autre ; seulement des
« chut ! » de temps à autre, des « chut 1 »
nerveux qui viennent imposer silence au
silence même; comme pour étouffer d'a-
vance toute manifestation quelle qu'elle
soit. Dame 1 c'est le mort qui parle !
L'attitude de M. Grévy est admirable;
oette dignité froide, qu'il possède naturel-
lement, se mouvant, impassible, au milieu
de ce silence absolu, est d'un grand effet.
Et puis, tout est parfaitement réglé d'a-
vance ; à la lecture de la lettre présiden-
tielle, succède instantanément la lecture
des articles de la constitution.
« En conséquence, la Chambre des dé-
putés se réunira, à quatre heures et de-
mie, dans cette enceinte, pour former avec
le Sénat l'Assemblée nationale qui doit
procéder à l'élection du nouveau Prési-
dent de la République. »
Le tout dure six minutes.
Et, avant de déclarer la séance suspen-
due, M. Grévy dit, de son ton froidement
indifférent:
« Après la clôture de la séance de l'As-
semblée nationale, la Chambre se réunira
pour fixer l'ordre du jour de la séance de
demain. »
Prémédité ou inconscient, le mot est di-
gne d'avoir sa place dans l'histoire. Il ren-
ferme un grand enseignement : la journée
a commencé par le dépôt d'un projet
d'intérêt local, elle doit se terminer par la
fixation de l'ordre du jour ; entre temps,
par une simple suspension de l'ordre du
jour, on élira le chef de l'Etat.
P. L.
A L'ASSEMBLÉE NATIONALE
Quatre heures et demie. — La rentrée
est bruyante. Durant l'heure de suspen-
sion, on a fait évacuer la salle, sous le fal-
lacieux prétexte de l'aménager, de façon à
y recevoir trois cents membres de plus.
Nous comptons jusqu'à cinq chaises sup-
plémentaires en tout.
Des notabilités sénatoriales de la réac-
tion : MM. Buffet, de Larcy, etc., ont pris
les devants pour s'installer dans les pre-
miers bancs de la droite. Çk et là, on voit
des députés qui font des politesses aux sé-
nateurs ; on s'offre des genoux.
Ponctuel, M. Martel n'est en retard que
d'une minute pour prendre possession du
fauteuil présidentiel, avec son escorte du
Sénat. Jamais la salle n'a présenté un pa-
reil aspect ; il semble qu'elle va craquer,
le contenu étant plus considérable que le
contenant. On s'assied sur les escaliers qui
coupent les rangs de fauteuils ; on ajoute
des bancs volants devant les premiers
bancs fixes, dans l'hémicycle, comme lors
des grandes recettes théâtrales, on rem-
plit l'orchestre de chaises. Tout tient!
Quatre heures trente-sept. — M. Martel
se lève et donne derechef lecture de la
lettre de démission. Une seule interrup-
tion, un « très bien » assez accentué, par-
tant du côté droit, qui souligne le pas-
sage du « dévouement absolu à la patrie.»
Prestement, le texte des lois constitu-
tionnelles est lu par le président, l'As-
semblée nationale est déclarée constituée,
les urnes sont déjà là, on va procéder à
l'élection d'un président de la République
par appel nominal.
Nous nous demandions depuis le matin
quelle conduite avaient arrêtée les droi-
tes. Ce qui se passe semble prouver qu'el-
les n'en ont arrêté aucune.
En effet, pour entraver le vote, qui
voyons-nous se précipiter à la tribune ?.
M. Sarlande, un jeune bonapartiste, peut-
être le plus jeune membre de la Cham-
bre. Il est clair que, s'il y avait une mis-
sion sérieuse à accomplir, on ne la confie-
rait pas à cet Eliacin politique, et, s'il
s'en charge, c'est que la mission à accom-
plir n'est pas considérée comme glorieuse
par les gens sérieux.
« Non ! non 1 crient les républicains.
M. de Gavardie — vous voyez bien qu'il
ne peut y avoir rien de sérieux dans l'af-
faire 1 — s'élance à son tour. Les « non 1 »
éclatent, plus vigoureux que jamais. M.
de Gavardie, toujours présomptueux, pré-
tend, à l'aide de sa seule voix, — celle qui
lui a permis de l'emporter péniblement
sur M. Victor Lefranc, — imposer sa vo-
lonté aux huit cents voix réunies de ses
collègues.
