Titre : Le XIXe siècle : journal quotidien politique et littéraire / directeur-rédacteur en chef : Gustave Chadeuil
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1894-08-08
Contributeur : Chadeuil, Gustave (1821-1896). Directeur de publication
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Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
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Description : 08 août 1894 08 août 1894
Description : 1894/08/08 (A24,N8241). 1894/08/08 (A24,N8241).
Droits : Consultable en ligne
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Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-199
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 24/04/2013
VINGT-QUATRIÈME ANNÉE. — N- 8,241 LE NUMÉRO CINQ CENTIMES MERCREDI 8 AOUT 1891
LE STOï-E
REDACTION ET IDIIIISTRITIM
142, Rue Montmartre
PARIS
DIRECTEUR POLITIQUE
A.-EDOUARD PORTALIS
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A l'occasion des vacances, nous ap-
pelons tout spécialement l'attention sur
la magnifique bicyclette offerte en prime
par le XIXe Siècle.
Voir à la 3e page.
SANS PUBLICITE
Pour la seconde fois, hier, la nouvelle
loi « ayant pour objet la répression des
menées anarchistes » a été appliquée. A
Lyon, M. le procureur général Fochier
avait requis l'interdiction de publier le
factum de Caserio, et pour que cette in-
terdiction ne soit pas transgressée, il va
falloir exercer une surveillance particu-
lière à la frontière. VIndépendance
belge, en effet, a reproduit ce document,
ce qui lui a valu, comme aux beaux jours
de l'Empire, d'être saisie à la frontière.
Mais si l'on saisit les ballots de jour-
naux, il est plus difficile de saisir le
numéro qu'un voyageur a dans sa poche,
dans lequel il a enveloppé un paquet,
ou le fragment du journal qu'on a mis
dans une lettre. Pour être sûr que ce
dangereux factum restera ignoré des
Français, va-t-on fouiller tous le monde à
la frontière, ouvrir toutes les lettres, dé-
faire tous les paquets et de plus interdire
aux citoyens de sortir de France de crainte
qu'une fois les frontières franchies, ils
ne s'abreuvent de ce dangereux poison ?
La seconde application de la loi a été
faite hier à la cour d'assises de la Seine,
devant laquelle comparaissait la « pre-
mière association de malfaiteurs » tra-
duite en justice en vertu de la loi de dé-
cembre 1893. Après la lecture de l'acte
d'accusation, M. l'avocat général Bulot
a requis l'interdiction de publier le
compte rendu des débats. La cour n'a
fait droit qu'en partie à cette réguisition
et elle a interdit seulement la reproduc-
tion de l'interrogatoire des deux pre-
miers accusés, Sébastien Faure et Jean
Grave.
Au dire de ceux qui assistaient à l'au-
dience, rien dans l'interrogatoire de ces
accusés ne justifiait l'interdiction. Nous
comprenons mal, pour notre part, com-
ment les magistrats de la cour ont pu
la requérir ou la prononcer préventive-
ment. Ici apparaît un des vices prati-
ques de la loi : ou l'on est obligé de pré-
juger qu'il sera peut-être dangereux de
laisser publier certaines parties de l'au-
dience et l'on interdit une publication
qui serait inoffensive, ou le ministère
public ne requiert l'interdiction qu'après
coup et alors cela devient illusoire, les
rédacteurs judiciaires ayant déjà envoyé
leur copie aux journaux.
Ce n'est pas la seule réflexion que l'in-
terdiction partielle prononcée hier pro-
voque. M. l'avocat général Bulot l'avait
requise pour toute l'affaire. Entre les
deux systèmes, nous n'hésitons pas à
penser que le moins mauvais des deux
était le sien. L'interdiction partielle place
deux des accusés dans une situation in-
justement défavorable. Ils comparaissent
devant la cour en compagnie de malfai-
teurs de droit commun, dont certains
ont déjà subi des condamnations. L'acte
d'accusation, qui est publié, énumère
les charges relevées contre eux; leur
interrogatoire leur permet de discuter
les allégations du parquet, d'expliquer
leur système de défense, de se dégager,
s'ils le peuvent, des solidarités que le
magistrat instructeur a voulu établir
entre eux et les cambrioleurs. C'est
cette partie du débat que l'on supprime;
on laisse l'accusation se produire au
grand jour et c'est la défense que l'on
tient secrète. Cela n'est pas équitable.
Il y a plus : cela va contre les inten-
tions de ceux qui ont voulu établir une
solidarité entre les auteurs de prédica-
tions anarchistes comme Jean Grave et
Sébastien Faure et les autres accusés,
qui abritent derrière l'anarchie les actes
de cambriolage et autres méfaits de
droit commun pour lesquels ils sont
poursuivis. Ceux-ci, veut-on soutenir,
n'ont fait que mettre en pratique les
théories de ceux-là, et si la doctrine
n'avait pas été formulée par les uns, les
autres ne l'auraient pas mise en pra-
tique. Soit t Nous acceptons cet enchaî-
nement de faits. Mais comment veut-on
que le public accepte cette théorie du
parquet, si tout le procès ne passe pas
devant ses yeux, si ce sont précisément
les parties où peut le mieux être saisie
cette solidarité qui sont supprimées?
Comment au contraire ne voit-on pas
qu'en supprimant les interrogatoires des
théoriciens, en rompant par conëéquent
le fil qui relie les doctrines à l'application,
on court le risque d'atténuer très sensi-
blement, aux yeux du public, la respon-
sabilité déjà fort discutable de Sébastien
Faure et de Jean Grave et qu'on rend
les prédications anarchiques moins
odieuses?
Si l'interdiction de publier des faç-
tums de propagande comme ceux d'E-
mile Henry ou de Caserio est inutile,
puisqu'elle ne peut aller jusqu'à la sup-
pression complète et que ce sont sur-
tout les anarchistes qui trouveront le
moyen de se les procurer, l'interdiction
telle que la cour d'assises de la Seine
l'a pratiquée hier est plus fâcheuse,
puisqu'elle altère la physionomie des
débats et que, dans une certaine me-
sure, elle dégage certains accusés, dans
l'esprit public, des responsabilités que
l'on veut faire peser sur eux.
Après ces expériences, nous persis-
tons à penser, comme avant le vote de
la loi, que le mieux serait encore de
laisser discuter ces affaires au grand
jour et que la publicité, sans avoir au-
cun des inconvénients qu'on lui a attri-
bués, garde cet avantage inestimable de
donner satisfaction à ce sentiment de
générosité qui est dans tous les cœurs
et qui veut que la défense de tout
accusé, quel qu'il soit, puisse se pro-
duire dans les mêmes conditions que
l'accusation. Elle permet aussi à chaque
citoyen d'apprécier les responsabilités,
et il ne nous paraît pas que celle des
théoriciens de l'anarchie ait beaucoup à
perdre au silence que l'on essaye de
faire autour d'elle.
LE PURITAIN DUPUY
On n'a pas oublié les fières paroles dont
M. Dupuy, président du conseil et ministre
de l'intérieur, cinglait, dans la séance du
21 juillet dernier, les députés de sa majorité
qui, à tort ou à raison, ont été accusés d'avoir
tiré profit de leur mandat. « Les hommes qui
sont au banc du gouvernerueni, disait-il, n'ac-
ceptent à aucun degré le reproche de certaines
solidarités dont il a été parlé si éloquemment.
Ils n'ont jamais rien eu de commun avec les
banques, avec les monopoles, avec les che-
mins de fer, avec les affaires, avec les entre-
prises où on s'enrichit.»
Noblesse oblige. De telles paroles mettaient
pour ainsi dire M. Dupuy dans la nécessité
de ne tirer aucun profit ni pour lui ni pour
les siens de son passage au pouvoir.
Aussi a-t-on été quelque peu surpris d'ap-
prendre qu'après avoir décoré son beau-frère
pour d'éminents services rendus dans la fa-
brication des pipes, il avait décoré son frère
et qu'il avait indemnisé un de ses anciens
agents électoraux, M. Marchessou, en le
nommant d'emblée préfet de la Nièvre.
A cette liste il faut ajouter la belle-sœur
de M.Dupuy, Mme Artaud, qui vient d'obtenir
un bureau de tabac.
Bien que M. Dupuy n'ait rien de commun
avec les affaires, le pouvoir n'est donc pas
pour lui, pour ses parents et ses anciens
agents électoraux une mauvaise affaire.
A L'AVEUGLETTE
Les Débats nous apprennent que le mouve-
ment dans l'administration pénitentiaire que
nous avons annoncé a été enrayé à la suite
d'une Visite de M. Lépine, préfet de police, à
M. Dupuy, ministre de l'intérieur.
M. Lépine a fait observer à M. Dupuy que,
dans une question aussi grave que celle d'un
changement dans la direction des prisons de
la Seine, la préfecture de police devait au
moins être consultée.
Sait-on ce qu'a répondu M. Dupuy?
M. Dupuy, — du moins les Debats l'affir-
ment — a répondu qu'il avait signé le décret
sans le lire.
N'est-ce pas admirable de la part d'un mi-
nistre chargé de maintenir l'ordre et de répri-
mer l'anarchie ?
MORT D'UN DÉPUTÉ
M, Legoux-Longpré, député républicain modéré
du Calvados, 2e circonscription de Caen, est mort
hier, après une longue maladie.
Il était président de la Société d'encouragement
du demi-sang.
MM. PRAL ET PATY
Valence, 6 août.
M. Pral, père du jeune homme capturé par des
brigands sardes, a reçu une dépêche annonçant que
M. Paty s'est abouché aujourd'hui avec des ban-
dits.
M, Pral donne pleins pouvoirs à M. Aurbacher,
banquier à Cagliari, pour payer la rançon de-
mandée. Il espère que M. Régis Pral sera mis en
liberté mercredi.
UNE CIBLE EXTRAORDINAIRE
Dans un rapport d'inspection, le général
Varaigne, commandant la division des Vos-
ges, signale un fait sans précédent dans les
exercices de tir militaire, qu'il a constaté ré-
cemment à Rambervillers.
Une compagnie du 17e bataillon de chas-
seurs, que le hasard seul a désignée, a placé
dans une cible, à distance moyenne, quatre-
vingt-treize balles sur cent.
