Titre : Le XIXe siècle : journal quotidien politique et littéraire / directeur-rédacteur en chef : Gustave Chadeuil
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1894-08-18
Contributeur : Chadeuil, Gustave (1821-1896). Directeur de publication
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Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
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Description : 18 août 1894 18 août 1894
Description : 1894/08/18 (A24,N8251). 1894/08/18 (A24,N8251).
Droits : Consultable en ligne
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Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-199
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 24/04/2013
YIN6T-QUATRIÈME ANNÉE. — N" 8,251
.1 NtfMERo Cinq TIMES-
SAMEDI 18 AOUT 1894
RtDlcTrOI n IMHMSIMTM
1 42, Rue MontmartM -
PARUS -
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1 mois. 3 francs
2 mois. 6 francs
A l'occasion des vacances, nous ap
pelons tout spécialement l'attention sur
la magnifique bicyclette offerte en prime
par le. XIXe Siècle. -
Voir à la 4e page.
OMPARAISON
11 n'y a pas que chez nous que la né-
cessité d'une réforme fiscale apparaît.
Au moment où la question se posait de-
vant la Chambre des députés et où MM.
Doumer et Gavaignac essayaient de
faire admettre le principe de l'impôt
progressif sur le revenu, la même ques-
tion était traitée devant le Parlement an-
glais. Mais les deux discussions avaient
des conclusions bien différentes.
Chez nous, le débat se terminait par
le triomphe de la routine.
Pour dissimuler l'avortement, on s'af-
firmait à soi-même que l'affaire n'était
qu'ajournée et qu'on y reviendrait lors-
qoo la commission extra-parlementaire
nommée par M. Poincaré aurait terminé
ses travaux et que le ministre des finan-
ces aurait, sur ses avis, préparé le pro-
jet de loi qu'il doit soumettre au Par-
lement. Depuis lors, cette commission a
fait preuve d'une remarquable discré-
tion ; elle n'a guère fait parler d'elle.
Le peu que l'on sait de ses travaux n'in-
dique pas cependant qu'elle se soit ac-
cordée sur une solution, et il semble
bien que l'embarras de M. Poincaré ne
sera guère moindre après la réception
de ses rapports qu'auparavant.
En Angleterre, au contraire, la ré-
forme de l'impôt a été réalisée et l'on a
établi sans hésiter l'impôt progressif
sur le revenu et sur les successions. Un
de nos confrères du Matin, qui a eu à
ce propos un entretien avec un mem-
bre de la Chambre des communes, nous
donne des renseignements intéressants
sur la pensée générale qui a dicté ce
vote. Ils font saisir la différence entre le
tempéramment des deux pays et caracté-
risent bien les considérations pratiques
auxquelles nos voisins ont répondu.
« L'expression d'impôts progressifs, a
dit en résumé l'interlocuteur de notre
confrère, n'est pas absolument correcte. -
Nous n'avons voté que des impôts con-
formes à la plus stricte équité ; ils ne
pourraient s'appeler progressifs que
s'ils dépassaient les limites de l'équité
dans le but d'empêcher l'augmentation
de la fortune. »
Prenant un exemple pour mieux
faire saisir la portée de la réforme opé-
rée, le député anglais suppose que l'Etat
ait besoin de faire produire à l'impôt sur
les revenus et à l'impôt sur les succes-
sions 150 francs et qu'il y ait 30 contri-
buables, les uns pauvres, d'autres moyen-
nement aisés, d'autres riches. Le pro-
blème est de répartir entre eux cette
charge. En France, nous n'hésiterons
pas. Nous demanderons 5 francs à cha-
cun, de sorte qu'en réalité nous pren-
drons ; beaucoup plus au petit qu'au
riche et, pour ne pas faire de pro-
portionnalité, nous ferons de la propor-
tionnalité à rebours. En Angleterre,
d'après la nouvelle méthode, on ne
demandera rien aux petits ; les moyens
payeront strictement leur part et l'on
répartira sur les riches la part qui
revenait aux petits.
Notre Anglais ne se dissimule pas les
inconvénients de ce système. Il déclare
lui-même que « l'impôt sur le revenu est
de tous le plus désagréable ». Il partage
avec tous les impôts directs ce défaut
que la contribuable, en portant son ar
gent chez le percepteur, se rend compte
de ce qu'il paye à l'Etat. Les impôts in-
directs, au contraire, se supportent beau-
coup plus aisément, parce qu'on ne sait
pas au juste quelle somme on paye pour
la marchandise et quelle somme repré-
sente la part d'impôt. Quand on achète
un paquet de tabac, par exemple, on sait
bien que l'on n'a pas de la marchandise
pour l'argent que l'on donne, mais on a
quelque chose. Quand on porte de l'ar-
gent chez le percepteur, on a une quit-
- tanc-e et, de quelque imagination que l'on
soRtloué, il est bien difficile de la pren-
dre pour un objet utile ou agréable.
Mais si c'est l'inconvénient des im-
pôts directs, c'est en même temps leur
avantage. Le contribuable est sans cesse
excité à contrôler les dépenses publi-
ques. Si ces dépenses augmentent, si le
Parlement se laisse entraîner à ouvrir
des crédits dont la nécessité n'est pas
rigoureusement établie, le contribuable,
qui voit le chiffre de ses impôts grossir,
s'émeut de cette aggravation de char-
ges, et le député anglais peut en toute
vérité dire que l'impôt direct, et sur-
tout l'impôt sur le revenu, « habitue la
population à faire de la politique prati-
que et qu'il force les contribuables à
ne donner leurs suffrages qu'à un gou-
vernement qui sert les intérêts du pays
et les leurs et qui n'augmente pas les
dépenses ».
Il se montre, du reste, plein de pitié
pour la discussion qui a eu lieu au Pa-
lais-Bourbon. « Le langage de certains
de vos orateurs, dit-il, est remarquable
au point de vue de l'Académie, mais
bien peu conforme aux idées du temps
où nous vivons. Vos députés se grisent
d'éloquence; ils oublient le but pratique.
M. Ribot s'est fait applaudir avec un
discours qui datait d'au moins deux
cents ans, et ceux qui ont soutenu le
projet d'impôt sur le revenu, M. Cavai-
gnac lui-même, ont oublié les meilleurs
arguments. »
Voilà le jugement des hommes prati-
ques sur ces « grandes discussions qui
honorent la tribune française », sui-
vant l'expression consacrée. On ne s'est
pas grisé d'éloquence à Westminster et
l'on n'a pas arrondi de belles phra-
ses; mais on a fait quelque chose.
L'avantage n'est peut-être pas de nôtre
côté.
NOTRE INTERVENTION
DANS LA GUERRE DE CORÉE
Tandis que les chancelleries russe et bri-
tannique suivent avec le plus grand itftérêt,
et non sans inquiétude, les graves événements
qui se déroulent en Corée, n'attendant peut-
être que l'occasion d'intervenir dans le débat
sino-japonais, ici, aux ministères des affaires
étrangères et de la marine, on demeure abso-
lument muet sur le rôle que compte jouer le
gouvernement français dans ce drame jaune,
dont nous ne connaissons encore que le pré-
lude.
Les notes officielles publiées depuis huit
jours ne nous apprennent qu'une chose : c'est
qu'une partie de notre division navale de
l'Extrême-Orient se trouve dans les mers
de Chine. Le cuirassé Bayard, ayant le
contre-amiral Dupuis à son bord, a mouillé
devant Hakodadi, port du Japon; la canon-
nière Comète est à Hong-Kong et la canon-
nière Lion a pu évoluer à proximité des
navires chinois lorsque ceux-ci ont été atta-
qués par les croiseurs japonais.
Le gouvernement français a peut-être quel-
que intérêt à garder le silence. Nous ne par-
lerons pas de l'intérêt diplomatique qui s'ex-
plique de lui-même, mais nous appuierons
sur ce fait, que depuis longtemps déjà ont
constaté tous ceux qui s'occupent de nos in-
térêts coloniaux, de l'insuffisance de nos for-
ces navales en Extrême-Orient.
L'amiral Dupuis ne dispose, en fait de na-
vires pouvant présenter quelque surface, que
d'un cuirassé, le Bayard, et d'un croiseur, le
Forfait ; sa division se complète ensuite d'un
aviso, et de deux canonnières. et c'est
tout.
Lorsque le Bayard a pris la mer pour re-
tourner en Indo-Chine, les plus vives criti-
ques ont assailli le ministère de la marine :
on refusait à ce vieux cuirassé, déjà fort dé-
labré à sa rentrée en France après la glo-
rieuse campagne de l'amiral Courbet, toute
qualité nautique. Et ces reproches étaient,
certes, mérités.
Cette constatation est d'autant plus vraie,
qu'au ministère de la marine on s'est enfin
emu de cet état de choses et que le croiseur
Beautemps-Beaupre, qui allait revenir en
France, a reçu contre-ordre et fait route à
cette heure pour la Chine où il se rangera sous
les ordres de l'amiral Dupuis.
Même avec ce renfort de la dernière heure,
notre division de l'Extrême-Orient ne peut
faire que triste mine là-bas, si l'on songe que
l'Angleterre possède sur les côtes de Hong-
Kong une escadre aussi brillante, aussi puis-
sante que celles qu'elle entretient dans les
mers du Nord et que cette escadre a été en-
core renforcée, il y a quelque trois mois, de
deux croiseurs récemment lancés, les plus re-
marquables de la flotte anglaise.
Il ne fait de doute pour personne que, sur
les côtes de Chine comme partout ailleurs,
du reste, nous agirons de concert avec la po-
litique du tsar. Dans ces conditions, une dé-
monstration navale des deux nations amies
peut être nécessaire d'un moment à l'autre.
