Titre : Le XIXe siècle : journal quotidien politique et littéraire / directeur-rédacteur en chef : Gustave Chadeuil
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1894-09-09
Contributeur : Chadeuil, Gustave (1821-1896). Directeur de publication
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Type : texte texte
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Description : 09 septembre 1894 09 septembre 1894
Description : 1894/09/09 (A24,N8273). 1894/09/09 (A24,N8273).
Droits : Consultable en ligne
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Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-199
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 24/04/2013
VINGT-QUATRIÈME ANNÉE. — N° 8,273
LE NUMÉRO CINQ CENTIMES
DIMANCHE 9 SEPTEMBRE 189i
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POUR LE PAPE
Les journaux religieux d'Italie et
ceux de France qui leur font écho s'in-
dignent de la représentation sur un
théâtre italien d'un drame où le Christ
est insulté, et ils Signalent aussi les in-
jures adressées au pape par des jour-
naux dans lesquels ils veulent voir les
complices du gouvernement du roi Hum-
bert. Ils gémissent que « la presse libé-
rale ait toute licence d'inj urier l'Eglise
et le pape, pendant que la presse catho-
lique n'a pas même la pouvoir de don-
ner libre carrière à son indignation ».
Si l'on a outragé le Christ sur la scène
et le pape, dans la presse, assurément
on a eu tort. Les outrages et les injures
n'ont jamais rien prouvé, sinon,la mau-
vaise éducation de celui qui les profère,
et l'on peut dire des hommes et des dieux
tout ce que l'on veut sans manquer aux
yègles de la courtoisie. Si cependant
quelqu'un est mal fondé à se plaindre
d'un défaut de courtoisie à son égard,
c'est bien l'Eglise, car elle n'en a pas
montré toujours beaucoup avec ses ad-
versaires. Lorsqu'elle avait une autorité
propre et qu'elle disposait d'une partie
de l'autorité judiciaire, elle brûlait ses
contradicteurs, ce qui passerait difficile-
ment pour une mesure de politesse, ou
bien il lui arrivait d'en envoyer au bû-
cher, comme Etienne Dolet, pour un
prétendu contresens dans une traduc-
tion du grec, ce qui est une méthode
pédagogique un peu brutale,
Non seulement les catholiques ou-
blient.'assez volontiers ces précédents,
mais il ne semble pas qu'ils se sou-
viennent beaucoup mieux des préceptes
du Christ lui-même qui enseignait que
lorsqu'on a reçu un soufflet sur une
joue, ce qui peut bien passer pour un
outrage, il faut tendre l'autre joue. Les
journaux catholiques ne veulent tendre
ni une joue ni l'autre et l'Osservatore
Romano estime que le devoir de la
presse catholique est de faire connaître
au monde entier les actes outrageants
qu'il signale : « Il faut, dit-il, que tous
sachent bien quelle est la demeure res-
pectée que le pape possède aujourd'hui
à Rome ».
On ne voit pas bien, au premier anora,
quelle relation il y a entre la demeure
du pape et la représentation à Bologne
d'un drame que nous voulons croire
inconvenant. Le pape fût-il encore
pourvu du pouvoir temporel, ce drame
pourrait être interdit dans les Etats pon-
tificaux, ce journal pourrait être' saisi
à la frontière; mais l'un comme l'autre
auraient toute facilité de se représenter
pu de se publier au dehors.
Mais tout prétexte est bon aux cléri-
caux pour reprendre leur campagne en
faveur du rétablissement du pouvoir
temporel, et la Vérité, commentant les
faits signalés par les feuilles pieuses
d'Italie, ajoute que cela démontre « com-
bien était nécessaire et fondée la décla-
ration des catholiques réunis à Liège
en avril dernier sur la restauration du
pouvoir temporel et combien il serait
urgent que, partout, les catholiques fis-
sent des représentations aux pouvoirs
publies afin d'obtenir pour cette déclara-
tion la sanction qu'elle comporte ».
Nous ne savons si les catholiques sui-
vront l'avis qui leur est donné et s'ils
feront des représentations aux pouvoirs
publics, mais ce que nous croyons fort,
c'est que ces représentations resteront
sans sanction. Les -gouvernements les
plus catholiques se soucieraient médio-
crement d'engager des négociations
avec le cabinet italien pour obtenir la
reconstitution des Etats pontificaux ou
seulement l'évacuation de Rome. Ils ne
peuvent guère se dissimuler qu'au pre-
mier mot le gouvernement italien dé-
clarerait qu'il est inutile de continuer et
qu'il est absolument déterminé à main-
tenir l'unité italienne, avec Rome intan-
gible.
Les catholiques ne peuvent penser
qu'il y a, pour parvenir à leur fin, une
autre voie que celle d'une guerre, et
lorsque les journaux catholiques fran-
çais publient des articles comme celui
de la Vérité, ils doivent reconnaître
qu'ils excitent le parti clérical français
à prendre l'initiative d'un conflit entre
la France et l'Italie. Quand, depuis près
d'un quart de siècle, nous nous refu-
sons à prendre la respônsabilité d'une
revanche, quand nous continuons à
porter au flanc la plaie saignante que
l'on sait, on vient nous proposer tran-
quillement de mettre l'Europe à feu
pour empêcher la représentation d'un
drame impie ou la publication d'un
article désobligeant pour le pape.
Les partis réactionnaires ont déjà une
bien lourde responsabilité. Ce sont les
déclarations du comte de Chambord di-
sant que son premier soin, une fois ré-
tabli sur le trône, serait de rendre au
pape ses Etats; ce sont les pétitions en
faveur du rétablissement du pouvoir
temporel ; ce sont les manifestations
des cléricaux qui ont servi de pré-
texte à l'Italie pour s'allier à l'Alle-
magne. Tous les hommes politiques
d'Italie ont répété que l'alliance italo-
allemande n'avait d'autre raison que
d'assurer au gouvernement italien la
possession de Rome, et, d'un cœur lé-
ger, on nous demande de nous mettre
sur les bras les armées de la triple al-
liance pour une affaire qui ne nous re-
garde pas, pour mettre une couronne
royale sur la tiare.
Cela a tant d'importance à certains
yeux, que l'on ne recule pas devant la
pensée des boucheries humaines, des
ruines, des désastres, des deuils, des
cataclysmes effroyables dont une guerre
serait accompagnée. En vérité, les ca-
tholiques sont des politiques habiles et
l'on voit bien que l'Eglise est la ser-
vante d'un Dieu de paix.
mrnSSwm
Le journal le Temps parle depuis quel-
que temps en termes assez sévères de nos
mœurs administratives et judiciaires. « Si
le mal est grand dans l'administration, di-
sait-il récemment, il est bien plus profond
encore dans la magistrature dans un dé-
partement où les amitiés et les inimitiés
personnelles et de famille affectent une
extrême vivacité. »
« Il en est de même, ajoute le même
journal, pour les justices de paix : on a pris
l'habitude d'en faire la récompense des
vainqueurs ou la consolation des vaincus
dans les luttes électorales. Les uns et les
autres ne peuvent avoir qu'une idée ou
qu'un instinct : servir leurs amis, nuire à
leurs adversaires. Et croyez qu'ils ne s'en
font pas faute. »
Le Temps dirait, s'il était de bonne foi,
que l'exemple de ces mœurs déplorables
vient du chef du gouvernement, de
M. Charles Dupuy, président' du conseil
et ministre de l'intérieur.
En veut-on lapreuve?M. CharlesDupuy,
n'étant alors que député, se rend à Ajac-
cio pour assister aux couches de Mme Du-
puy qui furent laborieuses. La présence
d'un médecin fut jugée nécessaire ; on
appelle un petit officier de santé du nom
de Tavera. Tout se passe heureusement.
Quant aux honoraires du médecin, M.
Charles Dupuy, devenu ministre de l'in-
térieur, les solda en nommant l'officier de
santé Tavera directeur des prisons dépar-
tementales de la Corse, jolie prébende de
6,000 francs, accessoires non compris.
Autre exemple, concernant les juges de
paix.
La sous-préfecture d'Yssingeaux, dans
la Haute-Loire possède pour juge de paix
M. Dubreuil, ex-maire d'Yssingeaux,
battu et rebattu aux élections municipales,
aux élections du conseil général, battu
encore aux élections législatives de 1889
bieaque candidat ofliciel.
Tant de défaites méritaient une récom-
pense, et il en a eu deux par la grâce du
grand Dupuy : nommé d'abord officier
d'Académie, il fut nommé ensuite juge de
paix dans la commune et le canton qui lui
avaient infligé échecs sur échecs.
Quelle bonne justice peut-on rendre
dans de pareilles conditions ? Car,pour être
juge de paix, on n'en a pas moins été can-
didat battu et rebattu.
Ajoutez à cela que le fils de M. Dubreuil
est avoué à Yssingeaux. Pauvres justicia-
bles !
Ailleurs, c'est l'inverse. Des juges de
paix sont révoqués ou envoyés en dis-
grâce dans d'abominables trous , parce
qu'ils n'ont pas montré assez de zèle pour
le candidat de M. Dupuy qui, dans plus
d'un arrondissement, était en même temps
le candidat des ralliés.
La vérité est qu'il n'y a jamais eu de
gouvernement plus honteusement démo-
ralisateur que celui de M. Charles Dupuy
et que pour remédier au mal dont parle le
Temps, la première « opération chirurgi-
cale » indispensable serait celle qui nous
débarrasserait de cet incomparable mi-
nistre.
