Titre : Le XIXe siècle : journal quotidien politique et littéraire / directeur-rédacteur en chef : Gustave Chadeuil
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1894-07-22
Contributeur : Chadeuil, Gustave (1821-1896). Directeur de publication
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Description : 22 juillet 1894 22 juillet 1894
Description : 1894/07/22 (A24,N8224). 1894/07/22 (A24,N8224).
Droits : Consultable en ligne
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Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-199
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 24/04/2013
VINGT-QUATRIÈME ANNÉE. — N- 8,224
LE NUMÉRO CINQ CENTIMES
DIMANCHE 22 JUILLET 1894
LE A1A DlIliliiiJEi
RÉDICTION ET IDMINISTRATIO.
142, Rue Montmartre
PARIS
DIRECTEUR POLITIQUE
A.-EDOUARD PORTALIS
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1 mois. 3 francs
2 mois. 6 francs
Ce p on Ml en France
Un pasteur anglican, qui dirige une so-
ciété de tempérance à Londres, fait an-
nuellement le relevé général de tout l'ar-
gent que dépensent ses compatriotes pour
« s'intoxiquer » à qui mieux mieux. La
carte à payer, the drink bill, comme il
l'appelle, ne rend peut-être pas les Anglais
plus sobres, mais elle renferme des ren-
seignements précieux pour les écono-
mistes, les moralistes, les financiers, les
hommes politiques, car la question des
boissons touche un peu à toutes les au-
tres. Chez nous surtout, elle a une réper-
cussion considérable sur le budget et l'on
s'explique par là les discussions intermi-
nables qui s'engagent à chaque instant sur
ce sujet entre nos législateurs.
Notre pasteur moraliste estime qu'en la
seule année 1892 les sujets de la reine
Victoria ont absorbé cinq milliards et
demi de litres de liquide spiritueux. Et
il évalue le coût de cette consommation à
un peu plus de trois milliards et demi de
francs.
Voici qui donne assurément une haute
idée des facultés d'absorption de nos voi-
sins. Comme pour le tonnage de leurs na-
vires, ils tiennent assurément le premier
rang en Europe pour la capacité de leurs
estomacs.
Hâtons-nous d'ajouter que tous ceux
qui, en Angleterre, ont bu ces cinq mil-
liards et demi de litres ne sont pas néces-
sairement des ivrognes. Car notre révé-
rend, égaré par son zèle piétiste, consi-
dère comme liqueurs enivrantes, intoxi-
cating liquors, toutes celles qui contien-
nent de l'alcool, tels le vin, le cidre, la
bière, que nous rangeons très volontiers,
au contraire, dans la catégorie des bois-
sons hygiéniques.
**#
Il n'est pas téméraire d'affirmer que les
progrès de la consommation en France
marchent de pair avec l'accroissement des
cabarets.
Or, en 1873, le nombre des débits de
boisson dans les départements atteignait
le chiffre respectable de 348,000. Vingt ans
plus tard, on en comptait 413,000. Cet ac-
croissement a été surtout sensible à partir
de l'année 1880.
Vous vous rappelez qu'un décret du
29 décembre 1851 exigeait pour l'ouver-
ture d'un cabaret l'autorisation préfecto-
rale. La loi du 17 juillet 1880, en suppri-
mant cette formalité restrictive, a aug-
menté partout le nombre des débits de
i oisson. En moins de douze ans, il s'est
acru de 56,000. L'augmentation, assez
fo~te partout, a été plus considérable en-
core dans le département de la Seine,où le
nombre des débits s'est élevé dans la
proportion de 38 0/0.
**«
Sans accepter l'opinion des pessimistes
qui prétendent qu'on ne boit plus de vin
en France, il est bien évident que la con-
sommation de cette boisson éminemment
française a une tendance à décroître, sur-
tout dans les grandes villes. Les viticul-
teurs qui rejettent sur le mouillage la res-
ponsabilité de la mévente des vins fer-
ment volontairement les yeux sur les
braies causes de leurs déceptions. En réa-
lité, le vin supporte l'eau beaucoup plus
facilement que la concurrence de liquides
moins hygiéniques, au premier rang des-
quels il faut placer les alcools.
La consommation moyenne du vin par
habitant à Paris est del hectolitre 94; elle
est de 1 hect. 87 à Marseille, de 0,39 au
Havre, de 0,67 à Brest, de 0,30 à Caen.
Est-ce la bière qui fait concurrence au
vin? Assurément non. Car si, à Roubaix,
par exemple, chaque habitant en con-
somme en moyenne 2 hect. 07, partout
ailleurs la quantité absorbée est relative-
ment peu importante : soit 12 litres à
Paris, 10 à Marseille, 12 au Havre, 13 à
prest, 9 à Caen.
Le cidre n'est pas davantage pour les vi
ticulteurs un ennemi bien sérieux. Si à
Caen, au débouché naturel de la vallée
d'Auge, on en absorbe par tête 2 hect. 84 et
1 hect. 13 au Havre, en revanche, c'est
une liqueur absolument inconnue à Mar-
seille. Paris n'en consomme par habitant
que 9 litres et Brest 25 litres en dépit du
voisinage des pays de production.
* *
Mais, il faut bien le reconnaître, l'al-
cool tend de plus en plus à devenir la
boisson courante. Il détrône dans les ca-
barets la bière et le vin surtout, qui ne
sait plus où se cacher. Les chansonniers
qui, jusqu'à Béranger, ont célébré « la
dive bouteille », sont devenus aussi ar-
chaïques que les poètes de la Pléïade. Si
vous voyez encore sur une table de café
une liqueur rouge s'épanouir au fond d'un
verre, il y a neuf chances sur dix pour
que ce soit non du vin, mais du byrrh ou
du mêlé-cassis.
Les cités populeuses et ouvrières vien-
nent naturellement en première ligne dans
ce record de l'alcool. Cherbourg en con-
somme par habitant 18 litres 3 ; Rouen et
le Havre un peu plus de 16 ; Caen 15,8.
Paris et Marseille sont presque raison-
nables, avec une consommation moyenne
de sept litres par tête.
On a remarqué que cette consommation
de l'alcool était en général moins considé-
rable dans les villes du Midi. On s'est em-
pressé d'en faire honneur à la sobriété des
habitants, qui repousseraient d'un air dé-
taché l'alcool et ses travestissements pour
rester fidèles au plus pur jus de leurs
vignes.
Il faut en rabattre, au dire des experts.
Il est bien vrai qu'à Nice, par exemple,
on ne consomme par tête que 4 litres 4
d'alcool, 5,5 à Lyon, 9 à Toulon et seule-
ment 3,8, à Montpellier.
Mais la statistique a des dessous trom-
peurs et il faut ici se méfier des apparen-
ces. Il est a peu près certain qu'on ne dé-
bite pas moins d'alcool dans les eabaréts
de Toulon que dans les bars de Cher-
bourg. Mais on a dans le Midi pour la
fraude des facilités qu'on ne trouve pas
ailleurs.
L'administration des contributions in-
directes n'a pas, à ce qu'elle prétend, des
crédits suffisants pour organiser un con-
trôle sérieux chez les petits distillateurs
de profession.
D'autre part, la liberté de production ac-
cordée aux bouilleurs de cru rend ce con-
trôle aussi illusoire qu'inefficace. On con-
somme autant d'alcool dans le Midi que
dans le Nord, mais la majeure partie de
cet alcool est déjà « volatisée » quand ap-
paraissent les agents du Trésor.
L'hygiène, la morale, l'économie politi-
que et les finances se trouvent donc éga-
lement intéressées chez nous à voir résou-
dre promptement la question de l'alcool.
Avec la faveur croissante dont il jouit au-
près du consommateur français, l'alcool
fait échec aujourd'hui aux boissons hygié-
niques et tend malheureusement à les
remplacer. Mais, alors, n'y a-t-il pas lieu
de se demander si, par un juste relour des
choses d'ici-bas, il ne serait pas légitime
de lui appliquer la peine du talion, en sub-
stituant l'impôt unique ou le monopole
aux taxes variées, compliquées et confuses,
par lesquelles a passé jusqu'ici le régime
de s boissons.
Thomas Graindorge.
AUTRE ANARCHIE
Lorsque le ministère a proposé sa loi
« contre les menées anarchistes », il a
voulu évidemment faire une manifesta-
tion politique et persuader à l'opinion, in-
dignée et étonnée de l'assassinat de M.
Carnot, qu'il avait de l'énergie, qu'il était
un gouvernement fort. Alors il a bâclé à la
hâte un projet de loi et il l'a déposé sans
se demander et peut-être sans être capa-
ble de se rendre compte si ce projet de loi
était efficace, s'il était utile, en un mot
s'il tenait debout.
Plus on avance dans la discussion, plus
on s'aperçoit qu'il ne tient pas debout. Un
grand nombre de députés auraient voulu
et voudraient encore le voter pour pou-
voir dire à leurs électeurs qu'ils ont fait
quelque chose contre l'anarchie. Eux
non plus ne se sont pas d'abord de-
mandé si le projet avait le sens commun,
préférant s'en rapporter au gouvernement
qui est là pour cela ; mais à mesure que le
débat se prolonge la lumière se fait quand
même dans leur esprit, et de moins en
moins il se dissimulent que l'œuvre de
MM. Dupuy et Guérin est absolument
informe. Même ceux qui réclament avec
le plus de passion des lois de répression
proclament que la loi qu'on leur demande
de voter est aussi mal conçue que mal
rédigée et que le temps consacré à sa dis-
cussion est plus que du temps perdu, du
temps mal, très mal employé.
Quant au gouvernement, son insuffi-
sance ne perce pas seulement, elle éclate
à chaque instant. Ceux qui sont gouverne-
mentaux par profession commencent à
trouver qu'on met leur zèle ministériel à
une rude épreuve.
Hier, le gouvernement et la commission
avaient accepté un amendement fort sim-
ple et en même temps fort ingénieux de
M. Léon Bourgeois, stipulant que les dé-
lits de presse visés dans l'article premier
du projet de loi ne seraient déférés aux
tribunaux correctionnels, au lieu de l'être
au jury comme ils le sont aujourd'hui,
que lorsque ces délits auraient « pour but
la propagande anarchiste ».
L'amendement a été voté, puis, après le
vote, la commission, toujours d'accord avec
le gouvernement, est venue dire qu'elle s'é-
tait trompée et a demandé une nouvelle
modification au texte voté qu'elle n'a
d'ailleurs pas obtenue.