Mais les « non « deviennent furibonds.
Ce que voyant, M. de Gavardie se venge
de son impuissance en montrant le poing à
M. Gambetta. Encore un qui en est resté au
refrain : « Quatre septembre 1 » Chante
ton refrain, mon bonhomme, chante,
chante 1 Ça n'empêche pas les choses de
marcher.
Nous finissons par apprendre, delà bou-
che de M. Martel queM. de Gavardie voulait
poser à l'Assemblée nationale cette ques-
tion : N'est-il pas nécessaire avant tout d'ac-
cepter la démission du maréchal?
Répondant au sentiment des républi-
cains, M. Martel rappelle que l'Assemblée
nationale, d'après le texte même de la loi,
n'est pas un congrès chargé de trancher
des questions constitutionnelles, mais doit
être considérée comme en corps élec-
toral réuni pour voter sans débat.
M. de Gavardie est toujours là;, qui s'in-
cruste à la tribune ; un vote de la majorité
parvient cependant à l'en arracher.
La tenue de la droite?. Elle est celle
de gens qui, peu désireux en général de
jouer un sot rôle, ne seraient pas fâchés
que quelqu'un s'en chargeât, afin de trou-
ver l'occasion de crier en masse, sans avoir
à se compromettre individuellement. Oui,
au fond, ces gens-là seraient enchantés
que l'Assemblée manquât de dignité, que
cette élection présidentielle sortît comme
du chaos ; mais, voilà, ils ont peur, en
donnant le branle, de se faire montrer du
doigt par le pays.
Et M. Martel lit la constitution: «Le
président est élu à la majorité des suffra-
ges. Il est élu pour sept ans et est rééligi-
ble. »
M. de la Bassetière, légitimiste, semble
avoir une observation à placer. Mais, com-
me c'est une douce nature, il n'insiste
pas. -
Le vote par appel nominal commence.
Enfin 1
Le tout n'a guère duré que vingt mi-
nutes ; mais il y a des minutes qui parais-
sent fort longues. Le bureau du Sénat
avait ce vague sentiment qu'il n'était pas
dans ses meubles, il avait l'air d'être en
garni, cherchant ses textes, ses urnes, ses
papiers, et ne sachant pas exactement où
» la bonne » les avait fourrés.
M. Tailhand? appelle l'huissier. Pas de
M. Tailhand !
M. Taillefer?. Pas de M. Taillefer !
C'est M. Talandier qui vote le premier.
Il faut dire que l'huissier crieur, quel que
soit son creux, a peine à dominer le brou-
haha.
Il est cinq heures ; huit cents noms à
appeler, plus le contre-appel pour ceux
qui n'ont pas répondu au premier tour.
En route pour huit heures !
Des rires et des applaudissements
mélangés. C'est M. Wallon, dit le Père de
la Constitution, qui jetie son bulletin dans
l'urne. Il doit trouver que l'enfant est en
train de grandir, — peut-être même qu'il
est entré dans l'âge ingrat !
Quand M. Baragnon paraît, la salle en-
tière éclate de rire. — 0 Baragnon, où
est ta folle jeunesse? Que tu étais plus
brillant le soir du 24 mai 18731 Dans tes
yeux luisait comme le reflet du maroquin
d'un portefeuille. Numa, Numa, le pays a
marché; il a passé sur - le corps des tiens.
.i. Un tonnerre d applaudissements re-
tentit; le voilà qui reprend par deux fois.
C'est M. Dufaurequi, son bulletin en main,
monte à la tribune, puis-en descend pour
regagner sa place. Les républicains, de-
bout, acclament le vieil athlète parlemen-
taire.
A six heures trois quarts, appel et con-
tre-appel sont terminés. Les tribunes res-
tent toujours bondées de spectateurs; tout
ce monde, qui n'a rien à voir, tient bon.
Au dépouillement !
Les curieux, qui s'intéressent aux dé-
tails, remarquent que MM. Jules Grévy
et d'Audiffret-Pasquier n'ont pas pris part
au vote. Chacun a ses raisons.