Le général Varaigne a salué cette belle
prouesse d'une adresse spéciale de chaleureu-
ses félicitations au commandant et aux trou-
pes du bataillon d'élite.
L'AFFAIRE TALLEYRAND-WŒSTYN
Après quatre mois d'instruction, M. Dopffer vient
de rendre une ordonnance de non-lieu en faveur de
M. de Talleyrand-Périgord et Wœstyn, poursuivis,
on s'en souvient, par M. Max Lebaudy qui les lit
arrêter et détenir pendant un mois.
CHRONIQUE
On s'est plaint parfois que les sujets de
narration proposés aux élèves des écoles
de jeunes filles fussent un peu trop sévè-
res'!>Jmr des enfants qui, à leur âge, étaient
excusables de n'avoir pas encore des opi-
nions philosophiques très nettes sur tou-
tes sortes de questions. J'ai notamment le
souvenir d'une composition donnée à des
gamines de douze ans, dont le suj et était
le développement d'une pensée de Montes-
quieu. Les pauvres petites se durent dé-
battre (et c'était, pour quelques-unes,d'une
écriture encore mcertaine) avec ce texte
d'un principe de haute politique. On ima-
gine ce que furent ces devoirs, répondant
à des prétentions très exagérées sur la
précocité d'intelligence de ces gamines et,
pour dire le vrai, ridiculement choisis.
On a plus sagement, depuis les récla-
mations qui se sont produites et surtout
depuis les railleries qui vinrent à leur ap-
pui, abaissé le niveau de ces narrations.
Ce sont volontiers, ainsi qu'il convient,
d'honnêtes petits sujets qui n'exigent pas
pour être traités des concepts très pro-
tonds sur le train du monde.
La fin de l'année scolaire vient de voir
éclore un nombre considérable de ces
« copies» d'écolières. Il doit être amusant,
une fois par hasard, de jeter les yeux sur
ces élucubrations de fillettes, si j'en juge
par ce que raconte M. Moncapi, qui s'est
plu, avec quelque souriant attendrisse-
ment, à en lire quelques-unes.
Les garçons, eux, en général (je parle
des petits, naturellement) restent un peu
sèchement dans les limites du sujet, sont
le plus souvent terre-à-terre, restent assez
positifs, s'appliquent bravement, mais
lourdement. Les petites filles sont plus
fantaisistes, dans leur naïveté même, ont
d'étonnantes idées, font facilement du ro-
man. Oh ! ces imaginations de petites
filles 1 Cela est si drôle, parfois !
M. Moncapi a eu, notamment, entre les
mains une « composition de stylée qui
est délicieuse d'ingénuité, c'est quelque
chose comme le « devoir d'Agnès ». Ce qui
est piquant, c'est de suivre le travail qui
doit s'opérer dans une cervelle enfantine.
Dans la classe où se trouvait la fillette
dont il s'agit, on avait imposé ce sujet,
bien approprié, celui-là, à l'âge des con-
currentes : Les joies du marin à son re-
tour dans ses foyers.
Les élèves s'escrimèrent sur cette don-
née, mais sans beaucoup de sincérité, car
nombre d'entre elles n'avaient jamais vu
la mer. Elles s'attachèrent cependant, pour
la plupart, avec des bribes de souvenirs
de lectures, à dépeindre le contraste des
dangers du voyage et du calme du port re-
trouvé. C'était l'idée dominante. A la vé-
rité, le « marin » eût estimé modestes les
« joies » que ces petites lui réservaient
d'après leurs goûts personnels, car elles
les concevaient un peu fades. Mais vous
entendez bien qu'on ne leur demandait
pas non plus un tableau réaliste.
Le plus souvent, le marin était un très
bon fils qui, pendant toutes les épreuves
de la navigation, n'avait songé qu'à sa
vieille mère, attendant anxieusement qu'il
revînt. Il revenait, en effet, avec de fortes
économies, et il renonçait à la mer pour se
consacrer tout entier, désormais, à la
bonne femme. Très pratiques, ces petites
filles n'imaginaient guère que la mer pût
être, avec tous ses périls, une passion, et,
pleines d'illusions, elles transformaient
tout matelot ayant fait une longue tra-
versée en nabab. Il y en avait aussi qui,
déjà bien femmes en cela, glissaient rapi-
dement sur les satisfactions intimes du
voyageur retrouvant son foyer, pour dé-
crire celles des amies ou parentes a qui il
avait rapporté mille objets curieux ou pré-
cieux. Est-ce que ce n'était pas le prin-
cipal ? Est-ce que la coquetterie féminine
ne fait pas bon marché de toutes les fa-
tigues d'autrui, pour un caprice réalisé ?
Mais la petite Marguerite X. embrassa
plus largement le sujet, elle, et imagina,
avec une charmante ignorance de la vie,
toute une histoire compliquée. Cette his-
toire m'a paru impayable.
Elle avait bon cœur, la jeune Margue-
rite, et elle songeait à l'isolement de ceux
que laissent derrière eux les marins s'en
allant pour des années et des années. Sa
« narration » mettait très drôlement en
scène le couple formé par le lieutenant
Dorval t sa jeune femme.
Oh ! c'était avec un grand chagrin que,
chaque fois qu'il se réembarquait, Mme
Dorval voyait partir son mari. Elle allait
le conduire jusqu'au quai et, longtemps,
quand le navire quittait le port, elle agitait
son mouchoir. Mais, alors qu'il n'était plus
qu'un point dans l'espace, elle se sentait
bien malheureuse. Si encore elle eût eu un
enfant ! Il l'eût consolée, elle lui eût parlé
de l'absent. Mais non l Elle n'avait pas à
s'occuper du moindre bébé.
« C'était aussi un grand chagrin pour M.
» Dorval. Chaque jour, dans ses prières, il
» demandait à Dieu d'exaucer ses vœux,
» mais, hélas ! jamais Dieu ne l'avait écou-
» té, et le lieutenant en était vraiment dé-
» solé. »
Un jour, il eut à partir pour une campa-
gne qui devait durer cinq ans. On pense
si les deux époux étaient affligés et si, de
nouveau, ils se lamentaient' de l'obstina-
tion du ciel a rester sourd à leurs vœux.
Mais M. Dorval était un homme coura-
geux; il prit la mer, et tout se passa d'ail-
leurs à merveille pour lui.
Le moment vint enfin du retour. Sur le
pont de son navire, il guettait de loin sa
chère femme, qu'il aperçut heureusement,
à son poste d'observation, tout au bout de
la jetée. Passons sur les premières effu-
sions, mais voici le morceau délicieux :
« — Viens vite à la maison, dit Mme
» Dorval, j'ai une surprise pour toi. Il ne
» savait ce que c'était, et il suivit à sa
» femme qui marchait aussi vite qu'elle
» pouvait. Ils arrivèrent à la maison, et
» là, dans un berceau, sa femme lui mon-
» tra tout à coup ce qu'il avait toujours
» désiré si vivement : deux jolis bébés
» blonds et roses, l'un d'un an, l'autre de
» deux ans, qui lui souriaient en lui ten-
» dant leurs petits bras. A cette vue, M.
» Dorval crut devenir fou de joie. Enfin
» ses vœux avaient été exaucés. Il tomba
» à genoux pour remercier le Seigneur
» de l'avoir rendu père, et d'abondantes
» larmes de joie inondèrent son visage.»
Elle était très fière de sa composition, la
petite Marguerite, et elle ne comprenait
pas du tout pourquoi les éloges qu'on lui
donnait étaient mêlés de foux rires. Oh !
sainte simplicité et candide innocence t
Mettez-vous à la place des maîtres. Qu'eus-
siez-vous dit ? Le mieux n'était-il pas d'at-
tribuer bravement le premier prix à l'en-
fant? Je crois bien que c'est ce que l'on fit,
Voilà qui est, au moins, tout à l'hon-
neur de la moralité des écoles.
Paul Ginisty.
VIEUX DISCOURS
Les journaux cléricaux rappellent un dis-
cours prononcé en 1878 à une distribution de
prix du lycée Condorcet par M. Casimir-Perier,
alors sous-secrétaire d'Etat au ministère de
l'instruction publique dans le deuxième cabi-
net Dufaure, sous la présidence du maréchal
Mac-Mahon.
« Nous voulons, disait dans ce discours le
futur président de la République, donner à la
République des hommes qui aient le senti-
ment de leur personnalité, l'amour du devoir,
qui sachent respecter sans aduler, obéir sans
fléchir, qui aient la foi en Dieu et la foi en
leur pays. »
Les journaux cléricaux dont il s'agit posent
à ce propos la question ci-après: « Le prési-
dent de la République osera-t-il se souvenir
de ces paroles généreuses animées d'un véri-
table souffle chrétien, osera-t-il comme alors
invoquer le nom de Dieu, quand il lui faudra
parler en chef-de l'Etat ? »
LE MARIAGE
DE LA GRANDE-DUCHESSE XÉNIA
Saint-Pétersbourg, 6 août.
Aujourd'hui a eu lieu, au palais de Peter-
hof, la célébration du mariage de la grande-
duchesse Xénia avec le grand-duc Alexandre
Mpxaîlovitch.
Une assistance particulièrement brillante
— les cavaliers en grand uniforme et les da-
mes en costume russe — a formé, pour se ren-
dre à l'église du palais, un imposant cortège
dans lequel .on distinguait, outre l'empereur,
l'impératrice, les grallds-ducs et grandes-du-
chesses, plusieurs augustes personnages étran-
gers : la reine de Grèce, avec les princes Ni-
colas, André et la princesse Marie, ses en-
fants ; la princesse de Galles, avec les prin-
cesses Victoria et Maud, ses filles; le grand-
duc et la grande-duchesse de Mecklem-
bourg-Schwerin et le prince Christian de Da-
nemark.