Il est regrettable qu'elle ne puisse être ap-
puyée de notre part d'une façon plus réelle.
Ceux qui, il y a près de cinq ans déjà,
constataient ce qu'avait de dérisoire l'esca-
drille de l'Extrême-Orient,semblaient prévoir
les événements actuels. Il ont été, hélas t une
fois encore bons prophètes.
LE FRATRICIDE PERRIER
Me de Dammartin vient de recevoir télégra-
phiquement avis que M. le président de la
République lui accordera audience, à Pont-
sur-Seine, aujourd'hui 17 août, à quatre
heure et demie du soir.
Me Dammartin ira solliciter de M. Casimir-
Perrier la grâce d'un de ses clients, Louis
Perrier — un homonyme du président de la
République — condamné à mort, le 30 juin
dernier, pour avoir assassiné son frère.
Le rapport de M. Benoist, qui présidait les
assises de la Seine en juin dernier, conclut
à la grâce de Louis Perrier.
Il est donc vraisemble que la peine de mort
prononcée contre Louis Perrier sera com-
muée en celle des travaux forcés à perpé-
tuité.
MORT D'UN SÉNATEUR
Vienne, 16 août.
Le docteur Henri Couturier, conseiller général,
sénateur de l'Isère, est décédé jeudi soir dans sa
propriété de Granges-Hautes, près Vienne.
Né le 15 juillet 1813, le docteur Couturier avait
été élu député de la deuxième circonscription de
Vienne le 20 février 1876.
A la Chambre, il siégea à gauche et fut des 363.
Réélu en 1877 et en 1881, il fut nommé sénateur
en 1885 et vota toujours avec la majoriré.
Ses obsèques seront probablement célébrées di-
manche matin.
L VIE DE PARIS
M. Leconte-de Lisle, en mourant, a lais-
sé une double succession vacante : son no-
ble fauteuil d'académicien et son modeste
« rond de cuir » de sous-bibliothécaire au
Sénat. Je ne sais ce qu'il adviendra du fau-
teuil. Quant a la place de sous-bibliothé-
caire, il paraît qu'il est question de la sup-
primer. On avait même assuré que M.
Challemel-Lacour avait prononcé à ce
propos un ukase. Outre que la chose m'é-
tonnerait assez, venant de cet admirable
lettré dont le libre esprit doit être au-des-
sus des préjugés, le président du Sénat ne
peut prendre seul une telle mesure.
Il faut que le bureau du Sénat s'en sai-
sisse et prononce. Tout au plus a-t-on pu
indiquer les dispositions du président. Il
voudrait peut-être supprimer la fonction
de sous-bibliothécaire, en constatant qu'il
n'y a pas de bibliothèque au Sénat, ou, du
moins, que celle qui existe peut être en-
tretenue et gérée par un personnel moins
nombreux que celui qui existe. A pre-
mière vue, la raison peut paraître bonne,
"étant logique.
Mais rien n'est trompeur comme la
logique ! Outre qu'il y a pas mal de livres
au Luxembourg et surtout de documents
parlementaires, l'absence même d'une bi-
bliothèque n'implique pas forcément la
suppression du poste de bibliothécaire.
Mettons que ce poste soit une sinécure,
et même une sinécure absolue. Est-ce une
raison pour le supprimer? Je sais bien
que je vais contre le sentiment général,
contre l'opinion de la foule qui, en ceci
comme en toutes choses, est simpliste.
Mais je tiens pour l'utilité, pour la néces-
sité des sinécures.
Si nous avions un gouvernement d'une
rigidité absolue et d'une stricte économie,
comme celui de la République helvétique,
par exemple, où je ne crois pas qu'il y
ait un ëiiïp dye..e,ye plus de dix ou douze
mille francs, je comprendrais la suppres-
sion des sinécures. Mais nous avons gardé
de la monarchie, avec la centralisation
excessive, une benisation administmbve
compliquée, luxueuse, très coûteuse. Puis-
que nous avons conservé cette tradition,
pourquoi ne pas accepter aussi une autre
tradition, plus essentielle et plus noble,
qui consiste à aider à la vie des travail-
leurs dont le travail honore le pays, ou à
leur accorder dans une forme décente
une retraite honorable ?
La monarchie pensionnait les gens de
lettres. Elle se trompait parfois dans ses
choix, et Racine avait une moindre pen-
sion que Chapelain. Mais qu'importe? Un
gouvernement a toujours besoin d'un ar-
gent de poche, et quand il n'a pas la cas-
sette du roi, il n'est pas mauvais qu'il ait
quelques places à donner. Il y a quelque
chose de mesquin, d'hostile à l'intelligence
et de maladroit dans cette hostilité qu'on
a eue depuis quelque temps pour une
très petite quantité de lettrés a qui on
avait donné des emplois.
On a dit que les lettrés n'étaient pas de
bien bons employés. Heureusement. Et si
M. Leconte de Lisle a écrit ses poésies à
son bureau du Luxembourg, au lieu de
paperasser, c'est tant mieux pour tout le
monde. La haine des libres esprits, litté-
raires et philosophiques, est, d'ailleurs,
ordinaire aux politiciens. Elle a commencé
à se manifester quand on a réorganisé le
service du Journal officiel. Dans ce jour-
nal hérissé de documents, qui est envoyé
à toutes les communes, on avait coutume
de rencontrer, de temps en temps, des tra-
vaux littéraires.
Théophile Gautier en fut un des ré-
dacteurs. A côté du mouvement des cuirs
et des pétroles, des savants et des lettrés
donnaient le mouvement des sciences, des
arts, des théâtres, des lettres. Ceci avait
bien sa valeur. Cette partie du Journal
officiel coûtait peut-être vingt-mille francs
par an, ce qui a paru scandaleux auxdépu-
tés, craignant peut-être des comparaisons
fâcheuses pour leur propre prose. On a
supprimé la science et banni la littéra-
ture. Je ne vois pas du tout ce qu'on y a
gagné. Ce sont économies de bouts de
chandelles, peu honorables pour le pays
qui veut être le plus éclairé du monde.
Encore une fois, je le répète, si vous
voulez gouverner et administrer comme
en Suisse, soit. Un tiers des fonctionnai-
res peuvent être supprimés. Mais si vous
gardez le « rouage », gardez-le tout entier
et ne faites pas d'hypocrites économies
sur quelques sinécures réservées à des
savants et à des lettrés qui honorent la
République. Avant même de supprimer
les fonctionnaires « inutiles »,je serais d'a-
vis de supprimer les fonctionnaires nuisi-
bles ou de rogner leurs bénéfices.
Dans un pays comme le nôtre, il y a
toujours des savants et des lettrés qui
n'ont pas trouvé la juste compensation de
leurs travaux. C'est une des iniquités de
notre métier que les hommes les plus re-
marquables ne sont pas ceux qui gagnent
le plus d'argent. Un grand philosophe est
moins payé par le public qu'un vaudevil-
liste qui réussit, et un poète sublime ne
touche pas pour ses vers (quand il touche
quelque chose) la centième partie de ce
que rapporte à son auteur le plus grossier
des romans-feuilletons.
Il est équitable, il est bon que le gou-
vernement ait quelque moyen honorable
de compenser cette injustice, de rétablir
l'équilibre. Les nensions aux lettrés ne
sont plus dans nos mœurs. Mais on peut
garder pour eux quelques emplois. Et je
pense que les contribuables qui payent ne
se plaindraient pas de cet emploi fait de
leur argent, quand ils ne se plaignent pas
(et ils ont tort, à mon avis) de se voir ac-
cabler d'impôts au profit de gens qui les
oppriment.
On aura le droit de parler d'économies
en France quand la justice n'y sera plus
onéreuse et usurière, quand les frais d'une
instance ne grèveront pas l'affaire souvent
d'un tiers de la somme en litige, quand le
coulage ne sera pas toléré, que dis-je?
imposé par les règlements de la comptabi-
lité d'Etat, quand les objets de première
nécessité, l'air, la lumière, le gaz ne se-
ront pas vendus aux citoyens, qui payent
ou bien pour des choses qui sont essen-
tiellement à tous ou pour des choses qu'on
fabrique à un prix scandaleusement élevé.
Alors, mais seulement alors, quand l'ex-
ploitation du pauvre monde aura pris fin,
on pourra songer à économiser sur quel-
ques places accordées à des hommes de
talent qui en ont besoin. Jusque-là, on
fera bien de ne pas se montrer par trop
avare.
Henry Fouquier.
LE LIVRE BLEU SURLE SUM
Londres, 16 août.
Le gouvernement anglais a fait paraître ce
soir un Livre bleu sur le Siam.
Ce livre commence au 10 juillet 1887 par
une dépêche du représentant anglais à Bang-
kok et se termine par une lettre du baron
d'Estournelles à lord Kimberley le 25 avril
dernier.
Les premiers documents diplomatiques re-
produisent l'historique de la question.
Le 12 juillet 1884, M. Waddington proposait
déjà formellement à lord Salisbury le Mé-
kong comme frontière des possessions fran-
çaises de la Cochinchine et la neutralisation
du Siam.
Le gouvernement anglais demande qu'a-
vant de discuter sur la neutralisation du Siam
la frontière entre la Cochinchine et le Siam
soit définitivement établie.
Le 16 février 1892, nouvelle proposition
française demandant que le Mékong sépare
le Siam des possessions françaises.
Cette fois, l'Angleterre demande des expli-
cations, traîne en longueur. Elle négocie avec
la Chine, et finalement le Foreign-office ré-
pond qu'il est douteux, dans les circonstances
actuelles, qu'un arrangement entre la France
et l'Angleterre soit désirable.
