Titre : Le XIXe siècle : journal quotidien politique et littéraire / directeur-rédacteur en chef : Gustave Chadeuil
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1894-07-27
Contributeur : Chadeuil, Gustave (1821-1896). Directeur de publication
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Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
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Description : 27 juillet 1894 27 juillet 1894
Description : 1894/07/27 (A24,N8229). 1894/07/27 (A24,N8229).
Droits : Consultable en ligne
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Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-199
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 24/04/2013
VINGT-QUATRIÈME ANNÉE. — N° 8,229
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LE NUMÉRO CINO HENTÎMISS
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ESSAI LOYAL
La loi dite de répression contre les
menées anarchistes est votée, en ce sens
que les cinq articles dus à la collabora-
tion du gouvernement et de la commis-
sion ont été adoptés hier matin. Mais la
discussion continue sur un nombre con-
sidérable d'articles additionnels. Consi-
dérée dans son ensemble, cette discus-
sion aura été un modèle de décousu. Il
y a été question de tout, c'est une sorte
d'encyclopédie. ,;
Les problèmes de droit constitutionnel
y ont été abordés avec ceux de philoso-
phie; on y a discuté les doctrines so-
cialistes, et enfin, dans la séance d'hier
soir, on en est venu à parler, en ter-
mes fort éloquents du reste, de la coterie
politico-financière qui s'est introduite
dans la République, des scandales du
Panama. M. Rouvier a été amené à
s'expliquer sur les vieux griefs por-
tés contre lui ; M. Deschanel a re-
proché aux socialistes les paroles et les
actes qui jettent le trouble dans les es-
prits, et, comme conclusion, on a rejeté
l'article additionnel à une très faible
majorité sur lequel s'était produit tout
2e débat. '* i."
Les autres articles additionnels ont
subi ou subiront le même sort. La ma-
jorité a clairement montré qu'elle ne
foulait rien entendre et qu'elle était dé-
terminée à ne pas tenir compte même
les observations les plus justes et des
iri tiques les plus fondées. S'il est un
point îur lequel ce parti pris a apparu
ivec évidence, c'est bien à propos de la
publication des comptes - rendus des
procès anarchistes. Les journaux fran-
çais ne pourront pas les donner; mais,
omme les journaux étrangers ne s'en
priveront pas, le garde des sceaux a
imaginé de poursuivre les colporteurs
lui les vendront et le préstdent du con-
jeil a ajouté qu'il arrêterait ces jour-
naux à la frontière..
Si c'est sur ces mesures-là que
l'on compte pour empêcher la propaga-
tion de l'anarchie, c'est une preuve de
jandeur que nous n'aurions pas attendue
l'un homme qui, comme M. Dupuy,
prétendait l'autre jour dans une phrase
supprimée d'ailleurs au Journal offi-
ciel qu'il n'a plus aucune illusion.
Nous n'avons pas celle de croire que
la loi aura une efficacité quelconque.
Nous nous sommes très nettement ex-
primés à cet égard dès le premier mo-
ment, et ce ne sont pas les explications
du président du conseil ou du ministre
de la justice qui ont pu modifier notre
sentiment. Il se trouve, au contraire,
confirmé par ceux même de nos con-
frères qui ont soutenu le gouvernement
et qui ont insisté pour le vote de la loi.
Tous reconnaissent à la fois que la loi
est mal faite et qu'elle ne peut avoir au-
cune utilité.
Pour le Journal des Débats, la loi qui
sortira de ces délibérations confuses ne
sera certes pas un chef-d'œuvre de
clarté, de logique et de cohérence ; ce
ne sera pas le dernier mot de la science
législative. Le Temps lui-même déclare
que nul ne saurait considérer cette loi
comme parfaite : « Le projet hâtivement
élaboré à la suite des circonstances qui
le motivaient, se ressentait de cette im-
provisation et, parmi les modifications
qu'il a déjà subies, il en est qui n'ajou-
tent guère à sa logique et à sa clarté. »
Tous deux essayent de persuader à la
Chambre d'achever au plus vite son
œuvre sans plus se préoccuper de ses
qualités et disent qu'on pourra y reve-
nir à des heures plus propices, que l'i-
nitiative parlementaire comme celle du
gouvernement pourront s'exercer pour
faire disparaître les inconvénients que
l'usage aura démontrés. Il ne s'agit,
pour le Temps, que d'une sorte « d'es-
sai loyal ». C'est véritablement plaider
les circonstances atténuantes pour une
œuvre sur la valeur de laquelle on ne
peut avoir aucun doute. :-j
Quels que soient les amendements
que l'on y introduise plus tard, on ne
fera jamais que cette loi ait une utilité
et devienne le « chef-d'œuvre législatif »
qu'elle n'est pas à l'heure actuelle. Il
n'y aura jamais qu'un moyen de faire
disparaître les inconvénients qui écla-
tent aux yeux dès maintenant et que
« l'essai loyal » rendra plus saillants
encore : ce sera de la déchirer.
Mais s'il faut compter pour cela sur
de nouvelles discussions et sur l'initia-
tive du gouvernement, il se pourrait
que cette solution fût lente à venir. Cela
paraît toujours une chose énorme, pour
certains esprits, de toucher à une loi
existante, même lorsque dans la pensée
de tous cette loi n'a eu qu'un caractère
transitoire, lorsqu'elle a été faite en vue
de circonstances déterminées et qui ne
peuvent avoir qu'une durée très courte.
L'histoire de la sentinelle devant le banc
fraîchement peint peut trouver bien des
applications législatives et ce n'est pas
d'hier qu'on a constaté à quel point il
était difficile de se débarrasser du provi-
soire. - - ji. n
Or si jamais loi a eu un caractère
provisoire, c'est assurément celle dont la
Chambre achève la discussion. Dès le
premier moment, ce caractère provi-
soire a été si bien reconnu, que même
ceux qui se résignaient à voter la loi
cherchaient une transaction entre ce
qu'ils considéraient comme une néces-
sité politique et leurs sentiments inti-
mes, et proposaient d'en limiter par
avance à une période déterminée l'ap-
plication. On ne voit pas quelle raison
pourrait s'opposer à cette limitation de
« l'essai loyal ».
S'il réussit, rien n'empêchera la
Chambre et le gouvernement de renou-
veler le bail à son expiration. Mais si,
comme nous en avons la certitude, il
tourne mal, ou si les circonstances qui
ont servi de prétexte à la loi viennent
à se modifier,la loi tombera d'elle-même.
Nous voulons espérer que la Chambre
comprendra qu'il est de son propre in-
térêt que cette loi ne prenne pas une
place définitive dans nos codes et que,
ayant fait sa manifestation contre l'anar-
chie, elle donnera, par la limitation,
une satisfaction compensatrice au bon
sens.
LA CUISTRERLE DE FALSTAFF
On se rappelle avec quelle véhémence M.
Dupuy a renié l'autre jour les hommes politi-
ques qui ont eu ou qui ont des rapports « avec
les banques, avec les monopoles, avec les
chemins de fer, avec les affaires, avec les en-
treprises où on s'enrichit ».
M. Jaurès avait assez malicieusement con-
clu de ces étonnantes déclarations que « tout
membre du Parlement ayant fait partie de
sociétés financières véreuses devait être
considéré comme ayant provoqué aux actes
de propagande anarchiste. »
On remarquera que, dans la circonstance,
M. Jaurès était infiniment plus sage et plus
modéré que M. Dupuy. Son amendement, en
effet, ne s'appliquait qu'aux sociétés véreuses
ou ayant mal tourné, tandis que M. Dupuy,
lui, n'y regardait pas de si près : il répudiait
toutes les affaires, surtout — et n'est-ce pas
du Falstaff tout pur? — « celles où on s'enri-
chit ». La phrase est à l'Officiel.
M. Rouvier était un de ceux sur lesquels
s'étaient portés tous les regards quand M.
Dnpuy avait fait sa déclaration. Pris directe-
ment à partie hier par M. Jaurès, il est monté
à la tribune et a prononcé un discours qui, si
on v regarde de près, n'est évidemment pas
d'une argumentation bien solide.
Il a demandé, par exemple, si les arrêts de
justice ne suffisaient plus maintenant à sau-
vegarder l'honneur des citoyens. On lui a ré-
pondu : Et Wilson ? On aurait pu avec plus
de raison lui répondre en lui citant le cas de
M. Baïhaut, qui tout concussionnaire qu'il
était déjà, et malgré les bruits enregis-
trés par la presse, avait obtenu, d'une
part, un arrêt de la cour de Vesoul
attestant son honorabilité et, d'autre part,
une lettre alors rendue publique de M. Casi-
mir-Perier, aujourd'hui président de la Répu-
blique, qui le déclarait sur son honneur
l'homme le plus honnête et le plus estimable
de France.
Les arrêts de justice et même les certificats
délivrés par les futurs présidents de Répu-
blique ne sont donc pas toujours une preuve,
pas plus que les verdicts électoraux égale-
ment invoqués par M. Rouvier. Les électeurs
n'ont-ils pas rendu un verdict de ce genre en
faveur de M. Wilson? N'en avaient-ils pas
rendu un autre précédemment en faveur de
Mary-Raynaud ?
En disant qu'il avait été absous par le corps
électoral, de même qu'en parlant à sa ma-
nière de la Compagnie auxiliaire des chemins
de fer qu'il n'a pas craint de présenter comme
une entreprise patriotique et en comparant sa
conduite à celle de Richelieu, M. Rouvier a
vraiment par trop tiré la corde.
Mais il a tout de même été applaudi. On lui
a su gré de son courage, de sa crfmerie, qui
ressemblaient si peu à l'attitude piteuse et
louche des membres du gouvernement dans
toute cette discussion.
Le contraste a paru d'autant plus saisis-
sant que M. Dupuy qui, l'autre jour, après le
discours de M. Miilerand, s'était empressé de
renier toute solidarité avec M. Rouvier et les
autres membres de la majorité qui se trou-
vent dans le même cas que lui, n'a pas mis
hier moins d'empressement à affirmer sa soli-
darité avec les mêmes personnages en applau-
dissant à tout rompre M. Rouvier.
On a eu ainsi une nouvelle preuve de la cuis-
trerie de Falstaff.
