Titre : Le XIXe siècle : journal quotidien politique et littéraire / directeur-rédacteur en chef : Gustave Chadeuil
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1889-02-09
Contributeur : Chadeuil, Gustave (1821-1896). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32757974m
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Format : Nombre total de vues : 68249 Nombre total de vues : 68249
Description : 09 février 1889 09 février 1889
Description : 1889/02/09 (A18,N6235). 1889/02/09 (A18,N6235).
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k7562289b
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-199
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 24/04/2013
9
TVPî six* S%ÈCLEJ:- SAMEDI 9 FÉVRIER
LE DlUIL IMPÉRIAL
-. -.
Allocution de l'empepeur aux délégués
du. Parlement
Vienne, 7 février.
L'empereur François-Joseph a reçu au-
jourd'hui les bureaux des deux Chambres
du Reichsrath. Il leur a dit,avec des larmes
dans la voix. :
a Tous les peuples de r AH triche m'ont
témoigné à cette occasion tant d'amour et
,'de fidélité, ils ont fait preuve de tant de pa-
triotisme vraiment autrichien, d'un tel at-
tachement à la dynastie, — je le répète en
insistant sur le mot : « à la dynastie », —
que cela m'a été une consolation dans la
douleur profonde que j'éprouve.
» Malgré le terrible coup du sort qui
vient de me frapper, je continuerai à rem-
plir mon devoir de souverain aussi fidè-
lement et aussi consciencieusement que jp
l'ai fait jusqu'ici.
» Je ne saurais exprimer combien je suis
redevable à ma femme bien-aimée, l'impé-
ratrice, pour son appui moral dans ces
jours de deuil. Je ne saurais assez remer-
cier le ciel qui m'a donné une telle com-
pagne. Je vous prie de répéter mes paro-
les; plus elles seront connues, plus jç
vous en serai reconnaissant."
L'EMPEREUR D'AUTRICHE A SON
ARMÉE
Remerciements à l'armée. — Appel à
son dévouement.
(InJN CORRESPONDANT)
Vienne, 7 février.
Dans un ordre du jour daté du 6 février,
l'empereur adresse ses plus chaleureux re-
merciements à l'armée, à la marine militaire
et aux. deux lanlwehrs pour le nouveau, té-
moignaged'inébranlablefklélité,de touchant
dévouement et de sincère attachement
qu'elles viennent de donlier à l'occasion de
la mort de son fils bien-aimé.. « C'est, dit
l'empereur, en termes vraiment dignes et
empreints de la plus respectueuse affection,
que les représentants de la force défensivq
du pays ont exprimé leurs sentiments et
ont prouvé que les douleurs aussi bien que
- les jos de la maison souveraine rencon-
trent en toute circonstance un écho auprès
d'eux.
v> L'empereur est .fier de ceux sur qui re-
pose la puissauce défensive du pays, et il
continuera dans l'avenir à leur témoigner
toute son amitié et sa protection. »
- La baronne de Vetsera
Voici de nouveaux détails sur la famille
de Mlle de Vetsera :
Le père était un Hongrois des environs
de Presbourg, de petite noblesse, qui, entré
à l'Académie orientale de Vienne, arriva
vers 1855 à Constantinople comme drogman
à l'ambassade d'Autriche ; il rencontra là
une demoiselle de Baltazzi qu'il épousa.
Les Baltazzi sont des Grecs originaires
de Chio ; le père, homme entreprenant, fut
jadis employé à Paris, à la banque Laffitte;
de retour en Orient, il prit la nationalité
autrichienne et épousa une demoiselle So-
'rell, dont il eut dix enfants. Il fit le com-
merce à Smyrne, puis à Constantinople, où
il gagna une immense fortune, grâce à de
puissantes protections officielles.
C'est ainsi qu'il put doter brillamment
ses filles; celle qui épousa le jeune diplo-
mate autrichien dont le nom vient d'avoir
tant ae retentissement eut en dot deux
millions de francs.
Les époux vécurent longtemps en Egypte,
puis la mère vint s'établir à Vienne avec ses
deux filles, tandis que le père restait en
Egypte. La baronne s'installa dans un co-
quet hôtel avec ses deux enfants, où le
baron les rejoignit lorsqu'il prit sa retraite,
il y a une dizaine d'années. Il mourut il y
a deux ans.
CONSEIL DES MINISTRES
Une dépêche d'Hànoï. — L'affaire du
2 février
Les ministres se sont réunis hier matin,
sous la présidence de M. Floquet.
L'amiral Krantz, ministre de la marine, a
communiqué au conseil la dépêche sui-
vante, reçue hier matin de Hanoï : -
« Le général Desbordes a attaqué et pris
successivement, le 2 février, les villages de
Dinh-Beinh-Tong et de Cho-Chu. L'attaque
a commencé à onze kilomètres de Cho-
Chu. Les rebelles, démoralisés, ont aban-
donné l'une après l'autre toutes lçs posi-
uuus.
» Trois soldats européens ont été légère-
ment-blessés. L'opération peut être consi-
dérée comme terminée. »
Les travaux d'art
M. Edouard Lockroy, ministre de l'ins-
truction publique, a donné connaissance
au conseil de l'arrêté par lequel il réorga-
nise la commission consultative des tra-
vaux d'art, ainsi que du rapport qu'il a
adressé à ce sujet à M. le président de la
République.
La commission est réorganisée sur des
bases plus larges qu'autrefois. Elle com-
prendra quarante-deux membres : peintres,
sculpteurs, architectes, critiques d'art, re-
présentants des deux Chambres.
La commission sera saisie dès sa pre-
mière séance de la répartition des travaux
à exécuter pour la décoration sculpturale
du Panthéon.
Nos caisses d'épargne
M. Pierre Legrand, ministre du com-
aierce et de l'industrie, a pu fournir au-
jourd'hui au conseil des renseignements
sur l'état des caisses d'épargne au 31 dé-
cembre 1888, renseignements qui, jusqu'à
ce jour, n'étaient officiellement connus que
dans le courant de juin ou de juillet.
En 1838, les caisses d'épargne ont délivré
33,183 livrets de plus qu'en 1887. Les ver-
sements ont dépassé de 60,935,700 fr. ceux*
de l'année précédente.
La diminution qui avait été constatée en
1837 sur les opérations des caisses d'épargne
a été compensée en 18SS par une augmen-
tation presque équivalente pour les livrets
nouveaux et sensiblement plus forte pour
les versements.
Comparativement à 1883, qui avait été une
bonne année, l'année 1888 compte A,523 li-
vrets nouveaux en plus et un excédent de
versements de 22,033,559 fr.
LA CHAMBRE , ,
i s Les pensions civiles. — La loi sur
1. les faillites. *
Après l'interpellation de M. Salis, dont
nous parlons d'autre part, la Chambre a
voté un certain nombre de lois assez inté-
ressantes.
D'abord une relative à la nationalité. Puis
une proposition de M. Jacques Piou sur les
les pensions civiles. (
M. Jules Roche, rapporteur, s'est un peu
querellé avec M. Piou au sujet de la limite
d'âge obligatoire qui renvoie aux dou-
ceurs de la retraite un certain nombre de
fonctionnaires encore parfaitement en état
de rendre des services dans nos adminis-
trations — cela pour le plus grand dam
des contribuables, obligés de pensionner
ceux-ci. Mais on n'a pas tardé à se mettre
d'accord, et la proposition a été votée.
On a ensuite adopté la proposition, ré-
cemment, amendée par le Sénat, portant
modification de la législation des faillites..
Un seul changement y a été introduit : il
résulte d'un amendement de M. Bovier-
Lapierre relatif a la qualité du liquidateur
provisoire.
Enfin on a abordé la discussion de la pro-
position de M. Yves Guyot sur la suppres-
sion des octrois. Ce gros débat n'a été
qu'effleuré hier : on s'est borné en effet à
entendre un long discours de discussion
générale, prononcé par M. Arnous, député
de la Droite et partisan du maintien des
octrois
On continuera samedi.
LE SENAT
Les livrets d'ouvriers
Une demi-heure de séance : juste le temps
de voter en deuxième lecture, et d'ailleurs
sans débat, la proposition portant abroga-
tion des dispositions relatives aux livrets
d'ouvriers.
A lundi.
LE SCRUTIN D'ARRONDISSEMENT
La question de priorité. — Le pointage
des royalistes,
On croit généralement que la rédaction
du rapport sur le projet relatif au scrutin
uninominal sera confiée à M. Thomson. Le
dépôt de ce rapport, qui sera effectué de-
main samedi, coïnciderait, ainsi que nous
l'avons déjà indiqué, avec le dépôt du rap-
port de M. Tony Réveillon sur le projet re-
latif à la revision, et c'est à l'occasion du
dépôt de ces rapports que la question de
priorité se poserait.
MM. Basly, membre du groupe ouvrier,
et Simyan, membre de l'Extrême-Gauche,
soulèveraient cette question en demandant
la priorité pour la discussion du rapport
de M. Tony Révillon. Il est dès à présent
certain que la Droite se prononcera tout
entière dans le sens des conclusions que
MM. Basly et Simyan se proposent de for-
muler. On sait, en effet, que les membres
de la Droite, à huit ou dix exceptions près,
sont unanimement favorables,et pour cause,
au maintien du' scrutin de liste, car il ré-
sulte de pointages faits par les membres du
parti royaliste que ce parti risquerait de
perdre quarante-cinq sièges aux prochaines
élections générales,si le scrutin d'arrondis-
sement était rétabli par les Chambres.