C'est l'empereur lui-même qui a conduit les
augustes fiancés jusqu'à l'estrade établie au
centre de l'église et sur laquelle les cérémo-
nies du mariage ont été célébrées par le clergé
de la cour, ayant à sa tête Mgr Palladius, mé-
tropolite de Saint-Pétersbourg ; puis, pendant
que 101 coups de canon annonçaient à la po-
pulation l'accomplissement de l'heureux évé-
nement, les nouveaux époux ont présenté leurs
remerciements à l'empereur et à l'impératrice
et rcr i les félicitations du clergé. La grande-
duc! ; ; isse Xénia portait une couronne et la
traîne de son manteau de velours cramoisi
douh10 d'hermine était soutenue par quatre
chambellans et le maître de la cour du grand-
duc Alexandre Mikhaïlovitch.
A six heures, un grand banquet a réuni les
membres de la famille impériale, les dames
et les dignitaires des trois premières classes
et les princes étrangers. Pendant le repas, des
airs' ariés ont été exécutés par l'orchestre de
la cour, après quoi des salves de 51 et de 31
coups de canon ont accompagné les toasts aux
souverains et aux autres invités.
La fête s'est terminée par un concert vocal
et instrumental donné dans la salle Pierre-le-
Grand, et une féerique illumination du parc
de Peterhof avec brillant, feu d'artifice tiré
sur des bâtiments mouillés en rade devant le
parc, que remplissait une foule énorme. Puis
les nouveaux époux sont partis pour le châ-
teau de Ropscha, près de Krasnoïé-Sélo.
Ils reviendront le 9 août (nouveau style) à
Saint-Pétersbourg, pour y recevoir au Palais-
d'Hiver les félicitations d'usage et ils assiste-
ront le même jour à un spectacle de gala au
théâtre impérial de Péterhof. Ensuite ils se
rendront en Crimée.
Des Te Deum chantés aujourd'hui dans
toutes les églises ont appelé sur leur union la
bénédiction céleste.
On sait que la grande-duchesse Xénia est
la première des deux filles d'Alexandre III et
qu'elle est née le 25 mars (6 avril) 1875. Son
mari, le grand duc Alexandre Mikhaïlovitch
est le fils de l'oncle du tsar, le grand duc Mi-
chel Nicolaievitch ; il est né le 13 (1er avril) 1866
et est lieutenant dans la marine impériale.
LA MORT DE M. DUTREUIL DE RHINS
Le chargé d'affaires de Chine a adressé la
lettre suivante à M. Hanotaux, ministre des
affaires étrangères :
« Paris, le 6 août 1894.
» Par un télégramme en date du 3 de ce
mois, le Tsong-li-Yamen me charge de trans-
mettre à V. E. ses plus profonds regrets à l'oc-
casion de la mort de M. Dutreuil de Rhins,
qui vient de lui être annoncée télégraphique-
ment par le gouverneur général du Chensi et
du Kansou, dans les termes suivants :
J'apprends que M. Datreuil de Rhins, parti de
l'intérieur du Thibet, au mois de mars 1894, pour
se rendre à Ci-Ning par des sentiers écartés situés
dans les montagnes, était arrivé le 5 juin dernier
au milieu d'une tribu Thibetaine, dite des Chape-
rons-Rouges. Ayant perdu deux chevaux, il voulut
se servir de ceux qui appartenaient à cette
tribu.
Une rixe s'ensuivit et M. Dutreuil de Rhins fut
blessé par les gens de la tribu, qui l'attachèrent
avec des cordes et le jetèrent dans une rivière ap-
pelée Toung-Tien, où il trouva la mort Une en-
quête sévère est ouverte.
» Le gouvernement impérial, au reçu de
cette triste nouvelle, a télégraphié immédia-
tement à notre gouverneur général pour faire
rechercher le corps du défunt et infliger un
châtiment exemplaire aux meurtriers. Il lui
a prescrit en même temps de prêter toute son
assistance aux compagnons de voyage du
regretté savant et de sauvegarder les notes
et les collections scientifiques qu'il avait
recueillies au prix de tant de fatigue et de
dévouement.
» En priant V. E. de vouloir bien faire par-
venir l'expression de sa vive sympathie à la
famille de M. Dutreuil de Rhins, le Tsong-li-
Yamen se réserve de s'entendre avec le gou-
vernement de la République pour adoucir,
dans la mesure du possible, le malheur qui
vient de l'éprouver et auquel il prend une
part des plus sincères et des plus pénibles.
» TCIUNG-TCHANG. 9
LE PROCÈS DES TRENTE
GROSSE ACCUSATION
MAIS PAS DE DEFENSE
La nouvelle loi appliquée aux uns et pas
aux autres. — Accusés qui ne se
connaissent pas et n'y com-
prennent rien.
Un chroniqueur judicaire qui, comme nous,
s'enorgueillit d'assez longues campagnes, n'a
pas pu voir sans tristesse ce qui s'est passé à
l'audience d'hier : le droit de la défense déli-
bérément nié avant que les accusés aient
même ouvert la bouche. Au début de ce compte
rendu, nous nous en trouvons tout dérouté,
ayant toujours eu l'habitude, à côté de l'ac-
cusation, de placer la défense.
Pour deux des accusés entendus hier, nous
n'avons qu'un droit, celui de dire l'accusation.
Pour ce droit-là, on ne nous le marchande
pas, et nous ne risquons ni amende ni prison
a publier le document élaboré par les magis-
trats du parquet de M. le procureur général.
Mais la contre-partie, si on peut dire, nous
est rigoureusement interdite.
Eh bien 1 même la réponse publique du
loup anarchiste à la bergère Thémis continue
à nous paraître un imprescriptible droit, dont
la violation marquera d'une tâche la page où
se trouve inscrite dans nos codes la loi qui
la consacre.
Si encore ce procès d'hier avait quelque
figure. Mais il ne tient pas debout, car, entre
ces gens « piqués » çà et là par une police
efiaree, résidu de rafles précipitées, il n'existe
aucun lien que celui d'une communauté d'i-
dées dangereuses, mais qui ne constitue pas
l'association telle que la définit notre droit
criminel.
Ces trente accusés réduits à vingt-cinq
par la précaution qu'ont prise cinq d'entre
eux de se dérober aux interviews d'un prési-
dent d'assises, ne s'étaient jamais autant vus
que dans le cabinet de M. le juge d'instruc-
tion Meyer (prononcez Meyé pour être agréa-
ble à ce magistrat — c'est une douce manie).
C'est le juge qui a présenté les associés les
uns aux autres. Par là l'audience s'est trou-
vée avoir quelques côtés gais.
Elle s'est passée d'ailleurs en famille, cette
audience. Le banc des accusés était certes
plus rempli que le carré réservé au public, où
étaient en faction deux bonnes douzaines d'a-
gents de la sûreté ; on aurait difficilement
aperçu une figure de spectateur, nous ne di-
rons pas payant, mais non payé.
La presse, par exemple, était au grand com-
plet, comme pour une première.
La cour avait bien fait les choses : des pla-
ces avaient été réservées nombreuses aux
journalistes, qui, voyant cela, taillaient leurs
plumes pour de libres comptes rendus. Aussi
leur stupéfaction a été grande quand M. l'a-
vocat général Bulot, délégué par la cour pour
cette confortable organisation, a, immédiate-
ment après la lecture de l'acte de l'accusation,
requis l'interdiction du compte rendu du dé-
bat entier.
La cour n'est pas allée aussi loin, mais
nous verrons tantôt le théoricien Sébastien
Faure donner raison au magistrat du parquet
en réclamant le tout ou rien. Messieurs les
conseillers ont-été, dans le cas, des bourgeois
opportunistes.
L'audience s'est ouverte un peu avant midi.
Nous avons eu juste le temps de jeter le re-
gard du professionnel sur les pièces à convic-
tions.
Le carton — il n'est pas vert — saisi au mi-
nistère de la guerre dans le cabinet de l'ac-
cusé Fénéon repose à côté d'une caisse en
bois sortie de quelque épicerie et sur une des
parois de laquelle sont écrits ces mots :
Langues de criât. N'approchez pas : ce sont
des biscuits fallacieux qui sont figurés par
des détonateurs.
Le tirage au sort du jury se fait publique-
ment. L'un des défenseurs prononce, au nom
de tous ses confrères, les récusations concer-
tées d'avance et finalement le jury de juge-
ment est constitué.
ACTE D'ACCUSATION
M. le greffier Wilmès, qu'une chute de bi-
cyclette vient de retenir pendant quarante
jours sur un lit qui n'était pas de justice,
lit alors l'acte d'accusation, document que
voici :
Les accusés appartiennent à une secte qui éta-
blit entre tous ses adeptes des liens de compa-
gnonnage, qui a pour but la destruction de toute
société et pour moyens d'action le vol, le pillage,
l'incendie et l'assassinat. Dans cette secte, chacun
concourt au but suivant son tempérament et ses
facultés, l'un en commettant le crime, les autres en
amenant à le commettre par l'excitation et par l'as-
sistance ; le criminel trouve l'une et l'auto chez
des compagnons qui, en relations habituelles les
uns avec les autres, forment des groupes agissant
sous l'influence d'une inspiration commune. Ces
groupes constituent des centres de propagande, des
refuges pour les compagnons-étrangers des ap-
puis pour l'individu apte ou déterminé au crime.
Conférences, prédications, publications, moyens
matériels d'action, cet individu y rencontre toutes
les excitations et toutes les ressources qui le met-
tront en état de réaliser par un crime individuel le
but auquel tend l'eflort commun.
Jean Grave
Jean Grave, dont les débuts ont été très humbles,
est un homme de lettres d'une réelle valeur.
Il semble avoir conçu le plan selon lequel de-
vait se développer le parti anarchiste ; il l'a, en
tout cas, exposé le premier dans une brochure
parue en 1883, sous le pseudonyme de Jehan Le-
vagre,avec la mention: (c Publication du groupe des
5e et 13e arrondissements », qui révèle l'existence,
dès cette époque, d'une association d'anarchistes.
Dans cet écrit, Jean Grave érige en principe
« que la propagande ouverte doit servir de plas-
» tron à la propagande par les actes, secrète celle-
» là; qu'elle doit lui fournir les moyens d'action
:D qui sont les hommes, l'argent et les relations, et
» qu'elle doit surtout contribuer à mettre en lu-
» mière les actes accomplis en les commentant,
» etc., etc. v
Jean Grave préconise l'idée de la fondation de
groupes d'études « qui doivent servir à nouer les
relations partout où l'on pourra les établir »,
Ailleurs, il signale les inconvénients d'une caisse
centrale et engage les adhérents à se fréquenter
continuellement, afin d'arriver à se connaître assez
pour que l'anarchiste décidé à commettre un acte
de propagande par le fait, et ayant, pour cet acte,
besoin d'argent, puisse toujours en trouver chez
d'autres compagnons, sans formalités, sans expli.
cations.
