Titre : Le XIXe siècle : journal quotidien politique et littéraire / directeur-rédacteur en chef : Gustave Chadeuil
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1894-07-28
Contributeur : Chadeuil, Gustave (1821-1896). Directeur de publication
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Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
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Description : 28 juillet 1894 28 juillet 1894
Description : 1894/07/28 (A24,N8230). 1894/07/28 (A24,N8230).
Droits : Consultable en ligne
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Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-199
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 24/04/2013
VINGT-QUATRIÈME ANNÉE. — N° 8,230
LE NUMÉRO CINQ CENTIMES
SAMEDI 2S JUILLET 1894
LE Xir SIECLE
IUICIIO. ET ADIIMSTRATIM
142 Rue Montmartre
PARIS
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A.-EDOUARD PORTALIS
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Victoire à la Pyrrhus
Comme nous l'avions prévu, la Cham-
bre en a fini hier avec la loi de répres
sion. Le gouvernement a obtenu gain
de cause sur tous les points, et au vote
sur l'ensemble il a obtenu 268 voix, tan-
dis que l'opposition n'en réunissait que
163. Il ne faudrait cependant pas triom-
pher de ce résultat, et la victoire que le
ministère a remportée grâce au con-
cours de la droite et des ralliés peut, à
juste titre, être considérée comme une
victoire à la Pyrrhus.
Une première remarque à faire, c'est
que la question ministérielle et la
crainte d'ouvrir une crise à la fin de la
session, à la veille des vacances, a do-
miné d'une façon générale tous le dé-
bat. Dans sa déclaration de lundi der-
nier, M. Dupuy avait annoncé à la
Chambre qu'il n'accepterait aucune
modification du texte qu'il présen-
tait. C'était à prendre ou à laisser
a en bloc », et si de cet édifice si
habilement construit, si élégamment
combiné, aux lignes si pures, de ce
chef-d'œuvre législatif, on s'avisait de
toucher un morceau, de déplacer un
fragment, son amour-propre d'auteur
souffrirait une telle atteinte qu'il quit-
terait la place plutôt que de se faire le
complice d'une mutilation aussi sa-
crilège.
Malgré cela, les majorités que les
dispositions de la loi ont réunies ont été
plus d'une fois bien faibles, et même
dans le vote sur l'amendement Jaurès,
si l'on prend les chiffres rectifiés tels
que l'Officiel les a publiés hier matin,
si l'on tient compte en plus des rectifi-
cations faites à la tribune dans la séance
d'hier, on voit que la majorité n'a été
que de trois ou quatre voix. Comme les
sept ministres députés ont pris part au
scrutin, il en résulte qu'il n'y a pas eu
en réalité de majorité pour le gouver-
nement dans cette circonstance, et si
les résultats du scrutin avaient été pro-
clamés en séance tels qu'ils figurent au
compte rendu, le cabinet aurait été con-
traint de se retirer. :.
Comment la faible majorité de qua-
rante-deux voix proclamée en séance
s'est elle fondue, à la vérification par la
questure, pendant que la minorité aug-
mentait d'une voix ? Il y a là un petit
problème que l'enquête résoudra sans
doute et sur lequel nous aurons peut-
être à revenir. Mais on conviendra que,
même en tenant pour exacts les chiffres
primitifs, la majorité de quarante-deux
voix était bien modeste.
Mais il y a eu une autre question sur
laquelle le gouvernement a fait une
déclaration spéciale, à l'occasion de la-
quelle M. Dupuy a souligné le carac-
tère du vote qu'il réclamait de la
Chambre : c'est sur la limitation de
la durée de la loi. M. Dupuy a senti
qu'il était nécessaire de rompre le si-
lence dans lequel il s'était prudem-
ment renfermé depuis quelques jours
et il a terminé ses observations en di-
sant que si la Chambre ne votait la loi
que pour une, période limitée, ce serait
un autre gouvernement qui se char-
gera de l'appliquer.
La question ministérielle était bien
clairement posée. Malgré le désir géné-
ral d'en finir au plus vite avec la loi,
malgré la crainte que certains pouvaient
éprouver de retarder la clôture de la
session par une crise ministérielle, le
gouvernement n'a eu que cinquante voix
de majorité. Encore faut-il tenir compte
des modifications que la vérification ap-
portera à ce chiffre, comme aussi des
sept voix de ministres députés. La ma-
jorité réelle, après ces diverses rectifi-
cations, n'atteindra certainement pas
quarante voix, parmi lesquelles figu-
rent, naturellement, des voix de droite.
Il ne faut donc pas se méprendre sur
la situation que fait au cabinet le vote de
la loi. La victoire qu'il vient de rempor-
ter n'est qu'une victoire apparente et,
en réalité, il sort de cette longue discus-
sion affaibli autant par le rôle effacé
auquel il s'est résigné, par le soin avec
lequel il a décliné toutes les discussions,
que par l'incohérence de ses décisions
et par la faiblesse numérique de la ma-
jorité qui a accepté la loi, si impar-
faite, si inefficace et si dangereuse
qu'elle pût être, pour se donner à
elle-même l'apparence d'avoir « fait quel-
que chose » pour la répression d'atten-
tats que le pays est unanime à déclarer
abominables.
Le cabinet a sa loi et il va s'empres-
ser d'envoyer le Parlement en vacances ;
mais il a donné la mesure de son in-
suffisance et il a amassé d'autre part
contre lui, même parmi ceux qui l'ont
soutenu, de bien fortes rancunes, et il
peut être sûr qu'à la première occasion
propice il en sentira le poids.
LA
LOI CONTRE LES ANARCHISTES
AU SÉNAT
Le Sénat, qui a reçu à cinq heures et demie
le texte de la loi « contre les anarchistes »
que venait de voter la Chambre, s'est réuni
immédiatement dans ses bureaux pour nom-
mer une commission.
Ont été élus : MM. Trarieux, Demôle, Bar-
doux, Bernard-Lavergne, Merlin, Milliard,
Baduel, Morellet, de Marcère.
La commission s'est réunie immédiate-
ment ; elle a élu M. Bernard-Lavergne pré-
sident et a désigné M. Trarieux comme rap-
porteur.
Les commissaires élus ont exposé qu'ils ac-
ceptaient de voter la loi ; mais ils ont exprimé
des réserves tant au point de vue de sa rédac-
tion que de son caractère anti-juridique.
M. Guérin, ministre de la justice, a été in-
vité à venir s'expliquer.
M. Trarieux lui a posé la question sui-
vante : « Dans la pensée du gouvernement,
l'article 2 de la loi, tel qu'il est rédigé, pu-
nit-il une conversation, une simple parole, un
chant, etc., etc. ? »
M. Guérin a répondu non.
La commission a ensuite chargé M. Tra-
rieux d'inscrire dans son rapport la déclara-
tion du ministre de la justice et de dire
qu'une conversation privée, d'après les termes
précis de la loi, ne tombe sous son application
qu'à la condition qu'elle ait été proférée dans
le but d'inciter à un crime.
M. Trarieux constatera aussi qu'en votant
la loi, la commission agit dans un but poli-
tique et qu'elle ne peut la refuser à un gou-
vernement qui dit qu'il en a besoin.
Le rapport sera rédigé aujourd'hui ; il sera
lu à la commission, puis déposé dès l'ouver-
ture de la séance.
Si aucune opposition n'y est faite, le débat
s'engagera aussitôt.
M. Charles Floquet s'est fait inscrire pour
combattre la loi de répression.
MORT DE M. FÉLIX GRELOT
M. Félix Grelot, secrétaire général de la
préfecture de la Seine, a succombé hier soir,
à l'âge de cinquante-trois ans, aux suites d'une
bronchite pulmonaire et après une cruelle
maladie qui durait depuis près de deux mois.
M. Félix Grelot était natif de la Gironde et
ancien avocat à la cour d'appel de JParis ;
après avoir fait ses premières armes dans le
journalisme, il entra dans l'administration
en 1878, comme sous-préfet de Romorantin,
et passa ensuite à Dreux et à Montluçon; fut
nommé secrétaire général des préfectures de
la Loire et de la Gironde, et enfin en 1890
préfet du Cantal.
Promu chevalier de la Légion d'honneur
dans le courant de la même année, le gouver-
nement l'appelait, il y a deux ans, pour lui
confier les importantes fonctions de secrétaire
général de la préfecture de la Seine aux côtés
de M. Poubelle.
Pendant le cours de sa carrière politique et
plus particulièrement à la préfecture de la
Seine, M. Grelot avait su se concilier de nom-
breuses et hautes sympathies par son amé-
nité, sa haute compétence administrative et
la droiture de son caractère.
Il laisse de nombreux ouvrages littéraires
et administratifs, parmi lesquels nous devons
citer une Etude sur les chefs-d'œuvre de
Montesquieu, des Essais sur les bibliographes
des X VIIIe et XIxe siècles, des études dans
la Revue juridique et enfin un Commentaire
sur l'organisation municipale qui fait auto-
rité en la matière.
UN PETIT KRACH
F)es plaintes avaient été déposées auparquet,
en abus de confiance, contre un financier, M.
Frugerolles, demeurant, 51, rue de la Chaus-
sée-d'Antin, financier qui avait constitué une
soelété au capital de 1,500,000 francs, seu-
lement avec 150,000 francs apportés en ac-
tions de 500 francs ; cette société avait pour
titre la « La Banque d'épargne nationale » et
avait été surtout fondée pour écouler les titres
de la société.
La même maison avait créé une caisse de
dividendes mensuels, ce qui permettait d'é-
tablir entre les souscripteurs une participa-
tion sur les opérations et une répartition sur
les rapports de celles-ci, évalués à 62 0[0 par
an.
Naturellement il y eut des hauts et des
bas et le financier demanda une liquidation
judiciaire.
Les clients qui avaient touché de gros divi-
dendes finirent par se plaindre et finalement
le parquet chargea M. Bernard, commissaire
aux délégations judiciaires, d'une enquête
qui a motivé la saisie des livres de compta-
bilité et la nomination de M. Pasques comme
juge d'instruction et de M. Blanc comme
expert.
LE CURAGE DE LA BIÈVRE
MM. les ingénieurs de la ville de Paris ont
fini par s'apercevoir de la malpropreté exces-
sive des eaux de la Bièvre. Ils viennent donc
de décider le curage de la petite rivière chère
aux tanneurs.
La Bièvre et ses affluents seront curés de-
puis la limite du département de la Seine
jusqu'au pied du glacis des fortifications de
Paris. La dépense qu'entraînera ce travail est
évaluée à dix mille francs.