Le gouvernement
M. Floquet sera entendu aujourd'hui par
la commission. Dans le conseil d'hier, les
ministres se sont occupés de la question de
priorité. Le ministère n'interviendra pro-,
bablement pas et laissera à la Chambre le
soin de trancher la question comme elle
l'entendra.
TROUBLES EN BELGIQUE
La grève de Quenast à la Chambre des
députës de Bruxelles. — Répression
à main armée. - Tués et blessés.
(D'UN CORRESPONDANT)
Bruxelles, 7 février.
Dans un conflit qui a eu lieu mardi soir
à Quenast entre les carriers en grève et la
gendarmerie, celle-ci a fait usage de ses
armes. Un homme étranger à la grève a été
tué, nombre d'ouvriers blessés, et deux de
ces derniers sont morts hier de leurs bles-
sures.
Dans la séance d'aujourd'hui de la Cham-
bre dés représentants, M. le baron Snoy,
député catholique de Nivelles, a interpellé
le ministre de l'intérieur au sujet de cet
événement.
Le ministre a répondu que la gendar-
merie avait été assaillie à coups de pierres
et que c'est alors seulement qu'elle avait
dû faire usage de ses armes.
Il promet d'ailleurs une enquête supplé-
mentaire.
t?LE CROUP
* A L'INSTITUT PASTEUR
Une importante découverte. — Pigeons
et lapins diphtéritiques. — Les en-
fants préservés du croup.
, L'attention du public vient d'être appe-
lée sur une série d'expériences dit plus
haut intérêt entreprises depuis quelques
mois à l'Institut Pasteur, par deux élèves
de l'illustre savant : MM. E. Roux et A.
Yersin.
Ces messieurs ont réussi, à la, suite qe
minutieuses et patientes observations, à
« isoler » le microbe du trQup, puis à le
cultiver et à l'inoculer, comme le microbe
de la rage et du charbon, et enfin à déter-
miner expérimentalement sur des lapins,
des cobayes, des pigeons et des souris, des
caSt d'asphyxie et de paralysie diphtériti
aufts.
La nature du terrible mal est donc au-
jourd'hui connue ; de là à le conjurer défi.
nitivemcnt, il n'y a qu'un pas. C'est assu-
rément un pas difficile à franchir ; mais il
est hors de doute que les deux jeunes et
éminents disciples de M. Pasteur y réussis-
sent avant peu.
Les précurseurs
Depuis Bretonneau, à qui sont dues les
premières études vraiment approfondies
faites sur le mal diphtéritique, la diph-
térie était considérée comme une maladie
contagieuse ; aussi, dans ces dernières an-
nées, en avait-on entrepris ou plutôt re-
commencé l'étude au moyen des méthodes
microbiennes, qui ont déjà permis de trou-
ver la cause de beaucoup d'autres mala-
dies infectieuses.
C'estM.Klebs qui, le premier, en 1883, au
congrès de Wiesbaden, avait signalé l'exis-
tence d'un bacille spécial de la diphtérie;
mais le travail le plus considérable qui ait
été fait sur la question, avant que nos deux
compatriotes en eussent ejatreprigi l'étude,
est du à Mi Leeffler*
Un autre savant allemand, M. GL Hoff-
mann, a récemment publié un mémoire où
étaient en partie confirmés les résultats ob-
tenus par ses deux prédécesseurs; mais ce
n'étaient là, en somme, que des expérieivr
ces incomplètes, souvent contradictoires,
et dont les résultats un peu incertains ne
fournissaient pas encore les éléments d'une
certitude scientifique absolue.
Le mérite et l'honneur de MM. Roux et
Yersin seront d'avoir pu, grâce àl'excellence
de leur méthode expérimentale, changer
en affirmations les. hypothèses émises par
leurs devanciers, et poser enfin la question
sur le terrain solide du « fait acquis".
Les expériences
Le premier mémoire rédigé sur la ques-
tion par MM. Roux et Yersin a paru dans le
numéro de décembre des Annales de l'Ins-
titut Pasteur.
A cette époque, les deux savants avaient
enregistré quinze observations sur des en-
fants atteints du croup, et constaté, dans
chaque cas, la présence du bacille.
Ils avaient en outre pratiqué sur diffé-
rents animaux trente-six expériences d'ino-
cul'ation, sur chacune desquelles un rap-
port spécial avait été rédigé.
Ces expériences se sont continuées de-
puis deux mois : on sait qu'il n'en est pas
qui exigent plus d'attention et présentent
plus de difficultés.
Les animaux sur lesquels l'expérimenta-
tion microbienne est pratiquée résistent
de façon très inégale à l'action de la conta-
gion; suivant que la victime estun pigeon,;
un lapin ou un cobaye, le dosage du virus
inoculé doit s'opérer d'une façon différente,
et les désordres physiologiques résultant
de'l'inoculation sont aussi très différents
les uns des autres.
Enfin, l'inoculation produit sur le même
animal des résultats opposes, suivant qu'elle
est pratiquée sous la peau, dans le péri-
toine où dans les veines, et aussi (on le con.
çoit aisément) selon le tempérament de
chaque sujet et les conditions de la prépa-
ration de la « culture), qui sert aux ino-
culations. De là d'innombrables causes
d'erreurs et tout au moins d'incertitudes.
MM. Roux et Yersin sont venus à bout do
toutes ces difficultés.
Nous avons dit qu'ils avaient réussi à iso-
ler le bacille du croup, et à-produire ainsi,
par inoculation, sur de certains auimaux,
notamment sur le lapin, la formation des
« fausses membranes » qui caractérisent
cette affection chez l'homme : ils ont fait
mieux. Ayant remarqué que le bacille de
la diphtérie se localisait sur ces fausses
membranes, et que sa faculté de reproduc-
tion ne s'étendait pas au-delà, ils ont été
amenés à rechercher les causes de l'infec-
tion générale des organes qui acccompagne
la mort par diphtérie.
Ils ont alors découvert l'existence d'un
poison véritable, sécrété par le microbe. Ils
ont isolé ce poison, l'ont inoculé à leurs
victimes ordinaires (pigeons, lapins, co-
bayes, etc.), et, de même qu'ils avaient pro-
duit l'asphyxie, ont pu déterminer expéri-
mentalement la paralysie et l'empoisonne-
ment diphtéritiques.
Le traitement
La première partie du problème (celle
qui consistait à connaître les causes du mal
et à en comprendre le développement) est
donc résolue.
La seconde partie — la plus intéressante
à coup sûr — reste à résoudre ; elle se ré-
duit à cette question : Les causes du mal
étant connues , sera-t-il possible, dans un
avenir prochain, d'en enrayer le développe-
ment par les moyens qui ont permis à M.
Pasteur d'arrêter ou de prévenir chez les
hommes et chez les animaux le développe-
ment du charbon et de la rage?
Autrement dit, peut-on espérer d'assurer
au corps humain, par l'inoculation du poi-
son diphtéritique, l'immunité contre la
diphtérie ?
MM. Roux et Yersin nous le diront dans
un prochain mémoire. En attendant, les
conclusions de leur première étude sur
cette grave question sont bonnes à retenir:
« Toutes les expériences sur les animaux,
font remarquer MM. Roux et Yersin, ten-
dent à prouver que lé microbe de la diph-
térie ne se développe que sur une mu-
queuse déjà malade; il est probable que, le
plus souvent, il en est ainsi chez l'homme.
Aussi voit-on que la diphtérie est surtout
fréquente à la suite de la rougeole et de la
scarlatine. On ne doit doit donc jamais né-
gliger l'angine de ces deux maladies; il faut
pratiquer fréquemment des lavages phéni-
qués de la bouche et du pharynx chez les
enfants atteints de rougeole et de scarla-
tine, puisque l'acide phénique parait être
l'antiseptique le plus efficace, même dans
les cas de diphtérie confirmée.
» Cette précaution devrait être suivie sys-
tématiquement, surtout dans les hôpitaux
d'enfants, où l'on voit si souvent la rou-
geole et la scarlatine se compliquer de
diphtérie.
» Les angines les plus simples chez les en-
fants exigent les mêmes attentions. M. Lœf-
fier a observé le bacille de la diphtérie
dans la bouche d'un enfant qui n'avait pas
cette maladie. Peut-être ce bacille est-il
très répandu. Peut-être est-il l'hôte fré-
quent et inoffensif de la bouche et du pha-
rynx. Dépourvu de virulence et impuis-
sant devant une muqueuse saiiie, il se dé-
veloppera si la muqueuse s'enflamme ou
se dépouille de son revêtement d'épithé-
lium. Sur ce milieu favorable, il reprendra
sa virulence et élaborera son poison, qui
va pénétrer l'organisme; lui-même sera
Prêt pour de nouvelles contagions." -
- Un seul chiffre suffira à faire comprendre
l'intérêt des expériences qui se poursui-
vent à l'Institut pasteur : le croup tue en
moyenne soixante pour cent des enfants qui
en sont atteints.