Il resterait maintenant à définir ce que
c'est au juste que la propagande anar-
chiste. Cette définition est d'autant plus
indispensable que M. Dupuy a cité avant-
hier deux journaux dont nous sommes
loin certes de partager les idées, mais qui
sont comme doctrine à l'antipode de l'anar-
chie ,et il s'est écrié avec son gros aplomb :
« Voilà la presse que nous attaquons t »
Si donc M. Charles Dupuy. a su avant-
hier ce qu'il disait, l'amendement de M.
Bourgeois, qu'il a accepté hier, démolit
son projet de loi.
D'où il résulte que la discussion de la
loi contre l'anarchie témoigne surtout jus-
qu'ici de l'anarchie qui règne dans l'es-
prit des membres du gouvernement.
Cette anarchie-là aussi a son danger.
Qui nous en débarrassera ?
A.-E. P.
L'ASSASSIN CASERIO
Lyon, 20 juillet.
Ce soir, à cinq heures de l'après-midi, M.
Breuillac, président de la cour d'assises, s'est
rendu à la prison Saint-Paul pour interroger
Caserio. L'assassin a déclare n'avoir rien à
ajouter à ses premières déclarations. Il a dit
qu'il comptait sur l'assistance de Me Po-
dreider et n'avait nullement l'intention de se
pourvoir contre l'arrêt de la chambre des
mises en accusation.
L'entrevue a été assez courte. M. Breuillac
n'est demeuré que quelques minutes dans la
cellule du détenu.
Caserio passera aux assises les 27 et 28
juillet. Il sera défendu par Me Dubreuil, bâ-
tonnier, et Me Podreider, du barreau de
Milan, qui a été choisi par Caserio.
On a remis aujourd'hui à Gaserio son dos-
sier.
CONTRE L'ANARCHIE
QUATRIÈME JOURNÉE
DE DISCUSSION A LA CHAMBRE
Les amendements de M. Rouanet. — La
propagande dans l'armée. — Vote de
l'article 1er du projet. — Un amen-
dement de M. Léon Bourgeois.
La discussion de la loi contre les menées
anarchistes continue lentement, lentement.
Hier, on est bien parvenu à en voter l'article
premier — non sans y apporter une modifi-
cation dont nous expliquerons plus loin l'im-
portance. Mais il reste encore cinq autres
articles, et sur chacun d'eux fourmillent les
amendements et les dispositions addition-
nelles
En attendant, cette séance d'hier a été em-
ployée à écarter les amendements qui avaient
été déposés sur l'article premier. De ces amen-
dements, les deux premiers, à peu près sem-
blables, avaient pour auteurs deux députés
socialistes, M. Rouanet et M. Charpentier, et
tendaient l'un et l'autre au maintien du jury,
à la juridiction duquel on propose — vous le
savez de reste — de substituer celle de la
police correctionnelle.
Les auteurs de ces deux amendements ont
discouiu l'un après l'autre, et assez longue-
ment tous les deux. M. Rouanet, d'humeur
batailleuse, a soulevé, en défendant sa thèse,
des exclamations et interruptions assez nom-
breuses, tandis que M. Charpentier, qui a
parlé en juriste plutôt qu'en polémiste, a été
écouté, sinon avec enthousiasme, du moins
avec calme par une Chambre qui paraît s'être
résignée à avaler tous les discours. Les deux
amendements ont d'ailleurs été rejetés à des
majorités d'au moins cent cinquante voix.
UNE GRANDE BAGARRE
On en était là — et il était déjà assez tard
— quand M. Rouanet est revenu avec un
nouvel amendement qui a mis la Chambre en
l'air et a en somme provoqué le gros incident
de la journée.
Par cet amendement, le député socialiste
de Montmartre demandait qu'on laissât au
jury la connaissance du délit de provocation
à la désobéissance adressée à des militaires
en temps de paix. Assurément la matière
était fort délicate et avait de quoi émouvoir
la Chambre. Et vous allez voir si elle s'est
émue en effet :
M. Rouanet. — Depuis plus d'un siècle, c'est-
à-dire depuis qu'il existe des armées permanentes
et que certains chefs militaires se sont immiscés
dans la politique de ce pays, on ne peut considé-
rer comme un crime contre la patrie, contre la
France, d'exciter, dans certains cas, les soldats à
la désobéissance. (Bruit.)
M. Marcel-Habert. - Ici, nous nous sépa-
rons !
M. Rouanet. — Vous ne pouvez pas ne pas
distinguer si le soldat se trouve ou non en pré-
sence de l'ennemi. (Bruit prolongé. — Cris à droite :
à l'ordre 1)
L'obéissance de l'armée doit être entière, com-
plète, lorsque le soldat.
Voix à droite et au centre. — Toujours !
M. Jaurès. — Et Labordère ?
M. Georges Berry. — Vous êtes en train d'in-
troduire l'anarchie dans l'armée !
M. Rouanet. — Je ne comprends pas ces inter-
ruptions ! Je dis que l'armée doit l'obéissance com-
plète, entière, lorsque.
Nouveaux cris à droite et au centre. — Tou-
jours !
M. le président. — Vous faites de la casuis-
tique sur la discipline militaire : aucun citoyen ne
vous approuvera. (Applaudissements.)
M. Rouanet. — Si M. le président avait bien
voulu me laisser terminer ma phrase, il aurait re-
connu que les paroles qui provoquent ces clameurs,
ces indignations. (Oui! oui 1) ont été prononcées
ici même par un grand parlementaire, qui était
aussi un soldat, et qui ne faisait pas de casuisti-
que, monsieur le président, qui n avait de teçons
de patriotisme à recevoir de personne, car il avait
versé son sang sur plus de vingt champs de ba-
taille!
Voix à droite. — Qui ?
M. Rouanet.— Un député libéral qui s'appelait
le général Foy. (Mouvements divers. — Applaudis-
sements à l'extrême-gauche.)
M. Millerand.- Il faut rappeler le général Foy
à l'ordre !
M. Rouanet.— Voici ses paroles et elles consti-
tuent la pensée même de mon amendement, elles
sont conformes à la tradition constante du parti
républicain J
« L'obéissance de l'armée, disait le général Foy,
doit être entière, absolue, lorsque le soldat a le dos
tourné à l'intérieur et le visage tourné vers l'en-
nemi, mais elle ne doit plus être que conditionnelle
(Exclamations au centre.) lorsque le soldat a le
visage tourné vers ses concitoyens. (Applaudisse-
ments répétés à l'extrême gauche.)
M. Georges Berry. — C'est un factieux qui a
dit cela !
M. Rouanet. — Ce n'est pas là de la casuisti-
que, j'en appelle au souvenir d'un de vos anciens
collègues les plus respectés.
Si le citoyen Labordère était encore là, est-ce
que vous protesteriez?
Un membre au centre. — Oui.
M. Rouanet. — Je demande que l'interruption
de celui qui a dit qu'il protestait contre l'acte de ci-
visme du major Labordère figure à l'Officiel, et
j'espère qu'elle ne restera pas anonyme.
C'est là toute la pensée, toute la portée de mon
amendement. Si vous déférez aux tribunaux correc
tionnels et si vous laissez subsister dans cette loi
la peine de la relégation.
M. Barodet. — Et Baudin ?
Voilà qui déjà n'est pas mal, mais le ta-
page, déjà très gros, s'est encore accru quand
M. Rouanet s'est avisé de faire entrer en
scène M. Dubost, l'ancien garde des sceaux,
qui paraît, depuis quelque temps, destiné à
l'emploi de tête-de-turc.
LES « SANS-PATRIE »
VoyezMu reste la suite de l'incident :
M. Rouanet. — Je fais appel à M. Antonin
Dubost. Si ces lignes de lui, tirées d'un livre pu-
blié en 1869, étaient rééditées aujourd'hui, est-ce
qu'elles ne tomberaient pas sous le coup de la loi
que vous faites ?
Parlant de ces maréchaux du boulevard Mont-
martre dont un encore existe, M. Antonin Dubost
écrivait : « Il y en a qui ont gagné leur bâton de
maréchal dans le sang des Parisiens en 1851. »
N'est-ce pas là de la provocation indirecte?
M. Antonin Dubost. — C'est le jugement de
l'histoire !
Plusieurs membres à gauche. — Voilà
« l'unique cerveau » qui se réveille ! (On rit).
M. Rouanet. — Et aujourd'hui vous voulez
qu'on ne fasse aucune distinction entre l'obéis-
sance légale et celle qui ne l'est pas 1
M, Antonin Dubost. — Noua défendons l'ar-
mée contre les sans-patrie !
M. Rouanet. — Les violences, les clameurs
qui ont accueilli tout à l'heure la citation du géné-
ral Foy montrent malheureusement combien est
élastique ce terme de sans patrie.
S'il y a des sans-patrie, monsieur l'ancien garde
des sceaux, vous avez dû, pendant votre passage
au ministère, en connaître plus d'un, et naguère
vous aviez pris à cette tribune l'engagement de
poursuivre un de ces nombreux sans-patrie, qui ne
sont pas des sans-patrie parce qu'ils prêchent la
désobéissance aux soldats.
M. Antonin Dubost.- J'ai tenu ma promesse :
j'ai fait traduire en justice le personnage qui s'ap-
pelle Cornélius Herz. (Assez ! assez ! - A la ques-
tion ! - Aux voix 1)
M. Audiffred. — Il faudrait bien cependant dis-
cuter la loi 1
M. Rouanet. — Les sans-patrie qui vous ont
été dénoncés par M. Marcel-Habert n'ont pas été
poursuivis.
M. Antonin Dubost. — L'engagement que j'ai
pria de poursuivre Cornélius Herz a été teau6
M. Guérin, garde des sceaux. — Il passera de-
vant le tribunal correctionnel le 27 juillet.
M. Rouanet. — Le renseignement inédit de
l'ancien et du nouveau garde des sceaux devrait
vous déterminer à conserver la juridiction de la
cour d'assises pour les délits prévus à l'article 25.
Au nombre des arguments invoqués par M. le
gPTde des sceaux et par M. le commissaire du gou-
vernement, figure en effet, en première ligne, la ra-
pidité de la procédure. (Rires.)
Si la justice française ne fait aucune distinction
entre les sans-patrie d'en haut et les sans-patrie
d'en bas, est-ce qu'il ne serait pas plus rapide de
recourir à la cour d'assises qu'au tribunal correc-
tionnel, où une affaire peut traîner ainsi pendant
deux ou trois ans?