L'AMENDEMENT JAURÈS
L'amendement de M. Jaurès qui considérait
« comme ayant provoqué aux actes de propagande
anarchiste tous les hommes publics, ministres, sé-
nateurs, députés qui auront trafiqué de leur man-
dat, touché des pots-de-vin » n'a été repoussé que
par 264 voix contre 222, soit à une majorité de 42
voix. En attendant que nous puissions faire la dé-
composition des voix, le scrutin ne devant être
publié que ce matin, il convient de remarquer que
60 députés environ se sont abstenus.
EXPLOSION D'UNE LOCOMOTIVE
:. New-York, 25 juillet.
Une locomotive a fait explosion à Tucuman. Il
t y a eu huit tués et de nombreux blessés. ,
CONTRE L'ANARCHIE
HUITIÈME JOURNÉE
DE DISCUSSION A LA CHAMBRE
Vote des derniers articles. — L'amende-
ment Jaurès. — La politique et la
finance. — Vifs incidents. —
M. Rouvier et le Panama
On a employé la séance du matin et les
deux premières heures de la séance du soir à
repousser, au milieu d'un calme qu'aucun
incident sérieux n'a troublé, tout le lot d'a-
mendements ou articles additionnels qui res-
taient encore sur les derniers articles du
projet du gouvernement. ;
Rien à dire de ces amendements, qu'ont exé-
cutés des majorités qui, presque toujours les
mêmes, oscillaient entre cent cinquante et
deux cents voix. Seul, M. Viviani a, pour sa
part, défendu quatre de ces amendements.
Quant aux auteurs dès autres, c'étaient MM.
Alphonse Humbert, Millerand, Carnaud, Cal-
vinhac, Thierry Cazes, Sembat, etc. On le
voit, dans les débats de ce genre, il en a va
un peu comme à la guerre: ce sont .toujours
les mêmes qui se font tuer !
Nous regrettons de ne pouvoir insister sur
ces divers efforts vainement tentés en vue
d'arracher quelques garanties, quelques dis-
positions un peu libérales, à un gouverne-
ment, à une commission, à une majorité qui,
de parti pris, ne voulaient plus rien entendre.
Mais le débat si passionné qui a rempli la
fin de la séance nous oblige à passer très vite
sur tout ce qui était venu auparavant.
H nous suffira donc de constater que les ar-
ticles 5 et 6, qui sont les derniers du projet,
sont maintenant votés et qu'il ne reste plus à
statuer que sur diverses dispositions addi-
tionnelles dont les principales sont celles qui
tendent à limiter le temps pendant lequel
cette loi contre les menées anarchistes pour-
rait être appliquée. Il est donc à prévoir, en
cet état, que nous verrons aujourd'hui la fin
de cette lutte homérique à laquelle ont été
consacrées déjà huit interminables journées.
LE DISCOURS DE M. JAURÈS
Cela dit, venons-en au grand débat d'hier,
à celui qu'a provoqué ce fameux amendement
de M. Jaurès dont nous avons parlé déjà,
mais dont il importe cependant de rappeler le
texte, que voici :
Seront considérés comme ayant provoqué aux
actes de propagande anarchiste tous les hommes
publics, ministres, sénateurs, députés, qui auront
trafiqué de leur mandat, touché des pots-de-vin et
participé à des affaires financières véreuses, soit
en figurant dans les conseils d'administration de
sociétés condamnées en justice, soit en prônant
lesdites affaires par la presse ou par la parole de-
vant une ou plusieurs personnes.
Ce qui devait sortir d'un tel amendement,
on l'a deviné par avance. Mais on peut dire
que l'événement a, à cet égard, dépassé tou-
tes les prévisions. Nous avons eu, en effet,
une de ces scènes qui nous a rappelé les
plus chaudes journées de la période boulan-
giste et de la phase panamiste.
Pourtant M. Jaurès s'est — à une exception
près — interdit les personnalités directes. La
première partie de son discours, où il a ex-
posé sa thèse avec l'éloquence abondante et
imagée qu'on lui connaît, avait donc passé
sans trop d'encombre.
Tout de suite, l'orateur met le président du
conseil en une posture vraiment fâcheuse à
l'aide d'un argument qui — il nous sera bien
permis de le constater — a été tout d'abord
produit par le XIXe Siècle :
M. Jaurès. — Si j'avais eu quelque hésitation à
soulever ce débat, elle aurait disparu devant les
paroles qu'a prononcées ici, l'autre jour, M. le pré-
sident du conseil.
J'imagine que M. le président du conseil a com-
pris la portée du langage qu'il tenait en répudiant
certaines solidarités, que ses paroles auraient un
lendemain, qu'on n'a pas le droit do s'en tenir à
des mots, qu'il faut une sanction efficace. (Applau-
dissements à l'extrême-gauche.)
Oui, l'autre jour, en venant dénoncer ici le régime
politico-financier de ces quinze dernières années,
Millerand a pu dire que cette loi semblait faite pour
assurer à ce régime le silence et l'ombre.'
Que lui a répondu M. le président du conseil ?
11 n'a pas pu s'inscrire en faux contre cette affir-
mation, ni même dire que mieux valait ne pas rou-
vrir ces débats.
Il s'est borné à déclarer que cela ne l'atteignait
pas, qu'il était étranger à ces scandales.
Et cela équivalait à dire :
Quelques-uns des hommes qui soutiennent ma
politique, qui défendent dans la presse la loi que
je propose, qui au Parlement même m'aident à
repousser les réformes fiscales, ces hommes, je les
renie, je les désapprouve !
Et nous avons eu ce spectacle inouï d'un chef de
gouvernement livrant à la réprobation de la cou-
science publique une partie de sa majorité r (Ap-
plaudissements. )
Encore une fois, pour la dignité de tous, il est
impossible de s'en tenir là.
Et voilà pourquoi nous vous apportons cette pro-
position comme la sanction efficace, comme la for-
mule définitive des répudiations ministérielles.
Et voyez ensuite comment le député socia-
liste rattache son amendement au projet en
discussion :
M. Jaurès. — Vous êtes en droit, dites-vous,
de chercher l'idée anarchiste jusque dans sa
source. Eh bien, je vous dis : ne vous arrêtez pas
à mi-chemin, creusez, fouillez, jusqu'à ce que vous
ayez trouvé la source même des actes criminels,
allez jusqu'au fond des consciences.
Alors se pose une question : Quelles sont les
influences morales et sociales qui aujourd'hui pré-
disposent les cerveaux à accueillir les moindres
propos d'anarchie ?
S'il y a à cet égard un point sur lequel tous,
athées ou croyants, monarchistes ou républicains,
nous sommes d'accord, c'est que rien, dana notre
démocratie, ne peut bouleverser les consciences au-
tant que les exemples de corruption tombes de
haut. (Vifs applaudissements.)
J'entendais l'autre jour M. le rapporteur de la
commission et M. le président du conseil s'ingé-
nier, pour nous rassurer sur l'application de la loi,
à nous définir l'anarchisme.
Que nous disait M. le président du conseil? Il
nous disait que l'anarchie consiste d'abord dans le
mépris de toute autorité.
Je lui demande si des représentants du peuple
qui compromettent la représentation nationale
dans des affaires véreuses ne font pas plus que
certaines paroles pour ébranler la base même de
l'autorité? (Nouveaux, applaudissements.)
M. le président du conseil adit que l'anarchisme,
c'est le mépris du suffrage universel. Je lui de-
mande si ceux qui, après avoir obtenu du suffrage
universel un mandat souverain pour défendre sa
fortune contre les pièges financiers, viennent se
faire les complices d'une finance suspecte, qui prê-
chent le mépris du suffrage universel, s'ils n'en
font pas ainsi une de ces vieilles figures à la tête
branlante sur lesquelles les jeunes gens jettent un
regard de mépris? (Applaudissements à l'extrême
gauche.)
Vous nous avez encore dit, monsieur le prési-
dent du conseil, que l'anarchisme était le mépris
de la vie humaine.
C'est bien là ce qu'il y a de plus horrible dans
l'anarchisme.
Eh bien ! vous, les membres de la majorité qui
avez voté la loi, avez-vous donc réfléchi à tout ce
qui se cache de ruines et de suicides derrière les
sinistres financiers ?
Vous trouverez peut-être ridicule et déclamatoire
de parier a cette tribune de tous les travailleurs
qui sont morts dans les travaux dérisoires du ca-
nal de Panama.
Et alors, puisque les hommes publics qui ont
été depuis vingt ans, à un degré quelconque, mÍl-
lés à ces choses ont pratiqué cette provocation in-
directe, introduite par vous dans la loi, au mépris
du suffrage universel et de la vie humaine, je vous
demande au nom de quelle logique, en vertu de
quelle sélection vous frapperiez les uns et vous
épargneriez les autres? (Très bien! très bien !)
LES PANAMISTES IMPITOYABLES
La Chambre commence à devenir houleuse
quand l'orateur prononce, de la façon que
vous allez voir, ce mot — qui maintenant en-
core suffit à rendre les assemblées frémis-
santes — ce mot de Panama :
M. Jaurès. — Au cours de ces scandales du
Panama, quelques-uns s'étaient plaints de la faci-
lité avec laquelle on était soupçonné de pana-
nisme, pour quelques mots, quelque lettre, pour
rien.
Je ne comprends pas que ceux-là ne soient pas
venus dire : il ne faut pas renouveler cette épreuve,
il ne faut pas qu'au moment où pourront se déve-
lopper les soupçons d'anarchie, d'autres puissent
être soumis à ces injustes suspicions.
Non seulement ils n'ont rien dit, mais c'est du
côté des soupçonnés d'hier que se trouve la plus
grande rigueur contre ceux qui, dans un tout autre
ordre d'idées, peuvent être les soupçonnés, djt de-
main.
Quand je consulte les documents du rapport de
M. Vallé, je constate que tous ceux, quels qu'ils
soient, qui à un titre quelconque, soit qu'ils aient
été appelés devant la justice à propes des chèques
Thierrée, soient qu'ils aient touché des bénéfices
dans les syndicats d'émission, comme faisant par-
tie des grandes sociétés de crédit qui ont prélevé
dans ces émissions un taux s'élevant jusqu'à 750/0,
soit qu'ils se trouvent nominativement inscrits à
partir de la page 3,517 du troisième volume du rap-
port Vallé comme ayant personnellement touché de
ces frais d'émission qu'un jugement récent vient
do déclarer illicites; je constate que tous sans ex-
ception, par une coïncidence qui frappera le pays
et donnera à la loi sa signification, tous votent la
loi actuelle. (Applaudissements à gauche.)
J'ajoute que vous allez offrir à ce pays le plus
étonnant des paradoxes qui aient fait de la justice
une ironie : des panamistes impitoyables.