Mais cela, le Temps ne le dira jamais,
jamais. marn—mma«Km
NOS CONSEILLERS MUNICIPAUX
EN ITALIE
Le bureau du conseil municipal, désireux
d'établir que les membres de fette assemblée
s'assocknt aux idées de paix et de fraternité
entre les peuples, notamment entre les peuples
latins, dont la Société pour la paix et l'arbi-
trage s'est faite la propagatrice, a décidé
d'accepter l'invitation au congres, de Pérouse
qui lui a été adressée par M.Léopoldo Tibéri.
M. Champoudry, président du conseil mu-
nicipal, étant retenu loin de Paris, ce sont
MM. Attout-Tailfer et Georges Girou qui re-
présenteront l'assemblée communale en cette
circonstance. Ils partiront lundi matin.
SUICIDE D'UN OFFICIER DU 1286
M. Petit, capitaine au 128' de ligne,en gamisoa à
Sedan, vient de se suicider.
Dans une lettre écrite au colonel, le capitaine
Petit explique l'acte qu'il va commettre et l'attribue
à un dérangement d'esprit.
C'est après avoir muni son revolver d'ordonnance
de ses six cartouches, que. le capitaine s'est brûlé la
cervelle.
Une seule balle a été tirée; elle a traversé le
cerveau de part en part.
LES MONOPOLES A GRAND BASSAM
Liverpool, 7 septembre.
Le steamer Cabinda, venant de la côte occiden-
tale d'Afrique, est arrivé à Liverpool et rapporte
que l'agent anglais de la Compagnie anglaise des
bois d'Afrique est arrivé à Grand-Bassa.m le
16 août pour opérer un chargement d'acajou, rouis
qu'il ne lui a pas été permis de charger un seul
bloc de ce bois.
Le monopole du commerce de ce boU aarait été
accordé à une maison française.
AUX PAYS ANNEXÉS
L'ALSACE ET LA LORRAINE
SONT-ELLES GERMANISÉES?
La détente entre les deux pays. — Voyage
en Alsace. — Notes et impressions.
On se rappelle le conseil de Gambetta au
lendemain de la perte de l'Alsace et de la
Lorraine : « Y penser toujours, n'en parler
jamais. »
Peut-être a-t-il été trop bien suivi, — car
peut-être est-ce une erreur que de supposer
qu'on peut penser longtemps à ce dont on ne
parle pas.
Sans doute il serait excessif de prétendre
qu'on n'évoque plus le souvenir des provin-
ces perdues, qu'il n'en est plus question ni
dans les conversations particulières ni dans la
presse. Mais le temps fait son œuvre et plus
on va moins on songe à ce- qui fut, il y a
seulement quelques années, notre unique ob-
jectif et moins on s'en entretient : on ne se
résigne pas encore au fait accompli, mais
on l'envisage déjà avec un « esprit nou-
veau », avec un secret désir de « détente ».
Cet esprit nouveau est-il donc réellement
justifié? Y a-t-il vraiment détente entre les
deux pays?
J'ai voulu m'en rendre compte en allant
constater de visu ce que vingt-quatre ans
d'annexion avaient fait du peuple d'Alsace, ce
qui subsistait d'éléments français en Lor-
raine, quels étaient enfin les rapports de nos
compatriotes avec leurs conquérants.
J'ai été pour cela un peu partout, à Mul-
house, à Schlestadt, à Strasbourg, à Metz.
J'ai vu des gens de tout âge et de toute con-
dition, des paysans et des bourgeois, de pe-
tits commerçants et de riches industriels ; je
les ai interrogés sur toutes les matières, de
toutes Ifes façons; j'ai cherché à connaitre la
situation exacte qui leur était faite, leurs
idées sur le présent et sur l'avenir, à savoir
en un mot quel était le fond de leurs pen-
sées, l'état de leur moi, comme dirait M. Bar-
rés. Et ce que je rapporte de cette petite en-
quête personnelle à laquelle j'ai procédé li-
brement, sans parti-pris aucun, c'est une
impression très difficile à définir, consolante
sur quelques points, attristante sur beaucoup
d'autres.
L'ALLEMAGNE ET LE REICHSLAND
Certes, ceux qui'prétendent que l'Alsace est
germanisée sont ceux qui s'en tiennent à
l'apparence des choses, car si on y parle alle-
mand et si le français y est impitoyablement
banni de partput, l'assimilation des deux ra-
ces n'est pas pour cela chose faite. Mais
il n'en est pas moins incontestable que ce
malheureux pays passe par une phase nou-
velle, par une sorte de crise d'âge, s'il est per-
mis d'employer l'expression, qui peut être dé-
cisive pour lui.
L'Allemagne a tout fait pour s'y faire res-
pecter. Elle a tâché de le seduire en dépensant
des millions et des millions, soit pour embel-
lir ses villes et y élever des monuments, soit
pour améliorer ses chemins de fer, ses routes
et ses canaux. Elle a essayé de le subjuguer
par l'appareil de sa puissance militaire. Elle
a usé de tous les moyens, de tous les systè-
mes.
Au début, elle s'est montrée douce et conci-
liante, s'efforçant, suivant le mot de M. de
Manteuffel, de cicatriser sa récente blessure
et non pas de lui en faire une nouvelle. Puis,
pensant aller plus vite, elle a été, à l'arrivée
de M. de. Hohenlohe aux affaires, rigoureuse
et dure, frappant sans cesse adroite et à gau-
che, cherchant à terroriser les populations.
Aujourd'hui elle prend une attitude inter-
médiaire, qui tient le milieu entre les deux
autres et que seul le souvenir de ses dernières
sévérités peut faire considérer comme de la
clémence.
Les «anciens», ceux qui ont vu M. de
Manteuffel à l'œuvre, ne s'y trompent pas.
— Parbleu ! disent-ils, après le régime des
passeports, ça semble exquis de pouvoir aller
et venir, sans être inquiété à tout bout de
champ. Mais ça ne pouvait pas non plus tou-
jours durer, cet état de suspicion générale. Il
fallait bien que ça finisse, c'était par trop
désastreux; et si:on y a renoncé, on n'est pas
pour cela près d'en revenir aux procédés de
Manteuffel qui, lui, tout Allemand qu'il fût,
était vraiment un brave homme.
Cette sympathie unanime, cette déférence
très réelle que tous les Alsaciens professent
envers leur premier statthalter est peut-être
plus significative que quoi que ce soit sur ce
que vaut la prétendue détente actuelle.
L'ANTAGONISME ENTRE LES DEUX
RACES
Est-ce à dire que l'antagonisme entre vain-
queurs et vaincus subsiste comme au premier
jour? Je me garderai bien de l'affirmer,
quoique j'aie entendu de vieux Alsaciens,
sachant à peine le français, s'efforcer de ne
parler que français entre eux, quoique j'aie
même rencontré un groupe de soldats venus
en congé dans leurs familles, se promenant
dans les rues de Strasbourg en affectant de ne
pas dire un mot d'allemand.
Mais, sans s'exagérer l'importance que peu-
vent avoir certains traits de ce genre, il est
incontestable que si la haine du début s'est
apaisée, elle est loin d'avoir disparu.
Elle a fait place, pour ainsi dire, à un sen-
timent nouveau de rancune et de rivalité, où
il entre peut-être moins d'amers regrets de la
partie perdue que par le passé et davantage
de jalousie, d'esprit d'independance locale.
On n'apprend plus, par exemple, aux en-
fants à se dire Français ; on leur apprend à
se dire Alsaciens,
— Dame, que voulez-vous, me déclarait à
ce propos un industriel de Strasbourg, puis-
que nous ne pouvons être Français et que
nous ne voulons pas être Allemands, il faut
bien au moins que nous soyons « nous ».
Et son opinion est certainement l'opinion
dominante — celle que j'ai rencontrée le plus
fréquemment.
Il en est d'autres assez curieuses et assez
intéressantes que je tiens à reproduire telles
qu'elles m'ont été présentéèB.
LES PATRIOTES
Celle-ci d'abord qui peut se résumer par ce
petit bout de conversation que j'ai eu avec un
boutiquier et un propriétaire des environs
de Strasbourg et dont je ne change pas un
mot.
— Ici, voyez-vous, me dit l'un, il n'y a
qu'une chose à faire, travailler, tâcher de
mettre quelques sous de côté et filer. Je sais
bien qu on prétend que c'est faciliter la tâche
des Allemands, mais je voudrais bien les y
voir, ceux qui nous blâment 1 Je parie qu'ils
seraient des premiers à décamper t
— Et ils auraient raison, interrompt l'au-
tre, car en restant, c'est triste à dire, mais
nous faisons forcément de nos fils des Prus-
siens l
— Oui, tant que nous serons là, reprend
le premier, ça ira ; mais après nous, hélas 1.
- - Ah ! si seulement je pouvais vendre ma
petite propriété, ajoute le second. Malheu-
reusement, il n'y a pas moyen ; on ne trouve
plus d'acquéreurs aujourd'hui ; on a tant
vendu que les terres n'ont plus de prix.
— Ou encore, dit l'autre en concluant, si
on avait quelque espoir que ça puisse chan-
ger,-comme en 87, au moment de l'affaire
Bchnsebelé.
A côté de ce dialogue éloquent, on me per-
mettra de placer cet interview qui montre
jusqu'où va chez certains le découragement.
LES DÉCOURAGÉS
—>Bah 1 me dit M. W.,un gros bonnet du
pays, vous commencez à en prendre votre
parti, il faut bien que nous le prenions nous-
mêmes.
— Vous vous résignez ?