Les documents suivants font l'historique
des événements de 1893 au Siam
M. Waddington, écrivant à lord Rosebery
le 30 avril 1893, lui racontait un entretien
qu'il avait eu avec lord Salisbury le 30 avril
1889.
L'ambassadeur de France avait proposé à
ce dernier de réserver au Siam les territoires
au sud de la.frQ.P.tière chinoise entre la rivière
Saîouen et le..:M'é-kong, d'un côté, et entre le
Mékông et la rivière Hanchou de l'autre
côté.
« Ces premiers pourparlers, écrit M. Wad-
dington, n'ayant pas abouti, des négociations
ne furent sérieusement reprises que le 16 fé-
vrier 1892, et alors je proposai pour la pre-
mière fois formellement à lord Salisbury de
prendre pour limite de nos zones respectives
d'influence le cours même du Mékong, qui
coupe en deux les territoires qu'il était ques-
tion d'attribuer d'une façon générale" au
Siam. - - - -- - --
» Le lb mal loyy, continue M. Waddington,
j'eus une nouvelle conversation avec votre
prédécesseur sur le même sujet. TI me dit
qu'il était personnellement favorable à l'a-
doption de la ligne du Mékong, mais qu'il at-
tendait le rapport du ministre des Indes à ce
sujet, disant : Comme nous sommes encore
fort loin du Mékong, mon collègue des Indes
ne regarde pas probablement la question
comme bien urgente. »
Cet aveu de lord Salisbury est à retenir.
Depuis, le Foreign-office a négocié avec la
Chine, de manière à s'emparer du haut Mé-
kong et à opposer un fait accompli aux né-
gociations à venir avec la France.
A mesure qu'on avance dans la lecture du
Livre bleu et que les événements du Siam se
développent, on voit avec quel soin jaloux et
attentif lord Rosebery suit chaque mouvement
de l'opinion publique en France. Lord Duffe-
rin renseigne le ministre pour ainsi dire jour
par jour.
Les entrevues du baron d'Estourmelles avec
lord Rosebery se multiplient. Ce dernier dé-
clare qu'il fait tous ses efforts pour ne pas se
laisser entraîner dans la question, mais que
les intérêts anglais au Siam sont tels que
l'Angleterre pourrait bien, malgré elle, être
obligée de s'en mêler.
Au moment du blocus de la rivière du Mé-
kong, la situation devient très difficile. Lord
Dufferin, qui avait été absent de Paris pen-
dant quelques semaines, entre en jeu pour
négocier au sujet de l'Etat-tampon.
Le 7 septembre il voit M. Develle qui ne
semble pas trop pressé de conclure cet arran-
gement.
Le 3 octobre, M. Develle se déclare prêt à
négocier. Les négociations s'engagent et sont
poursuivies à Paris par deux délégués fran-
çais et deux anglais qui signent un protocole
le 25 novembre,établissant qu'il faut faire pro-
céder à une enquête sur place par des agents
techniques des deux pays.
Un second protocole est signé le même jour
entre lord Dufferin et M. Develle pour établir
les conditions et le but de cette enquête.
Le Livre bleu se termine par des docu-
ments relatifs au procès de Phra-Yot.- Il con-
tient 225 pages.
LA CHOLÊRINE A LYON
Malgré tous les soins dont il a été entouré
par ses camarades de l'Harmonie de Tlemcen
(Algérie), un jeune homme de dix-neuf ans,
venu pour prendre part au concours musical
organisé par la direction de l'exposition, est
mort avant-hier à Lyon, d'un accès de cholé-
rine, au local de la rue des Remparis-d'Ai-
nay, numéro 39, où l'on avait logé l'Har-
monie.
Toutes les sociétés musicales algériennes
ont assisté à l'inhumation, qui a eu lieu au
cimetière de la Guillotière.
PROCÉDÉS MILITAIRES ALLEMANDS
(OA KOTM CORRESPONDANT PARTICULIER)
Munich, 16 août.
Pour les prochaines manœuvres dans la Basse-
Bavière, 50 paysans ont reçu l'ordre d'évacuer
complètement leurs fermes qui seront exposées au
feu d'artillerie.
Plusieurs députés de la Chambre bavaroise an-
noncent qu'ils interpelleront à ce sujette gouver-
nement.
Dans l'Allemagne du Nord aussi, où l'on pro-
cède à des manœuvres d'artillerie, les autorités mi-
litaires ont fait déloger de force plusieurs fermiers.
UN D'ORLÉANS
AU SERVICE DE L'AUTRICHE
Vienne, 16 août.
Les journaux annoncent que le prince Emma-
nuel d'Orléans, fils du duc d'Alençon, qui doit
quitter l'Académie militaire le 18 août pour entrer
en qualité de lieutenant dans le 5e régiment de dra-
gons autrichien, est parti pour Iscnl afin de faire
une visite à l'empereur François-Joseph. -
LE PRINCE KARAGEORGEVITCH
Budapest, 16 août.
On annonce que le gouvernement serbe aurait
fait une démarche auprès du gouvernement hon-
grois pour demander l'expulsion du prince Arsène
Karageorgevitcb.
: L'Ex ÓC nti on de Caserio
i
LE DERNIER ACTE
Mesures d'ordre. — M. Deibler à la re-
cherche d'un hôtel. — Les cris
mystérieux. — La mort
du coupable
(DE NOTRE CORRESPONDANT PARTICULIER)
>. Lyon, 16 août.
Caserio a été exécuté ce matin à cinq
heures.
Pour éviter toute manifestation de la part
du public, l'autorité préfectorale avait décidé
que l'exécution se ferait tout près de la prison
et non sur la place Sainte-Blandina, située
à l'intersection du cours Charlemagne et de
la rue Casimir-Perier, lieu ordinairement
choisi pour les exécutions capitales.
Cet emplacement, qui se trouve à cinquante
mètres de la prison, exigeait des déploiements
considérables de troupes. Lors de l'exécution
de Busseuil, le 23 janvier dernier, il avait
fallu requérir deux escadrons de cuirassiers,
deux bataillons d'infanterie, un peloton de
gendarmerie à cheval et quatre cents gardiens
de la paix.
La cavalerie, cuirassiers et gendarmes, fer-
mait l'accès du cours Chariemagne à la hau-
teur de la rue Ravet et de la rue Caeimir-
Perier, et s'étendait le long des terrains vagues
qui se trouvent à droite et à gauche du cours.
Deux bataillons d'infanterie occupaient la
place Sainte-Blandine.
pl Malgré cette barrière épaisse, ces précau-
tions, l'emplacement était si mal choisi que
toute sorte d'individus juchés sur des estra-
d es, des pans de mur, pouvaient voir.
Pour Caserio, on a procédé tout autrement.
C'est exactement à l'intersection du cours Su-
chet et de la rue Smith, à quarante-cinq mè-
tres à peine de la prison Saint Paul, qu'a eu
lieu l'exécution. Seules, une autre prison —
la prison Saint-Joseph — une caserne de gen-
darmerie et quelques rares maisons particu-
lières avaient vue sur cette place, dont l'accès
avait été rigoureusement interdit à la foule.
Ordre avait été donné, en outre, à tous les
débits de vin du quartier de fermer à minuit,
et pour rentrer chez eux, les locataires des
maisons voisines étaient obligés de justifier
de leur identité.
Un violent orage, qui s'est abattu dans la
soirée sur la ville, ne tarda pas du reste à
disperser les quelques curieux qui s'étaient
aventurés jusqu'aux abords de la prison, et
lorsque les troupes vinrent prendre posses-
sion de leurs emplacements, c'était à peine
s'il en restait une cinquantaine.
Arrivé avec ses aides dans la journée
d'avant-hier, M. Deibler a eu toutes les pei-
nes du monde à trouver une chambre, lesnô-
tels où il descend d'ordinaire étant tous occu-
pés ou ne voulant pas le recevoir. A la fin,
pourtant, il a pu se loger à l'hôtel du Midi,
sur la place Perrache.
Dans la matinée d'hier, le bourreau a fait
les visites d'usage. Il s'est rendu d'abord chez
M. l'avocat général Thevard, remplaçant le
procureur général Fochier, absent, et qui a dû
rentrer cette nuit afin de présenter à l'auto-
rité judiciaire le mandat d'exécution qu'il a
reçu et de lui remettre ses réquisitions. Il est
allé ensuite à la préfecture où, d'accord avec
lui, le préfet et M. Rostaing ont arrêté les
dernières dispositions.
A l'issue de cette entrevue, le directeur et
l'aumônier de la prison ainsi que le défenseur
du condamné ont été avisés officiellement de
l'exécution, dont l'annonce ne s'est ébruitée
qu'assez tardivement.
CASERIO EN CELLULE
Nous avons dit quelle avait été l'attitude
de Caserio pendant les cinquante-deux jours
qu'il a passés en cellule. Tel il a été en cour
d'assises, tel il a été toujours: calme, iro-
nique, apportant en toutes choses la plus
grande indifférence; il lisait peu et parlait
moins encore.
Ajoutons pourtant un détail ignoré jusqu'à
présent. On sait que le délai du pourvoi en
cassation expirait le lundi 6 août à minuit.