Ce renseignement, je le répète, fortifie ma thèse,
et je vous demande de maintenir sous la juridic-
tion de la cour d'assises le délit de provocation que
vous voulez envoyer devant le tribunal correc-
tionnel. (Très bien) très bien! à l'extrême gauche.)
Avec le garde des sceaux, avec M. de Mont-
fort qui sont venus successivement protester
contre le langage de M. Rouanet, le tapage
n'a pas diminué, car les socialistes ont ac-
cueilli ces protestations par de violentes ru-
meurs :
M. Guérin, garde des sceaux. — Le gouverne-
ment repousse 1 amendement de M. Rouanet. Il ne
fait aucune différence entre la provocation aux mi-
litaires pour les détourner de leurs devoirs, que ce
soit en temps de guerre ou que ce soit en temps de
paix. (Applaudissements au centre et à gauche. —
déclamations à l'extrême gauche.)
M. Carnaud. — Vous voulez les faire servir au
coup d'Etat!
M. le garde des sceaux. — Quelle que soit
l'époque ou se produisent ces provocations, le
gouvernement les juge également abominables et
il vous demande les moyens de les réprimer.
(Bruit.)
M. Cluseret et M. Georges Berry, qui in-
terrompent, sont rappelés à l'ordre.
M. le garde des sceaux. — Quant à la théo-
rie apportée à cette tribune par M. Rouanet sur
l'obéissance passive des militaires, je lui dirai, en
reprenant des paroles du général Foy : « Depuis
1871, depuis nos défaites, depuis nos provinces
perdues, depuis la plaie saignante que nous por-
tons au flanc, ce n'est pas vers les citoyens que
l'armée a les regards tournés, c'est vers la fron-
tière. » (Très bien ! très bien 1)
M. le vicomte de Montfort — Je viens ap-
porter une protestation indignée contre les paroles
prononcées par M. Rouanet sur la discipline et sur
l'obéissance dans l'armée.
Il n'y a pas deux disciplines, il n'y a pas deux
obéissances ; sans cela il n'y aurait plus d'armée.
(Très bien ! très bien 1) Or l'armée, c'est la patrie !
(Très bien! très bien 1)
M. Rouanet a vivement riposté. On s'est
même un peu querellé à propos du 2 Décem-
bre 1
M. le baron Demarçay a dit aussi quelques
mots dans le tumulte, et finalement la clôture de
l'incident a été prononcée par 330 voix contre
140. Il n'était que temps.
Mais, avant le vote sur l'amendement de
M. Rouanet, amendement qui avait déchaîné
cette grosse tempête, se sont encore produites
des déclarations qu'il faut citer :
M. Chapuis. — Je demande à expliquer mon
vote sur l'amendement de M. Rouanet.
J'ai, depuis le commencement de la discussion,
voté contre la loi ; mais actuellement, moi qui suis
un des représentants de Meurthe-et-Moselle, d'un
département frontière, moi qui connais la disci-
pline militaire an vigueur chez nos voisins (Très
bien! très bien t), je constate que nous devons faire
en sorte d'avoir une armée aussi disciplinée, aussi
forte qu'eux, et qa il importe de laisser l'armée en
dehors de nos discussions. (Applaudissements.)
Si jamais la République était en danger, nous
serions là pour la défendre ! (Vifs applaudisse-
ments. )
l'l, Pourquery de Boisserin. - Je m'associe
aux déclarations de M. Chapuis. Mais je suis
obligé, après les paroles de M. de Montfort sur le
Deux-Décembre, de faire une restriction et de dire
que, pour moi, il y a quelque chose qui est au-des-
sus du commandement militaire, c'est la loi consti-
tutionnelle. (Très bien ! très bien 1) Cela dit, je vo-
terai contre l'amendement de M. Rouanet.
L'amendement de M. Rouanet n'a, d'ail-
leurs, réuni que 70 voix contre 426, et, après
une déclaration de M. Faberot qui a qualifié
la loi nouvelle d' « infamie », l'article l" du
projet gouvernemental a été voté par 297 voix
contre 205.
UNE GROSSE RESTRICTION A LA LOI
Mais, attendez un peu.
Il restait diverses dispositions addition-
nelles présentées sur cet article premier.
L'une, de M. Marcel-Habert, est négligeable
son auteur ayant fini par la retirer. Mais une
seconde disposition additionnelle, présentée
par M. Léon Bourgeois, était d'importance,
comme vous l'allez voir ;
M. Léon Bourgeois. — Le gouvernement et la
commission ont accepté sur l'article 2 un amende-
ment de M. Huguet, aux termes duquel est déter-
miné très exactement le caractère d'acte de propa-
gande anarchiste qui doit être constaté par le tribu-
nal pour l'application des pénalités prevues. Rien
de mieux.
Je demande si ce n'est pas par une omission que
dans l'article 1" la même détermination précise
n'est pas faite? (Très bien! très bien !)
La pensée de tous ceux qui ont préparé et de
tous ceux qui votent cette loi est certainement d'en
limiter l'effet aux actes anarchistes ; si cela est vrai
pour l'article 2, relatif à la propagande non publi-
que, c'est encore plus vrai pour l'ensemble des in-
fractions prévues par l'article premier.
Pour donner à la loi un caractère d'unité et pour
lui laisser la portée politique qui est dans notre
pensée à tous, il faut ajouter à l'article premier les
mêmes mots que le gouvernement accepte à la fin
de l'article 2 : « lorsque ces actes ont pour but la
propagande anarchiste ». (Applaudissements à
gauche. )
C'était là évidemment une grosse restriction
apportée à l'article 1er du gouvernement et
une garantie qui a son prix contre les pour-
suites arbitraires qui eussent pu résulter un'
jour de la loi nouvelle.
M. Bourgeois avait, de plus fort, habilement
présenté cet amendement, que le gouverne-
ment ne pouvait guère refuser puisqu'il avait
proclame à vingt reprises son dessein de lé-
giférer contre les seuls anarchistes.
Les ministres ont donc dû se résigner à ac-
cepter ct amendement Bourgeois et la com-
mission ne pouvait que faire de même. L'a-
mendement a été alors voté à mains levées et
à une grosse majorité. De l'avis général, la
modification ainsi apportée au texte primitif
est d'une valeur considérable et empêchera
certaines facilités que M. Dupuy espérait sans
doute obtenir de sa loi.
On a ensuite abordé l'article 2, contre le-
quel M. Jullien a présenté quelques critiques
générales aussi libérales que sensées. Mais la
suite de cette discussion a été renvoyée à la
séance de ce jour — ou pour mieux dire
« aux séances », car la Chambre se réunira
dès le matin pour tâcher d'avancer un peu
sa besogne. L'article 2 du projet primitif sera
d'ailleurs modifié par certains amendements
que la commission a admis d'ores et déjà. Au-
jourd'hui nous connaîtrons le nouveaux texte
que proposera la commission pour cet ar-
ticle 2.
ADJUDICATION DE 520,000 ŒUFS
S'imagine-t-on le nombre d'œufs consommés an-
nuellement dans les hôpitaux et hospices civils de
Paris?
L'administration ne l'évalue pas à moins de
520,000. C'est, en effet, pour la fourniture de cette
quantité d'œufs qu'elle convie les marchands à vue
adjudication le samedi 4 août,
Voilà de quoi faire ua certain nombre d'ome-
lettes.
CHRONIQUE
ON DEMANDE UN INDICATEUR
Je crois qu'on allongerait sensiblement
la durée moyenne de la vie des Français
en général et des Parisiens en particulier,
si l'on parvenait à leur rendre une partie
du temps qu'ils perdent en vaines déam-
bulations dans les ministères et dans
toutes les grandes administrations pu-
bliques. Si, pour mon compte, on me res-
tituait les heures que j'ai dû, par profes-
sion, gaspiller dans les antichambres, en
colloques inutiles avec les huissiers, en
quête de renseignements qr: fuyaient de-
vant moi comme l'eau du ifcisseau de-
vant les lèvres de Tantale, j'aurais à
l'heure présente beaucoup d'illusions de
plus et quelques cheveux blancs de
moins.
Dernièrement, un mien ami, sur le
point de se marier, crut devoir recourir à
mes bons offices. Comme il s'agissait de
démarches ennuyeuses, mon premier
mouvement — le bon — fut de l'adresser
à son député, qui ne peut, comme quel-
ques autres, hélas ! justifier son élection
qu'en faisant de son mieux le métier de
commissionnaire. J'eus le tort de résister
à cette première impulsion..
Mon ami avait le désir de joindre à son
nom le nom de sa femme. C'est une habi-
tude assez commune dans la région du
Nord. La jeune fille ne perd pas tout en
se mariant et sauve assez souvent du
naufrage tout au moins son nom de fa-
mille qui, accolé au nom du mari, équi-
vaut dans les affaires à une raison sociale.
Ce qu'on fait couramment et par tradition
sans demander conseil à personne, mon
ami voulait le faire au nom de la loi.
Comme il s'agissait d'état civil, je com-
mençai par entrer dans une mairie, his-
toire de me faire renseigner un brin. Mais
le seul renseignement que j'obtins fut d'ê-
tre proprement rabroué par deux ou trois
employés en train de déjeuner, qui m'en-
voyèrent à tous les diables.
Je me dis alors : « Les registres de l'état
civil, les maires, ça doit dépendre du mi-
nistère de l'intérieur. » Et me voilà parti
place Beauvau. Je commençai par faire
deux ou trois kilomètres de corridors sans
apercevoir le moindre chien coiffé. Quand
j'entrouvrais timidement une porte, avant
même d'avoir pu placer un mot, j'enten-
dais une voix qui ronchonnait : « Adres-
sez-vous à l'huissier ! » Et quand, pour
chercher l'huissier, je faisais le tour des
antichambres, ou ce personnage n'y était
pas, ou il me renvoyait à un collègue in-
trouvable.