En attachant leur nom à cette nouvelle
œuvre de salut, Pasteur et ses disciples ga-
gneront plus et mieux que de la gloire : ils
auront droit à la reconnaissance éternelle
de toutes les mères.
LE BAL DE L'HOTEL DE VILLE
Brillante fête. — Le président de la
République et les ministres.
Le second bal donné hier à l'Hôtel de
Ville était rehaussé par la présence du
président de la République et des membres
du cabinet.
Nous ne referons pas une seconde fois la
description des illuminations et des déco-
rations vraiment magnifiques des salons du
palais municipal.
Sur la place, un grand nombre de cu-
rieux, maintenus entre deux haies de ser-
gents de ville et de gardes municipaux,
attendaient l'arrivée du chef de l'Etat.
Dès dix heures, la foule monte le grand
escalier d'honneur, entre une haie de gar-
des républicains en grande tenue, et défile
à travers le petit salon carré où se tiennent
MM. Poubelle, préfet de la Seine; Lozé,
préfet de police; Darlot, président du con-
seil municipal; Jacques, président du con-
seil général ; Alphand, Hovelacque, Hum-
bert, etc.
Quelques instants après arrivent les mi-
nistres : MM. Floquet, Lockroy, de Freyci-
net, Gôblet, Viette, l'amiral Krantz, Pierre
Legrand; puis MM. Le Royer, président du
Sénat, Méline, président de la Chambre, et
un grand nombre de sénateurs et de dé-
putés.
Enfin, à onze heures on annonce l'arrivée
de M. Carnot, accompagné de toute sa mai-
son militaire, à l'exception de M. le capi-
taine Cordier, retenu par son service à
l'Elysée, et escorté d'un détachement de
cuirassiers.
M. le président de la République a été
reçu au bas du grand escalier d'honneur
par MM. Jacques, Darlot, Poubelle et Lozé,
qui l'ont conduit tout d'abord dans le
grand vestibule.
Après lui avoir fait traverser les diffé-
rents salons du palais municipal, M. Darlot
a conduit M. le président au salon diplo-
matique,où se trouvaient le général Tcheng-
Ki-Tong et différents membres de la mis"
sion japonaise.
Les autres membres du corps diplomati-
que s'étaient fait excuser par M. d'Ormes-
son, introducteur des ambassadeur, en rai-
son de la mort récente du prince Rodol-
phe.
Partout sur son passage M. Carnot est
accueilli par d'unanimes acclamations.
A onze heures quarante, le président de
la République quittait l'Hôtel de Ville. Quel-
ques instants après, les ministres se reti-
raient à leur tour.
L'élément officiel parti, les invités ont
commencé le bal, qui, à l'heure où ces no-
tes rapides nous sont envoyées, bat son
plein.
ASSASSINAT A COUPS DE COUTEAU
A la recherche du meurtrier
(D'UN CORRESPONDANT)
Saint-Omer, 7 février.
La veuve Huchette, âgée de soixante-
cinq ans, rentière à Laires, a été assassinée
dans la nuit du 6 au 7 février.
Le ventre a été ouvert à coups de Cous-
.teau.
Le vol a été le mobile du crime.
L'assassin est encore inconnu.
LES TRIBUNAUX
LE POURVOI DE M. NUMA GILLY
Arrêt de la cour de cassation
La chambre criminelle de la cour de cas-
sation s'est, comme on le sait, prononcée
hier sur le pourvoi de M. Numa Gilly con-
tre l'arrêt de. la chambre des mises en ac-
cusation de la cour de Montpellier qui l'a
renvoyé devant le jury de l'Hérault. On
sait qu'il s'agit de la plainte en diffamation
déposée contre son collègue par M. Salis,
député de ce département.
M. le conseiller Tanon a fait le rapport
sur le pourvoi, dont le but était de concen.
trer les poursuites contre le livre Mes Dos-
siers à Paris même, où, suivant le deman-
deur, le délit a été commis.
Me de Ramel a soutenu le pourvoi ; il
a prétendu que le délit de diffamation n'a-
vait pas été commis à Montpellier, à Bor-
deaux et ailleurs par MM. Savine et Numa-
Gilly; que des libraires ayant fait des com-
mandes, l'éditeur n'avait pas participé à la
vente qui avait eu lieu dans diverses villes
de France ; que cette distribution ne ve-
nait pas directement du fait de l'éditeur
parisien.
M. l'avocat général Bertrand a combattu
le pourvoi. Il a assimilé la distribution du
livre - à celle - des journaux.
bon avis est que le livre Mes Dos.'SÍQItous autres contenant des diffamations de-
vraient être assimilés aux journaux, que
l'on peut poursuivre, en matière de diffa-
mation, dans toutes les villes où le délit a
été commis.
La cour, après en avoir délibéré en
chambre du conseil, a rejeté le pourvoi
en adoptant la doctrine du ministère pu-
blic.
M. Numa Gilly devra donc être traduit
devant la cour d'assises de l'Hérault.
GROS DELIT DE CHASSE
La toise officielle des petits oiseaux
Notre confrère Léon Angevin, secrétaire
de la Ligue des bois de 'Paris et conseiller
municipal de Meudon, bien connu pour
l'humour charmant de bon esprit, atten-
dait, hier, avec anxiété le jugement qu'al-
laient rendre les juges de la lleichambre,
dans une affaire où il figurait comme pré-
venu.
Le h décembre, M. Angevin, en compa-
gnie de quelques amis, se trouvait au Petit-
Bicêtre, chez une dame Duval, aubergiste,
à qui il dit :
- Mais vous avez bien des moineaux
dans votre jardin !
— Oh oui ! Vous devriez bien m'aider à
m'efl débarrasser.
— Ons'qu'est votre fusil? dit plaisam-
ment M. Angevin.
- Là, dans le coin.
Notre confrère s'empara de l'arme, péné-
tra dans l'enclos et, apercevant un pierrot
sur la haie.joignant la route, il le mit en
joue soigneusement et tira. Le bruit fit en-
voler l'oiseau et sortir de la caserne voi-
sine un gendarme zélé qui s'empressa de;
verbaliser.
Le conseiller municipal de Meudon a été
poursuivi pour délit de chasse par inob-
servation de l'article 7 de l'ordonnance de
police du 11 janvier 1883 qui porte:
Sont interdits en tout temps, même lors-
que la chasse est ouverte, la destruction, la
capture, le colportage et la vente des petits
oiseaux dont la taille est inférieure à celle de.
la caille, de la grive ou du merle.
Le « prévenu" a été défendu parMe Fran-
çois Ducuing, qui a fait valoir qu'en vertu
de l'article 2 de la loi de 1814.4 sur la chasse,
la propriété de Mme Duval' étant close, il
n'y avait pas eu délit.
C'est ce qu'a reconnu le tribunal, qui
d'ailleurs a déclaré que le fait ne constituait
pas un acte de chasse, « Angevin ayant tiré
sur un oiseau qui, dans les circonstances
de la cause, était malfaisant ».
Tout Meudon va illuminer I
L'AFFAIRE PONET
Faillite de la « Comédie politique»
La pe chambre de la cour d'appel, pré-
sidée par M. le président Fourcade, a rendu
son arrêt dans l'affaire Ponet.
Le sieur Ponet, on s'en souvient, ayant
été déclaré en faillite ainsi que son journal
la Comédie politique, avait interjeté appel de
la décision du tribunal de commerce.
La cour a confirmé le jugement du tri-
bunal, tant en ce qui concerne la faillite de
Ponet qu'en ce qui a trait A la faillite de la
société exploitant la Comédie politique. De
plus, la cour maintient comme syndic-li-
quidateur de ces deux faillites M. Feys, qui
aura désormais tout pouvoir pour dépouil-
ler les 2^000 dossiers dont l'histoire com-
mence à être légendaire.
Il est probable que Ponet ira en cassa-
tion. En attendant, il va être dirigé sur une
prison centrale, à Poissy, dit-on.
Me Gervasy.
IWWJWEIMJS JUDICIARRIC. s
Mainlevée du conseil judiciaire
du prince de Sagan.
Conformément aux conclûsions de M. le
substitut Boulloche, la lre chambre du tri-
bunal civil de la Seine a prononcé hier la
mainlevée du conseil judiciaire du prince
de Sagan,
La catastrophe de Misengrain
Le tribunal correctionnel de Segré a rendu
son jugement dans l'affaire de la catastro-
phe des ardoisières de Misengrain.
Ont été condamnés : MM. Grolleau, direc-
teur de la carrière, à 600 fr. d'amende; Chu-
demi, Reneaume et de Lambillv, le premier
a 600 fr., les deux autres a 150 Ù..; Guiliot,
employé, à 100 fr. w ; ,c¡:,-
1
ECHOS ET NOUVELLES
Hier est mort à Paris le pianiste polonais
Gustave Lewita, dont les connaisseurs van-
taient le rare talent. Né en 185A à Varsovie il
avait étudié au Conservatoire de Vienne, d'où
il était sorti avec une médaille d'or. En 1876
âge de vingt-deux ans, il se fit pour la pre-
nnere fois applaudir par le public parisien au
concert Pasdeloup.
Depuis lors, sauf deux ans passés à Varsovie
en qualité de professeur du Conservatoire, et
sauf quelques tournées artistiques, il avait
continuellement habité Paris. Ses concerts y
étaient de plus en plus appréciés, et l'on s'ac-
coutumait a lui prédire un brillant avenir.