Jean Grave a toujours suivi fidèlement les règles
qu'il avait tracées: directeur du journal la Révolte,
il a exalté les méfaits des anarchistes, l'attentat
dirigé contre la Société de Carmaux par Emile
Henry, la tentative d'assassinat commise par Léau-
thier ; il a fait l'éloge des voleurs Schouppe, Pini
et Duval. D s'est servi aussi de son journal pour
provoquer dans une intention criminelle des sous-
criptions qui, centralisées par Paul Reclus, avaient
un triple but : la propagande révolutionnaire,
l'assistance des détenus et la distribution de bro-
chures.
Jean Grave a fait ensuite paraître une seconde
brochure intitulée : Là Société mourante et l'A-
narchie, dans laquelle il a fait appel aux pires
violences. Les excitations contenues dans cet ou-
vrage ont motivé contre lui, en 1894, une condam-
nation à deux ans d'emprisonnement.
Dans le journal la Révolte, Jean Grave conti-
nua, après le 19 décembre 1893, à fournir aux affi-
liés les moyens de correspondre à l'aide des arti-
cles intitulés « Petite correspondance » et « Com-
munications et correspondances », à provoquer des
souscriptions dont la destination était bien connue,
à mettre enfin lui-même, par correspondance per-
sonnelle, les anarchistes en rapport les uns avea
les autres.
Il est donc constant qu'il a existé entre Jean
Grave et diverses personnes, pendant de longues
années et jusqu'à son arrestation, une entente éta-
blie en vue de préparer et de favoriser les actes
dits de propagande par le fait.
Sébastien Faure
Sébastien Faure, qui appartient à une famille
aisée, a reçu une instruction supérieure. Il est
doué, d'un véritable talent de parole ; il a été en
quelque sorte le commis-voyageur des doctrines
anarchistes en province, déterminant la création
des groupes d'études formés sous l'inspiration de
Jean Grave et servant activement d'intermédiaire
entre les uns et les autres.
S'il a fréquemment eu soin de prendre à témoin
ses auditeurs de la modération de sa parole, il a
été en réalité (des documents irréfutables l'éta-
blissent) en parfait accord avec ceux de ses
amis qui recouraient à la propagande par le fait.
Tout en s'abstenant d'écrire dans la Révolte et
le Père Peinard, il faisait annoncer régulièrement
dans ces journaux ses conférences qui, en susci-
tant des vocations homicides, ont obtenu le succès
qu'il avait rêvé.
Le 12 novembre 1893, Léauthier, entraîné par ses
discours et fier de se dire son élève, l'avise qu'il
va se livrer à un acte de propagande par le fait, et
Sébastien Faure ne dissimule pas la joie que lui
cause l'attitude de son disciple.
Après l'attentat de Vaillant, Sébastien Faure lui
envoie de Marseille un mandat-poste de 5 francs,
en témoignage de sympathie.
En mars 1892, il fonde à Marseille le journal
l'Agitation et y fait l'apologie des crimes récem-
ment commis en France et à l'étranger.
Vers la même époque, il publie un almanach
anarchiste dans lequel on lit : « Nous approuvons
1° Pini volant ; 20 Pini affectant à la propagande le
produit de son vol ; 30 Pini revendiquant fièrement
en cour d'assises l'acte qui l'y a fait traduire », et
Sébastien Faure commente sa triple proposition en
déclarant que le vol, qui doit toujours être api
prouvé, est méritoire « alors même que le voleur
se sert du produit de son vol pour vivre en parasite
ou en exploiteur ».
Il y a, d'autre part, des preuves certaines de
l'affiliation de cet accusé à divers groupes tombant
sous le coup de la loi.
Une lettre adressée par lui, le 26 novembre 1892,
aux compagnons du Falot cherbourgeois, dé-
montre qu'il y avait dans la région lyonnaise
une organisation anarchiste dont il avait éti
l'âme.
En relations suivies avec Paul Reclus, il a reçu
de lui une série de lettres prouvant d'une manière
irréfutable que, notamment le 4 février 1892, tous
deux conféraient avec diverses personnes dans un
but criminel.
L'ensemble de cette correspondance atteste qu'il
y avait entre Sébastien Faure et Reclus des comptes
d'argent, dont la provenance assez obscure établit
que les individus composant les groupes anar-
chistes ont suffisamment mis en commun leurs
idées et même leurs ressources pour que le mot
d'entente caractérise leur concert coupable.
Du reste, le contact des hommes d'action da
parti n'effrayait pas Paul Reclus, qui écrivait de
Nancy à Sébastien Faure « qu'il y avait dans cette
ville des copains sérieux ». On sait d'ailleurs ce
qu'il entend par cette expression, puisque Pauwefe
était au nombre de ces « copains sérieux ».
Les théoriciens, tels que Paul Reclus et Sébastien
Faure, se reliaient ainsi directement aux agents
d'exécution, voleurs ou assassins, suivant en cela
une voie logique indiquée notamment par Fortuné
Henry en ces termes : a Donc, cher Faure, tou-
jours en avant ! Espérons que bientôt une période
d'action suivra cette période de parlote. »
Tous ces faits, antérieurs d'ailleurs à la loi du 18
décembre 1893, se rattachent sans interruption à
des faits n'ayant précédé que de bien peu l'arresta-
tion de Sébastien Faure, opérée le 19 février 1894;
des uns et des autres, il résulte que l'entente cri-
minelle n'a pas cessé d'exister.
En décembre 1893 et en janvier 1894, Sébastien
Faure a fait dans le Rhône, la Loire et les Boù-
ches-du-Rbône diverses conférences au cours des-
quelles la modération voulue du langage n'excluait
en rien les violences de la doctrine.
A la même époque, il a pris part journellement
à des conciliabules tenus chez l'accusé Duprat et il
a @ correspondu avec l'accusé Paul Bernard, homme
d'action très dangereux, à l'effet de tirer parti,
au point de vue pécuniaire, des lettres de Vail*
lant.
Paul Reclus
Paul Reclus est un ingénieur des arts et manu*
factures. Il compte parmi ses parents des hommes
de science et des penseurs éminents, dont le plue.
illustre, son oncle Elisée Reclus, professe comme
lui les doctrines antisociales les plus funestes.
D'un tempérament actif, Paul Reclus est bientôt
sorti de la spéculation pure pour se livrer au pro-
sélytisme et a conquis presque immédiatement une
des premières places parmi les anarchistes.
Sa propagande était discrète et indiv:duelle, mais
elle savait inspirer une aveugle confiance. Avant :
de commettre son crime, c'est de lui que Vaillant,.
sollicite les fonds dont il a besoin; c'est encore à
lui qu'il s'adresse au moment même d'agir, et c'est
lui qu'il charge de ses suprêmes recommandations;
c'est enfin chez lui que Panwels se cache en 1891;
quand il est traqué par la police.
Paul Reclus s'était, en outre, donné pour mis«
sion particulière d'organiser les finances du parti;
à cet égard, il a lui-même défini son rôle dans une
lettre qu'il a écrite le 28 décembre 1893 à M. le
juge d'instruction Meyer. Il y explique les motifs
de sa fuite en disant que, pour se disculper « il
aurait eu à divulguer la comptabilité des fonds
confiés à sa garde et à fournir ainsi les noms de
plusieurs braves amis, dont quelques-uns, étran-
gers, eussent été expulsés. » Les recherches faites
pour découvrir le lieu de sa retraite ont été infruc*
tueuses.
Constant Martin
Autour de Jean Grave, de Sébastien Faure et de
Paul Reclus que tous considéraient comme des
maîtres, se groupaient des disciples, les uns let-
trés, comme Ledot, Agneli, Chatel et Pouget; les
autres, hommes d'action, comme Bastara, Paul
Bernard, Daressy, Soubrié, Brunet, Billon, Tram,
court, Chambon et Malmaret, tous avec des ten-
dances diverses également dangereuses.
Deux individus, qui ont rempli un rôle tout spé-
cial, Constant Martin et Duprat, leur servaient de
trait d'union. L'un et l'autre ont su être indispen-
sables et rendre auparti anarchiste d'inappréciables
services.
Constant Martin, ancien blanquisw, ayant évo-
lué depuis 1883 vers l'anarchie, a été en relations
directes et constantes avec Sébastien Faure et a été
préposé, sous la direction de Paul Reclus, à ce
qui, dans une société régulière s'appellerait la
« comptabilité espèces ».
Trésorier des compagnons, il a de plus utilisé
ses nombreux séjours à l'étranger pour mettre en
rapport les anarchistes français avec ceux 'de Lon-
dres, de Bruxelles, de Milan, etc. La crémerie qu'il
tenait rue Joquelet était en quelque sorte un lieu
d'asile et un centre de renseignements pour tous les:
malfaiteurs internationaux se réclamant de l'anar-
cnie.
Duprat
Duprat, ancien ouvrier tailleur, devenu mar<
chand de vin, s'est signalé, vers 1883. dans les
réunions anarchistes par la violence de son lan-
gage. l "[,J' h' .1 't .,
Rédacteur de J tw.¡,catel.tr anarchiste, il était
affilié aux groupes les plus remuants, passait pour
un militant des plus énergiques, s'occupait active-
ment de propagande et avait noué des relations
avec l'étranger.
A partir de 1890, son établissement, sis rue
Ramey, no 11, a été un des centres principaux où
les anarchistes de tous les pays tenaient leurs con-
ciliabules ; un dépôt pour les brochures de propa-
gande y avait été établi.
Ledot
Ledot a fait en novembre 1893 un voyage 1
Bruxelles pour se mettre en communication avec:.
des anarchistes belges.
Rédacteur de la Révolte, il y était chargé de l'ar-
ticle périodique intitulé « Mouvement social ».