Enfin, j'eus la veine de rencontrer, vers
les quatre heures, un bon jeune homme
dont le rond de cuir n'avait pas encore
tanné l'épiderme. « Une rectification d'é-
tat civil 1 Mais vous n'y êtes pas du tout,
me dit-il. C'est l'affaire du garde des
sceaux. Courez vite au ministère de la
justice ! »
Je ne fais qu'un bond de la place Beau-
vau à la place Vendôme. Dans le premier
corridor à droite, j'aperçois un huissier
qui dépouillait sa défroque officielle pour
endosser un modeste veston. Comme sa
journée finissait, il n'avait aucun motif
d'être grincheux : « Etat civil ! Parfaite-
ment, c'est bien ici ; mais, ajouta-t-il avec
le plus aimable sourire, les bureaux sont
fermés maintenant, revenez demain à dix
heures. »
Le lendemain à l'heure dite, j'avais en-
fin la bonne fortune de rencontrer un em-
ployé tout prêt à m'entendre. « Voyons
lui dis-je, quelles sont, au juste, les for-
malités à remplir pour que mon ami ob-
tienne l'autorisation de joindre à son nom
le nom de sa femme ?
— Oh ! c'est bien simple, vous allez
d'abord verser au Trésor la somme de six
cents francs. — Diable ! Voilà un cas que
je n'avais pas prévu. — C'est que, voyez-
vous, il y a des formalités assez coûteuses
à remplir. Il faut insérer dans le Journal
officiel l'instance en vue de modifier l'état
civil. Cette insertion devra être reproduite
dans un des journaux de l'arrondissement
habité par le demandeur. Ces publications
faites, vous en adresserez des exemplaires
légalisés au garde des sceaux en y joignant
les actes de naissance des postulants et
leur double requête sur papier timbré. Et,
à ce propos, connaissez-vous un référen-
daire au sceau de France ? »
Je baissai la tête humilié. Non seule-
ment je ne connaissais pas ce fonction-
naire, mais j'ignorais jusqu'à l'existence
de la fonction.
« C'est bien dommage, poursuivait mon
employé, l'intervention d'un référendaire,
sans être obligatoire, peut devenir néan-
moins fort utile quand ce ne serait que
pour abréger les délais. Enfin votre
ami n'est sans doute pas pressé de se ma-
rier ?
» Dès que les requêtes sont entre les
mains du garde des sceaux, il s'empresse
de les renvoyer au procureur de la Répu-
blique de l'arrondissement d'où elles sont
venues. »
Je ne pus m'empêcher de dire qu'on
pourrait peut-être économiser les frais de
cet aller et retour. « Pardon, me dit sévè-
rement l'employé, êtes-vous venu ici pour
critiquer la jurisprudence administrative
ou pour apprendre à la connaître ? Je
continue. Le procureur de la République,
dès qu'il a reçu les requêtes, les transmet
au procureur général avec son avis mo-
tivé. Puis ledit procureur général, renché-
rissant sur son surbordonné, ajoute à son
avis ses observations personnelles et
transmet derechef le dossier au garde des
sceaux. A partir de ce moment, les cho-
ses vont très vite. (Je poussai un soupir de
soulagement.). La demande resie, au mi-
nimum, quatre-vingt-dix jours au minis-
tère de lajustice. C'est ici qu'il ferait bon
avoir un référendaire dans sa manche
pour ne pas attendre deux ou trois ans.
Après ce sommeil réparateur du dossier,
qui, dans ces voyages, a atteint, vous pou-
vez me croire, des dimensions respecta-
bles, le garde des sceaux l'envoie à la sec-
:J.;.on compétente du conseil d'Etat qui
donne son avis et le retourne au minis-
tère de lajustice. Et alors le ministre n'a
plus qu'à faire rédiger un décret et à le
soumettre à la signature du président de
la République. Vous voyez bien que rien
n'est plus simple. »
Inutile d'ajouter qu'en présence des
beautés de cette « filière administra-
tive », mon ami s'est hâté de renoncer à
une fantaisie qui pouvait retarder de plu-
sieurs années son mariage.
Pour moi, je n'ai pas la naïveté d'espé-
rer qu'on abrégera jamais chez nous ces
formalités bureaucratiques. Elles font vi-
vre, après tout, une foule de braves gens
qu'on serait peut-être bien embarrassé
Mais pourquoi n'y aurait-il pas dans les
ministères et dans les grandes adminis-
trations publiques un bureau de rensei-
gnements dans le genre de ceux qui fonc-
tionnent dans les gares pour le service
des chemins de fer î Il est plus facile de
se perdre dans le dédale des bureaux que
dans le réseau compliqué de nos voies fer-
rées.
On vend dans les rues un guide de
l'étranger dans Paris. On trouve à l'entrée
de nos monuments des gens pour vous
donner toutes les explications indispen-
sables. On vous offre des catalogues à la
porte de tous les musées. Ce qu'on fait
pour ceux qui s'amusent, on pourrait bien
le faire pour les autres. A quand le guide
du contribuable au pays des ronds-de-
cuir?
André Balz.
L'AFFAIRE CORNELIUS HERZ
L'affaire Cornélius Herz viendra plus que
jamais le 27 juillet. Nous disons plus que ja-
mais, parce que le procès Meunier à la cour
d'assises de la Seine et le procès Caserio à la
cour d'assises du Rhône venant eux-mêmes à
cette date, l'affaire Herz a infiniment de
chances, sans qu'il y ait besoin de voter une
loi pour en interdire les débats, de passer
inaperçue. C'est ce que souhaitent tout à la
fois le gouvernement et l'hôte de Bourne-
mouth.
Cornélius Herz, comme on peut facilement
le présumer, ne jugera pas à propos, dans la
crainte de compromettre sa santé si chance-
lante de comparaître en personne à l'audience
de la huitième chambre. Il se fera représenter
par un avoué et par l'honorable Me Clunet.
Jusqu'ici Me Clunet s'est vu obstinément
refuser par le parquet le dossier de l'affaire
Herz, dossier qui se trouve actuellement
dans le cabinet de M. Roulier, procureur de
a République, où il est l'objet d'une inces-
sante et active surveillance, - -
Ce dossier, à l'exception des nombreux
scellés qui y sont joints, ne contient aucune
pièce intéressante. Le réquisitoire définitif,
ecrit par M. la procureur général lui-même,
est extrêmement bref. Il ne contient pas d'ex-
posé de faits, mais simplement les nom, pré-
noms et qualités de Cornélius Herz, ainsi que
les chefs d'inculpation. Rien autre chose.
La raison pour laquelle le parquet refuse à
Me Clunet la communication du dossier est
celle-ci : Cornélius Herz est en fuite. Que
l'hôte de Bournemouth traverse le détroit et
revienne en France, aussitôt le dossier sera
communique à son avocat.
Celui-ci, comme nous l'avons déjà annoncé,
se présentera cependant le 27 juillet à l'au-
dience de la huitième chambre, présidée par
M. Flandin. Mais il ne pourra, son client
étant défaillant, que plaider — il n'a cure du
reste d'aborder le fond 1 — sur la question d e
compétence.
Me Clunet soutiendra que Cornélius Herz,
grand-officier de la Légion d'honneur, devait,
pour les faits de chantage qui lui sont repro-
chés, être déféré non à la police correction-
nelle, mais à la première chambre de la cour
d'appel jugeant correctionnellement. M. le
substitut Flach lui répondra, et le jugement
sur cette question préjudicielle sera suscep-
tible d'appel.
L'affaire Cornélius Herz ne sera donc pu
plaidée, quant au fond le 27 juillet. Aussi
les deux seuls témoins cités dans l'affaire, M.
l'expert Flory et M. Imbert. le liquidateur de
la succession du baron de Reinach, s'en re-
tourneront chez eux sans avoir déposé.
Bref, Cornélius Herz a encore devant lui, si
la médecine lui est aussi favorable que la
justice, de longs jours de diabète tranquille.
LA LOI EN DISCUSSION
Les amendements
Plusieurs amendements nouveaux à la loi
en discussion contre « les menées anarchis..
tes» ont été distribués hier. Nous en publions
le texte, ces amendements devant être discu-
tés aujourd'hui :
1° M. Sauvanet. — Article additionnel : « Le cri
de « Vive la République ! » suivi d'une date quel-
conque ne sera, en aucun cas, considéré comme un
cri séditieux. »
2° M. de Ramel. — Rédiger ainsi qu'il suit le
paragraphe 1er de l'article 5 : « Dans les cas prévus
par la présente loi et dans tous ceux où le fait in-
crimine a un caractère anarchiste, les cours et tri-
bunaux, s'il est proféré au cours des débats des
paroles constituant l'apologie de ces faits ou la pro-
vocation à en commettre de semblables, pourront,
sur la réquisition du ministère public, interdire la
reproduction de cette partie des débats par un ju-
gement statuant séance tenante et définitivement
sur l'incident. »
3° M. Sembat. — Ajouter à l'art. 3 la disposition
suivante : « Le condamné pourra demander la sub-
stitution à la peine de la relégation de la peine du
bannissement. »
4° MM. Calvinhac et Sembat. — Article addition-
nel : « Dans tous les cas où, par application soit
de la présente loi, soit de la loi du 12 décembre
1893, il y aura eu arrestation préventive ou saisie,
l'inculpe pourra demander sa mise on liberté pro-
visoire ou la mainlevée de la saisie. Le juge dlns-
truction, après avoir entendu le procureur de la
République, devra statuer dans un délai de vingt-
quatre heures. L'ordonnance sera signifiée dans le
même délai. Le procureur de la République et l'in-
culpé auront, dans les vingt-quatre heures de la
signification de l'ordonnance, le droit de former
opposition devant la chambre des mises en accusa-
tion, qui statuera dans les cinq jours. Si aucune
décision n'est intervenue avant l'expiration de ce
délai, l'inculpé devra être mis en liberté et les
pièces saisies seront restituées. » ,..
5° MM. Maurice Faure. — En CAS de dissolution
de la Chambre des députés, l'effet des dispositions
de la présente loi sera suspendu et la législation
antérieure remise en vigueur pendant la période
comprise entre la date du décret de dissolution et
la reunion de la nouvelle Chambre.
6° MM. Michelin, Paulin-Mery, etc. — La pré-
sente loi ne sera exécutoire qu'après avoir été rati.
fiée par la nation, consultée directement par la voie
du referendum.
Au Sénat
La gauche démocratique, réunie hier, a dé-
cidé d'appuyer devant le Sénat, dans la loi
contre les menées anarchistes, l'amendement
qui aura réuni à la Chambre le plus de voix
relativement à la limitation de la durée t' --
loi.
LE NUMÉRO CINQ CENTIMES
DIMANCHE 22 JUILLET 1894
LE A1A DlIliliiiJEi
RÉDICTION ET IDMINISTRATIO.