Ce jour-là, Me Dubreuil, l'éloquent défenseur
du misérable assassin, se rendit à quatre
heures à la prison Saint-Paul et là insista
auprès de Caserio pour lui faire signer son
pourvoi en cassation. Caserio s'y refusa éner-
giquement. Cependant, mardi matin, Me Du-
breuil, voulant aller jusqu'au bout dans son
rôle de défenseur, envoya de sa propre auto-
rité, à Paris, un recours en grâce en faveur
de son client. En même temps il télégra-
phiait à la famille de Caserio pour lui indi-
quer de tenter la même démarche auprès de
M. Casimir-Perier.
Or, il parait que la mère ni les frères de
Caserio n'ont compris le sens de cette dépê-
che : c'est ce qui explique qu'aucune tentative
n'ait été faite de Motta-Viscontipour sauver la
tête du coupable. -
SUR LA PLACE
A minuit donc, la force armée, que com-
mande le colonel Aubron, du 98e de ligne, ar-
rive sur le cours Suchet. Elle se compose du
2e bataillon de ce régiment ayant à sa tête le
commandant Juillard, le même qui était de
service lors du procès Caserio aux assises ;
de deux escadrons du 7e cuirassiers, des bri-
gades de gendarmerie du cours Suchet et de
la rue Sainte-Hélène, et des gardiens de la
paix disponibles, au nombre de trois cents
environ. Ces derniers sont dirigés et placés
par le capitaine Delattre.
On remarque sur les lieux M. Meyer, chef
de division à la préfecture, qui surveille
l'exécution des mesures d'ordre. M. Roche,
commissaire de police d'Oullins, placé à l'an-
gle des rues Smith et Dugas-Montbal, vérifie
les cartes des privilégiés. -
Les troupes sont disposées de manière à
fermer complètement les voies qui aboutis-
sent à la prison. Un escadron du 7e cuiras-
siers barre le cours Suchet à hauteur de la
rue Delaudine ; l'autre escadron, sauf un pe-
loton, forme l'accès du cours Charlemagne.
L'aspect est lugubre. De quart d'heure en
quart d'heure on entend les soldats de garde
dans le chemin de ronde pousser le cri d'a-
larme : « Sentinelles, prenez garde à vous 1 »
Cet appel répété de factionnaire en faction-
naire produit dans le silence de la nuit l'im-
pression la plus triste. Plus loin, ce sont des
patrouilles de gardes municipaux à. cheval
qui s'assurent qu'aucun Individu suspect n'est
parvenu à se glisser près de la prison. Dans
les rues désertes, gardées par la troupe, on
voit des silhouettes noires circuler, des
ombres qui passent échangeant des mots de
ralliement ; ce sont des agents de la sûreté,
des journalistes qui montrent leur coupe-file,
des employés de la préfecture et des membres
du parquet.
Certainement le sommeil de Caserio n'aura
pas été interrompu par les rumeurs qui d'or-
dinaire annoncent au condamné que sa der-
nière heure est proche.
A ce moment pourtant, deux cris très dis-
tincts de « Vive l'anarchie 1 » partent de la
prison Saint-PauL On se regarde et on écoute,
mais c'est tout, aucun bruit ne sort de la pri-
son. Est-ce un signal? Est-ce Caserio qui a
poussé ce cri ? Nous le saurons plus tard,
mais, de l'avis général, ce n'est pas le con-
damné qui a lancé cet appel. C'est plutôt un
prisonnier qui aura tenu à lui envoyer un
dernier salut.
1 LA SINISTRE VOITURE
Bientôt on entend un roulement de voiture
et le fourgon contenant les bois de justice ap-
paraît, suivi peu après du fourgon qui doit
transporter le corps au cimetière.
Les aides descendent de voiture, revêtent
des blouses bleues et déposent à terre les piè-
ces de la machine.
Un d'eux prend minutieusement le n iveau
sur lequel doit être monté la guillotine , pen-
dant qu'un autre place des cales pour en as-
surer l'horizontalité.
Deibler surveille l'opération, coiffé de son
inévitable chapeau haute forme et tenant à
la main son légendaire parapluie.
Enfin, la bascule est placée.Les aides fixent
le chapeau et hissent la masse de plomb dans
laquelle est enchâssé le couteau.
Deibler examine son appareil qu'il fait
fonctionner à deux reprises. On place le pa-
nier rempli de son qui recevra le corps du
condamné et le seau dans lequel tomber a la
tête. C'est fini. Tout est prêt.
Les aides quittent leur vêtements de tra-
vail et revêtent des redingotes noires.
Le jour commence à poindre, la lueur des
becs de gaz pâlit; la lame du couteau devient
très perceptible, se détachant en elair entre la
masse sombre des montants.
Le ciel est gris, des nuages courent très
bas.
La foule s'est sensiblement accrue, surtout
du côté du cours Charlemagne. Un industriel
apporte un marchepied et le dresse au milieu
du cours. Les curieux applaudissent. D'autres
individus imitent son exemple.
Sur le toit d'une maison située dans le pro-
longement de la rue Smith, on voit une
grappe de curieux. Il en est de même des
maisons avoisinantes. „
Les maisons du cours Suchet sont toutes
garnies de curieux. Aux fenêtres de la gen i
darmerie on remarque beaucoup de per
sonnes et parmi elles bon nombre de dames;
LE RÉVEIL DU CONDAMNÉ
Enfin, à quatre heures et demie, Deibler et
ses aides, escortés de gendarmes qui suivent
derrière le fourgon qui doit amener le prison-
nier, pénètrent dans la prison.
Une rumeur plus forte que les précédantes
se produit ; mais la foule, malgré, ses efforts,
ne peut approcher.
En dehors d'eux, nul autre que les cinq
personnes désignées par la loi, c'est-à-dire le
procureur de la République ou son délégué,
le juge d'instruction, le greffier, l'aumônier
et l'avocat de Caserio, Me Dubreuil, n'a pu
entrer dans la prison.
C'est le directeur, M. Roux, qui va réveiller
Caserio.
— Courage, lui dit-il, l'heure est venue.
L'assassin s'assied sur son lit ; il est d'une
pâleur-livide ; un tremblement convulsif se-
coue ses membres.
M. Roux lui offre un cordial ; il refuse.
Avant qu'on l'emmène au poste central,
le directeur ajoute encore : -
— Voici M. le juge d'instruction qui pour-
rait recueillir vos révélations si vous en aviez
à faire, M. l'aumônier pour vous prêter le
concours de son ministère si vous le désirez,
enfin votre défenseur pour recevoir l'eitpres-
sion de vos derniers désirs. --
Caserio, très affaissé, répond :
— Je n'ai rien à dire à M. Benoist. Je re-
fuse tout secours religieux et n'ai rien de par-
ticulier à dire à mon détenseur.
Me Dubreuil insiste néanmoins pour con-
naître ses dernières volontés.
- Faites seulement parvenir à ma mère la
lettre que j'ai écrite pour elle, dit Caserio
dont les yeux se mouillent de larmes et dont
le tremblement devient si grand qu'on a
toutes les peines du monde à l'entraver et à le
ligotter.
L'EXPIATION
A cinq heures moins dix, le cortège quitte,
le poste central. Caserio est d'un pâle verdâ-
tre. Il est si affaissé, que sans le secours de:
deux aides il lui serait impossible de gagner,
la cour où se tient le fourgon. Il gravit péniV:
blement les degrés et s'assied dans le fourgon, ;.
ayant à ses côtés les deux aides du bourreau.
M. Deibler suit à pied, accom pagné de MMt
Thévard, Roullet, Benoist, Mathieu, Laval eit •
l'abbé Ponthus,
Au même moment, le commandement dé
« Baïonnette au canon 1 » retentit et se répété
de peloton en peloton, suivi presque aussi-,
tôt de ceux de « Portez armes l » et « Présentez
armes 1».
Les cavaliers mettent sabre au clair. Le
fourgon sort et vient se ranger sur le côté
gauche de la guillotine. Deux aides placent v
immédiatement le marche-pied. L'aumônier,
qui se trouve près de la voiture, s'approche de
Caserio qui ne semble pas le voir. Caserio ap-
paraît: il est très pâle et semble marcher avec
effort; le col de sa chemise est largement
échancré et permet de voir un torse grêle et
osseux. Les yeux d'abord fixés sur le cou-
teau se reportent sur le public et, d'une voix
très compréhensible Caserio crie : « Courage,
camarades ! Vive l'anarchie ! » La voix siffle en.
tre ses dents, et c'est à peine s'il a le temps -
d'achever sa phrase, déjà les aides le poussent
sur la bascule.
Caserio fait alors un tour de reins et tombe
un peu penché sur le côté droit, ce qui oblige
les exécuteurs à le redresser en le poussant en
avant. Un nouveau soubresaut se produit aa
moment où la tête s'applique dans la lunette ;
il faut que Deibler tire la tête à lui. Le temps
écoulé par suite des mouvements du con-
damné est très appréciable*
Enfin Deibler appuie sur la manette qui
déclanche le couteau. Un bruit sec retenti(
qui indique la section des vertèbres. Un je(
de sang eclabousse la machine; la tête tombe
dans le seau rempli de son pendant que la
corps bascule dans le panier.
Caserio a expié son crime. Il est quatre
heures cinquante-cinq. Des bravos retentil"
sent dans l'assistance. -
TOUT EST FINI
Le panier, est hissé dans le fourgon qul,
escorté de gendarmes, part au galop pour 11
cimetière de la Gulllotière.
Un nouveau cri de. « Vive l'anarchie l Abas
Deibler 1 » sort de la prison Saint-Paul. C'est
la même voix qui avait proféré le même cri à
trois heures du matin.
Il est cinq heures vingt lorsque la voiture
arrive au cimetière. On la conduit dans la
partie désignée sous le nom de Carré des Onze.