M. Audfffred, président de la commission. —
Vous oubliez les collaborateurs de Cornélius Herz
qui votent contre la loi. (Applaudissements au
centre. )
M. Goblet. — Nommez-les !
M. Jaurès. — Je n'ai pas à répondre, M. le
président de la commission en conviendra sans
doute, au nom de ceux qu'il appelle les collabora-
teurs de Cornélius Herz.
M. Camille Peilelan. — Qu'il les nomme donc
d'abord ! (Interruptions et bruit.)
Voilà un premier incident qui déchaîne un
assez gros tapage et qui fait dresser l'oreille
à beaucoup de gens.
M. Jaurès entreprend alors l'historique de
ce qu'il appelle la « pénétration universelle
de la politique et de la finance ». Cette péné-
tration, il en fait remonter l'origine à une
quinzaine d'années et en attribue la responsa-
bilité à Gambetta.
Seulement, dit-il, Gambetta avait à cet
égard ses raisons, ses conceptions politiques
et sociales, et ces raisons, ces conceptions
pouvaient avoir leur valeur. Mais, Gambetta
disparu, les inconvénients, les dangers du
système ont seuls subsisté.
Et pour montrer où ledit système nous a
conduits, M. Jaurès cite certaine affaire des
Chemins de fer du sud de la France — voilà
une affaire qui sans doute reviendra quelque
jour à la tribune — affaire dont la justice a
dû s'occuper, s'occupe même encore présente-
ment et pour laquelle, ajoute-t-il, il ne faut pas
qu'il y ait prescription comme pour l'affaire
de Panama.
M. ROUVIER MIS EN CAUSE
Continuant à décrire les ravages causés par
les jeux de la politique et delà finance, l'ora-
teur arrive à cette personnalité — la seule
qu'il ait faite, comme nous le disions — mais
qui a suffi à faire naître les incidents les plus
passionnés :
M. Jaurès — Voilà votre œuvre! Elle a abouti
à ce résultat déplorable de stériliser des forces ad-
mirables qui auraient pu être employées au service
de la démocratie.
Je vois en face de moi — et il ne m'en voudra
pas de parler de lui — M. le président de la com-
mission du budget. Pas un homme n'était mieux
que lui désigné pour servir une démocratie. Il eût
pu accomplir la réforme fiscale et financière de la
troisième République.
Et je lui demande s'il se sent, comme président
de la commission du budget, la même autorité po-
litique et morale pour gérer les finances de la Ré-
publique, après la double constatation, faite ici
même, qu'il en était avec la finance à Péchange de
bons procédés qu'il a dû expliquer à la tribune.
M. Rouvier. — Je demande la parole.
M. Jaurès. — Je lui demande, quand il a dû as-
sister, étant ministre des finances, à l'agonie mys-
térieuse du financier dont le nom est mêlé à toute
l'affaire de Panama. (Interruptions.)
M. le président. — Je ne vous ai point arrêté
dans votre discours, mais ja vous ferai remarquer
que vous jugez un de vos collègues et que le
règlement interdit toute personnalité.
M. Rouvier. — Ce collègue ne craint aucun ju-
gement, ni ceux de la justice régulière, ni ceux de
la justice parlementaire ni ceux de ses collègues.
(Applaudissements au centre.)
M. Jaurès. — Je le déclare en toute loyauté:
je n'ai procédé ici ni.par excès de parole, ni par
insinuation hypocrite. (Bruit au centre.) g
M. Rouvier. - Je ne me plains pas.
M. Louis Jourdan (Var). — Vous avez défini le
sentiment de tous les vrais républicains.
Et M. Jaurès arrive alors à cette pérorai-
son :
M. Jaurès. — Puisque vous voulez être sévères
dans la répression contre les révoltés, soyez sévè-
res aussi contre les corrupteurs. Il le faut, pour
l'enseignement des générations nouvelles, pour ceux
qui viendront s'asseoir sur ces bancs.
Il faut que vous rendiez visible par un témoi-
gnage le lien qui existe entre le politicien coupable
et l'arnarcbiste révolté, et le jour où le même na-
vire emportera vers les terres lointaines et fié-
vreuses de la relégation (applaudissements à l'ex-
trême gauche) le politicien véreux et l'anarchiste,
ils pourront lier la conversation et ils s'apparaî-
tront l'un à l'autre comme les deux aspects complé-
mentaires d'un même ordre social. (Vifs applaudis-
sements à l'extrême gauche.)
Mais si l'opposition de gauche est seule à
applaudir, à fêter l'éloquent orateur quand il
descend de la tribune, certains passages pré-
cédents de son discours avaient réuni les bra-
vos de la Chambre presque entière.
* M. PAUL DESCHANEL
Le jeune phraseur du centre gauche avait
demandé la parole pendant le discours de M.
Jaurès. 11 se prodigue, M. Deschanel, avecun
excès qui finira par lui jouer quelque mé-
chant tour. Hier, par exemple, il a débuté par
une « gaffe » monumentale en parlant du peu
de résultats obtenus par la fameuse commis-
sion d'enquête du Panama : é
M. Deschanel. — On la nomma, celte com-
mission d'enquête, et qui donc la présidait ? (Ap-
plaudissements au centre.)
C'était le républicain éprouvé, dont le nom sans
tache, universellement respecté, vous a servi de
mot de ralliement et de drapeau dans l'élection du
président de la Chambre et du président de la Ré-
publique. Que ne vous adressez-vous à lui ? (Ap-
plaudissements au centre. — Interruptions à
gauche. )
M. lien. Brisson. — Pour me demander quoi?
Que voulez-vous qu'on me demande?
La commission d'enquête a déposé son rapport.
En avez-vous demandé la discussion ? (Applaudis-
sements à gauche.)
Vous oubliez que vous êtes de ceux qui lui ont
refusé les pouvoirs sans lesquels elle ne pouvait
aller jusqu'au bout. (Vifs applaudissements sur
les morues bancs.)
M. Deschanel n'a garde de répondre et il se
met à battre les buissons, parlant de Gam-
betta, du boulangisme, entamant le procès de
l'opposition autrefois faite par M. Clemen-
ceau et son journal à Gambetta, puis à Jules
Ferry,reprochant aux députés socialistes d'être
des commis-voyageurs en grèves, apportant
de nouvelles citations des œuvres de M.
Guesde, etc., etc.
La Chambre devenait de plus en plus hou-
leuse et les rappels à l'ordre pleuvaient dru
comme grêle. Mais la discussion déviait vrai-
ment trop. Et puis, ce que la Chambre atten-
dait à ce moment, n'était-ce pas l'entrée en
scène de M. Rouvier?
M. ROUVIER A LA TRIBUNE
Elle a été des plus mouvementées, cette en-
trée en scène, gràce surtout à une interven-
tion de M. Jourdan (du Var). Celui-ci est
venu faire l'éloge de l'honnêté politique et de-
maflder à M. Deschanel « s'il consentirait à
entrer dans un ministère qui serait présidé
par M. Rouvier » ! Vous jugez de l'cmotion
et du tumulte.
M. Rouvier riposte par quelques mots qu'on
n'entend guère dans le bruit et M. Jourdan
demande au président de le protéger contre des
outrages « qui partent de si bas! » -
Mais M. Rouvier s'abstient de répliquer
surle même ton. Car ce à quoi il tient pour
l'instant, c'est à répondre à M. Jaurès et à
refaire une fois de plus, à la tribune, ce plai-
doyer pro domo suâ que lui avait déjà im-
posé naguère l'affaire de Panama:
M. Rouvier. — Il y a eu un jour où, à l'état
d'accusé, j'ai eu à monter à cette tribune pour
fournir à mes collègues des explications qu'ils ont
accueillies, mais qui n'étaient pas encore corrobo-
rées par des actes de la justice. «
Les membres du gouvernement d'alors m'avaient
compris dans une demande en autorisation de
poursuites. C'était pendant cette période où il suf-
fisait de quelques hiéroglyphes sur un morceau de
papier pour être traduit devant la justice de son
pays.
lil. Léon Bourgeois (Marne). - Il fallait que
la justice fût égale pour tous. (Applaudissements.)
M. Rouvier. — Ce que vous venez du dire,
j'allais vous le dire. Je n'ai contre ces hommes ni
haine, ni rancune. Je ne sais même pas si, après
le souvenir des heures cruelles que j'ai traversées,
je ne dois pas reconnaître aujourd'hui que la voie
qu'ils ont suivie était la meilleure pour moi ; elle
m'a permis de me justifier.
J'ai comparu devant un juge d'instruction ; il a
été délivré des commissions rogatoires ; on a véri-
fié des écritures et la justice a corroboré les expli-
cations que j'avais données à la Chambre.
Puisque cette tribune n'a jamais connu que l'ac-
cusation, j'ai bien le droit de faire connaître les
faits à ceux de nos collègues qui sont nouvellement
entrés dans cette Chambre et de leur demander si les
arrêts de la justice ne suffisent plus maintenant à
sauvegarder l'honneur des citoyens. (Applaudisse
ments à gauche et au centre.)
Je ne veux que rappeler à la Chambre l'arrêt
rendu par la chambre des mises en accusation,
composée de douzo ou quatorze magistrats. Le
voici : « Rouvier n'a reçu aucun chèque, ni aucun
fonds de la compagnie de Panama. »
De quel droit venez-vous mêler mon nom aux af-
faires de Panama? (Nouveaux applaudissements
sur les mêmes bancs.)
Votre commission d'enquête a eu sous les yeux
le dossier complet de l'accusation portée contre
moi, et M. Vallé, dans son rapport, a constaté que
le président du conseil, en 1887, avait été saisi le
premier, en cette qualité, d'une demande d'émis-
sion de bons à lots par la Compagnie de Panama ;
il ajoutait que, si j'avais été accessible à la corrup-
tion, c'est alors que je n'aurais pas échappé à la
tentation.
Que reste-t-il donc ? Un fait politique qui peut
être blâmé. Ai-je pensé à l'ériger en système de
gouvernement ?
A qui devais-je compte de ce fait politique? Pas
même à la Chambre dernière. Je n'en devais compte
qu'à mes électeurs, qu'à ceux qui m'ont confié ce
mandat.
Vous faites tous les jours ressortir le mérite des
décisions du jury. Que pensez-vous du verdict d'un
jury, rendu non par douze citoyens, mais par douze
mille ? (Applaudissements à gauche et au centre.)