142, Rue Montmartre
PARIS
DIRECTEUR POLITIQUE
A.-EDOUARD PORTALIS
Adresse télégraphique : XIX. SIÈCLB—PARIS
Téléphone : 20.289 bis.
ANNONCES
Chaz MM. LAGRANGE, CERF et 0-
6, place de la Bourse, 6
ABONNEMENTS
Paris. trois lois, 6 f.; Six loii, 14 f.; Un Al. 20 f.
Départements - 7f.; - 12 f.; — 24 f.
Union Postale - 9t; - 16 f.; — 32 L
Les Abonnements sont reçus sans frais dans
tous les Bureaux de Poste.
Afin de donner satisfaction aux légi-
times demandes de nombreux lecteurs,
le XIXe SIÈCLE servira, à partir d'au-
jourd'hui, des « abonnements de villégia-
ture » à raison de :
2 mois. 4 francs
1 mois. 2 francs
15 jours 1 franc
8 jours 50 centimes
ETRANGER
15 jours 1 fr. 60
1 mois. 3 francs
2 mois. 6 francs
Ce p on Ml en France
Un pasteur anglican, qui dirige une so-
ciété de tempérance à Londres, fait an-
nuellement le relevé général de tout l'ar-
gent que dépensent ses compatriotes pour
« s'intoxiquer » à qui mieux mieux. La
carte à payer, the drink bill, comme il
l'appelle, ne rend peut-être pas les Anglais
plus sobres, mais elle renferme des ren-
seignements précieux pour les écono-
mistes, les moralistes, les financiers, les
hommes politiques, car la question des
boissons touche un peu à toutes les au-
tres. Chez nous surtout, elle a une réper-
cussion considérable sur le budget et l'on
s'explique par là les discussions intermi-
nables qui s'engagent à chaque instant sur
ce sujet entre nos législateurs.
Notre pasteur moraliste estime qu'en la
seule année 1892 les sujets de la reine
Victoria ont absorbé cinq milliards et
demi de litres de liquide spiritueux. Et
il évalue le coût de cette consommation à
un peu plus de trois milliards et demi de
francs.
Voici qui donne assurément une haute
idée des facultés d'absorption de nos voi-
sins. Comme pour le tonnage de leurs na-
vires, ils tiennent assurément le premier
rang en Europe pour la capacité de leurs
estomacs.
Hâtons-nous d'ajouter que tous ceux
qui, en Angleterre, ont bu ces cinq mil-
liards et demi de litres ne sont pas néces-
sairement des ivrognes. Car notre révé-
rend, égaré par son zèle piétiste, consi-
dère comme liqueurs enivrantes, intoxi-
cating liquors, toutes celles qui contien-
nent de l'alcool, tels le vin, le cidre, la
bière, que nous rangeons très volontiers,
au contraire, dans la catégorie des bois-
sons hygiéniques.
**#
Il n'est pas téméraire d'affirmer que les
progrès de la consommation en France
marchent de pair avec l'accroissement des
cabarets.
Or, en 1873, le nombre des débits de
boisson dans les départements atteignait
le chiffre respectable de 348,000. Vingt ans
plus tard, on en comptait 413,000. Cet ac-
croissement a été surtout sensible à partir
de l'année 1880.
Vous vous rappelez qu'un décret du
29 décembre 1851 exigeait pour l'ouver-
ture d'un cabaret l'autorisation préfecto-
rale. La loi du 17 juillet 1880, en suppri-
mant cette formalité restrictive, a aug-
menté partout le nombre des débits de
i oisson. En moins de douze ans, il s'est
acru de 56,000. L'augmentation, assez
fo~te partout, a été plus considérable en-
core dans le département de la Seine,où le
nombre des débits s'est élevé dans la
proportion de 38 0/0.
**«
Sans accepter l'opinion des pessimistes
qui prétendent qu'on ne boit plus de vin
en France, il est bien évident que la con-
sommation de cette boisson éminemment
française a une tendance à décroître, sur-
tout dans les grandes villes. Les viticul-
teurs qui rejettent sur le mouillage la res-
ponsabilité de la mévente des vins fer-
ment volontairement les yeux sur les
braies causes de leurs déceptions. En réa-
lité, le vin supporte l'eau beaucoup plus
facilement que la concurrence de liquides
moins hygiéniques, au premier rang des-
quels il faut placer les alcools.
La consommation moyenne du vin par
habitant à Paris est del hectolitre 94; elle
est de 1 hect. 87 à Marseille, de 0,39 au
Havre, de 0,67 à Brest, de 0,30 à Caen.
Est-ce la bière qui fait concurrence au
vin? Assurément non. Car si, à Roubaix,
par exemple, chaque habitant en con-
somme en moyenne 2 hect. 07, partout
ailleurs la quantité absorbée est relative-
ment peu importante : soit 12 litres à
Paris, 10 à Marseille, 12 au Havre, 13 à
prest, 9 à Caen.
Le cidre n'est pas davantage pour les vi
ticulteurs un ennemi bien sérieux. Si à
Caen, au débouché naturel de la vallée
d'Auge, on en absorbe par tête 2 hect. 84 et
1 hect. 13 au Havre, en revanche, c'est
une liqueur absolument inconnue à Mar-
seille. Paris n'en consomme par habitant
que 9 litres et Brest 25 litres en dépit du
voisinage des pays de production.
* *
Mais, il faut bien le reconnaître, l'al-
cool tend de plus en plus à devenir la
boisson courante. Il détrône dans les ca-
barets la bière et le vin surtout, qui ne
sait plus où se cacher. Les chansonniers
qui, jusqu'à Béranger, ont célébré « la
dive bouteille », sont devenus aussi ar-
chaïques que les poètes de la Pléïade. Si
vous voyez encore sur une table de café
une liqueur rouge s'épanouir au fond d'un
verre, il y a neuf chances sur dix pour
que ce soit non du vin, mais du byrrh ou
du mêlé-cassis.
Les cités populeuses et ouvrières vien-
nent naturellement en première ligne dans
ce record de l'alcool. Cherbourg en con-
somme par habitant 18 litres 3 ; Rouen et
le Havre un peu plus de 16 ; Caen 15,8.
Paris et Marseille sont presque raison-
nables, avec une consommation moyenne
de sept litres par tête.
On a remarqué que cette consommation
de l'alcool était en général moins considé-
rable dans les villes du Midi. On s'est em-
pressé d'en faire honneur à la sobriété des
habitants, qui repousseraient d'un air dé-
taché l'alcool et ses travestissements pour
rester fidèles au plus pur jus de leurs
vignes.
Il faut en rabattre, au dire des experts.
Il est bien vrai qu'à Nice, par exemple,
on ne consomme par tête que 4 litres 4
d'alcool, 5,5 à Lyon, 9 à Toulon et seule-
ment 3,8, à Montpellier.
Mais la statistique a des dessous trom-
peurs et il faut ici se méfier des apparen-
ces. Il est a peu près certain qu'on ne dé-
bite pas moins d'alcool dans les eabaréts
de Toulon que dans les bars de Cher-
bourg. Mais on a dans le Midi pour la
fraude des facilités qu'on ne trouve pas
ailleurs.
L'administration des contributions in-
directes n'a pas, à ce qu'elle prétend, des
crédits suffisants pour organiser un con-
trôle sérieux chez les petits distillateurs
de profession.
D'autre part, la liberté de production ac-
cordée aux bouilleurs de cru rend ce con-
trôle aussi illusoire qu'inefficace. On con-
somme autant d'alcool dans le Midi que
dans le Nord, mais la majeure partie de
cet alcool est déjà « volatisée » quand ap-
paraissent les agents du Trésor.
L'hygiène, la morale, l'économie politi-
que et les finances se trouvent donc éga-
lement intéressées chez nous à voir résou-
dre promptement la question de l'alcool.
Avec la faveur croissante dont il jouit au-
près du consommateur français, l'alcool
fait échec aujourd'hui aux boissons hygié-
niques et tend malheureusement à les
remplacer. Mais, alors, n'y a-t-il pas lieu
de se demander si, par un juste relour des
choses d'ici-bas, il ne serait pas légitime
de lui appliquer la peine du talion, en sub-
stituant l'impôt unique ou le monopole
aux taxes variées, compliquées et confuses,
par lesquelles a passé jusqu'ici le régime
de s boissons.
Thomas Graindorge.
AUTRE ANARCHIE
Lorsque le ministère a proposé sa loi
« contre les menées anarchistes », il a
voulu évidemment faire une manifesta-
tion politique et persuader à l'opinion, in-
dignée et étonnée de l'assassinat de M.
Carnot, qu'il avait de l'énergie, qu'il était
un gouvernement fort. Alors il a bâclé à la
hâte un projet de loi et il l'a déposé sans
se demander et peut-être sans être capa-
ble de se rendre compte si ce projet de loi
était efficace, s'il était utile, en un mot
s'il tenait debout.
Plus on avance dans la discussion, plus
on s'aperçoit qu'il ne tient pas debout. Un
grand nombre de députés auraient voulu
et voudraient encore le voter pour pou-
voir dire à leurs électeurs qu'ils ont fait
quelque chose contre l'anarchie. Eux
non plus ne se sont pas d'abord de-
mandé si le projet avait le sens commun,
préférant s'en rapporter au gouvernement
qui est là pour cela ; mais à mesure que le
débat se prolonge la lumière se fait quand
même dans leur esprit, et de moins en
moins il se dissimulent que l'œuvre de
MM. Dupuy et Guérin est absolument
informe. Même ceux qui réclament avec
le plus de passion des lois de répression
proclament que la loi qu'on leur demande
de voter est aussi mal conçue que mal
rédigée et que le temps consacré à sa dis-
cussion est plus que du temps perdu, du
temps mal, très mal employé.
Quant au gouvernement, son insuffi-
sance ne perce pas seulement, elle éclate
à chaque instant. Ceux qui sont gouverne-
mentaux par profession commencent à
trouver qu'on met leur zèle ministériel à
une rude épreuve.
Hier, le gouvernement et la commission
avaient accepté un amendement fort sim-
ple et en même temps fort ingénieux de
M. Léon Bourgeois, stipulant que les dé-
lits de presse visés dans l'article premier
du projet de loi ne seraient déférés aux
tribunaux correctionnels, au lieu de l'être
au jury comme ils le sont aujourd'hui,
que lorsque ces délits auraient « pour but
la propagande anarchiste ».