— Moi ? Pas encore, parce que j'ai des res-
sources, parce que je peux faire apprendre le
français à mes enfants, parce que je peux
leur inculquer l'amour de leur véritable patrie,
parce qu'enfin le jour où j'en aurais assez, je
pourrais passer la frontière avec eux. Mais les
autres, mais les paysans, mais les ouvriers,
comment voulez-vous qu'ils fassent ? Ils ne
parlent que le patois alsacien ; on ne leur a
jamais appris un mot de français. Leurs fils
ne savent que l'allemand ; ils n'ont pas les
moyens de les envoyer chez des professeurs
particuliers pour leur faire enseigner une
langue qu'ils ne connaissent pas eux-mêmes ;
ils n'ont pas la force de tenir tête toujours et
quand même. -Ils se lassent.
— Et le clergé?
— Le clergé, mon Dieu, il suit un peu ici,
vis-à-vis de l'Allemagne, la même politique
qu'il observe en France vis-à-vis de la Répu-
blique. Il ne se rallie pourtant pas encore et
l'abbé Jacquot n'a que peu d'imitateurs. Mais
il n'apporte plus à la lutte la même ardeur,
la même passion qu'autrefois. Il a peur d'a-
voir des affaires avec l'évêque ou avec les au-
torités civiles et, sauf ceux de ses membres
qui vont au Reichstag protester autant au
nom de la religion qu'au nom de la patrie, il
se tient tranquille. Il rédige les actes de bap-
tême en latin pour ne pas les faire en alle-
mand, voilà tout 1
— Mais la Lorraine?
- La Lorraine, ah 1 baste 1 elle deviendra
plus vite allemande que l'Alsace. La langue
diffère, oui, c'est vrai; mais la race est moins
têtue, moins réfractaire à toute domination
étrangère.
ALSACIENS ET LORRAINS
Ds-je ajouter qu'il m'a semblé, en effet,
qu'il y avait plus de soumission, plus de do-
cilité en Lorraine qu'en Alsace, que malgré
les apparences celle-ci était peut-être plus
germanisée que celle-là, si tant est qu'il y
ait germanisation au sens propre du mot ?.
J'ai remarqué à Strasbourg des quantités
de boutiques surmontées de vieilles ensei-
gnes presque complètement effacées par le
temps, que leurs propriétaires se refusaient à
mettre en état parce qu'ils auraient été con-
traints, en pareille occurence, de les faire
faire en allemand. J'y ai rencontré une pau-
vre brave femme qui me faisant visiter un mo-
nument dont elle a la garde, me montra un
officier supérieur en me disant avec des lar-
mes dans les yeux ; « Ah ! monsieur, quand
donc nous en débari-dsserez-vous ? » J'ai ren-
contré à Schlestadt, où je me trouvais le jour
anniversaire de la bataille de Sedan, un ou-
vrier qui, m'ayant demandé en patois si j'é-
tais Français, m'a sur ma réponse affirmative
tendu les deux mains et donné le plus solide
shake-hand que j'aie jamais échangé.
Je n'ai point recueilli en Lorraine des té-
moignages aussi spontanés, aussi chauds,
aussi émouvants dans leur simplicité, de la
fci gardée en la patrie perdue.
J'ai entendu des Alsaciens me dire, comme
celui dont je citais un mot un peu plus haut,
qu'ils avaient « espéré » la guerre en 1887. Je
n'ai point entendu de Lorrain me tenir un
tel langage : tous, au contraire, m'ont paru
résignés de plus ou moins bon cœur, mais ré-
signés tout de même.
GRIEFS CONTRE LA FRANCE -,
Je dois ajouter que les Alsaciens ne sont
pas sans avoir quelques griefs contre nous.
Ils nous reprochent de les avoir trop dédai-
gnés, de ne les avoir pas assez francisés, de
ne pas nous intéresser suffisamment à ceux
d'entre eux qui désertent pour venir servir en
France, de les traiter trop volontiers de « tête
carrée » quand ils abandonnent leur pays par
natriotisme. 1
— Oui, monsieur, oui, me disait l'un d'eux,
j'ai des amis qui ont passé la frontière pour
aller s'engager dans des régiments français et
qui n'ont cessé d'être appelés « choucrout-
mann » aussi bien par leurs supérieurs que
par leurs camarades. Eh bien 1 pour nous,
dans les conditions présentes, ce n'est pas
une plaisanterie, cela : c'est une insulte.
D'autres, qui pensaient être accueillis
à bras ouverts, se .plaignent de trouver toutes
les portes fermées, de ne recevoir ni aide ni
secours, d'être considérés un peu comme des
étrangers. Beaucoup tombent dans la misère,
quelques-uns en viennent même à regretter
leur « coup de tête ».
Tout ceci n'est pas sans quelque influence
sur l'opinion, et peut-être avons-nous, en ef-
fet, par notre négligence, par notre légèreté,
contribué dans une certaine mesure à germa-
niser ce pays qui nous est pourtant, malgé la
divergence de langue, si fortement attaché
qu'on enregistre tous les ans plus de cinq
cents manquants à l'appel des conscrits.
LES GERMANISÉS
Mais ce qui est surtout triste à constater,
c'est que l'Alsacien germanisé devient en gé-
nèral plus dur envers ses compatriotes que
l'Allemand lui-même.
Il a l'ardeur du néophyte, la violence du
converti.
On m'a cité notamment le cas d'un jeune
homme d'une grande famille des environs de
Mulhouse dont le frère, officier français en
1870, fut tué par les Allemands et qui est lui-
même aujourd'huiofficier dans l'armée alle-
mande. Il parait qu'il n'est pas de tracasse-
ries, pas d'injures dont il n'abreuve les mal-
heureuses recrues d'Alsace qui arrivent dans
sa compagnie.
D'autres font une campagne sourde auprès
des jeunes. soldats qui reviennent du régi-
ment, leur assurant que s'ils redevenaient
-français, il n'y aurait pas d'avanies qu'ils ne
recevraient de ceux de leurs amarade's qui
ont été servir en France, essayant de les ga-
gner à leur, cause par la peur des ennuis qui,
à leur dire, résulteraiènt pour eux. d'un chan-
gement de nationalité. Et malheureusement,
ils ne réussissent que trop souvent à convain-
cre leurs auditeurs, à les détacher de nous
par la honte même qu'ils éprouvent à avoir
servi « l'ennemi ».
LE MOT DE LA SITUATION
— Si les Français, mGdisaitencore un de mes
interlocuteurs, allaient plus fréquemment en
Alsace, si au lieu de prendre leurs vacances sur
les plages de Normandie ou sur les monta-
gnes des Alpes, ils parcouraient en simples
touristes ce délicieux pays, si poétique et si
plein de petits coins ravissants et insoup-
çonnés, peut-être retiendraient-ils à eux, sans
qu'ils aient besoin dé faire aucune propagan-
de, beaucoup de malheureux qui ne deman-
dent qu'un mot de sympathie, qu'une marque
d'intérêt et d'attachement pour leur rester fi-
dèles, mais qui, abandonnés et livrés à eux-
mêmes, ne savent plus ni où aller ni quoi
faire.
Je livre la réflexion au public et je souhaite
qu'il en fasse son profit.
C'est, en effet, le véritable mot de la situa-
tion. L'Alsace et la Lorraine ne savent plus
où aller ni quoi faire. Elles ne sont pas ger-
manisées, elles sont désorientées.
LES TOMBES DE NOS SOLDATS
Qu'on me permette de signaler en termi-
nant un fait d'une tout autre nature que j'ai
eu l'occasion de relever pendant mon séjour
là-bas. C'est l'état d'abandon dans lequel on
laisse les tombes de nos soldats qui y succom-
bèrent en 1870.
On sait qu'ont réservé toute une partie du
cimetière de Metz aux militaires français et
allemands qui périrent dans ses murs à la suite
du siégea
Au centre, une grande pyramide massive
et lourde, assez vilaine de forme, est dressée
à la mémoire des 7,203 soldats français qui,
transportés dans les ambulances de Metz
après les combats de Gravelotte, de Saint-
Privat et de Mars-la-Tour, ne purent survivre
à leurs blessures. A quelques mètres plus loin,
cinquante officiers sont réunis dans un même
tombe. Tout autour, d'autres sont enterrés
dans des caveaux particuliers.
Jadis, tous les ans, le 12 septembre, le
clergé de Metz, après avoir célébre un service
commémoratif en l'honneur de nos morts,
venait en procession, bannières déployées, jus-
qu'au cimetière. Il y chantait le De Profundis
et la foule l'y suivait, garnissant de fleurs et
de petits drapeaux tricolores la pierre froide
et humide sous laquelle reposent les'malheu-
reux qui luttèrent pour la défense des trois
couleurs.
Mais depuis quelques années tout a été
changé. On à interdit au clergé de sortir de
la cathédrale après la célébration du service ;
on a défendu tout cortège, toute manifesta-
tion quelle qu'elle soit. Les drapeaux ont été
enleves et les Messins qui veulent se rendre
au cimetière ne peuvent y aller qu'individuel-
lement. Bien mieux, il y a deux ans, une
pauvre vieille dame dont le fils est enterré là,
étant venue tout exprès du fond de laBretagne
pour déposer uns couronne sur sa tombe, a
vu ce pieux souvenir mis en lambeaux par
un soldat du poste voisin sous prétexte que
parmi les fleurs qui le composaient il y en
avait de cou leur rouge, blanche et bleue qui
lui donnaient un aspect séditieux.
Bref, petit à petit, toute cérémonie étant de-
venue impossible, on a perdu l'habitude d'aller
au cimetière, et sauf quelques vieillards qui
ont conservé intacte leur foi du passé ou quel-
ques Français de passage à Metz, personne
autre que les soldats de garde n'y entre ja-
mais.