A partir de l'arrestation de Jean Grave, il l'a
remplacé comme administrateur du journal. H a
continué en cette qualité, après la promulgation dé
la loi du 18 décembre 1893, à faire ouvertement l,
propagande par écrit et à recueillir des fonds pour;,
son extension. Un article inséré par lui dans la
Révolte à la date des 13 et 20 janvier 1894 est un
appel nos dissimulé à l'emploi des explosifs.
LE STOï-E
REDACTION ET IDIIIISTRITIM
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pelons tout spécialement l'attention sur
la magnifique bicyclette offerte en prime
par le XIXe Siècle.
Voir à la 3e page.
SANS PUBLICITE
Pour la seconde fois, hier, la nouvelle
loi « ayant pour objet la répression des
menées anarchistes » a été appliquée. A
Lyon, M. le procureur général Fochier
avait requis l'interdiction de publier le
factum de Caserio, et pour que cette in-
terdiction ne soit pas transgressée, il va
falloir exercer une surveillance particu-
lière à la frontière. VIndépendance
belge, en effet, a reproduit ce document,
ce qui lui a valu, comme aux beaux jours
de l'Empire, d'être saisie à la frontière.
Mais si l'on saisit les ballots de jour-
naux, il est plus difficile de saisir le
numéro qu'un voyageur a dans sa poche,
dans lequel il a enveloppé un paquet,
ou le fragment du journal qu'on a mis
dans une lettre. Pour être sûr que ce
dangereux factum restera ignoré des
Français, va-t-on fouiller tous le monde à
la frontière, ouvrir toutes les lettres, dé-
faire tous les paquets et de plus interdire
aux citoyens de sortir de France de crainte
qu'une fois les frontières franchies, ils
ne s'abreuvent de ce dangereux poison ?
La seconde application de la loi a été
faite hier à la cour d'assises de la Seine,
devant laquelle comparaissait la « pre-
mière association de malfaiteurs » tra-
duite en justice en vertu de la loi de dé-
cembre 1893. Après la lecture de l'acte
d'accusation, M. l'avocat général Bulot
a requis l'interdiction de publier le
compte rendu des débats. La cour n'a
fait droit qu'en partie à cette réguisition
et elle a interdit seulement la reproduc-
tion de l'interrogatoire des deux pre-
miers accusés, Sébastien Faure et Jean
Grave.
Au dire de ceux qui assistaient à l'au-
dience, rien dans l'interrogatoire de ces
accusés ne justifiait l'interdiction. Nous
comprenons mal, pour notre part, com-
ment les magistrats de la cour ont pu
la requérir ou la prononcer préventive-
ment. Ici apparaît un des vices prati-
ques de la loi : ou l'on est obligé de pré-
juger qu'il sera peut-être dangereux de
laisser publier certaines parties de l'au-
dience et l'on interdit une publication
qui serait inoffensive, ou le ministère
public ne requiert l'interdiction qu'après
coup et alors cela devient illusoire, les
rédacteurs judiciaires ayant déjà envoyé
leur copie aux journaux.
Ce n'est pas la seule réflexion que l'in-
terdiction partielle prononcée hier pro-
voque. M. l'avocat général Bulot l'avait
requise pour toute l'affaire. Entre les
deux systèmes, nous n'hésitons pas à
penser que le moins mauvais des deux
était le sien. L'interdiction partielle place
deux des accusés dans une situation in-
justement défavorable. Ils comparaissent
devant la cour en compagnie de malfai-
teurs de droit commun, dont certains
ont déjà subi des condamnations. L'acte
d'accusation, qui est publié, énumère
les charges relevées contre eux; leur
interrogatoire leur permet de discuter
les allégations du parquet, d'expliquer
leur système de défense, de se dégager,
s'ils le peuvent, des solidarités que le
magistrat instructeur a voulu établir
entre eux et les cambrioleurs. C'est
cette partie du débat que l'on supprime;
on laisse l'accusation se produire au
grand jour et c'est la défense que l'on
tient secrète. Cela n'est pas équitable.
Il y a plus : cela va contre les inten-
tions de ceux qui ont voulu établir une
solidarité entre les auteurs de prédica-
tions anarchistes comme Jean Grave et
Sébastien Faure et les autres accusés,
qui abritent derrière l'anarchie les actes
de cambriolage et autres méfaits de
droit commun pour lesquels ils sont
poursuivis. Ceux-ci, veut-on soutenir,
n'ont fait que mettre en pratique les
théories de ceux-là, et si la doctrine
n'avait pas été formulée par les uns, les
autres ne l'auraient pas mise en pra-
tique. Soit t Nous acceptons cet enchaî-
nement de faits. Mais comment veut-on
que le public accepte cette théorie du
parquet, si tout le procès ne passe pas
devant ses yeux, si ce sont précisément
les parties où peut le mieux être saisie
cette solidarité qui sont supprimées?
Comment au contraire ne voit-on pas
qu'en supprimant les interrogatoires des
théoriciens, en rompant par conëéquent
le fil qui relie les doctrines à l'application,
on court le risque d'atténuer très sensi-
blement, aux yeux du public, la respon-
sabilité déjà fort discutable de Sébastien
Faure et de Jean Grave et qu'on rend
les prédications anarchiques moins
odieuses?
Si l'interdiction de publier des faç-
tums de propagande comme ceux d'E-
mile Henry ou de Caserio est inutile,
puisqu'elle ne peut aller jusqu'à la sup-
pression complète et que ce sont sur-
tout les anarchistes qui trouveront le
moyen de se les procurer, l'interdiction
telle que la cour d'assises de la Seine
l'a pratiquée hier est plus fâcheuse,
puisqu'elle altère la physionomie des
débats et que, dans une certaine me-
sure, elle dégage certains accusés, dans
l'esprit public, des responsabilités que
l'on veut faire peser sur eux.
Après ces expériences, nous persis-
tons à penser, comme avant le vote de
la loi, que le mieux serait encore de
laisser discuter ces affaires au grand
jour et que la publicité, sans avoir au-
cun des inconvénients qu'on lui a attri-
bués, garde cet avantage inestimable de
donner satisfaction à ce sentiment de
générosité qui est dans tous les cœurs
et qui veut que la défense de tout
accusé, quel qu'il soit, puisse se pro-
duire dans les mêmes conditions que
l'accusation. Elle permet aussi à chaque
citoyen d'apprécier les responsabilités,
et il ne nous paraît pas que celle des
théoriciens de l'anarchie ait beaucoup à
perdre au silence que l'on essaye de
faire autour d'elle.
LE PURITAIN DUPUY
On n'a pas oublié les fières paroles dont
M. Dupuy, président du conseil et ministre
de l'intérieur, cinglait, dans la séance du
21 juillet dernier, les députés de sa majorité
qui, à tort ou à raison, ont été accusés d'avoir
tiré profit de leur mandat. « Les hommes qui
sont au banc du gouvernerueni, disait-il, n'ac-
ceptent à aucun degré le reproche de certaines
solidarités dont il a été parlé si éloquemment.
Ils n'ont jamais rien eu de commun avec les
banques, avec les monopoles, avec les che-
mins de fer, avec les affaires, avec les entre-
prises où on s'enrichit.»
Noblesse oblige. De telles paroles mettaient
pour ainsi dire M. Dupuy dans la nécessité
de ne tirer aucun profit ni pour lui ni pour
les siens de son passage au pouvoir.
Aussi a-t-on été quelque peu surpris d'ap-
prendre qu'après avoir décoré son beau-frère
pour d'éminents services rendus dans la fa-
brication des pipes, il avait décoré son frère
et qu'il avait indemnisé un de ses anciens
agents électoraux, M. Marchessou, en le
nommant d'emblée préfet de la Nièvre.
A cette liste il faut ajouter la belle-sœur
de M.Dupuy, Mme Artaud, qui vient d'obtenir
un bureau de tabac.
Bien que M. Dupuy n'ait rien de commun
avec les affaires, le pouvoir n'est donc pas
pour lui, pour ses parents et ses anciens
agents électoraux une mauvaise affaire.
A L'AVEUGLETTE
Les Débats nous apprennent que le mouve-
ment dans l'administration pénitentiaire que
nous avons annoncé a été enrayé à la suite
d'une Visite de M. Lépine, préfet de police, à
M. Dupuy, ministre de l'intérieur.
M. Lépine a fait observer à M. Dupuy que,
dans une question aussi grave que celle d'un
changement dans la direction des prisons de
la Seine, la préfecture de police devait au
moins être consultée.
Sait-on ce qu'a répondu M. Dupuy?
M. Dupuy, — du moins les Debats l'affir-
ment — a répondu qu'il avait signé le décret
sans le lire.
N'est-ce pas admirable de la part d'un mi-
nistre chargé de maintenir l'ordre et de répri-
mer l'anarchie ?
MORT D'UN DÉPUTÉ
M, Legoux-Longpré, député républicain modéré
du Calvados, 2e circonscription de Caen, est mort
hier, après une longue maladie.
Il était président de la Société d'encouragement
du demi-sang.
MM. PRAL ET PATY
Valence, 6 août.
M. Pral, père du jeune homme capturé par des
brigands sardes, a reçu une dépêche annonçant que
M. Paty s'est abouché aujourd'hui avec des ban-
dits.
M, Pral donne pleins pouvoirs à M. Aurbacher,
banquier à Cagliari, pour payer la rançon de-
mandée. Il espère que M. Régis Pral sera mis en
liberté mercredi.
UNE CIBLE EXTRAORDINAIRE
Dans un rapport d'inspection, le général
Varaigne, commandant la division des Vos-
ges, signale un fait sans précédent dans les
exercices de tir militaire, qu'il a constaté ré-
cemment à Rambervillers.
Une compagnie du 17e bataillon de chas-
seurs, que le hasard seul a désignée, a placé
dans une cible, à distance moyenne, quatre-
vingt-treize balles sur cent.
Le général Varaigne a salué cette belle
prouesse d'une adresse spéciale de chaleureu-
ses félicitations au commandant et aux trou-
pes du bataillon d'élite.
