Titre : Le XIXe siècle : journal quotidien politique et littéraire / directeur-rédacteur en chef : Gustave Chadeuil
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1894-07-23
Contributeur : Chadeuil, Gustave (1821-1896). Directeur de publication
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Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
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Description : 23 juillet 1894 23 juillet 1894
Description : 1894/07/23 (A24,N8225). 1894/07/23 (A24,N8225).
Droits : Consultable en ligne
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Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-199
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 24/04/2013
VINGT-QUATRIÈME ANNÉE. — N° 8,225
LE NUMÉRO CINQ CENTIMES
LUNDI 23 JUILLET 1891
REDICTION ET «DilHISTRATIOR
142, Rue Montmartre
PARIS
DIRECTEUR POLITIQUE
A.-EDOUARD PORTALIS
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ÉCŒUREMENT
Le spectacle que nousdonne cette
discussion sur la répression des menées
anarchistes confond la raison. Nous
avons vu, pendant trois jours de discus-
sion générale, la loi attaquée de toutes
les façons et défendue de la manière la
plus pitoyable uniquement par le rap-
porteur et par le garde des sceaux. C'est
à l'occasion d'un amendement sur l'ar-
ticle premier que le président du con-
seil s'est décidé à intervenir dans une
discussion d'ordre essentiellement poli-
tique, dont il aurait dû supporter tout le
poids.
Son rôle était, dès le début, de faire
connaître sa pensée et s'il n'allait pas,
comme l'avait fait en décembre dernier
M. Casimir-Perier, avec une rigueur
quelque peu brutale, jusqu'à exiger,
en posant à ce propos la question de
confiance, la discussion immédiate, sans
rapport, sans nomination de commis-
sion, il lui appartenait du moins de
diriger le débat et de mettre la Chambre
en face des responsabilités que son atti-
tude ferait peser sur elle.
Non seulement il n'en a rien fait,
mais dans toute cette discussion, sauf
pour lire la déclaration que nous avons
déjà appréciée, il a observé le mutisme
le plus extraordinaire, laissant le mi-
nistre de la justice ergoter, avec une
incapacité juridique inouïe, sur des
questions de détail, la commission, re-
présentée par le plus insuffisant des
rapporteurs, tomber de bévue en bévue,
les commissaires du gouvernement « pa-
tauger », -il n'y a pas d'autre mot —
à plaisir. On a vu le ministre de la jus-
tice et le rapporteur se mettre en con-
tradiction flagrante l'un avec l'autre,
sous prétexte de confirmer les déclara-
tions l'un de l'autre.
On est allé d'amendement en amen-
dement, acceptant l'un, repoussant l'au-
tre pour le subir un instant plus tard,
ajoutant ici, retranchant là, au petit
bonheur, sans savoir si ce que l'on
acceptait n'était pas en contradiction
avec ce qui avait été déjà voté. On n'en
est qu'à l'article 2 et déjà la confusion est
telle que l'on est dans le gâchis le plus
complet. La séance d'hier soir a pré-
senté le tableau le plus invraisemblable,
le plus humiliant pour ceux qui croient
encore qu'un pays comme la France
doit être gouvernée par des hommes
nous ne dirons même pas de quelque
valeur, mais de quelque intelligence et
que la besogne législative demande à
être faite avec quelque suite dans les
idées.
C'est surtout à la fin, à propos d'un
amendement de M. Pourquery de Bois-
serin concernant les provocations anar-
chistes adressées aux militaires, que la
confusion est devenue inextricable. Le
compte rendu analytique dira peut-être
ce que voulaient les députés sur cette
question. Quant à nous qui avons as-
sisté à la séance, qui l'avons suivie avec
ta plus grande attention, la vérité nous
oblige à déclarer que nous n'y compre-
nons rien encore à l'heure actuelle et
que, à la sortie de la séance, les dépu-
tés eux-mêmes n'y comprenaient pas
davantage.
Mais ce que nous avons vu, c'est que
le rapporteur ne savait même pas si les
"textes qu'on présentait n'étaient pas en
contradiction avec ceux qui avaient été
votés; c'est que les ministres restaient
à leur banc sans faire la moindre ten-
tative pour dissiper les confusions, et
qu'enfin, après la prise en considération
d'un amendement que le rapporteur avait
combattu, le président de la commission
venait déclarer que le gouvernement et
la commission s'étaient mis d'accord
avec l'auteur de l'amendement sur une
rédaction nouvelle, qu'il demandait à la
Chambre de voter. Or, cet amendement
faisait dire par l'article 2 tout juste le
contraire de ce que disait l'article 1er.
Le garde des sceaux a dû venir à la
tribune confesser qu'il y avait bien une
certaine contradiction, et le rapporteur
n'a trouvé que cette excuse, que la
Chambre ayant voté la prise en considé-
ration, le gouvernement et la commis-
sion s'étaient efforcés de lui donner
satisfaGtion. A quoi sert le gouverne-
ment, à quoi sert la commission, s'ils
ne prennent ni l'un ni l'autre la direc-
tion de la discussion, s'ils n'empêchent
pas l'Assemblée de commettre ces con-
tradictions, s'ils ne s'efforcent pas de
faire que la loi soit une œuvre d'en-
semble ?
On s'est décidé, après que ce navrant
spectable eût duré fort longtemps, à
renvoyer les morceaux de la loi à la
commission. Qu'en fera celle-ci? Elle
aura du mal à les raccommoder et à en
faire un texte législatif qui ait le sens
commun. Une proposition bien sage
avait été faite par M. d'Hulst. Il deman-
dait de fixer la prochaine séance au 15
octobre. On ne s'est ajourné qu'à lundi
matin. C'est un bien court délai pour
que la commission arrive à élaborer
quelque chose. Si elle y parvient, qu'en
fera la Chambre?
Le gouvernement avait pu croire
que, malgré les justes critiques dirigées
contre le proj et de loi, il y aurait une ma-
jorité pour le voter, et les premiers scru-
tins l'avaient confirmé dans cette belle
assurance. Mais son attitude au cours du
débat a exaspéré les membres de cette
majorité. Ils voient le gouvernement
sans volonté, n'ayant pour toute idée
que de se tenir en équilibre, au prix de
conceptions les plus invraisemblables,
de capitulations les plus humiliantes.
S'ils lui donnent le vote qu'il demande
— et la chose est maintenant fort dou-
teuse - ils ne lui pardonneront pas le
ridicule dont il les couvre avec lui, et
ils saisiront la première occasion de
l'en châtier.
LA BRAVOURE DE FALSTAFF
Il s'est produit à la séance d'hier matin
un petif incident qui mérite d'être mis en
lumière.
M. Millerand, dans un discours que M.
Dupuy a qualifié « d'enflammé », avait dit
que la loi en discussion était l'œuvre de
députés qui, ayant été malmenés par les
journaux à propos de l'affaire de Panama,
voulaient se venger de la presse.
Ceaqui n'est pas niable, c'est que les
députés auxquels M. Millerand a fait allu-
sion sont, on peut le dire, les colonnes de
la majorité à laquelle M. Dupuy a fait
appel pour le vote de sa loi.
Mais la qualité maîtresse de Falstaff
n'est pas la bravoure. Aussi M. Dupuy
s'est-il immédiatement précipité à la tri-
bnne pour donner aux députés que M. Mil-
lerand venait de viser le coup de pied de
l'âne en répudiant avec eux toute solida-
rité et en s'écriant que ce n'était pas aux
membres de son ministère qu'on pourrait
jamais reprocher d'avoir fait partie d'au-
cun conseil d'administration et d'avoir été
mêlés à aucune affaire financière.
Que peuvent bien penser de cette sortie
du président du conseil les membres de
la majorité ministérielle qui s'appellent
Maurice Rouvier, Jules Roche, Etienne,
Joseph Reinach, etc. ?
Et le président de la Chambre, M. Bar-
deau, qu'en pense-t-il?
LA GUILLOTINE A TULLE
L'exécution de l'assassin Boucbareichas,
condamné à mort d'abord à Limoges, puis à
Tulle (le procès ayant été cassé) pour le
meurtre de son maître, M. Heroy, négociant à
Limoges, aura lieu demain matin.
Les bois de justice ont quitté Paris, hier
soir à 11 heures, par la gare d'Orléans.
Bouchareichas n'est âgé que de 17 ans.
LE PROCÈS CASERIO
Lyon, 21 juillet.
Aujuurd'hui a eu lieu dans le cabinet du
procureur général une conférence où on a
arrêté les mesures à prendre le jour du pro-
cès Caserio.
A cette réunion assistaient MM. Fochier,
Breuillac, président de la cour d'assises, Gra-
vier et Rostaing, secrétaires généraux de la
préfecture ; Sousselier, colonel de gendarme-
rie ; Meyer, chef de division à la préfecture
d'un officier d'ordonnance du gouverneur.
Voici ce qui a été décidé : Vendredi matin à
sept heures, Caserio quittera sa ceHule et
montera dans une voiture où se trouveront
plusieurs agents de la sûreté. La voiture se
rendra au palais escortée par un peloton de
douze gendarmes à cheval.
Aussitôt anivé, Caserio sera conduit dans
une petite pièce placée prés de la salle des
assises.
Un bataillon d'infanterie gardera le palais
de justice. - - -
Dès huit heures, un cordon de fantassins
entourera le palais. A toutes les entrées se
trouveront des gardiens de la paix et des
agents de la sûreté. Nul ne pourra pénétrer
s'il ne justifie de son identité. Dans la salle
des Pas-Perdus se tiendra une compagnie
d'infanterie, des gardiens de la paix et tout le
personnel disponible de la sûreté.
Casario ne couchera pas au Palais, ven-
dredi soir, il sera ramené à la prison Saint-
Paul, avec la même escorte qu'à l'aller et il
reviendra le lendemain une heure avant la
reprise des débats.