Lewita était également fort goûté conima
professeur. Il avait eu pour élève la duchesse
d'Alençon.
Sont nommés archivistes-paléographes, dans
l'ordre de mérite : MAL. Léonardon, Enlart
Picart, Batiffol, Portai, Riclwbé, Souchon, Ali-*
chel, Nerlinger, Eckel.
Sont nommés archivistes-paléographes hors.'
rang: MM. Desplauque et Soulié; à titre étraa"
ger : AI. Aubert. '-,
Une session extraordinaire de baccalauréat,
es lettres, exclusivement réservée aux candi
dats ajournés aux épreuves de la deuxième-
partie, s'ouvrira devant les Facultés le 8 avril
1839.
Le 29 avril 1839, une session extraordinaire.,
de baccalauréat complet s'ouvrira devant les
Facultés des sciences. Cette session est réser"
vée aux candidats aux écoles du gouverne-
ment, aux étudiants en droit aspirant à la li-
cence ou aux candidats qui justifient de deux
ajournements.
Les bureaux de^ groupes républicains du
Sénat ont décidé hier qu'il y avait lieu d'a-
journer toute décision au sujet de l'interpel-
lation proposée par le Centre-Gauche.
La Suisse s'en mêle. -
ttè parti radical de Neufehâtel-Vme n'a pas
présenté de candidat à l'élection d'un député
au •Grand Cooseil dimanciie dernier. La Feailla
d'avis de Neufchàtel dit que cent quatre-vingts
voix ont été facétieusement données au géné-
ral Boulanger; le bureau de dépouillement les
a naturellement considérées comme nulles.
Le conseil municipal de Vienne (Isère) a dé-
cidé dans une de ses dernières séances, de
placer dans une des salles de l'hôpital de cetta-
ville le buste du jeune docteur Jules Iloimorati
mort récemment d'une piqûre qu'il s'était
faite en opérant une jeune epfant malade da
la diphtérie.
C'est un juste hommage rendu à cette vic-
time du devoir.
En raison d'abus qui lui ont été signalég, la
Société de secours aux blossés, militaires
(croix rouge française) que préside M. le ma-
réchal de Mac-Mahon, fait connaître au pu-
blic qu'elle n'a jamais donné, ni ne donna
à personne, mandat d'aller à domicile, quêter
en son nom.
Grand bal paré et travesti donné par la so-
ciété chorale l'Alsacienne de Paris au profît-da
sa caisse hospitalière, samedi 16 février, dans
tes salons du Grand-Orient de France, .16, rua
Cadet.
LA FRANCE AU VATICAS
La question des évêchés vacants. —i
Deux préconisations prochaines.
(D'CN CORRESPONDANT)
Rome, i" fc-vrier.
Le pape préconisera la semaine prochaine
l'abbé Jutcau, le nouvel évêque de Poitiers,
ainsi que l'évêque de Soissons, nommé à
l'archevêché de Cambrai.
Les autres sièges français actuellement
vacants seront pourvus au prochain con-
sistoire, qui sera convoqué au mois de mars
ou de j Liiii.
1 MARCHÉS DE L'AMÉRIQUE
Par câble au XIXe SIKCLtK.
New-York (cWtoro) 6 février. 7 février.
Froment disponible. 961/8 96 3/4
— courant. 9141/2 U5
— mars «J5 5/8 96 1/8
— avril. 97 97 1/a,
— décembre. 9.4 5/8 95 1/8
MaYs disponible. 1,5 1/14 hh 3/ji
Pétrole brut disponible. 6 55 6 55,
r- raffiné. 7 00 7 OCfe
Saindoux disponible. nominal 7 85
— surmars. nominals 7 90»
Coton disponible. 10 1/8 10 1/9
- mars 9 03 Q 9Q
- mai. 1010 10 10-i
- juin. 10 18 10 19tr
- septembre 9 90 9 83è
Cafés, Rio n°7mars. 15 7 15 6%
- - mai 15 7% 1 15
New-York
Change sur Paris à vue ¡ 5 20 5 20
— Londres à 60 j. h 86 h 85 3/h
Funded Loan. 127 lif, 128 1/2
Hinois. 114 i/â 115
Central Pacific 353/Ii 35 3/4
LE COCHON A BERLIN
La ville du monde qui mange le plus
de porc.
On lit dans le Bel'line.,. Tageblatt du 5 fé.
vrier :
Il est assez curieux que la ville du monde
où il y a le plus d'Israélites Berlin, soit
aussi la ville où l'on mange le plus de porc.
En effet, sans compter les millions de kilo-
grammes de saucisses, de jambons, de porc
fumé qui y sont introduits annuellement,
on y a tué, en 1888, AGl,83â porcs, ce qui
fait qu'un Berlinois mange, par année, plus
du tiers d'un cochon frais.
FEUILLETON DU 9 FÉVRIER 1889
: : - 57 -
A LCYONE »
»ŒtfiS MARITIMES
DEUXIÈME PARTIE 0.-
Polemo» pater pantôn.
- XII
- Suite -
Dans cette tache blanche un point noir
se montra.
Le cœur d'Hira se prit à battre avec
force.
- Mon parrain! s'écria-t-elle, courant
à Kerdistel. Là-bas! là-bas! au nord, re-
garde. Ce no peut-être que lui ; c'est lui.
Tout me l'annonce.
l- Soit! — répondit le commandant.
-Nous irons à sa rencontre. L'A Icyone
va chasser sur ses ancres; nous sommes
forcés de partir.
- Comment ! Partir ! Pourquoi ne Pas
Reproduction afitorisée potf» les journaux
qui ont un traité avec la 8o« £ 4ié des gens de
ieitreg. JDrcit de tr'acluf tipzi rmerv4,
attendre? Je t'en supplie, parrain, —
prononça-t-elle les mains jointes, — une
heure ou deux de plus me permettraient
de le voir, de lui parler. — Tu me l'avais
pourtant bien promis, et le moment n'est
pas encore venu.
Le vieillard prit doucement Hira par le
bras. ,-.
Il la contraignit à se retourner, et, de
sa main tendue, lui désigna l'horizon du
sud-ouest.
— Regarde dit-il simplement.
Hira ouvrit de grands yeux. La terreur
fit un instant diversion au chagrin.
- Qu'est-ce? demanda-t-elle.
- Un cyclone.
Tout au fond, glissant sur les flots ap-
pesantis, paraissant creuser la mer sous
sa masse, un gigantesque nimbus, poussé
par un vent formidable, accourait, dévo-
rant le ciel de sa tache noire grandis-
sante.
Hira se détourna vers le nord, tout
blanc, maintenant, d'une blancheur spec-
trale. Le point de tout à l'heure avait
grossi. A la lunette on distinguait les
mâts de la frégate-amirale.
— Ouil s'écria-t-elle, fuyons! fuyons
vers eux.
XIII
Les roulements, des sifflets des maîtres
retentirent.
On entendit grincer le cabestan ; l'ancre
remonta à la surface et vint se coller aux
flancs du yacht.
Alors, un grondement monta de la
chambre de chauffe et des machines. La
soupape ieta un souoix strideIlten même
temps que la cheminée s'empanachait de
fumée. L'hélice tournoya, communiquant
sa fièvre au bâtiment. Toute la membrure
trépida et lA leyoiie, comme un cheval
échappé au piquet, bondit d'un élan su-
perbe sur la plaine liquide.
- En quelques minutes, elle eut dépassé
les extrémités-de la baie et se prit à volér
sur l'Océan.
Pourtant, derrière elle, sur sa trace,
l'ouragan accourait d'une effroyable vi-
tesse.
Jusqu'alors il ne l'avait pas atteinte..
C'était un tableau sinistre que celui de
oette mer sur laquelle le géant des temn
pêtes semblait donner la chasse à cette
misérable coque de noix.,
Debout sur la dunette, immobile, ri-
gide, Hira se laissait en quelque sorte
fasciner par l'effrayant spectacle.
Pas une écume, pas un remous ne ve-
nait encore battre la carène du yacht.
Les eaux étaient calmes, d'un calme ter-
rible, comme soudées les unes aux au-
tres. Mais, en arrière, le sillage se faisait
moutonneux. A mesure que la densité
du firmament croissait, le vent devenait
plus violent, et la surface de la mer cla-
potait, écumait, fumait. Et d'un mons-
trueux demi-cercle qui gagnait rapide-
ment sur le nord et sur l'est, la tempête
enveloppait le frêle esquif, le débordant
comme pour lui couper toute issue.
Hira s'était retournée une fois de plus
vers le vaisseau apparu au septentrion.
Celui-ci ne grandissait plus, — au con-
traire.
Lui aussi avait vu venir le cyclone. Il
fuvait au large, se dérobant au vortex de
la trombe qui paraissait prendre l'île
pour centre.
Dans la blafarde échancrure du ciel,
ceux de VAlcyone pouvaient voir s'effacer
ceux de la Flore. -
Haletante, la jeune fille tenait ses mains
jointes, ses - regards en haut, comme si,
au travers des sombres vapeurs accrues,
elle eût espéré voir Dieu. Et certes, son
désespoir présent était fait de deux sen-
timents terribles : l'épouvante de la tour-
mente, et la douleur de l'abandon.