L'AFFAIRE TALLEYRAND-WŒSTYN
Après quatre mois d'instruction, M. Dopffer vient
de rendre une ordonnance de non-lieu en faveur de
M. de Talleyrand-Périgord et Wœstyn, poursuivis,
on s'en souvient, par M. Max Lebaudy qui les lit
arrêter et détenir pendant un mois.
CHRONIQUE
On s'est plaint parfois que les sujets de
narration proposés aux élèves des écoles
de jeunes filles fussent un peu trop sévè-
res'!>Jmr des enfants qui, à leur âge, étaient
excusables de n'avoir pas encore des opi-
nions philosophiques très nettes sur tou-
tes sortes de questions. J'ai notamment le
souvenir d'une composition donnée à des
gamines de douze ans, dont le suj et était
le développement d'une pensée de Montes-
quieu. Les pauvres petites se durent dé-
battre (et c'était, pour quelques-unes,d'une
écriture encore mcertaine) avec ce texte
d'un principe de haute politique. On ima-
gine ce que furent ces devoirs, répondant
à des prétentions très exagérées sur la
précocité d'intelligence de ces gamines et,
pour dire le vrai, ridiculement choisis.
On a plus sagement, depuis les récla-
mations qui se sont produites et surtout
depuis les railleries qui vinrent à leur ap-
pui, abaissé le niveau de ces narrations.
Ce sont volontiers, ainsi qu'il convient,
d'honnêtes petits sujets qui n'exigent pas
pour être traités des concepts très pro-
tonds sur le train du monde.
La fin de l'année scolaire vient de voir
éclore un nombre considérable de ces
« copies» d'écolières. Il doit être amusant,
une fois par hasard, de jeter les yeux sur
ces élucubrations de fillettes, si j'en juge
par ce que raconte M. Moncapi, qui s'est
plu, avec quelque souriant attendrisse-
ment, à en lire quelques-unes.
Les garçons, eux, en général (je parle
des petits, naturellement) restent un peu
sèchement dans les limites du sujet, sont
le plus souvent terre-à-terre, restent assez
positifs, s'appliquent bravement, mais
lourdement. Les petites filles sont plus
fantaisistes, dans leur naïveté même, ont
d'étonnantes idées, font facilement du ro-
man. Oh ! ces imaginations de petites
filles 1 Cela est si drôle, parfois !
M. Moncapi a eu, notamment, entre les
mains une « composition de stylée qui
est délicieuse d'ingénuité, c'est quelque
chose comme le « devoir d'Agnès ». Ce qui
est piquant, c'est de suivre le travail qui
doit s'opérer dans une cervelle enfantine.
Dans la classe où se trouvait la fillette
dont il s'agit, on avait imposé ce sujet,
bien approprié, celui-là, à l'âge des con-
currentes : Les joies du marin à son re-
tour dans ses foyers.
Les élèves s'escrimèrent sur cette don-
née, mais sans beaucoup de sincérité, car
nombre d'entre elles n'avaient jamais vu
la mer. Elles s'attachèrent cependant, pour
la plupart, avec des bribes de souvenirs
de lectures, à dépeindre le contraste des
dangers du voyage et du calme du port re-
trouvé. C'était l'idée dominante. A la vé-
rité, le « marin » eût estimé modestes les
« joies » que ces petites lui réservaient
d'après leurs goûts personnels, car elles
les concevaient un peu fades. Mais vous
entendez bien qu'on ne leur demandait
pas non plus un tableau réaliste.
Le plus souvent, le marin était un très
bon fils qui, pendant toutes les épreuves
de la navigation, n'avait songé qu'à sa
vieille mère, attendant anxieusement qu'il
revînt. Il revenait, en effet, avec de fortes
économies, et il renonçait à la mer pour se
consacrer tout entier, désormais, à la
bonne femme. Très pratiques, ces petites
filles n'imaginaient guère que la mer pût
être, avec tous ses périls, une passion, et,
pleines d'illusions, elles transformaient
tout matelot ayant fait une longue tra-
versée en nabab. Il y en avait aussi qui,
déjà bien femmes en cela, glissaient rapi-
dement sur les satisfactions intimes du
voyageur retrouvant son foyer, pour dé-
crire celles des amies ou parentes a qui il
avait rapporté mille objets curieux ou pré-
cieux. Est-ce que ce n'était pas le prin-
cipal ? Est-ce que la coquetterie féminine
ne fait pas bon marché de toutes les fa-
tigues d'autrui, pour un caprice réalisé ?
Mais la petite Marguerite X. embrassa
plus largement le sujet, elle, et imagina,
avec une charmante ignorance de la vie,
toute une histoire compliquée. Cette his-
toire m'a paru impayable.
Elle avait bon cœur, la jeune Margue-
rite, et elle songeait à l'isolement de ceux
que laissent derrière eux les marins s'en
allant pour des années et des années. Sa
« narration » mettait très drôlement en
scène le couple formé par le lieutenant
Dorval t sa jeune femme.
Oh ! c'était avec un grand chagrin que,
chaque fois qu'il se réembarquait, Mme
Dorval voyait partir son mari. Elle allait
le conduire jusqu'au quai et, longtemps,
quand le navire quittait le port, elle agitait
son mouchoir. Mais, alors qu'il n'était plus
qu'un point dans l'espace, elle se sentait
bien malheureuse. Si encore elle eût eu un
enfant ! Il l'eût consolée, elle lui eût parlé
de l'absent. Mais non l Elle n'avait pas à
s'occuper du moindre bébé.
« C'était aussi un grand chagrin pour M.
» Dorval. Chaque jour, dans ses prières, il
» demandait à Dieu d'exaucer ses vœux,
» mais, hélas ! jamais Dieu ne l'avait écou-
» té, et le lieutenant en était vraiment dé-
» solé. »
Un jour, il eut à partir pour une campa-
gne qui devait durer cinq ans. On pense
si les deux époux étaient affligés et si, de
nouveau, ils se lamentaient' de l'obstina-
tion du ciel a rester sourd à leurs vœux.
Mais M. Dorval était un homme coura-
geux; il prit la mer, et tout se passa d'ail-
leurs à merveille pour lui.
Le moment vint enfin du retour. Sur le
pont de son navire, il guettait de loin sa
chère femme, qu'il aperçut heureusement,
à son poste d'observation, tout au bout de
la jetée. Passons sur les premières effu-
sions, mais voici le morceau délicieux :
« — Viens vite à la maison, dit Mme
» Dorval, j'ai une surprise pour toi. Il ne
» savait ce que c'était, et il suivit à sa
» femme qui marchait aussi vite qu'elle
» pouvait. Ils arrivèrent à la maison, et
» là, dans un berceau, sa femme lui mon-
» tra tout à coup ce qu'il avait toujours
» désiré si vivement : deux jolis bébés
» blonds et roses, l'un d'un an, l'autre de
» deux ans, qui lui souriaient en lui ten-
» dant leurs petits bras. A cette vue, M.
» Dorval crut devenir fou de joie. Enfin
» ses vœux avaient été exaucés. Il tomba
» à genoux pour remercier le Seigneur
» de l'avoir rendu père, et d'abondantes
» larmes de joie inondèrent son visage.»
Elle était très fière de sa composition, la
petite Marguerite, et elle ne comprenait
pas du tout pourquoi les éloges qu'on lui
donnait étaient mêlés de foux rires. Oh !
sainte simplicité et candide innocence t
Mettez-vous à la place des maîtres. Qu'eus-
siez-vous dit ? Le mieux n'était-il pas d'at-
tribuer bravement le premier prix à l'en-
fant? Je crois bien que c'est ce que l'on fit,
Voilà qui est, au moins, tout à l'hon-
neur de la moralité des écoles.
Paul Ginisty.
VIEUX DISCOURS
Les journaux cléricaux rappellent un dis-
cours prononcé en 1878 à une distribution de
prix du lycée Condorcet par M. Casimir-Perier,
alors sous-secrétaire d'Etat au ministère de
l'instruction publique dans le deuxième cabi-
net Dufaure, sous la présidence du maréchal
Mac-Mahon.
« Nous voulons, disait dans ce discours le
futur président de la République, donner à la
République des hommes qui aient le senti-
ment de leur personnalité, l'amour du devoir,
qui sachent respecter sans aduler, obéir sans
fléchir, qui aient la foi en Dieu et la foi en
leur pays. »
Les journaux cléricaux dont il s'agit posent
à ce propos la question ci-après: « Le prési-
dent de la République osera-t-il se souvenir
de ces paroles généreuses animées d'un véri-
table souffle chrétien, osera-t-il comme alors
invoquer le nom de Dieu, quand il lui faudra
parler en chef-de l'Etat ? »
LE MARIAGE
DE LA GRANDE-DUCHESSE XÉNIA
Saint-Pétersbourg, 6 août.
Aujourd'hui a eu lieu, au palais de Peter-
hof, la célébration du mariage de la grande-
duchesse Xénia avec le grand-duc Alexandre
Mpxaîlovitch.
Une assistance particulièrement brillante
— les cavaliers en grand uniforme et les da-
mes en costume russe — a formé, pour se ren-
dre à l'église du palais, un imposant cortège
dans lequel .on distinguait, outre l'empereur,
l'impératrice, les grallds-ducs et grandes-du-
chesses, plusieurs augustes personnages étran-
gers : la reine de Grèce, avec les princes Ni-
colas, André et la princesse Marie, ses en-
fants ; la princesse de Galles, avec les prin-
cesses Victoria et Maud, ses filles; le grand-
duc et la grande-duchesse de Mecklem-
bourg-Schwerin et le prince Christian de Da-
nemark.
C'est l'empereur lui-même qui a conduit les
augustes fiancés jusqu'à l'estrade établie au
centre de l'église et sur laquelle les cérémo-
nies du mariage ont été célébrées par le clergé
de la cour, ayant à sa tête Mgr Palladius, mé-
tropolite de Saint-Pétersbourg ; puis, pendant
que 101 coups de canon annonçaient à la po-
pulation l'accomplissement de l'heureux évé-
nement, les nouveaux époux ont présenté leurs
remerciements à l'empereur et à l'impératrice
et rcr i les félicitations du clergé. La grande-
duc! ; ; isse Xénia portait une couronne et la
traîne de son manteau de velours cramoisi
douh10 d'hermine était soutenue par quatre
chambellans et le maître de la cour du grand-
duc Alexandre Mikhaïlovitch.