Croyez-vous- que je me suis présenté devant lui
sans être abreuvé de toutes les amertumes par une
presse hostile, sans que mon concurrent ait rempli
vis-à-vis de moi le rôle d'accusateur public ?
Non seulement le corps électoral m'a absous,
mais il m'a renvoyé sur ces bancs au même titre
que vous tous. (Interruptions.)
M. Marcel-Habert. — Regardez donc là-haut!
Et M. Habert désigne du doigt M. Wilson
— assis à son banc, tranquille et souriant —
semblant dire par là qu'une élection n'équi-
vaut pas toujours à une absolution. Mais
l'incident se poursuit :
M. Rouvier. — J'ai eu à combattre le parti
dont vous étiez un des plus actifs partisans. Ce qui
m'inquiéterait, ce serait votre éloge. (Rires et ap-
plaudissements à gauche et au centre.)
M. Marcel-Habert. — Je n'ai pas, en ce mo-
ment, à discuter la doctrine politique que j'ai dé-
fendue.
fie n'ai qu'une réponse à faire : Je suis entré
dans le boulangisme à la suite du procès Wilson
et j'y suis reste à cause de vos actes. (Bruit.)
M. le président. — J'invite la Chambre au si-
lence, il y va de sa dignité et d'un des droits les
plus sacrés, celui de la défense. (Très bien ! très
bien.)
M, Rouvier. -J'ai dit, et aucune interruption
ne me fera dévier de mon affirmation qui défie toute
contradiction, que j'avais été accusé d'un acte qui,
avant qu'il fût expliqué, pouvait être considéré
comme entachant mon honneur; que j'ai répondu
de cet acte devant la justice de mon pays réguliè-
rement saisie, et que j'ai été régulièrement declaré
indemne.
Une voix à l'extrême gauche. - M. Wilson
aussi.
M. Rouvier. — Pourquoi citez-vous ce nom ?
L'acte dont j'ai été accusé ne ressemble en rien à
ceux auxquels vous faites allusion. (Bruit sur di-
vers bancs.)
La justice a prononcé sur l'acte qui m'était re-
proché, et il n'y a pas à y revenir. (Bruit sur di-
vers bancs.)
J'ajoute que l'autre fait, celui d'avoir emprunté
de l'argent, non pas à la caisse de Panama, avec
laquelle je n'ai eu aucun rapport direct on indirect,
mais à un ami personnel, est un fait que vous
pouvez blâmer, mais le suffrage universel, qui est
juge en pareille matière, s'est prononcé, et il n'y a
plus à y revenir. (Bruit sur divers bancs.)
M. Rouvier parle ensuite, aux applaudis-
sements du centre, des campagnes autrefois
dirigées contre Gambetta, puis contre Ferry.
C'est une façon en somme de montrer qu'on
l'attaque, lui, M. Rouvier, tout de même
qu'on attaquait ceux dont il vient d'évoquer
la mémoire.
M. ROUVIER ET LES « AFFAIRES »
Le passage suivant de ses explications est
curieux :
M. Rouvier. — Vous avez, monsieur Jaurès,
parlé de mon voisinage des affaires, et en vous
écoutant je me demandais si j'avais, sans le sa-
voir, traversé tant d'affaires.
Il y a vingt-trois ans que je suis dans la Cham-
bre ; il y a une quinzaine d'années, j'ai été pen-
dant quinze mois environ membre du conseil
d'administration d'une société que M. Millerand
a citée, la Compagnie auxiliaire des chemins de
fer.
Je n'ai jamais fait partie d'un autre conseil d'ad-
ministration. et vous voudrez bien imaginer que
depuis quinze ans j'ai eu a repousser de nombreu-
ses offres qui, si je les avais acceptées, m'au-
raient plus rapporté que la politique. (Très bien !
très bien 1)
Mais, du jour où j'ai été membre du cabinet
Gambetta, je me suis fait une loi de n'entrer dans
aucune affaire.
Croyez-vous que ce souvenir de la Compagnie
auxiliaire des chemins de fer ait de quoi me gêner
ou me faire rougir? Il y a ici des collègues qui
peuvent attéstor que c'est sur les conseils mêmes
de Gambetta que J'y suis entré.
Il s'agissait, non de faire une opération finan-
cière, mais de constituer une réserve de matériel
roulant pour les compagnies pendant la paix, et
pour l'Etat en temps de guerre
Il paraît, à entendre M. Jaurès, que j'ai connu,
que j'ai fréquenté des financiers, et que par là j«
suis devenu impropre à diriger les affaires dIt:
pays.
Rassurez-vous. Si c'est pour m'éloigner du pou.
voir que vous vous associez à cette campagne de
dénigrement, vous pouvez cesser vos attaques : le
pouvoir n'a rien qui me tente quand je vois l'agréa-
ble existence que vous faites à ceux qui le détien..
nent. (Très bien ! très bien ! et rires.)
Mais vous avez, monsieur Jaurès, la mémoire
singulièrement courte. Je ne veux pas me parer des
quelques services que j'ai pu rendre pendant vingt-
cinq années d'efforts mis au service de la Répu-,
blique; mais puisque vous décrétez mon incapa-
cité à servir la démocratie, avez-vous oublié quW
jour, à la veille de l'Exposition de 1889, la France
était menacée d'un krach, et que cet homme, pollué *
selon vous par le contact des financiers, a, dans
une nuit, obtenu de la finance, de la banque de -
Paris, des sacrifices qui ont préservé ce pays d'un
krach ? (Applaudissements.) -
Et M. Rouvier, qui avait décidément fini -
par dégeler un centre passablement figé au
début, conclut en se proclamant attache à la
démocratie, dont il est issu, et en disant à
ses accusateurs socialistes : « Si j'étais mem- :
bre de vos fédérations, vous me tiendriez, ait
lieu de m'accabler, pour la victime saerée
d'un quasi-erreur judiciaire f M
— Voilà votre homme, voilà votre chef !
crient quelques. socialistes aux députés du
centre, qui applaudissent M. Rouvier des-
cendant de la tribune.
Et maintenant, c'est fini, La Chambre,
fourbue, écoute à peine MM. Pelletan et Des-
chanel, parlant l'un et l'autre pour des faits
personnels. M. Jaurès revient pourtant à la
tribune faire "cette observation :
M. Jaurès. — Quand M. Rouvier, après avoir
exposé la nécessité, des relations cordiales de la
République et de la finance est descendu de la tri-
bune, on a pu constater que la majorité avait
trouvé son chef. (Vifs applaudissements à l'extrême-
gauche. )
Et j'ai le droit d'ajouter que la même majorité
qui ra applaudi tout à l'heure applaudissait l'autre
jour M. le président du conseil répudiant certai-
nes solidarités.
Après la manifestation qui vient de se produire,
j'ai le droit de demander à M. le président du con-
seil quelles étaient les solidarités qu'ils répudiait.
(Nouveaux applaudissements sur les mêmes
bancs.)
Naturellement, la question n'a pas reçu de
réponse.
On a alors mis aux voix l'amendement de
M. Jaurès. Cet amendement a été repoussé
par 264 voix contre 222, c'est-à-dire à uné
majorité de 42 voix seulement. Une majorité
si faible en la circonstance, voilà qui est
étrangement suggestif 1
RENDEZ LES PERMIS 1.
Un député du centre a, comme on l'a vu ai 11
compte rendu de la séance d'avant-hier, protest i
contre les « faveurs » accordées à ces « indus-
driels privilégiés» que seraient les journa* ■
listes. , -
Et comme on lui demandait quelles sont
ces faveurs, ledit député a parlé du tarif ré-
duit dont jouissent les dépêches de presse. ,
Il est vrai que l'administration des postes
et télégraphes accorde le demi-tarif à la cor- 1
respondance télégraphique des journaux -
imitant l'exemple de certaines maisons de )
commerce qui accordent des avantages à leurs 1
meilleurs clients.
Les journaux ne sont-ils pas, en effet, les
meilleurs clients du télégraphe et la condition t
du demi-tarif n'a-t-elle pas encore aidé au dé-
veloppement de leur clientèle — ce dont les
recettes du Trésor ne se trouvent sans doute à
pas mal?
L'observation faite à la tribune parait a
donc assez mal fondée. Nous voyons au con- "t
traire une faveur, réelle celle-là, qu'on eût pu
signaler à bon droit. C'est celle que font Iea •
compagnies de chemins de fer à ces « indus-
triels privilégiés » de la députation en leur t
accordant une carte de circulation perma-
nente sur tous les réseaux français. 'i"l
Cette faveur-là est parfaitement injustifiable. 1
Elle ne peut qu'être onéreuse pour le budget, )
puisque la garantie d'intérêt supporte les per- 3'
tes des compagnies, et elle ne semble d'autre
part pas compatible aveç l'indépendance
où devraient se trouver les membres du Par- "1
lement vis-à-vis desdites compagnies.
Voilà une faveur à supprimer ! 1 40
Messieurs les députés, rendez les permia-I,
1 =5 - *1
LES EXPROPRIATIONS *
DE LA RUE RÉAUMUR ,.
Le jury d'expropriation pour la rue Réau- *
mur continue ses opérations. Le jugement
qu'il a prononcé hier a porté sur 26 affaires.