Sept heures quarante. — La salle s'est
remplie de nouveau ; M. Martel tient en
main le résultat du dépouillement :
Votants 713
Blancs ou nuls 43
Suffrages exprimés 670
Majorité absolue 336
M. JULES GRÉVY 563
M. LE GÉNÉRAL CHANZY 99
Et toujours au milieu du même magni-
fique silence, M. Martel continue : « M.
Jules Grévy ayant obtenu la majorité des
suffrages, aux termes de la constitution,
je le proclame président de la Républi-
que. »
Alors, oh! mais alors. Non, ce specta-
cle ne peut se décrire, cette émotion ne
peut se rendre. Un bravo fougueux, ter-
rible, bondit hors de cinq cents poitrines
et plus ; il roule, secouant la salle, faisant
frissonner les individus. Et, au moment
où il meurt, un immense cri de « Vive la
République 1 lui succède.
Il est impossible de ne pas se sentir re-
mué de ce petit tressaillement interne qui
vous fait passer alternativement des cha-
leurs au cœur et des froids dans le dos.
Et quand, le procès-verbal rapidement
lu et adopté, M. Martel termine par les
mots sacramentels : « La séance est levée»,
c'est encore un immense cri de : Vive la
République 1 qui part de toutes les poi-
trines.
Ah ! oui, eette fois, on peut le lancer, ce
cri de joie.
Un philosophe grec prouvait le mouve-
ment en marchant. La République a prou-
vé quelle était capable d'exister en exis-
tant, et en existant malgré toutes les em-
bûches de ses mortels ennemis ; aujour-
d'hui encore, elle a prouvé que cette tran-
quillité que cherche le pays, elle était
capable de la lui donner, et cela elle l'a
prouvé rien que par la façon admirable-
ment calme et digne dont s'est opérée, en
un instant, la brusque transmission des
pouvoirs.
P. L.
A LA CHAMBRE
(28 séance.)
Deux minutes après que M. Martel a
quitté le fauteuil présidentiel, M. Beth-
mont s'en empare. Cette fois, nous ne
sommes plus à l'Assemblée nationale,
nous sommes à la Chambre des députés.
sOn a prié les sénateurs de s'écouler.
Sans perdre une minute, M. Beth-
mont donne lecture d'une lettre de M.
Jules Grévy, exprimant ses profonds re-
grets d'abandonner la présidence de la
Chambre. Une phrase de cette lettre est
à noter à cause du mouvement qu'elle
suscite : « la sympathie que mes
collègues m'ont témoignée, et qui me
suivra, je l'espère, dans les nouvelles fonc-
tions, etc. » Cette phrase est couverte
d'applaudissements par les républicains.
Et nous devons dire que, debout au mi-
lieu de la droite, M. Haussmann, regar-
dant de très-haut les droitiers qui sem-
blent le désapprouver, redouble ses
bruyantes approbations, et témoigne ainsi
que, sans être républicain, on peut rendre
justice à la droiture, au caractère élevé
d'un homme que la France a choisi au-
jourd'hui, à juste titre, pour son plus
haut représentant.
La fixation de l'ordre du jour de demain
porte : nomination du président de la
Chambre. Demain, M. Gambetta sera élu.
A partir d'aujourd'hui, nous sommes en
République.
PAUL LAFARGUE;
, » ————————.
Le Départ pour Versailles
Une note insérée dans tous les journaux
républicains avait invité les députés et
sénateurs à partir pour Versailles par le
train de onze heures. Aussi, dès le matin,
la salle d'attente est-elle très-animée par
les allées et venues des personnes qui
cherchent des nouvelles. Elles sont du
reste peu nombreuses, et presque toutes
datent de la veille au soir.
Cependant un député raconte qu'il a
rencontré M. Léon Say et l'a interrogé :
« Moi, a répondu le ministre, mais je ne
sais rien. rien du tout. pas même l'heu-
re où l'on và se réunir en congrès 1. »
C'est sur ce joli mot qu'on part pour
Versailles.
Le train de onze heures est comble.
Parmi les voyageurs se trouvent plusieurs
sous-secrétaires d'Etat, M. Girerd, M. Co-
chery, qui semblent convaincus que le
maréchal enverra sa démission aux Cham-
bres. Lés visages sont tous riants,on a con-
fiance. On sent que la journée ne se pas-
sera pas sans que la présidence de la Ré-
publique passe enfin entre les mains d'un
homme d'Etat digne de représenter la
France républicaine.
