Titre : Le XIXe siècle : journal quotidien politique et littéraire / directeur-rédacteur en chef : Gustave Chadeuil
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1894-08-14
Contributeur : Chadeuil, Gustave (1821-1896). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32757974m
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 14 août 1894 14 août 1894
Description : 1894/08/14 (A24,N8247). 1894/08/14 (A24,N8247).
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k75624750
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-199
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 24/04/2013
VINGT-QUATRIÈME ANNÉE. - N- 8,247 f:t;¡ TïuÀ LË"Nt^ÉRO':taNO'€fî^iMES:^ilàÉ- MARDI 14 AOUT 1S94
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A l'occasion des vacances, nous ap
pelons tout spécialement l'attention sur
la magnifique bicyclette offerte en prime
par le XIXe Siècle.
Voir à la 3e page.
LA
Scandaleuse Arrestation
DE
SAI NT-AIGN AN-LE-J AI LLA RD
Un grand nombre de mes confrères,
répondant à l'appel que j'adressais l'au-
tre jour à la presse indépendante, ont
vivement protesté contre l'inqualifiable
arrestation qui cause encore dans tout
le département du Loiret une si pro-
fonde émotion. Parmi eux, je citerai en
première ligne M. Clemenceau qui,
dans un maître article de la Justice,
exprime cette opinion judicieuse que, si
après la dénonciation calomnieuse dont
il a été l'objet, on s'est contenté de per-
quisitionner chez M. Lenepveu, de Co-
lombe, c'est parce qu'il était réaction-
naire, tandis que si M. Girard, de Saint-
Aignan-le-Jaillard, a non seulement été
perquisitionné, mais arrêté et empri-
sonné, c'est peut-être parce qu'il était
connu pour ses opinions fermement ré-
publicaines.
Il faut dire aussi que les agents de
MM. Dupuy et Guérin n'oseraient sans
doute pas se permettre à Paris et dans
les environs ce qu'ils se permettent en
province, et ils s en permettraient bien
d'autres s'ils n'étaient retenus par la
peur' de cette presse dont on peut
dire tout le mal qu'on voudra, mais qui
est encore la seule sauvegarde des pe-
tits et des faibles contre l'arbitraire et
l'injustice des puissants du jour.
Je citerai aussi M. Tony Revillon qui
constate douloureusement, dans le Ra-
dicaLqti « après tant de luttes pour l'é-
galité et la liberté, nous nous retrou-
vons en face de l'arbitraire impérial, à
la merci d'une coterie d'hommes médio-
cres qui croient restaurer l'autorité en
arrêtant les citoyens sur la dénonciation
d'un voisin rancuneux. »
M. Henry Girard, dans la Franoe,
observe avec raison que s'il est bon de
pourchasser les criminels qui s'intitu-
lent propagandistes par le fait, c'est-à-
dire par la bombe et le poignard, il ne
serait pas mauvais de protéger un peu
les honnêtes gens contre les dénoncia-
tions calomnieuses et contre l'arbitraire
de la police.
Enfin, tandis que la plupart des jour-
naux d'opposition de droite ou de gau-
ehe, comme la Petite Ripublique, la
Libre Parole, VIntransigeant, la Ga-,
zette de France, s'élèvent avec une légi-
time vivacité contre l'arbitraire des pro-
cédés inaugurés par les arrestations de
MM. Lenepveu et Girard, d'autres jour-
naux qu'on ne saurait classer dans cette
catégorie, comme Paris, rappellent
aux agents de M. Dupuy qu' « ils ne de-
vraient pas se faire les complices des
calomniateurs et que la liberté indivi-
duelle ainsi que le respect du domicile
sont choses auxquelles il ne saurait être
indifférent de porter atteinte ». !
La vérité est que l'arrestation et
l'emprisonnement du fermier de l'hôpi-
tal de Sully-sur-Loire soulèvent une
question bien plus haute que toutes les
questions politiques. A l'époque où nous
sommes, personne en réalité n'est sûr du
lendemain. Aujourd'hui le pouvoir est
entre les mains de MM. Dupuy, Gué-
rin, Viger et d'autres ministres plus ou
moins inconnus, pris au hasard en de-
dans ou en dehors du Parlement. Qui
leur succédera? Et où irions-nous si,
avec la fréquence des crises ministé-
rielles et les surprises de la politique
parlementaire, la force collective de
la nation, la police, la gendarmerie,
la magistrature, pouvait être mise au
service d'inimitiés locales, de vengean-
ces personnelles, de haines politiques
et de rancunes électorales?
Cette arrestation de Girard a d'autant
plus de gravité qu'elle n'est pas le fait
d'un @@èis-ordre qui aurait voulu faire
du zèle. Nous laVQns de source certaine
qu'elle a été ordonna gar le préfet,
M. Boëgner, sur les indïc&$â@as du
sous-préfet de Gien.M. Le Bourdon, qm,
nous l'avons dit, était préseiat à l'inter.
rogatoire. -'
Dans ces conditions, il était intéres-
sant de savoir ce que dirait le journal
de la préfecture, le Républicain or-
léannais, qui est en même temps le
seul organe républicain qui se publie à
Orléans.M. Girard a été arrêté le 26 juil-
let. Il a été relâché le 6 août, après
douze jours de détention pendant les-
quels deux témoins seulement, un de
ses cousins et l'instituteur de la com-
mune, ont été entendus. Pendant
tout ce temps le Républicain or-
léannais, qui chaque jour entre-
tient son public des plus menus faits,
« rapts de poulets » et « vols de
lapins », n'a pas soufflé mot de l'événe-
ment. Après l'article du XIXc Siècle, il
a encore pris deux jours pour se con-
certer avec la préfecture; puis enfin,
dans son numéro d'hier 12 août, il s'est
décidé à parler et voici en quels termes
il l'a fait :
Le 26 juillet, un cultivateur de Sully-sur-Loire,
M. Girard, dénoncé comme « anarchiste », recevait
la visite du commissaire spécial d'Orléans et de
deux gendarmes qui, après une perquisition, la-
quelle n'avait amené aucune découverte, le dirigè-
rent sur la prison de Gien. Après douze jours de
détention, on le relâcha sur une ordonnance de
non-lieu.
Dans son interrogatoire, le commissaire spécial
d'Orléans avait dit à M. Girard qu'il était accusé
d'avoir tenu des propos anarchiques relativement à
la mort de M. Carnot.
M. Girard avait démenti l'accusation d'anarchie,
mais il avait déclaré qu'il s'occupait beaucoup d'é-
lections, ainsi que son frère.
Le Républicain Orléanais dit ensuite
que le XIXe Siècle déplace les respon-
sabilités en mettant en cause le gouver-
nement, le sous-préfet de Gien et le dé-
puté de l'arrondissement. Alors qui donc
est responsable?
Puis le Républicain Orléanais ajoute :
Il paraît que que M. Girard a été victime de la
dénonciation d'une voisine.
Ainsi, le journal de la préfecture en
fait l'aveu : c'est sur la dénonciation pro-
bablement anonyme d'une voisine, qui
n'était corroborée par aucun semblant
de preuve, même par aucune présomp-
tion, que M. Girard a été arrêté et
maintenu douze jours en prison.
Mais cela même est un mensonge.
La préfecture, qui a communiqué au
Républicain orléanais la note qu'il a
publiée, sait très bien que M. Girard a été
dénoncé dans un but de vengeance poli-
tique par quelqu'un dont tout le monde,
dans l'arrondissement de Gien, cite le
nom, que tout le monde montre du doigt
parce que tout le monde le sait capable
de tous les mensonges et de toutes les
lâchetés.
En terminant, je répéterai, parce que
là est le nœud de toute l'affaire, que M.
Girard est un de ces électeurs campa-
gnards de sens parfaitement rassis mais
actifs et résolus, sans lesquels le parti
républicain ne l'aurait jamais emporté
dans le Loiret.
Et je me demande quelle figure fera
M. Viger, député du Loiret et membre
du cabinet Dupuy, le jour où on inter-
pellera le gouvernement dont il fait
partie sur le scandaleux emprisonne-
ment d'un de ceux auxquels il doit
toute sa fortune politique.
A.-Edouard Portalis.
LE BILAN DU MINISTÈRE
Nous disions il y a deux jours, à pro-
pos du procès des trente anarchistes, que
« si le portefeuille du ministre de la jus-
tice était entre les mains d'un anarchiste
déguisé qui chercherait à nuire au pres-
tige de la justice et à discréditer les lois
votées depuis deux ans contre l'anarchie,
on n'aurait pas procédé avec plus de mala-
dresse et de légèreté ».
L'acquittement général de tous les accu-
sés, sauf les cambrioleurs, vient de nous
donner raison.
En somme, avec la prétention qu'ils
affichent de vouloir restaurer en France le
principe d'autorité, à quoi ont abouti jus-
qu'ici les autoritaires de carton qui nous
gouvernent?
A n'avoir pas su préserver le président
Carnot contre l'attentat anarchiste de Ca-
serio et à avoir ménagé aux anarchistes
le triomphe du retentissant acquittement
d'hier en cour d'assises.
Ajoutez à cela quelques perquisitions,
plus quelques arrestations arbitraires opé-
rées à la suite de dénonciations calom-
nieuses contre d'honnêtes citoyens, et
vous aurez le bilan à l'heure actuelle du
cabinet Dupuy.
M. Casimir-Perier commence-t-il à com-
prendre la lourde faute qu'il a commise
en le conservant ?
A.-E. P.
LA MORALE DES RALLIÉS
Le Patriote orléanais, journal réaction-
naire et clérical qui est une succursale de
l'Indépendant de Gien, prétend qu'il dénie à
M. Portalis, qui fut candidat dans l'arrondis-
sement de Gien en 1889, le droit de se plain-
dre de l'arrestation arbitraire de M. Girard,
parce jque, à cette époque, des agents du can-
didat conservateur, alors M. Loreau, ont été
condamnés pour corruption électorale et pres-
sion sur les ouvriers.