A six heures, un grand banquet a réuni les
membres de la famille impériale, les dames
et les dignitaires des trois premières classes
et les princes étrangers. Pendant le repas, des
airs' ariés ont été exécutés par l'orchestre de
la cour, après quoi des salves de 51 et de 31
coups de canon ont accompagné les toasts aux
souverains et aux autres invités.
La fête s'est terminée par un concert vocal
et instrumental donné dans la salle Pierre-le-
Grand, et une féerique illumination du parc
de Peterhof avec brillant, feu d'artifice tiré
sur des bâtiments mouillés en rade devant le
parc, que remplissait une foule énorme. Puis
les nouveaux époux sont partis pour le châ-
teau de Ropscha, près de Krasnoïé-Sélo.
Ils reviendront le 9 août (nouveau style) à
Saint-Pétersbourg, pour y recevoir au Palais-
d'Hiver les félicitations d'usage et ils assiste-
ront le même jour à un spectacle de gala au
théâtre impérial de Péterhof. Ensuite ils se
rendront en Crimée.
Des Te Deum chantés aujourd'hui dans
toutes les églises ont appelé sur leur union la
bénédiction céleste.
On sait que la grande-duchesse Xénia est
la première des deux filles d'Alexandre III et
qu'elle est née le 25 mars (6 avril) 1875. Son
mari, le grand duc Alexandre Mikhaïlovitch
est le fils de l'oncle du tsar, le grand duc Mi-
chel Nicolaievitch ; il est né le 13 (1er avril) 1866
et est lieutenant dans la marine impériale.
LA MORT DE M. DUTREUIL DE RHINS
Le chargé d'affaires de Chine a adressé la
lettre suivante à M. Hanotaux, ministre des
affaires étrangères :
« Paris, le 6 août 1894.
» Par un télégramme en date du 3 de ce
mois, le Tsong-li-Yamen me charge de trans-
mettre à V. E. ses plus profonds regrets à l'oc-
casion de la mort de M. Dutreuil de Rhins,
qui vient de lui être annoncée télégraphique-
ment par le gouverneur général du Chensi et
du Kansou, dans les termes suivants :
J'apprends que M. Datreuil de Rhins, parti de
l'intérieur du Thibet, au mois de mars 1894, pour
se rendre à Ci-Ning par des sentiers écartés situés
dans les montagnes, était arrivé le 5 juin dernier
au milieu d'une tribu Thibetaine, dite des Chape-
rons-Rouges. Ayant perdu deux chevaux, il voulut
se servir de ceux qui appartenaient à cette
tribu.
Une rixe s'ensuivit et M. Dutreuil de Rhins fut
blessé par les gens de la tribu, qui l'attachèrent
avec des cordes et le jetèrent dans une rivière ap-
pelée Toung-Tien, où il trouva la mort Une en-
quête sévère est ouverte.
» Le gouvernement impérial, au reçu de
cette triste nouvelle, a télégraphié immédia-
tement à notre gouverneur général pour faire
rechercher le corps du défunt et infliger un
châtiment exemplaire aux meurtriers. Il lui
a prescrit en même temps de prêter toute son
assistance aux compagnons de voyage du
regretté savant et de sauvegarder les notes
et les collections scientifiques qu'il avait
recueillies au prix de tant de fatigue et de
dévouement.
» En priant V. E. de vouloir bien faire par-
venir l'expression de sa vive sympathie à la
famille de M. Dutreuil de Rhins, le Tsong-li-
Yamen se réserve de s'entendre avec le gou-
vernement de la République pour adoucir,
dans la mesure du possible, le malheur qui
vient de l'éprouver et auquel il prend une
part des plus sincères et des plus pénibles.
» TCIUNG-TCHANG. 9
LE PROCÈS DES TRENTE
GROSSE ACCUSATION
MAIS PAS DE DEFENSE
La nouvelle loi appliquée aux uns et pas
aux autres. — Accusés qui ne se
connaissent pas et n'y com-
prennent rien.
Un chroniqueur judicaire qui, comme nous,
s'enorgueillit d'assez longues campagnes, n'a
pas pu voir sans tristesse ce qui s'est passé à
l'audience d'hier : le droit de la défense déli-
bérément nié avant que les accusés aient
même ouvert la bouche. Au début de ce compte
rendu, nous nous en trouvons tout dérouté,
ayant toujours eu l'habitude, à côté de l'ac-
cusation, de placer la défense.
Pour deux des accusés entendus hier, nous
n'avons qu'un droit, celui de dire l'accusation.
Pour ce droit-là, on ne nous le marchande
pas, et nous ne risquons ni amende ni prison
a publier le document élaboré par les magis-
trats du parquet de M. le procureur général.
Mais la contre-partie, si on peut dire, nous
est rigoureusement interdite.
Eh bien 1 même la réponse publique du
loup anarchiste à la bergère Thémis continue
à nous paraître un imprescriptible droit, dont
la violation marquera d'une tâche la page où
se trouve inscrite dans nos codes la loi qui
la consacre.
Si encore ce procès d'hier avait quelque
figure. Mais il ne tient pas debout, car, entre
ces gens « piqués » çà et là par une police
efiaree, résidu de rafles précipitées, il n'existe
aucun lien que celui d'une communauté d'i-
dées dangereuses, mais qui ne constitue pas
l'association telle que la définit notre droit
criminel.
Ces trente accusés réduits à vingt-cinq
par la précaution qu'ont prise cinq d'entre
eux de se dérober aux interviews d'un prési-
dent d'assises, ne s'étaient jamais autant vus
que dans le cabinet de M. le juge d'instruc-
tion Meyer (prononcez Meyé pour être agréa-
ble à ce magistrat — c'est une douce manie).
C'est le juge qui a présenté les associés les
uns aux autres. Par là l'audience s'est trou-
vée avoir quelques côtés gais.
Elle s'est passée d'ailleurs en famille, cette
audience. Le banc des accusés était certes
plus rempli que le carré réservé au public, où
étaient en faction deux bonnes douzaines d'a-
gents de la sûreté ; on aurait difficilement
aperçu une figure de spectateur, nous ne di-
rons pas payant, mais non payé.
La presse, par exemple, était au grand com-
plet, comme pour une première.
La cour avait bien fait les choses : des pla-
ces avaient été réservées nombreuses aux
journalistes, qui, voyant cela, taillaient leurs
plumes pour de libres comptes rendus. Aussi
leur stupéfaction a été grande quand M. l'a-
vocat général Bulot, délégué par la cour pour
cette confortable organisation, a, immédiate-
ment après la lecture de l'acte de l'accusation,
requis l'interdiction du compte rendu du dé-
bat entier.
La cour n'est pas allée aussi loin, mais
nous verrons tantôt le théoricien Sébastien
Faure donner raison au magistrat du parquet
en réclamant le tout ou rien. Messieurs les
conseillers ont-été, dans le cas, des bourgeois
opportunistes.
L'audience s'est ouverte un peu avant midi.
Nous avons eu juste le temps de jeter le re-
gard du professionnel sur les pièces à convic-
tions.
Le carton — il n'est pas vert — saisi au mi-
nistère de la guerre dans le cabinet de l'ac-
cusé Fénéon repose à côté d'une caisse en
bois sortie de quelque épicerie et sur une des
parois de laquelle sont écrits ces mots :
Langues de criât. N'approchez pas : ce sont
des biscuits fallacieux qui sont figurés par
des détonateurs.
Le tirage au sort du jury se fait publique-
ment. L'un des défenseurs prononce, au nom
de tous ses confrères, les récusations concer-
tées d'avance et finalement le jury de juge-
ment est constitué.
ACTE D'ACCUSATION
M. le greffier Wilmès, qu'une chute de bi-
cyclette vient de retenir pendant quarante
jours sur un lit qui n'était pas de justice,
lit alors l'acte d'accusation, document que
voici :
Les accusés appartiennent à une secte qui éta-
blit entre tous ses adeptes des liens de compa-
gnonnage, qui a pour but la destruction de toute
société et pour moyens d'action le vol, le pillage,
l'incendie et l'assassinat. Dans cette secte, chacun
concourt au but suivant son tempérament et ses
facultés, l'un en commettant le crime, les autres en
amenant à le commettre par l'excitation et par l'as-
sistance ; le criminel trouve l'une et l'auto chez
des compagnons qui, en relations habituelles les
uns avec les autres, forment des groupes agissant
sous l'influence d'une inspiration commune. Ces
groupes constituent des centres de propagande, des
refuges pour les compagnons-étrangers des ap-
puis pour l'individu apte ou déterminé au crime.
Conférences, prédications, publications, moyens
matériels d'action, cet individu y rencontre toutes
les excitations et toutes les ressources qui le met-
tront en état de réaliser par un crime individuel le
but auquel tend l'eflort commun.
Jean Grave
Jean Grave, dont les débuts ont été très humbles,
est un homme de lettres d'une réelle valeur.
Il semble avoir conçu le plan selon lequel de-
vait se développer le parti anarchiste ; il l'a, en
tout cas, exposé le premier dans une brochure
parue en 1883, sous le pseudonyme de Jehan Le-
vagre,avec la mention: (c Publication du groupe des
5e et 13e arrondissements », qui révèle l'existence,
dès cette époque, d'une association d'anarchistes.
Dans cet écrit, Jean Grave érige en principe
« que la propagande ouverte doit servir de plas-
» tron à la propagande par les actes, secrète celle-
» là; qu'elle doit lui fournir les moyens d'action
:D qui sont les hommes, l'argent et les relations, et
» qu'elle doit surtout contribuer à mettre en lu-
» mière les actes accomplis en les commentant,
» etc., etc. v
Jean Grave préconise l'idée de la fondation de
groupes d'études « qui doivent servir à nouer les
relations partout où l'on pourra les établir »,
Ailleurs, il signale les inconvénients d'une caisse
centrale et engage les adhérents à se fréquenter
continuellement, afin d'arriver à se connaître assez
pour que l'anarchiste décidé à commettre un acte
de propagande par le fait, et ayant, pour cet acte,
besoin d'argent, puisse toujours en trouver chez
d'autres compagnons, sans formalités, sans expli.
cations.