MORT D'UN SÉNATEUR
IW docteur Charles Moinet, sénateur républicain
de la Charente-Inférieure, médecin consultant à
Cauterets, est mort presque subitement hier matin,
à Cauterets, à l'âge de cinquante-huit ans.
Médecin de la marine militaire, il fut à l'âge de
vingt-six ans, pendant la campagne du Mexique,
décoré de la Légion d'honneur.
H fut élu sénateur de la Charente-Inférieure lors
d'une élection partielle en 1891. Au renouvellement
de 1891 il avait été réélu.
Au Sénat il s'est particulièrement occupé des
questions maritimes et coloniales, et le 10 mai der-
nier il a interépellé le gouvernement sur l'organisa-
tion de l'armée eoloaïalo.. 1
,- -
CONTRE L'ANARCHIE
LE VOTE DE LA .LOI
Neuvième et dernière journée.- A propos
du scrutin sur l'amendement Jaurès. —
La question de la limitation.— Les
dernières protestations. — Le
vote d'ensemble
La loj contre les menées anarchistes a été
enfin terminée hier vers les six heures du
soir.
La Chambre a accordé au gouvernement le
projet qu'il lui avait présenté. Ce résultat
était absolument prévu depuis plusieurs jours
et la journée dernière de ce débat, qui fut si
long et si animé, n'a pas été féconde en inci-
dents palpitants.
On peut dire que c'est à la séance de la
veille, à cette séance qui mit aux prises M.
Jaurès et M. Rouvier, qu'avait été tiré le bou-
quet du feu d'artifice.
Ce bouquet de mercredi nous a été rappelé
hier par un dernier pétard. Mais laissons le
langage de la pyrotechnie, pour conter cot
incident qui a son intérêt.
Nous signalions, à la fin de notre précédent
compte rendu, la faible majorité de quarante-
deux voix qui avait repoussé l'amendement
de M. Jaurès contre les hommes publics con-
vaincus de tripotages. Or, comme nous le fai-
sions. prévoir, cette majorité déjà si mince
avait terriblement fondu au Journal officiel.
Elle n'était plus que de cinq ou six voix !
C'est ce que vint faire remarquer, au début
de la séance d'hier matin, M. Jaurès, parlant
sur le procès-verbal :
M. Jaurès. — La Chambre a dû être frappée
des graves modifications de chiffres enregistrées
dans l'Officiel de ce matin à propos de ce même
scrutin.
C'est à une majorité fictive de 42 voix que notre
amendement avait été repoussé hier ; et ce matin,
après les rectifications de l'Officiel et celle que
vous venez d'entendre, cette majorité n'est déjà
plus que de 5 voix.
Je tiens à consister que ce n'est pas le chiffre des
bulletins blans qui a varié, mais celui des bulle-
tins bleus déposas par nos adversaires.
Il y a eu de la part de la majorité qui repoussait
notre amendement une prodigalité, une effusion de
bulletins bleus qui montre que, devant l'impor-
tance qu elle attachait à ce vote, elle n'a pas été ar-
rêtée par certains scrupules parlementaires.
Ce fait change devant le pays la signification du
vote, surtout si l'on considère que six ministres
ont voté. Et ce sont ces six ministres qui, après
avoir répudié certaines solidarités, les ont procla-
mées hier par leur vote.
M. le comte de Bernis. — La République
aussi a été constituée à une yoix de majorité.
M. le président. — La vérification du scrutin
a, en effet, révèlé que la majorité n'avait été que
de six voix. Cette erreur ne peut résulter et ne
résulte visiblement que du dépôt, en assez grand
nombre, de bulletins bleus doubles.
Il aurait fallu un pointage immédiat pour éviter
i erreur. Vous remarquerez, en tout cas, que le
sens du vote n'est pas altéré par cette différence de
chiffre.
Cette dernière constatation de M. Burdeau
a même cessé d'être exacte peut-être, si l'on
songe que plusieurs députés sont venus hier
à la tribune rectifier leurs votes. C'est ainsi
que MM. Boudeville, Charonnat et Flourens,
portés comme s'étant abstenus, ont déclaré
avoir voté pour l'amendement. M. d'Hulst a
dit de son côté que s'il n'avait été forcé de
s'absenter, il aurait également voté pour. Seul
M. Constant, porté comme abstentionniste, a
déclaré avoir voté contre.
Toujours est-il qu'au début de l'après-midi
M. Millerand, parlant à son tour sur le pro-
cès-verbal, est venu insister de nouveau sur
cette affaire dont la gravité est certaine:
M. Millerand. — Je demande à la Chambre la
permission de déposer un projet de résolution ainsi
conçu : « La Chambre invite le bureau à ouvrir
une enquête sur les conditions dans lesquelles a
été dépouillé le scrutin sur l'amendement Jaurès,
et à lui en faire un rapport. » (Applaudissements à
gauche. )
La Chambre connait les faits.
Il nous parait contraire à son intérêt et à sa di-
gnité qu'un vote aussi important puisse, du soir
au matin, subir une pareille transformation.
Il est utile pour tout le monde de savoir dans
quelles conditions elle s'est opérée.
Nous ne pensons pas rencontrer d'opposition de
la part de MM. les secrétaires et nous espérons
que la Chambre sera unanime à voter notre pro-
position. (Très bien ! très bien.)
M. Jean Plichon. — Au nom de mes collègues
secrétaires de la Chambre et au mien, j'appuie
cette proposition. Loin de repousser l'enquête,
nous la demandons.
Nous savons qu'aucun de nos collègues ne peut
nous soupçonner d'une fraude ; mais l'enquête
pourra démontrer à. beaucoup d'entre nous les in-
convénients du vote par procuration, qui amène des
excès de zèle, c'est-à-dire le doublement des bulle-
tins et quelquefois, après le scrutin, des change-
ments de conscience. Je suis, en ce qui me con-
cerne, à la disposition de la Chambre. (Très bien 1
très bien!)
M. Camille Krantz. — Je m'associe aux con-
clusions de M. Millerand. J'ai voté contre l'amen-
dement de M. Jaurès, et je n'ai pas été étonné que
264 de mes collègues aient voté dans ce sens,
mais que ce nombre se soit trouvé ensuite réduit
à 229.
Je demande quant à moi l'enquête, afin qu'on
sache les noms de ceux de nos collègues qui ont
changé leur vote après le scrutin. (Applaudisse-
ments.)
L'enquête réclamée par M. Millerand a été
ordonnée par 510 voix contre 2. Nous verrons
quels seront les résultats de cette enquête —
si toutefois elle en donne 1 -'"
LES AMENDEMENTS LIMITATIFS
Ils nous reste à noter maintenant les der-
niers épisodes de la discussion du projet. Les
articles de ce projet étaient votés, mais il res-
tait, on le sait, une queue de dispositions
additionnelles. Les principales, au nombre de
quatre ou cinq, tendaient à limiter la durée
de l'application de la loi. Les délais proposés
variaient, mais le principe était le même dans
ces divers amendements et c'est ce principe
de la limitation qu'on a décidé de discuter
tout d'abord.
M. Boissy-d'Anglas a dit des choses très
justes en faveur de cette limitation et le garde
des sceaux lui a objecté les arguments prévus:
M. le garde des sceaux. — Je dis que la li-
mitation est inutile. Ai-je besoin de démontrer, en
effet, que le droit du Parlement reste entier, que
demain, dans six mois, dans un an, il vous appar-
tient de modifier ou d'abroger la loi, si vous la
trouvez défectueuse?
N'avez-vous pas enfin la responsabilité ministé-
rielle, l'initiative parlementaire, le droit d'interpel-
lation ?
M. Millerand. — Le bon billet !
M. le garde des sceaux. — Le droit de limi-
tation est entre vos mains ; vous pouvez abroger la
loi quand vous voudrez.
Je dis en second lieu que les amendements, si
vous les votiez, auraient pour résultat d'infirmer
par avance la loi et en rendraient l'application
impossible.
Imaginez un individu condamné à une peine su-
périeure à la durée qui aurait été fixée à la loi.
Quelle sera la situation ?
Pourriez-vous garder en prison cet homme con-
damné pour des faits qui auraient cessé d'être pu-
nissables? (Interruptions à gauche.)
Mais voyez les objections très topiques que
M. Doumer est venu apporter à ce raisonne-
ment : -
M. Doumer. — Vous avesr dit dans votre loi,
Vous avez proclaméici a plusieurs reprises, que
vous visiez seulement les anarchistes ; il vous reste
à nous le prouver en disant par votre vote que la
durée de la loï sera limitée.
Vous n'entendez pas dire que l'anarchie est l'état
permanent de notre pays ? (Applaudissements à
gauche.)
Vous ne pènsez pas que cet état doive durer
éternellement ; que ce vent de folie, qui a soumé
s in- quelques cervelles soufflera toujours?
Eh bien, s'il en est aiiisi, vous devez attribuer
également ce caractère temporaire à la loi. (Très
bien ! très bien !)..
La loi de coercition en Irlande, les lois contre le
parti socialiste en Allemagne avaient un caractère
provisoire.
Quand elles arrivaient à échéance, il fallait les
renouveler. Nous vous demandons de procéder de
même.
Nous vous demandons de dire que vous n'en-
tendez pas dès demain, après que cette épidé-
mie aura cessé, appliquer la loi à des adversaires
politiques.
Sur ce dernier point, M. Dupuy a alors es-
sayé de donner de ces explications comme lui
seul sait en fournir — des explications qui
n'expliquent rien. Puis., comprenant peut-être
qu'il pataugeait, il a usé du seul procédé qu'il
connaisse, il a eu recours une fois de plus à
cette uttima ratio de la question de cabinet :
-! 31. le président da conseil. — Nous avons
affirmé sur notre honneur quo nous ne poursui-
vons que l'ànarchic, et pour mieux le prouver,
nous avons accepté un amendement qui détermi-
nait d'une façon très précise le but de la loi.
Contré qui ferions-nous donc cette loi ?
M. UHlerand, — Contre les socialistes dont
vous aVez cité les journaux à la tribune.(Très bien !
très bien ! à gauche. — Bruit.)
Mi le président de conseil. — J'ai dit et je
répote que, s'il y en avait parmi nous qui fussent
incapables de tracer une ligne de démarcation entre
l'anarchie etux, c'était leur affaire. (Applaudisse-
ments. Bruit à l'extrême gauche.) Moi, je no de-
mande qu'à la voir ; tracez-la, nous la reconnaî-
trons. (Bruit à l'extrême gaucho.)
