Titre : Le XIXe siècle : journal quotidien politique et littéraire / directeur-rédacteur en chef : Gustave Chadeuil
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1889-05-21
Contributeur : Chadeuil, Gustave (1821-1896). Directeur de publication
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Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
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Description : 21 mai 1889 21 mai 1889
Description : 1889/05/21 (A18,N6336). 1889/05/21 (A18,N6336).
Droits : Consultable en ligne
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Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-199
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 24/04/2013
Dix-huitième année. — N° 6,336 CdltilïlGS Paris et Départements CdltlOlCS MARDI 31 MAI 1889
- duo CentiInes' MARDI !Il MAI 1889
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LE CAS DE M. DE BEAUREPAIRE
tt. GIRARD, M. LOZÉ, L'INSTITUT
ET LE « XIxe SIÈCLE »
Le voyage du roi Humbert à Berlin
LA TROUPE
ET LES GRÉVISTES ALLEMANDS
Grève de selliers militaires
LES LOISIRS
DU CHANCELIER
Les journaux allemands avaient an-
noncé qu'à la séance de rentrée du
Reichstag, le prince de Bismarck pro-
noncerait un discours. La session du
Reichstag s'est ouverte, et le chance-
lier a gardé le silence. La discussion
fêtait engagée sur le projet de loi re-
latif aux assurances contre l'invalidité
et la vieillesse, et elle se poursuivait
sans grand éclat, lorsque, fort inopi-
nément, le chancelier est intervenu
samedi dans le débat. C'est bien de la
loi sur les assurances ouvrières qu'il a
parlé; mais on sait que son procédé
oratoire est assez particulier. Il ne
s'attache pas au développement d'un
certain nombre d'idées s'enchaînant
entre elles : il fait, au contraire, l'é-
sole buissonnière, et, sans s'inquiéter
de l'ordonnance de sa harangue, il
lance des coups de boutoirs à ses ad-
versaires du dedans comme du de-
hors.
A proprement parler, la loi sur les
assurances ouvrières n'a été qu'un
prétexte pour rappeler qu'entre les
démocrates-socialistes et lui la lutte
était toujours ouverte, et que si ceux-
ci, « comme les Français, attendaient
seulement qu'ils fussent assez forts
pour attaquer", de son côté, il n'enten-
dait pas discuter avec ce parti, mais
uniquement le combattre. Une fois
lancé sur cette voie, M. de Bismarck
a successivement dit leur fait aux li-
béraux, « qui depuis vingt-cinq ans
n'ont songé qu'à lui être désagréa-
bles » et qui sont ci maniaques dans la
haine qu'il leur inspire M, aux Guel-
fes, aux Polonais, aux « Francophi-
les », dont l'opposition démontre jus-
tement que la loi est utile à l'em-
pire.
Il ne nous appartient pas de pren-
dre parti dans la lutte entre M.de Bis-
mark et ses adversaires allemands.
Mais cette désignation de francophiles,
sous laquelle il désigne les Alsaciens
et les Lorrains, nous paraît assez si-
gnificative. Un peu plus loin, avec plus
de franchise encore, il a déclaré que
l'Allemagne n'avait pas fait une grande
guerre pour faire entrer au Reichstag
« quatorze Français », et qu'on avait
eu le tort de leur ouvrir prématuré-
ment les portes de cette assemblée.
C'est la première fois, croyons-nous,
que M. de Bismarck donne aux an-
nexés la qualité de Français et qu'il
reconnaît aussi nettement que l'œuvre
de germanisation de l'Alsace-Lorraine
a échoué. Nous ne sommes plus au
temps où on se félicitait d'avoir réuni
à la patrie allemande des frères pen-
dant longtemps séparés et où on les
invitait à se réj ouir de ce retour au
Vaterland. Auj ourd'hui, ce sont des
Français qui ont subi le sort de la
guerre et auxquels on regrette d'avoir
accordé les bénéfices du droit com-
mun, au lieu de les traiter en pays
conquis et de les germaniser par la
violence.
Voici donc M. de Bismarck qui pro-
tlame lui-même sa fragilité d'une
partie de son œuvre et l'insuccès de
ses efforts assidus depuis dix-huit
ans. Est-il plus sûr de la stabilité de
son œuvre principale, de l'inébranla-
ble solidité de cet empire d'Allemagne
qu'il a édifié de ses mains ? On pour-
rait croire qu'il a quelque doute à ce
Sujet, lorsqu'on l'entend présenter la
loi sur les assurances ouvrières comme
un instrument précieux « au point de
vue de la stabilité de l'Etat » et établir
entre la France et l'Allemagne ce pa-
rallèle curieux :
a J'ai observé assez longtemps les
conditions sociales de la France pour
me convaincre que l'attachement des
Français au gouvernement existant
provient, en grande partie, de ce que
la plupart des Français sont porteurs
de rentes, jusqu'aux portiers. Ceux
qui. comptent sur l'Etat pour la moin-
dre rente se disent que si l'Etat est
bouleversé; ils perdent leur rente; et
serait-ce seulement quarante francs
par an, c'est une perte qu'ils ne peu-
Vent supporter. Ils portent donc inté-
rêt à la stabilité de l'Etat. Si nous
créons en Allemagne une clause de
700,000 porteurs de rente qui aient
tout à perdre et rien à gagner à un
changement dans l'Etat, nous aurons
fait une œuvre extrêmement utile. »
Le socialisme officiel que M. de Bis-
marck oppose au socialisme du parti
démocratique n'est donc pas seule-
ment une affaire de doctrine : c'est
surtout un moyen de gouvernement.
Il s'agit de rattacher les ouvriers au
système impérial et de les intéresser
par des pensions de retraite au main-
tien du régime impérial. Le moyen
n'a peut-être pas toute l'efficacité que
le chancelier lui attribue, car les
700,000 rentiers qu'il se propose de
créer seront des invalides ou des vieil-
lards. Ce ne sont jamais ceux-là qui
font des révolutions ou qui empêchent
les révolutions de se faire. Le paral-
lèle tracé par M. de Bismarck entre
les petits rentiers français qui épar-
gnent pendant toute leur vie et la
classe de rentiers qu'il veut créer n'est
donc pas bien juste,et l'action des uns
et des autres sur les destinées de l'E-
tat présente peu d'analogie.
Au milieu de toutes ces digressions,
M. de Bismarck ne s'est pas attaché à
la politique extérieure de l'Allemagne.
Il aurait cependant été tout à fait en
dehors de ses habitudes qu'il quittât
la tribune sans prononcer quelqu'une
de ces paroles qui provoquent un peu
d'émoi en Europe. Il n'a eu garde de
ne pas se conformer à cette tradition
et il a invité le Reichstag à se hâter
de voter la loi : « Qui vous dit que
dans un an nous serons encore en
mesure de nous occuper de cette
question,pour laquelle Dieu,en ce mo-
ment, nous donne des loisirs? Moi, du
moins, je ne pourrais répondre de
m'en occuper ». Est-ce une allusion
à la vieillesse qui ne permet plus les
longs espoirs? Est-ce une autre préoc-
cupation qui dicte le langage du
chancelier ? Nous ne nous chargeons
pas de prononcer. Tout ce que nous
constatons, c'est que pour le moment
il a des loisirs, ce qui nous permet de
penser que nous pouvons en prendre
aussi.
Le XIXo SIECLE publiera demain la
Cixrouiqud par M. Pau* Ginisiy.
GRAVt-S NOUVELLES
DES GRÈVES ALLEMANDES
La situation en Silésie. — Brutalités
prussiennes.
(DE NOTRE CORRESPONDANT PARTICtTLIBlt)
Berlin, 19 mai.
La situation en Silésie s'aggrave de plus
en plus. Les grèves revêtent un caractère
de plus en plus révolutionnaire.
Les populations prennent énergiquement
parti pour les grévistes. Les soldats mon-
trent une brutalité inouïe, se servant de la
crosse ou de la baïonnette pour disperser
le moindre rassemblement, frappant sans
pitié les femmes et les enfants.
Lorsque les officiers font des sommations,
ces sommations sont si rapides que per-
sonne n'a le temps de se disperser. La
troupe tire et les victimes sont nom-
breuses.
Partout les officiers recommandent à
leurs hommes de bien viser; les soldats
qui ne font pas usage de leurs cartouches
sont punis sévèrement. Un officier qui
avait hésité à faire tirer sur un rassemble-
ment et qui avait parlementé avec les gré-
vistes a été conduit en prison.
ÉLECTION SÉNATORIALE
Les candidats dans la Nièvre
(DE NOTRE CORRESPONDANT PARTICULIER)
Cosne, 19 mai.