Une vingtaine de vieilles couronnes fanées
et usées, ayant pour le moins neuf à dix ans
de date et n'ayant pour la plupart pas plus
de vingt à vingt-cinq centimètres de diamè-
tre, garnissent seules les murs du monument
central, au pied duquel la societé du Souvenir
français en a fait déposer deux autres que la
pluie, le soleil et la poussière ont rendues uni-
formément grises. Sur le monument des offi-
ciers, cinq à six, qui ne sont ni plus belles
ni plus propres, sont encore entassées, et c'est
tout.
Mais ce qui est surtout navrant, c'est que
la mousse récouvre la pierre, qui s'est cassée
par endroits, fendue par d'autres, que rien
n'est entretenu, que tout est abandonné, dé-
laissé.
L'impression est désolante, et, franchement,
on ne s'explique guère que le gouvernement
français ne fasse pas pour nos morts de l'an-
née terrible ce que l'Allemagne fait pour les
siens.
Les cendres de Turenne, dans le grand-
duché de Bade, sont gardées par un ancien
soldat français. Celles des combattants de
1870 pourraient bien être traitées de la même
façon.
André Honnorat.
LA MALADIE DU COMTE DE PARIS
Buckingham, 7 septembre, 10 h. 30.
Voici le bulletin sur l'état du comte de
Paris :
« Le prince a passé une mauvaise nuit ; il
garde sa connaissance. »
Buckingham, 7 septembre, midi.
Cette nuit, on a cru un instant la fin du
comte de Paris imminente ; le docteur Réca-
niier ne trouvait plus le pouls du malade.
Cependant ce matin le pouls est redevenu
perceptible.
Le prince a pu reconnaître encore la com-
tesse de Paris et ses enfants, qui l'ont em-
brassé.
Depuis plusieurs nuits, la comtesse de
Paris n'ose même pas se déshabiller, de peur
de n'être pas prête à se rendre auprès du
prince pour recueillir son dernier soupir.
Tous les signes avant-coureuis de la mort
se sont produits, quelques-uns depuis un ou
deux jours.
Buckingham, 7 septembre, 7 h. 14 s.
L'état du comte de Paris n'a pas changé.
Madrid, 7 septembre.
Des prieres publiques ont été dites pour le
comte de Paris à l'église.de Villamanrique.
- Madrid, 7 septembre.
Les aspirations manifestées par Don Fran-
cisco de Bourbon à prétendre au titre de chef
de la maison royale de France et le voyage du
prince Valori à Saint-Sébastien pour se met-
tre à la disposition du nouveau prétendant
provoquent les plaisanteries unanimes de la
presse et de l'opinion.
Buckingham, 7 sept. 8 h. soir.
L'état du comte de Paris est toujours très
grave et très alarmant.
L'impératrice de Russie a envoyé aujour-
d'hui en son nom et au nom du tsar un télé-
gramme peut exprimer sa sympathie et de-
mander des nouvelles.
LA TRIPLICE
Rome, 7 septembre.
Dans les sphères diplomatiques, on dit
que des explications amicales ont été échan-
gées entre les cabinets de Rome et de Berlin,
en vue de dissiper les récents malentendus et
d'affirmer par un nouvel acte public la soli-
dité de la triplice.
Il aurait été décidé entre les deux cabinets
que le message impérial à l'ouverture du
Reichstag et aussi le discours de la couronne
à l'inauguration de la session législative
d'Italie devront contenir la déclaration expli-
cite que les rapports entre les Etats de la tri-
plice ne furent jamais aussi intimes que
maintenant.
- On assure que le discours de la couronne
annoncera le prochain mariage d'un prince de
Savoie.
CHRONIQUE
BUVETTES ET BUFFETS
Nos pères aimaient à nous conter les
ruses et les friponneries des hôteliers qui,
au temps des diligences, s'entendaient
comme larrons en foire avec les conduc-
teurs pour vous servir un repas succulent
et surtout vous empêcher de le prendre.
Au moment où apparaissait le poulet rôti,
bien doré sur toutes ses faces et bardé d'un
lard tout frissonnant encore des baisers de
la lèchefrite, la porte s'ouvrait avec fracas:
« Allons, messieurs, en voiture ! »
Et brusquement il fallait reprendre sa
place dans la guimbarde et rengainer son'
appétit jusqu'au prochain relai. La même
volaille passait ainsi sous le nez de trois
ou quatre fournées de voyageurs, jusqu'à.
ce qu'il s'en trouvât quelques-uns, plus
hardis que les autres, pour se moquer de
l'hôtelier, mettre en pièces l'animal —
c'est le poulet que je veux dire - et en
emporter les morceaux dans la voiture.
Ne croyez pas que l'établissement des
chemins de fer ait sensiblement modifié
le fond des choses. L'âme des hôteliers est
restée la même ; ils ont seulement varié
leurs procédés et trouvé des moyens nou-
veaux de rançonner le voyageur.
En vain les compagnies cherchent-elles
à les emprisonner dans les clauses très
précises de leurs contrats ; ils trouvent
toujours le moyen de s'échapper par la
tangente.
Pour empêcher le public affamé d'être
dépouillé au coin d'une gare comme en
pleine forêt de Bondy, les tenanciers des
buffets sont tenus aujourd'hui de fournir
des repas à prix fixe. L'un, assez substan-
tiel, est coté trois francs ou trois francs
cinquante. L'autre, plus modeste, à l'usage
des petits estomacs et des petites bourses,,
ne doit pas dépasser trente sous.
C'est un progrès, assurément. Encore
faut-il qu'on vous laisse le temps d'en
prendre pour votre argent. Mais il faut
compter d'abord avec lesîetardsdes trdins.
En bonne logique, le retard devrait être
regagné sur la vitesse et non sur les arrêts.,
A chaque instant, c'est le contraire qui
arrive. Voici ce qu'on peut voir tous les
jours, ce que j'ai vu vingt fois ici et là —
à la gare de Cette notamment où se rac-
cordent les lignes du Midi et du P. L.M.:
Sur la foi de l'Indicateur qui vous pro-
met un arrêi de trente ou quarante minu-
tes, vous. savourez d'avance le déjeuner
que vous allez prendre. Neuf fois sur dix
le train qui vous amène a vingt ou vingt-
cinq minutes de retard. Impossible de se
faire servir à table d'hôte, puisqu'il faut
repartir aans quelques instants. Alors
c'est un beau tableau. Une cohue d'affa
més se précipite et se bouscule ; on prend
d'assaut le buffet ; on fait une rafle géné-
rale de toutes les victuailles qui s'y trou-
vent. Trois ou quatre garçons vous envQ..
loppent à la diable dans des papiers grais-
seux les tranches de veau desséchées, les
poulets étiques, les fruits douteux, les jet-
tés antédiluviens, et, comme ce service
extra ne rentre pas dans le cadre des re-
pas à prix fixe affichés à la porte, vous
êtes absolument à la merci de l'industriel
qui a spéculé sur les défaillances de votre
estomac. J'ai moi-même emporté ainsi, du.
buffet de la gare d'Agen, au prix de un
franc vingt-cinq, un minuscule pâté, où se
morfondait un morceau de viande coriaces.
pâté qui, tout frais, aurait bien coûté qua-
tre sous chez le charcutier d'en face, si
l'on avait eu le temps de traverser la
rue.
Il y a quelques jours, a Hlesme, un
monsieur s'assied au buffet pour prendre
le repas à trente sous. On lui sert un
bouillon et une tranche de rosbif. A peine
avait-il introduit le couteau dans la par..
tion qui lui était servie, que les employés
du chemin de fer annoncent le départ du
train. Le monsieur offre de payer le bouil-
Ion, mais refuse absolument d'acquitter
le rosbif sous prétexte qu'il ne l'a pas con-
sommé. — « Mais, monsieur, dit la dame.
du buffet, furieuse, où en serions-nous si
tous les voyageurs consommaient ce qu'ils
prennent ? Ce morceau, vous avez com-
mencé à le couper, je ne puis plus le ser-
vir à un autre client. » Le monsieur,
qui n'avait pas froid aux yeux, s'entêta, et
comme il paraissait bien résolu à ne pren-
dre ni son train ni son rosbif, comme il
commençait à ameuter la foule, la dame
soudain radoucie, finit par capituler et se
contenta du prix du bouillon. Mais vous
ou moi, pour éviter une affaire ou de peur
de manquer le train, nous aurions allongé
nos trente sous en envoyant l'hôtelière à
tous les diables. Ce qui prouve en pas-
sant qu'il est bon d'avoir mauvais carac-
tère.
La nouvelle organisation des buffets a
eu, de plus, pour conséquence fâcheuse la
disparition des buvettes, la grande res-
source des gens qui ne peuvent n* me pas
mettre trente sous à un repas. Vous allez
me dire que les buvettes existent toujours
et que j'ai eu certainement la berlue si je
neles-ai pas VaQS. Oui, elles existent en
apparence, mais neuf fois sur'dix elles
sont affermées à l'industriel qui tient le
buffet et qui s'arrange, bien entendu, de
façon à ne pas se faire concurrence à lui-
même.
Entrez, par exemple, a la buvette du
Mans. Vous ne voulez pas du repas à
trente sous, vous vous contentez d'un
bouillon et d'un petit pain.au jambon. On
nous apporte une eau roussâtre au fond de
laquelle grouillent quelques filaments de
vermicelle et un petit pain d'un sou dans
lequel on a inséré une tranche de jamboa
soigneusement passée au laminoir. Addi-
tion ; dix sous le potage, quinze sous le
pain au jambon, et vous n'ayez rien bu 1
C'est que l'eau grasse vient de la même
marmite qui fournit le bouillon du buffet
et qu'on a été chercher votre petit pain sur
le comptoir de la salle voisine. Les tenan-
ciers des buffets ont cherché partout à tuer
les buvettes qui gênaient leurs actes de
piraterie et les empêchaient de puiser a
même dans le gousset du voyageur, et le
plus sûr moyen de les tuer, c'était de lea
annexer aux susdits buffets.