- Poussez les feux! ordonna KerdisteL
UAlcyone s'élança à toute vapeur.
Ce ue fut plus la course rapide, grai-
cieuse et régulière d'une traversée; ce
fut le galop furieux, désordonné, hoque-
tant d'une bête que la peur affole et qui
s'efforce, d'échapper au danger le plus
promptement qu'elle peut. Des bonds
convulsifs l'emportaient au-dessus de
l'eau ; l'hélice criait quelquefois avec des
rauquements d'agonie; toute la mem-
brure tremblait dans le délire de l'épou-
vante.
Et, si vite qu'elle courût, la tempête
courait plus vite encore. Un premier cla-
potement se fit sur l'arrière, une pre-
mière vague vint mordre d'une dent d'é-
cume les flancs incurvés du yacht. L'ins-
tant d'après; l'étrave eut à déchirer une
nappe blanchie par la houle. Dès lors, la
lutte était commencée.
La nuit tomba sur le gouffre.
Alors, à tribord, à bâbord, les flots se
dressèrent en murailles. On avait calé les
perroquets, consolidé les mâts de hune,
saisi les embarcations et pris toutes les
mesures de circonstance.
Hira était descendue dans le faux-pont.
Les panneaux étaient en place, les sa-
bords fermés. La jeune fille ne pouvait
donc plus regarder l'horizon. Des pa-
quets de mer couvraient à chaque se-
conde les hublots,et leur ruissellement
les rendait opaques. D'ailleurs, de quoi
lui eût servi ce coup d'œil ? La Flore,
moins proche de la tourmente, mieux
servie par ses moyens de vitesse, s'était
hâtée de sortir de la zone d'envahisse-
ment.
En ce moment, VAlcyone, emprisonnée
sous les ténèbres de la voûte, sous IW chute
du ciel, n'avait plus qu'à disputer sa ché-
tive existence à la fureur de l'Océan.
L'abîme rugissait. A chaque instant,
des montagnes d'eau, semblables à des
trombes, tombaient sur le pont, au risque
de le crever, le balayant de bout en bout,
avec d'effroyables résonnances de ses vi-
des. Cet océan démonté, qui eût pu en-
gloutir dans une seule bouchée la pau-
vre nef, avait des caprices féroces de chat
jouant avec une souris.
Les matelots luttaient comme ils pou-
vaient. Ils luttaient bien. Kerdistel s'é-
tait fait amarrer sur la passerelle, et de
là jetait ses ordres. L'eau salée trempait
les vêtements, les collant au corps, brû-
lant et déchirant l'épiderme. Les mains
laissaient des traces rouges, instantané-
ment lavées, aux manœuvres et aux fi-
lières. Ici et là quelque homme tombait,
se broyant la poitrine aux espars brisés
ou se fracassant le crâne sur le bordage.
Mais le cadavre n'attendait pas longtemps
la sépulture. Une lame venait qui lui fai-
sait un linceul d'écume ; une autre em-
portait le mort ou le mourant par-dessus
les bastingages.
Dans le salon, Hira, les yeux dans le
vague, ne voyait plus, n'entendait plus*.:
Certes, ce n'était pas la première tem.
pète qu'elle traversait. Elle en avait l'ex..
périence. Mais celle-ci avait un caractère
particulier de violence, une férocité insi-
gne entre toutes. Jamais la jeune fille
n?avait vu les flots faire preuve d'un tel
acharnement ; jamais, elle ne leur avait
connu cette soudaineté d'attaque qui pré-
vient et déconcerte les moyens de dé:"
fense de l'adversaire. La pensée de la
mort venait de jeter dans son esprit une
lueur funèbre, comme si, pour la pre-
mière fois, elle eût pris connaissance de
la grande, de la suprême leçon.
Pourtant n'avait-elle pas vu mourir ?
Ce n'était point dant une tempête, c'était
dans un jour calme, sous un firmament
pur que Louis Raimbault s'était éteint..
Pourquoi, dans le cauchemar de ce cy-
clone, cette fin tranquille avait-elle pour
Hira des sourires ironiques?
Et puis, ce qui était le plus cruel, c'é-
tait de mourir là, si près du bonheur
extrême ! A quelques milles à peine Phi-*
lippe luttait peut-être, lui aussi, contre
le trépas. Que pèse de plus qu'un yachtTi
un vaisseau de guerre dans les caprices
de là mer? Ils allaient peut-être mouric
tous les deux, mourir ensemble, — et
pourtant séparés, lui ignorant sa pré:
sence, elle ne la connaissant que trop 1
Fibbre MA1**
(.4 s~M'~ ,-
TVPî six* S%ÈCLEJ:- SAMEDI 9 FÉVRIER
LE DlUIL IMPÉRIAL
-. -.
Allocution de l'empepeur aux délégués
du. Parlement
Vienne, 7 février.
L'empereur François-Joseph a reçu au-
jourd'hui les bureaux des deux Chambres
du Reichsrath. Il leur a dit,avec des larmes
dans la voix. :
a Tous les peuples de r AH triche m'ont
témoigné à cette occasion tant d'amour et
,'de fidélité, ils ont fait preuve de tant de pa-
triotisme vraiment autrichien, d'un tel at-
tachement à la dynastie, — je le répète en
insistant sur le mot : « à la dynastie », —
que cela m'a été une consolation dans la
douleur profonde que j'éprouve.
» Malgré le terrible coup du sort qui
vient de me frapper, je continuerai à rem-
plir mon devoir de souverain aussi fidè-
lement et aussi consciencieusement que jp
l'ai fait jusqu'ici.
» Je ne saurais exprimer combien je suis
redevable à ma femme bien-aimée, l'impé-
ratrice, pour son appui moral dans ces
jours de deuil. Je ne saurais assez remer-
cier le ciel qui m'a donné une telle com-
pagne. Je vous prie de répéter mes paro-
les; plus elles seront connues, plus jç
vous en serai reconnaissant."
L'EMPEREUR D'AUTRICHE A SON
ARMÉE
Remerciements à l'armée. — Appel à
son dévouement.
(InJN CORRESPONDANT)
Vienne, 7 février.
Dans un ordre du jour daté du 6 février,
l'empereur adresse ses plus chaleureux re-
merciements à l'armée, à la marine militaire
et aux. deux lanlwehrs pour le nouveau, té-
moignaged'inébranlablefklélité,de touchant
dévouement et de sincère attachement
qu'elles viennent de donlier à l'occasion de
la mort de son fils bien-aimé.. « C'est, dit
l'empereur, en termes vraiment dignes et
empreints de la plus respectueuse affection,
que les représentants de la force défensivq
du pays ont exprimé leurs sentiments et
ont prouvé que les douleurs aussi bien que
- les jos de la maison souveraine rencon-
trent en toute circonstance un écho auprès
d'eux.
v> L'empereur est .fier de ceux sur qui re-
pose la puissauce défensive du pays, et il
continuera dans l'avenir à leur témoigner
toute son amitié et sa protection. »
- La baronne de Vetsera
Voici de nouveaux détails sur la famille
de Mlle de Vetsera :
Le père était un Hongrois des environs
de Presbourg, de petite noblesse, qui, entré
à l'Académie orientale de Vienne, arriva
vers 1855 à Constantinople comme drogman
à l'ambassade d'Autriche ; il rencontra là
une demoiselle de Baltazzi qu'il épousa.
Les Baltazzi sont des Grecs originaires
de Chio ; le père, homme entreprenant, fut
jadis employé à Paris, à la banque Laffitte;
de retour en Orient, il prit la nationalité
autrichienne et épousa une demoiselle So-
'rell, dont il eut dix enfants. Il fit le com-
merce à Smyrne, puis à Constantinople, où
il gagna une immense fortune, grâce à de
puissantes protections officielles.
C'est ainsi qu'il put doter brillamment
ses filles; celle qui épousa le jeune diplo-
mate autrichien dont le nom vient d'avoir
tant ae retentissement eut en dot deux
millions de francs.
Les époux vécurent longtemps en Egypte,
puis la mère vint s'établir à Vienne avec ses
deux filles, tandis que le père restait en
Egypte. La baronne s'installa dans un co-
quet hôtel avec ses deux enfants, où le
baron les rejoignit lorsqu'il prit sa retraite,
il y a une dizaine d'années. Il mourut il y
a deux ans.
CONSEIL DES MINISTRES
Une dépêche d'Hànoï. — L'affaire du
2 février
Les ministres se sont réunis hier matin,
sous la présidence de M. Floquet.
L'amiral Krantz, ministre de la marine, a
communiqué au conseil la dépêche sui-
vante, reçue hier matin de Hanoï : -
« Le général Desbordes a attaqué et pris
successivement, le 2 février, les villages de
Dinh-Beinh-Tong et de Cho-Chu. L'attaque
a commencé à onze kilomètres de Cho-
Chu. Les rebelles, démoralisés, ont aban-
donné l'une après l'autre toutes lçs posi-
uuus.
» Trois soldats européens ont été légère-
ment-blessés. L'opération peut être consi-
dérée comme terminée. »
Les travaux d'art
M. Edouard Lockroy, ministre de l'ins-
truction publique, a donné connaissance
au conseil de l'arrêté par lequel il réorga-
nise la commission consultative des tra-
vaux d'art, ainsi que du rapport qu'il a
adressé à ce sujet à M. le président de la
République.