En voici le détail : a
Expropriés Offres Allocution* 1
Rue Thévenot, 4-6 -
Tattet, propriétaire. 400.000 500.00G
Floquet, fabricant de ,
chamoiserie. 8.000 20.500
Yves, graveur. 18.000 70.000
Périnot, fabricant de
gants. 15.000 40.000 (
Chandelet frères, fabri-
cants de plumes. « 26.000 ^.000 m
Dubré, machand de -
peignés de soie. 4.000 8.000
Rue Thévenot. 10
Moral, propriétaire. 220.000 310.000 :
Andron, Péchard,
peaussiers. "', 15.000, 31.000
Rouberol, bijoutier. 15.000 24.000
VveBillois, marchande —
de oies. 12.000 22.500
Dame Ravinet, fab. de -**
layettes en gros. 10.000 25.000
M. 11 f t '1 1;.; 000 --
Mialle, fumiste. f 5.000 14.000
Pezetti, entrepreneur j r .¡
de peinture 1 t 4.000 i 7.000
Cie du gaz (1 colonne). — 500 500
Rue Thévenot, 12
Lasnier, fabricant de
chemises. * 5.000 **'"28.000
Dame Marchai, ou- -
vrière gantière. 225 2.000
Blondelle, cartonnier.. 4.000 li.000
Davau et Bonvallat,
march. d'éponges. 36.000 68.000
Boucher, fabricant de -..
chapeaux., 17.000 48.006
Schneib, marchand de
parapluies.,. 20.000 85.000
Rousselle, fabr. d'ar-
ticles ivoire. 5.700 17.000
Demoiselle Tixier, fa-
bricante de plumes.. 13.000 41.000
Merklé, représentant
de commerce. 900 2.500
Rue Thévenot 14
Pierquin, propriétaire. 610.000 825.000 -
Mary frères, négoc. en
mercerie. 50.000 205.000
Total Fr. 1.314.325 2.503.000
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8 jours 50 centimes
ETRANGER
15 jours. t fr. 60
1 mois. 3 francs
2 mois. 6 francs
ESSAI LOYAL
La loi dite de répression contre les
menées anarchistes est votée, en ce sens
que les cinq articles dus à la collabora-
tion du gouvernement et de la commis-
sion ont été adoptés hier matin. Mais la
discussion continue sur un nombre con-
sidérable d'articles additionnels. Consi-
dérée dans son ensemble, cette discus-
sion aura été un modèle de décousu. Il
y a été question de tout, c'est une sorte
d'encyclopédie. ,;
Les problèmes de droit constitutionnel
y ont été abordés avec ceux de philoso-
phie; on y a discuté les doctrines so-
cialistes, et enfin, dans la séance d'hier
soir, on en est venu à parler, en ter-
mes fort éloquents du reste, de la coterie
politico-financière qui s'est introduite
dans la République, des scandales du
Panama. M. Rouvier a été amené à
s'expliquer sur les vieux griefs por-
tés contre lui ; M. Deschanel a re-
proché aux socialistes les paroles et les
actes qui jettent le trouble dans les es-
prits, et, comme conclusion, on a rejeté
l'article additionnel à une très faible
majorité sur lequel s'était produit tout
2e débat. '* i."
Les autres articles additionnels ont
subi ou subiront le même sort. La ma-
jorité a clairement montré qu'elle ne
foulait rien entendre et qu'elle était dé-
terminée à ne pas tenir compte même
les observations les plus justes et des
iri tiques les plus fondées. S'il est un
point îur lequel ce parti pris a apparu
ivec évidence, c'est bien à propos de la
publication des comptes - rendus des
procès anarchistes. Les journaux fran-
çais ne pourront pas les donner; mais,
omme les journaux étrangers ne s'en
priveront pas, le garde des sceaux a
imaginé de poursuivre les colporteurs
lui les vendront et le préstdent du con-
jeil a ajouté qu'il arrêterait ces jour-
naux à la frontière..
Si c'est sur ces mesures-là que
l'on compte pour empêcher la propaga-
tion de l'anarchie, c'est une preuve de
jandeur que nous n'aurions pas attendue
l'un homme qui, comme M. Dupuy,
prétendait l'autre jour dans une phrase
supprimée d'ailleurs au Journal offi-
ciel qu'il n'a plus aucune illusion.
Nous n'avons pas celle de croire que
la loi aura une efficacité quelconque.
Nous nous sommes très nettement ex-
primés à cet égard dès le premier mo-
ment, et ce ne sont pas les explications
du président du conseil ou du ministre
de la justice qui ont pu modifier notre
sentiment. Il se trouve, au contraire,
confirmé par ceux même de nos con-
frères qui ont soutenu le gouvernement
et qui ont insisté pour le vote de la loi.
Tous reconnaissent à la fois que la loi
est mal faite et qu'elle ne peut avoir au-
cune utilité.
Pour le Journal des Débats, la loi qui
sortira de ces délibérations confuses ne
sera certes pas un chef-d'œuvre de
clarté, de logique et de cohérence ; ce
ne sera pas le dernier mot de la science
législative. Le Temps lui-même déclare
que nul ne saurait considérer cette loi
comme parfaite : « Le projet hâtivement
élaboré à la suite des circonstances qui
le motivaient, se ressentait de cette im-
provisation et, parmi les modifications
qu'il a déjà subies, il en est qui n'ajou-
tent guère à sa logique et à sa clarté. »
Tous deux essayent de persuader à la
Chambre d'achever au plus vite son
œuvre sans plus se préoccuper de ses
qualités et disent qu'on pourra y reve-
nir à des heures plus propices, que l'i-
nitiative parlementaire comme celle du
gouvernement pourront s'exercer pour
faire disparaître les inconvénients que
l'usage aura démontrés. Il ne s'agit,
pour le Temps, que d'une sorte « d'es-
sai loyal ». C'est véritablement plaider
les circonstances atténuantes pour une
œuvre sur la valeur de laquelle on ne
peut avoir aucun doute. :-j
Quels que soient les amendements
que l'on y introduise plus tard, on ne
fera jamais que cette loi ait une utilité
et devienne le « chef-d'œuvre législatif »
qu'elle n'est pas à l'heure actuelle. Il
n'y aura jamais qu'un moyen de faire
disparaître les inconvénients qui écla-
tent aux yeux dès maintenant et que
« l'essai loyal » rendra plus saillants
encore : ce sera de la déchirer.
Mais s'il faut compter pour cela sur
de nouvelles discussions et sur l'initia-
tive du gouvernement, il se pourrait
que cette solution fût lente à venir. Cela
paraît toujours une chose énorme, pour
certains esprits, de toucher à une loi
existante, même lorsque dans la pensée
de tous cette loi n'a eu qu'un caractère
transitoire, lorsqu'elle a été faite en vue
de circonstances déterminées et qui ne
peuvent avoir qu'une durée très courte.
L'histoire de la sentinelle devant le banc
fraîchement peint peut trouver bien des
applications législatives et ce n'est pas
d'hier qu'on a constaté à quel point il
était difficile de se débarrasser du provi-
soire. - - ji. n
Or si jamais loi a eu un caractère
provisoire, c'est assurément celle dont la
Chambre achève la discussion. Dès le
premier moment, ce caractère provi-
soire a été si bien reconnu, que même
ceux qui se résignaient à voter la loi
cherchaient une transaction entre ce
qu'ils considéraient comme une néces-
sité politique et leurs sentiments inti-
mes, et proposaient d'en limiter par
avance à une période déterminée l'ap-
plication. On ne voit pas quelle raison
pourrait s'opposer à cette limitation de
« l'essai loyal ».
S'il réussit, rien n'empêchera la
Chambre et le gouvernement de renou-
veler le bail à son expiration. Mais si,
comme nous en avons la certitude, il
tourne mal, ou si les circonstances qui
ont servi de prétexte à la loi viennent
à se modifier,la loi tombera d'elle-même.
Nous voulons espérer que la Chambre
comprendra qu'il est de son propre in-
térêt que cette loi ne prenne pas une
place définitive dans nos codes et que,
ayant fait sa manifestation contre l'anar-
chie, elle donnera, par la limitation,
une satisfaction compensatrice au bon
sens.
LA CUISTRERLE DE FALSTAFF
On se rappelle avec quelle véhémence M.
Dupuy a renié l'autre jour les hommes politi-
ques qui ont eu ou qui ont des rapports « avec
les banques, avec les monopoles, avec les
chemins de fer, avec les affaires, avec les en-
treprises où on s'enrichit ».
M. Jaurès avait assez malicieusement con-
clu de ces étonnantes déclarations que « tout
membre du Parlement ayant fait partie de
sociétés financières véreuses devait être
considéré comme ayant provoqué aux actes
de propagande anarchiste. »
On remarquera que, dans la circonstance,
M. Jaurès était infiniment plus sage et plus
modéré que M. Dupuy. Son amendement, en
effet, ne s'appliquait qu'aux sociétés véreuses
ou ayant mal tourné, tandis que M. Dupuy,
lui, n'y regardait pas de si près : il répudiait
toutes les affaires, surtout — et n'est-ce pas
du Falstaff tout pur? — « celles où on s'enri-
chit ». La phrase est à l'Officiel.
M. Rouvier était un de ceux sur lesquels
s'étaient portés tous les regards quand M.
Dnpuy avait fait sa déclaration. Pris directe-
ment à partie hier par M. Jaurès, il est monté
à la tribune et a prononcé un discours qui, si
on v regarde de près, n'est évidemment pas
d'une argumentation bien solide.
Il a demandé, par exemple, si les arrêts de
justice ne suffisaient plus maintenant à sau-
vegarder l'honneur des citoyens. On lui a ré-
pondu : Et Wilson ? On aurait pu avec plus
de raison lui répondre en lui citant le cas de
M. Baïhaut, qui tout concussionnaire qu'il
était déjà, et malgré les bruits enregis-
trés par la presse, avait obtenu, d'une
part, un arrêt de la cour de Vesoul
attestant son honorabilité et, d'autre part,
une lettre alors rendue publique de M. Casi-
mir-Perier, aujourd'hui président de la Répu-
blique, qui le déclarait sur son honneur
l'homme le plus honnête et le plus estimable
de France.
Les arrêts de justice et même les certificats
délivrés par les futurs présidents de Répu-
blique ne sont donc pas toujours une preuve,
pas plus que les verdicts électoraux égale-
ment invoqués par M. Rouvier. Les électeurs
n'ont-ils pas rendu un verdict de ce genre en
faveur de M. Wilson? N'en avaient-ils pas
rendu un autre précédemment en faveur de
Mary-Raynaud ?
En disant qu'il avait été absous par le corps
électoral, de même qu'en parlant à sa ma-
nière de la Compagnie auxiliaire des chemins
de fer qu'il n'a pas craint de présenter comme
une entreprise patriotique et en comparant sa
conduite à celle de Richelieu, M. Rouvier a
vraiment par trop tiré la corde.
Mais il a tout de même été applaudi. On lui
a su gré de son courage, de sa crfmerie, qui
ressemblaient si peu à l'attitude piteuse et
louche des membres du gouvernement dans
toute cette discussion.
Le contraste a paru d'autant plus saisis-
sant que M. Dupuy qui, l'autre jour, après le
discours de M. Miilerand, s'était empressé de
renier toute solidarité avec M. Rouvier et les
autres membres de la majorité qui se trou-
vent dans le même cas que lui, n'a pas mis
hier moins d'empressement à affirmer sa soli-
darité avec les mêmes personnages en applau-
dissant à tout rompre M. Rouvier.
On a eu ainsi une nouvelle preuve de la cuis-
trerie de Falstaff.