M. Rouanet. -Il fallait la faire hier.
If. le président. -:Mo. Rouanet, je vous rap-
pUe à l'ordre.
M. le président du conseil. — Je vous de-
mande de ne pas détruire d'avance l'efficacité de la
loi, et si vous en limitez la durée, c'est un autre
qui l'appliquera. (Bruit à gauche.)
Je dis à la majorité républicaine : donner et re-
tenir ne vaut (Bruit à l'extrême gauche) ; vous nous
avez donné la loi, donnez-la tout entière ou bien,
je le répète, c'est un autre gouvernement qui se
chargera de l'appliquer.
Malgré les derniers efforts de M. Nacruet et
de quelques autres encore, le principe de la
limitation a été condamné par 380 voix con-
tre 230.
PROPOSITIONS DIVERSES
Cette 'fois, c'était fini, et l'opposition avait
perdu sa dernière bataille. Quelques isolés
ont encore tiré des coups de fusil inutiles.
C'est ainsi que M. Goujat a terminé la séance
du matin en demandant la suspension de la
loi pendant les périodes électorales. M. Gou-
jat n'a eu pour lui que 148 voix contre 318.
La première partie de la séance de l'après-
midi a encore été consacrée à de semblables
exercices. M. Rouanet n'a pas eu plus de suc-
cès que M. Goujat en réclamant-la suspension
de la loi pendant les périodes des vacances
des Chambres, et M. Coûtant n'a pas mieux
réussi que M. Rouanet en tâchant d'obtenir,
en un langage parfois pittoresque, que les
candidats aux élections de toutes sortes,
même à celles pour les conseils de prud'hom-
mes, fussent à l'abri des atteintes de cette loi
nouvelle.
Puis s'est présenté M. Michelin, chevau-
chant son éternel dada du referendum. Il
voulait faire soumettre la loi contre les anar-
chistes à la ratification populaire. 367 voix
contre 92 ont enterré cet amendement sous la
question préalable. Enfin, il y a euune mo-
tion de MM. Paschal Grousset et Camille Pel-
letan en faveur du retrait de l'urgence et cette
motion a réuni 191 voix contre 296.
DÉCLARATIONS ET PROTESTATIONS
FINALES
L'heure du vote sur l'ensemble avait sonné.
Mais auparavant devaient venir les déclara-
tions qui se produisent toujours à ce moment
quand il s'agit de lois importantes. De ces
déclarations, la principale a été celle de M.
Henry Maret, qui a apporté « au nom de la
presse, de la République et de la liberté »
une suprême protestation contre la loi :
M. Henry Maret. — Vous avez fait appel aux
électeurs et dit que nous ne pouvions pas nous re-
présenter devant eux sans avoir fait une loi pour
mettre fin à l'anarchie.
Je ne sais pas ce que pensent vos électeurs, mon-
sieur le président du conseil; mais je sais ce que
pensent les miens. Et je connais beaucoup d'autres
républicains en France qui ne sont pas si terro-
risés que cela par le péril anarchiste. (Bruit.)
Ils savent, par l'expérience des siècles, qu'il y a
toujours eu des faits de ce genre, mais que ces
faits disparaîtront avec beaucoup de propagande
morale.
Un grand nombre d'entre eux ont une autre pré-
occupation.
Ils s'aperçoivent qu'un vent de réaction souffle,
qu'il se fait une propagande contre tout ce qui a
défendu la République dans ce pays.
Non seulement dans nos provinces l'administra-
tion se livre à un combat qui rappelle les luttes du
16 Mai. ;
Alors qu'aux dernières élections il s'était établi
dans le parti républicain une 'totente pour accom-
plir un programme de réformes, nous voilà aujour-
d'hui divisés, et nous voyous les adversaires de
nos institutions faire cause commune avec une
fraction des républicains. (Très bien ! très bien ! à
gauche. )
M. le comte de Bernis. — Pas du tout !
M. Henry Maret. — Nous nous trouvons exclus
de la majorité républicaine, et le pays se demande
en faveur de quel césar inconnu on prépare avec
tant de soin le lit de la dictature ! (Très bien 1 très
bien ! à gauche.) , , ¡,
Quand nous allons nous représenter devafet nos
électeurs, ils nous demanderont : « Qu'avez-vous
fait? Depuis un an que vous siégez, quelles ré-
formes avez-vous accomplies Y iy .(Très bien 1 très
bien 1)
M. Jean Codet. — Nous leur répondrons que
les interpellations continues ont arreté toutes les
réformes. (Très bien ! très bien au centre. — Inter-
ruptions à gauche.)
M. Henry Maret. — Nos électeurs nous diront :
c Quel pas avez-vous fait pour l'avenir, comment
avez-vous réalisé la démocratie dans ce pays,
comment avez-vous interprété la grande pensée
républicaine, qu'avez-vous fait de la liberté, de
l'égalité, de la fraternité? (Très bien! très bienl)
Qu'avez-vous fait en faveur des malheureux et des
déshérités? »
M le président du conseil. — Nous avons
assuré la sécurité publique.
M. Philippoteaux est venu répondre, au
nom du centre,qu'il fallait extirper avant tout
le fléau de l'anarchie. Et puis, c'a été le défilé
ordinaire des députés prenant la parole pour
expliquer leurs votes.
Le premier a été M. de Baudry d'Asson
qu'un malaise passager a obligé de quitter la
tribune. MM. Gendre, Gauthier (de Clagny),
Isambert, Chapuis, Denys cocIitn, Paschal
Grousset, Castelin, etc., ont ensuite dit suc-
cessivement qu'ils voteraient contre la loi.
LE VOTE FINAL
L'ensemble de cette loi a alors été mis aux
voix par scrutin public à la tribune et finale-
ment adopté par 269 voix contre 163 sur 432
votants. La Chambre comptant 581 députés,
on voit si les abstentions ont été nombreuses !
Le garde des sceaux a pu, à six heures, dé-
poser la loi sur le bureau du Sénat, qui at-
tendait impatiemment. L'urgence a été dècla-
rée et, la séance ayant été levée, on a nommé
la commission dans les bureaux.Aujourd'hui,
sans doute, les sénateurs pourront discuter et
voter.
Quant à la Chambre, elle siégera samedi, à
trois heures. Les auteurs du projet sur les
raisins sers ont vivement insisté pour que
cette séance de samedi, qui paraît devoir être
la dernière, leur fût consacrée. Mais s'ils n'ont
pas reçu hier un refus formel, il ne semble
pourtant pas qu'ils doivent conserver grand
espoir.
La séance se levait, quand M. Montant a
déposé une demande de crédit d'un million
pour la création d'une police spéciale contre
les anarchistes. Il réclamait l'urgence, mais
la question a été renvoyée à la prochaine
séance.
L'IM EMËM ENTJÂU RÊS
Six voix de majorité
L'amendement Jaurès n'a pas été repoussé
à 42 voix de majorité, comme les chiffre pro-
clamés à la séance de mercredi l'avaient fait
croire, mais à six voix de majorité, comme
l'indique le détail du scrutin publié au Jour-
nal officiel, sauf cependant deux rectifica-
tions, ce qui réduit la majorité à quatre voix.
En effet, les chiffres rectifiés sont : 2:23 pour,
229 contre.
• La minorité est composée de 186 républi-
cains de toutes nuances et de 37 députés de
droite, dont 26 monarchistes libéraux et 11
rallias.
Ui Majorité se décompose ainsi : 170 dépu-
tés du centre, 29 députés appartenant au cen-
tre gauche, 23 réactionnaires et 7 membres du
cabinet, MM. Charles Dupuy, Barthou, Del-
cassé, Félix Faure, Georges Leygues, Viger et
Poincaré.
Les 29 députés centre-gauche sont MM.
Alicot, Amodru, Aynard, Berger, de Berne-
Lagarde, Bischoffsheim, Edmond Blanc,
René Brice, Charles-Roux, Charmes, Clausel
deCoussergues, Demarçay, Deschanel, Drake,
Jules Gaillard, Jonnart, de Kerjégu Rouzaud,
Krantz,de Montebello, Lebaudy, Marmottan,
Philippoteaux, Récipon, Joseph Reinach, de
Rémusat, Ribot, Léon Say et Trélat.
Les 23 réactionnaires sont MM. d'Alsace,
d'Arenberg, Desjardins, du Bodan, Firino,
baron Gérard, Jaluzot, de Kergariou, de la
Ferronays, Levis-Mirepoix, Loriot, de Mac-
kau, de Moustiers, Louis Passy, Paulmier,
baron Reille, André Reille, Rose, Bourlon de
TîmivrA. Arrriflnrv-Simon. Sonnerv-Martin. de
Wignacourt et de Witt.
Dans ce scrutin, il y a eu 71 abstentions,
ce qui est un chiffre considérable.
Les abstentionnistes appartiennent : 39 au
centre, 16 au parti radicale et 15 au parti
réactionnaire.
M. Rouvier s'est abstenu.
Les 39 députés du centre sont : MM. Ba-
baud-Lacroze, Bansard des Bois, Bastid,
Bourcy, Bozérian, Carquet, Castillard, Chan-
telauze, Coget, Constant, Darlan, David, De-
fumade, Delanne, Denis, Descubes, Dunaime,
Flourens, Gaussorgues, Guillemin, Herbet,
Isambert, Laville, Levecque, de Mahy, Mar-
tinon, Moroux, Noël, Papelier, Philipon, Pierre
Legrand, Pontallié, Ragot, Saint-Germain,
Signard, Thiphaine, Trannoy, Vallé et Vo-
geli.
Les i6 radicaux sont MM. Boudeville, Léon
Bourgeois, Charronat, Deproge, de Douville-
Maillefeu, Dron, Dujardin-Beaumetz, Dupuy-
Dutemps, Guieysse, Guillemet, Jourdan (Lo-
zère), Legludic, Henry Maret, Pochon, Pour-
query de Boisserin et Henry Ricard.
Les 15 droitiers sont : MM. Arnous, Balsan,
Bougère, de Colbert-Laplace, S. Gavini, A.
Gavini, Gellibert des Seguins, d'Hulst. de la
Bourdonnaye, de Maillé, de Montfort, de
Mun, de Pontbriand, Schneider et de Vogué.
Enfin 55 députés étaient en congé : 36 répu-
blicains, 19 réactionnaires,
Une enquête
Sur la demande de M. Millerand, la Cham-
bre a décidé d'ouvrir une enquête sur lés mo-
difications qu'a subies le scrutin depuis sa
proclamation en séance jusqu'à son insertion
au Journal officiel.