LE NUMÉRO CINQ CENTIMES
DIMANCHE 9 SEPTEMBRE 189i
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IiJj Al a - M l s t jJu I i
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Ias Abonnements sont reçus sans frais dans
toas les Bureaux de Poste.
POUR LE PAPE
Les journaux religieux d'Italie et
ceux de France qui leur font écho s'in-
dignent de la représentation sur un
théâtre italien d'un drame où le Christ
est insulté, et ils Signalent aussi les in-
jures adressées au pape par des jour-
naux dans lesquels ils veulent voir les
complices du gouvernement du roi Hum-
bert. Ils gémissent que « la presse libé-
rale ait toute licence d'inj urier l'Eglise
et le pape, pendant que la presse catho-
lique n'a pas même la pouvoir de don-
ner libre carrière à son indignation ».
Si l'on a outragé le Christ sur la scène
et le pape, dans la presse, assurément
on a eu tort. Les outrages et les injures
n'ont jamais rien prouvé, sinon,la mau-
vaise éducation de celui qui les profère,
et l'on peut dire des hommes et des dieux
tout ce que l'on veut sans manquer aux
yègles de la courtoisie. Si cependant
quelqu'un est mal fondé à se plaindre
d'un défaut de courtoisie à son égard,
c'est bien l'Eglise, car elle n'en a pas
montré toujours beaucoup avec ses ad-
versaires. Lorsqu'elle avait une autorité
propre et qu'elle disposait d'une partie
de l'autorité judiciaire, elle brûlait ses
contradicteurs, ce qui passerait difficile-
ment pour une mesure de politesse, ou
bien il lui arrivait d'en envoyer au bû-
cher, comme Etienne Dolet, pour un
prétendu contresens dans une traduc-
tion du grec, ce qui est une méthode
pédagogique un peu brutale,
Non seulement les catholiques ou-
blient.'assez volontiers ces précédents,
mais il ne semble pas qu'ils se sou-
viennent beaucoup mieux des préceptes
du Christ lui-même qui enseignait que
lorsqu'on a reçu un soufflet sur une
joue, ce qui peut bien passer pour un
outrage, il faut tendre l'autre joue. Les
journaux catholiques ne veulent tendre
ni une joue ni l'autre et l'Osservatore
Romano estime que le devoir de la
presse catholique est de faire connaître
au monde entier les actes outrageants
qu'il signale : « Il faut, dit-il, que tous
sachent bien quelle est la demeure res-
pectée que le pape possède aujourd'hui
à Rome ».
On ne voit pas bien, au premier anora,
quelle relation il y a entre la demeure
du pape et la représentation à Bologne
d'un drame que nous voulons croire
inconvenant. Le pape fût-il encore
pourvu du pouvoir temporel, ce drame
pourrait être interdit dans les Etats pon-
tificaux, ce journal pourrait être' saisi
à la frontière; mais l'un comme l'autre
auraient toute facilité de se représenter
pu de se publier au dehors.
Mais tout prétexte est bon aux cléri-
caux pour reprendre leur campagne en
faveur du rétablissement du pouvoir
temporel, et la Vérité, commentant les
faits signalés par les feuilles pieuses
d'Italie, ajoute que cela démontre « com-
bien était nécessaire et fondée la décla-
ration des catholiques réunis à Liège
en avril dernier sur la restauration du
pouvoir temporel et combien il serait
urgent que, partout, les catholiques fis-
sent des représentations aux pouvoirs
publies afin d'obtenir pour cette déclara-
tion la sanction qu'elle comporte ».
Nous ne savons si les catholiques sui-
vront l'avis qui leur est donné et s'ils
feront des représentations aux pouvoirs
publics, mais ce que nous croyons fort,
c'est que ces représentations resteront
sans sanction. Les -gouvernements les
plus catholiques se soucieraient médio-
crement d'engager des négociations
avec le cabinet italien pour obtenir la
reconstitution des Etats pontificaux ou
seulement l'évacuation de Rome. Ils ne
peuvent guère se dissimuler qu'au pre-
mier mot le gouvernement italien dé-
clarerait qu'il est inutile de continuer et
qu'il est absolument déterminé à main-
tenir l'unité italienne, avec Rome intan-
gible.
Les catholiques ne peuvent penser
qu'il y a, pour parvenir à leur fin, une
autre voie que celle d'une guerre, et
lorsque les journaux catholiques fran-
çais publient des articles comme celui
de la Vérité, ils doivent reconnaître
qu'ils excitent le parti clérical français
à prendre l'initiative d'un conflit entre
la France et l'Italie. Quand, depuis près
d'un quart de siècle, nous nous refu-
sons à prendre la respônsabilité d'une
revanche, quand nous continuons à
porter au flanc la plaie saignante que
l'on sait, on vient nous proposer tran-
quillement de mettre l'Europe à feu
pour empêcher la représentation d'un
drame impie ou la publication d'un
article désobligeant pour le pape.
Les partis réactionnaires ont déjà une
bien lourde responsabilité. Ce sont les
déclarations du comte de Chambord di-
sant que son premier soin, une fois ré-
tabli sur le trône, serait de rendre au
pape ses Etats; ce sont les pétitions en
faveur du rétablissement du pouvoir
temporel ; ce sont les manifestations
des cléricaux qui ont servi de pré-
texte à l'Italie pour s'allier à l'Alle-
magne. Tous les hommes politiques
d'Italie ont répété que l'alliance italo-
allemande n'avait d'autre raison que
d'assurer au gouvernement italien la
possession de Rome, et, d'un cœur lé-
ger, on nous demande de nous mettre
sur les bras les armées de la triple al-
liance pour une affaire qui ne nous re-
garde pas, pour mettre une couronne
royale sur la tiare.
Cela a tant d'importance à certains
yeux, que l'on ne recule pas devant la
pensée des boucheries humaines, des
ruines, des désastres, des deuils, des
cataclysmes effroyables dont une guerre
serait accompagnée. En vérité, les ca-
tholiques sont des politiques habiles et
l'on voit bien que l'Eglise est la ser-
vante d'un Dieu de paix.
mrnSSwm
Le journal le Temps parle depuis quel-
que temps en termes assez sévères de nos
mœurs administratives et judiciaires. « Si
le mal est grand dans l'administration, di-
sait-il récemment, il est bien plus profond
encore dans la magistrature dans un dé-
partement où les amitiés et les inimitiés
personnelles et de famille affectent une
extrême vivacité. »
« Il en est de même, ajoute le même
journal, pour les justices de paix : on a pris
l'habitude d'en faire la récompense des
vainqueurs ou la consolation des vaincus
dans les luttes électorales. Les uns et les
autres ne peuvent avoir qu'une idée ou
qu'un instinct : servir leurs amis, nuire à
leurs adversaires. Et croyez qu'ils ne s'en
font pas faute. »
Le Temps dirait, s'il était de bonne foi,
que l'exemple de ces mœurs déplorables
vient du chef du gouvernement, de
M. Charles Dupuy, président' du conseil
et ministre de l'intérieur.
En veut-on lapreuve?M. CharlesDupuy,
n'étant alors que député, se rend à Ajac-
cio pour assister aux couches de Mme Du-
puy qui furent laborieuses. La présence
d'un médecin fut jugée nécessaire ; on
appelle un petit officier de santé du nom
de Tavera. Tout se passe heureusement.
Quant aux honoraires du médecin, M.
Charles Dupuy, devenu ministre de l'in-
térieur, les solda en nommant l'officier de
santé Tavera directeur des prisons dépar-
tementales de la Corse, jolie prébende de
6,000 francs, accessoires non compris.
Autre exemple, concernant les juges de
paix.
La sous-préfecture d'Yssingeaux, dans
la Haute-Loire possède pour juge de paix
M. Dubreuil, ex-maire d'Yssingeaux,
battu et rebattu aux élections municipales,
aux élections du conseil général, battu
encore aux élections législatives de 1889
bieaque candidat ofliciel.
Tant de défaites méritaient une récom-
pense, et il en a eu deux par la grâce du
grand Dupuy : nommé d'abord officier
d'Académie, il fut nommé ensuite juge de
paix dans la commune et le canton qui lui
avaient infligé échecs sur échecs.
Quelle bonne justice peut-on rendre
dans de pareilles conditions ? Car,pour être
juge de paix, on n'en a pas moins été can-
didat battu et rebattu.
Ajoutez à cela que le fils de M. Dubreuil
est avoué à Yssingeaux. Pauvres justicia-
bles !
Ailleurs, c'est l'inverse. Des juges de
paix sont révoqués ou envoyés en dis-
grâce dans d'abominables trous , parce
qu'ils n'ont pas montré assez de zèle pour
le candidat de M. Dupuy qui, dans plus
d'un arrondissement, était en même temps
le candidat des ralliés.
La vérité est qu'il n'y a jamais eu de
gouvernement plus honteusement démo-
ralisateur que celui de M. Charles Dupuy
et que pour remédier au mal dont parle le
Temps, la première « opération chirurgi-
cale » indispensable serait celle qui nous
débarrasserait de cet incomparable mi-
nistre.
Mais cela, le Temps ne le dira jamais,
jamais. marn—mma«Km
NOS CONSEILLERS MUNICIPAUX
EN ITALIE
Le bureau du conseil municipal, désireux
d'établir que les membres de fette assemblée
s'assocknt aux idées de paix et de fraternité
entre les peuples, notamment entre les peuples
latins, dont la Société pour la paix et l'arbi-
trage s'est faite la propagatrice, a décidé
d'accepter l'invitation au congres, de Pérouse
qui lui a été adressée par M.Léopoldo Tibéri.