L'amendement a été voté, puis, après le
vote, la commission, toujours d'accord avec
le gouvernement, est venue dire qu'elle s'é-
tait trompée et a demandé une nouvelle
modification au texte voté qu'elle n'a
d'ailleurs pas obtenue.
Il resterait maintenant à définir ce que
c'est au juste que la propagande anar-
chiste. Cette définition est d'autant plus
indispensable que M. Dupuy a cité avant-
hier deux journaux dont nous sommes
loin certes de partager les idées, mais qui
sont comme doctrine à l'antipode de l'anar-
chie ,et il s'est écrié avec son gros aplomb :
« Voilà la presse que nous attaquons t »
Si donc M. Charles Dupuy. a su avant-
hier ce qu'il disait, l'amendement de M.
Bourgeois, qu'il a accepté hier, démolit
son projet de loi.
D'où il résulte que la discussion de la
loi contre l'anarchie témoigne surtout jus-
qu'ici de l'anarchie qui règne dans l'es-
prit des membres du gouvernement.
Cette anarchie-là aussi a son danger.
Qui nous en débarrassera ?
A.-E. P.
L'ASSASSIN CASERIO
Lyon, 20 juillet.
Ce soir, à cinq heures de l'après-midi, M.
Breuillac, président de la cour d'assises, s'est
rendu à la prison Saint-Paul pour interroger
Caserio. L'assassin a déclare n'avoir rien à
ajouter à ses premières déclarations. Il a dit
qu'il comptait sur l'assistance de Me Po-
dreider et n'avait nullement l'intention de se
pourvoir contre l'arrêt de la chambre des
mises en accusation.
L'entrevue a été assez courte. M. Breuillac
n'est demeuré que quelques minutes dans la
cellule du détenu.
Caserio passera aux assises les 27 et 28
juillet. Il sera défendu par Me Dubreuil, bâ-
tonnier, et Me Podreider, du barreau de
Milan, qui a été choisi par Caserio.
On a remis aujourd'hui à Gaserio son dos-
sier.
CONTRE L'ANARCHIE
QUATRIÈME JOURNÉE
DE DISCUSSION A LA CHAMBRE
Les amendements de M. Rouanet. — La
propagande dans l'armée. — Vote de
l'article 1er du projet. — Un amen-
dement de M. Léon Bourgeois.
La discussion de la loi contre les menées
anarchistes continue lentement, lentement.
Hier, on est bien parvenu à en voter l'article
premier — non sans y apporter une modifi-
cation dont nous expliquerons plus loin l'im-
portance. Mais il reste encore cinq autres
articles, et sur chacun d'eux fourmillent les
amendements et les dispositions addition-
nelles
En attendant, cette séance d'hier a été em-
ployée à écarter les amendements qui avaient
été déposés sur l'article premier. De ces amen-
dements, les deux premiers, à peu près sem-
blables, avaient pour auteurs deux députés
socialistes, M. Rouanet et M. Charpentier, et
tendaient l'un et l'autre au maintien du jury,
à la juridiction duquel on propose — vous le
savez de reste — de substituer celle de la
police correctionnelle.
Les auteurs de ces deux amendements ont
discouiu l'un après l'autre, et assez longue-
ment tous les deux. M. Rouanet, d'humeur
batailleuse, a soulevé, en défendant sa thèse,
des exclamations et interruptions assez nom-
breuses, tandis que M. Charpentier, qui a
parlé en juriste plutôt qu'en polémiste, a été
écouté, sinon avec enthousiasme, du moins
avec calme par une Chambre qui paraît s'être
résignée à avaler tous les discours. Les deux
amendements ont d'ailleurs été rejetés à des
majorités d'au moins cent cinquante voix.
UNE GRANDE BAGARRE
On en était là — et il était déjà assez tard
— quand M. Rouanet est revenu avec un
nouvel amendement qui a mis la Chambre en
l'air et a en somme provoqué le gros incident
de la journée.
Par cet amendement, le député socialiste
de Montmartre demandait qu'on laissât au
jury la connaissance du délit de provocation
à la désobéissance adressée à des militaires
en temps de paix. Assurément la matière
était fort délicate et avait de quoi émouvoir
la Chambre. Et vous allez voir si elle s'est
émue en effet :
M. Rouanet. — Depuis plus d'un siècle, c'est-
à-dire depuis qu'il existe des armées permanentes
et que certains chefs militaires se sont immiscés
dans la politique de ce pays, on ne peut considé-
rer comme un crime contre la patrie, contre la
France, d'exciter, dans certains cas, les soldats à
la désobéissance. (Bruit.)
M. Marcel-Habert. - Ici, nous nous sépa-
rons !
M. Rouanet. — Vous ne pouvez pas ne pas
distinguer si le soldat se trouve ou non en pré-
sence de l'ennemi. (Bruit prolongé. — Cris à droite :
à l'ordre 1)
L'obéissance de l'armée doit être entière, com-
plète, lorsque le soldat.
Voix à droite et au centre. — Toujours !
M. Jaurès. — Et Labordère ?
M. Georges Berry. — Vous êtes en train d'in-
troduire l'anarchie dans l'armée !
M. Rouanet. — Je ne comprends pas ces inter-
ruptions ! Je dis que l'armée doit l'obéissance com-
plète, entière, lorsque.
Nouveaux cris à droite et au centre. — Tou-
jours !
M. le président. — Vous faites de la casuis-
tique sur la discipline militaire : aucun citoyen ne
vous approuvera. (Applaudissements.)
M. Rouanet. — Si M. le président avait bien
voulu me laisser terminer ma phrase, il aurait re-
connu que les paroles qui provoquent ces clameurs,
ces indignations. (Oui! oui 1) ont été prononcées
ici même par un grand parlementaire, qui était
aussi un soldat, et qui ne faisait pas de casuisti-
que, monsieur le président, qui n avait de teçons
de patriotisme à recevoir de personne, car il avait
versé son sang sur plus de vingt champs de ba-
taille!
Voix à droite. — Qui ?
M. Rouanet.— Un député libéral qui s'appelait
le général Foy. (Mouvements divers. — Applaudis-
sements à l'extrême-gauche.)
M. Millerand.- Il faut rappeler le général Foy
à l'ordre !
M. Rouanet.— Voici ses paroles et elles consti-
tuent la pensée même de mon amendement, elles
sont conformes à la tradition constante du parti
républicain J
« L'obéissance de l'armée, disait le général Foy,
doit être entière, absolue, lorsque le soldat a le dos
tourné à l'intérieur et le visage tourné vers l'en-
nemi, mais elle ne doit plus être que conditionnelle
(Exclamations au centre.) lorsque le soldat a le
visage tourné vers ses concitoyens. (Applaudisse-
ments répétés à l'extrême gauche.)
M. Georges Berry. — C'est un factieux qui a
dit cela !
M. Rouanet. — Ce n'est pas là de la casuisti-
que, j'en appelle au souvenir d'un de vos anciens
collègues les plus respectés.
Si le citoyen Labordère était encore là, est-ce
que vous protesteriez?
Un membre au centre. — Oui.
M. Rouanet. — Je demande que l'interruption
de celui qui a dit qu'il protestait contre l'acte de ci-
visme du major Labordère figure à l'Officiel, et
j'espère qu'elle ne restera pas anonyme.
C'est là toute la pensée, toute la portée de mon
amendement. Si vous déférez aux tribunaux correc
tionnels et si vous laissez subsister dans cette loi
la peine de la relégation.
M. Barodet. — Et Baudin ?
Voilà qui déjà n'est pas mal, mais le ta-
page, déjà très gros, s'est encore accru quand
M. Rouanet s'est avisé de faire entrer en
scène M. Dubost, l'ancien garde des sceaux,
qui paraît, depuis quelque temps, destiné à
l'emploi de tête-de-turc.
LES « SANS-PATRIE »
VoyezMu reste la suite de l'incident :
M. Rouanet. — Je fais appel à M. Antonin
Dubost. Si ces lignes de lui, tirées d'un livre pu-
blié en 1869, étaient rééditées aujourd'hui, est-ce
qu'elles ne tomberaient pas sous le coup de la loi
que vous faites ?
Parlant de ces maréchaux du boulevard Mont-
martre dont un encore existe, M. Antonin Dubost
écrivait : « Il y en a qui ont gagné leur bâton de
maréchal dans le sang des Parisiens en 1851. »
N'est-ce pas là de la provocation indirecte?
M. Antonin Dubost. — C'est le jugement de
l'histoire !
Plusieurs membres à gauche. — Voilà
« l'unique cerveau » qui se réveille ! (On rit).
M. Rouanet. — Et aujourd'hui vous voulez
qu'on ne fasse aucune distinction entre l'obéis-
sance légale et celle qui ne l'est pas 1
M, Antonin Dubost. — Noua défendons l'ar-
mée contre les sans-patrie !
M. Rouanet. — Les violences, les clameurs
qui ont accueilli tout à l'heure la citation du géné-
ral Foy montrent malheureusement combien est
élastique ce terme de sans patrie.
S'il y a des sans-patrie, monsieur l'ancien garde
des sceaux, vous avez dû, pendant votre passage
au ministère, en connaître plus d'un, et naguère
vous aviez pris à cette tribune l'engagement de
poursuivre un de ces nombreux sans-patrie, qui ne
sont pas des sans-patrie parce qu'ils prêchent la
désobéissance aux soldats.
M. Antonin Dubost.- J'ai tenu ma promesse :
j'ai fait traduire en justice le personnage qui s'ap-
pelle Cornélius Herz. (Assez ! assez ! - A la ques-
tion ! - Aux voix 1)
M. Audiffred. — Il faudrait bien cependant dis-
cuter la loi 1
M. Rouanet. — Les sans-patrie qui vous ont
été dénoncés par M. Marcel-Habert n'ont pas été
poursuivis.
M. Antonin Dubost. — L'engagement que j'ai
pria de poursuivre Cornélius Herz a été teau6
M. Guérin, garde des sceaux. — Il passera de-
vant le tribunal correctionnel le 27 juillet.
M. Rouanet. — Le renseignement inédit de
l'ancien et du nouveau garde des sceaux devrait
vous déterminer à conserver la juridiction de la
cour d'assises pour les délits prévus à l'article 25.
Au nombre des arguments invoqués par M. le
gPTde des sceaux et par M. le commissaire du gou-
vernement, figure en effet, en première ligne, la ra-
pidité de la procédure. (Rires.)