Caserio ne se tiendra pas à la place habi-
tuelle des accusés : on le placera probable-
ment devant le banc des avocats.
Cette modification aux usages est rendue
indispensable par suite du nouvel arrange-
ment de la salle. On a dû, en effet, déplacer
les bancs des accusés pour permettre d'ins-
taller les 60 ou 80 journalistes qui suivront
les débats.
EXPLOSION A ROME
* Rome, 21 juillet.
Un pétard formé d'une boîte en fer-blanc remplie
de poudre pyrique et de clous a fait explosion
cette nuit. près du mur du jardin de l'ambassade
anglaise, entre la porte Pia et la Polyclinique.
L'explosion n'a causé aucun dégât. Elle parait
être r œuvre d'unindividuqui a voulu se débarras-
ser d'un objet compromettant.
CONTRE L'ANARCHIE
CINQUIÈME JOURNÉE
DE DISCUSSION A LA CHAMBRE?
La séance du matin et la séance du soir.
— Le discours de M. Millerand. —
L'amendement Montaut. — Le
comble de l'incohérence.
De neuf heures à midi et de deux heures à
sept heures et demie du soir, la Chambre a
continué hier la discussion de la loi contre
les menées anarchistes, sans avancer beau-
coup, malgré ce grand effort, un débat qui
commence à apparaître comme interminable.
Cette longue journée a même fini au milieu
d'un si bel imbroglio et d'un tel gâchis qu'on
peut se demander si le gouvernement et la
Chambre savent exactement ce qu'ils font et
s'il leur sera possible de sortir du labyrinthe
législatif où nous les voyons engagés. Mais
n'anticipons pas.
A la séance du matin, M. Piandin a pré-
senté et appuyé le nouveau texte qu'avait éla-
boré la commission en tenant compte de cer-
tains amendements.
Nous verrons plus loin quel est ce texte, no-
tamment pour l'article 2,lequel n'est d'ailleurs
pas encore entièrement voté.
Mais en attendant, sous couleur d'observa-
tion présentée sur l'ensemble de cet article 2,
on a rouvert une sorte de discussion générale.
'Ne nous plaignons pas trop de cette façon de
faire, d'ailleurs autorisée par de très nom-
breux précédents, car nous lui avons dû un
très beau discours de M. Millerand.
M. MILLERAND
Le député de Paris a commencé par vive-
ment critiquer le projet gouvernemental au
point (te., ve juridique. Il a pris texte des
nombreuses variations que ce projet a subies
jusqu'alors — et ce ne sont pas les dernières !
— pour déclarer le gouvernement et la com-
mission engagées à l'aventure dans une voie
au bout de laquelle il n'y a que périls pour
nos libertés. On hésite, on tâtonne en affec-
tant un hypocrite souci de légalité et de libé-
ralisme : mais toutes les voies où l'on s'en-
gage conduisent également à un arbitraire
dont M. Millerand a signalé le danger.
Et quant au but où tendent toutes ces ma-
nœuvres, voyez quelilparaît être à l'éloquent
orateur :
il. Millerand. - M. le président du conseil
nous a dit : « Je ne veux pas me servir de celte loi
contre des adversaires politiques, et, comme prouve,
voici les journaux que nous poursuivons. » Et il
nous a lu deux journaux socialistes.
Il nous les a lus, vous entendez bien comment,
en les dénaturant, en les tronquant. (Bruit.) Je vais
vous en donner la preuve.
M. le garde des sceaux s'était bien gardé de dire
qu'un article qu'il lisait était de notre ami Gérault-
Richard, car on lui aurait dit : « Ce n'est pas pos-
sible que vous ayez lu tout,et que ce soit là le sens
de l'article. »
En effet, dans le même journal, Gérault-Richard
écrivait, quelques jours plus tôt : « La propagande
anarchiste, les attentats contre les personnes me
troublent et me causent une profonde hor-
reur. »
M. le président du conseil. — Vous recon-
naissez bien, monsieur Millerand, que cela n'est
pas dans l'article que j'ai lu.
M. Charles Ferry. — M. Gérault-Richard pu-
blie tous les jours des articles infâmes contre la
Chaiiibre. (Brtiit.)
Et, puisque j'ai la parole, je vous délie de justi-
fier l'infâme article du 7 février 1894 sur l'exécution
de Vaillant.
Soyez modeste. Quand on dirige la Petite Répu-
blique française, on doit être modeste. (Nouveau
bruit.)
M. Henri Brisson. — Ce langage juge toute
la loi. Est-ce que la Chambre va faire des lois quel-
conques pour venger ses propres injures? (Bruit
prolongé.)
Mais c'est la péroraison du discours de M.
Millerand qui a produit surtout un effet con-
sidérable. Le morceau vaut d'être reproduit
en son entier :
M. Millerand. — Comme l'indiquait M. Charles
Ferry, la loi n'est qu'une arme politique que vous
allez confier, sur sa semande, à un gouvernement
violent parce qu'il est faible et présomptueux,
parce qu'il est incapable ! (Applaudissements à
gauche. )
Mais je m'adresse ici aux membres de la majo-
rité, et je leur dis : Réfléchissez ! ce n'est pas seu-
lement au gouvernement que vous allez donner
cette loi.
Si elle est votée, elle constitue une revanche
réclamée, attendue, par les membres de cette
petite coterie peu nombreuse, mais influente,
active, dégagée de scrupules, qui depuis quinze
ans s'est installée dans la République comme dans
sa propriété et sa chose. (Applaudissements à gau-
che.)
Les membres de cette coterie, vous les connais-
sez bien. Vous savez ce qu'ils ont fait, vous en
avez souffert, et vous avez même essayé, un mo-
ment, de réagir contre elle.
Vous avez vu ses membres en relations suivies,
en coquetterie réglée avec ces gros manieurs d'ar-
gent, avec ces banquiers dont les noms sont sur
toutes les tevres :
„ Celui-ci, véritable roi de la République, celui-là
assistant les ministres on détresse d'une Républi-
que qui ne pourrait pas, sans lui, payer ses
dettes.
Cet autre, expiant à Mazas. malgré de hautes
protections, les imprudences d'une existence poli-
tique coupée dans sa fleur, et réfléchissant là sur
les vicissitudes de la fortune et sur l'ingratitude
des hommes.
Leurs noms sont mêlés à tous les krachs, de-
puis la Compagnie auxiliaire des chemins de fer
jusqu'au Panama ? (Très bien très bien!)
Eh bien, un jour est venu où ces relations scan-
daleuses de la Bourse it du pouvoir, où ce compa-
gnonnage politique et financier ont été connus et
où la presse les a signalés.
Les financiers ont senti passer sur leurs têtes le
vent des catastrophes. A peine remis d'une
alarme si chaude, ils se sont promis de faire payer
cher leurs inquiétudes et leurs affres à celle qui les
avait causées à la liberté de la presse.
Oui, ce qu'ils veulent atteindre, c'est la liberté de
la presse, c'est celle qu'il y a cent ans Camille Des-
moulins dans le Vieux Cordelier appelait la ter-
reur des fripons. (Vifs applaudissements à gauche.)
C'est contre elle qu'on vous demande une loi.
Et c'est pour ces gens-là que vous, qui ne devez
votre iortunc politique qu'à la liberte, vous qui
avez combattu le 16 Mai, le 24 Mai. et toutes les
tentatives contre la liberté, vous allez voter une loi
contre la liberté !
Et c'est un gouvernement composé de jeunes
hommes pour lesquels La Républiqua n'a eu que
des sourires et des faveurs. japplaudissements sur
les mêmes bancs), qui va oublier que cette Répu-
blique n'a été faite que des luttes et des souffrances
non seulement des républicains qui siègent ici,
mais encore de cette masse du dehors qui ne vous
demande rien qu'un peu de liberté 9t de justice.
(Nouveaux applaudissements) ; faites-le si vous
voulez I
A cela, M. Ch. Dupuy a répondu qu'en pré-
sentant ce projet de loi il n'avait songe à
servir les rancunes non plus qu'à exercer les
représailles de personne et que le discours de
M. Millerand ne touchait le gouvernement
« ni dans sa collectivité ni dans aucun de ses
membres ».
Puis M. Vaillant a cru nécessaire de para-
phraser le beau discours de M. Millerand
qui, certes, n'avait besoin d'aucun commen-
taire. Naturellement le centre a reproché au
député socialiste d'avoir été de la Commune.
Ce à quoi M. Vaillant a répondu que la Com-
mune au moins n'avait volé personne.
Vous pensez bien qu'il y a eu à ce propos
plus d'un incident et un assez beau tapage.
Mais il nous faut aller vite et courir a.U1
péripéties les plus intéressantes de cette longue
journée.
LES AMENDEMENTS
Un premier amendement de M. le vicomte
d'Hugues à l'article 2, a été rejeté à une grosse
majorité. Et là-dessus, comme il était l'heure
du déieuner, la séance fut suspendue.
A iteux heures et demie, le massacre des
amendements continuait. On en rejetait un
de M. Charpentier, un autre de M. de Ramel,
un troisième de M. Gauthier (de Clagny) ; il
y a bien eu de ci de là pendant ce temps
quelques incidents secondaires mais qui peu-
vent être négligés sans inconvénient.