Ce qui revient à dire qu'on n'aurait pas le
droit de poursuivre et de punir les conserva-
teurs quand ils achètent et extorquent des
suffrages, tandis qu'on aurait le droit d'em-
prisonner arbitrairement tout républicain qui
sé ettrait seulement d'exprimer son opi-
nion.
Jolie moraléï - ., - n®?
Acpttemt GÓnÓraI
LE PROCÈS DES TRENTE
La progression décroissante. — Les cam-
brioleurs seuls sont condamnés.
- Le pistolet de paille de
Bertani
La progression décroissante suivie par le
procès qui se terminait enfin hier devant la
cour d'assises est absolument frappante.
La police avait procédé à trois cents arres-
tations ; après une instruction qui a duré six
mois, la justice a retenu trente accusés ; le
jury, appréciateur souverain, jugeant la pour-
suite, a infligé trois condamnations, dont
deux atteignent un cambrioleur avéré et son
complice, la troisième étant prononcée pour
port d'une arme prohibée figurée par un pis-
tolet de paille.
Mais ce qui est à mettre en lumière dans ce
verdict, c'est que le jury, pour tous les accu-
sés indistinctement, a rejeté l'accusation d'af-
filiation à une association de malfaiteurs, au-
cune preuve de cette association ne lui ayant
été apportée.
Ce n'est pas, nous en sommes convaincus,
que les jurés approuvent le moins du monde
les théories, les doctrines de ces hommes ame-
nés devant lui ; ce n'est pas que le danger de
ces théories et doctrines pour la société qu'ils
incarnent ne leur apparaisse pas. Mais là n'a
pas été pour eux la question. On demandait à
ces jures de condamner des accusés aux
plus dures peines en vertu d'une loi qui ne
pouvait pas, sans injustice, leur être appli-
quée. Les jurés ont fait aux magistrats la
réponse qui leur avait été inspirée par l'un
des défenseurs : te Votre justice réclame de
nous une injustice. Nous n'y souscrivons pas.
Si vos lois sont insuffisantes ou mal faites,
élaborez-en de nouvelles,cela ne nous regarde
pas. »
Ce serait interpréter faussement la décision
du jury de dire que celui-ci a voulu pactiser
avec l'anarchie et l'encourager. Nous trou-
vons très noble cette réponse du jury à des
hommes qui ne cessent d'incriminer la justice
bourgeoise : « Vous qui nous avez voué une
haine mortelle, nous vous renvoyons in-
demnes, sans peur mais aussi sans reproche,
parce que c'est juste. »
Racontons maintenant cette assez courte
audience d'hier : ,
Après les plaidoieries des derniers défen-
seurs, Mes Gay, Blondeau, Félicien Paris et
Deshayes-Saint-Merri, l'avocat du Florentin
Bertani, le possesseur du revolver rouillé, les
débats étant alors clos, le président demande
aux accusés s'ils ont à ajouter quelque chose
pour la défense.
DERNIÈRES PAROLES
Très ému, Jean Grave se lève et, ni la
cour ni M. l'avocat général Bulot ne s'y op-
posant, il lit deux ou trois feuillets. Voici
cette courte déclaration :
Messieurs les jurés, pardonnez-moi la lecture de
ces vingt lignes. Je n'ai pas fatigué votre attention.
Je ne suis pas un orateur. J'igdore l'art de la pa-
role. Toute ma vie, j'ai étél'un silencieux; silen-
cieux je suis resté à cette aience. silencieux je
succomberais sous le poids dé l'injustice, si l'injus-
tice devait m'accabler.
Je me consolerai du malheur en songeant que
des hommes éminents, des cerveaux magnifiques,
les de Goncourt, les Mirbeau, les Manouvrier, les
Séverine m'ont accordé leur sympathie.
Je me consolerais en songeant que s'il est permis
à tous de dénier l'admiration à mes ouvrages, il n'est
permis àpersonne de refuser l'estime à mon caractère
eL à ma vie. Je suis ce que tous lea gens de cœur,
à quelque opinion qu'ils appartiennent, appellent
un honnête homme. La poignée de main que m'a
donnée mon défenseur me le prouve autant que sa
parole. Je le remercie, je remercie tous ceux qui,
dans le public et la presse, m'ont envoyé leur
salut.
Je résume, sans discuter, ce pénible débat. On
m'accuse d'être un malfaiteur : ma vie austère, mes
parents, mes amis et mes écrits me lavent de cette
injure. Je n'ai connu les tribunaux que pour la
défense de mes idées.
On m'accuse de m'être associé, affilié, d'avoir
songé à je ne sais quelle conspiration anarchiste.
Plus de vingt articles sortis de ma plume répon-
dent que si j'wii eu quelque influence, je l'ai em-
ployée à combattre toute idée d'association. Mon
dernier article, comme pour faire une réponse an-
ticipée au réquisitoire, répudiait, l'année dernière,
jusqu'à la simple idée d'entente.
L accusation juridique est donc ruinée.
L'accllation morale l'est aussi. On m'accuse
d'avoir fait une propagande écrite incitant à l'as-
sassinat, et les partisans de l'assassinat n'ont
cessé de me combattre, de me traiter de modéré,
de jésuite et de pion.
On m'accuse d'avoir provoqué l'idée du vol.
Et j'ai combattu le vol dans une série d'articles.
Mon communisme est celui de Proudhon qui
m'a inspiré mes doctrines. Il n'appartient pas à
l'histoire du crime, mais à celle de la pensée 1
Mon défenseur l'a éloquemment dit. Simplement
je lo répète et j'attends votre verdict avec pleine
érénité. - votre verdict avec pleine
M. Sébastien Faure, quand s'assoit Jean
Grave, demande à son tour à prononcer quel-
ques paroles. Il fait appel aux jurés, à leur
justice, à leur cœur. Le dernier discours de
M. Faure a été rempli d'effusion lyrique :
Vous êtes pères, messieurs les jurés ; vous et
flous aimons les enfants d'un même amour.
Nous travaillons à leur préparer un avenir de bien-
être et de félicité.
Tous vos efforts tendent à aplanir les diffi-
cultés de leur route ; tous les miens ont pour but
de faire cette route si belle, si spacieuse, si fleurie,
que ces êtres aimés la parcourront avec délices.
Vous voyez que si je suis l'associé de quelqu'un,
c'est de vous. (Légers signes d'étonnement.)
Donc, par des voies différentes, nous poursuivons
le même but. Etes-vous bien certains que venre
voie soit plus sûre, plus rapide et meilleure que
la mienne? Etes-vous bien certains que vous êtes
dans la vérité et que je suis dans l'erreur?
Songez-y, Messieurs, nous vivons au siècle de la
vapeur et de l'électricité. Grâce à l'imprimerie qui,
avec une rapidité merveilleuse, véhicule la pensée
aux quatre points cardinaux, grâce au développe-
ment de l'esprit humain et à la diffusion de 1 ins-
truction, telle évolution qui, jadis, eùt exigé des
siècles, s'opère de nos jours en quelques années.
L'injustice d'aujourd'hui peut être dénoncée de-
main. Quels remords et quelle honte vous vous
préparei iez si bientôt, si dans quelques années, ces
petits êtres chéris dont je viens de vous parler.
ayant grandi, ils apprenaient qu'un homme ayant
osé en 1894 prêcher l'amour de la liberté et propa-
ger l'idée du bonheur universel, cet homme a été
pour ce crime, condamné au "bagne et que vous
étiez au nombre de ses juges !
Ah ! si celui qui est mort sur cette croix à l'om-
bre de laquelle vous rendez aujourd'hui la justice ,
si celui-là pouvait parler, il vous dirait: « Hom-
Ynes, jetez les yeux sur moi et voyez le supplice
ignominieux auquel je fus condamné 1 Qu'avais-je
fait pourtant? J étais venu prêcher aux hommes le
relèvement et la dignité. J'étais venu leur dire qu'ils
sont tous fils du même père et qu'ils doivent s'ai-
mer comme des frères. J'étais venu ranimer leurs
courages en leur parlant de la cité céleste où tout
sera béatitude souveraine et sans fin 1 J'étais venu
pousser ce cri des siècles : diligite vos inviceml
» Mais les Pharisiens et les princes des prêtres ont
dénaturé mou apostolat, calomnié mes actes, tra-
vesti mon rôle. Hommes, n'écoutez pas les princes
des prêtres et les Pharisiens d'aujourd'hui et épar-
gnez-moi les douleurs et la honte de voir se renou-
veler devant moi l'infamie dont je fus victime 1 »
Messieurs, vous ne les écouterez pas 1
Vous rendrez un verdict de probité, d'indépen-
dance et de justice.
Les autres accusés, à l'exception de Bas
tard et de Paul Bernard, déclarent qu'ils n'ont
plus rien à dire.
Bastard, jusqu'à la dernière minute, obéit
à son naturel qui est plutôt gai :
— Si, dit-il, on cherche pour quelles raisons je
suis poursuivi, on n'en trouvera qu'une : je me
suis permis de faire des farces à la police. On me
faisait suivre et je m'étais arrangé pour filer les
agents. (Hilarité.)
Paul Bernard lit des passages de l'instruc-
tion des juges de Barcelone. Il en résulte qu'il
avait quitté cette ville avant les attentats
anarchistes qui y ont été commis.
— Mais, dit-il, je n'en ai pas moins été main-
tenu en prison, et c'est pendant ce temps que j'au-
rais participé en France à une association de mal-
faiteurs.