La commission est réorganisée sur des
bases plus larges qu'autrefois. Elle com-
prendra quarante-deux membres : peintres,
sculpteurs, architectes, critiques d'art, re-
présentants des deux Chambres.
La commission sera saisie dès sa pre-
mière séance de la répartition des travaux
à exécuter pour la décoration sculpturale
du Panthéon.
Nos caisses d'épargne
M. Pierre Legrand, ministre du com-
aierce et de l'industrie, a pu fournir au-
jourd'hui au conseil des renseignements
sur l'état des caisses d'épargne au 31 dé-
cembre 1888, renseignements qui, jusqu'à
ce jour, n'étaient officiellement connus que
dans le courant de juin ou de juillet.
En 1838, les caisses d'épargne ont délivré
33,183 livrets de plus qu'en 1887. Les ver-
sements ont dépassé de 60,935,700 fr. ceux*
de l'année précédente.
La diminution qui avait été constatée en
1837 sur les opérations des caisses d'épargne
a été compensée en 18SS par une augmen-
tation presque équivalente pour les livrets
nouveaux et sensiblement plus forte pour
les versements.
Comparativement à 1883, qui avait été une
bonne année, l'année 1888 compte A,523 li-
vrets nouveaux en plus et un excédent de
versements de 22,033,559 fr.
LA CHAMBRE , ,
i s Les pensions civiles. — La loi sur
1. les faillites. *
Après l'interpellation de M. Salis, dont
nous parlons d'autre part, la Chambre a
voté un certain nombre de lois assez inté-
ressantes.
D'abord une relative à la nationalité. Puis
une proposition de M. Jacques Piou sur les
les pensions civiles. (
M. Jules Roche, rapporteur, s'est un peu
querellé avec M. Piou au sujet de la limite
d'âge obligatoire qui renvoie aux dou-
ceurs de la retraite un certain nombre de
fonctionnaires encore parfaitement en état
de rendre des services dans nos adminis-
trations — cela pour le plus grand dam
des contribuables, obligés de pensionner
ceux-ci. Mais on n'a pas tardé à se mettre
d'accord, et la proposition a été votée.
On a ensuite adopté la proposition, ré-
cemment, amendée par le Sénat, portant
modification de la législation des faillites..
Un seul changement y a été introduit : il
résulte d'un amendement de M. Bovier-
Lapierre relatif a la qualité du liquidateur
provisoire.
Enfin on a abordé la discussion de la pro-
position de M. Yves Guyot sur la suppres-
sion des octrois. Ce gros débat n'a été
qu'effleuré hier : on s'est borné en effet à
entendre un long discours de discussion
générale, prononcé par M. Arnous, député
de la Droite et partisan du maintien des
octrois
On continuera samedi.
LE SENAT
Les livrets d'ouvriers
Une demi-heure de séance : juste le temps
de voter en deuxième lecture, et d'ailleurs
sans débat, la proposition portant abroga-
tion des dispositions relatives aux livrets
d'ouvriers.
A lundi.
LE SCRUTIN D'ARRONDISSEMENT
La question de priorité. — Le pointage
des royalistes,
On croit généralement que la rédaction
du rapport sur le projet relatif au scrutin
uninominal sera confiée à M. Thomson. Le
dépôt de ce rapport, qui sera effectué de-
main samedi, coïnciderait, ainsi que nous
l'avons déjà indiqué, avec le dépôt du rap-
port de M. Tony Réveillon sur le projet re-
latif à la revision, et c'est à l'occasion du
dépôt de ces rapports que la question de
priorité se poserait.
MM. Basly, membre du groupe ouvrier,
et Simyan, membre de l'Extrême-Gauche,
soulèveraient cette question en demandant
la priorité pour la discussion du rapport
de M. Tony Révillon. Il est dès à présent
certain que la Droite se prononcera tout
entière dans le sens des conclusions que
MM. Basly et Simyan se proposent de for-
muler. On sait, en effet, que les membres
de la Droite, à huit ou dix exceptions près,
sont unanimement favorables,et pour cause,
au maintien du' scrutin de liste, car il ré-
sulte de pointages faits par les membres du
parti royaliste que ce parti risquerait de
perdre quarante-cinq sièges aux prochaines
élections générales,si le scrutin d'arrondis-
sement était rétabli par les Chambres.
Le gouvernement
M. Floquet sera entendu aujourd'hui par
la commission. Dans le conseil d'hier, les
ministres se sont occupés de la question de
priorité. Le ministère n'interviendra pro-,
bablement pas et laissera à la Chambre le
soin de trancher la question comme elle
l'entendra.
TROUBLES EN BELGIQUE
La grève de Quenast à la Chambre des
députës de Bruxelles. — Répression
à main armée. - Tués et blessés.
(D'UN CORRESPONDANT)
Bruxelles, 7 février.
Dans un conflit qui a eu lieu mardi soir
à Quenast entre les carriers en grève et la
gendarmerie, celle-ci a fait usage de ses
armes. Un homme étranger à la grève a été
tué, nombre d'ouvriers blessés, et deux de
ces derniers sont morts hier de leurs bles-
sures.
Dans la séance d'aujourd'hui de la Cham-
bre dés représentants, M. le baron Snoy,
député catholique de Nivelles, a interpellé
le ministre de l'intérieur au sujet de cet
événement.
Le ministre a répondu que la gendar-
merie avait été assaillie à coups de pierres
et que c'est alors seulement qu'elle avait
dû faire usage de ses armes.
Il promet d'ailleurs une enquête supplé-
mentaire.
t?LE CROUP
* A L'INSTITUT PASTEUR
Une importante découverte. — Pigeons
et lapins diphtéritiques. — Les en-
fants préservés du croup.
, L'attention du public vient d'être appe-
lée sur une série d'expériences dit plus
haut intérêt entreprises depuis quelques
mois à l'Institut Pasteur, par deux élèves
de l'illustre savant : MM. E. Roux et A.
Yersin.
Ces messieurs ont réussi, à la, suite qe
minutieuses et patientes observations, à
« isoler » le microbe du trQup, puis à le
cultiver et à l'inoculer, comme le microbe
de la rage et du charbon, et enfin à déter-
miner expérimentalement sur des lapins,
des cobayes, des pigeons et des souris, des
caSt d'asphyxie et de paralysie diphtériti
aufts.
La nature du terrible mal est donc au-
jourd'hui connue ; de là à le conjurer défi.
nitivemcnt, il n'y a qu'un pas. C'est assu-
rément un pas difficile à franchir ; mais il
est hors de doute que les deux jeunes et
éminents disciples de M. Pasteur y réussis-
sent avant peu.
Les précurseurs
Depuis Bretonneau, à qui sont dues les
premières études vraiment approfondies
faites sur le mal diphtéritique, la diph-
térie était considérée comme une maladie
contagieuse ; aussi, dans ces dernières an-
nées, en avait-on entrepris ou plutôt re-
commencé l'étude au moyen des méthodes
microbiennes, qui ont déjà permis de trou-
ver la cause de beaucoup d'autres mala-
dies infectieuses.
C'estM.Klebs qui, le premier, en 1883, au
congrès de Wiesbaden, avait signalé l'exis-
tence d'un bacille spécial de la diphtérie;
mais le travail le plus considérable qui ait
été fait sur la question, avant que nos deux
compatriotes en eussent ejatreprigi l'étude,
est du à Mi Leeffler*
Un autre savant allemand, M. GL Hoff-
mann, a récemment publié un mémoire où
étaient en partie confirmés les résultats ob-
tenus par ses deux prédécesseurs; mais ce
n'étaient là, en somme, que des expérieivr
ces incomplètes, souvent contradictoires,
et dont les résultats un peu incertains ne
fournissaient pas encore les éléments d'une
certitude scientifique absolue.
Le mérite et l'honneur de MM. Roux et
Yersin seront d'avoir pu, grâce àl'excellence
de leur méthode expérimentale, changer
en affirmations les. hypothèses émises par
leurs devanciers, et poser enfin la question
sur le terrain solide du « fait acquis".
Les expériences
Le premier mémoire rédigé sur la ques-
tion par MM. Roux et Yersin a paru dans le
numéro de décembre des Annales de l'Ins-
titut Pasteur.
A cette époque, les deux savants avaient
enregistré quinze observations sur des en-
fants atteints du croup, et constaté, dans
chaque cas, la présence du bacille.
Ils avaient en outre pratiqué sur diffé-
rents animaux trente-six expériences d'ino-
cul'ation, sur chacune desquelles un rap-
port spécial avait été rédigé.
Ces expériences se sont continuées de-
puis deux mois : on sait qu'il n'en est pas
qui exigent plus d'attention et présentent
plus de difficultés.
Les animaux sur lesquels l'expérimenta-
tion microbienne est pratiquée résistent
de façon très inégale à l'action de la conta-
gion; suivant que la victime estun pigeon,;
un lapin ou un cobaye, le dosage du virus
inoculé doit s'opérer d'une façon différente,
et les désordres physiologiques résultant
de'l'inoculation sont aussi très différents
les uns des autres.