M. Champoudry, président du conseil mu-
nicipal, étant retenu loin de Paris, ce sont
MM. Attout-Tailfer et Georges Girou qui re-
présenteront l'assemblée communale en cette
circonstance. Ils partiront lundi matin.
SUICIDE D'UN OFFICIER DU 1286
M. Petit, capitaine au 128' de ligne,en gamisoa à
Sedan, vient de se suicider.
Dans une lettre écrite au colonel, le capitaine
Petit explique l'acte qu'il va commettre et l'attribue
à un dérangement d'esprit.
C'est après avoir muni son revolver d'ordonnance
de ses six cartouches, que. le capitaine s'est brûlé la
cervelle.
Une seule balle a été tirée; elle a traversé le
cerveau de part en part.
LES MONOPOLES A GRAND BASSAM
Liverpool, 7 septembre.
Le steamer Cabinda, venant de la côte occiden-
tale d'Afrique, est arrivé à Liverpool et rapporte
que l'agent anglais de la Compagnie anglaise des
bois d'Afrique est arrivé à Grand-Bassa.m le
16 août pour opérer un chargement d'acajou, rouis
qu'il ne lui a pas été permis de charger un seul
bloc de ce bois.
Le monopole du commerce de ce boU aarait été
accordé à une maison française.
AUX PAYS ANNEXÉS
L'ALSACE ET LA LORRAINE
SONT-ELLES GERMANISÉES?
La détente entre les deux pays. — Voyage
en Alsace. — Notes et impressions.
On se rappelle le conseil de Gambetta au
lendemain de la perte de l'Alsace et de la
Lorraine : « Y penser toujours, n'en parler
jamais. »
Peut-être a-t-il été trop bien suivi, — car
peut-être est-ce une erreur que de supposer
qu'on peut penser longtemps à ce dont on ne
parle pas.
Sans doute il serait excessif de prétendre
qu'on n'évoque plus le souvenir des provin-
ces perdues, qu'il n'en est plus question ni
dans les conversations particulières ni dans la
presse. Mais le temps fait son œuvre et plus
on va moins on songe à ce- qui fut, il y a
seulement quelques années, notre unique ob-
jectif et moins on s'en entretient : on ne se
résigne pas encore au fait accompli, mais
on l'envisage déjà avec un « esprit nou-
veau », avec un secret désir de « détente ».
Cet esprit nouveau est-il donc réellement
justifié? Y a-t-il vraiment détente entre les
deux pays?
J'ai voulu m'en rendre compte en allant
constater de visu ce que vingt-quatre ans
d'annexion avaient fait du peuple d'Alsace, ce
qui subsistait d'éléments français en Lor-
raine, quels étaient enfin les rapports de nos
compatriotes avec leurs conquérants.
J'ai été pour cela un peu partout, à Mul-
house, à Schlestadt, à Strasbourg, à Metz.
J'ai vu des gens de tout âge et de toute con-
dition, des paysans et des bourgeois, de pe-
tits commerçants et de riches industriels ; je
les ai interrogés sur toutes les matières, de
toutes Ifes façons; j'ai cherché à connaitre la
situation exacte qui leur était faite, leurs
idées sur le présent et sur l'avenir, à savoir
en un mot quel était le fond de leurs pen-
sées, l'état de leur moi, comme dirait M. Bar-
rés. Et ce que je rapporte de cette petite en-
quête personnelle à laquelle j'ai procédé li-
brement, sans parti-pris aucun, c'est une
impression très difficile à définir, consolante
sur quelques points, attristante sur beaucoup
d'autres.
L'ALLEMAGNE ET LE REICHSLAND
Certes, ceux qui'prétendent que l'Alsace est
germanisée sont ceux qui s'en tiennent à
l'apparence des choses, car si on y parle alle-
mand et si le français y est impitoyablement
banni de partput, l'assimilation des deux ra-
ces n'est pas pour cela chose faite. Mais
il n'en est pas moins incontestable que ce
malheureux pays passe par une phase nou-
velle, par une sorte de crise d'âge, s'il est per-
mis d'employer l'expression, qui peut être dé-
cisive pour lui.
L'Allemagne a tout fait pour s'y faire res-
pecter. Elle a tâché de le seduire en dépensant
des millions et des millions, soit pour embel-
lir ses villes et y élever des monuments, soit
pour améliorer ses chemins de fer, ses routes
et ses canaux. Elle a essayé de le subjuguer
par l'appareil de sa puissance militaire. Elle
a usé de tous les moyens, de tous les systè-
mes.
Au début, elle s'est montrée douce et conci-
liante, s'efforçant, suivant le mot de M. de
Manteuffel, de cicatriser sa récente blessure
et non pas de lui en faire une nouvelle. Puis,
pensant aller plus vite, elle a été, à l'arrivée
de M. de. Hohenlohe aux affaires, rigoureuse
et dure, frappant sans cesse adroite et à gau-
che, cherchant à terroriser les populations.
Aujourd'hui elle prend une attitude inter-
médiaire, qui tient le milieu entre les deux
autres et que seul le souvenir de ses dernières
sévérités peut faire considérer comme de la
clémence.
Les «anciens», ceux qui ont vu M. de
Manteuffel à l'œuvre, ne s'y trompent pas.
— Parbleu ! disent-ils, après le régime des
passeports, ça semble exquis de pouvoir aller
et venir, sans être inquiété à tout bout de
champ. Mais ça ne pouvait pas non plus tou-
jours durer, cet état de suspicion générale. Il
fallait bien que ça finisse, c'était par trop
désastreux; et si:on y a renoncé, on n'est pas
pour cela près d'en revenir aux procédés de
Manteuffel qui, lui, tout Allemand qu'il fût,
était vraiment un brave homme.
Cette sympathie unanime, cette déférence
très réelle que tous les Alsaciens professent
envers leur premier statthalter est peut-être
plus significative que quoi que ce soit sur ce
que vaut la prétendue détente actuelle.
L'ANTAGONISME ENTRE LES DEUX
RACES
Est-ce à dire que l'antagonisme entre vain-
queurs et vaincus subsiste comme au premier
jour? Je me garderai bien de l'affirmer,
quoique j'aie entendu de vieux Alsaciens,
sachant à peine le français, s'efforcer de ne
parler que français entre eux, quoique j'aie
même rencontré un groupe de soldats venus
en congé dans leurs familles, se promenant
dans les rues de Strasbourg en affectant de ne
pas dire un mot d'allemand.
Mais, sans s'exagérer l'importance que peu-
vent avoir certains traits de ce genre, il est
incontestable que si la haine du début s'est
apaisée, elle est loin d'avoir disparu.
Elle a fait place, pour ainsi dire, à un sen-
timent nouveau de rancune et de rivalité, où
il entre peut-être moins d'amers regrets de la
partie perdue que par le passé et davantage
de jalousie, d'esprit d'independance locale.
On n'apprend plus, par exemple, aux en-
fants à se dire Français ; on leur apprend à
se dire Alsaciens,
— Dame, que voulez-vous, me déclarait à
ce propos un industriel de Strasbourg, puis-
que nous ne pouvons être Français et que
nous ne voulons pas être Allemands, il faut
bien au moins que nous soyons « nous ».
Et son opinion est certainement l'opinion
dominante — celle que j'ai rencontrée le plus
fréquemment.
Il en est d'autres assez curieuses et assez
intéressantes que je tiens à reproduire telles
qu'elles m'ont été présentéèB.
LES PATRIOTES
Celle-ci d'abord qui peut se résumer par ce
petit bout de conversation que j'ai eu avec un
boutiquier et un propriétaire des environs
de Strasbourg et dont je ne change pas un
mot.
— Ici, voyez-vous, me dit l'un, il n'y a
qu'une chose à faire, travailler, tâcher de
mettre quelques sous de côté et filer. Je sais
bien qu on prétend que c'est faciliter la tâche
des Allemands, mais je voudrais bien les y
voir, ceux qui nous blâment 1 Je parie qu'ils
seraient des premiers à décamper t
— Et ils auraient raison, interrompt l'au-
tre, car en restant, c'est triste à dire, mais
nous faisons forcément de nos fils des Prus-
siens l
— Oui, tant que nous serons là, reprend
le premier, ça ira ; mais après nous, hélas 1.
- - Ah ! si seulement je pouvais vendre ma
petite propriété, ajoute le second. Malheu-
reusement, il n'y a pas moyen ; on ne trouve
plus d'acquéreurs aujourd'hui ; on a tant
vendu que les terres n'ont plus de prix.
— Ou encore, dit l'autre en concluant, si
on avait quelque espoir que ça puisse chan-
ger,-comme en 87, au moment de l'affaire
Bchnsebelé.
A côté de ce dialogue éloquent, on me per-
mettra de placer cet interview qui montre
jusqu'où va chez certains le découragement.
LES DÉCOURAGÉS
—>Bah 1 me dit M. W.,un gros bonnet du
pays, vous commencez à en prendre votre
parti, il faut bien que nous le prenions nous-
mêmes.
— Vous vous résignez ?
— Moi ? Pas encore, parce que j'ai des res-
sources, parce que je peux faire apprendre le
français à mes enfants, parce que je peux
leur inculquer l'amour de leur véritable patrie,
parce qu'enfin le jour où j'en aurais assez, je
pourrais passer la frontière avec eux. Mais les
autres, mais les paysans, mais les ouvriers,
comment voulez-vous qu'ils fassent ? Ils ne
parlent que le patois alsacien ; on ne leur a
jamais appris un mot de français. Leurs fils
ne savent que l'allemand ; ils n'ont pas les
moyens de les envoyer chez des professeurs
particuliers pour leur faire enseigner une
langue qu'ils ne connaissent pas eux-mêmes ;
ils n'ont pas la force de tenir tête toujours et
quand même. -Ils se lassent.