Si la justice française ne fait aucune distinction
entre les sans-patrie d'en haut et les sans-patrie
d'en bas, est-ce qu'il ne serait pas plus rapide de
recourir à la cour d'assises qu'au tribunal correc-
tionnel, où une affaire peut traîner ainsi pendant
deux ou trois ans?
Ce renseignement, je le répète, fortifie ma thèse,
et je vous demande de maintenir sous la juridic-
tion de la cour d'assises le délit de provocation que
vous voulez envoyer devant le tribunal correc-
tionnel. (Très bien) très bien! à l'extrême gauche.)
Avec le garde des sceaux, avec M. de Mont-
fort qui sont venus successivement protester
contre le langage de M. Rouanet, le tapage
n'a pas diminué, car les socialistes ont ac-
cueilli ces protestations par de violentes ru-
meurs :
M. Guérin, garde des sceaux. — Le gouverne-
ment repousse 1 amendement de M. Rouanet. Il ne
fait aucune différence entre la provocation aux mi-
litaires pour les détourner de leurs devoirs, que ce
soit en temps de guerre ou que ce soit en temps de
paix. (Applaudissements au centre et à gauche. —
déclamations à l'extrême gauche.)
M. Carnaud. — Vous voulez les faire servir au
coup d'Etat!
M. le garde des sceaux. — Quelle que soit
l'époque ou se produisent ces provocations, le
gouvernement les juge également abominables et
il vous demande les moyens de les réprimer.
(Bruit.)
M. Cluseret et M. Georges Berry, qui in-
terrompent, sont rappelés à l'ordre.
M. le garde des sceaux. — Quant à la théo-
rie apportée à cette tribune par M. Rouanet sur
l'obéissance passive des militaires, je lui dirai, en
reprenant des paroles du général Foy : « Depuis
1871, depuis nos défaites, depuis nos provinces
perdues, depuis la plaie saignante que nous por-
tons au flanc, ce n'est pas vers les citoyens que
l'armée a les regards tournés, c'est vers la fron-
tière. » (Très bien ! très bien 1)
M. le vicomte de Montfort — Je viens ap-
porter une protestation indignée contre les paroles
prononcées par M. Rouanet sur la discipline et sur
l'obéissance dans l'armée.
Il n'y a pas deux disciplines, il n'y a pas deux
obéissances ; sans cela il n'y aurait plus d'armée.
(Très bien ! très bien 1) Or l'armée, c'est la patrie !
(Très bien! très bien 1)
M. Rouanet a vivement riposté. On s'est
même un peu querellé à propos du 2 Décem-
bre 1
M. le baron Demarçay a dit aussi quelques
mots dans le tumulte, et finalement la clôture de
l'incident a été prononcée par 330 voix contre
140. Il n'était que temps.
Mais, avant le vote sur l'amendement de
M. Rouanet, amendement qui avait déchaîné
cette grosse tempête, se sont encore produites
des déclarations qu'il faut citer :
M. Chapuis. — Je demande à expliquer mon
vote sur l'amendement de M. Rouanet.
J'ai, depuis le commencement de la discussion,
voté contre la loi ; mais actuellement, moi qui suis
un des représentants de Meurthe-et-Moselle, d'un
département frontière, moi qui connais la disci-
pline militaire an vigueur chez nos voisins (Très
bien! très bien t), je constate que nous devons faire
en sorte d'avoir une armée aussi disciplinée, aussi
forte qu'eux, et qa il importe de laisser l'armée en
dehors de nos discussions. (Applaudissements.)
Si jamais la République était en danger, nous
serions là pour la défendre ! (Vifs applaudisse-
ments. )
l'l, Pourquery de Boisserin. - Je m'associe
aux déclarations de M. Chapuis. Mais je suis
obligé, après les paroles de M. de Montfort sur le
Deux-Décembre, de faire une restriction et de dire
que, pour moi, il y a quelque chose qui est au-des-
sus du commandement militaire, c'est la loi consti-
tutionnelle. (Très bien ! très bien 1) Cela dit, je vo-
terai contre l'amendement de M. Rouanet.
L'amendement de M. Rouanet n'a, d'ail-
leurs, réuni que 70 voix contre 426, et, après
une déclaration de M. Faberot qui a qualifié
la loi nouvelle d' « infamie », l'article l" du
projet gouvernemental a été voté par 297 voix
contre 205.
UNE GROSSE RESTRICTION A LA LOI
Mais, attendez un peu.
Il restait diverses dispositions addition-
nelles présentées sur cet article premier.
L'une, de M. Marcel-Habert, est négligeable
son auteur ayant fini par la retirer. Mais une
seconde disposition additionnelle, présentée
par M. Léon Bourgeois, était d'importance,
comme vous l'allez voir ;
M. Léon Bourgeois. — Le gouvernement et la
commission ont accepté sur l'article 2 un amende-
ment de M. Huguet, aux termes duquel est déter-
miné très exactement le caractère d'acte de propa-
gande anarchiste qui doit être constaté par le tribu-
nal pour l'application des pénalités prevues. Rien
de mieux.
Je demande si ce n'est pas par une omission que
dans l'article 1" la même détermination précise
n'est pas faite? (Très bien! très bien !)
La pensée de tous ceux qui ont préparé et de
tous ceux qui votent cette loi est certainement d'en
limiter l'effet aux actes anarchistes ; si cela est vrai
pour l'article 2, relatif à la propagande non publi-
que, c'est encore plus vrai pour l'ensemble des in-
fractions prévues par l'article premier.
Pour donner à la loi un caractère d'unité et pour
lui laisser la portée politique qui est dans notre
pensée à tous, il faut ajouter à l'article premier les
mêmes mots que le gouvernement accepte à la fin
de l'article 2 : « lorsque ces actes ont pour but la
propagande anarchiste ». (Applaudissements à
gauche. )
C'était là évidemment une grosse restriction
apportée à l'article 1er du gouvernement et
une garantie qui a son prix contre les pour-
suites arbitraires qui eussent pu résulter un'
jour de la loi nouvelle.
M. Bourgeois avait, de plus fort, habilement
présenté cet amendement, que le gouverne-
ment ne pouvait guère refuser puisqu'il avait
proclame à vingt reprises son dessein de lé-
giférer contre les seuls anarchistes.
Les ministres ont donc dû se résigner à ac-
cepter ct amendement Bourgeois et la com-
mission ne pouvait que faire de même. L'a-
mendement a été alors voté à mains levées et
à une grosse majorité. De l'avis général, la
modification ainsi apportée au texte primitif
est d'une valeur considérable et empêchera
certaines facilités que M. Dupuy espérait sans
doute obtenir de sa loi.
On a ensuite abordé l'article 2, contre le-
quel M. Jullien a présenté quelques critiques
générales aussi libérales que sensées. Mais la
suite de cette discussion a été renvoyée à la
séance de ce jour — ou pour mieux dire
« aux séances », car la Chambre se réunira
dès le matin pour tâcher d'avancer un peu
sa besogne. L'article 2 du projet primitif sera
d'ailleurs modifié par certains amendements
que la commission a admis d'ores et déjà. Au-
jourd'hui nous connaîtrons le nouveaux texte
que proposera la commission pour cet ar-
ticle 2.
ADJUDICATION DE 520,000 ŒUFS
S'imagine-t-on le nombre d'œufs consommés an-
nuellement dans les hôpitaux et hospices civils de
Paris?
L'administration ne l'évalue pas à moins de
520,000. C'est, en effet, pour la fourniture de cette
quantité d'œufs qu'elle convie les marchands à vue
adjudication le samedi 4 août,
Voilà de quoi faire ua certain nombre d'ome-
lettes.
CHRONIQUE
ON DEMANDE UN INDICATEUR
Je crois qu'on allongerait sensiblement
la durée moyenne de la vie des Français
en général et des Parisiens en particulier,
si l'on parvenait à leur rendre une partie
du temps qu'ils perdent en vaines déam-
bulations dans les ministères et dans
toutes les grandes administrations pu-
bliques. Si, pour mon compte, on me res-
tituait les heures que j'ai dû, par profes-
sion, gaspiller dans les antichambres, en
colloques inutiles avec les huissiers, en
quête de renseignements qr: fuyaient de-
vant moi comme l'eau du ifcisseau de-
vant les lèvres de Tantale, j'aurais à
l'heure présente beaucoup d'illusions de
plus et quelques cheveux blancs de
moins.
Dernièrement, un mien ami, sur le
point de se marier, crut devoir recourir à
mes bons offices. Comme il s'agissait de
démarches ennuyeuses, mon premier
mouvement — le bon — fut de l'adresser
à son député, qui ne peut, comme quel-
ques autres, hélas ! justifier son élection
qu'en faisant de son mieux le métier de
commissionnaire. J'eus le tort de résister
à cette première impulsion..
Mon ami avait le désir de joindre à son
nom le nom de sa femme. C'est une habi-
tude assez commune dans la région du
Nord. La jeune fille ne perd pas tout en
se mariant et sauve assez souvent du
naufrage tout au moins son nom de fa-
mille qui, accolé au nom du mari, équi-
vaut dans les affaires à une raison sociale.
Ce qu'on fait couramment et par tradition
sans demander conseil à personne, mon
ami voulait le faire au nom de la loi.
Comme il s'agissait d'état civil, je com-
mençai par entrer dans une mairie, his-
toire de me faire renseigner un brin. Mais
le seul renseignement que j'obtins fut d'ê-
tre proprement rabroué par deux ou trois
employés en train de déjeuner, qui m'en-
voyèrent à tous les diables.
Je me dis alors : « Les registres de l'état
civil, les maires, ça doit dépendre du mi-
nistère de l'intérieur. » Et me voilà parti
place Beauvau. Je commençai par faire
deux ou trois kilomètres de corridors sans
apercevoir le moindre chien coiffé. Quand
j'entrouvrais timidement une porte, avant
même d'avoir pu placer un mot, j'enten-
dais une voix qui ronchonnait : « Adres-
sez-vous à l'huissier ! » Et quand, pour
chercher l'huissier, je faisais le tour des
antichambres, ou ce personnage n'y était
pas, ou il me renvoyait à un collègue in-
trouvable.