Enfin, l'inoculation produit sur le même
animal des résultats opposes, suivant qu'elle
est pratiquée sous la peau, dans le péri-
toine où dans les veines, et aussi (on le con.
çoit aisément) selon le tempérament de
chaque sujet et les conditions de la prépa-
ration de la « culture), qui sert aux ino-
culations. De là d'innombrables causes
d'erreurs et tout au moins d'incertitudes.
MM. Roux et Yersin sont venus à bout do
toutes ces difficultés.
Nous avons dit qu'ils avaient réussi à iso-
ler le bacille du croup, et à-produire ainsi,
par inoculation, sur de certains auimaux,
notamment sur le lapin, la formation des
« fausses membranes » qui caractérisent
cette affection chez l'homme : ils ont fait
mieux. Ayant remarqué que le bacille de
la diphtérie se localisait sur ces fausses
membranes, et que sa faculté de reproduc-
tion ne s'étendait pas au-delà, ils ont été
amenés à rechercher les causes de l'infec-
tion générale des organes qui acccompagne
la mort par diphtérie.
Ils ont alors découvert l'existence d'un
poison véritable, sécrété par le microbe. Ils
ont isolé ce poison, l'ont inoculé à leurs
victimes ordinaires (pigeons, lapins, co-
bayes, etc.), et, de même qu'ils avaient pro-
duit l'asphyxie, ont pu déterminer expéri-
mentalement la paralysie et l'empoisonne-
ment diphtéritiques.
Le traitement
La première partie du problème (celle
qui consistait à connaître les causes du mal
et à en comprendre le développement) est
donc résolue.
La seconde partie — la plus intéressante
à coup sûr — reste à résoudre ; elle se ré-
duit à cette question : Les causes du mal
étant connues , sera-t-il possible, dans un
avenir prochain, d'en enrayer le développe-
ment par les moyens qui ont permis à M.
Pasteur d'arrêter ou de prévenir chez les
hommes et chez les animaux le développe-
ment du charbon et de la rage?
Autrement dit, peut-on espérer d'assurer
au corps humain, par l'inoculation du poi-
son diphtéritique, l'immunité contre la
diphtérie ?
MM. Roux et Yersin nous le diront dans
un prochain mémoire. En attendant, les
conclusions de leur première étude sur
cette grave question sont bonnes à retenir:
« Toutes les expériences sur les animaux,
font remarquer MM. Roux et Yersin, ten-
dent à prouver que lé microbe de la diph-
térie ne se développe que sur une mu-
queuse déjà malade; il est probable que, le
plus souvent, il en est ainsi chez l'homme.
Aussi voit-on que la diphtérie est surtout
fréquente à la suite de la rougeole et de la
scarlatine. On ne doit doit donc jamais né-
gliger l'angine de ces deux maladies; il faut
pratiquer fréquemment des lavages phéni-
qués de la bouche et du pharynx chez les
enfants atteints de rougeole et de scarla-
tine, puisque l'acide phénique parait être
l'antiseptique le plus efficace, même dans
les cas de diphtérie confirmée.
» Cette précaution devrait être suivie sys-
tématiquement, surtout dans les hôpitaux
d'enfants, où l'on voit si souvent la rou-
geole et la scarlatine se compliquer de
diphtérie.
» Les angines les plus simples chez les en-
fants exigent les mêmes attentions. M. Lœf-
fier a observé le bacille de la diphtérie
dans la bouche d'un enfant qui n'avait pas
cette maladie. Peut-être ce bacille est-il
très répandu. Peut-être est-il l'hôte fré-
quent et inoffensif de la bouche et du pha-
rynx. Dépourvu de virulence et impuis-
sant devant une muqueuse saiiie, il se dé-
veloppera si la muqueuse s'enflamme ou
se dépouille de son revêtement d'épithé-
lium. Sur ce milieu favorable, il reprendra
sa virulence et élaborera son poison, qui
va pénétrer l'organisme; lui-même sera
Prêt pour de nouvelles contagions." -
- Un seul chiffre suffira à faire comprendre
l'intérêt des expériences qui se poursui-
vent à l'Institut pasteur : le croup tue en
moyenne soixante pour cent des enfants qui
en sont atteints.
En attachant leur nom à cette nouvelle
œuvre de salut, Pasteur et ses disciples ga-
gneront plus et mieux que de la gloire : ils
auront droit à la reconnaissance éternelle
de toutes les mères.
LE BAL DE L'HOTEL DE VILLE
Brillante fête. — Le président de la
République et les ministres.
Le second bal donné hier à l'Hôtel de
Ville était rehaussé par la présence du
président de la République et des membres
du cabinet.
Nous ne referons pas une seconde fois la
description des illuminations et des déco-
rations vraiment magnifiques des salons du
palais municipal.
Sur la place, un grand nombre de cu-
rieux, maintenus entre deux haies de ser-
gents de ville et de gardes municipaux,
attendaient l'arrivée du chef de l'Etat.
Dès dix heures, la foule monte le grand
escalier d'honneur, entre une haie de gar-
des républicains en grande tenue, et défile
à travers le petit salon carré où se tiennent
MM. Poubelle, préfet de la Seine; Lozé,
préfet de police; Darlot, président du con-
seil municipal; Jacques, président du con-
seil général ; Alphand, Hovelacque, Hum-
bert, etc.
Quelques instants après arrivent les mi-
nistres : MM. Floquet, Lockroy, de Freyci-
net, Gôblet, Viette, l'amiral Krantz, Pierre
Legrand; puis MM. Le Royer, président du
Sénat, Méline, président de la Chambre, et
un grand nombre de sénateurs et de dé-
putés.
Enfin, à onze heures on annonce l'arrivée
de M. Carnot, accompagné de toute sa mai-
son militaire, à l'exception de M. le capi-
taine Cordier, retenu par son service à
l'Elysée, et escorté d'un détachement de
cuirassiers.
M. le président de la République a été
reçu au bas du grand escalier d'honneur
par MM. Jacques, Darlot, Poubelle et Lozé,
qui l'ont conduit tout d'abord dans le
grand vestibule.
Après lui avoir fait traverser les diffé-
rents salons du palais municipal, M. Darlot
a conduit M. le président au salon diplo-
matique,où se trouvaient le général Tcheng-
Ki-Tong et différents membres de la mis"
sion japonaise.
Les autres membres du corps diplomati-
que s'étaient fait excuser par M. d'Ormes-
son, introducteur des ambassadeur, en rai-
son de la mort récente du prince Rodol-
phe.
Partout sur son passage M. Carnot est
accueilli par d'unanimes acclamations.
A onze heures quarante, le président de
la République quittait l'Hôtel de Ville. Quel-
ques instants après, les ministres se reti-
raient à leur tour.
L'élément officiel parti, les invités ont
commencé le bal, qui, à l'heure où ces no-
tes rapides nous sont envoyées, bat son
plein.
ASSASSINAT A COUPS DE COUTEAU
A la recherche du meurtrier
(D'UN CORRESPONDANT)
Saint-Omer, 7 février.
La veuve Huchette, âgée de soixante-
cinq ans, rentière à Laires, a été assassinée
dans la nuit du 6 au 7 février.
Le ventre a été ouvert à coups de Cous-
.teau.
Le vol a été le mobile du crime.
L'assassin est encore inconnu.
LES TRIBUNAUX
LE POURVOI DE M. NUMA GILLY
Arrêt de la cour de cassation
La chambre criminelle de la cour de cas-
sation s'est, comme on le sait, prononcée
hier sur le pourvoi de M. Numa Gilly con-
tre l'arrêt de. la chambre des mises en ac-
cusation de la cour de Montpellier qui l'a
renvoyé devant le jury de l'Hérault. On
sait qu'il s'agit de la plainte en diffamation
déposée contre son collègue par M. Salis,
député de ce département.
M. le conseiller Tanon a fait le rapport
sur le pourvoi, dont le but était de concen.
trer les poursuites contre le livre Mes Dos-
siers à Paris même, où, suivant le deman-
deur, le délit a été commis.
Me de Ramel a soutenu le pourvoi ; il
a prétendu que le délit de diffamation n'a-
vait pas été commis à Montpellier, à Bor-
deaux et ailleurs par MM. Savine et Numa-
Gilly; que des libraires ayant fait des com-
mandes, l'éditeur n'avait pas participé à la
vente qui avait eu lieu dans diverses villes
de France ; que cette distribution ne ve-
nait pas directement du fait de l'éditeur
parisien.
M. l'avocat général Bertrand a combattu
le pourvoi. Il a assimilé la distribution du
livre - à celle - des journaux.
bon avis est que le livre Mes Dos.'SÍQI
vraient être assimilés aux journaux, que
l'on peut poursuivre, en matière de diffa-
mation, dans toutes les villes où le délit a
été commis.
La cour, après en avoir délibéré en
chambre du conseil, a rejeté le pourvoi
en adoptant la doctrine du ministère pu-
blic.
M. Numa Gilly devra donc être traduit
devant la cour d'assises de l'Hérault.
GROS DELIT DE CHASSE
La toise officielle des petits oiseaux
Notre confrère Léon Angevin, secrétaire
de la Ligue des bois de 'Paris et conseiller
municipal de Meudon, bien connu pour
l'humour charmant de bon esprit, atten-
dait, hier, avec anxiété le jugement qu'al-
laient rendre les juges de la lleichambre,
dans une affaire où il figurait comme pré-
venu.