Jean Grave a toujours suivi fidèlement les règles
qu'il avait tracées: directeur du journal la Révolte,
il a exalté les méfaits des anarchistes, l'attentat
dirigé contre la Société de Carmaux par Emile
Henry, la tentative d'assassinat commise par Léau-
thier ; il a fait l'éloge des voleurs Schouppe, Pini
et Duval. D s'est servi aussi de son journal pour
provoquer dans une intention criminelle des sous-
criptions qui, centralisées par Paul Reclus, avaient
un triple but : la propagande révolutionnaire,
l'assistance des détenus et la distribution de bro-
chures.
Jean Grave a fait ensuite paraître une seconde
brochure intitulée : Là Société mourante et l'A-
narchie, dans laquelle il a fait appel aux pires
violences. Les excitations contenues dans cet ou-
vrage ont motivé contre lui, en 1894, une condam-
nation à deux ans d'emprisonnement.
Dans le journal la Révolte, Jean Grave conti-
nua, après le 19 décembre 1893, à fournir aux affi-
liés les moyens de correspondre à l'aide des arti-
cles intitulés « Petite correspondance » et « Com-
munications et correspondances », à provoquer des
souscriptions dont la destination était bien connue,
à mettre enfin lui-même, par correspondance per-
sonnelle, les anarchistes en rapport les uns avea
les autres.
Il est donc constant qu'il a existé entre Jean
Grave et diverses personnes, pendant de longues
années et jusqu'à son arrestation, une entente éta-
blie en vue de préparer et de favoriser les actes
dits de propagande par le fait.
Sébastien Faure
Sébastien Faure, qui appartient à une famille
aisée, a reçu une instruction supérieure. Il est
doué, d'un véritable talent de parole ; il a été en
quelque sorte le commis-voyageur des doctrines
anarchistes en province, déterminant la création
des groupes d'études formés sous l'inspiration de
Jean Grave et servant activement d'intermédiaire
entre les uns et les autres.
S'il a fréquemment eu soin de prendre à témoin
ses auditeurs de la modération de sa parole, il a
été en réalité (des documents irréfutables l'éta-
blissent) en parfait accord avec ceux de ses
amis qui recouraient à la propagande par le fait.
Tout en s'abstenant d'écrire dans la Révolte et
le Père Peinard, il faisait annoncer régulièrement
dans ces journaux ses conférences qui, en susci-
tant des vocations homicides, ont obtenu le succès
qu'il avait rêvé.
Le 12 novembre 1893, Léauthier, entraîné par ses
discours et fier de se dire son élève, l'avise qu'il
va se livrer à un acte de propagande par le fait, et
Sébastien Faure ne dissimule pas la joie que lui
cause l'attitude de son disciple.
Après l'attentat de Vaillant, Sébastien Faure lui
envoie de Marseille un mandat-poste de 5 francs,
en témoignage de sympathie.
En mars 1892, il fonde à Marseille le journal
l'Agitation et y fait l'apologie des crimes récem-
ment commis en France et à l'étranger.
Vers la même époque, il publie un almanach
anarchiste dans lequel on lit : « Nous approuvons
1° Pini volant ; 20 Pini affectant à la propagande le
produit de son vol ; 30 Pini revendiquant fièrement
en cour d'assises l'acte qui l'y a fait traduire », et
Sébastien Faure commente sa triple proposition en
déclarant que le vol, qui doit toujours être api
prouvé, est méritoire « alors même que le voleur
se sert du produit de son vol pour vivre en parasite
ou en exploiteur ».
Il y a, d'autre part, des preuves certaines de
l'affiliation de cet accusé à divers groupes tombant
sous le coup de la loi.
Une lettre adressée par lui, le 26 novembre 1892,
aux compagnons du Falot cherbourgeois, dé-
montre qu'il y avait dans la région lyonnaise
une organisation anarchiste dont il avait éti
l'âme.
En relations suivies avec Paul Reclus, il a reçu
de lui une série de lettres prouvant d'une manière
irréfutable que, notamment le 4 février 1892, tous
deux conféraient avec diverses personnes dans un
but criminel.
L'ensemble de cette correspondance atteste qu'il
y avait entre Sébastien Faure et Reclus des comptes
d'argent, dont la provenance assez obscure établit
que les individus composant les groupes anar-
chistes ont suffisamment mis en commun leurs
idées et même leurs ressources pour que le mot
d'entente caractérise leur concert coupable.
Du reste, le contact des hommes d'action da
parti n'effrayait pas Paul Reclus, qui écrivait de
Nancy à Sébastien Faure « qu'il y avait dans cette
ville des copains sérieux ». On sait d'ailleurs ce
qu'il entend par cette expression, puisque Pauwefe
était au nombre de ces « copains sérieux ».
Les théoriciens, tels que Paul Reclus et Sébastien
Faure, se reliaient ainsi directement aux agents
d'exécution, voleurs ou assassins, suivant en cela
une voie logique indiquée notamment par Fortuné
Henry en ces termes : a Donc, cher Faure, tou-
jours en avant ! Espérons que bientôt une période
d'action suivra cette période de parlote. »
Tous ces faits, antérieurs d'ailleurs à la loi du 18
décembre 1893, se rattachent sans interruption à
des faits n'ayant précédé que de bien peu l'arresta-
tion de Sébastien Faure, opérée le 19 février 1894;
des uns et des autres, il résulte que l'entente cri-
minelle n'a pas cessé d'exister.
En décembre 1893 et en janvier 1894, Sébastien
Faure a fait dans le Rhône, la Loire et les Boù-
ches-du-Rbône diverses conférences au cours des-
quelles la modération voulue du langage n'excluait
en rien les violences de la doctrine.
A la même époque, il a pris part journellement
à des conciliabules tenus chez l'accusé Duprat et il
a @ correspondu avec l'accusé Paul Bernard, homme
d'action très dangereux, à l'effet de tirer parti,
au point de vue pécuniaire, des lettres de Vail*
lant.
Paul Reclus
Paul Reclus est un ingénieur des arts et manu*
factures. Il compte parmi ses parents des hommes
de science et des penseurs éminents, dont le plue.
illustre, son oncle Elisée Reclus, professe comme
lui les doctrines antisociales les plus funestes.
D'un tempérament actif, Paul Reclus est bientôt
sorti de la spéculation pure pour se livrer au pro-
sélytisme et a conquis presque immédiatement une
des premières places parmi les anarchistes.
Sa propagande était discrète et indiv:duelle, mais
elle savait inspirer une aveugle confiance. Avant :
de commettre son crime, c'est de lui que Vaillant,.
sollicite les fonds dont il a besoin; c'est encore à
lui qu'il s'adresse au moment même d'agir, et c'est
lui qu'il charge de ses suprêmes recommandations;
c'est enfin chez lui que Panwels se cache en 1891;
quand il est traqué par la police.
Paul Reclus s'était, en outre, donné pour mis«
sion particulière d'organiser les finances du parti;
à cet égard, il a lui-même défini son rôle dans une
lettre qu'il a écrite le 28 décembre 1893 à M. le
juge d'instruction Meyer. Il y explique les motifs
de sa fuite en disant que, pour se disculper « il
aurait eu à divulguer la comptabilité des fonds
confiés à sa garde et à fournir ainsi les noms de
plusieurs braves amis, dont quelques-uns, étran-
gers, eussent été expulsés. » Les recherches faites
pour découvrir le lieu de sa retraite ont été infruc*
tueuses.
Constant Martin
Autour de Jean Grave, de Sébastien Faure et de
Paul Reclus que tous considéraient comme des
maîtres, se groupaient des disciples, les uns let-
trés, comme Ledot, Agneli, Chatel et Pouget; les
autres, hommes d'action, comme Bastara, Paul
Bernard, Daressy, Soubrié, Brunet, Billon, Tram,
court, Chambon et Malmaret, tous avec des ten-
dances diverses également dangereuses.
Deux individus, qui ont rempli un rôle tout spé-
cial, Constant Martin et Duprat, leur servaient de
trait d'union. L'un et l'autre ont su être indispen-
sables et rendre auparti anarchiste d'inappréciables
services.
Constant Martin, ancien blanquisw, ayant évo-
lué depuis 1883 vers l'anarchie, a été en relations
directes et constantes avec Sébastien Faure et a été
préposé, sous la direction de Paul Reclus, à ce
qui, dans une société régulière s'appellerait la
« comptabilité espèces ».
Trésorier des compagnons, il a de plus utilisé
ses nombreux séjours à l'étranger pour mettre en
rapport les anarchistes français avec ceux 'de Lon-
dres, de Bruxelles, de Milan, etc. La crémerie qu'il
tenait rue Joquelet était en quelque sorte un lieu
d'asile et un centre de renseignements pour tous les:
malfaiteurs internationaux se réclamant de l'anar-
cnie.
Duprat
Duprat, ancien ouvrier tailleur, devenu mar<
chand de vin, s'est signalé, vers 1883. dans les
réunions anarchistes par la violence de son lan-
gage. l "[,J' h' .1 't .,
Rédacteur de J tw.¡,catel.tr anarchiste, il était
affilié aux groupes les plus remuants, passait pour
un militant des plus énergiques, s'occupait active-
ment de propagande et avait noué des relations
avec l'étranger.
A partir de 1890, son établissement, sis rue
Ramey, no 11, a été un des centres principaux où
les anarchistes de tous les pays tenaient leurs con-
ciliabules ; un dépôt pour les brochures de propa-
gande y avait été établi.
Ledot
Ledot a fait en novembre 1893 un voyage 1
Bruxelles pour se mettre en communication avec:.
des anarchistes belges.
Rédacteur de la Révolte, il y était chargé de l'ar-
ticle périodique intitulé « Mouvement social ».
A partir de l'arrestation de Jean Grave, il l'a
remplacé comme administrateur du journal. H a
continué en cette qualité, après la promulgation dé
la loi du 18 décembre 1893, à faire ouvertement l,
propagande par écrit et à recueillir des fonds pour;,
son extension. Un article inséré par lui dans la
Révolte à la date des 13 et 20 janvier 1894 est un
appel nos dissimulé à l'emploi des explosifs.
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