Une importante réunion de délégués sé-
natoriaux a eu lieu à Cosne, sous la prési-
dence de M. Ducoudray, député.
M. Masse, ancien sénateur, a été désigné
comme candidat, à la presque unani-
mité.
M. Hérisson, député, se présente égale-
ment.
UN DÉPUTÉ CASÉ
M. Bousquet, receveur de Beaucaire
(DE NOTRE CORRESPONDANT PARTICULIER)
Nîmes, 19 mai.
Nous avons annoncé que M. Bousquet,
député opportuniste du Gard, renonçait à
toute candidature aux prochaines élections
législatives. Cette prudente retraite n'est
pas, parait-il, désintéressée. Nous appre-
nons, en effet, que le protégé de M. Jules
Ferry va être pourvu de l'importante re-
cette de Beaucaire.
Comme député, M. Bousquet ne touchait
que 9,000 francs. Il en percevra mainte-
nant 15,000. Il y a, pour lui, de l'avance-
ment. Ce qui prouve une fois de plus que
le proverbe de la sagesse des nations a du
vrai : « Le silence vaut de l'or » - à la
Chambre du moins.
LE PROFESSEUR CARL VOGT
Le 56e anniversaire de son doctorat
(DE NOTRE CORRESPONDANT PARTICULIER)
Genève, 19 mai.
A l'occasion du 56e anniversaire de la
promotion dans le doctorat du grand sa-
vant Carl Vogt, professeur à notre Univer-
sité, correspondant de l'Institut dé France,
ses collègues sont allés lui exprimer leurs
félicitations.
-
LES VEXATIONS A LA FRONTI È RE
FRANCO-ALLEMANDE
(DE NQTRB oonnESPONDANT PARTICULIER)
Metz, 19 mai.
On se raconte ici qu'un archiduc autrichien,
revenant de Paris, aurait eu à se plaindre du
manque d'égards des autorités allemandes à
Avricourt. La plainte qu'il a formulée à ce
sujet aurait déjà en des suits.
UN POINT DE DROIT
LE CAS DE M. DE BEAUREPAIRE
Procureur général et propriétaire. —
Récusation ou suspicion légitime.
— Solution ajournée.
L'appel du jugement rendu par le tribu-
nal correctionnel dans l'affaire Quesnay
de Beaurepaire soulève une question de
droit des plus intéressantes et qui préoc-
cupe vivement le monde du Palais.
On sait qu'en matière criminelle,les juge-
ments des tribunaux ou arrêts des cours
sont rendus sur les réquisitions du minis-
tère public. -
Le ministère public est représenté de-
vant les tribunaux de première instance
par le procureur de la République ou ses
substituts, devant la cour par le procureur
général ou les avocats généraux.
Le substitut est non seulement le subor-
donné, mais le représentant direct, on
pourrait dire l'émanation du procureur de
la République, de même que l'avocat géné-
ral est le subordonné, le représentant di-
rect, l'émanation du procureur général.
Le substitut parle au nom du procureur
de la République et l'avocat général au
nom du procureur général.
Or, on se demande au Palais si l'avocat
général peut légalement requérir des con-
damnations contre les journaux en cause
au profit du procureur général, et si ces
journaux ne seraient pas en droit de le
récuser.
L'avocat général n'agissant et ne pouvant
agir que d'après les ordres du procureur
général, c'est, en effet, comme si le procu-
reur général prenait lui-même des réqui-
sitions à son profit.
On objecte bien que M. Quesnay de Beau-
repaire poursuit les journaux dont s'agit
comme propriétaire; mais il est bien diffi-
cile d'admettre que M. Quesnay de Beaure-
paire procureur général ne porte pas un
intérêt tout particulier à M. Quesnay de
Beaurepaire propriétaire.
Dans le cas probable où les journaux
poursuivis demanderaient la récusation du
ministère public, en vertu de l'article 378
du Code pénal, l'incident serait porté de-
vant la cour de cassation, qui, seule, au-
rait qualité pour en connaître.
Si la cour de cassation refusait la récu-
sation, on prête aux journaux l'intention
de demander le renvoi devant une autre
cour que la cour d'appel de Paris, pour
suspicion légitime.
On voi que les instances entamées par
M. Quesnay de Beaurepaire contre la presse
ne sont pas près de recevoir une solution.
INCIDENT L0CKR0Y-0E LA BERGE
Envoi de témoins
Dans une nouvelle lettres M, Lockroy
annonce qu'il envoie ses témoins à Ni. Pau-
chioni, rédacteur au Lyon républicain, qui
s'est désigné comme l'auteur de l'article
injurieux pour M. Lockroy.
Le député de la Seine ajoute :
Quand j'aurai fini avec M. Panchioni, je re-
viendrai à M. de la Berge, non seulement
pour les articles du Siècle où il m'a calomnié,
mais encore pour celui qu'il nie avoir écrit et
qu'il a écrit.
En réponse à cette lettre, M. de la Berge
fait savoir qu'il a été « officier dans l'armée
française et qu'il a conduit cinq fois sa
compagnie au feu » et que, par conséquent,
il ne se dérobe pas.
VOL DE MEDAILLES
(DE NOTRE CORRESPONDANT PARTICULIER)
Rome, 19 mai.
Dans une des salles de la bibliothèque de la
Chambre des députés se trouvait une collec-
tion de médailles parlementaires en or et en
argent.
Des voleurs ont brisé la vitrine et ont em-
porté quinze médailles en or d'une grande
valeur. Il a été impossible de découvrir les
auteurs do ce vol.
LA QUESTION DU SUCRE
LA SITUATION VRAIE
Les causes. — La fabrication. — Le
commerce des sucres.
Nous avons indiqué sommairement
l'émotion profonde causé* ans l opimon
publique par la hausse persistante des su-
cres depuis quelque temps.
On a d'abord attribué cette haussé à l'ex-
cédent de consommation que devait pro-
duire l'ouverture de l'Exposition; ou. e
donné enfin cent raisons diverses.
Fabrication du sucre
Voici très succinctement l'exposé des
faits.
La fabrication du sucre indigène s'opère
depuis novembre jusqu'en janvier.
En février et mars, elle est complètement
terminée, parce que les betteraves com-
mencent à fermenter et qu'il faut s'en dé-
faire.
Or, les fabricants de sucre ont des char-
ges financières très lourdes à supporter.
Il leur faut payer la betterave aux agri-
culteurs qui la leur livrent; il leur faut
également payer les engrais et quelquefois
la semence qu'ils ont fournis à l'avance à
leurs vendeurs.
Leurs besoins d'argent sont donc urgents
et leur fabrication se trouve vendue, soit
au comptant, soit à terme, au fur et à me-
sure qu'elle se fait.
Le sucre qui n'entre pas immédiatement
en raffinerie circule alors au moyen de
warrants et de filières, et l'on joue, l'on
spécule dessus, comme l'on joue, l'on spé-
cule sur nos rentes et sur nos principales
valeurs.
Mauvaise récolte ,
Or, cette année, la récolte des cannes à
sucre a complètement manqué à Cuba et à
Java, ou bien a été détruite par des cyclo-
nes. Enfin, l'on estime que le déficit est de
350,000 tonnes sur une production totale de
5 millions de tonnes.
Il n'en résultera pas de manquant, grâce
aux stocks qui existent; mais ces stocks
suffiraient juste, dit-on, à la consommation
jusqu'au commencement de la campagne
d'octobre.
Enfin, le début de la saison ne s'est pas
montré partout entièrement favorable à la
culture de la betterave.
Spéculation
Mais la spéculation, qui n'a jamais qu'un
but : gagner rapidement le plus d'argent
possible, a saisi l'occasion aux cheveux et
a vigoureusement joué sur les sucres.
Il en résulte des mouvements violents
dans un sens et dans l'autre, non seule-
ment sur les marchés français, mais sur
tous les marchés du monde, car la situation
est absolument identique partout.
Ainsi, le cours des sucres a eu une forte
tendance à la baisse au commencement du
mois, aussi bien à Anvers qu'à Londres, à
Magdebourg qu'à Prague, enfin sur tous les
principaux marchés sucriers; puis la hausse
a prévalu, pour se continuer jusqu'à ce
jour.
Il en résulte que le commerce de gros,
aussi bien que celui de demi-gros ou de
détail, qui n'ont que des approvisionne-
ments restreints, ne peuvent faire profiter
la consommation de ces brusques fusées
vers la baisse; que la hausse persiste pour
le public et que le consommateur continue
à payer des prix élevés.
LE VOYAGE DU ROI HUMBERT
A BERLIN
Départ et programme de voyage
(D'UN CORRESPONDANT)
Rome, 19 mai.