Le bureau s'est réuni hier soir. Il a nommé
une sous-commission qui est composée de
MM. Locluoy, vice-président, Calvinhac, Pli-
chon et André Lebon, secrétaires.
Le résultat de l'enquête sera communiqué
samedi à la Chambre.
DUEL CLEMENCEAU-DESCHANEL
A la suite du discours prononcé avant-hier
par M. Deschanel, M. Clemenceau a publié
hier matin, dans la Justice, l'article suivant:
A un menteur
n jeune drôle, du nom de Paul Deschanel, s'est
permis de baver sur moi hier à la Chambre. Je
n'ai pas sous les yeux le compte rendu officiel de
la séance, mais je ne puis attendre plus longtemps
pour lui dire qu'il s'est conduit comme un lâche et
qu'il a effrontement menti.
Ce polisson, qui procède par basses insinua-
tions, profère à l'égard de la Justice des alléga-
tions qu'il sait mensongères, comme en témoignent
les livres du journal que j'ai offert de montrer.
Ce n'est pas tout. Il a mis en cause la politique
extérieure que j'ai suivie pendant vingt ans avec
l'approbation de tout mon parti, et il a honteuse-
ment insinué que je servais un intérêt étranger.
Pour proférer une pareille accusation quand on
la sait mensongère, il faut être, comme M. Descha-
nel, le dernier des misérables.
Il a osé répondre à M. Pelletan qu'il m'avait dit
ces choses en face. Où ? Quand ? Devant qui ?
M. Paul Deschanel est un lâche.
M. Paul Deschanel a menti!
G. CLEMENCEAU.
M. Deschanel a envoyé au rédacteur en chef
de la Justice ses témoins, MM. Cavaignac et
Chaudey, députés.
M. Clemenceau a désigné, pour le représen-
ter, M. Ranc, sénateur, et M. Mathé, député.
Les témoins se sont réunis hier après midi
pour régler les conditions de la rencontre, qui
a été reconnue inévitable. Elle aura lieu au-
jourd'hui. ,'.
L'arme choisie est l'épée de combat. >
MORT D'UN PRINCE
Vienne, 26 juillet.
Le prince Henri IV de Reuss-Schleiz-Kœstritz,
né en 1821, est mort, hier, à Ernstbrunn, dans ta
basse Autriche. Il était général de la cavalerie
prussienne à la suite de l'armée. Il avait épousé,
en 1854, la princesse Louise de Reuss-Greiz, veuve
du duc Edouard de Saxe-Altenbourg, dont il a eu
trois enfants. L'aîné, le prince Henri XXIV, né en
1855, lui succède.
LA GUILLOTINE A ROUEN
Une dépêche nous aaaonce que M. Deibler es
arrivé à Rouen où il va exécuter Gamelm, cont
damné à mort pour avoir violé "t assassiné la pe-
ite Marthe Denberpré, âgée de sept fins.
LA GRÈVE DE CHICAGO
-- Chicago, 26 juillet.
Le procès de M. Debs et de lies amis reviendra
de nouveau au mois de septembre.
Les prévenus ont été remis en liberté sou eau-
tion de 7,000 dollars chacoa.
Meunier en Cour à' Assisos
TRAVAUX FORCËS A PERPETUITE
L'attentat de la caSGrne Lobau. — Vei&
plosion du restaurant Véry. — Un
procès mené à fond de train. —
Exhibitions macabres. — Con-
frontations à l'audience.
Pourquoi cotte justice précipitée? Le procès
de l'anarchiste Meunier, auteur présumé des
attentats du restaurant Véry et de la caserne
Lobau, était inscrit au rôle des assises pour
les deux journées du jeudi 26 et vendredi 27
juillet. Mais hier, dès l'ouverture de l'au-
dience, le président, M. le conseiller Berr,
chauffant à outrance la chaudière de Thémis,
brûlait les stations, et, à six heures et demie
du soir, après une unique suspension de dix
minutes, le magistrat annonçait une audience
de nuit.
Le défenseur, Me Desplas, a protesté, Invo-
quant la fatigue ressentie, son état personnel
de santé. Le siège de M. le conseiller Berr
était fait.
— La cour a éprouvé autant de fatigue que
la défense, a-t-il répondu. Et s'adressant aux,
jurés : « A huit heures, messieurs », a-t-il
ajouté.
C'est sous cette impression de hàte impré-
vue que nous commençons le compte rendu
d'une affaire qui est en somme fort délicate. ;
D'anarchie il n'a été soufflé mot, et ce n'est"
pas le procès du compagnon Meunier qui jus-
tifiera les dispositions restrictives de la loi de ■
demain. Mais une affaire est toujours délicate
quand une accusation capitale repose non sur
des preuves matérielles, mais sur un faisceau.
plus @ ou moins serré, de témoignages, les uns,
sincères, les autres suspects ou intéressés.
Meunier qui, physiquement, n'est qu'un (
bossu raté, a-t-il, comme le soutient la jus-
tice, la véritable bosse de la destruction ? Qui
l'accuse? Uniquement les époux Bricou dont
les déclarations, il est vrai. sont corroborées
par une série de menus faits établis de façon
certaine, mais que Meunier prétend concerner
un tout autre personnage que lui-même.
Son système de défense ne consiste pas à
nier ces faits dès lors Indifférents : il consiste
à soutenir que la femme Bricou qui, depuis
nombre d'années, lui aurait voué la haine la
plus violente, le charge pour obéir à un seiir
timent de vengeance.
Le débat d'hier a ramené les noms de tous
ceux, qui « héros », ou plus tristement victi-
mes des premiers attentats anarchistes, sont
restés dans la mémoire de tous.
Pour raviver l'horreur produite par ces at-
tentats anciens, il semble qu'on ait inten-
tionnellement accumulé sous les yeux des
jurés les preuves de leurs horribles dégâts. La
table des pièces à conviction offre un mon-
ceau de débris de fer et de bois, de vêtements
laeérès, de chaussures déchirées provenant
du théâtre de l'explosion du boulevard Ma-
genta, un bocaL cylindrique, renfermant, bai-
gnant dans l'alcool, la jambe amputée du
malheureux restaurateur Véry. L'exhibition.
répugnante et inutile de cette pièce anatomi-
que a été faite pendant la déposition du doc-
teur Brouardel, sous les yeux de la veuve qui
figurait parmi les témoins. Les photographies
de cadavres ont été prodiguées. C'était vrai-
ment la vraie cour d'assises de province, avec
ses effets outrés de mauvais « mélo ».
A LA QUESTION
Meunier est âgé de trente-quatre ans ; U
est né dans le département de la Vendée. De
son état menuisier, il s'est fixé à Paris vers
1886. Il passait pour un ouvrier habile, tra-
vailleur même, mais enclin aux discussions
politiques violentes, interrompant le travail
dans l'atelier pour développer ses théories
contre le capital et les patrons, bref un anar-
chiste.
— Ce n'est pas là l'affaire, dit l'accusé au prési-
dent. Il s'agit des explosions; je suis ici pour
l'explosion de la caserne Lobau d..abord..,
— Nous y viendrons, dit le magistrat.
— Je vous répondrai, réplique Meunier.
Et c'est ainsi que l'interrogatoire s'engage.
Meunier laissant parler le président qui ne se.
ménage pas, répondant d'une voix un peu
grêle, quelque peu « vinaigrée », et ne ména-
geant pas les dénégations aussi brèves que
catégoriques.
Pour commettre des attentats avec de la
dynamite il faut en posséder, et M. le con-
seiller Berr, qui va vite mais clairement,
soyons juste, commence par établir comment,
d'après l'accusation, Meunier s'est trouvé pos-
sesseur de « tout ce qu'il faut pour construire
une bombe anarchiste ».
Le vol de cartouches de dynamite commis à
Soisy-sous-Etiolles, en vue de venger les com-
pagnons condamnés pour l'attentat manqué
qui avait été dirigé contre le commissariat de
police de Levallois, inet aux mains de Rava-
chol et de compagnons moindres un lot im-
portant de dynamite.
C'est la part de Drouet dans ce lot qui va:
d'après l'accusation, passer aux mains dé
Meunier.
Ce dernier proteste :
— Je n'ai, dit-il, connu ni Ravachol, ni Drouet,
— Drouet avait placé la dynamite dans la malle
de son fils, mais sa femme, effrayée, l'engagea à
s'en débarrasser, et la dangereuse provision est
confiée à des amis, les époux Bouyer, priés de
conserver en dépôt un amas de vieux livres. Mais
un hasard leur fait découvrir la nature du dépôt
et Drouet est sommé de l'enlever. Un compagnon
du nom de -Lécuyer désigne comme dépositaire
possible Bricou, que vous connaissiez bien, et
c'est la femme de celui-ci qui s'en fut avec Drouet
retirer le sac. Mais Bricou, à son tour, ne voulut
pas le conserver, et c'est vous, alors, qui avez em-
porté finalement le sac.
Vous avez porte les cartouches rue de Bretagne
où vous logiez sous le nom de Bouillon. Votre lo-
geuse vous a vu monter dans votre chambre ua
sac volumineux, et, poussée par la curiosité, a es-
sayé de voir le lendemain ce qu'il contenait. Mais
il avait disparu, et l'accusation vous dira que ce
sont ces cartouches que vous êtes allé cacher sous
le pont de Flandre.
— Si j ai porté un sac, c'était un sac d'outils de
menuisier, et si Bricou a parlé de ce sac, c'est qu'il
y avait un intérêt personnel. --
— Mais Bricou n'a parlé que contraint et forcé.
En vous accusant, d'ailleurs, il s'est accusé lui-
même.
On savait qu'il avait reçu la dynamite des main.
de Drouet. Il fallait, qu'il expliquât ce qu'elle était
devenue. C'est alors qu'il a parlé de la cachette du
pont de Flandre et qu'il a imaginé mon Interven-
tion. Notez qu'il avait commencé par déclarer que
c'est lui qui l'avait cachée, avant de dire que c'était
moi.
— Quelques jours après, à une heure du matin,
dans la nuit du 14 au 15 mars, on tentait de faire
sauter la caserne Lobau. Or, à deux heures, voui
vous présentiez chez Bricou ; vous lui demandai
asile et vous racontez l'attentat en exprimant La
regret qu'aucun « de ces vaches de gardes républi-
cains n'ait été atteint ».
- Ce sont des expressions de Mme Bricou.
- Le lendemain, le garçon de votre hôtel vous
a plaisanté sur cette sortie nocturne qu'il attrù
bu&it à une équipée amoureuse.