Vous voulez me supprimer, M. l'avocat gé-
néral, en me renvoyant au bagne. Eh bien, si un
jour la révolution triomphante, ce qui n'est pas
impossible, nous remet en face, je me contenterai
de vous désarmer en vous enlevant l'arme dont
vous usez contre les déshérités I
*
DE JURY DÉLIBÈRE f. ~ttitt-
Il est deux heures. Lecture des questions,
au nombre de soixante, est faite par le prési-
dent. Les vingt-cinq premières questions, por-
tant sur le chef d'accusation d'affiliation à
une association de malfaiteurs, intéressent les
vingt-cinq accusés présents. Les autres ques-
tions ont trait aux vols qualifiés mêlés un peu
machiavéliquement à l'affaire.
Des questions spéciales sont posées relati-
vement au fait de détention d'engins explo-
sifs sans motif légitime qui concerne Fénéon
seul.
Exactement à deux heures vingt minutes,
le jury rentre en séance.
Pendant qu'on attend la cour, le bruit se
répand que le verdict du jury est négatif, et
de bouche en bouche va, à travers la salle, le
mot ; Acquittés !
C'était vrai. Le chef du jury, se levant, dé-
clare que la réponse aux vingt-cinq premiè-
res questions est : Non. Ce verdict s'appli-
que également à Paul Reclus et aux anar-
chistes en fuite.
Le jury n'a retenu que les crimes de vol
qualifié, refusant les circonstances atténuan-
tes à Ortiz et à Chericotti.
Bertani qui, quand il fut arrêté, a été
trouvé nanti d'un revolver, d'ailleurs disio-
qué, se trouve, pour ce fait, reconnu coupable
du délit de port d'arme prohibée.
La cour condamne Ortis, devenant blême
à l'audition de cette sentence, à quinze ans
de travaux forcés; Chericotti à huit ans de
la même peine.
Pour simple délit, Bertani est condamné à
six mois de prison, maximum de la peine ;
mais la détention préventive étant imputable
sur celle-ci, Bertani a « payé d'avance ».
Les acquittés, qui se montraient fort joyeux,
ont remercié leurs défenseure-, et sans mani-
festation, sans cris, ils ont quitté la salle. A
ce point, ils ne nous appartiennent plus.
Me Gervasy.
LA SORTIE DES ACCUSÉS
APRÈS LE VERDICT
Ceux qui restent. — Ceux qui s'en vont.
- Mesures d'ordre. — Interviews
express
M. Fabre, directeur de la Conciergerie, a
fait réintégrer acquittés et condamnés dans
leurs cellules respectives. La question delà mise
en liberté immédiate, comme l'exige la loi,
était assez difficile à résoudre.
Le greffe des prisons ne fonctionne pas le
dimanche, et le projet de garder les absous
jusqu'au lendemain a été mis un instant en
avant comme étant le plus pratique. Mais les
avocats, Mes Demange, Desplas et de Saint-
Auban particulièrement, n'ont pas entendu
de cette oreille-là; ils ont fait des démarches et,
finalement, M. Bulot, M. Bulot lui-même, de
ses blanches mains, a consenti à signer l'or-
dre d'élargissement de ses vainqueurs.
Quatre cependant restent détenus : Grave
qui ira purger à Clairveaux les deux années
d'emprisonnement que lui a values sa Société
mourante ; Bernard, condamné en province à
18 mois de prison pour un discours subver-
sif ; Matha condamné à 18 mois de la même
peine comme gérant de la Révolte, et Agnelli,
qui étant expulsé, sera déposé dans quelques
jours à la frontière italienne.
Les démarches des avocats prenaient du
temps et au dehors, le long du quai de l'Hor-
lorge, des journalistes, des amis des acquittés
et des curieux, ces derniers attirés par les
premiers, se mettent vers quatre heures à s'a-
masser en un groupe assez considérable.
On peut remarquer là l'amie de M. Fénéon ;
sa mère radieuse, la pauvre femme ; le frère de
Sébastien Faure et son épouse que le com-
mandant Lunel avait expulsée une heure
auparavant du Palais de Justice tandis qu'elle
attendait des nouvelles du sort de son beau-
frère ; Mme Liégeois dont aucun roi n'est le
cousin aujourd'hui; le commandant Maré-
chal qui intervint,, on s'en souvient, en fa-
veur de Vaillant par une lettre écrite à M.
Carnot et qui fait les cent pas le long du quai,
désirant serrer la main à Fénéon.
AGENTS PÊCHEURS
Il y aussi un nombre considérable d'agents
en bourgeois ; mais ce qui est tout à fait gai,
c'est que M. Fédée, pour déguiser leurs fonc-
tions, les a tous transformés en pêcheurs à la
ligne. Une gaule en main, ils taquinent le
goujon, sans regarder à leur « plume » si ça
mord, la tête tournée vers la porte de la Con-
ciergerie.
Vers cinq heures, quand la foule a consi-
dérablement grossi, un service d'ordre est
organisé, des gardiens de la paix déblayent le
quai,
personne leur donne, à la stupéfaction des
gens peu au courant de semblables super-
cheries, l'ordre de cesser leur pêche.
— Allons, rengaînez-moi tout ça 1 crie-t-il.
Et tous les pêcheurs déposent leur gaule le
long du parapet et se joignent aux gardiens
de la paix pour taquiner le public mainte-
nant.
Nous avons eu la curiosité de regarder une
de ces gaules : elle était marquée, comme l'est
tout le matériel de la préfecture de police,
P. P. M. Fédée emploie assez volontiers le
truc du pêcheur à la ligne.
En 1888, un boulangiste habitant Saint-
Denis était.surveillé par deux pêcheurs qui,
des journées entières, prenaient des fritures
devant sa demeure, située au bord de la
Seine.
Mais le temps passe et les acquittés ne
sortent toujours pas.
En prison maintenant on les a fait tous
descendre au greffe pour lever l'écrou.
Ortiz s'y trouve même ; on lui a permis d'y
venir faire les adieux à sa maîtresse, Mlle
Gazai, qui est très chagrine, tandis que le
condamné reste fort calme et la console de
son mieux. *
Comme il y a beaucoup de monde aux
abords de la porte principale de la Concier-
gerie et que des incidents sont à craindre, il
est décidé que les libérés s'en iront un à un
par le 36 du quai des Orfèvres.
SÉBASTIEN FAURE
C'est Sébastien Faure qui s'en va le pre-
mier. On lui ouvre la petite porte de la pri-
son donnant sur la cour du Dépôt ; il la tra-
verse, tourne autour du bureau des objets
perdus et se trouve en plein air, vêtu de noir,
en redingote, coiffé d'un chapeau haute
forme il marche à. grands pas, sans être
aperçu, jusqu'au pont au Change.
Là il retrouve son frère et sa belle-sœur
qu'il embrasse; du monde se rassemble, on le
désigne, il y a une petite bousculade pour
voir, mais aucun incident ne se produit, et
nous voyons le commis-voyageur de l'anar-
chie s'en aller tranquillement, deux bons
inspecteurs des recherches derrière lui.
Rapidement, M. Faure a bien voulu nous
révéler ses projets d'avenir :
« Je désire le silence autour de moi, nous
a-t-il dit. Je vais faire aussi tranquillement
que possible mes études de droit et m'abste-
nirde toute propagande individuelle ou col-
lective. Les etudes auxquelles je vais me li-
vrer doivent se faire dans le calme d'ailleurs
et en dehors de toute autre préoccupation.
Eussè-je été condamné à vingt ans de tra-
vaux forcés que j'aurais dit que c'était l'in-
juste triomphe du fort sur le faible ; acquitté,
je n'en reste pas moins anarchiste. Je ces-
serai de l'être le jour où l'on me prouvera
que je me trompe. » .,¡.
M. Faure est allé habiter 9 bis, rue d'Al-
bouy, chez son frère.
Le soir il a fait une promenade dans Paris.
LES AUTRES
Puis sort Liégeois, que sa femme attend un
peu plus loin. C'est entre eux une embrassade,
très bourgeoise peut-être, mais que six mois
de prévention subis par lui et six mois de
privations subis par elle rend terriblement
affectueuse. Ils repartent un instant plus tard
en voiture, les mains dans les mains, les yeux
dans les yeux, rêvant sans doute à une asso-
ciation qui ne sera pas précisément de mal-
faiteurs.
Voilà Malmaret, un balluchon sous le bras,
une pipe en terre aux lèvres, pipe très culot-
tée. Malmaret est pâle, hargneux.
— Vous voilà content d'être libre lui di-
sons-nous.
— Content, moi 1 Ah pas du tout, ne croyez
pas cela. Il n'aurait plus manqué qu'on me
condamne 1 Mon acquittement m'est dû et me
voilà sur le pavé, mon nom dans tous les
journaux, ma binette reproduite partout, sans
travail. Qui réparera tout cela ?
Et il s'en va grommelant, quand paraît
Raoul Chambon, fumeur de pipe aussi, ayant
aux lèvres un brûlot achete en prison, orné
des mots : Souvenir de Mas as.
Ils causent tous deux, attendant Bastard et
Tramcourt, quand sort Ledot, un rédacteur
de; la Révolte, minable, affaibli, mais quia
un beau redressement en apercevant la rue.
Il se découvre, salue véritablement le grand
air, la liberté dont il aspire une forte bouffée.
Sa joie n'est pas déguisée à celui-là. Elle pé-
tille dans ses yeux de vieux gamin de Paris
frondeur qui est heureux d'avoir « passé à
travers », de ne rien avoir écoppé. Il jette un
bonjour à la ronde et s'en va en se dandinant.
Paraît Bastard, dont le nom traîne depuis
si longtemps dans tous les récits d'assauts
tentés contre l'anarchie — Bastard, de Saint-
Denis, l'éternel arrêté. Il est gai, blagueur.
— Ah 1 vous voilà, vous autres, crie-t-il ; qui
me donne une cigarette toute faite ?
— Ouf t continue-t-il, c'est fini jusqu'à la
prochaine fois. Mais, zut 1 je ne suis plus anar-
chiste, je vais faire mettre sur mes cartes de
visites Bastard, ex-anarchiste, comme ça, on
ne m'embêtera plus l
Et comme ses amis lui proposent une rasade
chez le marchand de vins du coin de la rue
du Harlay.