C'est là, le long d'un mur, qu'a été creusée la
fosse. On descend le panier de la voiture et
on le dépose à terre. On l'ouvre. Le corps de
Caserio apparait La tête repose auprès des {
pieds. Cette tête est livide, presque verte. Les
yeux sont fermés. La section du cou se déta-
che nette et sanglante. La tête a été tranchée :
immédiatement au-dessous du cervelet, du
nœud vital au menton. La peau derrière la
tête est crispée en bourrelets par suite da,
l'effort terrible que fit le condamné contre J#.
.1 NtfMERo Cinq TIMES-
SAMEDI 18 AOUT 1894
RtDlcTrOI n IMHMSIMTM
1 42, Rue MontmartM -
PARUS -
DIRECTEU'R POLITIQUE
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pelons tout spécialement l'attention sur
la magnifique bicyclette offerte en prime
par le. XIXe Siècle. -
Voir à la 4e page.
OMPARAISON
11 n'y a pas que chez nous que la né-
cessité d'une réforme fiscale apparaît.
Au moment où la question se posait de-
vant la Chambre des députés et où MM.
Doumer et Gavaignac essayaient de
faire admettre le principe de l'impôt
progressif sur le revenu, la même ques-
tion était traitée devant le Parlement an-
glais. Mais les deux discussions avaient
des conclusions bien différentes.
Chez nous, le débat se terminait par
le triomphe de la routine.
Pour dissimuler l'avortement, on s'af-
firmait à soi-même que l'affaire n'était
qu'ajournée et qu'on y reviendrait lors-
qoo la commission extra-parlementaire
nommée par M. Poincaré aurait terminé
ses travaux et que le ministre des finan-
ces aurait, sur ses avis, préparé le pro-
jet de loi qu'il doit soumettre au Par-
lement. Depuis lors, cette commission a
fait preuve d'une remarquable discré-
tion ; elle n'a guère fait parler d'elle.
Le peu que l'on sait de ses travaux n'in-
dique pas cependant qu'elle se soit ac-
cordée sur une solution, et il semble
bien que l'embarras de M. Poincaré ne
sera guère moindre après la réception
de ses rapports qu'auparavant.
En Angleterre, au contraire, la ré-
forme de l'impôt a été réalisée et l'on a
établi sans hésiter l'impôt progressif
sur le revenu et sur les successions. Un
de nos confrères du Matin, qui a eu à
ce propos un entretien avec un mem-
bre de la Chambre des communes, nous
donne des renseignements intéressants
sur la pensée générale qui a dicté ce
vote. Ils font saisir la différence entre le
tempéramment des deux pays et caracté-
risent bien les considérations pratiques
auxquelles nos voisins ont répondu.
« L'expression d'impôts progressifs, a
dit en résumé l'interlocuteur de notre
confrère, n'est pas absolument correcte. -
Nous n'avons voté que des impôts con-
formes à la plus stricte équité ; ils ne
pourraient s'appeler progressifs que
s'ils dépassaient les limites de l'équité
dans le but d'empêcher l'augmentation
de la fortune. »
Prenant un exemple pour mieux
faire saisir la portée de la réforme opé-
rée, le député anglais suppose que l'Etat
ait besoin de faire produire à l'impôt sur
les revenus et à l'impôt sur les succes-
sions 150 francs et qu'il y ait 30 contri-
buables, les uns pauvres, d'autres moyen-
nement aisés, d'autres riches. Le pro-
blème est de répartir entre eux cette
charge. En France, nous n'hésiterons
pas. Nous demanderons 5 francs à cha-
cun, de sorte qu'en réalité nous pren-
drons ; beaucoup plus au petit qu'au
riche et, pour ne pas faire de pro-
portionnalité, nous ferons de la propor-
tionnalité à rebours. En Angleterre,
d'après la nouvelle méthode, on ne
demandera rien aux petits ; les moyens
payeront strictement leur part et l'on
répartira sur les riches la part qui
revenait aux petits.
Notre Anglais ne se dissimule pas les
inconvénients de ce système. Il déclare
lui-même que « l'impôt sur le revenu est
de tous le plus désagréable ». Il partage
avec tous les impôts directs ce défaut
que la contribuable, en portant son ar
gent chez le percepteur, se rend compte
de ce qu'il paye à l'Etat. Les impôts in-
directs, au contraire, se supportent beau-
coup plus aisément, parce qu'on ne sait
pas au juste quelle somme on paye pour
la marchandise et quelle somme repré-
sente la part d'impôt. Quand on achète
un paquet de tabac, par exemple, on sait
bien que l'on n'a pas de la marchandise
pour l'argent que l'on donne, mais on a
quelque chose. Quand on porte de l'ar-
gent chez le percepteur, on a une quit-
- tanc-e et, de quelque imagination que l'on
soRtloué, il est bien difficile de la pren-
dre pour un objet utile ou agréable.
Mais si c'est l'inconvénient des im-
pôts directs, c'est en même temps leur
avantage. Le contribuable est sans cesse
excité à contrôler les dépenses publi-
ques. Si ces dépenses augmentent, si le
Parlement se laisse entraîner à ouvrir
des crédits dont la nécessité n'est pas
rigoureusement établie, le contribuable,
qui voit le chiffre de ses impôts grossir,
s'émeut de cette aggravation de char-
ges, et le député anglais peut en toute
vérité dire que l'impôt direct, et sur-
tout l'impôt sur le revenu, « habitue la
population à faire de la politique prati-
que et qu'il force les contribuables à
ne donner leurs suffrages qu'à un gou-
vernement qui sert les intérêts du pays
et les leurs et qui n'augmente pas les
dépenses ».
Il se montre, du reste, plein de pitié
pour la discussion qui a eu lieu au Pa-
lais-Bourbon. « Le langage de certains
de vos orateurs, dit-il, est remarquable
au point de vue de l'Académie, mais
bien peu conforme aux idées du temps
où nous vivons. Vos députés se grisent
d'éloquence; ils oublient le but pratique.
M. Ribot s'est fait applaudir avec un
discours qui datait d'au moins deux
cents ans, et ceux qui ont soutenu le
projet d'impôt sur le revenu, M. Cavai-
gnac lui-même, ont oublié les meilleurs
arguments. »
Voilà le jugement des hommes prati-
ques sur ces « grandes discussions qui
honorent la tribune française », sui-
vant l'expression consacrée. On ne s'est
pas grisé d'éloquence à Westminster et
l'on n'a pas arrondi de belles phra-
ses; mais on a fait quelque chose.
L'avantage n'est peut-être pas de nôtre
côté.
NOTRE INTERVENTION
DANS LA GUERRE DE CORÉE
Tandis que les chancelleries russe et bri-
tannique suivent avec le plus grand itftérêt,
et non sans inquiétude, les graves événements
qui se déroulent en Corée, n'attendant peut-
être que l'occasion d'intervenir dans le débat
sino-japonais, ici, aux ministères des affaires
étrangères et de la marine, on demeure abso-
lument muet sur le rôle que compte jouer le
gouvernement français dans ce drame jaune,
dont nous ne connaissons encore que le pré-
lude.
Les notes officielles publiées depuis huit
jours ne nous apprennent qu'une chose : c'est
qu'une partie de notre division navale de
l'Extrême-Orient se trouve dans les mers
de Chine. Le cuirassé Bayard, ayant le
contre-amiral Dupuis à son bord, a mouillé
devant Hakodadi, port du Japon; la canon-
nière Comète est à Hong-Kong et la canon-
nière Lion a pu évoluer à proximité des
navires chinois lorsque ceux-ci ont été atta-
qués par les croiseurs japonais.
Le gouvernement français a peut-être quel-
que intérêt à garder le silence. Nous ne par-
lerons pas de l'intérêt diplomatique qui s'ex-
plique de lui-même, mais nous appuierons
sur ce fait, que depuis longtemps déjà ont
constaté tous ceux qui s'occupent de nos in-
térêts coloniaux, de l'insuffisance de nos for-
ces navales en Extrême-Orient.
L'amiral Dupuis ne dispose, en fait de na-
vires pouvant présenter quelque surface, que
d'un cuirassé, le Bayard, et d'un croiseur, le
Forfait ; sa division se complète ensuite d'un
aviso, et de deux canonnières. et c'est
tout.
Lorsque le Bayard a pris la mer pour re-
tourner en Indo-Chine, les plus vives criti-
ques ont assailli le ministère de la marine :
on refusait à ce vieux cuirassé, déjà fort dé-
labré à sa rentrée en France après la glo-
rieuse campagne de l'amiral Courbet, toute
qualité nautique. Et ces reproches étaient,
certes, mérités.
Cette constatation est d'autant plus vraie,
qu'au ministère de la marine on s'est enfin
emu de cet état de choses et que le croiseur
Beautemps-Beaupre, qui allait revenir en
France, a reçu contre-ordre et fait route à
cette heure pour la Chine où il se rangera sous
les ordres de l'amiral Dupuis.
Même avec ce renfort de la dernière heure,
notre division de l'Extrême-Orient ne peut
faire que triste mine là-bas, si l'on songe que
l'Angleterre possède sur les côtes de Hong-
Kong une escadre aussi brillante, aussi puis-
sante que celles qu'elle entretient dans les
mers du Nord et que cette escadre a été en-
core renforcée, il y a quelque trois mois, de
deux croiseurs récemment lancés, les plus re-
marquables de la flotte anglaise.
Il ne fait de doute pour personne que, sur
les côtes de Chine comme partout ailleurs,
du reste, nous agirons de concert avec la po-
litique du tsar. Dans ces conditions, une dé-
monstration navale des deux nations amies
peut être nécessaire d'un moment à l'autre.
Il est regrettable qu'elle ne puisse être ap-
puyée de notre part d'une façon plus réelle.
Ceux qui, il y a près de cinq ans déjà,
constataient ce qu'avait de dérisoire l'esca-
drille de l'Extrême-Orient,semblaient prévoir
les événements actuels. Il ont été, hélas t une
fois encore bons prophètes.