— C'est Bricou qui a dit cela. Mais la logeuss
a reconnu, eue je n'habttais plus rue de Bretagne.
ce moment
— Vous avex, frappant chez Bricou, crié :
« Fernand, Fernand, je viens coucher 1 It Ikico.
l'a déclaré, et une colocataire déclare avoir en*
tefidu se propos.
- Je érois qu'on interprète mal sa déposition.
- Le président onlM oonÉLaimame aux juré;
LE NUMÉRO CINQ CENTIMES
SAMEDI 2S JUILLET 1894
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Victoire à la Pyrrhus
Comme nous l'avions prévu, la Cham-
bre en a fini hier avec la loi de répres
sion. Le gouvernement a obtenu gain
de cause sur tous les points, et au vote
sur l'ensemble il a obtenu 268 voix, tan-
dis que l'opposition n'en réunissait que
163. Il ne faudrait cependant pas triom-
pher de ce résultat, et la victoire que le
ministère a remportée grâce au con-
cours de la droite et des ralliés peut, à
juste titre, être considérée comme une
victoire à la Pyrrhus.
Une première remarque à faire, c'est
que la question ministérielle et la
crainte d'ouvrir une crise à la fin de la
session, à la veille des vacances, a do-
miné d'une façon générale tous le dé-
bat. Dans sa déclaration de lundi der-
nier, M. Dupuy avait annoncé à la
Chambre qu'il n'accepterait aucune
modification du texte qu'il présen-
tait. C'était à prendre ou à laisser
a en bloc », et si de cet édifice si
habilement construit, si élégamment
combiné, aux lignes si pures, de ce
chef-d'œuvre législatif, on s'avisait de
toucher un morceau, de déplacer un
fragment, son amour-propre d'auteur
souffrirait une telle atteinte qu'il quit-
terait la place plutôt que de se faire le
complice d'une mutilation aussi sa-
crilège.
Malgré cela, les majorités que les
dispositions de la loi ont réunies ont été
plus d'une fois bien faibles, et même
dans le vote sur l'amendement Jaurès,
si l'on prend les chiffres rectifiés tels
que l'Officiel les a publiés hier matin,
si l'on tient compte en plus des rectifi-
cations faites à la tribune dans la séance
d'hier, on voit que la majorité n'a été
que de trois ou quatre voix. Comme les
sept ministres députés ont pris part au
scrutin, il en résulte qu'il n'y a pas eu
en réalité de majorité pour le gouver-
nement dans cette circonstance, et si
les résultats du scrutin avaient été pro-
clamés en séance tels qu'ils figurent au
compte rendu, le cabinet aurait été con-
traint de se retirer. :.
Comment la faible majorité de qua-
rante-deux voix proclamée en séance
s'est elle fondue, à la vérification par la
questure, pendant que la minorité aug-
mentait d'une voix ? Il y a là un petit
problème que l'enquête résoudra sans
doute et sur lequel nous aurons peut-
être à revenir. Mais on conviendra que,
même en tenant pour exacts les chiffres
primitifs, la majorité de quarante-deux
voix était bien modeste.
Mais il y a eu une autre question sur
laquelle le gouvernement a fait une
déclaration spéciale, à l'occasion de la-
quelle M. Dupuy a souligné le carac-
tère du vote qu'il réclamait de la
Chambre : c'est sur la limitation de
la durée de la loi. M. Dupuy a senti
qu'il était nécessaire de rompre le si-
lence dans lequel il s'était prudem-
ment renfermé depuis quelques jours
et il a terminé ses observations en di-
sant que si la Chambre ne votait la loi
que pour une, période limitée, ce serait
un autre gouvernement qui se char-
gera de l'appliquer.
La question ministérielle était bien
clairement posée. Malgré le désir géné-
ral d'en finir au plus vite avec la loi,
malgré la crainte que certains pouvaient
éprouver de retarder la clôture de la
session par une crise ministérielle, le
gouvernement n'a eu que cinquante voix
de majorité. Encore faut-il tenir compte
des modifications que la vérification ap-
portera à ce chiffre, comme aussi des
sept voix de ministres députés. La ma-
jorité réelle, après ces diverses rectifi-
cations, n'atteindra certainement pas
quarante voix, parmi lesquelles figu-
rent, naturellement, des voix de droite.
Il ne faut donc pas se méprendre sur
la situation que fait au cabinet le vote de
la loi. La victoire qu'il vient de rempor-
ter n'est qu'une victoire apparente et,
en réalité, il sort de cette longue discus-
sion affaibli autant par le rôle effacé
auquel il s'est résigné, par le soin avec
lequel il a décliné toutes les discussions,
que par l'incohérence de ses décisions
et par la faiblesse numérique de la ma-
jorité qui a accepté la loi, si impar-
faite, si inefficace et si dangereuse
qu'elle pût être, pour se donner à
elle-même l'apparence d'avoir « fait quel-
que chose » pour la répression d'atten-
tats que le pays est unanime à déclarer
abominables.
Le cabinet a sa loi et il va s'empres-
ser d'envoyer le Parlement en vacances ;
mais il a donné la mesure de son in-
suffisance et il a amassé d'autre part
contre lui, même parmi ceux qui l'ont
soutenu, de bien fortes rancunes, et il
peut être sûr qu'à la première occasion
propice il en sentira le poids.
LA
LOI CONTRE LES ANARCHISTES
AU SÉNAT
Le Sénat, qui a reçu à cinq heures et demie
le texte de la loi « contre les anarchistes »
que venait de voter la Chambre, s'est réuni
immédiatement dans ses bureaux pour nom-
mer une commission.
Ont été élus : MM. Trarieux, Demôle, Bar-
doux, Bernard-Lavergne, Merlin, Milliard,
Baduel, Morellet, de Marcère.
La commission s'est réunie immédiate-
ment ; elle a élu M. Bernard-Lavergne pré-
sident et a désigné M. Trarieux comme rap-
porteur.
Les commissaires élus ont exposé qu'ils ac-
ceptaient de voter la loi ; mais ils ont exprimé
des réserves tant au point de vue de sa rédac-
tion que de son caractère anti-juridique.
M. Guérin, ministre de la justice, a été in-
vité à venir s'expliquer.
M. Trarieux lui a posé la question sui-
vante : « Dans la pensée du gouvernement,
l'article 2 de la loi, tel qu'il est rédigé, pu-
nit-il une conversation, une simple parole, un
chant, etc., etc. ? »
M. Guérin a répondu non.
La commission a ensuite chargé M. Tra-
rieux d'inscrire dans son rapport la déclara-
tion du ministre de la justice et de dire
qu'une conversation privée, d'après les termes
précis de la loi, ne tombe sous son application
qu'à la condition qu'elle ait été proférée dans
le but d'inciter à un crime.
M. Trarieux constatera aussi qu'en votant
la loi, la commission agit dans un but poli-
tique et qu'elle ne peut la refuser à un gou-
vernement qui dit qu'il en a besoin.
Le rapport sera rédigé aujourd'hui ; il sera
lu à la commission, puis déposé dès l'ouver-
ture de la séance.
Si aucune opposition n'y est faite, le débat
s'engagera aussitôt.
M. Charles Floquet s'est fait inscrire pour
combattre la loi de répression.
MORT DE M. FÉLIX GRELOT
M. Félix Grelot, secrétaire général de la
préfecture de la Seine, a succombé hier soir,
à l'âge de cinquante-trois ans, aux suites d'une
bronchite pulmonaire et après une cruelle
maladie qui durait depuis près de deux mois.
M. Félix Grelot était natif de la Gironde et
ancien avocat à la cour d'appel de JParis ;
après avoir fait ses premières armes dans le
journalisme, il entra dans l'administration
en 1878, comme sous-préfet de Romorantin,
et passa ensuite à Dreux et à Montluçon; fut
nommé secrétaire général des préfectures de
la Loire et de la Gironde, et enfin en 1890
préfet du Cantal.
Promu chevalier de la Légion d'honneur
dans le courant de la même année, le gouver-
nement l'appelait, il y a deux ans, pour lui
confier les importantes fonctions de secrétaire
général de la préfecture de la Seine aux côtés
de M. Poubelle.
Pendant le cours de sa carrière politique et
plus particulièrement à la préfecture de la
Seine, M. Grelot avait su se concilier de nom-
breuses et hautes sympathies par son amé-
nité, sa haute compétence administrative et
la droiture de son caractère.
Il laisse de nombreux ouvrages littéraires
et administratifs, parmi lesquels nous devons
citer une Etude sur les chefs-d'œuvre de
Montesquieu, des Essais sur les bibliographes
des X VIIIe et XIxe siècles, des études dans
la Revue juridique et enfin un Commentaire
sur l'organisation municipale qui fait auto-
rité en la matière.
UN PETIT KRACH
F)es plaintes avaient été déposées auparquet,
en abus de confiance, contre un financier, M.
Frugerolles, demeurant, 51, rue de la Chaus-
sée-d'Antin, financier qui avait constitué une
soelété au capital de 1,500,000 francs, seu-
lement avec 150,000 francs apportés en ac-
tions de 500 francs ; cette société avait pour
titre la « La Banque d'épargne nationale » et
avait été surtout fondée pour écouler les titres
de la société.
La même maison avait créé une caisse de
dividendes mensuels, ce qui permettait d'é-
tablir entre les souscripteurs une participa-
tion sur les opérations et une répartition sur
les rapports de celles-ci, évalués à 62 0[0 par
an.
Naturellement il y eut des hauts et des
bas et le financier demanda une liquidation
judiciaire.
Les clients qui avaient touché de gros divi-
dendes finirent par se plaindre et finalement
le parquet chargea M. Bernard, commissaire
aux délégations judiciaires, d'une enquête
qui a motivé la saisie des livres de compta-
bilité et la nomination de M. Pasques comme
juge d'instruction et de M. Blanc comme
expert.
LE CURAGE DE LA BIÈVRE
MM. les ingénieurs de la ville de Paris ont
fini par s'apercevoir de la malpropreté exces-
sive des eaux de la Bièvre. Ils viennent donc
de décider le curage de la petite rivière chère
aux tanneurs.
La Bièvre et ses affluents seront curés de-
puis la limite du département de la Seine
jusqu'au pied du glacis des fortifications de
Paris. La dépense qu'entraînera ce travail est
évaluée à dix mille francs.
MORT D'UN SÉNATEUR
IW docteur Charles Moinet, sénateur républicain
de la Charente-Inférieure, médecin consultant à
Cauterets, est mort presque subitement hier matin,
à Cauterets, à l'âge de cinquante-huit ans.
Médecin de la marine militaire, il fut à l'âge de
vingt-six ans, pendant la campagne du Mexique,
décoré de la Légion d'honneur.