— Ah ! non dit-il ; si on nous voyait en-
semble, ça aurait l'air d'une association de
malfaiteurs. -,
Mais il finit par accepter et le trio va s'as-
seoir à la terrasse. M. Tramcourt arrive peu
à près. -
Cet ouvrier mécanicien est un homme poli,
doux, saluant gentiment toutes les personnes
qui sont postées à la porte par laquelle il
sort. Il est vraiment navré.
— Sept mois de prévention, monsieur,,nous
dit-il, parce qu'on m'a écrit une lettre que je
n'ai pas reçuel J'ai une femme, deux enfants,
dont l'aîné a vingt-cinq mois; l'autre est né
pendant que j'étais en prison et je ne l'ai pas
encore vu. Comment ont-ils fait pour vivre,
les miens ? Je n'en sais rien. C'est affreux !
Et il s'en va avec' un gros soupir.
Les quatre hommes sont restés chez le mar-
chand de vin longtemps ; puis Bastard est
parti pour Saint-Denis et Tramcourt pour Ar-
genteuil.
FÉNÉON
Tout à coup parait Fénéon. Au loin dans le
couloir on aperçoit sa curieuse silhouette.
Il marche posément, sans hâte, et dans la rue
il serre automatiquement la main de Me Dé-
mange et de quelques personnes dont il se ré-
mémore la physionomie avant de leur par-
ler. Il est très maître dé lui. Cependant, de-
vant une sorte de petite manifestation sym-
pathique et surtout spontanée que lui font
quelques journalistes qui sont heureux, au
fond, de voir cet homme de grand talent dé-
barrassé des brutalités de la prison, il se dé-
ride et crie deux ou trois fois d'une voix so-
nore : « Merci, merci, messieurs 1 »
Puis il monte en voiture avec Me Nathanson,
secrétaire de Me Demange, chez lequel il va
dîner. Il rentrera chez lui cette nuit.
M. Fénéon a été assez curieux à observer
hier. Calme, froid durant toute l'audience,
pendant la délibération du jury il est égale-
ment resté impénétrable, ne se mêlant pas
aux conversations de ses co-inculpés, dédai-
gnant leurs pronostics.
Rentré dans la salle d'audience, il n'a
même pas cherché de l'œil son avocat qui au-
rait pu lui donner la bonne nouvelle. Ce sont
les journalistes, de leur banc, qui lui ont an-
noncé son acquittement. Il a rougi un peu en
l'apprenant, ses lèvres ont été prises d un pe-
tit tremblement, puis il a repris son sang-
froid.
Avant-hier, M. Fénéon aeu un joli mot que
nous pouvons livrer maintenant.
Quand M. Bulot est allé se laver les mains
après le billet parfumé qu'il venait de rece-
voir, M. Fénéon a murmuré à mi-voix :
— Depuis Ponce-Pilate, je n'ai jamais vu
quelqu'un se laver les mains avec autant
d'emphase!.
Encore un détail curieux : M. Fénéon n'a
été acquitté que par 6 voix contre 6. Il a donc
profité de la disposition légale qui fait béné-
cier un accusé d'un verdict d'acquittement
en cas de parité dans le vote du jury.
La délibération à son endroit a duré près de
trois quarts d'heure.
Un peu après M. Fénéon est sorti Brunet,
puis enfin Chatel.
CHATEL AU QUARTIER
M. Fabre, directeur de la Conciergerie, a
accompagné Chatel jusqu'au quai et lui a
même donné l'excellent conseil ae m
ner dans les rues et de s'en retourner chez lui.
Chatel a les allures d'un étudiant de l'époque
de Gavarni : tube à bords plats, cheveux
longs, le veston serré à la taille, les jambes
maigres emprisonnées dans un pantalon tire-
bouchonnant. Il a une grosse canne à la
main et sous le bras un énorme paquet de
livres. Heureux aussi, lui, et gai. Tout de
suite il se dirige vers le Quartier. On l'attend
au café Vachette. En effet, à la terrasse, une
bande d'amis, parmi lesquels Me Demange,
lui souhaite la bienvenue.
— Une absinthe sucre 1 commande-t-il. Et
le voilà à raconter ses impressions.
Il n'est pas assis depuis deux minutes,
que passe par hasard M. Fédée suivi de trois
agents. Chatel a involontairement cru que la
liberté était déjà finie pour lui. Mais heureu-
sement M. Fédée a passé, regardant à peine
le jeune écrivain, gêné, un peu penaud
même.
M. Chatel racontait tristement qu'il était
sans domicile et qu'il passerait sa première
nuit rue de Seine, chez Mme Huot, la protee-
trice des lapins de laboratoire.
Chatel est le dernier sorti de la Concierge-
rie.
Les femmes acquittées ont été reeonduites
en voiture cellulaire à Saint-Lazare, où s'est
faite pour elles la levée d'écrou.
Bertani, lui, condamné à six mois deprison,
ne subira pas sa peine faite préventivement,
mais sera reconduit à la frontière italienne.
M. BULOT
M. Bulot a également donné son opinron.
— J'aime autant que le procès se soit ter-
miné ainsi, a-t-il dit. S'il en avait été autre-
ment, on aurait prétendu que c'était de ma
faute !
En vers, cette histoire-là a pour titre le
Renard et les raisins..
— Je m'en lave les mains, aurait pu ajou-
ter l'honorable avocat général. ,;
UN JURÉ
Nous avons pu rencontrer un des jurés dtt
jury de jugement. Voici en résumé son opi-
nion :
— On nous a fait promettre de juger sur
l'honneur. Eh bien I sur l'honneur, il était im-
possible de déclarer qu'il y avait une associa*
tion entre tous ces gens-là.
UN GARDE DES SCEAUX SAUVETEU3
(rat NOTM OMZSPONDÀNT PARTICULIER)
Stockholm, 12 août.
M. Hagerup, le ministre de la justice-nor-
végien, n'a pas encore créé de lois pour sau-
ver la société contre les abus de la presse ;
son ardeur d£ sauvetage se manifeste sur un.
terrain beaucoup plus modeste.
M. Hagerup est depuis quelques jours à
Stockholm, pour conférer avec les membres
du cabinet suédois. Hier, il faisait sur la place
Charles-XII une promenade avec le ministre
suédois, M. Gram, lorsqu'une jeune fille ll6
précipita dans le fleqve au Norr.
Le garde des sceaux, sana hésiter un mo<
ment, se lança à l'eau ; il réunit à sauver là
désespérée, qu'il ramena au bord.,
La foule applaudit vivement lé courageux
ministre de la justice. 1
LE DÉFICIT DE LA VILLE ÉTERNELLE
(Dg NOTRE CORRESPONDANT PARTICULIER)
Rome, 12 août.
Le conseil municipal de la ville de Rome a
réservé une surprise bien désagréable aux ha-
bitants de la Ville-Eternelle. Il vient de cons-
tater que le budget de cette année se soldera
par un déficit qui atteint presque le chiffre d.
deux millions de francs.
Une crise municipale est inévitable.
On dit même que la commune de Rome sena
forcée de se mettre en faillite.
UN CHARRETIER ET SON ATTELAGE
BRULES PAR L'ACIDE SULFURIQUE
Louis Leroy, charretier, conduisait, dans la
matinée d'hier, an haquet attelé de deux che-
vaux et chargé de tonneaux d'acide sulfurique'
qu'il allait livrer dans une fabrique du Val-ae-
Beauté, à Nogent-sur-Marne. Il s'engagea
dans la rue du Moulin, dont la pente est ex-
cessivement rapide, oubliant de serrer le frein
de sa voiture qui prit aussitôt une allure ver-
tigineuse et que son attelage fut impuissant à
retenir.
A l'angle de la rue du Val-de-Beauté, le
cheval de limon s'abattit, le haquet heurta
violemment contre la bordure du trottoir et
vint s'enfoncer,dans la clôture du chemin de
fer de l'Est où elle fit une énorme brèche.
La violence du choc fut telle, que les ton-
neaux furent projetés sur le sol et que l'un,
se brisant dans sa chute, inonda du liquid(
corrosif qu'il contenait le conducteur et set
deux chevaux.
Leroy, gravement brûlé à la figure et aux
mains, reçut les premiers soins dans une
pharmacie voisine du lieu de l'accident et fut
immédiatement transporté à son domicile;
son état inspire de vives inquiétudes.
Des personnes présentes dételèrent les che-
vaux avec des précautions inouïes pour na
point se brûler et conduisirent les deux mal.
heureuses bêtes au petit bras de la Marne.-
Le cheval de limon, qui avait été entière-
ment couvert d'acide sulfurique et dont le
corps ne présentait plus qu'une vaste plaie, a
succombé en entrant dans l'eau ; le second,
brûlé profondément sur plusieurs parties du
corps, a été abattu.
GUILLAUME EN ANGLETERRE
Londres, 12 août.
Les décorations de la ville d'Aldershot et
l'honneur de l'empereur Guillaume augmeDl
tent rapidement et promettent d'éclipser toutes
les manifestations qui ont encore eu lieu ici.
Les troupes qui prendront part à la revue
de lundi ont déjà pris leurs positions. Un
détachement du premier royal dragons, dont
l'empereur est le colonel honoraire, lui for-
mera escorte.
Le duc de Connaught et son état-major diri-
gent les derniers préparatifs pour une ma-
nœuvre de combat qui aura lieu mardi dans
Long-Valley.
L'empereur couchera au Royal Pavillon &
lunchera avec les officiers de l'artillerie
royale. Il dînera avec le duc de Connaught et
les officiers des Ecossais gris au Govern
ment-House. L'empereur d'Allemagne arrivera
lundi matin à 9 h. h. 35 et se rendra aussitôt
à la plaine de Laffan pour la revue qui aum
lieu à 10 heures.