L'AMENDEMENT JAURÈS
L'amendement de M. Jaurès qui considérait
« comme ayant provoqué aux actes de propagande
anarchiste tous les hommes publics, ministres, sé-
nateurs, députés qui auront trafiqué de leur man-
dat, touché des pots-de-vin » n'a été repoussé que
par 264 voix contre 222, soit à une majorité de 42
voix. En attendant que nous puissions faire la dé-
composition des voix, le scrutin ne devant être
publié que ce matin, il convient de remarquer que
60 députés environ se sont abstenus.
EXPLOSION D'UNE LOCOMOTIVE
:. New-York, 25 juillet.
Une locomotive a fait explosion à Tucuman. Il
t y a eu huit tués et de nombreux blessés. ,
CONTRE L'ANARCHIE
HUITIÈME JOURNÉE
DE DISCUSSION A LA CHAMBRE
Vote des derniers articles. — L'amende-
ment Jaurès. — La politique et la
finance. — Vifs incidents. —
M. Rouvier et le Panama
On a employé la séance du matin et les
deux premières heures de la séance du soir à
repousser, au milieu d'un calme qu'aucun
incident sérieux n'a troublé, tout le lot d'a-
mendements ou articles additionnels qui res-
taient encore sur les derniers articles du
projet du gouvernement. ;
Rien à dire de ces amendements, qu'ont exé-
cutés des majorités qui, presque toujours les
mêmes, oscillaient entre cent cinquante et
deux cents voix. Seul, M. Viviani a, pour sa
part, défendu quatre de ces amendements.
Quant aux auteurs dès autres, c'étaient MM.
Alphonse Humbert, Millerand, Carnaud, Cal-
vinhac, Thierry Cazes, Sembat, etc. On le
voit, dans les débats de ce genre, il en a va
un peu comme à la guerre: ce sont .toujours
les mêmes qui se font tuer !
Nous regrettons de ne pouvoir insister sur
ces divers efforts vainement tentés en vue
d'arracher quelques garanties, quelques dis-
positions un peu libérales, à un gouverne-
ment, à une commission, à une majorité qui,
de parti pris, ne voulaient plus rien entendre.
Mais le débat si passionné qui a rempli la
fin de la séance nous oblige à passer très vite
sur tout ce qui était venu auparavant.
H nous suffira donc de constater que les ar-
ticles 5 et 6, qui sont les derniers du projet,
sont maintenant votés et qu'il ne reste plus à
statuer que sur diverses dispositions addi-
tionnelles dont les principales sont celles qui
tendent à limiter le temps pendant lequel
cette loi contre les menées anarchistes pour-
rait être appliquée. Il est donc à prévoir, en
cet état, que nous verrons aujourd'hui la fin
de cette lutte homérique à laquelle ont été
consacrées déjà huit interminables journées.
LE DISCOURS DE M. JAURÈS
Cela dit, venons-en au grand débat d'hier,
à celui qu'a provoqué ce fameux amendement
de M. Jaurès dont nous avons parlé déjà,
mais dont il importe cependant de rappeler le
texte, que voici :
Seront considérés comme ayant provoqué aux
actes de propagande anarchiste tous les hommes
publics, ministres, sénateurs, députés, qui auront
trafiqué de leur mandat, touché des pots-de-vin et
participé à des affaires financières véreuses, soit
en figurant dans les conseils d'administration de
sociétés condamnées en justice, soit en prônant
lesdites affaires par la presse ou par la parole de-
vant une ou plusieurs personnes.
Ce qui devait sortir d'un tel amendement,
on l'a deviné par avance. Mais on peut dire
que l'événement a, à cet égard, dépassé tou-
tes les prévisions. Nous avons eu, en effet,
une de ces scènes qui nous a rappelé les
plus chaudes journées de la période boulan-
giste et de la phase panamiste.
Pourtant M. Jaurès s'est — à une exception
près — interdit les personnalités directes. La
première partie de son discours, où il a ex-
posé sa thèse avec l'éloquence abondante et
imagée qu'on lui connaît, avait donc passé
sans trop d'encombre.
Tout de suite, l'orateur met le président du
conseil en une posture vraiment fâcheuse à
l'aide d'un argument qui — il nous sera bien
permis de le constater — a été tout d'abord
produit par le XIXe Siècle :
M. Jaurès. — Si j'avais eu quelque hésitation à
soulever ce débat, elle aurait disparu devant les
paroles qu'a prononcées ici, l'autre jour, M. le pré-
sident du conseil.
J'imagine que M. le président du conseil a com-
pris la portée du langage qu'il tenait en répudiant
certaines solidarités, que ses paroles auraient un
lendemain, qu'on n'a pas le droit do s'en tenir à
des mots, qu'il faut une sanction efficace. (Applau-
dissements à l'extrême-gauche.)
Oui, l'autre jour, en venant dénoncer ici le régime
politico-financier de ces quinze dernières années,
Millerand a pu dire que cette loi semblait faite pour
assurer à ce régime le silence et l'ombre.'
Que lui a répondu M. le président du conseil ?
11 n'a pas pu s'inscrire en faux contre cette affir-
mation, ni même dire que mieux valait ne pas rou-
vrir ces débats.
Il s'est borné à déclarer que cela ne l'atteignait
pas, qu'il était étranger à ces scandales.
Et cela équivalait à dire :
Quelques-uns des hommes qui soutiennent ma
politique, qui défendent dans la presse la loi que
je propose, qui au Parlement même m'aident à
repousser les réformes fiscales, ces hommes, je les
renie, je les désapprouve !
Et nous avons eu ce spectacle inouï d'un chef de
gouvernement livrant à la réprobation de la cou-
science publique une partie de sa majorité r (Ap-
plaudissements. )
Encore une fois, pour la dignité de tous, il est
impossible de s'en tenir là.
Et voilà pourquoi nous vous apportons cette pro-
position comme la sanction efficace, comme la for-
mule définitive des répudiations ministérielles.
Et voyez ensuite comment le député socia-
liste rattache son amendement au projet en
discussion :
M. Jaurès. — Vous êtes en droit, dites-vous,
de chercher l'idée anarchiste jusque dans sa
source. Eh bien, je vous dis : ne vous arrêtez pas
à mi-chemin, creusez, fouillez, jusqu'à ce que vous
ayez trouvé la source même des actes criminels,
allez jusqu'au fond des consciences.
Alors se pose une question : Quelles sont les
influences morales et sociales qui aujourd'hui pré-
disposent les cerveaux à accueillir les moindres
propos d'anarchie ?
S'il y a à cet égard un point sur lequel tous,
athées ou croyants, monarchistes ou républicains,
nous sommes d'accord, c'est que rien, dana notre
démocratie, ne peut bouleverser les consciences au-
tant que les exemples de corruption tombes de
haut. (Vifs applaudissements.)
J'entendais l'autre jour M. le rapporteur de la
commission et M. le président du conseil s'ingé-
nier, pour nous rassurer sur l'application de la loi,
à nous définir l'anarchisme.
Que nous disait M. le président du conseil? Il
nous disait que l'anarchie consiste d'abord dans le
mépris de toute autorité.
Je lui demande si des représentants du peuple
qui compromettent la représentation nationale
dans des affaires véreuses ne font pas plus que
certaines paroles pour ébranler la base même de
l'autorité? (Nouveaux, applaudissements.)
M. le président du conseil adit que l'anarchisme,
c'est le mépris du suffrage universel. Je lui de-
mande si ceux qui, après avoir obtenu du suffrage
universel un mandat souverain pour défendre sa
fortune contre les pièges financiers, viennent se
faire les complices d'une finance suspecte, qui prê-
chent le mépris du suffrage universel, s'ils n'en
font pas ainsi une de ces vieilles figures à la tête
branlante sur lesquelles les jeunes gens jettent un
regard de mépris? (Applaudissements à l'extrême
gauche.)
Vous nous avez encore dit, monsieur le prési-
dent du conseil, que l'anarchisme était le mépris
de la vie humaine.
C'est bien là ce qu'il y a de plus horrible dans
l'anarchisme.
Eh bien ! vous, les membres de la majorité qui
avez voté la loi, avez-vous donc réfléchi à tout ce
qui se cache de ruines et de suicides derrière les
sinistres financiers ?
Vous trouverez peut-être ridicule et déclamatoire
de parier a cette tribune de tous les travailleurs
qui sont morts dans les travaux dérisoires du ca-
nal de Panama.
Et alors, puisque les hommes publics qui ont
été depuis vingt ans, à un degré quelconque, mÍl-
lés à ces choses ont pratiqué cette provocation in-
directe, introduite par vous dans la loi, au mépris
du suffrage universel et de la vie humaine, je vous
demande au nom de quelle logique, en vertu de
quelle sélection vous frapperiez les uns et vous
épargneriez les autres? (Très bien! très bien !)
LES PANAMISTES IMPITOYABLES
La Chambre commence à devenir houleuse
quand l'orateur prononce, de la façon que
vous allez voir, ce mot — qui maintenant en-
core suffit à rendre les assemblées frémis-
santes — ce mot de Panama :
M. Jaurès. — Au cours de ces scandales du
Panama, quelques-uns s'étaient plaints de la faci-
lité avec laquelle on était soupçonné de pana-
nisme, pour quelques mots, quelque lettre, pour
rien.
Je ne comprends pas que ceux-là ne soient pas
venus dire : il ne faut pas renouveler cette épreuve,
il ne faut pas qu'au moment où pourront se déve-
lopper les soupçons d'anarchie, d'autres puissent
être soumis à ces injustes suspicions.
Non seulement ils n'ont rien dit, mais c'est du
côté des soupçonnés d'hier que se trouve la plus
grande rigueur contre ceux qui, dans un tout autre
ordre d'idées, peuvent être les soupçonnés, djt de-
main.
Quand je consulte les documents du rapport de
M. Vallé, je constate que tous ceux, quels qu'ils
soient, qui à un titre quelconque, soit qu'ils aient
été appelés devant la justice à propes des chèques
Thierrée, soient qu'ils aient touché des bénéfices
dans les syndicats d'émission, comme faisant par-
tie des grandes sociétés de crédit qui ont prélevé
dans ces émissions un taux s'élevant jusqu'à 750/0,
soit qu'ils se trouvent nominativement inscrits à
partir de la page 3,517 du troisième volume du rap-
port Vallé comme ayant personnellement touché de
ces frais d'émission qu'un jugement récent vient
do déclarer illicites; je constate que tous sans ex-
ception, par une coïncidence qui frappera le pays
et donnera à la loi sa signification, tous votent la
loi actuelle. (Applaudissements à gauche.)