Les trains qui partent ensuite emmè-
nent à leur tour les députés, les sénateurs
en retard.
A midi 15, tout le monde à peu près est
déjà parti pour Versailles.
Les Couloirs de la Chambre
Midi. — Malgré l'heure peu avancée, un
grand nombre de députés sont déjà réu-
nis dans les couloirs. Des groupes animés
se forment partout, on discute vivement
les événements.
Il paraît que dans la salle, M. de Joly,
l'architecte, fait répéter la manœuvre
d'installation des sièges telle qu'elle se fe-
rait en cas de réunion d'une Assemblée
nationale. C'est un précieux indice des
prévisions du bureau. ¿
» * ,t-".
Le préfet de police a eu ce matin une
entrevue avec le maréchal, qui lui a dé-
claré qu'il était absolument résolu à se
démettre.
M. Albert Gigot a fait part des pa-
roles du Président à plusieurs députés de
la gauche, et cette nouvelle se répand ra-
pidement.
*
M «
Midi 30. — Une entrevue vient d'avoir
lieu entre les présidents des deux Cham-
bres. Dans cet entretien, les détails de la
procédure à suivre dans l'éventualité de
la démission du maréchal et de la réu-
nion des Chambres en Assemblée natio-
nale ont été réglés d'un commun accord.
*
« «
On raconte que M. de Marcère a passé
la nuit à envoyer des télégrammes à tous
les agents de l'administration dans les dé-
partements pour les mettre au courant de
la situation et les prévenir des mesures à
prendre si la crise gouvernementale cau-
sait quelque agitation.
• *
Une heure 30. — Une grande rumeur se
fait parmi les groupes les plus voisins de
la porte d'entrée. Les ministres arrivent.
Enfin 1.
On sè précipite. M. de Marcère et l'ami-
ral Pothuau entrent les premiers; M. Léon
Say et M. Bardoux les suivent, se donnant
le bras. On les entoure, on les presse de
questions, on les interroge anxieusement.
« Le conseil est fini, disent-ils, et le ma-
réchal a donné sa démission ».
Un long soupir de soulagement sort de
toutes les poitrines. Quelques applaudis-
sements éclatent, mais des chut ! répétés
calment aussitôt ces manifestations un
peu prématurées.
Peu à peu on apprend quelques détails
sur ce qui s'est passé au conseil des mi-
nistres. Ce conseil n'a duré qu'une demi-
heure et a été très digne. Le maréchal a
annoncé aux ministres qu'il était irrévo-
cablement décidé à se retirer, désapprou-
vant les mesures que la majorité croit de-
voir exiger. Il a rappelé en termes émus
les péripéties de sa présidence, qui n'a été
pour lui, a-t-dit, qu'un long martyre, et a
donné communicalion aux ministres de la
lettre de démission qu'il avait préparée.
Un passage de cet écrit ayant été l'objet
de diverses observations, le maréchal l'a
modifié, puis il a invité le président du
conseil à le contre-signer. M. D ufaure a re-
fusé, en faisant observer que, cette lettre
étant un acte absolument personnel, il
n'y avait pas lieu pour le cabinet d'en
prendre la responsabilité. Après quelques
mots de courtoisie, le conseil s'est sé-
paré.
*
* •
Deux heures. — Les bureaux des gau-
ches de la Chambre se sont réunies
à 1 heure dans une des salles du pa-
lais, conformément à une décision prise
par les présidents de groupe dans une en-
trevue qu'ils ont eue ce matin au Palais-
Bourbon, à neuf heures.
Assistaient à cette séance : pour la gau-
che, MM. Albert Grévy, Bernard-Lavergne,
Rameau, Camille Sée, Fallières, Margaine,
Lévêque, Jules Ferry, Villain, Tirard, Ni-
nard, Noël-Parfait, Fréminet, Langlois,
Bamberger, Malézieux,Deschanel, Turquet,
Goblet; — pour l'Union républicaine, MM.
Gambetta, Floquet, Allain-Targé, Leliè-
vre, Marcelin Pellet, Brisson, Spnller, de
Mahy, Gatineau, Lisbonne;—pour lecen-
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