H fut élu sénateur de la Charente-Inférieure lors
d'une élection partielle en 1891. Au renouvellement
de 1891 il avait été réélu.
Au Sénat il s'est particulièrement occupé des
questions maritimes et coloniales, et le 10 mai der-
nier il a interépellé le gouvernement sur l'organisa-
tion de l'armée eoloaïalo.. 1
,- -
CONTRE L'ANARCHIE
LE VOTE DE LA .LOI
Neuvième et dernière journée.- A propos
du scrutin sur l'amendement Jaurès. —
La question de la limitation.— Les
dernières protestations. — Le
vote d'ensemble
La loj contre les menées anarchistes a été
enfin terminée hier vers les six heures du
soir.
La Chambre a accordé au gouvernement le
projet qu'il lui avait présenté. Ce résultat
était absolument prévu depuis plusieurs jours
et la journée dernière de ce débat, qui fut si
long et si animé, n'a pas été féconde en inci-
dents palpitants.
On peut dire que c'est à la séance de la
veille, à cette séance qui mit aux prises M.
Jaurès et M. Rouvier, qu'avait été tiré le bou-
quet du feu d'artifice.
Ce bouquet de mercredi nous a été rappelé
hier par un dernier pétard. Mais laissons le
langage de la pyrotechnie, pour conter cot
incident qui a son intérêt.
Nous signalions, à la fin de notre précédent
compte rendu, la faible majorité de quarante-
deux voix qui avait repoussé l'amendement
de M. Jaurès contre les hommes publics con-
vaincus de tripotages. Or, comme nous le fai-
sions. prévoir, cette majorité déjà si mince
avait terriblement fondu au Journal officiel.
Elle n'était plus que de cinq ou six voix !
C'est ce que vint faire remarquer, au début
de la séance d'hier matin, M. Jaurès, parlant
sur le procès-verbal :
M. Jaurès. — La Chambre a dû être frappée
des graves modifications de chiffres enregistrées
dans l'Officiel de ce matin à propos de ce même
scrutin.
C'est à une majorité fictive de 42 voix que notre
amendement avait été repoussé hier ; et ce matin,
après les rectifications de l'Officiel et celle que
vous venez d'entendre, cette majorité n'est déjà
plus que de 5 voix.
Je tiens à consister que ce n'est pas le chiffre des
bulletins blans qui a varié, mais celui des bulle-
tins bleus déposas par nos adversaires.
Il y a eu de la part de la majorité qui repoussait
notre amendement une prodigalité, une effusion de
bulletins bleus qui montre que, devant l'impor-
tance qu elle attachait à ce vote, elle n'a pas été ar-
rêtée par certains scrupules parlementaires.
Ce fait change devant le pays la signification du
vote, surtout si l'on considère que six ministres
ont voté. Et ce sont ces six ministres qui, après
avoir répudié certaines solidarités, les ont procla-
mées hier par leur vote.
M. le comte de Bernis. — La République
aussi a été constituée à une yoix de majorité.
M. le président. — La vérification du scrutin
a, en effet, révèlé que la majorité n'avait été que
de six voix. Cette erreur ne peut résulter et ne
résulte visiblement que du dépôt, en assez grand
nombre, de bulletins bleus doubles.
Il aurait fallu un pointage immédiat pour éviter
i erreur. Vous remarquerez, en tout cas, que le
sens du vote n'est pas altéré par cette différence de
chiffre.
Cette dernière constatation de M. Burdeau
a même cessé d'être exacte peut-être, si l'on
songe que plusieurs députés sont venus hier
à la tribune rectifier leurs votes. C'est ainsi
que MM. Boudeville, Charonnat et Flourens,
portés comme s'étant abstenus, ont déclaré
avoir voté pour l'amendement. M. d'Hulst a
dit de son côté que s'il n'avait été forcé de
s'absenter, il aurait également voté pour. Seul
M. Constant, porté comme abstentionniste, a
déclaré avoir voté contre.
Toujours est-il qu'au début de l'après-midi
M. Millerand, parlant à son tour sur le pro-
cès-verbal, est venu insister de nouveau sur
cette affaire dont la gravité est certaine:
M. Millerand. — Je demande à la Chambre la
permission de déposer un projet de résolution ainsi
conçu : « La Chambre invite le bureau à ouvrir
une enquête sur les conditions dans lesquelles a
été dépouillé le scrutin sur l'amendement Jaurès,
et à lui en faire un rapport. » (Applaudissements à
gauche. )
La Chambre connait les faits.
Il nous parait contraire à son intérêt et à sa di-
gnité qu'un vote aussi important puisse, du soir
au matin, subir une pareille transformation.
Il est utile pour tout le monde de savoir dans
quelles conditions elle s'est opérée.
Nous ne pensons pas rencontrer d'opposition de
la part de MM. les secrétaires et nous espérons
que la Chambre sera unanime à voter notre pro-
position. (Très bien ! très bien.)
M. Jean Plichon. — Au nom de mes collègues
secrétaires de la Chambre et au mien, j'appuie
cette proposition. Loin de repousser l'enquête,
nous la demandons.
Nous savons qu'aucun de nos collègues ne peut
nous soupçonner d'une fraude ; mais l'enquête
pourra démontrer à. beaucoup d'entre nous les in-
convénients du vote par procuration, qui amène des
excès de zèle, c'est-à-dire le doublement des bulle-
tins et quelquefois, après le scrutin, des change-
ments de conscience. Je suis, en ce qui me con-
cerne, à la disposition de la Chambre. (Très bien 1
très bien!)
M. Camille Krantz. — Je m'associe aux con-
clusions de M. Millerand. J'ai voté contre l'amen-
dement de M. Jaurès, et je n'ai pas été étonné que
264 de mes collègues aient voté dans ce sens,
mais que ce nombre se soit trouvé ensuite réduit
à 229.
Je demande quant à moi l'enquête, afin qu'on
sache les noms de ceux de nos collègues qui ont
changé leur vote après le scrutin. (Applaudisse-
ments.)
L'enquête réclamée par M. Millerand a été
ordonnée par 510 voix contre 2. Nous verrons
quels seront les résultats de cette enquête —
si toutefois elle en donne 1 -'"
LES AMENDEMENTS LIMITATIFS
Ils nous reste à noter maintenant les der-
niers épisodes de la discussion du projet. Les
articles de ce projet étaient votés, mais il res-
tait, on le sait, une queue de dispositions
additionnelles. Les principales, au nombre de
quatre ou cinq, tendaient à limiter la durée
de l'application de la loi. Les délais proposés
variaient, mais le principe était le même dans
ces divers amendements et c'est ce principe
de la limitation qu'on a décidé de discuter
tout d'abord.
M. Boissy-d'Anglas a dit des choses très
justes en faveur de cette limitation et le garde
des sceaux lui a objecté les arguments prévus:
M. le garde des sceaux. — Je dis que la li-
mitation est inutile. Ai-je besoin de démontrer, en
effet, que le droit du Parlement reste entier, que
demain, dans six mois, dans un an, il vous appar-
tient de modifier ou d'abroger la loi, si vous la
trouvez défectueuse?
N'avez-vous pas enfin la responsabilité ministé-
rielle, l'initiative parlementaire, le droit d'interpel-
lation ?
M. Millerand. — Le bon billet !
M. le garde des sceaux. — Le droit de limi-
tation est entre vos mains ; vous pouvez abroger la
loi quand vous voudrez.
Je dis en second lieu que les amendements, si
vous les votiez, auraient pour résultat d'infirmer
par avance la loi et en rendraient l'application
impossible.
Imaginez un individu condamné à une peine su-
périeure à la durée qui aurait été fixée à la loi.
Quelle sera la situation ?
Pourriez-vous garder en prison cet homme con-
damné pour des faits qui auraient cessé d'être pu-
nissables? (Interruptions à gauche.)
Mais voyez les objections très topiques que
M. Doumer est venu apporter à ce raisonne-
ment : -
M. Doumer. — Vous avesr dit dans votre loi,
Vous avez proclaméici a plusieurs reprises, que
vous visiez seulement les anarchistes ; il vous reste
à nous le prouver en disant par votre vote que la
durée de la loï sera limitée.
Vous n'entendez pas dire que l'anarchie est l'état
permanent de notre pays ? (Applaudissements à
gauche.)
Vous ne pènsez pas que cet état doive durer
éternellement ; que ce vent de folie, qui a soumé
s in- quelques cervelles soufflera toujours?
Eh bien, s'il en est aiiisi, vous devez attribuer
également ce caractère temporaire à la loi. (Très
bien ! très bien !)..
La loi de coercition en Irlande, les lois contre le
parti socialiste en Allemagne avaient un caractère
provisoire.
Quand elles arrivaient à échéance, il fallait les
renouveler. Nous vous demandons de procéder de
même.
Nous vous demandons de dire que vous n'en-
tendez pas dès demain, après que cette épidé-
mie aura cessé, appliquer la loi à des adversaires
politiques.
Sur ce dernier point, M. Dupuy a alors es-
sayé de donner de ces explications comme lui
seul sait en fournir — des explications qui
n'expliquent rien. Puis., comprenant peut-être
qu'il pataugeait, il a usé du seul procédé qu'il
connaisse, il a eu recours une fois de plus à
cette uttima ratio de la question de cabinet :
-! 31. le président da conseil. — Nous avons
affirmé sur notre honneur quo nous ne poursui-
vons que l'ànarchic, et pour mieux le prouver,
nous avons accepté un amendement qui détermi-
nait d'une façon très précise le but de la loi.
Contré qui ferions-nous donc cette loi ?
M. UHlerand, — Contre les socialistes dont
vous aVez cité les journaux à la tribune.(Très bien !
très bien ! à gauche. — Bruit.)
Mi le président de conseil. — J'ai dit et je
répote que, s'il y en avait parmi nous qui fussent
incapables de tracer une ligne de démarcation entre
l'anarchie etux, c'était leur affaire. (Applaudisse-
ments. Bruit à l'extrême gauche.) Moi, je no de-
mande qu'à la voir ; tracez-la, nous la reconnaî-
trons. (Bruit à l'extrême gaucho.)
M. Rouanet. -Il fallait la faire hier.
If. le président. -:Mo. Rouanet, je vous rap-
pUe à l'ordre.
M. le président du conseil. — Je vous de-
mande de ne pas détruire d'avance l'efficacité de la
loi, et si vous en limitez la durée, c'est un autre
qui l'appliquera. (Bruit à gauche.)