En somme, la Chambre avait, à ce moment,
voté les trois premiers paragraphes de l'arti-
cle 2 de la commission, lesquels sont ainsi
conçus: .,¥'-;
Sera déféré aux tribunaux de police correction-
nelle et puni d'un emprisonnement de trois mois à
deux ans, et d'une amende de 100 à 2,000 fr. tout
individu qui, on dehors des cas visés par, l'article
précédent, sera convaincu d'avoir, dans un but de
propagande anarchiste : -
Ou d'avoir, soit par provocation, soit par apolo-
gie des faits spésifiés auxdits articles, incité, dans
un But de propagande anarchiste, une ou plusieurs
personnes à commettre soit un vol, soit les crimes
de pillage, d'incendie, soit les crimes punis par
l'article 435 du code pénal ;
Ou d'avoir adressé une provocation à des mili-
taires des armées de terre ou de mer, dans le but
de les détourner de leurs devoirs militaires et de
l'obéissance qu'ils doivent à-leurs chefs dans ce
qu'ils leur commandent pour l'exécution des lois
et règlements militaires.
Arrive alors M. Montaut qui, à ce dernier
paragraphe, propose d'ajouter ces mots : et
la défense cle la Constitution républicaine.
Que pouvait-on raisonnablement objecter à
une telle addition? C'est ce que se demandera
tout homme de bon sens et de bonne foi - peu
au courant de la cuisine politique des combi-
naisons gouvernementales. Le l';Ün tstère a-t7il
craint d'effaroucher, en acceptant l'amende-
ment Montaut, les trente ou quarante droi-
tiers dont l'appoint lui est nécessaire pour
obtenir le vote de sa loi ? Mystère ! Toujours
est-il que le garde des sceaux, le commissaire
du gouvernement, M. Boulloche et le rappor-
teur de la commission, M. Lasscrre, ont cru
devoir repousser ledit amendement comme
inutile. ,
Là-dessus, grosse émotion sur les bancs ré-
publicains et, de cette émotion, M. Brisson
vient se faire, en ces ternies, l'éloquent inter-
prète : ," -
M. Brisson. — C'est une question politique par
excellence, et le gouvernement qui est sur ces bancs
doit être le premier à vouloir déclarer qu'il est
disposé à défendre la Constitution républicaine !
(Vifs applaudissements à gauche.)
Quand on lui demande d'insérer cette disposi-
tion dans un texte législatif, l'hésitation est-elle
permise ? (Nouveaux applaudissements sur les
mêmes bancs. - Réclamations au centre.)
Hier, je n'ai pas hésité à repousser l'amende-
ment de M. Rouanet et la distinction qu'il voulait
faire, parce que je pense que la discipline pendant
la paix est l'école indispensable de la discipline
pendant la guerre.
Mais si vous devez faire respecter les lois et rè-
glements militaires, vous devez aussi faire respec-
ter par l'armée le pouvoir civil (Applaudissements
à gauche), le pouvoir civil et ces lois qui sont au-
dessus de toutes les autres : les lois constitution-
nelles qui ont établi et qui maintiennent la Répu-
blique. (Applaudissements,) l'insertion
Lorsque je vous demande d'accepter l'insertion
de cet amendement dans la loi, c'est à votre propre
respect que j3 vous invite. (Applaudissements ré-
pétés à gauche.)
M. Dupuy essaye de répliquer que la Cons-
titution n'est pas en jeu et que son ministère
la respecte autant que qui que ce soit. Mais
l'accueil que reçoit le président du conseil est
si peu flatteur que le gouvernement lâche
pied et fait couvrir sa retraite par sa fidèle
commission laquelle demande, par l'organe
de son président, que cet amendement, si fiè-
rement repoussé l'instant d'avant, lui soit
renvoyé !
Après une courte suspension de séance, la-
dite commission vient dire assez piteusement
qu'elle accepte l'amendement Montaut. Cette
fois, la capitulation est complète : la crainte
de la défaite y a amené MM. Dupuy, Guérin
dont M. le rapporteur Lasserre est évidem-
ment le porte-parole en la circonstance. Tou-
jours est-il qu'après quelques criallleries de
la droite — décidément aussi mécontente de
l'aventure que le gouvernement lui-même —
l'amendement Montaut est adopté à l'écra-
s-ante majorité de 466 voix contre 28.
LE GACHIS
Mais vous allez voir plus fort encore.
Sur ce même paragraphe 3 de l'article 2 (re-
portez-vous au texte donné un peu plus haut)
M. Pourquery de Boisserin a déposé cette
nouvelle phrase additionnelle « Les mots
da,ns un but de propagande anarchiste ne
s'appliquent pas au paragraphe 3 de l'article
2 », c'est-à-dire que le délit de provocation à
des militaires, qu'il fût fait ou non dans un
but anarchiste, serait dans tous les cas justi-
ciable de la police correctionnelle.
C'est donc une aggravation du projet que
propose M. de Boisserin et la prise en consi-
dération est accordée à cet amendement.
Mais M. de Boisserin est un homme subtil
s'il a proposé cet amendement, ce n'est pas
sans dessein et vous ne tarderez pas à com-
prendre ce que portait dans ses flancs cette
machine de guerre dont nul ne se défiait au
premier abord.
En ittendant, la Chambre vote, après le
rejet de deux amendements, un de M. Jullien,
un autre de M. Marcel-Habert, le paragraphe
quatrième et dernier de l'article 2. Voici ce
paragraphe :
La condamnation ne pourra être prononcée sur
l'unique déclaration d'une personne affirmant
avoir été l'objet des incitations ci-dessus spécifiées,
si cette déclaration n'est pas corroborée par un en-
semble de charges démontrant la culpabilité et
expressément visées dans le jugement de condam-
nation.
Et c'est alors que nous assistons à une
scène extraordinaire, inouïe, abracadabrante,
à une scène comme il ne s'en était peut-être
jamais vu, de mémoire d3 vieux parlemen-
taire.
Vous avez remarqué que l'amendement
Boisserin n'avait été que pris en considéra-
tion. La commission vient rapidement d'en
delibérer au fond, et son président, M. Au-
diffred, déclare qu'elle l'accepte et propose
d'ajouter à l'article 2 ces mots : « Lors même
que ce ne serait pas dans un but de propa-
gande anarchiste. »
- M. Millerand fait remarquer qu'on est en
pleine incohérence et que ce texte serait en
parfaite contradiction avec les dispositions
précédemment votées. Et voici alors M. Pel-
letan, qui, à son tour — et de quelle impi-
toyable manière t — insiste et précise :
M. Pelletan. — Je demande à faire remarquer
à la Chambre que non seulement on est en train
de voter une loi dont la rédaction est un véritable
défi au bon sens.
M. Louis Terrier. — C'est la loi organique de
l'anarchie. (On rit).
M. Pelletan .mais encore que la loi finira par
ne plus avoir le sens commun.
Jusqu'ici elle avait une signification abominable;
je me demande maintenant si elle aura même une
signification quelconque.
L'article 1er punit la propagande si elle a lieu
dans un but anarchiste ; dans l'article2 le même
délit, sera puni, à la condition qu'il n'aura pas été
commis dans un but anarchiste. (On rit.)
De sorte que pour l'excitation à l'indiscipline
des soldats, si on la fait dans un article de journal
ou dans un lieu public, elle ne sera punie que si
elle est faite dans un but anarchiste ; et si elle a
lieu en secret et dans des conversations privées,
elle sera punie, alors même qu'elle n'aura pas été
faite dans un but anarchiste. (Rires à gauche.) i
L'adoption de l'amendement de M. Pourquery de
Boisserin a fait tomber ce qui restait de la loi.
Le spectacle qu'on donne en ce moment au pays
n'est pas fait pour relever la dignité du Parlement.
(Applaudissements.)
Et c'est alors un incomparable gâchis. Le
rapporteur, M. Lasserre, essaye de tirer son
épingle du jeu en expliquant que si la com-
mission a accepté l'amendement Boisserin,
c'était bien malgré elle. « Vous ne l'en avez
pas moins accepté, à vous maintenant de
vous tirer d'affaire ! » riposte le terrible M.
de Boisserin. -
.Entre temps un député de la droite, M. Bour-
geois (de la Vendée), conseille le retrait de
l'urgence accordée à cette loi, ou pour mieux
dire à ce monstre informe et qui n'a plus rien
de législatif. L'idée du retrait d'urgence n'est
pas encore mûre, mais elle pourrait bien faire
du chemin.
Voici alors M. Guérin qui se résigne à de
pénibles aveux :
M. le garde des sceaux.—H n'est pas douteux
qu'il y a une certaine contradiction, non pas au
point do vue de la compétence, mais au point de
vue des circonstances dans lesquelles doivent se
produire les délits prévus aux articles 1 et 2.
Nous ne sommes pas seuls responsables de cette
contradiction, la Chambre a sa part de responsabi-
lité. (Interruptions à gaucho.) Je lui demande, pour
permettre de coordonner les textes, de prononcer
le renvoi à la commission. (Très bien ! très bien 1)
M. itiiiieraild. — Mais on ne peut pas renvoyer
à la commission ce qui a été voto' par la Chambre.
M. le président. — Ce que demande le gou-
vernement, ce n'est pas le renvoi de droit ; il de-
iryule. et la Chambre est corder ou de
rehiscr, que l'ensemble des textes soumis à la
Chambre soit renvoyé à la commission pour un
nouvel examen.
Voix à gauche. — Mais il y a eu des textes vo-
tés.
M. le président.—Evidemment il ne peut pas
s'agir d'une modification aux textes votés par la
Chambre ; la motion du gouvernement ne peut se
traduire que par un ajournement à une séance
ultérieure. (Très bien ! très bien !)
M. Henri Brisson. — 11 est bien entendu que
rien ne peut être modifié aux textes déjà votés par
la Chambre.
M. le président. — Il ne peut pas y avoir de
contestation à cet égard.
Et finalement, toutes choses restant en
l'état — et dans quel état, dieux justes ! —
la Chambre se borne à décider le renvoi de la
discussion à la prochaine séance.
Quand aura lieu cette séance ? « Au 15 oc-
tobre ! » propose M. d'Hulst qui rencontre un
grand nombre d'adhésions. Le fait est que la
motion était beaucoup plus sérieuse qu'elle
n'en avait l'air. Un centrier redoutable de-
mande au contraire qu'on siège aujourd'hui
dimanche.