Le roi d'Italie, le prince royal Victor-Em-
manuel, avec quatorze fonctionnaires de la
maison royale, M. Crispi avec trois fonc-
tionnaires du cabinet des affaires étran-
gères, sont partis pour Berlin ce soir, à
quatre heures vingt minutes.
Le ministre des travaux publics accom-
pagne le roi jusqu'à la frontière suisse.
Les sociétés et lafcule-quise tenaient aux
abords de la gare ont fait une ovation au
roi et au prince royal.
Le roi arrivera à la gare badoise de Bâle
demain lundi, à six heures du soir, et à
Berlin, mardi, à dix heures du matin. Il
voyagera incognito. Il dînera demain, à six
heures quarante-cinq minutes, à la gare
de Fribourg (Bade), soupera à Francfort,
le soir, à onze heures, et déjeunera mardi
le soir, à huit heures quarante-cinq, à Wit-
matin,
temberg.
A Berlin. — Le programme des fêtes
(D'UN CORRESPONDANT)
Berliu, 19 mai.
Le roi arrivera le mardi 91 mai, à dix
heures, à la gare dite de Potsdam. Une
via triomphalis s'étendra de cette gare au
château royal.
Il sera reçu à la gare par l'empereur et
les princes. Il se rendra immédiatement
au château, où il trouvera l'impératrice et
les princesses.
A deux heures, déjeuner chez l'empe-
reur et l'impératrice.
A sept heures, dîner de gala dans la ga-
lerie des Tableaux.
Le matin du 22 mai, grande revue.
Le roi déjeunera avec la famille impé-
riale. Le soir, dîner dans la salle Blanche
du château, auquel assisteront les géné-
raux et les officiers supérieurs ■qai auront
pris part à la revue.
Le soir, représentation de galà - à rOp*rtb,.
Jeudi 23 mai, les deux souverains se ren-
dront, par train spécial, à Potsdam, où ils
assisteront à la revue. Après le déjeuner, ils
iront en voiture, visiter le château de
Friedrichskron et l'église de la Paix. Ils re-
viendront à Berlin en voiture. Le soir, dî-
ner chez M. de Launay, ambassadeur d'Ita-
lie à Berlin.
Vendredi mai, le roi assistera aux ma-
nœuvres de troupes. Il dînera chez le prince
Albert de Prusse. Le soir, concert dans la
salle Blanche du château.
Samedi 25 mai, le roi Humbert visitera
l'Exposition et les monuments de Berlin.
CHRONIQUE
Le ministre de l'instruction publique.
il importe peu de savoir comment il s'ap-
pelait cette aunée-Ià; c'était le ministre
de l'instruction publique. Il avait donc,
s'adressant aux maîtres répétiteurs, pro-
noncé ces paroles mémorables :
— Mes amis, votre métier n'en est pas
un. On passe par le répétitorat, on n'y
séjourne point. Travaillez, faites-vous
recevoir licenciés, et l'Université se fera
un plaisir de vous confier une classe. De
répétiteurs, vous deviendrez professeurs.
Vous maintenez la discipline parmi nos
élèves; vous leur distribuerez l'enseigne-
ment. Prenez donc en patience votre si-
tuation présente. J'avoue qu'elle n'est pas
des plus confortables ni des plus relui-
santes ; mais vous n'êtes pas pour y res-
ter. Il ne tient qu'à vous de l'échanger
contre une autre, qui doit être le but de
votre ambition.
— A asi, ont répondu les maîtres répé-r
titeui.^, ainsi, monsieur le ministre, voilà
qui est entendu. Vous reconnaissez que
le répétitorat n'est pas une carrière et
que nous aurions grand tort de nous y
éterniser ?
— Comment ! si vous auriez tort. Mais
c'est à ce point que l'Université n'aurait
pas assez de mépris pour vous, si vous
vous réduisiez à n'être jamais bons qu'à
surveiller une étude ou une cour de ré-
création. Elle vous prierait même de dé-
guerpir. Elle est convaincue, et je le suis
comme elle, qu'on s'use et qu'on se dété-
riore à cette misérable besogne. Un hom-
me qui fait trop longtemps l'étude arrive
à ne plus bien la faire. Il tourne au
vieux pion, et l'Université ne veut pas
chez elle de vieux pions. Il est honorable
et utile de traverser le répétitorat; y
vieillir est dégradant et honteux.
— Parfaitement, monsieur le ministre.
Nous n'avons pas, il est vrai, beaucoup
de temps à nous ; mais nous emploierons
de notre mieux les heures de liberlé qui
nous sont laissées par les règlements, et
soyez sûr que nous allons nous mettre en
mesure de passer nos examens.
— Passez-les donc, et vous serez nom-
més professeurs.
— Nous serons nommés ? Vous en ré-
pondez?
— Absolument.
Sur ce pied, les répétiteurs se mirent
au travail et donnèrent un fort coup de
collier. Les premiers arrivés au poteau
obtinrent assez aisément une chaire, et
tout alla bien durant deux ou trois ans,
peut-être quatre, je ne sais pas au juste.
Ce qu'il y a de certain, c'est qu'il ne
tarda pas à venir un moment où le mi-
nistre — ce n'était plus le même, mais ça
ne fait rien à la chose — dut répondre >
un maître répétiteur frais émoulu de la
licence :
— Je serais ravi de vous donner une
chaire ; mais il n'y en a pas.
- Pardon ! M. le ministre nous avait
dit.
— Oh ! ce qu'a dit M. le ministre est
fort bien dit ; mais, que voulez-vous ?
nous ne pouvons pas vous donner une
chaire, puisqu'il n'y en a pas. Attendez.
à la première vacance. ce n'est qu'un
retard.
Le diable c'est que, derrière ce premier
refusé, il en montait d'autres, pourvus
comme lui d'un diplôme de licence tout
frais,la bouche enfarinée comme lui, et qu
vinrent se heurter contre son dos ; et la
file s'allongeait à chaque session, et tous,
brandissant leur parchemin, criaient en
choeur :
— Je suis licencié, monsieur le minis-
tre. Une chaire! il me faut une chaire !
Tendebantque manas ripas alterioris amore.
Et il n'y avait point de chaire; et, chose
bizarre 1 le temps s'écoulait, et le pre-
mier refusé continuait de marquer le
pas, bouchant le passage aux autres. Il
devait se produire pourtant des vacan-
ces ! Comment les têtes de file n'avan-
çaient-elles point? Quoi! pas un de
nommé! Voilà qui était inexplicable.
Hélas 1 non ; cela n'était point inexpli-
cable.
Le même ministre qui avait dit aux
maîtres répétiteurs : passez votre licence
et je vous nommerai professeur, était un
honnête homme travaillé de cette idée
qu'il ne saurait y avoir trop de licenciés
en ce monde, un licencié étant un homme
qui fait honneur à sa patrie et qui en re-
lève l'éclat.
Il avait donc créé ce qu'on appelle des
bourses de licence, c'est-à-dire qu'il avait
dit aux jeunes gens qui étaient à la fois
studieux, pauvres et protégés :
-Mes enfants, vous n'avez pas pu entrer
à l'Ecole normale, où je recrute l'élite de
mes professeurs. C'est un malheur pour
vous, mais je suis bon et puis y porter
remède. Les professeurs de Faculté sont,
de par leur institution, chargés de dis-
tribuer le haut enseignement aux jeunes
gens qui veulent pousser très avant la
culture ,.ltellectuelle. Je leur demanderai
de se réduire pour vous au rôle plus mo-
deste de professeurs de lycée. Vous referez,
sous leur direction, les études que vous
avez un peu négligées. Ils seront en-
chantés d'avoir des auditeurs, ce qui les
changera; et, comme il faut qu'en pour-
suivant ces études, vous viviez, je vous
donnerai daaJhnnrsea. Comme je paie les
professeurs de Faculté pour donner
l'enseignement, il est tout naturel que je
leur paie des élèves pour le recevoir.
Ces jeunes gens étaient méfiants :
— Pardon ! monsieur le ministre, di-
rent-ils ; vous nous défrayez de tout jus-
que au jour de l'examen de licence, voilà
qui est bien. Mais si nous le passons, il
est entendu que nous aurons une chaire.
Car sans cela, ce ne serait pas la peine
d'avoir employé deux ou trois ans de no-
tre vie à remâcher notre rhétorique.
— Mais oui, mes enfants, c'est convenu.
Vous aurez des chaires. Du moment que
je vous paye pour suivre les cours, je
n'ai pas d'autre façon de rentrer dans
mon argent, que de vous mettre à même
de distribuer à d'autres la science dont
vous vous êtes pourvus grâce à moi. Je se-
rais le dernier des imbéciles, si je ne vous
nommais pas professeurs. Vous pouvez
donc compter sur moi.