LE FRATRICIDE PERRIER
Me de Dammartin vient de recevoir télégra-
phiquement avis que M. le président de la
République lui accordera audience, à Pont-
sur-Seine, aujourd'hui 17 août, à quatre
heure et demie du soir.
Me Dammartin ira solliciter de M. Casimir-
Perrier la grâce d'un de ses clients, Louis
Perrier — un homonyme du président de la
République — condamné à mort, le 30 juin
dernier, pour avoir assassiné son frère.
Le rapport de M. Benoist, qui présidait les
assises de la Seine en juin dernier, conclut
à la grâce de Louis Perrier.
Il est donc vraisemble que la peine de mort
prononcée contre Louis Perrier sera com-
muée en celle des travaux forcés à perpé-
tuité.
MORT D'UN SÉNATEUR
Vienne, 16 août.
Le docteur Henri Couturier, conseiller général,
sénateur de l'Isère, est décédé jeudi soir dans sa
propriété de Granges-Hautes, près Vienne.
Né le 15 juillet 1813, le docteur Couturier avait
été élu député de la deuxième circonscription de
Vienne le 20 février 1876.
A la Chambre, il siégea à gauche et fut des 363.
Réélu en 1877 et en 1881, il fut nommé sénateur
en 1885 et vota toujours avec la majoriré.
Ses obsèques seront probablement célébrées di-
manche matin.
L VIE DE PARIS
M. Leconte-de Lisle, en mourant, a lais-
sé une double succession vacante : son no-
ble fauteuil d'académicien et son modeste
« rond de cuir » de sous-bibliothécaire au
Sénat. Je ne sais ce qu'il adviendra du fau-
teuil. Quant a la place de sous-bibliothé-
caire, il paraît qu'il est question de la sup-
primer. On avait même assuré que M.
Challemel-Lacour avait prononcé à ce
propos un ukase. Outre que la chose m'é-
tonnerait assez, venant de cet admirable
lettré dont le libre esprit doit être au-des-
sus des préjugés, le président du Sénat ne
peut prendre seul une telle mesure.
Il faut que le bureau du Sénat s'en sai-
sisse et prononce. Tout au plus a-t-on pu
indiquer les dispositions du président. Il
voudrait peut-être supprimer la fonction
de sous-bibliothécaire, en constatant qu'il
n'y a pas de bibliothèque au Sénat, ou, du
moins, que celle qui existe peut être en-
tretenue et gérée par un personnel moins
nombreux que celui qui existe. A pre-
mière vue, la raison peut paraître bonne,
"étant logique.
Mais rien n'est trompeur comme la
logique ! Outre qu'il y a pas mal de livres
au Luxembourg et surtout de documents
parlementaires, l'absence même d'une bi-
bliothèque n'implique pas forcément la
suppression du poste de bibliothécaire.
Mettons que ce poste soit une sinécure,
et même une sinécure absolue. Est-ce une
raison pour le supprimer? Je sais bien
que je vais contre le sentiment général,
contre l'opinion de la foule qui, en ceci
comme en toutes choses, est simpliste.
Mais je tiens pour l'utilité, pour la néces-
sité des sinécures.
Si nous avions un gouvernement d'une
rigidité absolue et d'une stricte économie,
comme celui de la République helvétique,
par exemple, où je ne crois pas qu'il y
ait un ëiiïp dye..e,ye plus de dix ou douze
mille francs, je comprendrais la suppres-
sion des sinécures. Mais nous avons gardé
de la monarchie, avec la centralisation
excessive, une benisation administmbve
compliquée, luxueuse, très coûteuse. Puis-
que nous avons conservé cette tradition,
pourquoi ne pas accepter aussi une autre
tradition, plus essentielle et plus noble,
qui consiste à aider à la vie des travail-
leurs dont le travail honore le pays, ou à
leur accorder dans une forme décente
une retraite honorable ?
La monarchie pensionnait les gens de
lettres. Elle se trompait parfois dans ses
choix, et Racine avait une moindre pen-
sion que Chapelain. Mais qu'importe? Un
gouvernement a toujours besoin d'un ar-
gent de poche, et quand il n'a pas la cas-
sette du roi, il n'est pas mauvais qu'il ait
quelques places à donner. Il y a quelque
chose de mesquin, d'hostile à l'intelligence
et de maladroit dans cette hostilité qu'on
a eue depuis quelque temps pour une
très petite quantité de lettrés a qui on
avait donné des emplois.
On a dit que les lettrés n'étaient pas de
bien bons employés. Heureusement. Et si
M. Leconte de Lisle a écrit ses poésies à
son bureau du Luxembourg, au lieu de
paperasser, c'est tant mieux pour tout le
monde. La haine des libres esprits, litté-
raires et philosophiques, est, d'ailleurs,
ordinaire aux politiciens. Elle a commencé
à se manifester quand on a réorganisé le
service du Journal officiel. Dans ce jour-
nal hérissé de documents, qui est envoyé
à toutes les communes, on avait coutume
de rencontrer, de temps en temps, des tra-
vaux littéraires.
Théophile Gautier en fut un des ré-
dacteurs. A côté du mouvement des cuirs
et des pétroles, des savants et des lettrés
donnaient le mouvement des sciences, des
arts, des théâtres, des lettres. Ceci avait
bien sa valeur. Cette partie du Journal
officiel coûtait peut-être vingt-mille francs
par an, ce qui a paru scandaleux auxdépu-
tés, craignant peut-être des comparaisons
fâcheuses pour leur propre prose. On a
supprimé la science et banni la littéra-
ture. Je ne vois pas du tout ce qu'on y a
gagné. Ce sont économies de bouts de
chandelles, peu honorables pour le pays
qui veut être le plus éclairé du monde.
Encore une fois, je le répète, si vous
voulez gouverner et administrer comme
en Suisse, soit. Un tiers des fonctionnai-
res peuvent être supprimés. Mais si vous
gardez le « rouage », gardez-le tout entier
et ne faites pas d'hypocrites économies
sur quelques sinécures réservées à des
savants et à des lettrés qui honorent la
République. Avant même de supprimer
les fonctionnaires « inutiles »,je serais d'a-
vis de supprimer les fonctionnaires nuisi-
bles ou de rogner leurs bénéfices.
Dans un pays comme le nôtre, il y a
toujours des savants et des lettrés qui
n'ont pas trouvé la juste compensation de
leurs travaux. C'est une des iniquités de
notre métier que les hommes les plus re-
marquables ne sont pas ceux qui gagnent
le plus d'argent. Un grand philosophe est
moins payé par le public qu'un vaudevil-
liste qui réussit, et un poète sublime ne
touche pas pour ses vers (quand il touche
quelque chose) la centième partie de ce
que rapporte à son auteur le plus grossier
des romans-feuilletons.
Il est équitable, il est bon que le gou-
vernement ait quelque moyen honorable
de compenser cette injustice, de rétablir
l'équilibre. Les nensions aux lettrés ne
sont plus dans nos mœurs. Mais on peut
garder pour eux quelques emplois. Et je
pense que les contribuables qui payent ne
se plaindraient pas de cet emploi fait de
leur argent, quand ils ne se plaignent pas
(et ils ont tort, à mon avis) de se voir ac-
cabler d'impôts au profit de gens qui les
oppriment.
On aura le droit de parler d'économies
en France quand la justice n'y sera plus
onéreuse et usurière, quand les frais d'une
instance ne grèveront pas l'affaire souvent
d'un tiers de la somme en litige, quand le
coulage ne sera pas toléré, que dis-je?
imposé par les règlements de la comptabi-
lité d'Etat, quand les objets de première
nécessité, l'air, la lumière, le gaz ne se-
ront pas vendus aux citoyens, qui payent
ou bien pour des choses qui sont essen-
tiellement à tous ou pour des choses qu'on
fabrique à un prix scandaleusement élevé.
Alors, mais seulement alors, quand l'ex-
ploitation du pauvre monde aura pris fin,
on pourra songer à économiser sur quel-
ques places accordées à des hommes de
talent qui en ont besoin. Jusque-là, on
fera bien de ne pas se montrer par trop
avare.
Henry Fouquier.
LE LIVRE BLEU SURLE SUM
Londres, 16 août.
Le gouvernement anglais a fait paraître ce
soir un Livre bleu sur le Siam.
Ce livre commence au 10 juillet 1887 par
une dépêche du représentant anglais à Bang-
kok et se termine par une lettre du baron
d'Estournelles à lord Kimberley le 25 avril
dernier.
Les premiers documents diplomatiques re-
produisent l'historique de la question.
Le 12 juillet 1884, M. Waddington proposait
déjà formellement à lord Salisbury le Mé-
kong comme frontière des possessions fran-
çaises de la Cochinchine et la neutralisation
du Siam.
Le gouvernement anglais demande qu'a-
vant de discuter sur la neutralisation du Siam
la frontière entre la Cochinchine et le Siam
soit définitivement établie.
Le 16 février 1892, nouvelle proposition
française demandant que le Mékong sépare
le Siam des possessions françaises.
Cette fois, l'Angleterre demande des expli-
cations, traîne en longueur. Elle négocie avec
la Chine, et finalement le Foreign-office ré-
pond qu'il est douteux, dans les circonstances
actuelles, qu'un arrangement entre la France
et l'Angleterre soit désirable.
Les documents suivants font l'historique
des événements de 1893 au Siam
M. Waddington, écrivant à lord Rosebery
le 30 avril 1893, lui racontait un entretien
qu'il avait eu avec lord Salisbury le 30 avril
1889.