— Et le clergé?
— Le clergé, mon Dieu, il suit un peu ici,
vis-à-vis de l'Allemagne, la même politique
qu'il observe en France vis-à-vis de la Répu-
blique. Il ne se rallie pourtant pas encore et
l'abbé Jacquot n'a que peu d'imitateurs. Mais
il n'apporte plus à la lutte la même ardeur,
la même passion qu'autrefois. Il a peur d'a-
voir des affaires avec l'évêque ou avec les au-
torités civiles et, sauf ceux de ses membres
qui vont au Reichstag protester autant au
nom de la religion qu'au nom de la patrie, il
se tient tranquille. Il rédige les actes de bap-
tême en latin pour ne pas les faire en alle-
mand, voilà tout 1
— Mais la Lorraine?
- La Lorraine, ah 1 baste 1 elle deviendra
plus vite allemande que l'Alsace. La langue
diffère, oui, c'est vrai; mais la race est moins
têtue, moins réfractaire à toute domination
étrangère.
ALSACIENS ET LORRAINS
Ds-je ajouter qu'il m'a semblé, en effet,
qu'il y avait plus de soumission, plus de do-
cilité en Lorraine qu'en Alsace, que malgré
les apparences celle-ci était peut-être plus
germanisée que celle-là, si tant est qu'il y
ait germanisation au sens propre du mot ?.
J'ai remarqué à Strasbourg des quantités
de boutiques surmontées de vieilles ensei-
gnes presque complètement effacées par le
temps, que leurs propriétaires se refusaient à
mettre en état parce qu'ils auraient été con-
traints, en pareille occurence, de les faire
faire en allemand. J'y ai rencontré une pau-
vre brave femme qui me faisant visiter un mo-
nument dont elle a la garde, me montra un
officier supérieur en me disant avec des lar-
mes dans les yeux ; « Ah ! monsieur, quand
donc nous en débari-dsserez-vous ? » J'ai ren-
contré à Schlestadt, où je me trouvais le jour
anniversaire de la bataille de Sedan, un ou-
vrier qui, m'ayant demandé en patois si j'é-
tais Français, m'a sur ma réponse affirmative
tendu les deux mains et donné le plus solide
shake-hand que j'aie jamais échangé.
Je n'ai point recueilli en Lorraine des té-
moignages aussi spontanés, aussi chauds,
aussi émouvants dans leur simplicité, de la
fci gardée en la patrie perdue.
J'ai entendu des Alsaciens me dire, comme
celui dont je citais un mot un peu plus haut,
qu'ils avaient « espéré » la guerre en 1887. Je
n'ai point entendu de Lorrain me tenir un
tel langage : tous, au contraire, m'ont paru
résignés de plus ou moins bon cœur, mais ré-
signés tout de même.
GRIEFS CONTRE LA FRANCE -,
Je dois ajouter que les Alsaciens ne sont
pas sans avoir quelques griefs contre nous.
Ils nous reprochent de les avoir trop dédai-
gnés, de ne les avoir pas assez francisés, de
ne pas nous intéresser suffisamment à ceux
d'entre eux qui désertent pour venir servir en
France, de les traiter trop volontiers de « tête
carrée » quand ils abandonnent leur pays par
natriotisme. 1
— Oui, monsieur, oui, me disait l'un d'eux,
j'ai des amis qui ont passé la frontière pour
aller s'engager dans des régiments français et
qui n'ont cessé d'être appelés « choucrout-
mann » aussi bien par leurs supérieurs que
par leurs camarades. Eh bien 1 pour nous,
dans les conditions présentes, ce n'est pas
une plaisanterie, cela : c'est une insulte.
D'autres, qui pensaient être accueillis
à bras ouverts, se .plaignent de trouver toutes
les portes fermées, de ne recevoir ni aide ni
secours, d'être considérés un peu comme des
étrangers. Beaucoup tombent dans la misère,
quelques-uns en viennent même à regretter
leur « coup de tête ».
Tout ceci n'est pas sans quelque influence
sur l'opinion, et peut-être avons-nous, en ef-
fet, par notre négligence, par notre légèreté,
contribué dans une certaine mesure à germa-
niser ce pays qui nous est pourtant, malgé la
divergence de langue, si fortement attaché
qu'on enregistre tous les ans plus de cinq
cents manquants à l'appel des conscrits.
LES GERMANISÉS
Mais ce qui est surtout triste à constater,
c'est que l'Alsacien germanisé devient en gé-
nèral plus dur envers ses compatriotes que
l'Allemand lui-même.
Il a l'ardeur du néophyte, la violence du
converti.
On m'a cité notamment le cas d'un jeune
homme d'une grande famille des environs de
Mulhouse dont le frère, officier français en
1870, fut tué par les Allemands et qui est lui-
même aujourd'huiofficier dans l'armée alle-
mande. Il parait qu'il n'est pas de tracasse-
ries, pas d'injures dont il n'abreuve les mal-
heureuses recrues d'Alsace qui arrivent dans
sa compagnie.
D'autres font une campagne sourde auprès
des jeunes. soldats qui reviennent du régi-
ment, leur assurant que s'ils redevenaient
-français, il n'y aurait pas d'avanies qu'ils ne
recevraient de ceux de leurs amarade's qui
ont été servir en France, essayant de les ga-
gner à leur, cause par la peur des ennuis qui,
à leur dire, résulteraiènt pour eux. d'un chan-
gement de nationalité. Et malheureusement,
ils ne réussissent que trop souvent à convain-
cre leurs auditeurs, à les détacher de nous
par la honte même qu'ils éprouvent à avoir
servi « l'ennemi ».
LE MOT DE LA SITUATION
— Si les Français, mGdisaitencore un de mes
interlocuteurs, allaient plus fréquemment en
Alsace, si au lieu de prendre leurs vacances sur
les plages de Normandie ou sur les monta-
gnes des Alpes, ils parcouraient en simples
touristes ce délicieux pays, si poétique et si
plein de petits coins ravissants et insoup-
çonnés, peut-être retiendraient-ils à eux, sans
qu'ils aient besoin dé faire aucune propagan-
de, beaucoup de malheureux qui ne deman-
dent qu'un mot de sympathie, qu'une marque
d'intérêt et d'attachement pour leur rester fi-
dèles, mais qui, abandonnés et livrés à eux-
mêmes, ne savent plus ni où aller ni quoi
faire.
Je livre la réflexion au public et je souhaite
qu'il en fasse son profit.
C'est, en effet, le véritable mot de la situa-
tion. L'Alsace et la Lorraine ne savent plus
où aller ni quoi faire. Elles ne sont pas ger-
manisées, elles sont désorientées.
LES TOMBES DE NOS SOLDATS
Qu'on me permette de signaler en termi-
nant un fait d'une tout autre nature que j'ai
eu l'occasion de relever pendant mon séjour
là-bas. C'est l'état d'abandon dans lequel on
laisse les tombes de nos soldats qui y succom-
bèrent en 1870.
On sait qu'ont réservé toute une partie du
cimetière de Metz aux militaires français et
allemands qui périrent dans ses murs à la suite
du siégea
Au centre, une grande pyramide massive
et lourde, assez vilaine de forme, est dressée
à la mémoire des 7,203 soldats français qui,
transportés dans les ambulances de Metz
après les combats de Gravelotte, de Saint-
Privat et de Mars-la-Tour, ne purent survivre
à leurs blessures. A quelques mètres plus loin,
cinquante officiers sont réunis dans un même
tombe. Tout autour, d'autres sont enterrés
dans des caveaux particuliers.
Jadis, tous les ans, le 12 septembre, le
clergé de Metz, après avoir célébre un service
commémoratif en l'honneur de nos morts,
venait en procession, bannières déployées, jus-
qu'au cimetière. Il y chantait le De Profundis
et la foule l'y suivait, garnissant de fleurs et
de petits drapeaux tricolores la pierre froide
et humide sous laquelle reposent les'malheu-
reux qui luttèrent pour la défense des trois
couleurs.
Mais depuis quelques années tout a été
changé. On à interdit au clergé de sortir de
la cathédrale après la célébration du service ;
on a défendu tout cortège, toute manifesta-
tion quelle qu'elle soit. Les drapeaux ont été
enleves et les Messins qui veulent se rendre
au cimetière ne peuvent y aller qu'individuel-
lement. Bien mieux, il y a deux ans, une
pauvre vieille dame dont le fils est enterré là,
étant venue tout exprès du fond de laBretagne
pour déposer uns couronne sur sa tombe, a
vu ce pieux souvenir mis en lambeaux par
un soldat du poste voisin sous prétexte que
parmi les fleurs qui le composaient il y en
avait de cou leur rouge, blanche et bleue qui
lui donnaient un aspect séditieux.
Bref, petit à petit, toute cérémonie étant de-
venue impossible, on a perdu l'habitude d'aller
au cimetière, et sauf quelques vieillards qui
ont conservé intacte leur foi du passé ou quel-
ques Français de passage à Metz, personne
autre que les soldats de garde n'y entre ja-
mais.
Une vingtaine de vieilles couronnes fanées
et usées, ayant pour le moins neuf à dix ans
de date et n'ayant pour la plupart pas plus
de vingt à vingt-cinq centimètres de diamè-
tre, garnissent seules les murs du monument
central, au pied duquel la societé du Souvenir
français en a fait déposer deux autres que la
pluie, le soleil et la poussière ont rendues uni-
formément grises. Sur le monument des offi-
ciers, cinq à six, qui ne sont ni plus belles
ni plus propres, sont encore entassées, et c'est
tout.