Et c'est ainsi qu'avaient été instituées
les bourses de licence, qui coûtèrent fort
cher à l'Etat, et qui lui coûtent bon en-
core. Il en sortit naturellement un fort
contingent de licenciés, qui, eux aussi,
demandèrent les places vacantes.
Le ministère vit ainsi déboucher deux
colonnes de postulants, à qui l'on avait
fait les mêmes promesses, les uns allé-
guant que le répétitorat n'était pas un mé-
tier, qu'on leur avait déclaré que s'ils
n'en sortaient pas ils seraient les derniers
des hommes; que pour en sortir ils
avaient (au prix de quel travail et de
quelle misère!) rempli la condition im-
posée par le ministre; qu'il était par con-
séquent abominable et barbare de les re-
tenir dans des fonctions où il était dé-
shonorant de s'attarder ; les autres disant
avec plus de désinvolture : Vous m'avez
payé, ça prouve que j'avais des protec-
teurs, que je ne suis pas le premier venu;
j'ai passé ma licence, ça prouve que je
ne suis pas un ignorant ni un imbécile ;
il y a contrat passé entre nous, exécutez-
vous.
Et le ministre (c'en était encore un
autre) levait aitciel des bras désespérés;
il voyait grossir le flot des réclamants,
et point de places à donner ni aux uns ni
aux autres. Quand il y en avait une, elle
était naturellement pour ceux qui en
avaient le moins besoin et avaient moins
de titres sérieux à la bienveillance de l'ad-
ministration, pour les boursiers de li-
cence.
Et les pauvres maîtres répétiteurs se
brossaient le ventre, ce même ventre
qu'ils ont déjà pris l'habitude de se ser-
rer, dans leur triste profession.
Et savez-vous combien ils sont à
cette heure, dans le répétitorat, de li-
cenciés à qui l'on n'a pu donner de chai-
res ? Ils sont trois cents, oui, trois cents!
Le journal la Réforme universitaire aou-
vert une enquête, qui s'est prolongée
cinq ou six mois : le chiffre est officiel. Il
y a trois cents maîtres répétiteurs à qui
l'on ne peut tenir les promesses dont ou
les a leurrés. Il y en aura trois cent cin-
quante l'année prochaine.
Et l'on continue de donner des bourses
de licence et de fabriquer à prix d'argent
des licenciés dont on sait qu'on ne pour-
ra rien faire que des déclassés 1
M. Philippe Vezoux, dans la Réforme
universitaire, propose quelques remèdes.
J'y reviendrai.
Frj^eque Saroey.
M. GIRARD
ET LE !
LABORATOIRE MUNICIPAl(t)
LES CINQ SAVANTS DE L'INSTITUT
M. Lozé et la commission de contwu*
Les opinions varient.- Le linge.
à laver. - Pour examiner les
procédés Girard.
On a vu, par notre article d'hier le rôle
ridicule que le préfet de police faisit jouer
à la commission munIcipale de contrôle du
Laboratoire, en refusanf de laisser compa-
raître devant elle plusieurs des chimistes
actuellement en fonctions, que la commis-
sion désirait entendre relativement à la
révocasion du chimiste principal Roquess
révocasion du chimiste principal Rocques.
Pour qu cette attitude singulière
le préfet de police a écrit à M. Lamotiroux
président de la commi
une lettre de laquelle il ressort que M
Lozé ne reconnaît à la commission muni-
cipale que le droit de contrôle sur la ges-
tion financière.
Pour le reste cela ne regarde personne.
Le conseil municipal qui a créé Je Labora-
toire, n'a pas, le droit d'ea surveiller le
fonctionnement de se rendre compte si
les milliers de malheureux condamnésqui-
les rapports de M. Charles Gir-ard l'ont été
justement ou Ínjustlllent; si les produits
achetés à grands frais par la Ville de Paris
servent à faire les Paris
faire les analyses ou sont em-
ployés à des fabrications diverses dont la
directeur du Laboratoire municipal tire UQ
profit personnel.
Hier et aujourd'hui
Il n'en a pas toujours été ainsi car 4
plusieurs reprises, - très rares, il est vrai,
- la commission de contrôle., tenant à juS1
tifier si peu que ce soit son titre, s'est
rendue au Laboratoire municipal pour en
dier » les procédés d'analyse. Elle aavait
dier n les procédés d'analyse. Elle avait
soin, d'ailleurs, chaque fois qu'elle voulait;
aller au Laboratoire, de demander à M.
Ch. Girard quel jour et quelle heure lui
plaisaient le mieux. St qUe"e We lui
Aujourd'hui, le préfet de cc)m-
prend parfaitement que les conseillers mu-
nicipaux. ne sont pas aussi disposés qu'au-
trefois à se laisser conter des balivernes,
leur ferme net au nez la porte de l'établis-
sement qu'ils ont fondé. M. Lozë trouve
avec raison que son protégé, M. Girard, est
assez malade comme cela et qu'il est inu-
tile de laisser aux c.onseillers municipau
la liberté de l'achever.
Bref, la comuiission de contrôle du La-
boratoire municipal s'aperçoit qu'elle s'y
prend un peu tard pour contrôler quelque
chose, et que si le lwéfet de police l'envoie
promener avec désinvolture, elle ne l'a paâ
tout à fait volé.
Cet incident nous laisse absolument in-
différents. Nous n'attendions rien de sé-
rieux de l'enquête ouverte par cette com-
mission, qui n'a jamais compris ses devoirs
et a couvert pendant si longtemps de son
étiquette les abus monstrueux et les scauV
dales révoltants que nous avons révélés
La cour d'assises, s. v. p.
Ce qu'il nous faut, c'est la grande lu-
mière de la cour d'assises, le débat public
devant des jurés qui, n'ayant pas à esqui*
ver des responsabilités, .assisteront à la
grande lessive que nous nous proposons de
faire et diront impartialement si oui ou
non le linge que nous étalerons devant eux
était malpropre. Ce linge-là ne peut paS
se laver en famille.
On assure que demain la chambre de*
mises en accusation, saisie de la plainte
portée contre le XIXe Siècle par le direc.
teur du Laboratoire municipal, se réunira
pour statuer.
Le Temps, qui donne cette nouvelle,-
ajoute qu'il n'est pas probable que l'affaire
puisse venir devant la cour d'assises avant
le 15 juin prochain.
Tant pis, car jusque-là le Laboratoire mui
nicipal sera encore- dirigé par un homme
qui compromet la santé publique et qui
déshonore I administration ; tant mieux-
car chaque jour nous apporte un fait nOll
veau qui vient grossir l'amas des preuve1
que nous avons réunies contre M. Girard.
Pour influencer le jury
En même temps qu'il nous apprend la
réunion de la chambre des mises en accu.-"
sation, le Temps nous fait savoir que le
préfet de police a décidé de former une
commission composée de cinq savants qUi
seront chargés d'examiner les méthodea
scientifiques en usage au laboratoire mu-
nicipal, et de donner leur avis sur leur
valeur et leur efficacité. Notre confrère
ajoute que les membres de cette commission
seront presque tous des membres de l'Ins-
titut.
Nous ne connaissons pas encore la com-
position de cette commission, mais nous
ferions volontiers le pari que le prefet de
police y fera figurer M. Brouar-del, doyen
de la Faculté de médecine. Cela serait tout
à fait drôle, car ce savant, intime ami de
M. Girard, a été mêlé directement avec
celui-ci à certaine affaire très grave, dont
nous avons les preuves, et que nous racon-
terons incessamment. Les autres membres
de la commission serout sans doute les
savants interwievés par le Figaro, il y a
environ deux mois, sur l'indication de
M. Girard. t oU!
Ce serait complet, en vérité, et nous
aurions là un rapport qui serait l'expression
la plus complète de l'indépendance scien-
tifique ! , f .t f.
Allez, M. le préfet de police, faites faire
rapports sur rapports par des savants triés
sur le volet; tout cela tombera comme
fétus de paille, au grand jour de la cour
d'assises, devant les preuves, accumulées
par nous, de l'ignorance de M. Girard et
de ses tripotages.
GENÉROSITÉ DU BEY DE TU Nié
(DB NOTRE CORRESPONDANT PARTICULIU)
Tunis, 19 mai.
Au concert de bienfaisance qui a été donna
hier soir, le bey a fait remettre par le général
Valensi, qui le représentait, une somme 4e
3,000 piastres, environ 1,800 fr.
(1) Lire les premiers articles dans le XIX*
Siècle des 5, 6, 8, 9, 10, 11, 18, 13, U, 15, lfr,
17, 19, 50, n. 22, 2A, 25, 96, 27, 23, 29, 30 marc,
1",2, 3, 5, 7, 8, 9, 10, 11, 19, 13, 15, 18,19, SO, M,
23, 2A, 25, 26, 28, 30 avril 2, h, 5, 9, 12, la 14, 1&
18, 19 et 20 mai.