Les chevaux de l'empereur Guillaume ont
été envoyés exprès des écuries royales.
L'empereur repartira mardi à 10 h. 45 da.
soir et se rendra à Gravesend à bord de eM
vaçfct.
i LÊ. 1 -lm ES "-r MARDI 14 AOUT 1894
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jourd'hui, des « abonnements de villégia-
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8 jours 50 centimes
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pelons tout spécialement l'attention sur
la magnifique bicyclette offerte en prime
par le XIXe Siècle.
Voir à la 3e page.
LA
Scandaleuse Arrestation
DE
SAI NT-AIGN AN-LE-J AI LLA RD
Un grand nombre de mes confrères,
répondant à l'appel que j'adressais l'au-
tre jour à la presse indépendante, ont
vivement protesté contre l'inqualifiable
arrestation qui cause encore dans tout
le département du Loiret une si pro-
fonde émotion. Parmi eux, je citerai en
première ligne M. Clemenceau qui,
dans un maître article de la Justice,
exprime cette opinion judicieuse que, si
après la dénonciation calomnieuse dont
il a été l'objet, on s'est contenté de per-
quisitionner chez M. Lenepveu, de Co-
lombe, c'est parce qu'il était réaction-
naire, tandis que si M. Girard, de Saint-
Aignan-le-Jaillard, a non seulement été
perquisitionné, mais arrêté et empri-
sonné, c'est peut-être parce qu'il était
connu pour ses opinions fermement ré-
publicaines.
Il faut dire aussi que les agents de
MM. Dupuy et Guérin n'oseraient sans
doute pas se permettre à Paris et dans
les environs ce qu'ils se permettent en
province, et ils s en permettraient bien
d'autres s'ils n'étaient retenus par la
peur' de cette presse dont on peut
dire tout le mal qu'on voudra, mais qui
est encore la seule sauvegarde des pe-
tits et des faibles contre l'arbitraire et
l'injustice des puissants du jour.
Je citerai aussi M. Tony Revillon qui
constate douloureusement, dans le Ra-
dicaLqti « après tant de luttes pour l'é-
galité et la liberté, nous nous retrou-
vons en face de l'arbitraire impérial, à
la merci d'une coterie d'hommes médio-
cres qui croient restaurer l'autorité en
arrêtant les citoyens sur la dénonciation
d'un voisin rancuneux. »
M. Henry Girard, dans la Franoe,
observe avec raison que s'il est bon de
pourchasser les criminels qui s'intitu-
lent propagandistes par le fait, c'est-à-
dire par la bombe et le poignard, il ne
serait pas mauvais de protéger un peu
les honnêtes gens contre les dénoncia-
tions calomnieuses et contre l'arbitraire
de la police.
Enfin, tandis que la plupart des jour-
naux d'opposition de droite ou de gau-
ehe, comme la Petite Ripublique, la
Libre Parole, VIntransigeant, la Ga-,
zette de France, s'élèvent avec une légi-
time vivacité contre l'arbitraire des pro-
cédés inaugurés par les arrestations de
MM. Lenepveu et Girard, d'autres jour-
naux qu'on ne saurait classer dans cette
catégorie, comme Paris, rappellent
aux agents de M. Dupuy qu' « ils ne de-
vraient pas se faire les complices des
calomniateurs et que la liberté indivi-
duelle ainsi que le respect du domicile
sont choses auxquelles il ne saurait être
indifférent de porter atteinte ». !
La vérité est que l'arrestation et
l'emprisonnement du fermier de l'hôpi-
tal de Sully-sur-Loire soulèvent une
question bien plus haute que toutes les
questions politiques. A l'époque où nous
sommes, personne en réalité n'est sûr du
lendemain. Aujourd'hui le pouvoir est
entre les mains de MM. Dupuy, Gué-
rin, Viger et d'autres ministres plus ou
moins inconnus, pris au hasard en de-
dans ou en dehors du Parlement. Qui
leur succédera? Et où irions-nous si,
avec la fréquence des crises ministé-
rielles et les surprises de la politique
parlementaire, la force collective de
la nation, la police, la gendarmerie,
la magistrature, pouvait être mise au
service d'inimitiés locales, de vengean-
ces personnelles, de haines politiques
et de rancunes électorales?
Cette arrestation de Girard a d'autant
plus de gravité qu'elle n'est pas le fait
d'un @@èis-ordre qui aurait voulu faire
du zèle. Nous laVQns de source certaine
qu'elle a été ordonna gar le préfet,
M. Boëgner, sur les indïc&$â@as du
sous-préfet de Gien.M. Le Bourdon, qm,
nous l'avons dit, était préseiat à l'inter.
rogatoire. -'
Dans ces conditions, il était intéres-
sant de savoir ce que dirait le journal
de la préfecture, le Républicain or-
léannais, qui est en même temps le
seul organe républicain qui se publie à
Orléans.M. Girard a été arrêté le 26 juil-
let. Il a été relâché le 6 août, après
douze jours de détention pendant les-
quels deux témoins seulement, un de
ses cousins et l'instituteur de la com-
mune, ont été entendus. Pendant
tout ce temps le Républicain or-
léannais, qui chaque jour entre-
tient son public des plus menus faits,
« rapts de poulets » et « vols de
lapins », n'a pas soufflé mot de l'événe-
ment. Après l'article du XIXc Siècle, il
a encore pris deux jours pour se con-
certer avec la préfecture; puis enfin,
dans son numéro d'hier 12 août, il s'est
décidé à parler et voici en quels termes
il l'a fait :
Le 26 juillet, un cultivateur de Sully-sur-Loire,
M. Girard, dénoncé comme « anarchiste », recevait
la visite du commissaire spécial d'Orléans et de
deux gendarmes qui, après une perquisition, la-
quelle n'avait amené aucune découverte, le dirigè-
rent sur la prison de Gien. Après douze jours de
détention, on le relâcha sur une ordonnance de
non-lieu.
Dans son interrogatoire, le commissaire spécial
d'Orléans avait dit à M. Girard qu'il était accusé
d'avoir tenu des propos anarchiques relativement à
la mort de M. Carnot.
M. Girard avait démenti l'accusation d'anarchie,
mais il avait déclaré qu'il s'occupait beaucoup d'é-
lections, ainsi que son frère.
Le Républicain Orléanais dit ensuite
que le XIXe Siècle déplace les respon-
sabilités en mettant en cause le gouver-
nement, le sous-préfet de Gien et le dé-
puté de l'arrondissement. Alors qui donc
est responsable?
Puis le Républicain Orléanais ajoute :
Il paraît que que M. Girard a été victime de la
dénonciation d'une voisine.
Ainsi, le journal de la préfecture en
fait l'aveu : c'est sur la dénonciation pro-
bablement anonyme d'une voisine, qui
n'était corroborée par aucun semblant
de preuve, même par aucune présomp-
tion, que M. Girard a été arrêté et
maintenu douze jours en prison.
Mais cela même est un mensonge.
La préfecture, qui a communiqué au
Républicain orléanais la note qu'il a
publiée, sait très bien que M. Girard a été
dénoncé dans un but de vengeance poli-
tique par quelqu'un dont tout le monde,
dans l'arrondissement de Gien, cite le
nom, que tout le monde montre du doigt
parce que tout le monde le sait capable
de tous les mensonges et de toutes les
lâchetés.
En terminant, je répéterai, parce que
là est le nœud de toute l'affaire, que M.
Girard est un de ces électeurs campa-
gnards de sens parfaitement rassis mais
actifs et résolus, sans lesquels le parti
républicain ne l'aurait jamais emporté
dans le Loiret.
Et je me demande quelle figure fera
M. Viger, député du Loiret et membre
du cabinet Dupuy, le jour où on inter-
pellera le gouvernement dont il fait
partie sur le scandaleux emprisonne-
ment d'un de ceux auxquels il doit
toute sa fortune politique.
A.-Edouard Portalis.
LE BILAN DU MINISTÈRE
Nous disions il y a deux jours, à pro-
pos du procès des trente anarchistes, que
« si le portefeuille du ministre de la jus-
tice était entre les mains d'un anarchiste
déguisé qui chercherait à nuire au pres-
tige de la justice et à discréditer les lois
votées depuis deux ans contre l'anarchie,
on n'aurait pas procédé avec plus de mala-
dresse et de légèreté ».
L'acquittement général de tous les accu-
sés, sauf les cambrioleurs, vient de nous
donner raison.
En somme, avec la prétention qu'ils
affichent de vouloir restaurer en France le
principe d'autorité, à quoi ont abouti jus-
qu'ici les autoritaires de carton qui nous
gouvernent?
A n'avoir pas su préserver le président
Carnot contre l'attentat anarchiste de Ca-
serio et à avoir ménagé aux anarchistes
le triomphe du retentissant acquittement
d'hier en cour d'assises.
Ajoutez à cela quelques perquisitions,
plus quelques arrestations arbitraires opé-
rées à la suite de dénonciations calom-
nieuses contre d'honnêtes citoyens, et
vous aurez le bilan à l'heure actuelle du
cabinet Dupuy.
M. Casimir-Perier commence-t-il à com-
prendre la lourde faute qu'il a commise
en le conservant ?
A.-E. P.
LA MORALE DES RALLIÉS
Le Patriote orléanais, journal réaction-
naire et clérical qui est une succursale de
l'Indépendant de Gien, prétend qu'il dénie à
M. Portalis, qui fut candidat dans l'arrondis-
sement de Gien en 1889, le droit de se plain-
dre de l'arrestation arbitraire de M. Girard,
parce jque, à cette époque, des agents du can-
didat conservateur, alors M. Loreau, ont été
condamnés pour corruption électorale et pres-
sion sur les ouvriers.