Comme si un peu de repos n'était pas de-
venu indispensable à cette Chambre surme-
née et affolée ! 280 voix contre 237 fixent la
prochaine séance à lundi matin, neuf heures.
Et la commission profitera de ce répit d'au-
jourd'hui pour essayer de débrouiller cet
abominable chaos 1
LES EXPROPRIATIONS
DE LA RUE RÉAUMUR
Nous avons donné jeudi le premier juge-
ment du jury d'expropriation dans l'affaire
du percement de la rue Réaumur. Voici les
indemnités allouées hier :
Expropriés Offres Allocations
Rue Saint-Denis, 209
Dames Dufour, propr. 404.000 550.000
Larondour, fabricant
de parapluies. 15.000 38.000
Jouffroy, orfêvre. 5.000 15.500
Robert", fabricant de
plumes. 13.000 39.500
Poisson, négociant en
ivoire.,. 10.000. 45.000
Coste, fabricant de pas-
semente:rie. 5.200 45.000
DHeTinton, lingerie.. 18.000 41.000
DUe Labesse , fabri-
cant de plumes. 8.000 22.500
Dlle Herlory, fabricant
de chancellières. 4.000 12.000
Dme Bernard, papete-
rie à façon. 1.000 11.500
Cie du gaz (2 colonnes). 1.000 1.000
Rue Saint-Denis, 207
Breton, propriétaire. 100.000 145.000
Simmonet, charcutier. 25.000 52.000
Rue Saint-Denis, 205 et 203
Gougy, propriétaire. 164.000 215.000
Briançon, quincaillier. 45.000 85.000
Regnier,fabricant d'en-
seignes..,.,. 2.500 8.500
Louis, feuillagiste. 3.500 9.500
Bussillet, fab. de man-
ches de parapluie. 4.500 11.000
Cie du gaz (1 colonne). 500 500
Vve Courtois, prop,. , 186.000 225.000
Rues Saint-Denis et Thévenot, 2
Dme Desablins, mar-
chande de vin. 28.000 41.000
Duchefdelaville, boul. 25.000 35.000
Bride, fab. de ressorts. 4.600 12.000
Grandjean, blanchis-
seur de neuf. 4.000 8.000
Bigot, fab. d'enseignes. 4.300 9.000
DlleMildeau, piqueuse
de parapluies. 3.700 7.000
Total. Fr. 1.084.800 1.685.500
Dans sa séance précédente, le jury avait
attribué 1,110,000 francs d'indemnités à dix-
neuf commerçants ou propriétaires. C'est donc
une somme totale de 2,795,500 francs qui ont
été alloués aux premiers expropriés de la rue
Réaumur au cours de ces deux séances.
L'ENGIN TURPIN
La sous-commission des inventions intéressant
l'armés continue l'examen des projets et plans de
l'engin de guerre de M. Turpin. Elle a déjà tenu
quatre séances et en tiendra 'me ".inquième avant
la réunion plénière de la commission, qui aura lieu
mercredi prochain 25 juillet.
Il est probablo que M. Turpin sera convoqué à
cette séance après que la commission aura pris
connaissance du rapport de la sous-commission. La
commission décidera, s'il y a lieu ou non, de faire
construire l'engin pour l'expérimenter; si elle prend
cette décision, les ateliers de précision de Puteaux
seront chargés de la construction qui n'exigerait
pas un délai plus grand que celui de 15 à 20 jours,
l'engin ayant pour caractère principal une assez
grande simplicité de fabrication. Dans ce cas,
M. Turpin serait appelé à donner des indications
sur la construction de son engin.
LE TSAREVITCH
Londres, 21 juillet.
Le tsarévitch ne quittera Osborne que lundi; il
n'embarquera mardi à bord de Y Etoile-Polaire*
CHRONIQUE
<
« Ce temps-ci, a dit un jour M. de Gon-
court, n'est pas encore l'invasion des Bar-
bares : il n'est que l'invasion des saltim-
banques. » Le mot était pris dans un sens
symbolique. On peut le prendre à la lettre.
J'ai des choses sur le cœur qu'il faut que
je dise, et si je les dis c'est que je suis
certain d'avoir avec moi tous ceux qui ai- t
ment passionnément leur Paris. Il s'est
introduit des habitudes brutales et cho-
quantes qui le déshonorent vraiment un peu
trop. La faiblesse - de l'administration, ses
capitulations successives devant des de-
mandes particulières, ses hésitations en-
suite à réagir, ont amené un état de choses
intolérable. Que devient la renommée, que
nous aurions à maintenir, cependant, du
bon goût raffiné d'élégance, de charme
de Paris? Paris est la proie des forains.
Paris, depuis quelque temps, appartient,
d'une façon régulière, continue, à ces ;
bruyants industriels qui, naguère, s'ins-
tallaient seulement, et modestement en-
core, dans la banlieue aux époques d'
fêtes patronales. w"
Maintenant, les forains tiennent, en *
plein P&ris, le haut du pavé, et on a pour
eux d'extraordinaires indulgences. Ils en -
abusent, en s'installant partout, eux et i
leurs baraques, avec une parfaite inso- *
lence. Je n'ai pas de préjugés et j'admets
qu'il y ait parmi ces nomades de fort bra-
ves gens, mais, franchement, on leur a
laissé trop de libertés et ils sont insup-
portables. Il est invraisemblable qu'ils
aient le droit de rendre successivement le
séjour de tous les quartiers impossible.
C'est qu'ils font, à présent normale-
ment, le tour de Paris. Ce n'est plus seu-
lement dans des circonstances exception-
nelles qu'ils viennent camper sur nos bou-
levards et sur nos places. Il y a un roule-
ment établi, et ils ne lèvent le siège que
pour aller planter leur tente un peu plus
loin.
En ce moment, n'est-il pas inouï de les
voir sur la place de la Bourse, au cœur
même de la grande ville, comme ils fe-
raient en quelque, lointain chef-lieu de
canton ? Quelle idée de notre délicatesse
peuvent emporter les étrangers qui pas-
sent? J'imagine qu'ils doivent être stupé-
faits. Les vieux Parisiens ne le sont pas
moins qu'eux, ne se résignant pas à ac-
cepter ces innovations et à s'incliner de-
vant la tyrannie des forains qui en pren- i
nent si cavalièrement à leur aise. D'ail-
leurs, ils seraient bien bons de se gêner, :
puisqu'on leur permet tout, — non pas
seulement de gâter, par la succession de
leurs roulottes et de leurs baraques, de
belles perspectives, mais encore de dé-
chaîner sans arrêt, et jusqu'au delà de
minuit, les abominables tempêtes de leurs
orgues de Barbarie. Oh ! qu'ils sont bien
nommés ces instruments ridicules, sup-
plice de toute une agglomération d'habi-
tants, et stupides autant que malfaisants !
Si encore les forains donnaient une note
pittoresque, amusante ! Mais tout ce qu'ils
offrent est d'une écœurante banalité, et
leurs manèges de chevaux de bois, leurs
balançoires, leurs « montagnes russes »,
engins merveilleusement appropriés pour
soulever le cœur, qui ne peuvent fonction-
ner qu'en faisant une musique d'enfer,
ont, depuis longtemps, remplacé les in-
ventions plaisantes et naïves d'autrefois.
Tout cela n'est qu'odieux. Est-il possible
qu'on nous impose ces vulgarités ? Est-il.
acceptable que dans la ville de la libre
fantaisie, de l'intelligence, de la sponta-
néité, on se contente de ces distractions
communes, affligeantes de bêtise ?
Ces envahisseurs ne sont pas même in-
téressants, pour la plupart, en ce qui con-
cerne leur situation. Ce ne sont plus des
pauvres diables vivant d'un métier de ha-
sard. ILs n'entendent point inspirer de
pitié. Il y a des installations foraines avec
des machines mues par la vapeur et par
l'électricité, qui représentent la mise en
œuvre de sérieux capitaux. Peut-être y
en a-t-il qui sont formées par actions. Ces
grosses entreprises, qui sont des « affai-
res » comme d autres, ont tué le petit im-
présario de jadis, l'humble montreur de
« phénomènes », dont la misère pouvait
être l'excuse. On nous a joliment changé
notre bohème d'antan, et il n'y a plus de
Tabarin que sur la scène de la Comédie-
Française, quand on y joue la pièce de M.
Mendes.
Ce n'est pas seulement, présentement,
la Bourse et la place des Victoires qu'ont
envahi les forains ; c'est aussi le quartier
Pigalle. Ils y font rage Ils ont installé là
des appareils tumultueux, comme le « Mal
de mer français » (sic), un système de ba-
teaux qui basculent, dont le bruit est for-
midable par lui-même, et s'aggrave encore
par le perpétuel tapage d'un terrible or-
chestrion On ne peut s'imaginer l'état
d'agacement nerveux, de vraie souffrance,
d'exaspération, que produit ce moulin à
musique sauvage. Tous les établissements
rivaux ont le leur, et c'est une infernal*
cacophonie.
Il y a bien, je crois, des ordonnancet
qui défendent ces orgues impitoyables,
qui invitent à les remplacer, puisque
cette grossière musique est, parait-il, in-
dispensabld, par de moins effarantes pro-
ductions de sons. Mais on n'en tient nul
compte, et, sans pitié, ces affreux appel3
se perpétuent très avant dans la nuit. Ils
constituent une véritable torture pour lei
voisins.