- duo CentiInes' MARDI !Il MAI 1889
a
Î P VÏVE OI^NI "P
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A. - ÉDOUARD PORTALIS
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LE CAS DE M. DE BEAUREPAIRE
tt. GIRARD, M. LOZÉ, L'INSTITUT
ET LE « XIxe SIÈCLE »
Le voyage du roi Humbert à Berlin
LA TROUPE
ET LES GRÉVISTES ALLEMANDS
Grève de selliers militaires
LES LOISIRS
DU CHANCELIER
Les journaux allemands avaient an-
noncé qu'à la séance de rentrée du
Reichstag, le prince de Bismarck pro-
noncerait un discours. La session du
Reichstag s'est ouverte, et le chance-
lier a gardé le silence. La discussion
fêtait engagée sur le projet de loi re-
latif aux assurances contre l'invalidité
et la vieillesse, et elle se poursuivait
sans grand éclat, lorsque, fort inopi-
nément, le chancelier est intervenu
samedi dans le débat. C'est bien de la
loi sur les assurances ouvrières qu'il a
parlé; mais on sait que son procédé
oratoire est assez particulier. Il ne
s'attache pas au développement d'un
certain nombre d'idées s'enchaînant
entre elles : il fait, au contraire, l'é-
sole buissonnière, et, sans s'inquiéter
de l'ordonnance de sa harangue, il
lance des coups de boutoirs à ses ad-
versaires du dedans comme du de-
hors.
A proprement parler, la loi sur les
assurances ouvrières n'a été qu'un
prétexte pour rappeler qu'entre les
démocrates-socialistes et lui la lutte
était toujours ouverte, et que si ceux-
ci, « comme les Français, attendaient
seulement qu'ils fussent assez forts
pour attaquer", de son côté, il n'enten-
dait pas discuter avec ce parti, mais
uniquement le combattre. Une fois
lancé sur cette voie, M. de Bismarck
a successivement dit leur fait aux li-
béraux, « qui depuis vingt-cinq ans
n'ont songé qu'à lui être désagréa-
bles » et qui sont ci maniaques dans la
haine qu'il leur inspire M, aux Guel-
fes, aux Polonais, aux « Francophi-
les », dont l'opposition démontre jus-
tement que la loi est utile à l'em-
pire.
Il ne nous appartient pas de pren-
dre parti dans la lutte entre M.de Bis-
mark et ses adversaires allemands.
Mais cette désignation de francophiles,
sous laquelle il désigne les Alsaciens
et les Lorrains, nous paraît assez si-
gnificative. Un peu plus loin, avec plus
de franchise encore, il a déclaré que
l'Allemagne n'avait pas fait une grande
guerre pour faire entrer au Reichstag
« quatorze Français », et qu'on avait
eu le tort de leur ouvrir prématuré-
ment les portes de cette assemblée.
C'est la première fois, croyons-nous,
que M. de Bismarck donne aux an-
nexés la qualité de Français et qu'il
reconnaît aussi nettement que l'œuvre
de germanisation de l'Alsace-Lorraine
a échoué. Nous ne sommes plus au
temps où on se félicitait d'avoir réuni
à la patrie allemande des frères pen-
dant longtemps séparés et où on les
invitait à se réj ouir de ce retour au
Vaterland. Auj ourd'hui, ce sont des
Français qui ont subi le sort de la
guerre et auxquels on regrette d'avoir
accordé les bénéfices du droit com-
mun, au lieu de les traiter en pays
conquis et de les germaniser par la
violence.
Voici donc M. de Bismarck qui pro-
tlame lui-même sa fragilité d'une
partie de son œuvre et l'insuccès de
ses efforts assidus depuis dix-huit
ans. Est-il plus sûr de la stabilité de
son œuvre principale, de l'inébranla-
ble solidité de cet empire d'Allemagne
qu'il a édifié de ses mains ? On pour-
rait croire qu'il a quelque doute à ce
Sujet, lorsqu'on l'entend présenter la
loi sur les assurances ouvrières comme
un instrument précieux « au point de
vue de la stabilité de l'Etat » et établir
entre la France et l'Allemagne ce pa-
rallèle curieux :
a J'ai observé assez longtemps les
conditions sociales de la France pour
me convaincre que l'attachement des
Français au gouvernement existant
provient, en grande partie, de ce que
la plupart des Français sont porteurs
de rentes, jusqu'aux portiers. Ceux
qui. comptent sur l'Etat pour la moin-
dre rente se disent que si l'Etat est
bouleversé; ils perdent leur rente; et
serait-ce seulement quarante francs
par an, c'est une perte qu'ils ne peu-
Vent supporter. Ils portent donc inté-
rêt à la stabilité de l'Etat. Si nous
créons en Allemagne une clause de
700,000 porteurs de rente qui aient
tout à perdre et rien à gagner à un
changement dans l'Etat, nous aurons
fait une œuvre extrêmement utile. »
Le socialisme officiel que M. de Bis-
marck oppose au socialisme du parti
démocratique n'est donc pas seule-
ment une affaire de doctrine : c'est
surtout un moyen de gouvernement.
Il s'agit de rattacher les ouvriers au
système impérial et de les intéresser
par des pensions de retraite au main-
tien du régime impérial. Le moyen
n'a peut-être pas toute l'efficacité que
le chancelier lui attribue, car les
700,000 rentiers qu'il se propose de
créer seront des invalides ou des vieil-
lards. Ce ne sont jamais ceux-là qui
font des révolutions ou qui empêchent
les révolutions de se faire. Le paral-
lèle tracé par M. de Bismarck entre
les petits rentiers français qui épar-
gnent pendant toute leur vie et la
classe de rentiers qu'il veut créer n'est
donc pas bien juste,et l'action des uns
et des autres sur les destinées de l'E-
tat présente peu d'analogie.
Au milieu de toutes ces digressions,
M. de Bismarck ne s'est pas attaché à
la politique extérieure de l'Allemagne.
Il aurait cependant été tout à fait en
dehors de ses habitudes qu'il quittât
la tribune sans prononcer quelqu'une
de ces paroles qui provoquent un peu
d'émoi en Europe. Il n'a eu garde de
ne pas se conformer à cette tradition
et il a invité le Reichstag à se hâter
de voter la loi : « Qui vous dit que
dans un an nous serons encore en
mesure de nous occuper de cette
question,pour laquelle Dieu,en ce mo-
ment, nous donne des loisirs? Moi, du
moins, je ne pourrais répondre de
m'en occuper ». Est-ce une allusion
à la vieillesse qui ne permet plus les
longs espoirs? Est-ce une autre préoc-
cupation qui dicte le langage du
chancelier ? Nous ne nous chargeons
pas de prononcer. Tout ce que nous
constatons, c'est que pour le moment
il a des loisirs, ce qui nous permet de
penser que nous pouvons en prendre
aussi.
Le XIXo SIECLE publiera demain la
Cixrouiqud par M. Pau* Ginisiy.
GRAVt-S NOUVELLES
DES GRÈVES ALLEMANDES
La situation en Silésie. — Brutalités
prussiennes.
(DE NOTRE CORRESPONDANT PARTICtTLIBlt)
Berlin, 19 mai.
La situation en Silésie s'aggrave de plus
en plus. Les grèves revêtent un caractère
de plus en plus révolutionnaire.
Les populations prennent énergiquement
parti pour les grévistes. Les soldats mon-
trent une brutalité inouïe, se servant de la
crosse ou de la baïonnette pour disperser
le moindre rassemblement, frappant sans
pitié les femmes et les enfants.
Lorsque les officiers font des sommations,
ces sommations sont si rapides que per-
sonne n'a le temps de se disperser. La
troupe tire et les victimes sont nom-
breuses.
Partout les officiers recommandent à
leurs hommes de bien viser; les soldats
qui ne font pas usage de leurs cartouches
sont punis sévèrement. Un officier qui
avait hésité à faire tirer sur un rassemble-
ment et qui avait parlementé avec les gré-
vistes a été conduit en prison.
ÉLECTION SÉNATORIALE
Les candidats dans la Nièvre
(DE NOTRE CORRESPONDANT PARTICULIER)
Cosne, 19 mai.
Une importante réunion de délégués sé-
natoriaux a eu lieu à Cosne, sous la prési-
dence de M. Ducoudray, député.
M. Masse, ancien sénateur, a été désigné
comme candidat, à la presque unani-
mité.
M. Hérisson, député, se présente égale-
ment.