Ce qui revient à dire qu'on n'aurait pas le
droit de poursuivre et de punir les conserva-
teurs quand ils achètent et extorquent des
suffrages, tandis qu'on aurait le droit d'em-
prisonner arbitrairement tout républicain qui
sé ettrait seulement d'exprimer son opi-
nion.
Jolie moraléï - ., - n®?
Acpttemt GÓnÓraI
LE PROCÈS DES TRENTE
La progression décroissante. — Les cam-
brioleurs seuls sont condamnés.
- Le pistolet de paille de
Bertani
La progression décroissante suivie par le
procès qui se terminait enfin hier devant la
cour d'assises est absolument frappante.
La police avait procédé à trois cents arres-
tations ; après une instruction qui a duré six
mois, la justice a retenu trente accusés ; le
jury, appréciateur souverain, jugeant la pour-
suite, a infligé trois condamnations, dont
deux atteignent un cambrioleur avéré et son
complice, la troisième étant prononcée pour
port d'une arme prohibée figurée par un pis-
tolet de paille.
Mais ce qui est à mettre en lumière dans ce
verdict, c'est que le jury, pour tous les accu-
sés indistinctement, a rejeté l'accusation d'af-
filiation à une association de malfaiteurs, au-
cune preuve de cette association ne lui ayant
été apportée.
Ce n'est pas, nous en sommes convaincus,
que les jurés approuvent le moins du monde
les théories, les doctrines de ces hommes ame-
nés devant lui ; ce n'est pas que le danger de
ces théories et doctrines pour la société qu'ils
incarnent ne leur apparaisse pas. Mais là n'a
pas été pour eux la question. On demandait à
ces jures de condamner des accusés aux
plus dures peines en vertu d'une loi qui ne
pouvait pas, sans injustice, leur être appli-
quée. Les jurés ont fait aux magistrats la
réponse qui leur avait été inspirée par l'un
des défenseurs : te Votre justice réclame de
nous une injustice. Nous n'y souscrivons pas.
Si vos lois sont insuffisantes ou mal faites,
élaborez-en de nouvelles,cela ne nous regarde
pas. »
Ce serait interpréter faussement la décision
du jury de dire que celui-ci a voulu pactiser
avec l'anarchie et l'encourager. Nous trou-
vons très noble cette réponse du jury à des
hommes qui ne cessent d'incriminer la justice
bourgeoise : « Vous qui nous avez voué une
haine mortelle, nous vous renvoyons in-
demnes, sans peur mais aussi sans reproche,
parce que c'est juste. »
Racontons maintenant cette assez courte
audience d'hier : ,
Après les plaidoieries des derniers défen-
seurs, Mes Gay, Blondeau, Félicien Paris et
Deshayes-Saint-Merri, l'avocat du Florentin
Bertani, le possesseur du revolver rouillé, les
débats étant alors clos, le président demande
aux accusés s'ils ont à ajouter quelque chose
pour la défense.
DERNIÈRES PAROLES
Très ému, Jean Grave se lève et, ni la
cour ni M. l'avocat général Bulot ne s'y op-
posant, il lit deux ou trois feuillets. Voici
cette courte déclaration :
Messieurs les jurés, pardonnez-moi la lecture de
ces vingt lignes. Je n'ai pas fatigué votre attention.
Je ne suis pas un orateur. J'igdore l'art de la pa-
role. Toute ma vie, j'ai étél'un silencieux; silen-
cieux je suis resté à cette aience. silencieux je
succomberais sous le poids dé l'injustice, si l'injus-
tice devait m'accabler.
Je me consolerai du malheur en songeant que
des hommes éminents, des cerveaux magnifiques,
les de Goncourt, les Mirbeau, les Manouvrier, les
Séverine m'ont accordé leur sympathie.
Je me consolerais en songeant que s'il est permis
à tous de dénier l'admiration à mes ouvrages, il n'est
permis àpersonne de refuser l'estime à mon caractère
eL à ma vie. Je suis ce que tous lea gens de cœur,
à quelque opinion qu'ils appartiennent, appellent
un honnête homme. La poignée de main que m'a
donnée mon défenseur me le prouve autant que sa
parole. Je le remercie, je remercie tous ceux qui,
dans le public et la presse, m'ont envoyé leur
salut.
Je résume, sans discuter, ce pénible débat. On
m'accuse d'être un malfaiteur : ma vie austère, mes
parents, mes amis et mes écrits me lavent de cette
injure. Je n'ai connu les tribunaux que pour la
défense de mes idées.
On m'accuse de m'être associé, affilié, d'avoir
songé à je ne sais quelle conspiration anarchiste.
Plus de vingt articles sortis de ma plume répon-
dent que si j'wii eu quelque influence, je l'ai em-
ployée à combattre toute idée d'association. Mon
dernier article, comme pour faire une réponse an-
ticipée au réquisitoire, répudiait, l'année dernière,
jusqu'à la simple idée d'entente.
L accusation juridique est donc ruinée.
L'accllation morale l'est aussi. On m'accuse
d'avoir fait une propagande écrite incitant à l'as-
sassinat, et les partisans de l'assassinat n'ont
cessé de me combattre, de me traiter de modéré,
de jésuite et de pion.
On m'accuse d'avoir provoqué l'idée du vol.
Et j'ai combattu le vol dans une série d'articles.
Mon communisme est celui de Proudhon qui
m'a inspiré mes doctrines. Il n'appartient pas à
l'histoire du crime, mais à celle de la pensée 1
Mon défenseur l'a éloquemment dit. Simplement
je lo répète et j'attends votre verdict avec pleine
érénité. - votre verdict avec pleine
M. Sébastien Faure, quand s'assoit Jean
Grave, demande à son tour à prononcer quel-
ques paroles. Il fait appel aux jurés, à leur
justice, à leur cœur. Le dernier discours de
M. Faure a été rempli d'effusion lyrique :
Vous êtes pères, messieurs les jurés ; vous et
flous aimons les enfants d'un même amour.
Nous travaillons à leur préparer un avenir de bien-
être et de félicité.
Tous vos efforts tendent à aplanir les diffi-
cultés de leur route ; tous les miens ont pour but
de faire cette route si belle, si spacieuse, si fleurie,
que ces êtres aimés la parcourront avec délices.
Vous voyez que si je suis l'associé de quelqu'un,
c'est de vous. (Légers signes d'étonnement.)
Donc, par des voies différentes, nous poursuivons
le même but. Etes-vous bien certains que venre
voie soit plus sûre, plus rapide et meilleure que
la mienne? Etes-vous bien certains que vous êtes
dans la vérité et que je suis dans l'erreur?
Songez-y, Messieurs, nous vivons au siècle de la
vapeur et de l'électricité. Grâce à l'imprimerie qui,
avec une rapidité merveilleuse, véhicule la pensée
aux quatre points cardinaux, grâce au développe-
ment de l'esprit humain et à la diffusion de 1 ins-
truction, telle évolution qui, jadis, eùt exigé des
siècles, s'opère de nos jours en quelques années.
L'injustice d'aujourd'hui peut être dénoncée de-
main. Quels remords et quelle honte vous vous
préparei iez si bientôt, si dans quelques années, ces
petits êtres chéris dont je viens de vous parler.
ayant grandi, ils apprenaient qu'un homme ayant
osé en 1894 prêcher l'amour de la liberté et propa-
ger l'idée du bonheur universel, cet homme a été
pour ce crime, condamné au "bagne et que vous
étiez au nombre de ses juges !
Ah ! si celui qui est mort sur cette croix à l'om-
bre de laquelle vous rendez aujourd'hui la justice ,
si celui-là pouvait parler, il vous dirait: « Hom-
Ynes, jetez les yeux sur moi et voyez le supplice
ignominieux auquel je fus condamné 1 Qu'avais-je
fait pourtant? J étais venu prêcher aux hommes le
relèvement et la dignité. J'étais venu leur dire qu'ils
sont tous fils du même père et qu'ils doivent s'ai-
mer comme des frères. J'étais venu ranimer leurs
courages en leur parlant de la cité céleste où tout
sera béatitude souveraine et sans fin 1 J'étais venu
pousser ce cri des siècles : diligite vos inviceml
» Mais les Pharisiens et les princes des prêtres ont
dénaturé mou apostolat, calomnié mes actes, tra-
vesti mon rôle. Hommes, n'écoutez pas les princes
des prêtres et les Pharisiens d'aujourd'hui et épar-
gnez-moi les douleurs et la honte de voir se renou-
veler devant moi l'infamie dont je fus victime 1 »
Messieurs, vous ne les écouterez pas 1
Vous rendrez un verdict de probité, d'indépen-
dance et de justice.
Les autres accusés, à l'exception de Bas
tard et de Paul Bernard, déclarent qu'ils n'ont
plus rien à dire.
Bastard, jusqu'à la dernière minute, obéit
à son naturel qui est plutôt gai :
— Si, dit-il, on cherche pour quelles raisons je
suis poursuivi, on n'en trouvera qu'une : je me
suis permis de faire des farces à la police. On me
faisait suivre et je m'étais arrangé pour filer les
agents. (Hilarité.)
Paul Bernard lit des passages de l'instruc-
tion des juges de Barcelone. Il en résulte qu'il
avait quitté cette ville avant les attentats
anarchistes qui y ont été commis.
— Mais, dit-il, je n'en ai pas moins été main-
tenu en prison, et c'est pendant ce temps que j'au-
rais participé en France à une association de mal-
faiteurs.
Vous voulez me supprimer, M. l'avocat gé-
néral, en me renvoyant au bagne. Eh bien, si un
jour la révolution triomphante, ce qui n'est pas
impossible, nous remet en face, je me contenterai
de vous désarmer en vous enlevant l'arme dont
vous usez contre les déshérités I
*
DE JURY DÉLIBÈRE f. ~ttitt-
Il est deux heures. Lecture des questions,
au nombre de soixante, est faite par le prési-
dent. Les vingt-cinq premières questions, por-
tant sur le chef d'accusation d'affiliation à
une association de malfaiteurs, intéressent les
vingt-cinq accusés présents. Les autres ques-
tions ont trait aux vols qualifiés mêlés un peu
machiavéliquement à l'affaire.