Comment soumet-on tout un quartier à
cette torture? Je jure que je ne ris point,
et que la réclamation ne paraîtrait pas fu-
tile à qui aurait le désagrément d'être,
quinze jours, deux fois par an, soumis à
ce supplice. La liberté, selon une excel.
lente définition, consiste à faire tout ce
qui ne nuit pas à autrui. Or, j'atteste que
ces monstrueuses musiques, se mêlant les
unes aux autres, arrivent à produire une
irritation douloureuse à tous ceux qui ha-
bitent dans ces parages. L'obsession de ce
bruit vous p oursuit après qu'il a cessé,
même tout travail devient imoossible. Les
LE NUMÉRO CINQ CENTIMES
LUNDI 23 JUILLET 1891
REDICTION ET «DilHISTRATIOR
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ÉCŒUREMENT
Le spectacle que nousdonne cette
discussion sur la répression des menées
anarchistes confond la raison. Nous
avons vu, pendant trois jours de discus-
sion générale, la loi attaquée de toutes
les façons et défendue de la manière la
plus pitoyable uniquement par le rap-
porteur et par le garde des sceaux. C'est
à l'occasion d'un amendement sur l'ar-
ticle premier que le président du con-
seil s'est décidé à intervenir dans une
discussion d'ordre essentiellement poli-
tique, dont il aurait dû supporter tout le
poids.
Son rôle était, dès le début, de faire
connaître sa pensée et s'il n'allait pas,
comme l'avait fait en décembre dernier
M. Casimir-Perier, avec une rigueur
quelque peu brutale, jusqu'à exiger,
en posant à ce propos la question de
confiance, la discussion immédiate, sans
rapport, sans nomination de commis-
sion, il lui appartenait du moins de
diriger le débat et de mettre la Chambre
en face des responsabilités que son atti-
tude ferait peser sur elle.
Non seulement il n'en a rien fait,
mais dans toute cette discussion, sauf
pour lire la déclaration que nous avons
déjà appréciée, il a observé le mutisme
le plus extraordinaire, laissant le mi-
nistre de la justice ergoter, avec une
incapacité juridique inouïe, sur des
questions de détail, la commission, re-
présentée par le plus insuffisant des
rapporteurs, tomber de bévue en bévue,
les commissaires du gouvernement « pa-
tauger », -il n'y a pas d'autre mot —
à plaisir. On a vu le ministre de la jus-
tice et le rapporteur se mettre en con-
tradiction flagrante l'un avec l'autre,
sous prétexte de confirmer les déclara-
tions l'un de l'autre.
On est allé d'amendement en amen-
dement, acceptant l'un, repoussant l'au-
tre pour le subir un instant plus tard,
ajoutant ici, retranchant là, au petit
bonheur, sans savoir si ce que l'on
acceptait n'était pas en contradiction
avec ce qui avait été déjà voté. On n'en
est qu'à l'article 2 et déjà la confusion est
telle que l'on est dans le gâchis le plus
complet. La séance d'hier soir a pré-
senté le tableau le plus invraisemblable,
le plus humiliant pour ceux qui croient
encore qu'un pays comme la France
doit être gouvernée par des hommes
nous ne dirons même pas de quelque
valeur, mais de quelque intelligence et
que la besogne législative demande à
être faite avec quelque suite dans les
idées.
C'est surtout à la fin, à propos d'un
amendement de M. Pourquery de Bois-
serin concernant les provocations anar-
chistes adressées aux militaires, que la
confusion est devenue inextricable. Le
compte rendu analytique dira peut-être
ce que voulaient les députés sur cette
question. Quant à nous qui avons as-
sisté à la séance, qui l'avons suivie avec
ta plus grande attention, la vérité nous
oblige à déclarer que nous n'y compre-
nons rien encore à l'heure actuelle et
que, à la sortie de la séance, les dépu-
tés eux-mêmes n'y comprenaient pas
davantage.
Mais ce que nous avons vu, c'est que
le rapporteur ne savait même pas si les
"textes qu'on présentait n'étaient pas en
contradiction avec ceux qui avaient été
votés; c'est que les ministres restaient
à leur banc sans faire la moindre ten-
tative pour dissiper les confusions, et
qu'enfin, après la prise en considération
d'un amendement que le rapporteur avait
combattu, le président de la commission
venait déclarer que le gouvernement et
la commission s'étaient mis d'accord
avec l'auteur de l'amendement sur une
rédaction nouvelle, qu'il demandait à la
Chambre de voter. Or, cet amendement
faisait dire par l'article 2 tout juste le
contraire de ce que disait l'article 1er.
Le garde des sceaux a dû venir à la
tribune confesser qu'il y avait bien une
certaine contradiction, et le rapporteur
n'a trouvé que cette excuse, que la
Chambre ayant voté la prise en considé-
ration, le gouvernement et la commis-
sion s'étaient efforcés de lui donner
satisfaGtion. A quoi sert le gouverne-
ment, à quoi sert la commission, s'ils
ne prennent ni l'un ni l'autre la direc-
tion de la discussion, s'ils n'empêchent
pas l'Assemblée de commettre ces con-
tradictions, s'ils ne s'efforcent pas de
faire que la loi soit une œuvre d'en-
semble ?
On s'est décidé, après que ce navrant
spectable eût duré fort longtemps, à
renvoyer les morceaux de la loi à la
commission. Qu'en fera celle-ci? Elle
aura du mal à les raccommoder et à en
faire un texte législatif qui ait le sens
commun. Une proposition bien sage
avait été faite par M. d'Hulst. Il deman-
dait de fixer la prochaine séance au 15
octobre. On ne s'est ajourné qu'à lundi
matin. C'est un bien court délai pour
que la commission arrive à élaborer
quelque chose. Si elle y parvient, qu'en
fera la Chambre?
Le gouvernement avait pu croire
que, malgré les justes critiques dirigées
contre le proj et de loi, il y aurait une ma-
jorité pour le voter, et les premiers scru-
tins l'avaient confirmé dans cette belle
assurance. Mais son attitude au cours du
débat a exaspéré les membres de cette
majorité. Ils voient le gouvernement
sans volonté, n'ayant pour toute idée
que de se tenir en équilibre, au prix de
conceptions les plus invraisemblables,
de capitulations les plus humiliantes.
S'ils lui donnent le vote qu'il demande
— et la chose est maintenant fort dou-
teuse - ils ne lui pardonneront pas le
ridicule dont il les couvre avec lui, et
ils saisiront la première occasion de
l'en châtier.
LA BRAVOURE DE FALSTAFF
Il s'est produit à la séance d'hier matin
un petif incident qui mérite d'être mis en
lumière.
M. Millerand, dans un discours que M.
Dupuy a qualifié « d'enflammé », avait dit
que la loi en discussion était l'œuvre de
députés qui, ayant été malmenés par les
journaux à propos de l'affaire de Panama,
voulaient se venger de la presse.
Ceaqui n'est pas niable, c'est que les
députés auxquels M. Millerand a fait allu-
sion sont, on peut le dire, les colonnes de
la majorité à laquelle M. Dupuy a fait
appel pour le vote de sa loi.
Mais la qualité maîtresse de Falstaff
n'est pas la bravoure. Aussi M. Dupuy
s'est-il immédiatement précipité à la tri-
bnne pour donner aux députés que M. Mil-
lerand venait de viser le coup de pied de
l'âne en répudiant avec eux toute solida-
rité et en s'écriant que ce n'était pas aux
membres de son ministère qu'on pourrait
jamais reprocher d'avoir fait partie d'au-
cun conseil d'administration et d'avoir été
mêlés à aucune affaire financière.
Que peuvent bien penser de cette sortie
du président du conseil les membres de
la majorité ministérielle qui s'appellent
Maurice Rouvier, Jules Roche, Etienne,
Joseph Reinach, etc. ?
Et le président de la Chambre, M. Bar-
deau, qu'en pense-t-il?
LA GUILLOTINE A TULLE
L'exécution de l'assassin Boucbareichas,
condamné à mort d'abord à Limoges, puis à
Tulle (le procès ayant été cassé) pour le
meurtre de son maître, M. Heroy, négociant à
Limoges, aura lieu demain matin.
Les bois de justice ont quitté Paris, hier
soir à 11 heures, par la gare d'Orléans.
Bouchareichas n'est âgé que de 17 ans.
LE PROCÈS CASERIO
Lyon, 21 juillet.
Aujuurd'hui a eu lieu dans le cabinet du
procureur général une conférence où on a
arrêté les mesures à prendre le jour du pro-
cès Caserio.
A cette réunion assistaient MM. Fochier,
Breuillac, président de la cour d'assises, Gra-
vier et Rostaing, secrétaires généraux de la
préfecture ; Sousselier, colonel de gendarme-
rie ; Meyer, chef de division à la préfecture
d'un officier d'ordonnance du gouverneur.
Voici ce qui a été décidé : Vendredi matin à
sept heures, Caserio quittera sa ceHule et
montera dans une voiture où se trouveront
plusieurs agents de la sûreté. La voiture se
rendra au palais escortée par un peloton de
douze gendarmes à cheval.
Aussitôt anivé, Caserio sera conduit dans
une petite pièce placée prés de la salle des
assises.
Un bataillon d'infanterie gardera le palais
de justice. - - -
Dès huit heures, un cordon de fantassins
entourera le palais. A toutes les entrées se
trouveront des gardiens de la paix et des
agents de la sûreté. Nul ne pourra pénétrer
s'il ne justifie de son identité. Dans la salle
des Pas-Perdus se tiendra une compagnie
d'infanterie, des gardiens de la paix et tout le
personnel disponible de la sûreté.
Casario ne couchera pas au Palais, ven-
dredi soir, il sera ramené à la prison Saint-
Paul, avec la même escorte qu'à l'aller et il
reviendra le lendemain une heure avant la
reprise des débats.
Caserio ne se tiendra pas à la place habi-
tuelle des accusés : on le placera probable-
ment devant le banc des avocats.
Cette modification aux usages est rendue
indispensable par suite du nouvel arrange-
ment de la salle. On a dû, en effet, déplacer
les bancs des accusés pour permettre d'ins-
taller les 60 ou 80 journalistes qui suivront
les débats.