J'ajoute que vous allez offrir à ce pays le plus
étonnant des paradoxes qui aient fait de la justice
une ironie : des panamistes impitoyables.
M. Audfffred, président de la commission. —
Vous oubliez les collaborateurs de Cornélius Herz
qui votent contre la loi. (Applaudissements au
centre. )
M. Goblet. — Nommez-les !
M. Jaurès. — Je n'ai pas à répondre, M. le
président de la commission en conviendra sans
doute, au nom de ceux qu'il appelle les collabora-
teurs de Cornélius Herz.
M. Camille Peilelan. — Qu'il les nomme donc
d'abord ! (Interruptions et bruit.)
Voilà un premier incident qui déchaîne un
assez gros tapage et qui fait dresser l'oreille
à beaucoup de gens.
M. Jaurès entreprend alors l'historique de
ce qu'il appelle la « pénétration universelle
de la politique et de la finance ». Cette péné-
tration, il en fait remonter l'origine à une
quinzaine d'années et en attribue la responsa-
bilité à Gambetta.
Seulement, dit-il, Gambetta avait à cet
égard ses raisons, ses conceptions politiques
et sociales, et ces raisons, ces conceptions
pouvaient avoir leur valeur. Mais, Gambetta
disparu, les inconvénients, les dangers du
système ont seuls subsisté.
Et pour montrer où ledit système nous a
conduits, M. Jaurès cite certaine affaire des
Chemins de fer du sud de la France — voilà
une affaire qui sans doute reviendra quelque
jour à la tribune — affaire dont la justice a
dû s'occuper, s'occupe même encore présente-
ment et pour laquelle, ajoute-t-il, il ne faut pas
qu'il y ait prescription comme pour l'affaire
de Panama.
M. ROUVIER MIS EN CAUSE
Continuant à décrire les ravages causés par
les jeux de la politique et delà finance, l'ora-
teur arrive à cette personnalité — la seule
qu'il ait faite, comme nous le disions — mais
qui a suffi à faire naître les incidents les plus
passionnés :
M. Jaurès — Voilà votre œuvre! Elle a abouti
à ce résultat déplorable de stériliser des forces ad-
mirables qui auraient pu être employées au service
de la démocratie.
Je vois en face de moi — et il ne m'en voudra
pas de parler de lui — M. le président de la com-
mission du budget. Pas un homme n'était mieux
que lui désigné pour servir une démocratie. Il eût
pu accomplir la réforme fiscale et financière de la
troisième République.
Et je lui demande s'il se sent, comme président
de la commission du budget, la même autorité po-
litique et morale pour gérer les finances de la Ré-
publique, après la double constatation, faite ici
même, qu'il en était avec la finance à Péchange de
bons procédés qu'il a dû expliquer à la tribune.
M. Rouvier. — Je demande la parole.
M. Jaurès. — Je lui demande, quand il a dû as-
sister, étant ministre des finances, à l'agonie mys-
térieuse du financier dont le nom est mêlé à toute
l'affaire de Panama. (Interruptions.)
M. le président. — Je ne vous ai point arrêté
dans votre discours, mais ja vous ferai remarquer
que vous jugez un de vos collègues et que le
règlement interdit toute personnalité.
M. Rouvier. — Ce collègue ne craint aucun ju-
gement, ni ceux de la justice régulière, ni ceux de
la justice parlementaire ni ceux de ses collègues.
(Applaudissements au centre.)
M. Jaurès. — Je le déclare en toute loyauté:
je n'ai procédé ici ni.par excès de parole, ni par
insinuation hypocrite. (Bruit au centre.) g
M. Rouvier. - Je ne me plains pas.
M. Louis Jourdan (Var). — Vous avez défini le
sentiment de tous les vrais républicains.
Et M. Jaurès arrive alors à cette pérorai-
son :
M. Jaurès. — Puisque vous voulez être sévères
dans la répression contre les révoltés, soyez sévè-
res aussi contre les corrupteurs. Il le faut, pour
l'enseignement des générations nouvelles, pour ceux
qui viendront s'asseoir sur ces bancs.
Il faut que vous rendiez visible par un témoi-
gnage le lien qui existe entre le politicien coupable
et l'arnarcbiste révolté, et le jour où le même na-
vire emportera vers les terres lointaines et fié-
vreuses de la relégation (applaudissements à l'ex-
trême gauche) le politicien véreux et l'anarchiste,
ils pourront lier la conversation et ils s'apparaî-
tront l'un à l'autre comme les deux aspects complé-
mentaires d'un même ordre social. (Vifs applaudis-
sements à l'extrême gauche.)
Mais si l'opposition de gauche est seule à
applaudir, à fêter l'éloquent orateur quand il
descend de la tribune, certains passages pré-
cédents de son discours avaient réuni les bra-
vos de la Chambre presque entière.
* M. PAUL DESCHANEL
Le jeune phraseur du centre gauche avait
demandé la parole pendant le discours de M.
Jaurès. 11 se prodigue, M. Deschanel, avecun
excès qui finira par lui jouer quelque mé-
chant tour. Hier, par exemple, il a débuté par
une « gaffe » monumentale en parlant du peu
de résultats obtenus par la fameuse commis-
sion d'enquête du Panama : é
M. Deschanel. — On la nomma, celte com-
mission d'enquête, et qui donc la présidait ? (Ap-
plaudissements au centre.)
C'était le républicain éprouvé, dont le nom sans
tache, universellement respecté, vous a servi de
mot de ralliement et de drapeau dans l'élection du
président de la Chambre et du président de la Ré-
publique. Que ne vous adressez-vous à lui ? (Ap-
plaudissements au centre. — Interruptions à
gauche. )
M. lien. Brisson. — Pour me demander quoi?
Que voulez-vous qu'on me demande?
La commission d'enquête a déposé son rapport.
En avez-vous demandé la discussion ? (Applaudis-
sements à gauche.)
Vous oubliez que vous êtes de ceux qui lui ont
refusé les pouvoirs sans lesquels elle ne pouvait
aller jusqu'au bout. (Vifs applaudissements sur
les morues bancs.)
M. Deschanel n'a garde de répondre et il se
met à battre les buissons, parlant de Gam-
betta, du boulangisme, entamant le procès de
l'opposition autrefois faite par M. Clemen-
ceau et son journal à Gambetta, puis à Jules
Ferry,reprochant aux députés socialistes d'être
des commis-voyageurs en grèves, apportant
de nouvelles citations des œuvres de M.
Guesde, etc., etc.
La Chambre devenait de plus en plus hou-
leuse et les rappels à l'ordre pleuvaient dru
comme grêle. Mais la discussion déviait vrai-
ment trop. Et puis, ce que la Chambre atten-
dait à ce moment, n'était-ce pas l'entrée en
scène de M. Rouvier?
M. ROUVIER A LA TRIBUNE
Elle a été des plus mouvementées, cette en-
trée en scène, gràce surtout à une interven-
tion de M. Jourdan (du Var). Celui-ci est
venu faire l'éloge de l'honnêté politique et de-
maflder à M. Deschanel « s'il consentirait à
entrer dans un ministère qui serait présidé
par M. Rouvier » ! Vous jugez de l'cmotion
et du tumulte.
M. Rouvier riposte par quelques mots qu'on
n'entend guère dans le bruit et M. Jourdan
demande au président de le protéger contre des
outrages « qui partent de si bas! » -
Mais M. Rouvier s'abstient de répliquer
surle même ton. Car ce à quoi il tient pour
l'instant, c'est à répondre à M. Jaurès et à
refaire une fois de plus, à la tribune, ce plai-
doyer pro domo suâ que lui avait déjà im-
posé naguère l'affaire de Panama:
M. Rouvier. — Il y a eu un jour où, à l'état
d'accusé, j'ai eu à monter à cette tribune pour
fournir à mes collègues des explications qu'ils ont
accueillies, mais qui n'étaient pas encore corrobo-
rées par des actes de la justice. «
Les membres du gouvernement d'alors m'avaient
compris dans une demande en autorisation de
poursuites. C'était pendant cette période où il suf-
fisait de quelques hiéroglyphes sur un morceau de
papier pour être traduit devant la justice de son
pays.
lil. Léon Bourgeois (Marne). - Il fallait que
la justice fût égale pour tous. (Applaudissements.)
M. Rouvier. — Ce que vous venez du dire,
j'allais vous le dire. Je n'ai contre ces hommes ni
haine, ni rancune. Je ne sais même pas si, après
le souvenir des heures cruelles que j'ai traversées,
je ne dois pas reconnaître aujourd'hui que la voie
qu'ils ont suivie était la meilleure pour moi ; elle
m'a permis de me justifier.
J'ai comparu devant un juge d'instruction ; il a
été délivré des commissions rogatoires ; on a véri-
fié des écritures et la justice a corroboré les expli-
cations que j'avais données à la Chambre.
Puisque cette tribune n'a jamais connu que l'ac-
cusation, j'ai bien le droit de faire connaître les
faits à ceux de nos collègues qui sont nouvellement
entrés dans cette Chambre et de leur demander si les
arrêts de la justice ne suffisent plus maintenant à
sauvegarder l'honneur des citoyens. (Applaudisse
ments à gauche et au centre.)
Je ne veux que rappeler à la Chambre l'arrêt
rendu par la chambre des mises en accusation,
composée de douzo ou quatorze magistrats. Le
voici : « Rouvier n'a reçu aucun chèque, ni aucun
fonds de la compagnie de Panama. »
De quel droit venez-vous mêler mon nom aux af-
faires de Panama? (Nouveaux applaudissements
sur les mêmes bancs.)
Votre commission d'enquête a eu sous les yeux
le dossier complet de l'accusation portée contre
moi, et M. Vallé, dans son rapport, a constaté que
le président du conseil, en 1887, avait été saisi le
premier, en cette qualité, d'une demande d'émis-
sion de bons à lots par la Compagnie de Panama ;
il ajoutait que, si j'avais été accessible à la corrup-
tion, c'est alors que je n'aurais pas échappé à la
tentation.
Que reste-t-il donc ? Un fait politique qui peut
être blâmé. Ai-je pensé à l'ériger en système de
gouvernement ?
A qui devais-je compte de ce fait politique? Pas
même à la Chambre dernière. Je n'en devais compte
qu'à mes électeurs, qu'à ceux qui m'ont confié ce
mandat.