Des questions spéciales sont posées relati-
vement au fait de détention d'engins explo-
sifs sans motif légitime qui concerne Fénéon
seul.
Exactement à deux heures vingt minutes,
le jury rentre en séance.
Pendant qu'on attend la cour, le bruit se
répand que le verdict du jury est négatif, et
de bouche en bouche va, à travers la salle, le
mot ; Acquittés !
C'était vrai. Le chef du jury, se levant, dé-
clare que la réponse aux vingt-cinq premiè-
res questions est : Non. Ce verdict s'appli-
que également à Paul Reclus et aux anar-
chistes en fuite.
Le jury n'a retenu que les crimes de vol
qualifié, refusant les circonstances atténuan-
tes à Ortiz et à Chericotti.
Bertani qui, quand il fut arrêté, a été
trouvé nanti d'un revolver, d'ailleurs disio-
qué, se trouve, pour ce fait, reconnu coupable
du délit de port d'arme prohibée.
La cour condamne Ortis, devenant blême
à l'audition de cette sentence, à quinze ans
de travaux forcés; Chericotti à huit ans de
la même peine.
Pour simple délit, Bertani est condamné à
six mois de prison, maximum de la peine ;
mais la détention préventive étant imputable
sur celle-ci, Bertani a « payé d'avance ».
Les acquittés, qui se montraient fort joyeux,
ont remercié leurs défenseure-, et sans mani-
festation, sans cris, ils ont quitté la salle. A
ce point, ils ne nous appartiennent plus.
Me Gervasy.
LA SORTIE DES ACCUSÉS
APRÈS LE VERDICT
Ceux qui restent. — Ceux qui s'en vont.
- Mesures d'ordre. — Interviews
express
M. Fabre, directeur de la Conciergerie, a
fait réintégrer acquittés et condamnés dans
leurs cellules respectives. La question delà mise
en liberté immédiate, comme l'exige la loi,
était assez difficile à résoudre.
Le greffe des prisons ne fonctionne pas le
dimanche, et le projet de garder les absous
jusqu'au lendemain a été mis un instant en
avant comme étant le plus pratique. Mais les
avocats, Mes Demange, Desplas et de Saint-
Auban particulièrement, n'ont pas entendu
de cette oreille-là; ils ont fait des démarches et,
finalement, M. Bulot, M. Bulot lui-même, de
ses blanches mains, a consenti à signer l'or-
dre d'élargissement de ses vainqueurs.
Quatre cependant restent détenus : Grave
qui ira purger à Clairveaux les deux années
d'emprisonnement que lui a values sa Société
mourante ; Bernard, condamné en province à
18 mois de prison pour un discours subver-
sif ; Matha condamné à 18 mois de la même
peine comme gérant de la Révolte, et Agnelli,
qui étant expulsé, sera déposé dans quelques
jours à la frontière italienne.
Les démarches des avocats prenaient du
temps et au dehors, le long du quai de l'Hor-
lorge, des journalistes, des amis des acquittés
et des curieux, ces derniers attirés par les
premiers, se mettent vers quatre heures à s'a-
masser en un groupe assez considérable.
On peut remarquer là l'amie de M. Fénéon ;
sa mère radieuse, la pauvre femme ; le frère de
Sébastien Faure et son épouse que le com-
mandant Lunel avait expulsée une heure
auparavant du Palais de Justice tandis qu'elle
attendait des nouvelles du sort de son beau-
frère ; Mme Liégeois dont aucun roi n'est le
cousin aujourd'hui; le commandant Maré-
chal qui intervint,, on s'en souvient, en fa-
veur de Vaillant par une lettre écrite à M.
Carnot et qui fait les cent pas le long du quai,
désirant serrer la main à Fénéon.
AGENTS PÊCHEURS
Il y aussi un nombre considérable d'agents
en bourgeois ; mais ce qui est tout à fait gai,
c'est que M. Fédée, pour déguiser leurs fonc-
tions, les a tous transformés en pêcheurs à la
ligne. Une gaule en main, ils taquinent le
goujon, sans regarder à leur « plume » si ça
mord, la tête tournée vers la porte de la Con-
ciergerie.
Vers cinq heures, quand la foule a consi-
dérablement grossi, un service d'ordre est
organisé, des gardiens de la paix déblayent le
quai,
personne leur donne, à la stupéfaction des
gens peu au courant de semblables super-
cheries, l'ordre de cesser leur pêche.
— Allons, rengaînez-moi tout ça 1 crie-t-il.
Et tous les pêcheurs déposent leur gaule le
long du parapet et se joignent aux gardiens
de la paix pour taquiner le public mainte-
nant.
Nous avons eu la curiosité de regarder une
de ces gaules : elle était marquée, comme l'est
tout le matériel de la préfecture de police,
P. P. M. Fédée emploie assez volontiers le
truc du pêcheur à la ligne.
En 1888, un boulangiste habitant Saint-
Denis était.surveillé par deux pêcheurs qui,
des journées entières, prenaient des fritures
devant sa demeure, située au bord de la
Seine.
Mais le temps passe et les acquittés ne
sortent toujours pas.
En prison maintenant on les a fait tous
descendre au greffe pour lever l'écrou.
Ortiz s'y trouve même ; on lui a permis d'y
venir faire les adieux à sa maîtresse, Mlle
Gazai, qui est très chagrine, tandis que le
condamné reste fort calme et la console de
son mieux. *
Comme il y a beaucoup de monde aux
abords de la porte principale de la Concier-
gerie et que des incidents sont à craindre, il
est décidé que les libérés s'en iront un à un
par le 36 du quai des Orfèvres.
SÉBASTIEN FAURE
C'est Sébastien Faure qui s'en va le pre-
mier. On lui ouvre la petite porte de la pri-
son donnant sur la cour du Dépôt ; il la tra-
verse, tourne autour du bureau des objets
perdus et se trouve en plein air, vêtu de noir,
en redingote, coiffé d'un chapeau haute
forme il marche à. grands pas, sans être
aperçu, jusqu'au pont au Change.
Là il retrouve son frère et sa belle-sœur
qu'il embrasse; du monde se rassemble, on le
désigne, il y a une petite bousculade pour
voir, mais aucun incident ne se produit, et
nous voyons le commis-voyageur de l'anar-
chie s'en aller tranquillement, deux bons
inspecteurs des recherches derrière lui.
Rapidement, M. Faure a bien voulu nous
révéler ses projets d'avenir :
« Je désire le silence autour de moi, nous
a-t-il dit. Je vais faire aussi tranquillement
que possible mes études de droit et m'abste-
nirde toute propagande individuelle ou col-
lective. Les etudes auxquelles je vais me li-
vrer doivent se faire dans le calme d'ailleurs
et en dehors de toute autre préoccupation.
Eussè-je été condamné à vingt ans de tra-
vaux forcés que j'aurais dit que c'était l'in-
juste triomphe du fort sur le faible ; acquitté,
je n'en reste pas moins anarchiste. Je ces-
serai de l'être le jour où l'on me prouvera
que je me trompe. » .,¡.
M. Faure est allé habiter 9 bis, rue d'Al-
bouy, chez son frère.
Le soir il a fait une promenade dans Paris.
LES AUTRES
Puis sort Liégeois, que sa femme attend un
peu plus loin. C'est entre eux une embrassade,
très bourgeoise peut-être, mais que six mois
de prévention subis par lui et six mois de
privations subis par elle rend terriblement
affectueuse. Ils repartent un instant plus tard
en voiture, les mains dans les mains, les yeux
dans les yeux, rêvant sans doute à une asso-
ciation qui ne sera pas précisément de mal-
faiteurs.
Voilà Malmaret, un balluchon sous le bras,
une pipe en terre aux lèvres, pipe très culot-
tée. Malmaret est pâle, hargneux.
— Vous voilà content d'être libre lui di-
sons-nous.
— Content, moi 1 Ah pas du tout, ne croyez
pas cela. Il n'aurait plus manqué qu'on me
condamne 1 Mon acquittement m'est dû et me
voilà sur le pavé, mon nom dans tous les
journaux, ma binette reproduite partout, sans
travail. Qui réparera tout cela ?
Et il s'en va grommelant, quand paraît
Raoul Chambon, fumeur de pipe aussi, ayant
aux lèvres un brûlot achete en prison, orné
des mots : Souvenir de Mas as.
Ils causent tous deux, attendant Bastard et
Tramcourt, quand sort Ledot, un rédacteur
de; la Révolte, minable, affaibli, mais quia
un beau redressement en apercevant la rue.
Il se découvre, salue véritablement le grand
air, la liberté dont il aspire une forte bouffée.
Sa joie n'est pas déguisée à celui-là. Elle pé-
tille dans ses yeux de vieux gamin de Paris
frondeur qui est heureux d'avoir « passé à
travers », de ne rien avoir écoppé. Il jette un
bonjour à la ronde et s'en va en se dandinant.
Paraît Bastard, dont le nom traîne depuis
si longtemps dans tous les récits d'assauts
tentés contre l'anarchie — Bastard, de Saint-
Denis, l'éternel arrêté. Il est gai, blagueur.
— Ah 1 vous voilà, vous autres, crie-t-il ; qui
me donne une cigarette toute faite ?
— Ouf t continue-t-il, c'est fini jusqu'à la
prochaine fois. Mais, zut 1 je ne suis plus anar-
chiste, je vais faire mettre sur mes cartes de
visites Bastard, ex-anarchiste, comme ça, on
ne m'embêtera plus l
Et comme ses amis lui proposent une rasade
chez le marchand de vins du coin de la rue
du Harlay.