EXPLOSION A ROME
* Rome, 21 juillet.
Un pétard formé d'une boîte en fer-blanc remplie
de poudre pyrique et de clous a fait explosion
cette nuit. près du mur du jardin de l'ambassade
anglaise, entre la porte Pia et la Polyclinique.
L'explosion n'a causé aucun dégât. Elle parait
être r œuvre d'unindividuqui a voulu se débarras-
ser d'un objet compromettant.
CONTRE L'ANARCHIE
CINQUIÈME JOURNÉE
DE DISCUSSION A LA CHAMBRE?
La séance du matin et la séance du soir.
— Le discours de M. Millerand. —
L'amendement Montaut. — Le
comble de l'incohérence.
De neuf heures à midi et de deux heures à
sept heures et demie du soir, la Chambre a
continué hier la discussion de la loi contre
les menées anarchistes, sans avancer beau-
coup, malgré ce grand effort, un débat qui
commence à apparaître comme interminable.
Cette longue journée a même fini au milieu
d'un si bel imbroglio et d'un tel gâchis qu'on
peut se demander si le gouvernement et la
Chambre savent exactement ce qu'ils font et
s'il leur sera possible de sortir du labyrinthe
législatif où nous les voyons engagés. Mais
n'anticipons pas.
A la séance du matin, M. Piandin a pré-
senté et appuyé le nouveau texte qu'avait éla-
boré la commission en tenant compte de cer-
tains amendements.
Nous verrons plus loin quel est ce texte, no-
tamment pour l'article 2,lequel n'est d'ailleurs
pas encore entièrement voté.
Mais en attendant, sous couleur d'observa-
tion présentée sur l'ensemble de cet article 2,
on a rouvert une sorte de discussion générale.
'Ne nous plaignons pas trop de cette façon de
faire, d'ailleurs autorisée par de très nom-
breux précédents, car nous lui avons dû un
très beau discours de M. Millerand.
M. MILLERAND
Le député de Paris a commencé par vive-
ment critiquer le projet gouvernemental au
point (te., ve juridique. Il a pris texte des
nombreuses variations que ce projet a subies
jusqu'alors — et ce ne sont pas les dernières !
— pour déclarer le gouvernement et la com-
mission engagées à l'aventure dans une voie
au bout de laquelle il n'y a que périls pour
nos libertés. On hésite, on tâtonne en affec-
tant un hypocrite souci de légalité et de libé-
ralisme : mais toutes les voies où l'on s'en-
gage conduisent également à un arbitraire
dont M. Millerand a signalé le danger.
Et quant au but où tendent toutes ces ma-
nœuvres, voyez quelilparaît être à l'éloquent
orateur :
il. Millerand. - M. le président du conseil
nous a dit : « Je ne veux pas me servir de celte loi
contre des adversaires politiques, et, comme prouve,
voici les journaux que nous poursuivons. » Et il
nous a lu deux journaux socialistes.
Il nous les a lus, vous entendez bien comment,
en les dénaturant, en les tronquant. (Bruit.) Je vais
vous en donner la preuve.
M. le garde des sceaux s'était bien gardé de dire
qu'un article qu'il lisait était de notre ami Gérault-
Richard, car on lui aurait dit : « Ce n'est pas pos-
sible que vous ayez lu tout,et que ce soit là le sens
de l'article. »
En effet, dans le même journal, Gérault-Richard
écrivait, quelques jours plus tôt : « La propagande
anarchiste, les attentats contre les personnes me
troublent et me causent une profonde hor-
reur. »
M. le président du conseil. — Vous recon-
naissez bien, monsieur Millerand, que cela n'est
pas dans l'article que j'ai lu.
M. Charles Ferry. — M. Gérault-Richard pu-
blie tous les jours des articles infâmes contre la
Chaiiibre. (Brtiit.)
Et, puisque j'ai la parole, je vous délie de justi-
fier l'infâme article du 7 février 1894 sur l'exécution
de Vaillant.
Soyez modeste. Quand on dirige la Petite Répu-
blique française, on doit être modeste. (Nouveau
bruit.)
M. Henri Brisson. — Ce langage juge toute
la loi. Est-ce que la Chambre va faire des lois quel-
conques pour venger ses propres injures? (Bruit
prolongé.)
Mais c'est la péroraison du discours de M.
Millerand qui a produit surtout un effet con-
sidérable. Le morceau vaut d'être reproduit
en son entier :
M. Millerand. — Comme l'indiquait M. Charles
Ferry, la loi n'est qu'une arme politique que vous
allez confier, sur sa semande, à un gouvernement
violent parce qu'il est faible et présomptueux,
parce qu'il est incapable ! (Applaudissements à
gauche. )
Mais je m'adresse ici aux membres de la majo-
rité, et je leur dis : Réfléchissez ! ce n'est pas seu-
lement au gouvernement que vous allez donner
cette loi.
Si elle est votée, elle constitue une revanche
réclamée, attendue, par les membres de cette
petite coterie peu nombreuse, mais influente,
active, dégagée de scrupules, qui depuis quinze
ans s'est installée dans la République comme dans
sa propriété et sa chose. (Applaudissements à gau-
che.)
Les membres de cette coterie, vous les connais-
sez bien. Vous savez ce qu'ils ont fait, vous en
avez souffert, et vous avez même essayé, un mo-
ment, de réagir contre elle.
Vous avez vu ses membres en relations suivies,
en coquetterie réglée avec ces gros manieurs d'ar-
gent, avec ces banquiers dont les noms sont sur
toutes les tevres :
„ Celui-ci, véritable roi de la République, celui-là
assistant les ministres on détresse d'une Républi-
que qui ne pourrait pas, sans lui, payer ses
dettes.
Cet autre, expiant à Mazas. malgré de hautes
protections, les imprudences d'une existence poli-
tique coupée dans sa fleur, et réfléchissant là sur
les vicissitudes de la fortune et sur l'ingratitude
des hommes.
Leurs noms sont mêlés à tous les krachs, de-
puis la Compagnie auxiliaire des chemins de fer
jusqu'au Panama ? (Très bien très bien!)
Eh bien, un jour est venu où ces relations scan-
daleuses de la Bourse it du pouvoir, où ce compa-
gnonnage politique et financier ont été connus et
où la presse les a signalés.
Les financiers ont senti passer sur leurs têtes le
vent des catastrophes. A peine remis d'une
alarme si chaude, ils se sont promis de faire payer
cher leurs inquiétudes et leurs affres à celle qui les
avait causées à la liberté de la presse.
Oui, ce qu'ils veulent atteindre, c'est la liberté de
la presse, c'est celle qu'il y a cent ans Camille Des-
moulins dans le Vieux Cordelier appelait la ter-
reur des fripons. (Vifs applaudissements à gauche.)
C'est contre elle qu'on vous demande une loi.
Et c'est pour ces gens-là que vous, qui ne devez
votre iortunc politique qu'à la liberte, vous qui
avez combattu le 16 Mai, le 24 Mai. et toutes les
tentatives contre la liberté, vous allez voter une loi
contre la liberté !
Et c'est un gouvernement composé de jeunes
hommes pour lesquels La Républiqua n'a eu que
des sourires et des faveurs. japplaudissements sur
les mêmes bancs), qui va oublier que cette Répu-
blique n'a été faite que des luttes et des souffrances
non seulement des républicains qui siègent ici,
mais encore de cette masse du dehors qui ne vous
demande rien qu'un peu de liberté 9t de justice.
(Nouveaux applaudissements) ; faites-le si vous
voulez I
A cela, M. Ch. Dupuy a répondu qu'en pré-
sentant ce projet de loi il n'avait songe à
servir les rancunes non plus qu'à exercer les
représailles de personne et que le discours de
M. Millerand ne touchait le gouvernement
« ni dans sa collectivité ni dans aucun de ses
membres ».
Puis M. Vaillant a cru nécessaire de para-
phraser le beau discours de M. Millerand
qui, certes, n'avait besoin d'aucun commen-
taire. Naturellement le centre a reproché au
député socialiste d'avoir été de la Commune.
Ce à quoi M. Vaillant a répondu que la Com-
mune au moins n'avait volé personne.
Vous pensez bien qu'il y a eu à ce propos
plus d'un incident et un assez beau tapage.
Mais il nous faut aller vite et courir a.U1
péripéties les plus intéressantes de cette longue
journée.
LES AMENDEMENTS
Un premier amendement de M. le vicomte
d'Hugues à l'article 2, a été rejeté à une grosse
majorité. Et là-dessus, comme il était l'heure
du déieuner, la séance fut suspendue.
A iteux heures et demie, le massacre des
amendements continuait. On en rejetait un
de M. Charpentier, un autre de M. de Ramel,
un troisième de M. Gauthier (de Clagny) ; il
y a bien eu de ci de là pendant ce temps
quelques incidents secondaires mais qui peu-
vent être négligés sans inconvénient.
En somme, la Chambre avait, à ce moment,
voté les trois premiers paragraphes de l'arti-
cle 2 de la commission, lesquels sont ainsi
conçus: .,¥'-;
Sera déféré aux tribunaux de police correction-
nelle et puni d'un emprisonnement de trois mois à
deux ans, et d'une amende de 100 à 2,000 fr. tout
individu qui, on dehors des cas visés par, l'article
précédent, sera convaincu d'avoir, dans un but de
propagande anarchiste : -
Ou d'avoir, soit par provocation, soit par apolo-
gie des faits spésifiés auxdits articles, incité, dans
un But de propagande anarchiste, une ou plusieurs
personnes à commettre soit un vol, soit les crimes
de pillage, d'incendie, soit les crimes punis par
l'article 435 du code pénal ;
Ou d'avoir adressé une provocation à des mili-
taires des armées de terre ou de mer, dans le but
de les détourner de leurs devoirs militaires et de
l'obéissance qu'ils doivent à-leurs chefs dans ce
qu'ils leur commandent pour l'exécution des lois
et règlements militaires.