L'ambassadeur de France avait proposé à
ce dernier de réserver au Siam les territoires
au sud de la.frQ.P.tière chinoise entre la rivière
Saîouen et le..:M'é-kong, d'un côté, et entre le
Mékông et la rivière Hanchou de l'autre
côté.
« Ces premiers pourparlers, écrit M. Wad-
dington, n'ayant pas abouti, des négociations
ne furent sérieusement reprises que le 16 fé-
vrier 1892, et alors je proposai pour la pre-
mière fois formellement à lord Salisbury de
prendre pour limite de nos zones respectives
d'influence le cours même du Mékong, qui
coupe en deux les territoires qu'il était ques-
tion d'attribuer d'une façon générale" au
Siam. - - - -- - --
» Le lb mal loyy, continue M. Waddington,
j'eus une nouvelle conversation avec votre
prédécesseur sur le même sujet. TI me dit
qu'il était personnellement favorable à l'a-
doption de la ligne du Mékong, mais qu'il at-
tendait le rapport du ministre des Indes à ce
sujet, disant : Comme nous sommes encore
fort loin du Mékong, mon collègue des Indes
ne regarde pas probablement la question
comme bien urgente. »
Cet aveu de lord Salisbury est à retenir.
Depuis, le Foreign-office a négocié avec la
Chine, de manière à s'emparer du haut Mé-
kong et à opposer un fait accompli aux né-
gociations à venir avec la France.
A mesure qu'on avance dans la lecture du
Livre bleu et que les événements du Siam se
développent, on voit avec quel soin jaloux et
attentif lord Rosebery suit chaque mouvement
de l'opinion publique en France. Lord Duffe-
rin renseigne le ministre pour ainsi dire jour
par jour.
Les entrevues du baron d'Estourmelles avec
lord Rosebery se multiplient. Ce dernier dé-
clare qu'il fait tous ses efforts pour ne pas se
laisser entraîner dans la question, mais que
les intérêts anglais au Siam sont tels que
l'Angleterre pourrait bien, malgré elle, être
obligée de s'en mêler.
Au moment du blocus de la rivière du Mé-
kong, la situation devient très difficile. Lord
Dufferin, qui avait été absent de Paris pen-
dant quelques semaines, entre en jeu pour
négocier au sujet de l'Etat-tampon.
Le 7 septembre il voit M. Develle qui ne
semble pas trop pressé de conclure cet arran-
gement.
Le 3 octobre, M. Develle se déclare prêt à
négocier. Les négociations s'engagent et sont
poursuivies à Paris par deux délégués fran-
çais et deux anglais qui signent un protocole
le 25 novembre,établissant qu'il faut faire pro-
céder à une enquête sur place par des agents
techniques des deux pays.
Un second protocole est signé le même jour
entre lord Dufferin et M. Develle pour établir
les conditions et le but de cette enquête.
Le Livre bleu se termine par des docu-
ments relatifs au procès de Phra-Yot.- Il con-
tient 225 pages.
LA CHOLÊRINE A LYON
Malgré tous les soins dont il a été entouré
par ses camarades de l'Harmonie de Tlemcen
(Algérie), un jeune homme de dix-neuf ans,
venu pour prendre part au concours musical
organisé par la direction de l'exposition, est
mort avant-hier à Lyon, d'un accès de cholé-
rine, au local de la rue des Remparis-d'Ai-
nay, numéro 39, où l'on avait logé l'Har-
monie.
Toutes les sociétés musicales algériennes
ont assisté à l'inhumation, qui a eu lieu au
cimetière de la Guillotière.
PROCÉDÉS MILITAIRES ALLEMANDS
(OA KOTM CORRESPONDANT PARTICULIER)
Munich, 16 août.
Pour les prochaines manœuvres dans la Basse-
Bavière, 50 paysans ont reçu l'ordre d'évacuer
complètement leurs fermes qui seront exposées au
feu d'artillerie.
Plusieurs députés de la Chambre bavaroise an-
noncent qu'ils interpelleront à ce sujette gouver-
nement.
Dans l'Allemagne du Nord aussi, où l'on pro-
cède à des manœuvres d'artillerie, les autorités mi-
litaires ont fait déloger de force plusieurs fermiers.
UN D'ORLÉANS
AU SERVICE DE L'AUTRICHE
Vienne, 16 août.
Les journaux annoncent que le prince Emma-
nuel d'Orléans, fils du duc d'Alençon, qui doit
quitter l'Académie militaire le 18 août pour entrer
en qualité de lieutenant dans le 5e régiment de dra-
gons autrichien, est parti pour Iscnl afin de faire
une visite à l'empereur François-Joseph. -
LE PRINCE KARAGEORGEVITCH
Budapest, 16 août.
On annonce que le gouvernement serbe aurait
fait une démarche auprès du gouvernement hon-
grois pour demander l'expulsion du prince Arsène
Karageorgevitcb.
: L'Ex ÓC nti on de Caserio
i
LE DERNIER ACTE
Mesures d'ordre. — M. Deibler à la re-
cherche d'un hôtel. — Les cris
mystérieux. — La mort
du coupable
(DE NOTRE CORRESPONDANT PARTICULIER)
>. Lyon, 16 août.
Caserio a été exécuté ce matin à cinq
heures.
Pour éviter toute manifestation de la part
du public, l'autorité préfectorale avait décidé
que l'exécution se ferait tout près de la prison
et non sur la place Sainte-Blandina, située
à l'intersection du cours Charlemagne et de
la rue Casimir-Perier, lieu ordinairement
choisi pour les exécutions capitales.
Cet emplacement, qui se trouve à cinquante
mètres de la prison, exigeait des déploiements
considérables de troupes. Lors de l'exécution
de Busseuil, le 23 janvier dernier, il avait
fallu requérir deux escadrons de cuirassiers,
deux bataillons d'infanterie, un peloton de
gendarmerie à cheval et quatre cents gardiens
de la paix.
La cavalerie, cuirassiers et gendarmes, fer-
mait l'accès du cours Chariemagne à la hau-
teur de la rue Ravet et de la rue Caeimir-
Perier, et s'étendait le long des terrains vagues
qui se trouvent à droite et à gauche du cours.
Deux bataillons d'infanterie occupaient la
place Sainte-Blandine.
pl Malgré cette barrière épaisse, ces précau-
tions, l'emplacement était si mal choisi que
toute sorte d'individus juchés sur des estra-
d es, des pans de mur, pouvaient voir.
Pour Caserio, on a procédé tout autrement.
C'est exactement à l'intersection du cours Su-
chet et de la rue Smith, à quarante-cinq mè-
tres à peine de la prison Saint Paul, qu'a eu
lieu l'exécution. Seules, une autre prison —
la prison Saint-Joseph — une caserne de gen-
darmerie et quelques rares maisons particu-
lières avaient vue sur cette place, dont l'accès
avait été rigoureusement interdit à la foule.
Ordre avait été donné, en outre, à tous les
débits de vin du quartier de fermer à minuit,
et pour rentrer chez eux, les locataires des
maisons voisines étaient obligés de justifier
de leur identité.
Un violent orage, qui s'est abattu dans la
soirée sur la ville, ne tarda pas du reste à
disperser les quelques curieux qui s'étaient
aventurés jusqu'aux abords de la prison, et
lorsque les troupes vinrent prendre posses-
sion de leurs emplacements, c'était à peine
s'il en restait une cinquantaine.
Arrivé avec ses aides dans la journée
d'avant-hier, M. Deibler a eu toutes les pei-
nes du monde à trouver une chambre, lesnô-
tels où il descend d'ordinaire étant tous occu-
pés ou ne voulant pas le recevoir. A la fin,
pourtant, il a pu se loger à l'hôtel du Midi,
sur la place Perrache.
Dans la matinée d'hier, le bourreau a fait
les visites d'usage. Il s'est rendu d'abord chez
M. l'avocat général Thevard, remplaçant le
procureur général Fochier, absent, et qui a dû
rentrer cette nuit afin de présenter à l'auto-
rité judiciaire le mandat d'exécution qu'il a
reçu et de lui remettre ses réquisitions. Il est
allé ensuite à la préfecture où, d'accord avec
lui, le préfet et M. Rostaing ont arrêté les
dernières dispositions.
A l'issue de cette entrevue, le directeur et
l'aumônier de la prison ainsi que le défenseur
du condamné ont été avisés officiellement de
l'exécution, dont l'annonce ne s'est ébruitée
qu'assez tardivement.
CASERIO EN CELLULE
Nous avons dit quelle avait été l'attitude
de Caserio pendant les cinquante-deux jours
qu'il a passés en cellule. Tel il a été en cour
d'assises, tel il a été toujours: calme, iro-
nique, apportant en toutes choses la plus
grande indifférence; il lisait peu et parlait
moins encore.
Ajoutons pourtant un détail ignoré jusqu'à
présent. On sait que le délai du pourvoi en
cassation expirait le lundi 6 août à minuit.
Ce jour-là, Me Dubreuil, l'éloquent défenseur
du misérable assassin, se rendit à quatre
heures à la prison Saint-Paul et là insista
auprès de Caserio pour lui faire signer son
pourvoi en cassation. Caserio s'y refusa éner-
giquement. Cependant, mardi matin, Me Du-
breuil, voulant aller jusqu'au bout dans son
rôle de défenseur, envoya de sa propre auto-
rité, à Paris, un recours en grâce en faveur
de son client. En même temps il télégra-
phiait à la famille de Caserio pour lui indi-
quer de tenter la même démarche auprès de
M. Casimir-Perier.
Or, il parait que la mère ni les frères de
Caserio n'ont compris le sens de cette dépê-
che : c'est ce qui explique qu'aucune tentative
n'ait été faite de Motta-Viscontipour sauver la
tête du coupable. -
SUR LA PLACE
A minuit donc, la force armée, que com-
mande le colonel Aubron, du 98e de ligne, ar-
rive sur le cours Suchet. Elle se compose du
2e bataillon de ce régiment ayant à sa tête le
commandant Juillard, le même qui était de
service lors du procès Caserio aux assises ;
de deux escadrons du 7e cuirassiers, des bri-
gades de gendarmerie du cours Suchet et de
la rue Sainte-Hélène, et des gardiens de la
paix disponibles, au nombre de trois cents
environ. Ces derniers sont dirigés et placés
par le capitaine Delattre.