UN DÉPUTÉ CASÉ
M. Bousquet, receveur de Beaucaire
(DE NOTRE CORRESPONDANT PARTICULIER)
Nîmes, 19 mai.
Nous avons annoncé que M. Bousquet,
député opportuniste du Gard, renonçait à
toute candidature aux prochaines élections
législatives. Cette prudente retraite n'est
pas, parait-il, désintéressée. Nous appre-
nons, en effet, que le protégé de M. Jules
Ferry va être pourvu de l'importante re-
cette de Beaucaire.
Comme député, M. Bousquet ne touchait
que 9,000 francs. Il en percevra mainte-
nant 15,000. Il y a, pour lui, de l'avance-
ment. Ce qui prouve une fois de plus que
le proverbe de la sagesse des nations a du
vrai : « Le silence vaut de l'or » - à la
Chambre du moins.
LE PROFESSEUR CARL VOGT
Le 56e anniversaire de son doctorat
(DE NOTRE CORRESPONDANT PARTICULIER)
Genève, 19 mai.
A l'occasion du 56e anniversaire de la
promotion dans le doctorat du grand sa-
vant Carl Vogt, professeur à notre Univer-
sité, correspondant de l'Institut dé France,
ses collègues sont allés lui exprimer leurs
félicitations.
-
LES VEXATIONS A LA FRONTI È RE
FRANCO-ALLEMANDE
(DE NQTRB oonnESPONDANT PARTICULIER)
Metz, 19 mai.
On se raconte ici qu'un archiduc autrichien,
revenant de Paris, aurait eu à se plaindre du
manque d'égards des autorités allemandes à
Avricourt. La plainte qu'il a formulée à ce
sujet aurait déjà en des suits.
UN POINT DE DROIT
LE CAS DE M. DE BEAUREPAIRE
Procureur général et propriétaire. —
Récusation ou suspicion légitime.
— Solution ajournée.
L'appel du jugement rendu par le tribu-
nal correctionnel dans l'affaire Quesnay
de Beaurepaire soulève une question de
droit des plus intéressantes et qui préoc-
cupe vivement le monde du Palais.
On sait qu'en matière criminelle,les juge-
ments des tribunaux ou arrêts des cours
sont rendus sur les réquisitions du minis-
tère public. -
Le ministère public est représenté de-
vant les tribunaux de première instance
par le procureur de la République ou ses
substituts, devant la cour par le procureur
général ou les avocats généraux.
Le substitut est non seulement le subor-
donné, mais le représentant direct, on
pourrait dire l'émanation du procureur de
la République, de même que l'avocat géné-
ral est le subordonné, le représentant di-
rect, l'émanation du procureur général.
Le substitut parle au nom du procureur
de la République et l'avocat général au
nom du procureur général.
Or, on se demande au Palais si l'avocat
général peut légalement requérir des con-
damnations contre les journaux en cause
au profit du procureur général, et si ces
journaux ne seraient pas en droit de le
récuser.
L'avocat général n'agissant et ne pouvant
agir que d'après les ordres du procureur
général, c'est, en effet, comme si le procu-
reur général prenait lui-même des réqui-
sitions à son profit.
On objecte bien que M. Quesnay de Beau-
repaire poursuit les journaux dont s'agit
comme propriétaire; mais il est bien diffi-
cile d'admettre que M. Quesnay de Beaure-
paire procureur général ne porte pas un
intérêt tout particulier à M. Quesnay de
Beaurepaire propriétaire.
Dans le cas probable où les journaux
poursuivis demanderaient la récusation du
ministère public, en vertu de l'article 378
du Code pénal, l'incident serait porté de-
vant la cour de cassation, qui, seule, au-
rait qualité pour en connaître.
Si la cour de cassation refusait la récu-
sation, on prête aux journaux l'intention
de demander le renvoi devant une autre
cour que la cour d'appel de Paris, pour
suspicion légitime.
On voi que les instances entamées par
M. Quesnay de Beaurepaire contre la presse
ne sont pas près de recevoir une solution.
INCIDENT L0CKR0Y-0E LA BERGE
Envoi de témoins
Dans une nouvelle lettres M, Lockroy
annonce qu'il envoie ses témoins à Ni. Pau-
chioni, rédacteur au Lyon républicain, qui
s'est désigné comme l'auteur de l'article
injurieux pour M. Lockroy.
Le député de la Seine ajoute :
Quand j'aurai fini avec M. Panchioni, je re-
viendrai à M. de la Berge, non seulement
pour les articles du Siècle où il m'a calomnié,
mais encore pour celui qu'il nie avoir écrit et
qu'il a écrit.
En réponse à cette lettre, M. de la Berge
fait savoir qu'il a été « officier dans l'armée
française et qu'il a conduit cinq fois sa
compagnie au feu » et que, par conséquent,
il ne se dérobe pas.
VOL DE MEDAILLES
(DE NOTRE CORRESPONDANT PARTICULIER)
Rome, 19 mai.
Dans une des salles de la bibliothèque de la
Chambre des députés se trouvait une collec-
tion de médailles parlementaires en or et en
argent.
Des voleurs ont brisé la vitrine et ont em-
porté quinze médailles en or d'une grande
valeur. Il a été impossible de découvrir les
auteurs do ce vol.
LA QUESTION DU SUCRE
LA SITUATION VRAIE
Les causes. — La fabrication. — Le
commerce des sucres.
Nous avons indiqué sommairement
l'émotion profonde causé* ans l opimon
publique par la hausse persistante des su-
cres depuis quelque temps.
On a d'abord attribué cette haussé à l'ex-
cédent de consommation que devait pro-
duire l'ouverture de l'Exposition; ou. e
donné enfin cent raisons diverses.
Fabrication du sucre
Voici très succinctement l'exposé des
faits.
La fabrication du sucre indigène s'opère
depuis novembre jusqu'en janvier.
En février et mars, elle est complètement
terminée, parce que les betteraves com-
mencent à fermenter et qu'il faut s'en dé-
faire.
Or, les fabricants de sucre ont des char-
ges financières très lourdes à supporter.
Il leur faut payer la betterave aux agri-
culteurs qui la leur livrent; il leur faut
également payer les engrais et quelquefois
la semence qu'ils ont fournis à l'avance à
leurs vendeurs.
Leurs besoins d'argent sont donc urgents
et leur fabrication se trouve vendue, soit
au comptant, soit à terme, au fur et à me-
sure qu'elle se fait.
Le sucre qui n'entre pas immédiatement
en raffinerie circule alors au moyen de
warrants et de filières, et l'on joue, l'on
spécule dessus, comme l'on joue, l'on spé-
cule sur nos rentes et sur nos principales
valeurs.
Mauvaise récolte ,
Or, cette année, la récolte des cannes à
sucre a complètement manqué à Cuba et à
Java, ou bien a été détruite par des cyclo-
nes. Enfin, l'on estime que le déficit est de
350,000 tonnes sur une production totale de
5 millions de tonnes.
Il n'en résultera pas de manquant, grâce
aux stocks qui existent; mais ces stocks
suffiraient juste, dit-on, à la consommation
jusqu'au commencement de la campagne
d'octobre.
Enfin, le début de la saison ne s'est pas
montré partout entièrement favorable à la
culture de la betterave.
Spéculation
Mais la spéculation, qui n'a jamais qu'un
but : gagner rapidement le plus d'argent
possible, a saisi l'occasion aux cheveux et
a vigoureusement joué sur les sucres.
Il en résulte des mouvements violents
dans un sens et dans l'autre, non seule-
ment sur les marchés français, mais sur
tous les marchés du monde, car la situation
est absolument identique partout.
Ainsi, le cours des sucres a eu une forte
tendance à la baisse au commencement du
mois, aussi bien à Anvers qu'à Londres, à
Magdebourg qu'à Prague, enfin sur tous les
principaux marchés sucriers; puis la hausse
a prévalu, pour se continuer jusqu'à ce
jour.
Il en résulte que le commerce de gros,
aussi bien que celui de demi-gros ou de
détail, qui n'ont que des approvisionne-
ments restreints, ne peuvent faire profiter
la consommation de ces brusques fusées
vers la baisse; que la hausse persiste pour
le public et que le consommateur continue
à payer des prix élevés.
LE VOYAGE DU ROI HUMBERT
A BERLIN
Départ et programme de voyage
(D'UN CORRESPONDANT)
Rome, 19 mai.
Le roi d'Italie, le prince royal Victor-Em-
manuel, avec quatorze fonctionnaires de la
maison royale, M. Crispi avec trois fonc-
tionnaires du cabinet des affaires étran-
gères, sont partis pour Berlin ce soir, à
quatre heures vingt minutes.