Arrive alors M. Montaut qui, à ce dernier
paragraphe, propose d'ajouter ces mots : et
la défense cle la Constitution républicaine.
Que pouvait-on raisonnablement objecter à
une telle addition? C'est ce que se demandera
tout homme de bon sens et de bonne foi - peu
au courant de la cuisine politique des combi-
naisons gouvernementales. Le l';Ün tstère a-t7il
craint d'effaroucher, en acceptant l'amende-
ment Montaut, les trente ou quarante droi-
tiers dont l'appoint lui est nécessaire pour
obtenir le vote de sa loi ? Mystère ! Toujours
est-il que le garde des sceaux, le commissaire
du gouvernement, M. Boulloche et le rappor-
teur de la commission, M. Lasscrre, ont cru
devoir repousser ledit amendement comme
inutile. ,
Là-dessus, grosse émotion sur les bancs ré-
publicains et, de cette émotion, M. Brisson
vient se faire, en ces ternies, l'éloquent inter-
prète : ," -
M. Brisson. — C'est une question politique par
excellence, et le gouvernement qui est sur ces bancs
doit être le premier à vouloir déclarer qu'il est
disposé à défendre la Constitution républicaine !
(Vifs applaudissements à gauche.)
Quand on lui demande d'insérer cette disposi-
tion dans un texte législatif, l'hésitation est-elle
permise ? (Nouveaux applaudissements sur les
mêmes bancs. - Réclamations au centre.)
Hier, je n'ai pas hésité à repousser l'amende-
ment de M. Rouanet et la distinction qu'il voulait
faire, parce que je pense que la discipline pendant
la paix est l'école indispensable de la discipline
pendant la guerre.
Mais si vous devez faire respecter les lois et rè-
glements militaires, vous devez aussi faire respec-
ter par l'armée le pouvoir civil (Applaudissements
à gauche), le pouvoir civil et ces lois qui sont au-
dessus de toutes les autres : les lois constitution-
nelles qui ont établi et qui maintiennent la Répu-
blique. (Applaudissements,) l'insertion
Lorsque je vous demande d'accepter l'insertion
de cet amendement dans la loi, c'est à votre propre
respect que j3 vous invite. (Applaudissements ré-
pétés à gauche.)
M. Dupuy essaye de répliquer que la Cons-
titution n'est pas en jeu et que son ministère
la respecte autant que qui que ce soit. Mais
l'accueil que reçoit le président du conseil est
si peu flatteur que le gouvernement lâche
pied et fait couvrir sa retraite par sa fidèle
commission laquelle demande, par l'organe
de son président, que cet amendement, si fiè-
rement repoussé l'instant d'avant, lui soit
renvoyé !
Après une courte suspension de séance, la-
dite commission vient dire assez piteusement
qu'elle accepte l'amendement Montaut. Cette
fois, la capitulation est complète : la crainte
de la défaite y a amené MM. Dupuy, Guérin
dont M. le rapporteur Lasserre est évidem-
ment le porte-parole en la circonstance. Tou-
jours est-il qu'après quelques criallleries de
la droite — décidément aussi mécontente de
l'aventure que le gouvernement lui-même —
l'amendement Montaut est adopté à l'écra-
s-ante majorité de 466 voix contre 28.
LE GACHIS
Mais vous allez voir plus fort encore.
Sur ce même paragraphe 3 de l'article 2 (re-
portez-vous au texte donné un peu plus haut)
M. Pourquery de Boisserin a déposé cette
nouvelle phrase additionnelle « Les mots
da,ns un but de propagande anarchiste ne
s'appliquent pas au paragraphe 3 de l'article
2 », c'est-à-dire que le délit de provocation à
des militaires, qu'il fût fait ou non dans un
but anarchiste, serait dans tous les cas justi-
ciable de la police correctionnelle.
C'est donc une aggravation du projet que
propose M. de Boisserin et la prise en consi-
dération est accordée à cet amendement.
Mais M. de Boisserin est un homme subtil
s'il a proposé cet amendement, ce n'est pas
sans dessein et vous ne tarderez pas à com-
prendre ce que portait dans ses flancs cette
machine de guerre dont nul ne se défiait au
premier abord.
En ittendant, la Chambre vote, après le
rejet de deux amendements, un de M. Jullien,
un autre de M. Marcel-Habert, le paragraphe
quatrième et dernier de l'article 2. Voici ce
paragraphe :
La condamnation ne pourra être prononcée sur
l'unique déclaration d'une personne affirmant
avoir été l'objet des incitations ci-dessus spécifiées,
si cette déclaration n'est pas corroborée par un en-
semble de charges démontrant la culpabilité et
expressément visées dans le jugement de condam-
nation.
Et c'est alors que nous assistons à une
scène extraordinaire, inouïe, abracadabrante,
à une scène comme il ne s'en était peut-être
jamais vu, de mémoire d3 vieux parlemen-
taire.
Vous avez remarqué que l'amendement
Boisserin n'avait été que pris en considéra-
tion. La commission vient rapidement d'en
delibérer au fond, et son président, M. Au-
diffred, déclare qu'elle l'accepte et propose
d'ajouter à l'article 2 ces mots : « Lors même
que ce ne serait pas dans un but de propa-
gande anarchiste. »
- M. Millerand fait remarquer qu'on est en
pleine incohérence et que ce texte serait en
parfaite contradiction avec les dispositions
précédemment votées. Et voici alors M. Pel-
letan, qui, à son tour — et de quelle impi-
toyable manière t — insiste et précise :
M. Pelletan. — Je demande à faire remarquer
à la Chambre que non seulement on est en train
de voter une loi dont la rédaction est un véritable
défi au bon sens.
M. Louis Terrier. — C'est la loi organique de
l'anarchie. (On rit).
M. Pelletan .mais encore que la loi finira par
ne plus avoir le sens commun.
Jusqu'ici elle avait une signification abominable;
je me demande maintenant si elle aura même une
signification quelconque.
L'article 1er punit la propagande si elle a lieu
dans un but anarchiste ; dans l'article2 le même
délit, sera puni, à la condition qu'il n'aura pas été
commis dans un but anarchiste. (On rit.)
De sorte que pour l'excitation à l'indiscipline
des soldats, si on la fait dans un article de journal
ou dans un lieu public, elle ne sera punie que si
elle est faite dans un but anarchiste ; et si elle a
lieu en secret et dans des conversations privées,
elle sera punie, alors même qu'elle n'aura pas été
faite dans un but anarchiste. (Rires à gauche.) i
L'adoption de l'amendement de M. Pourquery de
Boisserin a fait tomber ce qui restait de la loi.
Le spectacle qu'on donne en ce moment au pays
n'est pas fait pour relever la dignité du Parlement.
(Applaudissements.)
Et c'est alors un incomparable gâchis. Le
rapporteur, M. Lasserre, essaye de tirer son
épingle du jeu en expliquant que si la com-
mission a accepté l'amendement Boisserin,
c'était bien malgré elle. « Vous ne l'en avez
pas moins accepté, à vous maintenant de
vous tirer d'affaire ! » riposte le terrible M.
de Boisserin. -
.Entre temps un député de la droite, M. Bour-
geois (de la Vendée), conseille le retrait de
l'urgence accordée à cette loi, ou pour mieux
dire à ce monstre informe et qui n'a plus rien
de législatif. L'idée du retrait d'urgence n'est
pas encore mûre, mais elle pourrait bien faire
du chemin.
Voici alors M. Guérin qui se résigne à de
pénibles aveux :
M. le garde des sceaux.—H n'est pas douteux
qu'il y a une certaine contradiction, non pas au
point do vue de la compétence, mais au point de
vue des circonstances dans lesquelles doivent se
produire les délits prévus aux articles 1 et 2.
Nous ne sommes pas seuls responsables de cette
contradiction, la Chambre a sa part de responsabi-
lité. (Interruptions à gaucho.) Je lui demande, pour
permettre de coordonner les textes, de prononcer
le renvoi à la commission. (Très bien ! très bien 1)
M. itiiiieraild. — Mais on ne peut pas renvoyer
à la commission ce qui a été voto' par la Chambre.
M. le président. — Ce que demande le gou-
vernement, ce n'est pas le renvoi de droit ; il de-
iryule. et la Chambre est corder ou de
rehiscr, que l'ensemble des textes soumis à la
Chambre soit renvoyé à la commission pour un
nouvel examen.
Voix à gauche. — Mais il y a eu des textes vo-
tés.
M. le président.—Evidemment il ne peut pas
s'agir d'une modification aux textes votés par la
Chambre ; la motion du gouvernement ne peut se
traduire que par un ajournement à une séance
ultérieure. (Très bien ! très bien !)
M. Henri Brisson. — 11 est bien entendu que
rien ne peut être modifié aux textes déjà votés par
la Chambre.
M. le président. — Il ne peut pas y avoir de
contestation à cet égard.
Et finalement, toutes choses restant en
l'état — et dans quel état, dieux justes ! —
la Chambre se borne à décider le renvoi de la
discussion à la prochaine séance.
Quand aura lieu cette séance ? « Au 15 oc-
tobre ! » propose M. d'Hulst qui rencontre un
grand nombre d'adhésions. Le fait est que la
motion était beaucoup plus sérieuse qu'elle
n'en avait l'air. Un centrier redoutable de-
mande au contraire qu'on siège aujourd'hui
dimanche.
Comme si un peu de repos n'était pas de-
venu indispensable à cette Chambre surme-
née et affolée ! 280 voix contre 237 fixent la
prochaine séance à lundi matin, neuf heures.