— Ah ! non dit-il ; si on nous voyait en-
semble, ça aurait l'air d'une association de
malfaiteurs. -,
Mais il finit par accepter et le trio va s'as-
seoir à la terrasse. M. Tramcourt arrive peu
à près. -
Cet ouvrier mécanicien est un homme poli,
doux, saluant gentiment toutes les personnes
qui sont postées à la porte par laquelle il
sort. Il est vraiment navré.
— Sept mois de prévention, monsieur,,nous
dit-il, parce qu'on m'a écrit une lettre que je
n'ai pas reçuel J'ai une femme, deux enfants,
dont l'aîné a vingt-cinq mois; l'autre est né
pendant que j'étais en prison et je ne l'ai pas
encore vu. Comment ont-ils fait pour vivre,
les miens ? Je n'en sais rien. C'est affreux !
Et il s'en va avec' un gros soupir.
Les quatre hommes sont restés chez le mar-
chand de vin longtemps ; puis Bastard est
parti pour Saint-Denis et Tramcourt pour Ar-
genteuil.
FÉNÉON
Tout à coup parait Fénéon. Au loin dans le
couloir on aperçoit sa curieuse silhouette.
Il marche posément, sans hâte, et dans la rue
il serre automatiquement la main de Me Dé-
mange et de quelques personnes dont il se ré-
mémore la physionomie avant de leur par-
ler. Il est très maître dé lui. Cependant, de-
vant une sorte de petite manifestation sym-
pathique et surtout spontanée que lui font
quelques journalistes qui sont heureux, au
fond, de voir cet homme de grand talent dé-
barrassé des brutalités de la prison, il se dé-
ride et crie deux ou trois fois d'une voix so-
nore : « Merci, merci, messieurs 1 »
Puis il monte en voiture avec Me Nathanson,
secrétaire de Me Demange, chez lequel il va
dîner. Il rentrera chez lui cette nuit.
M. Fénéon a été assez curieux à observer
hier. Calme, froid durant toute l'audience,
pendant la délibération du jury il est égale-
ment resté impénétrable, ne se mêlant pas
aux conversations de ses co-inculpés, dédai-
gnant leurs pronostics.
Rentré dans la salle d'audience, il n'a
même pas cherché de l'œil son avocat qui au-
rait pu lui donner la bonne nouvelle. Ce sont
les journalistes, de leur banc, qui lui ont an-
noncé son acquittement. Il a rougi un peu en
l'apprenant, ses lèvres ont été prises d un pe-
tit tremblement, puis il a repris son sang-
froid.
Avant-hier, M. Fénéon aeu un joli mot que
nous pouvons livrer maintenant.
Quand M. Bulot est allé se laver les mains
après le billet parfumé qu'il venait de rece-
voir, M. Fénéon a murmuré à mi-voix :
— Depuis Ponce-Pilate, je n'ai jamais vu
quelqu'un se laver les mains avec autant
d'emphase!.
Encore un détail curieux : M. Fénéon n'a
été acquitté que par 6 voix contre 6. Il a donc
profité de la disposition légale qui fait béné-
cier un accusé d'un verdict d'acquittement
en cas de parité dans le vote du jury.
La délibération à son endroit a duré près de
trois quarts d'heure.
Un peu après M. Fénéon est sorti Brunet,
puis enfin Chatel.
CHATEL AU QUARTIER
M. Fabre, directeur de la Conciergerie, a
accompagné Chatel jusqu'au quai et lui a
même donné l'excellent conseil ae m
ner dans les rues et de s'en retourner chez lui.
Chatel a les allures d'un étudiant de l'époque
de Gavarni : tube à bords plats, cheveux
longs, le veston serré à la taille, les jambes
maigres emprisonnées dans un pantalon tire-
bouchonnant. Il a une grosse canne à la
main et sous le bras un énorme paquet de
livres. Heureux aussi, lui, et gai. Tout de
suite il se dirige vers le Quartier. On l'attend
au café Vachette. En effet, à la terrasse, une
bande d'amis, parmi lesquels Me Demange,
lui souhaite la bienvenue.
— Une absinthe sucre 1 commande-t-il. Et
le voilà à raconter ses impressions.
Il n'est pas assis depuis deux minutes,
que passe par hasard M. Fédée suivi de trois
agents. Chatel a involontairement cru que la
liberté était déjà finie pour lui. Mais heureu-
sement M. Fédée a passé, regardant à peine
le jeune écrivain, gêné, un peu penaud
même.
M. Chatel racontait tristement qu'il était
sans domicile et qu'il passerait sa première
nuit rue de Seine, chez Mme Huot, la protee-
trice des lapins de laboratoire.
Chatel est le dernier sorti de la Concierge-
rie.
Les femmes acquittées ont été reeonduites
en voiture cellulaire à Saint-Lazare, où s'est
faite pour elles la levée d'écrou.
Bertani, lui, condamné à six mois deprison,
ne subira pas sa peine faite préventivement,
mais sera reconduit à la frontière italienne.
M. BULOT
M. Bulot a également donné son opinron.
— J'aime autant que le procès se soit ter-
miné ainsi, a-t-il dit. S'il en avait été autre-
ment, on aurait prétendu que c'était de ma
faute !
En vers, cette histoire-là a pour titre le
Renard et les raisins..
— Je m'en lave les mains, aurait pu ajou-
ter l'honorable avocat général. ,;
UN JURÉ
Nous avons pu rencontrer un des jurés dtt
jury de jugement. Voici en résumé son opi-
nion :
— On nous a fait promettre de juger sur
l'honneur. Eh bien I sur l'honneur, il était im-
possible de déclarer qu'il y avait une associa*
tion entre tous ces gens-là.
UN GARDE DES SCEAUX SAUVETEU3
(rat NOTM OMZSPONDÀNT PARTICULIER)
Stockholm, 12 août.
M. Hagerup, le ministre de la justice-nor-
végien, n'a pas encore créé de lois pour sau-
ver la société contre les abus de la presse ;
son ardeur d£ sauvetage se manifeste sur un.
terrain beaucoup plus modeste.
M. Hagerup est depuis quelques jours à
Stockholm, pour conférer avec les membres
du cabinet suédois. Hier, il faisait sur la place
Charles-XII une promenade avec le ministre
suédois, M. Gram, lorsqu'une jeune fille ll6
précipita dans le fleqve au Norr.
Le garde des sceaux, sana hésiter un mo<
ment, se lança à l'eau ; il réunit à sauver là
désespérée, qu'il ramena au bord.,
La foule applaudit vivement lé courageux
ministre de la justice. 1
LE DÉFICIT DE LA VILLE ÉTERNELLE
(Dg NOTRE CORRESPONDANT PARTICULIER)
Rome, 12 août.
Le conseil municipal de la ville de Rome a
réservé une surprise bien désagréable aux ha-
bitants de la Ville-Eternelle. Il vient de cons-
tater que le budget de cette année se soldera
par un déficit qui atteint presque le chiffre d.
deux millions de francs.
Une crise municipale est inévitable.
On dit même que la commune de Rome sena
forcée de se mettre en faillite.
UN CHARRETIER ET SON ATTELAGE
BRULES PAR L'ACIDE SULFURIQUE
Louis Leroy, charretier, conduisait, dans la
matinée d'hier, an haquet attelé de deux che-
vaux et chargé de tonneaux d'acide sulfurique'
qu'il allait livrer dans une fabrique du Val-ae-
Beauté, à Nogent-sur-Marne. Il s'engagea
dans la rue du Moulin, dont la pente est ex-
cessivement rapide, oubliant de serrer le frein
de sa voiture qui prit aussitôt une allure ver-
tigineuse et que son attelage fut impuissant à
retenir.
A l'angle de la rue du Val-de-Beauté, le
cheval de limon s'abattit, le haquet heurta
violemment contre la bordure du trottoir et
vint s'enfoncer,dans la clôture du chemin de
fer de l'Est où elle fit une énorme brèche.
La violence du choc fut telle, que les ton-
neaux furent projetés sur le sol et que l'un,
se brisant dans sa chute, inonda du liquid(
corrosif qu'il contenait le conducteur et set
deux chevaux.
Leroy, gravement brûlé à la figure et aux
mains, reçut les premiers soins dans une
pharmacie voisine du lieu de l'accident et fut
immédiatement transporté à son domicile;
son état inspire de vives inquiétudes.
Des personnes présentes dételèrent les che-
vaux avec des précautions inouïes pour na
point se brûler et conduisirent les deux mal.
heureuses bêtes au petit bras de la Marne.-
Le cheval de limon, qui avait été entière-
ment couvert d'acide sulfurique et dont le
corps ne présentait plus qu'une vaste plaie, a
succombé en entrant dans l'eau ; le second,
brûlé profondément sur plusieurs parties du
corps, a été abattu.
GUILLAUME EN ANGLETERRE
Londres, 12 août.
Les décorations de la ville d'Aldershot et
l'honneur de l'empereur Guillaume augmeDl
tent rapidement et promettent d'éclipser toutes
les manifestations qui ont encore eu lieu ici.
Les troupes qui prendront part à la revue
de lundi ont déjà pris leurs positions. Un
détachement du premier royal dragons, dont
l'empereur est le colonel honoraire, lui for-
mera escorte.
Le duc de Connaught et son état-major diri-
gent les derniers préparatifs pour une ma-
nœuvre de combat qui aura lieu mardi dans
Long-Valley.
L'empereur couchera au Royal Pavillon &
lunchera avec les officiers de l'artillerie
royale. Il dînera avec le duc de Connaught et
les officiers des Ecossais gris au Govern
ment-House. L'empereur d'Allemagne arrivera
lundi matin à 9 h. h. 35 et se rendra aussitôt
à la plaine de Laffan pour la revue qui aum
lieu à 10 heures.
Les chevaux de l'empereur Guillaume ont
été envoyés exprès des écuries royales.
L'empereur repartira mardi à 10 h. 45 da.
soir et se rendra à Gravesend à bord de eM
vaçfct.
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