Je dis à la majorité républicaine : donner et re-
tenir ne vaut (Bruit à l'extrême gauche) ; vous nous
avez donné la loi, donnez-la tout entière ou bien,
je le répète, c'est un autre gouvernement qui se
chargera de l'appliquer.
Malgré les derniers efforts de M. Nacruet et
de quelques autres encore, le principe de la
limitation a été condamné par 380 voix con-
tre 230.
PROPOSITIONS DIVERSES
Cette 'fois, c'était fini, et l'opposition avait
perdu sa dernière bataille. Quelques isolés
ont encore tiré des coups de fusil inutiles.
C'est ainsi que M. Goujat a terminé la séance
du matin en demandant la suspension de la
loi pendant les périodes électorales. M. Gou-
jat n'a eu pour lui que 148 voix contre 318.
La première partie de la séance de l'après-
midi a encore été consacrée à de semblables
exercices. M. Rouanet n'a pas eu plus de suc-
cès que M. Goujat en réclamant-la suspension
de la loi pendant les périodes des vacances
des Chambres, et M. Coûtant n'a pas mieux
réussi que M. Rouanet en tâchant d'obtenir,
en un langage parfois pittoresque, que les
candidats aux élections de toutes sortes,
même à celles pour les conseils de prud'hom-
mes, fussent à l'abri des atteintes de cette loi
nouvelle.
Puis s'est présenté M. Michelin, chevau-
chant son éternel dada du referendum. Il
voulait faire soumettre la loi contre les anar-
chistes à la ratification populaire. 367 voix
contre 92 ont enterré cet amendement sous la
question préalable. Enfin, il y a euune mo-
tion de MM. Paschal Grousset et Camille Pel-
letan en faveur du retrait de l'urgence et cette
motion a réuni 191 voix contre 296.
DÉCLARATIONS ET PROTESTATIONS
FINALES
L'heure du vote sur l'ensemble avait sonné.
Mais auparavant devaient venir les déclara-
tions qui se produisent toujours à ce moment
quand il s'agit de lois importantes. De ces
déclarations, la principale a été celle de M.
Henry Maret, qui a apporté « au nom de la
presse, de la République et de la liberté »
une suprême protestation contre la loi :
M. Henry Maret. — Vous avez fait appel aux
électeurs et dit que nous ne pouvions pas nous re-
présenter devant eux sans avoir fait une loi pour
mettre fin à l'anarchie.
Je ne sais pas ce que pensent vos électeurs, mon-
sieur le président du conseil; mais je sais ce que
pensent les miens. Et je connais beaucoup d'autres
républicains en France qui ne sont pas si terro-
risés que cela par le péril anarchiste. (Bruit.)
Ils savent, par l'expérience des siècles, qu'il y a
toujours eu des faits de ce genre, mais que ces
faits disparaîtront avec beaucoup de propagande
morale.
Un grand nombre d'entre eux ont une autre pré-
occupation.
Ils s'aperçoivent qu'un vent de réaction souffle,
qu'il se fait une propagande contre tout ce qui a
défendu la République dans ce pays.
Non seulement dans nos provinces l'administra-
tion se livre à un combat qui rappelle les luttes du
16 Mai. ;
Alors qu'aux dernières élections il s'était établi
dans le parti républicain une 'totente pour accom-
plir un programme de réformes, nous voilà aujour-
d'hui divisés, et nous voyous les adversaires de
nos institutions faire cause commune avec une
fraction des républicains. (Très bien ! très bien ! à
gauche. )
M. le comte de Bernis. — Pas du tout !
M. Henry Maret. — Nous nous trouvons exclus
de la majorité républicaine, et le pays se demande
en faveur de quel césar inconnu on prépare avec
tant de soin le lit de la dictature ! (Très bien 1 très
bien ! à gauche.) , , ¡,
Quand nous allons nous représenter devafet nos
électeurs, ils nous demanderont : « Qu'avez-vous
fait? Depuis un an que vous siégez, quelles ré-
formes avez-vous accomplies Y iy .(Très bien 1 très
bien 1)
M. Jean Codet. — Nous leur répondrons que
les interpellations continues ont arreté toutes les
réformes. (Très bien ! très bien au centre. — Inter-
ruptions à gauche.)
M. Henry Maret. — Nos électeurs nous diront :
c Quel pas avez-vous fait pour l'avenir, comment
avez-vous réalisé la démocratie dans ce pays,
comment avez-vous interprété la grande pensée
républicaine, qu'avez-vous fait de la liberté, de
l'égalité, de la fraternité? (Très bien! très bienl)
Qu'avez-vous fait en faveur des malheureux et des
déshérités? »
M le président du conseil. — Nous avons
assuré la sécurité publique.
M. Philippoteaux est venu répondre, au
nom du centre,qu'il fallait extirper avant tout
le fléau de l'anarchie. Et puis, c'a été le défilé
ordinaire des députés prenant la parole pour
expliquer leurs votes.
Le premier a été M. de Baudry d'Asson
qu'un malaise passager a obligé de quitter la
tribune. MM. Gendre, Gauthier (de Clagny),
Isambert, Chapuis, Denys cocIitn, Paschal
Grousset, Castelin, etc., ont ensuite dit suc-
cessivement qu'ils voteraient contre la loi.
LE VOTE FINAL
L'ensemble de cette loi a alors été mis aux
voix par scrutin public à la tribune et finale-
ment adopté par 269 voix contre 163 sur 432
votants. La Chambre comptant 581 députés,
on voit si les abstentions ont été nombreuses !
Le garde des sceaux a pu, à six heures, dé-
poser la loi sur le bureau du Sénat, qui at-
tendait impatiemment. L'urgence a été dècla-
rée et, la séance ayant été levée, on a nommé
la commission dans les bureaux.Aujourd'hui,
sans doute, les sénateurs pourront discuter et
voter.
Quant à la Chambre, elle siégera samedi, à
trois heures. Les auteurs du projet sur les
raisins sers ont vivement insisté pour que
cette séance de samedi, qui paraît devoir être
la dernière, leur fût consacrée. Mais s'ils n'ont
pas reçu hier un refus formel, il ne semble
pourtant pas qu'ils doivent conserver grand
espoir.
La séance se levait, quand M. Montant a
déposé une demande de crédit d'un million
pour la création d'une police spéciale contre
les anarchistes. Il réclamait l'urgence, mais
la question a été renvoyée à la prochaine
séance.
L'IM EMËM ENTJÂU RÊS
Six voix de majorité
L'amendement Jaurès n'a pas été repoussé
à 42 voix de majorité, comme les chiffre pro-
clamés à la séance de mercredi l'avaient fait
croire, mais à six voix de majorité, comme
l'indique le détail du scrutin publié au Jour-
nal officiel, sauf cependant deux rectifica-
tions, ce qui réduit la majorité à quatre voix.
En effet, les chiffres rectifiés sont : 2:23 pour,
229 contre.
• La minorité est composée de 186 républi-
cains de toutes nuances et de 37 députés de
droite, dont 26 monarchistes libéraux et 11
rallias.
Ui Majorité se décompose ainsi : 170 dépu-
tés du centre, 29 députés appartenant au cen-
tre gauche, 23 réactionnaires et 7 membres du
cabinet, MM. Charles Dupuy, Barthou, Del-
cassé, Félix Faure, Georges Leygues, Viger et
Poincaré.
Les 29 députés centre-gauche sont MM.
Alicot, Amodru, Aynard, Berger, de Berne-
Lagarde, Bischoffsheim, Edmond Blanc,
René Brice, Charles-Roux, Charmes, Clausel
deCoussergues, Demarçay, Deschanel, Drake,
Jules Gaillard, Jonnart, de Kerjégu Rouzaud,
Krantz,de Montebello, Lebaudy, Marmottan,
Philippoteaux, Récipon, Joseph Reinach, de
Rémusat, Ribot, Léon Say et Trélat.
Les 23 réactionnaires sont MM. d'Alsace,
d'Arenberg, Desjardins, du Bodan, Firino,
baron Gérard, Jaluzot, de Kergariou, de la
Ferronays, Levis-Mirepoix, Loriot, de Mac-
kau, de Moustiers, Louis Passy, Paulmier,
baron Reille, André Reille, Rose, Bourlon de
TîmivrA. Arrriflnrv-Simon. Sonnerv-Martin. de
Wignacourt et de Witt.
Dans ce scrutin, il y a eu 71 abstentions,
ce qui est un chiffre considérable.
Les abstentionnistes appartiennent : 39 au
centre, 16 au parti radicale et 15 au parti
réactionnaire.
M. Rouvier s'est abstenu.
Les 39 députés du centre sont : MM. Ba-
baud-Lacroze, Bansard des Bois, Bastid,
Bourcy, Bozérian, Carquet, Castillard, Chan-
telauze, Coget, Constant, Darlan, David, De-
fumade, Delanne, Denis, Descubes, Dunaime,
Flourens, Gaussorgues, Guillemin, Herbet,
Isambert, Laville, Levecque, de Mahy, Mar-
tinon, Moroux, Noël, Papelier, Philipon, Pierre
Legrand, Pontallié, Ragot, Saint-Germain,
Signard, Thiphaine, Trannoy, Vallé et Vo-
geli.
Les i6 radicaux sont MM. Boudeville, Léon
Bourgeois, Charronat, Deproge, de Douville-
Maillefeu, Dron, Dujardin-Beaumetz, Dupuy-
Dutemps, Guieysse, Guillemet, Jourdan (Lo-
zère), Legludic, Henry Maret, Pochon, Pour-
query de Boisserin et Henry Ricard.
Les 15 droitiers sont : MM. Arnous, Balsan,
Bougère, de Colbert-Laplace, S. Gavini, A.
Gavini, Gellibert des Seguins, d'Hulst. de la
Bourdonnaye, de Maillé, de Montfort, de
Mun, de Pontbriand, Schneider et de Vogué.
Enfin 55 députés étaient en congé : 36 répu-
blicains, 19 réactionnaires,
Une enquête
Sur la demande de M. Millerand, la Cham-
bre a décidé d'ouvrir une enquête sur lés mo-
difications qu'a subies le scrutin depuis sa
proclamation en séance jusqu'à son insertion
au Journal officiel.
Le bureau s'est réuni hier soir. Il a nommé
une sous-commission qui est composée de
MM. Locluoy, vice-président, Calvinhac, Pli-
chon et André Lebon, secrétaires.
Le résultat de l'enquête sera communiqué
samedi à la Chambre.