Et la commission profitera de ce répit d'au-
jourd'hui pour essayer de débrouiller cet
abominable chaos 1
LES EXPROPRIATIONS
DE LA RUE RÉAUMUR
Nous avons donné jeudi le premier juge-
ment du jury d'expropriation dans l'affaire
du percement de la rue Réaumur. Voici les
indemnités allouées hier :
Expropriés Offres Allocations
Rue Saint-Denis, 209
Dames Dufour, propr. 404.000 550.000
Larondour, fabricant
de parapluies. 15.000 38.000
Jouffroy, orfêvre. 5.000 15.500
Robert", fabricant de
plumes. 13.000 39.500
Poisson, négociant en
ivoire.,. 10.000. 45.000
Coste, fabricant de pas-
semente:rie. 5.200 45.000
DHeTinton, lingerie.. 18.000 41.000
DUe Labesse , fabri-
cant de plumes. 8.000 22.500
Dlle Herlory, fabricant
de chancellières. 4.000 12.000
Dme Bernard, papete-
rie à façon. 1.000 11.500
Cie du gaz (2 colonnes). 1.000 1.000
Rue Saint-Denis, 207
Breton, propriétaire. 100.000 145.000
Simmonet, charcutier. 25.000 52.000
Rue Saint-Denis, 205 et 203
Gougy, propriétaire. 164.000 215.000
Briançon, quincaillier. 45.000 85.000
Regnier,fabricant d'en-
seignes..,.,. 2.500 8.500
Louis, feuillagiste. 3.500 9.500
Bussillet, fab. de man-
ches de parapluie. 4.500 11.000
Cie du gaz (1 colonne). 500 500
Vve Courtois, prop,. , 186.000 225.000
Rues Saint-Denis et Thévenot, 2
Dme Desablins, mar-
chande de vin. 28.000 41.000
Duchefdelaville, boul. 25.000 35.000
Bride, fab. de ressorts. 4.600 12.000
Grandjean, blanchis-
seur de neuf. 4.000 8.000
Bigot, fab. d'enseignes. 4.300 9.000
DlleMildeau, piqueuse
de parapluies. 3.700 7.000
Total. Fr. 1.084.800 1.685.500
Dans sa séance précédente, le jury avait
attribué 1,110,000 francs d'indemnités à dix-
neuf commerçants ou propriétaires. C'est donc
une somme totale de 2,795,500 francs qui ont
été alloués aux premiers expropriés de la rue
Réaumur au cours de ces deux séances.
L'ENGIN TURPIN
La sous-commission des inventions intéressant
l'armés continue l'examen des projets et plans de
l'engin de guerre de M. Turpin. Elle a déjà tenu
quatre séances et en tiendra 'me ".inquième avant
la réunion plénière de la commission, qui aura lieu
mercredi prochain 25 juillet.
Il est probablo que M. Turpin sera convoqué à
cette séance après que la commission aura pris
connaissance du rapport de la sous-commission. La
commission décidera, s'il y a lieu ou non, de faire
construire l'engin pour l'expérimenter; si elle prend
cette décision, les ateliers de précision de Puteaux
seront chargés de la construction qui n'exigerait
pas un délai plus grand que celui de 15 à 20 jours,
l'engin ayant pour caractère principal une assez
grande simplicité de fabrication. Dans ce cas,
M. Turpin serait appelé à donner des indications
sur la construction de son engin.
LE TSAREVITCH
Londres, 21 juillet.
Le tsarévitch ne quittera Osborne que lundi; il
n'embarquera mardi à bord de Y Etoile-Polaire*
CHRONIQUE
<
« Ce temps-ci, a dit un jour M. de Gon-
court, n'est pas encore l'invasion des Bar-
bares : il n'est que l'invasion des saltim-
banques. » Le mot était pris dans un sens
symbolique. On peut le prendre à la lettre.
J'ai des choses sur le cœur qu'il faut que
je dise, et si je les dis c'est que je suis
certain d'avoir avec moi tous ceux qui ai- t
ment passionnément leur Paris. Il s'est
introduit des habitudes brutales et cho-
quantes qui le déshonorent vraiment un peu
trop. La faiblesse - de l'administration, ses
capitulations successives devant des de-
mandes particulières, ses hésitations en-
suite à réagir, ont amené un état de choses
intolérable. Que devient la renommée, que
nous aurions à maintenir, cependant, du
bon goût raffiné d'élégance, de charme
de Paris? Paris est la proie des forains.
Paris, depuis quelque temps, appartient,
d'une façon régulière, continue, à ces ;
bruyants industriels qui, naguère, s'ins-
tallaient seulement, et modestement en-
core, dans la banlieue aux époques d'
fêtes patronales. w"
Maintenant, les forains tiennent, en *
plein P&ris, le haut du pavé, et on a pour
eux d'extraordinaires indulgences. Ils en -
abusent, en s'installant partout, eux et i
leurs baraques, avec une parfaite inso- *
lence. Je n'ai pas de préjugés et j'admets
qu'il y ait parmi ces nomades de fort bra-
ves gens, mais, franchement, on leur a
laissé trop de libertés et ils sont insup-
portables. Il est invraisemblable qu'ils
aient le droit de rendre successivement le
séjour de tous les quartiers impossible.
C'est qu'ils font, à présent normale-
ment, le tour de Paris. Ce n'est plus seu-
lement dans des circonstances exception-
nelles qu'ils viennent camper sur nos bou-
levards et sur nos places. Il y a un roule-
ment établi, et ils ne lèvent le siège que
pour aller planter leur tente un peu plus
loin.
En ce moment, n'est-il pas inouï de les
voir sur la place de la Bourse, au cœur
même de la grande ville, comme ils fe-
raient en quelque, lointain chef-lieu de
canton ? Quelle idée de notre délicatesse
peuvent emporter les étrangers qui pas-
sent? J'imagine qu'ils doivent être stupé-
faits. Les vieux Parisiens ne le sont pas
moins qu'eux, ne se résignant pas à ac-
cepter ces innovations et à s'incliner de-
vant la tyrannie des forains qui en pren- i
nent si cavalièrement à leur aise. D'ail-
leurs, ils seraient bien bons de se gêner, :
puisqu'on leur permet tout, — non pas
seulement de gâter, par la succession de
leurs roulottes et de leurs baraques, de
belles perspectives, mais encore de dé-
chaîner sans arrêt, et jusqu'au delà de
minuit, les abominables tempêtes de leurs
orgues de Barbarie. Oh ! qu'ils sont bien
nommés ces instruments ridicules, sup-
plice de toute une agglomération d'habi-
tants, et stupides autant que malfaisants !
Si encore les forains donnaient une note
pittoresque, amusante ! Mais tout ce qu'ils
offrent est d'une écœurante banalité, et
leurs manèges de chevaux de bois, leurs
balançoires, leurs « montagnes russes »,
engins merveilleusement appropriés pour
soulever le cœur, qui ne peuvent fonction-
ner qu'en faisant une musique d'enfer,
ont, depuis longtemps, remplacé les in-
ventions plaisantes et naïves d'autrefois.
Tout cela n'est qu'odieux. Est-il possible
qu'on nous impose ces vulgarités ? Est-il.
acceptable que dans la ville de la libre
fantaisie, de l'intelligence, de la sponta-
néité, on se contente de ces distractions
communes, affligeantes de bêtise ?
Ces envahisseurs ne sont pas même in-
téressants, pour la plupart, en ce qui con-
cerne leur situation. Ce ne sont plus des
pauvres diables vivant d'un métier de ha-
sard. ILs n'entendent point inspirer de
pitié. Il y a des installations foraines avec
des machines mues par la vapeur et par
l'électricité, qui représentent la mise en
œuvre de sérieux capitaux. Peut-être y
en a-t-il qui sont formées par actions. Ces
grosses entreprises, qui sont des « affai-
res » comme d autres, ont tué le petit im-
présario de jadis, l'humble montreur de
« phénomènes », dont la misère pouvait
être l'excuse. On nous a joliment changé
notre bohème d'antan, et il n'y a plus de
Tabarin que sur la scène de la Comédie-
Française, quand on y joue la pièce de M.
Mendes.
Ce n'est pas seulement, présentement,
la Bourse et la place des Victoires qu'ont
envahi les forains ; c'est aussi le quartier
Pigalle. Ils y font rage Ils ont installé là
des appareils tumultueux, comme le « Mal
de mer français » (sic), un système de ba-
teaux qui basculent, dont le bruit est for-
midable par lui-même, et s'aggrave encore
par le perpétuel tapage d'un terrible or-
chestrion On ne peut s'imaginer l'état
d'agacement nerveux, de vraie souffrance,
d'exaspération, que produit ce moulin à
musique sauvage. Tous les établissements
rivaux ont le leur, et c'est une infernal*
cacophonie.
Il y a bien, je crois, des ordonnancet
qui défendent ces orgues impitoyables,
qui invitent à les remplacer, puisque
cette grossière musique est, parait-il, in-
dispensabld, par de moins effarantes pro-
ductions de sons. Mais on n'en tient nul
compte, et, sans pitié, ces affreux appel3
se perpétuent très avant dans la nuit. Ils
constituent une véritable torture pour lei
voisins.
Comment soumet-on tout un quartier à
cette torture? Je jure que je ne ris point,
et que la réclamation ne paraîtrait pas fu-
tile à qui aurait le désagrément d'être,
quinze jours, deux fois par an, soumis à
ce supplice. La liberté, selon une excel.
lente définition, consiste à faire tout ce
qui ne nuit pas à autrui. Or, j'atteste que
ces monstrueuses musiques, se mêlant les
unes aux autres, arrivent à produire une
irritation douloureuse à tous ceux qui ha-
bitent dans ces parages. L'obsession de ce
bruit vous p oursuit après qu'il a cessé,
même tout travail devient imoossible. Les
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