Le ministre des travaux publics accom-
pagne le roi jusqu'à la frontière suisse.
Les sociétés et lafcule-quise tenaient aux
abords de la gare ont fait une ovation au
roi et au prince royal.
Le roi arrivera à la gare badoise de Bâle
demain lundi, à six heures du soir, et à
Berlin, mardi, à dix heures du matin. Il
voyagera incognito. Il dînera demain, à six
heures quarante-cinq minutes, à la gare
de Fribourg (Bade), soupera à Francfort,
le soir, à onze heures, et déjeunera mardi
le soir, à huit heures quarante-cinq, à Wit-
matin,
temberg.
A Berlin. — Le programme des fêtes
(D'UN CORRESPONDANT)
Berliu, 19 mai.
Le roi arrivera le mardi 91 mai, à dix
heures, à la gare dite de Potsdam. Une
via triomphalis s'étendra de cette gare au
château royal.
Il sera reçu à la gare par l'empereur et
les princes. Il se rendra immédiatement
au château, où il trouvera l'impératrice et
les princesses.
A deux heures, déjeuner chez l'empe-
reur et l'impératrice.
A sept heures, dîner de gala dans la ga-
lerie des Tableaux.
Le matin du 22 mai, grande revue.
Le roi déjeunera avec la famille impé-
riale. Le soir, dîner dans la salle Blanche
du château, auquel assisteront les géné-
raux et les officiers supérieurs ■qai auront
pris part à la revue.
Le soir, représentation de galà - à rOp*rtb,.
Jeudi 23 mai, les deux souverains se ren-
dront, par train spécial, à Potsdam, où ils
assisteront à la revue. Après le déjeuner, ils
iront en voiture, visiter le château de
Friedrichskron et l'église de la Paix. Ils re-
viendront à Berlin en voiture. Le soir, dî-
ner chez M. de Launay, ambassadeur d'Ita-
lie à Berlin.
Vendredi mai, le roi assistera aux ma-
nœuvres de troupes. Il dînera chez le prince
Albert de Prusse. Le soir, concert dans la
salle Blanche du château.
Samedi 25 mai, le roi Humbert visitera
l'Exposition et les monuments de Berlin.
CHRONIQUE
Le ministre de l'instruction publique.
il importe peu de savoir comment il s'ap-
pelait cette aunée-Ià; c'était le ministre
de l'instruction publique. Il avait donc,
s'adressant aux maîtres répétiteurs, pro-
noncé ces paroles mémorables :
— Mes amis, votre métier n'en est pas
un. On passe par le répétitorat, on n'y
séjourne point. Travaillez, faites-vous
recevoir licenciés, et l'Université se fera
un plaisir de vous confier une classe. De
répétiteurs, vous deviendrez professeurs.
Vous maintenez la discipline parmi nos
élèves; vous leur distribuerez l'enseigne-
ment. Prenez donc en patience votre si-
tuation présente. J'avoue qu'elle n'est pas
des plus confortables ni des plus relui-
santes ; mais vous n'êtes pas pour y res-
ter. Il ne tient qu'à vous de l'échanger
contre une autre, qui doit être le but de
votre ambition.
— A asi, ont répondu les maîtres répé-r
titeui.^, ainsi, monsieur le ministre, voilà
qui est entendu. Vous reconnaissez que
le répétitorat n'est pas une carrière et
que nous aurions grand tort de nous y
éterniser ?
— Comment ! si vous auriez tort. Mais
c'est à ce point que l'Université n'aurait
pas assez de mépris pour vous, si vous
vous réduisiez à n'être jamais bons qu'à
surveiller une étude ou une cour de ré-
création. Elle vous prierait même de dé-
guerpir. Elle est convaincue, et je le suis
comme elle, qu'on s'use et qu'on se dété-
riore à cette misérable besogne. Un hom-
me qui fait trop longtemps l'étude arrive
à ne plus bien la faire. Il tourne au
vieux pion, et l'Université ne veut pas
chez elle de vieux pions. Il est honorable
et utile de traverser le répétitorat; y
vieillir est dégradant et honteux.
— Parfaitement, monsieur le ministre.
Nous n'avons pas, il est vrai, beaucoup
de temps à nous ; mais nous emploierons
de notre mieux les heures de liberlé qui
nous sont laissées par les règlements, et
soyez sûr que nous allons nous mettre en
mesure de passer nos examens.
— Passez-les donc, et vous serez nom-
més professeurs.
— Nous serons nommés ? Vous en ré-
pondez?
— Absolument.
Sur ce pied, les répétiteurs se mirent
au travail et donnèrent un fort coup de
collier. Les premiers arrivés au poteau
obtinrent assez aisément une chaire, et
tout alla bien durant deux ou trois ans,
peut-être quatre, je ne sais pas au juste.
Ce qu'il y a de certain, c'est qu'il ne
tarda pas à venir un moment où le mi-
nistre — ce n'était plus le même, mais ça
ne fait rien à la chose — dut répondre >
un maître répétiteur frais émoulu de la
licence :
— Je serais ravi de vous donner une
chaire ; mais il n'y en a pas.
- Pardon ! M. le ministre nous avait
dit.
— Oh ! ce qu'a dit M. le ministre est
fort bien dit ; mais, que voulez-vous ?
nous ne pouvons pas vous donner une
chaire, puisqu'il n'y en a pas. Attendez.
à la première vacance. ce n'est qu'un
retard.
Le diable c'est que, derrière ce premier
refusé, il en montait d'autres, pourvus
comme lui d'un diplôme de licence tout
frais,la bouche enfarinée comme lui, et qu
vinrent se heurter contre son dos ; et la
file s'allongeait à chaque session, et tous,
brandissant leur parchemin, criaient en
choeur :
— Je suis licencié, monsieur le minis-
tre. Une chaire! il me faut une chaire !
Tendebantque manas ripas alterioris amore.
Et il n'y avait point de chaire; et, chose
bizarre 1 le temps s'écoulait, et le pre-
mier refusé continuait de marquer le
pas, bouchant le passage aux autres. Il
devait se produire pourtant des vacan-
ces ! Comment les têtes de file n'avan-
çaient-elles point? Quoi! pas un de
nommé! Voilà qui était inexplicable.
Hélas 1 non ; cela n'était point inexpli-
cable.
Le même ministre qui avait dit aux
maîtres répétiteurs : passez votre licence
et je vous nommerai professeur, était un
honnête homme travaillé de cette idée
qu'il ne saurait y avoir trop de licenciés
en ce monde, un licencié étant un homme
qui fait honneur à sa patrie et qui en re-
lève l'éclat.
Il avait donc créé ce qu'on appelle des
bourses de licence, c'est-à-dire qu'il avait
dit aux jeunes gens qui étaient à la fois
studieux, pauvres et protégés :
-Mes enfants, vous n'avez pas pu entrer
à l'Ecole normale, où je recrute l'élite de
mes professeurs. C'est un malheur pour
vous, mais je suis bon et puis y porter
remède. Les professeurs de Faculté sont,
de par leur institution, chargés de dis-
tribuer le haut enseignement aux jeunes
gens qui veulent pousser très avant la
culture ,.ltellectuelle. Je leur demanderai
de se réduire pour vous au rôle plus mo-
deste de professeurs de lycée. Vous referez,
sous leur direction, les études que vous
avez un peu négligées. Ils seront en-
chantés d'avoir des auditeurs, ce qui les
changera; et, comme il faut qu'en pour-
suivant ces études, vous viviez, je vous
donnerai daaJhnnrsea. Comme je paie les
professeurs de Faculté pour donner
l'enseignement, il est tout naturel que je
leur paie des élèves pour le recevoir.
Ces jeunes gens étaient méfiants :
— Pardon ! monsieur le ministre, di-
rent-ils ; vous nous défrayez de tout jus-
que au jour de l'examen de licence, voilà
qui est bien. Mais si nous le passons, il
est entendu que nous aurons une chaire.
Car sans cela, ce ne serait pas la peine
d'avoir employé deux ou trois ans de no-
tre vie à remâcher notre rhétorique.
— Mais oui, mes enfants, c'est convenu.
Vous aurez des chaires. Du moment que
je vous paye pour suivre les cours, je
n'ai pas d'autre façon de rentrer dans
mon argent, que de vous mettre à même
de distribuer à d'autres la science dont
vous vous êtes pourvus grâce à moi. Je se-
rais le dernier des imbéciles, si je ne vous
nommais pas professeurs. Vous pouvez
donc compter sur moi.
Et c'est ainsi qu'avaient été instituées
les bourses de licence, qui coûtèrent fort
cher à l'Etat, et qui lui coûtent bon en-
core. Il en sortit naturellement un fort
contingent de licenciés, qui, eux aussi,
demandèrent les places vacantes.