DUEL CLEMENCEAU-DESCHANEL
A la suite du discours prononcé avant-hier
par M. Deschanel, M. Clemenceau a publié
hier matin, dans la Justice, l'article suivant:
A un menteur
n jeune drôle, du nom de Paul Deschanel, s'est
permis de baver sur moi hier à la Chambre. Je
n'ai pas sous les yeux le compte rendu officiel de
la séance, mais je ne puis attendre plus longtemps
pour lui dire qu'il s'est conduit comme un lâche et
qu'il a effrontement menti.
Ce polisson, qui procède par basses insinua-
tions, profère à l'égard de la Justice des alléga-
tions qu'il sait mensongères, comme en témoignent
les livres du journal que j'ai offert de montrer.
Ce n'est pas tout. Il a mis en cause la politique
extérieure que j'ai suivie pendant vingt ans avec
l'approbation de tout mon parti, et il a honteuse-
ment insinué que je servais un intérêt étranger.
Pour proférer une pareille accusation quand on
la sait mensongère, il faut être, comme M. Descha-
nel, le dernier des misérables.
Il a osé répondre à M. Pelletan qu'il m'avait dit
ces choses en face. Où ? Quand ? Devant qui ?
M. Paul Deschanel est un lâche.
M. Paul Deschanel a menti!
G. CLEMENCEAU.
M. Deschanel a envoyé au rédacteur en chef
de la Justice ses témoins, MM. Cavaignac et
Chaudey, députés.
M. Clemenceau a désigné, pour le représen-
ter, M. Ranc, sénateur, et M. Mathé, député.
Les témoins se sont réunis hier après midi
pour régler les conditions de la rencontre, qui
a été reconnue inévitable. Elle aura lieu au-
jourd'hui. ,'.
L'arme choisie est l'épée de combat. >
MORT D'UN PRINCE
Vienne, 26 juillet.
Le prince Henri IV de Reuss-Schleiz-Kœstritz,
né en 1821, est mort, hier, à Ernstbrunn, dans ta
basse Autriche. Il était général de la cavalerie
prussienne à la suite de l'armée. Il avait épousé,
en 1854, la princesse Louise de Reuss-Greiz, veuve
du duc Edouard de Saxe-Altenbourg, dont il a eu
trois enfants. L'aîné, le prince Henri XXIV, né en
1855, lui succède.
LA GUILLOTINE A ROUEN
Une dépêche nous aaaonce que M. Deibler es
arrivé à Rouen où il va exécuter Gamelm, cont
damné à mort pour avoir violé "t assassiné la pe-
ite Marthe Denberpré, âgée de sept fins.
LA GRÈVE DE CHICAGO
-- Chicago, 26 juillet.
Le procès de M. Debs et de lies amis reviendra
de nouveau au mois de septembre.
Les prévenus ont été remis en liberté sou eau-
tion de 7,000 dollars chacoa.
Meunier en Cour à' Assisos
TRAVAUX FORCËS A PERPETUITE
L'attentat de la caSGrne Lobau. — Vei&
plosion du restaurant Véry. — Un
procès mené à fond de train. —
Exhibitions macabres. — Con-
frontations à l'audience.
Pourquoi cotte justice précipitée? Le procès
de l'anarchiste Meunier, auteur présumé des
attentats du restaurant Véry et de la caserne
Lobau, était inscrit au rôle des assises pour
les deux journées du jeudi 26 et vendredi 27
juillet. Mais hier, dès l'ouverture de l'au-
dience, le président, M. le conseiller Berr,
chauffant à outrance la chaudière de Thémis,
brûlait les stations, et, à six heures et demie
du soir, après une unique suspension de dix
minutes, le magistrat annonçait une audience
de nuit.
Le défenseur, Me Desplas, a protesté, Invo-
quant la fatigue ressentie, son état personnel
de santé. Le siège de M. le conseiller Berr
était fait.
— La cour a éprouvé autant de fatigue que
la défense, a-t-il répondu. Et s'adressant aux,
jurés : « A huit heures, messieurs », a-t-il
ajouté.
C'est sous cette impression de hàte impré-
vue que nous commençons le compte rendu
d'une affaire qui est en somme fort délicate. ;
D'anarchie il n'a été soufflé mot, et ce n'est"
pas le procès du compagnon Meunier qui jus-
tifiera les dispositions restrictives de la loi de ■
demain. Mais une affaire est toujours délicate
quand une accusation capitale repose non sur
des preuves matérielles, mais sur un faisceau.
plus @ ou moins serré, de témoignages, les uns,
sincères, les autres suspects ou intéressés.
Meunier qui, physiquement, n'est qu'un (
bossu raté, a-t-il, comme le soutient la jus-
tice, la véritable bosse de la destruction ? Qui
l'accuse? Uniquement les époux Bricou dont
les déclarations, il est vrai. sont corroborées
par une série de menus faits établis de façon
certaine, mais que Meunier prétend concerner
un tout autre personnage que lui-même.
Son système de défense ne consiste pas à
nier ces faits dès lors Indifférents : il consiste
à soutenir que la femme Bricou qui, depuis
nombre d'années, lui aurait voué la haine la
plus violente, le charge pour obéir à un seiir
timent de vengeance.
Le débat d'hier a ramené les noms de tous
ceux, qui « héros », ou plus tristement victi-
mes des premiers attentats anarchistes, sont
restés dans la mémoire de tous.
Pour raviver l'horreur produite par ces at-
tentats anciens, il semble qu'on ait inten-
tionnellement accumulé sous les yeux des
jurés les preuves de leurs horribles dégâts. La
table des pièces à conviction offre un mon-
ceau de débris de fer et de bois, de vêtements
laeérès, de chaussures déchirées provenant
du théâtre de l'explosion du boulevard Ma-
genta, un bocaL cylindrique, renfermant, bai-
gnant dans l'alcool, la jambe amputée du
malheureux restaurateur Véry. L'exhibition.
répugnante et inutile de cette pièce anatomi-
que a été faite pendant la déposition du doc-
teur Brouardel, sous les yeux de la veuve qui
figurait parmi les témoins. Les photographies
de cadavres ont été prodiguées. C'était vrai-
ment la vraie cour d'assises de province, avec
ses effets outrés de mauvais « mélo ».
A LA QUESTION
Meunier est âgé de trente-quatre ans ; U
est né dans le département de la Vendée. De
son état menuisier, il s'est fixé à Paris vers
1886. Il passait pour un ouvrier habile, tra-
vailleur même, mais enclin aux discussions
politiques violentes, interrompant le travail
dans l'atelier pour développer ses théories
contre le capital et les patrons, bref un anar-
chiste.
— Ce n'est pas là l'affaire, dit l'accusé au prési-
dent. Il s'agit des explosions; je suis ici pour
l'explosion de la caserne Lobau d..abord..,
— Nous y viendrons, dit le magistrat.
— Je vous répondrai, réplique Meunier.
Et c'est ainsi que l'interrogatoire s'engage.
Meunier laissant parler le président qui ne se.
ménage pas, répondant d'une voix un peu
grêle, quelque peu « vinaigrée », et ne ména-
geant pas les dénégations aussi brèves que
catégoriques.
Pour commettre des attentats avec de la
dynamite il faut en posséder, et M. le con-
seiller Berr, qui va vite mais clairement,
soyons juste, commence par établir comment,
d'après l'accusation, Meunier s'est trouvé pos-
sesseur de « tout ce qu'il faut pour construire
une bombe anarchiste ».
Le vol de cartouches de dynamite commis à
Soisy-sous-Etiolles, en vue de venger les com-
pagnons condamnés pour l'attentat manqué
qui avait été dirigé contre le commissariat de
police de Levallois, inet aux mains de Rava-
chol et de compagnons moindres un lot im-
portant de dynamite.
C'est la part de Drouet dans ce lot qui va:
d'après l'accusation, passer aux mains dé
Meunier.
Ce dernier proteste :
— Je n'ai, dit-il, connu ni Ravachol, ni Drouet,
— Drouet avait placé la dynamite dans la malle
de son fils, mais sa femme, effrayée, l'engagea à
s'en débarrasser, et la dangereuse provision est
confiée à des amis, les époux Bouyer, priés de
conserver en dépôt un amas de vieux livres. Mais
un hasard leur fait découvrir la nature du dépôt
et Drouet est sommé de l'enlever. Un compagnon
du nom de -Lécuyer désigne comme dépositaire
possible Bricou, que vous connaissiez bien, et
c'est la femme de celui-ci qui s'en fut avec Drouet
retirer le sac. Mais Bricou, à son tour, ne voulut
pas le conserver, et c'est vous, alors, qui avez em-
porté finalement le sac.
Vous avez porte les cartouches rue de Bretagne
où vous logiez sous le nom de Bouillon. Votre lo-
geuse vous a vu monter dans votre chambre ua
sac volumineux, et, poussée par la curiosité, a es-
sayé de voir le lendemain ce qu'il contenait. Mais
il avait disparu, et l'accusation vous dira que ce
sont ces cartouches que vous êtes allé cacher sous
le pont de Flandre.
— Si j ai porté un sac, c'était un sac d'outils de
menuisier, et si Bricou a parlé de ce sac, c'est qu'il
y avait un intérêt personnel. --
— Mais Bricou n'a parlé que contraint et forcé.
En vous accusant, d'ailleurs, il s'est accusé lui-
même.
On savait qu'il avait reçu la dynamite des main.
de Drouet. Il fallait, qu'il expliquât ce qu'elle était
devenue. C'est alors qu'il a parlé de la cachette du
pont de Flandre et qu'il a imaginé mon Interven-
tion. Notez qu'il avait commencé par déclarer que
c'est lui qui l'avait cachée, avant de dire que c'était
moi.
— Quelques jours après, à une heure du matin,
dans la nuit du 14 au 15 mars, on tentait de faire
sauter la caserne Lobau. Or, à deux heures, voui
vous présentiez chez Bricou ; vous lui demandai
asile et vous racontez l'attentat en exprimant La
regret qu'aucun « de ces vaches de gardes républi-
cains n'ait été atteint ».
- Ce sont des expressions de Mme Bricou.
- Le lendemain, le garçon de votre hôtel vous
a plaisanté sur cette sortie nocturne qu'il attrù
bu&it à une équipée amoureuse.
— C'est Bricou qui a dit cela. Mais la logeuss
a reconnu, eue je n'habttais plus rue de Bretagne.
ce moment
— Vous avex, frappant chez Bricou, crié :
« Fernand, Fernand, je viens coucher 1 It Ikico.
l'a déclaré, et une colocataire déclare avoir en*
tefidu se propos.
- Je érois qu'on interprète mal sa déposition.
- Le président onlM oonÉLaimame aux juré;
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