Vous faites tous les jours ressortir le mérite des
décisions du jury. Que pensez-vous du verdict d'un
jury, rendu non par douze citoyens, mais par douze
mille ? (Applaudissements à gauche et au centre.)
Croyez-vous- que je me suis présenté devant lui
sans être abreuvé de toutes les amertumes par une
presse hostile, sans que mon concurrent ait rempli
vis-à-vis de moi le rôle d'accusateur public ?
Non seulement le corps électoral m'a absous,
mais il m'a renvoyé sur ces bancs au même titre
que vous tous. (Interruptions.)
M. Marcel-Habert. — Regardez donc là-haut!
Et M. Habert désigne du doigt M. Wilson
— assis à son banc, tranquille et souriant —
semblant dire par là qu'une élection n'équi-
vaut pas toujours à une absolution. Mais
l'incident se poursuit :
M. Rouvier. — J'ai eu à combattre le parti
dont vous étiez un des plus actifs partisans. Ce qui
m'inquiéterait, ce serait votre éloge. (Rires et ap-
plaudissements à gauche et au centre.)
M. Marcel-Habert. — Je n'ai pas, en ce mo-
ment, à discuter la doctrine politique que j'ai dé-
fendue.
fie n'ai qu'une réponse à faire : Je suis entré
dans le boulangisme à la suite du procès Wilson
et j'y suis reste à cause de vos actes. (Bruit.)
M. le président. — J'invite la Chambre au si-
lence, il y va de sa dignité et d'un des droits les
plus sacrés, celui de la défense. (Très bien ! très
bien.)
M, Rouvier. -J'ai dit, et aucune interruption
ne me fera dévier de mon affirmation qui défie toute
contradiction, que j'avais été accusé d'un acte qui,
avant qu'il fût expliqué, pouvait être considéré
comme entachant mon honneur; que j'ai répondu
de cet acte devant la justice de mon pays réguliè-
rement saisie, et que j'ai été régulièrement declaré
indemne.
Une voix à l'extrême gauche. - M. Wilson
aussi.
M. Rouvier. — Pourquoi citez-vous ce nom ?
L'acte dont j'ai été accusé ne ressemble en rien à
ceux auxquels vous faites allusion. (Bruit sur di-
vers bancs.)
La justice a prononcé sur l'acte qui m'était re-
proché, et il n'y a pas à y revenir. (Bruit sur di-
vers bancs.)
J'ajoute que l'autre fait, celui d'avoir emprunté
de l'argent, non pas à la caisse de Panama, avec
laquelle je n'ai eu aucun rapport direct on indirect,
mais à un ami personnel, est un fait que vous
pouvez blâmer, mais le suffrage universel, qui est
juge en pareille matière, s'est prononcé, et il n'y a
plus à y revenir. (Bruit sur divers bancs.)
M. Rouvier parle ensuite, aux applaudis-
sements du centre, des campagnes autrefois
dirigées contre Gambetta, puis contre Ferry.
C'est une façon en somme de montrer qu'on
l'attaque, lui, M. Rouvier, tout de même
qu'on attaquait ceux dont il vient d'évoquer
la mémoire.
M. ROUVIER ET LES « AFFAIRES »
Le passage suivant de ses explications est
curieux :
M. Rouvier. — Vous avez, monsieur Jaurès,
parlé de mon voisinage des affaires, et en vous
écoutant je me demandais si j'avais, sans le sa-
voir, traversé tant d'affaires.
Il y a vingt-trois ans que je suis dans la Cham-
bre ; il y a une quinzaine d'années, j'ai été pen-
dant quinze mois environ membre du conseil
d'administration d'une société que M. Millerand
a citée, la Compagnie auxiliaire des chemins de
fer.
Je n'ai jamais fait partie d'un autre conseil d'ad-
ministration. et vous voudrez bien imaginer que
depuis quinze ans j'ai eu a repousser de nombreu-
ses offres qui, si je les avais acceptées, m'au-
raient plus rapporté que la politique. (Très bien !
très bien 1)
Mais, du jour où j'ai été membre du cabinet
Gambetta, je me suis fait une loi de n'entrer dans
aucune affaire.
Croyez-vous que ce souvenir de la Compagnie
auxiliaire des chemins de fer ait de quoi me gêner
ou me faire rougir? Il y a ici des collègues qui
peuvent attéstor que c'est sur les conseils mêmes
de Gambetta que J'y suis entré.
Il s'agissait, non de faire une opération finan-
cière, mais de constituer une réserve de matériel
roulant pour les compagnies pendant la paix, et
pour l'Etat en temps de guerre
Il paraît, à entendre M. Jaurès, que j'ai connu,
que j'ai fréquenté des financiers, et que par là j«
suis devenu impropre à diriger les affaires dIt:
pays.
Rassurez-vous. Si c'est pour m'éloigner du pou.
voir que vous vous associez à cette campagne de
dénigrement, vous pouvez cesser vos attaques : le
pouvoir n'a rien qui me tente quand je vois l'agréa-
ble existence que vous faites à ceux qui le détien..
nent. (Très bien ! très bien ! et rires.)
Mais vous avez, monsieur Jaurès, la mémoire
singulièrement courte. Je ne veux pas me parer des
quelques services que j'ai pu rendre pendant vingt-
cinq années d'efforts mis au service de la Répu-,
blique; mais puisque vous décrétez mon incapa-
cité à servir la démocratie, avez-vous oublié quW
jour, à la veille de l'Exposition de 1889, la France
était menacée d'un krach, et que cet homme, pollué *
selon vous par le contact des financiers, a, dans
une nuit, obtenu de la finance, de la banque de -
Paris, des sacrifices qui ont préservé ce pays d'un
krach ? (Applaudissements.) -
Et M. Rouvier, qui avait décidément fini -
par dégeler un centre passablement figé au
début, conclut en se proclamant attache à la
démocratie, dont il est issu, et en disant à
ses accusateurs socialistes : « Si j'étais mem- :
bre de vos fédérations, vous me tiendriez, ait
lieu de m'accabler, pour la victime saerée
d'un quasi-erreur judiciaire f M
— Voilà votre homme, voilà votre chef !
crient quelques. socialistes aux députés du
centre, qui applaudissent M. Rouvier des-
cendant de la tribune.
Et maintenant, c'est fini, La Chambre,
fourbue, écoute à peine MM. Pelletan et Des-
chanel, parlant l'un et l'autre pour des faits
personnels. M. Jaurès revient pourtant à la
tribune faire "cette observation :
M. Jaurès. — Quand M. Rouvier, après avoir
exposé la nécessité, des relations cordiales de la
République et de la finance est descendu de la tri-
bune, on a pu constater que la majorité avait
trouvé son chef. (Vifs applaudissements à l'extrême-
gauche. )
Et j'ai le droit d'ajouter que la même majorité
qui ra applaudi tout à l'heure applaudissait l'autre
jour M. le président du conseil répudiant certai-
nes solidarités.
Après la manifestation qui vient de se produire,
j'ai le droit de demander à M. le président du con-
seil quelles étaient les solidarités qu'ils répudiait.
(Nouveaux applaudissements sur les mêmes
bancs.)
Naturellement, la question n'a pas reçu de
réponse.
On a alors mis aux voix l'amendement de
M. Jaurès. Cet amendement a été repoussé
par 264 voix contre 222, c'est-à-dire à uné
majorité de 42 voix seulement. Une majorité
si faible en la circonstance, voilà qui est
étrangement suggestif 1
RENDEZ LES PERMIS 1.
Un député du centre a, comme on l'a vu ai 11
compte rendu de la séance d'avant-hier, protest i
contre les « faveurs » accordées à ces « indus-
driels privilégiés» que seraient les journa* ■
listes. , -
Et comme on lui demandait quelles sont
ces faveurs, ledit député a parlé du tarif ré-
duit dont jouissent les dépêches de presse. ,
Il est vrai que l'administration des postes
et télégraphes accorde le demi-tarif à la cor- 1
respondance télégraphique des journaux -
imitant l'exemple de certaines maisons de )
commerce qui accordent des avantages à leurs 1
meilleurs clients.
Les journaux ne sont-ils pas, en effet, les
meilleurs clients du télégraphe et la condition t
du demi-tarif n'a-t-elle pas encore aidé au dé-
veloppement de leur clientèle — ce dont les
recettes du Trésor ne se trouvent sans doute à
pas mal?
L'observation faite à la tribune parait a
donc assez mal fondée. Nous voyons au con- "t
traire une faveur, réelle celle-là, qu'on eût pu
signaler à bon droit. C'est celle que font Iea •
compagnies de chemins de fer à ces « indus-
triels privilégiés » de la députation en leur t
accordant une carte de circulation perma-
nente sur tous les réseaux français. 'i"l
Cette faveur-là est parfaitement injustifiable. 1
Elle ne peut qu'être onéreuse pour le budget, )
puisque la garantie d'intérêt supporte les per- 3'
tes des compagnies, et elle ne semble d'autre
part pas compatible aveç l'indépendance
où devraient se trouver les membres du Par- "1
lement vis-à-vis desdites compagnies.
Voilà une faveur à supprimer ! 1 40
Messieurs les députés, rendez les permia-I,
1 =5 - *1
LES EXPROPRIATIONS *
DE LA RUE RÉAUMUR ,.
Le jury d'expropriation pour la rue Réau- *
mur continue ses opérations. Le jugement
qu'il a prononcé hier a porté sur 26 affaires.
En voici le détail : a
Expropriés Offres Allocution* 1
Rue Thévenot, 4-6 -
Tattet, propriétaire. 400.000 500.00G
Floquet, fabricant de ,
chamoiserie. 8.000 20.500
Yves, graveur. 18.000 70.000
Périnot, fabricant de
gants. 15.000 40.000 (
Chandelet frères, fabri-
cants de plumes. « 26.000 ^.000 m
Dubré, machand de -
peignés de soie. 4.000 8.000
Rue Thévenot. 10
Moral, propriétaire. 220.000 310.000 :
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peaussiers. "', 15.000, 31.000
Rouberol, bijoutier. 15.000 24.000
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Mialle, fumiste. f 5.000 14.000
Pezetti, entrepreneur j r .¡
de peinture 1 t 4.000 i 7.000
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chemises. * 5.000 **'"28.000
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- -..
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a traité au dernier moment à l'amiable avec
la ville de Paris, moyennant une iudeœnalté ;
de 800,000 franc* '- 1:
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