Le ministère vit ainsi déboucher deux
colonnes de postulants, à qui l'on avait
fait les mêmes promesses, les uns allé-
guant que le répétitorat n'était pas un mé-
tier, qu'on leur avait déclaré que s'ils
n'en sortaient pas ils seraient les derniers
des hommes; que pour en sortir ils
avaient (au prix de quel travail et de
quelle misère!) rempli la condition im-
posée par le ministre; qu'il était par con-
séquent abominable et barbare de les re-
tenir dans des fonctions où il était dé-
shonorant de s'attarder ; les autres disant
avec plus de désinvolture : Vous m'avez
payé, ça prouve que j'avais des protec-
teurs, que je ne suis pas le premier venu;
j'ai passé ma licence, ça prouve que je
ne suis pas un ignorant ni un imbécile ;
il y a contrat passé entre nous, exécutez-
vous.
Et le ministre (c'en était encore un
autre) levait aitciel des bras désespérés;
il voyait grossir le flot des réclamants,
et point de places à donner ni aux uns ni
aux autres. Quand il y en avait une, elle
était naturellement pour ceux qui en
avaient le moins besoin et avaient moins
de titres sérieux à la bienveillance de l'ad-
ministration, pour les boursiers de li-
cence.
Et les pauvres maîtres répétiteurs se
brossaient le ventre, ce même ventre
qu'ils ont déjà pris l'habitude de se ser-
rer, dans leur triste profession.
Et savez-vous combien ils sont à
cette heure, dans le répétitorat, de li-
cenciés à qui l'on n'a pu donner de chai-
res ? Ils sont trois cents, oui, trois cents!
Le journal la Réforme universitaire aou-
vert une enquête, qui s'est prolongée
cinq ou six mois : le chiffre est officiel. Il
y a trois cents maîtres répétiteurs à qui
l'on ne peut tenir les promesses dont ou
les a leurrés. Il y en aura trois cent cin-
quante l'année prochaine.
Et l'on continue de donner des bourses
de licence et de fabriquer à prix d'argent
des licenciés dont on sait qu'on ne pour-
ra rien faire que des déclassés 1
M. Philippe Vezoux, dans la Réforme
universitaire, propose quelques remèdes.
J'y reviendrai.
Frj^eque Saroey.
M. GIRARD
ET LE !
LABORATOIRE MUNICIPAl(t)
LES CINQ SAVANTS DE L'INSTITUT
M. Lozé et la commission de contwu*
Les opinions varient.- Le linge.
à laver. - Pour examiner les
procédés Girard.
On a vu, par notre article d'hier le rôle
ridicule que le préfet de police faisit jouer
à la commission munIcipale de contrôle du
Laboratoire, en refusanf de laisser compa-
raître devant elle plusieurs des chimistes
actuellement en fonctions, que la commis-
sion désirait entendre relativement à la
révocasion du chimiste principal Roquess
révocasion du chimiste principal Rocques.
Pour qu cette attitude singulière
le préfet de police a écrit à M. Lamotiroux
président de la commi
une lettre de laquelle il ressort que M
Lozé ne reconnaît à la commission muni-
cipale que le droit de contrôle sur la ges-
tion financière.
Pour le reste cela ne regarde personne.
Le conseil municipal qui a créé Je Labora-
toire, n'a pas, le droit d'ea surveiller le
fonctionnement de se rendre compte si
les milliers de malheureux condamnésqui-
les rapports de M. Charles Gir-ard l'ont été
justement ou Ínjustlllent; si les produits
achetés à grands frais par la Ville de Paris
servent à faire les Paris
faire les analyses ou sont em-
ployés à des fabrications diverses dont la
directeur du Laboratoire municipal tire UQ
profit personnel.
Hier et aujourd'hui
Il n'en a pas toujours été ainsi car 4
plusieurs reprises, - très rares, il est vrai,
- la commission de contrôle., tenant à juS1
tifier si peu que ce soit son titre, s'est
rendue au Laboratoire municipal pour en
dier » les procédés d'analyse. Elle aavait
dier n les procédés d'analyse. Elle avait
soin, d'ailleurs, chaque fois qu'elle voulait;
aller au Laboratoire, de demander à M.
Ch. Girard quel jour et quelle heure lui
plaisaient le mieux. St qUe"e We lui
Aujourd'hui, le préfet de cc)m-
prend parfaitement que les conseillers mu-
nicipaux. ne sont pas aussi disposés qu'au-
trefois à se laisser conter des balivernes,
leur ferme net au nez la porte de l'établis-
sement qu'ils ont fondé. M. Lozë trouve
avec raison que son protégé, M. Girard, est
assez malade comme cela et qu'il est inu-
tile de laisser aux c.onseillers municipau
la liberté de l'achever.
Bref, la comuiission de contrôle du La-
boratoire municipal s'aperçoit qu'elle s'y
prend un peu tard pour contrôler quelque
chose, et que si le lwéfet de police l'envoie
promener avec désinvolture, elle ne l'a paâ
tout à fait volé.
Cet incident nous laisse absolument in-
différents. Nous n'attendions rien de sé-
rieux de l'enquête ouverte par cette com-
mission, qui n'a jamais compris ses devoirs
et a couvert pendant si longtemps de son
étiquette les abus monstrueux et les scauV
dales révoltants que nous avons révélés
La cour d'assises, s. v. p.
Ce qu'il nous faut, c'est la grande lu-
mière de la cour d'assises, le débat public
devant des jurés qui, n'ayant pas à esqui*
ver des responsabilités, .assisteront à la
grande lessive que nous nous proposons de
faire et diront impartialement si oui ou
non le linge que nous étalerons devant eux
était malpropre. Ce linge-là ne peut paS
se laver en famille.
On assure que demain la chambre de*
mises en accusation, saisie de la plainte
portée contre le XIXe Siècle par le direc.
teur du Laboratoire municipal, se réunira
pour statuer.
Le Temps, qui donne cette nouvelle,-
ajoute qu'il n'est pas probable que l'affaire
puisse venir devant la cour d'assises avant
le 15 juin prochain.
Tant pis, car jusque-là le Laboratoire mui
nicipal sera encore- dirigé par un homme
qui compromet la santé publique et qui
déshonore I administration ; tant mieux-
car chaque jour nous apporte un fait nOll
veau qui vient grossir l'amas des preuve1
que nous avons réunies contre M. Girard.
Pour influencer le jury
En même temps qu'il nous apprend la
réunion de la chambre des mises en accu.-"
sation, le Temps nous fait savoir que le
préfet de police a décidé de former une
commission composée de cinq savants qUi
seront chargés d'examiner les méthodea
scientifiques en usage au laboratoire mu-
nicipal, et de donner leur avis sur leur
valeur et leur efficacité. Notre confrère
ajoute que les membres de cette commission
seront presque tous des membres de l'Ins-
titut.
Nous ne connaissons pas encore la com-
position de cette commission, mais nous
ferions volontiers le pari que le prefet de
police y fera figurer M. Brouar-del, doyen
de la Faculté de médecine. Cela serait tout
à fait drôle, car ce savant, intime ami de
M. Girard, a été mêlé directement avec
celui-ci à certaine affaire très grave, dont
nous avons les preuves, et que nous racon-
terons incessamment. Les autres membres
de la commission serout sans doute les
savants interwievés par le Figaro, il y a
environ deux mois, sur l'indication de
M. Girard. t oU!
Ce serait complet, en vérité, et nous
aurions là un rapport qui serait l'expression
la plus complète de l'indépendance scien-
tifique ! , f .t f.
Allez, M. le préfet de police, faites faire
rapports sur rapports par des savants triés
sur le volet; tout cela tombera comme
fétus de paille, au grand jour de la cour
d'assises, devant les preuves, accumulées
par nous, de l'ignorance de M. Girard et
de ses tripotages.
GENÉROSITÉ DU BEY DE TU Nié
(DB NOTRE CORRESPONDANT PARTICULIU)
Tunis, 19 mai.
Au concert de bienfaisance qui a été donna
hier soir, le bey a fait remettre par le général
Valensi, qui le représentait, une somme 4e
3,000 piastres, environ 1,800 fr.
(1) Lire les premiers articles dans le XIX*
Siècle des 5, 6, 8, 9, 10, 11, 18, 13, U, 15, lfr,
17, 19, 50, n. 22, 2A, 25, 96, 27, 23, 29, 30 marc,
1",2, 3, 5, 7, 8, 9, 10, 11, 19, 13, 15, 18,19, SO, M,
23, 2A, 25, 26, 28, 30 avril 2, h, 5, 9, 12, la 14, 1&
18, 19 et 20 mai.
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