On remarque sur les lieux M. Meyer, chef
de division à la préfecture, qui surveille
l'exécution des mesures d'ordre. M. Roche,
commissaire de police d'Oullins, placé à l'an-
gle des rues Smith et Dugas-Montbal, vérifie
les cartes des privilégiés. -
Les troupes sont disposées de manière à
fermer complètement les voies qui aboutis-
sent à la prison. Un escadron du 7e cuiras-
siers barre le cours Suchet à hauteur de la
rue Delaudine ; l'autre escadron, sauf un pe-
loton, forme l'accès du cours Charlemagne.
L'aspect est lugubre. De quart d'heure en
quart d'heure on entend les soldats de garde
dans le chemin de ronde pousser le cri d'a-
larme : « Sentinelles, prenez garde à vous 1 »
Cet appel répété de factionnaire en faction-
naire produit dans le silence de la nuit l'im-
pression la plus triste. Plus loin, ce sont des
patrouilles de gardes municipaux à. cheval
qui s'assurent qu'aucun Individu suspect n'est
parvenu à se glisser près de la prison. Dans
les rues désertes, gardées par la troupe, on
voit des silhouettes noires circuler, des
ombres qui passent échangeant des mots de
ralliement ; ce sont des agents de la sûreté,
des journalistes qui montrent leur coupe-file,
des employés de la préfecture et des membres
du parquet.
Certainement le sommeil de Caserio n'aura
pas été interrompu par les rumeurs qui d'or-
dinaire annoncent au condamné que sa der-
nière heure est proche.
A ce moment pourtant, deux cris très dis-
tincts de « Vive l'anarchie 1 » partent de la
prison Saint-PauL On se regarde et on écoute,
mais c'est tout, aucun bruit ne sort de la pri-
son. Est-ce un signal? Est-ce Caserio qui a
poussé ce cri ? Nous le saurons plus tard,
mais, de l'avis général, ce n'est pas le con-
damné qui a lancé cet appel. C'est plutôt un
prisonnier qui aura tenu à lui envoyer un
dernier salut.
1 LA SINISTRE VOITURE
Bientôt on entend un roulement de voiture
et le fourgon contenant les bois de justice ap-
paraît, suivi peu après du fourgon qui doit
transporter le corps au cimetière.
Les aides descendent de voiture, revêtent
des blouses bleues et déposent à terre les piè-
ces de la machine.
Un d'eux prend minutieusement le n iveau
sur lequel doit être monté la guillotine , pen-
dant qu'un autre place des cales pour en as-
surer l'horizontalité.
Deibler surveille l'opération, coiffé de son
inévitable chapeau haute forme et tenant à
la main son légendaire parapluie.
Enfin, la bascule est placée.Les aides fixent
le chapeau et hissent la masse de plomb dans
laquelle est enchâssé le couteau.
Deibler examine son appareil qu'il fait
fonctionner à deux reprises. On place le pa-
nier rempli de son qui recevra le corps du
condamné et le seau dans lequel tomber a la
tête. C'est fini. Tout est prêt.
Les aides quittent leur vêtements de tra-
vail et revêtent des redingotes noires.
Le jour commence à poindre, la lueur des
becs de gaz pâlit; la lame du couteau devient
très perceptible, se détachant en elair entre la
masse sombre des montants.
Le ciel est gris, des nuages courent très
bas.
La foule s'est sensiblement accrue, surtout
du côté du cours Charlemagne. Un industriel
apporte un marchepied et le dresse au milieu
du cours. Les curieux applaudissent. D'autres
individus imitent son exemple.
Sur le toit d'une maison située dans le pro-
longement de la rue Smith, on voit une
grappe de curieux. Il en est de même des
maisons avoisinantes. „
Les maisons du cours Suchet sont toutes
garnies de curieux. Aux fenêtres de la gen i
darmerie on remarque beaucoup de per
sonnes et parmi elles bon nombre de dames;
LE RÉVEIL DU CONDAMNÉ
Enfin, à quatre heures et demie, Deibler et
ses aides, escortés de gendarmes qui suivent
derrière le fourgon qui doit amener le prison-
nier, pénètrent dans la prison.
Une rumeur plus forte que les précédantes
se produit ; mais la foule, malgré, ses efforts,
ne peut approcher.
En dehors d'eux, nul autre que les cinq
personnes désignées par la loi, c'est-à-dire le
procureur de la République ou son délégué,
le juge d'instruction, le greffier, l'aumônier
et l'avocat de Caserio, Me Dubreuil, n'a pu
entrer dans la prison.
C'est le directeur, M. Roux, qui va réveiller
Caserio.
— Courage, lui dit-il, l'heure est venue.
L'assassin s'assied sur son lit ; il est d'une
pâleur-livide ; un tremblement convulsif se-
coue ses membres.
M. Roux lui offre un cordial ; il refuse.
Avant qu'on l'emmène au poste central,
le directeur ajoute encore : -
— Voici M. le juge d'instruction qui pour-
rait recueillir vos révélations si vous en aviez
à faire, M. l'aumônier pour vous prêter le
concours de son ministère si vous le désirez,
enfin votre défenseur pour recevoir l'eitpres-
sion de vos derniers désirs. --
Caserio, très affaissé, répond :
— Je n'ai rien à dire à M. Benoist. Je re-
fuse tout secours religieux et n'ai rien de par-
ticulier à dire à mon détenseur.
Me Dubreuil insiste néanmoins pour con-
naître ses dernières volontés.
- Faites seulement parvenir à ma mère la
lettre que j'ai écrite pour elle, dit Caserio
dont les yeux se mouillent de larmes et dont
le tremblement devient si grand qu'on a
toutes les peines du monde à l'entraver et à le
ligotter.
L'EXPIATION
A cinq heures moins dix, le cortège quitte,
le poste central. Caserio est d'un pâle verdâ-
tre. Il est si affaissé, que sans le secours de:
deux aides il lui serait impossible de gagner,
la cour où se tient le fourgon. Il gravit péniV:
blement les degrés et s'assied dans le fourgon, ;.
ayant à ses côtés les deux aides du bourreau.
M. Deibler suit à pied, accom pagné de MMt
Thévard, Roullet, Benoist, Mathieu, Laval eit •
l'abbé Ponthus,
Au même moment, le commandement dé
« Baïonnette au canon 1 » retentit et se répété
de peloton en peloton, suivi presque aussi-,
tôt de ceux de « Portez armes l » et « Présentez
armes 1».
Les cavaliers mettent sabre au clair. Le
fourgon sort et vient se ranger sur le côté
gauche de la guillotine. Deux aides placent v
immédiatement le marche-pied. L'aumônier,
qui se trouve près de la voiture, s'approche de
Caserio qui ne semble pas le voir. Caserio ap-
paraît: il est très pâle et semble marcher avec
effort; le col de sa chemise est largement
échancré et permet de voir un torse grêle et
osseux. Les yeux d'abord fixés sur le cou-
teau se reportent sur le public et, d'une voix
très compréhensible Caserio crie : « Courage,
camarades ! Vive l'anarchie ! » La voix siffle en.
tre ses dents, et c'est à peine s'il a le temps -
d'achever sa phrase, déjà les aides le poussent
sur la bascule.
Caserio fait alors un tour de reins et tombe
un peu penché sur le côté droit, ce qui oblige
les exécuteurs à le redresser en le poussant en
avant. Un nouveau soubresaut se produit aa
moment où la tête s'applique dans la lunette ;
il faut que Deibler tire la tête à lui. Le temps
écoulé par suite des mouvements du con-
damné est très appréciable*
Enfin Deibler appuie sur la manette qui
déclanche le couteau. Un bruit sec retenti(
qui indique la section des vertèbres. Un je(
de sang eclabousse la machine; la tête tombe
dans le seau rempli de son pendant que la
corps bascule dans le panier.
Caserio a expié son crime. Il est quatre
heures cinquante-cinq. Des bravos retentil"
sent dans l'assistance. -
TOUT EST FINI
Le panier, est hissé dans le fourgon qul,
escorté de gendarmes, part au galop pour 11
cimetière de la Gulllotière.
Un nouveau cri de. « Vive l'anarchie l Abas
Deibler 1 » sort de la prison Saint-Paul. C'est
la même voix qui avait proféré le même cri à
trois heures du matin.
Il est cinq heures vingt lorsque la voiture
arrive au cimetière. On la conduit dans la
partie désignée sous le nom de Carré des Onze.
C'est là, le long d'un mur, qu'a été creusée la
fosse. On descend le panier de la voiture et
on le dépose à terre. On l'ouvre. Le corps de
Caserio apparait La tête repose auprès des {
pieds. Cette tête est livide, presque verte. Les
yeux sont fermés. La section du cou se déta-
che nette et sanglante. La tête a été tranchée :
immédiatement au-dessous du cervelet, du
nœud vital au menton. La peau derrière la
tête est crispée en bourrelets par suite da,
l'effort terrible que fit le condamné contre J#.
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