Enfin, j'eus la veine de rencontrer, vers
les quatre heures, un bon jeune homme
dont le rond de cuir n'avait pas encore
tanné l'épiderme. « Une rectification d'é-
tat civil 1 Mais vous n'y êtes pas du tout,
me dit-il. C'est l'affaire du garde des
sceaux. Courez vite au ministère de la
justice ! »
Je ne fais qu'un bond de la place Beau-
vau à la place Vendôme. Dans le premier
corridor à droite, j'aperçois un huissier
qui dépouillait sa défroque officielle pour
endosser un modeste veston. Comme sa
journée finissait, il n'avait aucun motif
d'être grincheux : « Etat civil ! Parfaite-
ment, c'est bien ici ; mais, ajouta-t-il avec
le plus aimable sourire, les bureaux sont
fermés maintenant, revenez demain à dix
heures. »
Le lendemain à l'heure dite, j'avais en-
fin la bonne fortune de rencontrer un em-
ployé tout prêt à m'entendre. « Voyons
lui dis-je, quelles sont, au juste, les for-
malités à remplir pour que mon ami ob-
tienne l'autorisation de joindre à son nom
le nom de sa femme ?
— Oh ! c'est bien simple, vous allez
d'abord verser au Trésor la somme de six
cents francs. — Diable ! Voilà un cas que
je n'avais pas prévu. — C'est que, voyez-
vous, il y a des formalités assez coûteuses
à remplir. Il faut insérer dans le Journal
officiel l'instance en vue de modifier l'état
civil. Cette insertion devra être reproduite
dans un des journaux de l'arrondissement
habité par le demandeur. Ces publications
faites, vous en adresserez des exemplaires
légalisés au garde des sceaux en y joignant
les actes de naissance des postulants et
leur double requête sur papier timbré. Et,
à ce propos, connaissez-vous un référen-
daire au sceau de France ? »
Je baissai la tête humilié. Non seule-
ment je ne connaissais pas ce fonction-
naire, mais j'ignorais jusqu'à l'existence
de la fonction.
« C'est bien dommage, poursuivait mon
employé, l'intervention d'un référendaire,
sans être obligatoire, peut devenir néan-
moins fort utile quand ce ne serait que
pour abréger les délais. Enfin votre
ami n'est sans doute pas pressé de se ma-
rier ?
» Dès que les requêtes sont entre les
mains du garde des sceaux, il s'empresse
de les renvoyer au procureur de la Répu-
blique de l'arrondissement d'où elles sont
venues. »
Je ne pus m'empêcher de dire qu'on
pourrait peut-être économiser les frais de
cet aller et retour. « Pardon, me dit sévè-
rement l'employé, êtes-vous venu ici pour
critiquer la jurisprudence administrative
ou pour apprendre à la connaître ? Je
continue. Le procureur de la République,
dès qu'il a reçu les requêtes, les transmet
au procureur général avec son avis mo-
tivé. Puis ledit procureur général, renché-
rissant sur son surbordonné, ajoute à son
avis ses observations personnelles et
transmet derechef le dossier au garde des
sceaux. A partir de ce moment, les cho-
ses vont très vite. (Je poussai un soupir de
soulagement.). La demande resie, au mi-
nimum, quatre-vingt-dix jours au minis-
tère de lajustice. C'est ici qu'il ferait bon
avoir un référendaire dans sa manche
pour ne pas attendre deux ou trois ans.
Après ce sommeil réparateur du dossier,
qui, dans ces voyages, a atteint, vous pou-
vez me croire, des dimensions respecta-
bles, le garde des sceaux l'envoie à la sec-
:J.;.on compétente du conseil d'Etat qui
donne son avis et le retourne au minis-
tère de lajustice. Et alors le ministre n'a
plus qu'à faire rédiger un décret et à le
soumettre à la signature du président de
la République. Vous voyez bien que rien
n'est plus simple. »
Inutile d'ajouter qu'en présence des
beautés de cette « filière administra-
tive », mon ami s'est hâté de renoncer à
une fantaisie qui pouvait retarder de plu-
sieurs années son mariage.
Pour moi, je n'ai pas la naïveté d'espé-
rer qu'on abrégera jamais chez nous ces
formalités bureaucratiques. Elles font vi-
vre, après tout, une foule de braves gens
qu'on serait peut-être bien embarrassé
Mais pourquoi n'y aurait-il pas dans les
ministères et dans les grandes adminis-
trations publiques un bureau de rensei-
gnements dans le genre de ceux qui fonc-
tionnent dans les gares pour le service
des chemins de fer î Il est plus facile de
se perdre dans le dédale des bureaux que
dans le réseau compliqué de nos voies fer-
rées.
On vend dans les rues un guide de
l'étranger dans Paris. On trouve à l'entrée
de nos monuments des gens pour vous
donner toutes les explications indispen-
sables. On vous offre des catalogues à la
porte de tous les musées. Ce qu'on fait
pour ceux qui s'amusent, on pourrait bien
le faire pour les autres. A quand le guide
du contribuable au pays des ronds-de-
cuir?
André Balz.
L'AFFAIRE CORNELIUS HERZ
L'affaire Cornélius Herz viendra plus que
jamais le 27 juillet. Nous disons plus que ja-
mais, parce que le procès Meunier à la cour
d'assises de la Seine et le procès Caserio à la
cour d'assises du Rhône venant eux-mêmes à
cette date, l'affaire Herz a infiniment de
chances, sans qu'il y ait besoin de voter une
loi pour en interdire les débats, de passer
inaperçue. C'est ce que souhaitent tout à la
fois le gouvernement et l'hôte de Bourne-
mouth.
Cornélius Herz, comme on peut facilement
le présumer, ne jugera pas à propos, dans la
crainte de compromettre sa santé si chance-
lante de comparaître en personne à l'audience
de la huitième chambre. Il se fera représenter
par un avoué et par l'honorable Me Clunet.
Jusqu'ici Me Clunet s'est vu obstinément
refuser par le parquet le dossier de l'affaire
Herz, dossier qui se trouve actuellement
dans le cabinet de M. Roulier, procureur de
a République, où il est l'objet d'une inces-
sante et active surveillance, - -
Ce dossier, à l'exception des nombreux
scellés qui y sont joints, ne contient aucune
pièce intéressante. Le réquisitoire définitif,
ecrit par M. la procureur général lui-même,
est extrêmement bref. Il ne contient pas d'ex-
posé de faits, mais simplement les nom, pré-
noms et qualités de Cornélius Herz, ainsi que
les chefs d'inculpation. Rien autre chose.
La raison pour laquelle le parquet refuse à
Me Clunet la communication du dossier est
celle-ci : Cornélius Herz est en fuite. Que
l'hôte de Bournemouth traverse le détroit et
revienne en France, aussitôt le dossier sera
communique à son avocat.
Celui-ci, comme nous l'avons déjà annoncé,
se présentera cependant le 27 juillet à l'au-
dience de la huitième chambre, présidée par
M. Flandin. Mais il ne pourra, son client
étant défaillant, que plaider — il n'a cure du
reste d'aborder le fond 1 — sur la question d e
compétence.
Me Clunet soutiendra que Cornélius Herz,
grand-officier de la Légion d'honneur, devait,
pour les faits de chantage qui lui sont repro-
chés, être déféré non à la police correction-
nelle, mais à la première chambre de la cour
d'appel jugeant correctionnellement. M. le
substitut Flach lui répondra, et le jugement
sur cette question préjudicielle sera suscep-
tible d'appel.
L'affaire Cornélius Herz ne sera donc pu
plaidée, quant au fond le 27 juillet. Aussi
les deux seuls témoins cités dans l'affaire, M.
l'expert Flory et M. Imbert. le liquidateur de
la succession du baron de Reinach, s'en re-
tourneront chez eux sans avoir déposé.
Bref, Cornélius Herz a encore devant lui, si
la médecine lui est aussi favorable que la
justice, de longs jours de diabète tranquille.
LA LOI EN DISCUSSION
Les amendements
Plusieurs amendements nouveaux à la loi
en discussion contre « les menées anarchis..
tes» ont été distribués hier. Nous en publions
le texte, ces amendements devant être discu-
tés aujourd'hui :
1° M. Sauvanet. — Article additionnel : « Le cri
de « Vive la République ! » suivi d'une date quel-
conque ne sera, en aucun cas, considéré comme un
cri séditieux. »
2° M. de Ramel. — Rédiger ainsi qu'il suit le
paragraphe 1er de l'article 5 : « Dans les cas prévus
par la présente loi et dans tous ceux où le fait in-
crimine a un caractère anarchiste, les cours et tri-
bunaux, s'il est proféré au cours des débats des
paroles constituant l'apologie de ces faits ou la pro-
vocation à en commettre de semblables, pourront,
sur la réquisition du ministère public, interdire la
reproduction de cette partie des débats par un ju-
gement statuant séance tenante et définitivement
sur l'incident. »
3° M. Sembat. — Ajouter à l'art. 3 la disposition
suivante : « Le condamné pourra demander la sub-
stitution à la peine de la relégation de la peine du
bannissement. »
4° MM. Calvinhac et Sembat. — Article addition-
nel : « Dans tous les cas où, par application soit
de la présente loi, soit de la loi du 12 décembre
1893, il y aura eu arrestation préventive ou saisie,
l'inculpe pourra demander sa mise on liberté pro-
visoire ou la mainlevée de la saisie. Le juge dlns-
truction, après avoir entendu le procureur de la
République, devra statuer dans un délai de vingt-
quatre heures. L'ordonnance sera signifiée dans le
même délai. Le procureur de la République et l'in-
culpé auront, dans les vingt-quatre heures de la
signification de l'ordonnance, le droit de former
opposition devant la chambre des mises en accusa-
tion, qui statuera dans les cinq jours. Si aucune
décision n'est intervenue avant l'expiration de ce
délai, l'inculpé devra être mis en liberté et les
pièces saisies seront restituées. » ,..
5° MM. Maurice Faure. — En CAS de dissolution
de la Chambre des députés, l'effet des dispositions
de la présente loi sera suspendu et la législation
antérieure remise en vigueur pendant la période
comprise entre la date du décret de dissolution et
la reunion de la nouvelle Chambre.
6° MM. Michelin, Paulin-Mery, etc. — La pré-
sente loi ne sera exécutoire qu'après avoir été rati.
fiée par la nation, consultée directement par la voie
du referendum.
Au Sénat
La gauche démocratique, réunie hier, a dé-
cidé d'appuyer devant le Sénat, dans la loi
contre les menées anarchistes, l'amendement
qui aura réuni à la Chambre le plus de voix
relativement à la limitation de la durée t' --
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