Mais ce qui est surtout navrant, c'est que
la mousse récouvre la pierre, qui s'est cassée
par endroits, fendue par d'autres, que rien
n'est entretenu, que tout est abandonné, dé-
laissé.
L'impression est désolante, et, franchement,
on ne s'explique guère que le gouvernement
français ne fasse pas pour nos morts de l'an-
née terrible ce que l'Allemagne fait pour les
siens.
Les cendres de Turenne, dans le grand-
duché de Bade, sont gardées par un ancien
soldat français. Celles des combattants de
1870 pourraient bien être traitées de la même
façon.
André Honnorat.
LA MALADIE DU COMTE DE PARIS
Buckingham, 7 septembre, 10 h. 30.
Voici le bulletin sur l'état du comte de
Paris :
« Le prince a passé une mauvaise nuit ; il
garde sa connaissance. »
Buckingham, 7 septembre, midi.
Cette nuit, on a cru un instant la fin du
comte de Paris imminente ; le docteur Réca-
niier ne trouvait plus le pouls du malade.
Cependant ce matin le pouls est redevenu
perceptible.
Le prince a pu reconnaître encore la com-
tesse de Paris et ses enfants, qui l'ont em-
brassé.
Depuis plusieurs nuits, la comtesse de
Paris n'ose même pas se déshabiller, de peur
de n'être pas prête à se rendre auprès du
prince pour recueillir son dernier soupir.
Tous les signes avant-coureuis de la mort
se sont produits, quelques-uns depuis un ou
deux jours.
Buckingham, 7 septembre, 7 h. 14 s.
L'état du comte de Paris n'a pas changé.
Madrid, 7 septembre.
Des prieres publiques ont été dites pour le
comte de Paris à l'église.de Villamanrique.
- Madrid, 7 septembre.
Les aspirations manifestées par Don Fran-
cisco de Bourbon à prétendre au titre de chef
de la maison royale de France et le voyage du
prince Valori à Saint-Sébastien pour se met-
tre à la disposition du nouveau prétendant
provoquent les plaisanteries unanimes de la
presse et de l'opinion.
Buckingham, 7 sept. 8 h. soir.
L'état du comte de Paris est toujours très
grave et très alarmant.
L'impératrice de Russie a envoyé aujour-
d'hui en son nom et au nom du tsar un télé-
gramme peut exprimer sa sympathie et de-
mander des nouvelles.
LA TRIPLICE
Rome, 7 septembre.
Dans les sphères diplomatiques, on dit
que des explications amicales ont été échan-
gées entre les cabinets de Rome et de Berlin,
en vue de dissiper les récents malentendus et
d'affirmer par un nouvel acte public la soli-
dité de la triplice.
Il aurait été décidé entre les deux cabinets
que le message impérial à l'ouverture du
Reichstag et aussi le discours de la couronne
à l'inauguration de la session législative
d'Italie devront contenir la déclaration expli-
cite que les rapports entre les Etats de la tri-
plice ne furent jamais aussi intimes que
maintenant.
- On assure que le discours de la couronne
annoncera le prochain mariage d'un prince de
Savoie.
CHRONIQUE
BUVETTES ET BUFFETS
Nos pères aimaient à nous conter les
ruses et les friponneries des hôteliers qui,
au temps des diligences, s'entendaient
comme larrons en foire avec les conduc-
teurs pour vous servir un repas succulent
et surtout vous empêcher de le prendre.
Au moment où apparaissait le poulet rôti,
bien doré sur toutes ses faces et bardé d'un
lard tout frissonnant encore des baisers de
la lèchefrite, la porte s'ouvrait avec fracas:
« Allons, messieurs, en voiture ! »
Et brusquement il fallait reprendre sa
place dans la guimbarde et rengainer son'
appétit jusqu'au prochain relai. La même
volaille passait ainsi sous le nez de trois
ou quatre fournées de voyageurs, jusqu'à.
ce qu'il s'en trouvât quelques-uns, plus
hardis que les autres, pour se moquer de
l'hôtelier, mettre en pièces l'animal —
c'est le poulet que je veux dire - et en
emporter les morceaux dans la voiture.
Ne croyez pas que l'établissement des
chemins de fer ait sensiblement modifié
le fond des choses. L'âme des hôteliers est
restée la même ; ils ont seulement varié
leurs procédés et trouvé des moyens nou-
veaux de rançonner le voyageur.
En vain les compagnies cherchent-elles
à les emprisonner dans les clauses très
précises de leurs contrats ; ils trouvent
toujours le moyen de s'échapper par la
tangente.
Pour empêcher le public affamé d'être
dépouillé au coin d'une gare comme en
pleine forêt de Bondy, les tenanciers des
buffets sont tenus aujourd'hui de fournir
des repas à prix fixe. L'un, assez substan-
tiel, est coté trois francs ou trois francs
cinquante. L'autre, plus modeste, à l'usage
des petits estomacs et des petites bourses,,
ne doit pas dépasser trente sous.
C'est un progrès, assurément. Encore
faut-il qu'on vous laisse le temps d'en
prendre pour votre argent. Mais il faut
compter d'abord avec lesîetardsdes trdins.
En bonne logique, le retard devrait être
regagné sur la vitesse et non sur les arrêts.,
A chaque instant, c'est le contraire qui
arrive. Voici ce qu'on peut voir tous les
jours, ce que j'ai vu vingt fois ici et là —
à la gare de Cette notamment où se rac-
cordent les lignes du Midi et du P. L.M.:
Sur la foi de l'Indicateur qui vous pro-
met un arrêi de trente ou quarante minu-
tes, vous. savourez d'avance le déjeuner
que vous allez prendre. Neuf fois sur dix
le train qui vous amène a vingt ou vingt-
cinq minutes de retard. Impossible de se
faire servir à table d'hôte, puisqu'il faut
repartir aans quelques instants. Alors
c'est un beau tableau. Une cohue d'affa
més se précipite et se bouscule ; on prend
d'assaut le buffet ; on fait une rafle géné-
rale de toutes les victuailles qui s'y trou-
vent. Trois ou quatre garçons vous envQ..
loppent à la diable dans des papiers grais-
seux les tranches de veau desséchées, les
poulets étiques, les fruits douteux, les jet-
tés antédiluviens, et, comme ce service
extra ne rentre pas dans le cadre des re-
pas à prix fixe affichés à la porte, vous
êtes absolument à la merci de l'industriel
qui a spéculé sur les défaillances de votre
estomac. J'ai moi-même emporté ainsi, du.
buffet de la gare d'Agen, au prix de un
franc vingt-cinq, un minuscule pâté, où se
morfondait un morceau de viande coriaces.
pâté qui, tout frais, aurait bien coûté qua-
tre sous chez le charcutier d'en face, si
l'on avait eu le temps de traverser la
rue.
Il y a quelques jours, a Hlesme, un
monsieur s'assied au buffet pour prendre
le repas à trente sous. On lui sert un
bouillon et une tranche de rosbif. A peine
avait-il introduit le couteau dans la par..
tion qui lui était servie, que les employés
du chemin de fer annoncent le départ du
train. Le monsieur offre de payer le bouil-
Ion, mais refuse absolument d'acquitter
le rosbif sous prétexte qu'il ne l'a pas con-
sommé. — « Mais, monsieur, dit la dame.
du buffet, furieuse, où en serions-nous si
tous les voyageurs consommaient ce qu'ils
prennent ? Ce morceau, vous avez com-
mencé à le couper, je ne puis plus le ser-
vir à un autre client. » Le monsieur,
qui n'avait pas froid aux yeux, s'entêta, et
comme il paraissait bien résolu à ne pren-
dre ni son train ni son rosbif, comme il
commençait à ameuter la foule, la dame
soudain radoucie, finit par capituler et se
contenta du prix du bouillon. Mais vous
ou moi, pour éviter une affaire ou de peur
de manquer le train, nous aurions allongé
nos trente sous en envoyant l'hôtelière à
tous les diables. Ce qui prouve en pas-
sant qu'il est bon d'avoir mauvais carac-
tère.
La nouvelle organisation des buffets a
eu, de plus, pour conséquence fâcheuse la
disparition des buvettes, la grande res-
source des gens qui ne peuvent n* me pas
mettre trente sous à un repas. Vous allez
me dire que les buvettes existent toujours
et que j'ai eu certainement la berlue si je
neles-ai pas VaQS. Oui, elles existent en
apparence, mais neuf fois sur'dix elles
sont affermées à l'industriel qui tient le
buffet et qui s'arrange, bien entendu, de
façon à ne pas se faire concurrence à lui-
même.
Entrez, par exemple, a la buvette du
Mans. Vous ne voulez pas du repas à
trente sous, vous vous contentez d'un
bouillon et d'un petit pain.au jambon. On
nous apporte une eau roussâtre au fond de
laquelle grouillent quelques filaments de
vermicelle et un petit pain d'un sou dans
lequel on a inséré une tranche de jamboa
soigneusement passée au laminoir. Addi-
tion ; dix sous le potage, quinze sous le
pain au jambon, et vous n'ayez rien bu 1
C'est que l'eau grasse vient de la même
marmite qui fournit le bouillon du buffet
et qu'on a été chercher votre petit pain sur
le comptoir de la salle voisine. Les tenan-
ciers des buffets ont cherché partout à tuer
les buvettes qui gênaient leurs actes de
piraterie et les empêchaient de puiser a
même dans le gousset du voyageur, et le
plus sûr moyen de les tuer, c'était de lea
annexer aux susdits buffets.
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