Le h décembre, M. Angevin, en compa-
gnie de quelques amis, se trouvait au Petit-
Bicêtre, chez une dame Duval, aubergiste,
à qui il dit :
- Mais vous avez bien des moineaux
dans votre jardin !
— Oh oui ! Vous devriez bien m'aider à
m'efl débarrasser.
— Ons'qu'est votre fusil? dit plaisam-
ment M. Angevin.
- Là, dans le coin.
Notre confrère s'empara de l'arme, péné-
tra dans l'enclos et, apercevant un pierrot
sur la haie.joignant la route, il le mit en
joue soigneusement et tira. Le bruit fit en-
voler l'oiseau et sortir de la caserne voi-
sine un gendarme zélé qui s'empressa de;
verbaliser.
Le conseiller municipal de Meudon a été
poursuivi pour délit de chasse par inob-
servation de l'article 7 de l'ordonnance de
police du 11 janvier 1883 qui porte:
Sont interdits en tout temps, même lors-
que la chasse est ouverte, la destruction, la
capture, le colportage et la vente des petits
oiseaux dont la taille est inférieure à celle de.
la caille, de la grive ou du merle.
Le « prévenu" a été défendu parMe Fran-
çois Ducuing, qui a fait valoir qu'en vertu
de l'article 2 de la loi de 1814.4 sur la chasse,
la propriété de Mme Duval' étant close, il
n'y avait pas eu délit.
C'est ce qu'a reconnu le tribunal, qui
d'ailleurs a déclaré que le fait ne constituait
pas un acte de chasse, « Angevin ayant tiré
sur un oiseau qui, dans les circonstances
de la cause, était malfaisant ».
Tout Meudon va illuminer I
L'AFFAIRE PONET
Faillite de la « Comédie politique»
La pe chambre de la cour d'appel, pré-
sidée par M. le président Fourcade, a rendu
son arrêt dans l'affaire Ponet.
Le sieur Ponet, on s'en souvient, ayant
été déclaré en faillite ainsi que son journal
la Comédie politique, avait interjeté appel de
la décision du tribunal de commerce.
La cour a confirmé le jugement du tri-
bunal, tant en ce qui concerne la faillite de
Ponet qu'en ce qui a trait A la faillite de la
société exploitant la Comédie politique. De
plus, la cour maintient comme syndic-li-
quidateur de ces deux faillites M. Feys, qui
aura désormais tout pouvoir pour dépouil-
ler les 2^000 dossiers dont l'histoire com-
mence à être légendaire.
Il est probable que Ponet ira en cassa-
tion. En attendant, il va être dirigé sur une
prison centrale, à Poissy, dit-on.
Me Gervasy.
IWWJWEIMJS JUDICIARRIC. s
Mainlevée du conseil judiciaire
du prince de Sagan.
Conformément aux conclûsions de M. le
substitut Boulloche, la lre chambre du tri-
bunal civil de la Seine a prononcé hier la
mainlevée du conseil judiciaire du prince
de Sagan,
La catastrophe de Misengrain
Le tribunal correctionnel de Segré a rendu
son jugement dans l'affaire de la catastro-
phe des ardoisières de Misengrain.
Ont été condamnés : MM. Grolleau, direc-
teur de la carrière, à 600 fr. d'amende; Chu-
demi, Reneaume et de Lambillv, le premier
a 600 fr., les deux autres a 150 Ù..; Guiliot,
employé, à 100 fr. w ; ,c¡:,-
1
ECHOS ET NOUVELLES
Hier est mort à Paris le pianiste polonais
Gustave Lewita, dont les connaisseurs van-
taient le rare talent. Né en 185A à Varsovie il
avait étudié au Conservatoire de Vienne, d'où
il était sorti avec une médaille d'or. En 1876
âge de vingt-deux ans, il se fit pour la pre-
nnere fois applaudir par le public parisien au
concert Pasdeloup.
Depuis lors, sauf deux ans passés à Varsovie
en qualité de professeur du Conservatoire, et
sauf quelques tournées artistiques, il avait
continuellement habité Paris. Ses concerts y
étaient de plus en plus appréciés, et l'on s'ac-
coutumait a lui prédire un brillant avenir.
Lewita était également fort goûté conima
professeur. Il avait eu pour élève la duchesse
d'Alençon.
Sont nommés archivistes-paléographes, dans
l'ordre de mérite : MAL. Léonardon, Enlart
Picart, Batiffol, Portai, Riclwbé, Souchon, Ali-*
chel, Nerlinger, Eckel.
Sont nommés archivistes-paléographes hors.'
rang: MM. Desplauque et Soulié; à titre étraa"
ger : AI. Aubert. '-,
Une session extraordinaire de baccalauréat,
es lettres, exclusivement réservée aux candi
dats ajournés aux épreuves de la deuxième-
partie, s'ouvrira devant les Facultés le 8 avril
1839.
Le 29 avril 1839, une session extraordinaire.,
de baccalauréat complet s'ouvrira devant les
Facultés des sciences. Cette session est réser"
vée aux candidats aux écoles du gouverne-
ment, aux étudiants en droit aspirant à la li-
cence ou aux candidats qui justifient de deux
ajournements.
Les bureaux de^ groupes républicains du
Sénat ont décidé hier qu'il y avait lieu d'a-
journer toute décision au sujet de l'interpel-
lation proposée par le Centre-Gauche.
La Suisse s'en mêle. -
ttè parti radical de Neufehâtel-Vme n'a pas
présenté de candidat à l'élection d'un député
au •Grand Cooseil dimanciie dernier. La Feailla
d'avis de Neufchàtel dit que cent quatre-vingts
voix ont été facétieusement données au géné-
ral Boulanger; le bureau de dépouillement les
a naturellement considérées comme nulles.
Le conseil municipal de Vienne (Isère) a dé-
cidé dans une de ses dernières séances, de
placer dans une des salles de l'hôpital de cetta-
ville le buste du jeune docteur Jules Iloimorati
mort récemment d'une piqûre qu'il s'était
faite en opérant une jeune epfant malade da
la diphtérie.
C'est un juste hommage rendu à cette vic-
time du devoir.
En raison d'abus qui lui ont été signalég, la
Société de secours aux blossés, militaires
(croix rouge française) que préside M. le ma-
réchal de Mac-Mahon, fait connaître au pu-
blic qu'elle n'a jamais donné, ni ne donna
à personne, mandat d'aller à domicile, quêter
en son nom.
Grand bal paré et travesti donné par la so-
ciété chorale l'Alsacienne de Paris au profît-da
sa caisse hospitalière, samedi 16 février, dans
tes salons du Grand-Orient de France, .16, rua
Cadet.
LA FRANCE AU VATICAS
La question des évêchés vacants. —i
Deux préconisations prochaines.
(D'CN CORRESPONDANT)
Rome, i" fc-vrier.
Le pape préconisera la semaine prochaine
l'abbé Jutcau, le nouvel évêque de Poitiers,
ainsi que l'évêque de Soissons, nommé à
l'archevêché de Cambrai.
Les autres sièges français actuellement
vacants seront pourvus au prochain con-
sistoire, qui sera convoqué au mois de mars
ou de j Liiii.
1 MARCHÉS DE L'AMÉRIQUE
Par câble au XIXe SIKCLtK.
New-York (cWtoro) 6 février. 7 février.
Froment disponible. 961/8 96 3/4
— courant. 9141/2 U5
— mars «J5 5/8 96 1/8
— avril. 97 97 1/a,
— décembre. 9.4 5/8 95 1/8
MaYs disponible. 1,5 1/14 hh 3/ji
Pétrole brut disponible. 6 55 6 55,
r- raffiné. 7 00 7 OCfe
Saindoux disponible. nominal 7 85
— surmars. nominals 7 90»
Coton disponible. 10 1/8 10 1/9
- mars 9 03 Q 9Q
- mai. 1010 10 10-i
- juin. 10 18 10 19tr
- septembre 9 90 9 83è
Cafés, Rio n°7mars. 15 7 15 6%
- - mai 15 7% 1 15
New-York
Change sur Paris à vue ¡ 5 20 5 20
— Londres à 60 j. h 86 h 85 3/h
Funded Loan. 127 lif, 128 1/2
Hinois. 114 i/â 115
Central Pacific 353/Ii 35 3/4
LE COCHON A BERLIN
La ville du monde qui mange le plus
de porc.
On lit dans le Bel'line.,. Tageblatt du 5 fé.
vrier :
Il est assez curieux que la ville du monde
où il y a le plus d'Israélites Berlin, soit
aussi la ville où l'on mange le plus de porc.
En effet, sans compter les millions de kilo-
grammes de saucisses, de jambons, de porc
fumé qui y sont introduits annuellement,
on y a tué, en 1888, AGl,83â porcs, ce qui
fait qu'un Berlinois mange, par année, plus
du tiers d'un cochon frais.
FEUILLETON DU 9 FÉVRIER 1889
: : - 57 -
A LCYONE »
»ŒtfiS MARITIMES
DEUXIÈME PARTIE 0.-
Polemo» pater pantôn.
- XII
- Suite -
Dans cette tache blanche un point noir
se montra.
Le cœur d'Hira se prit à battre avec
force.
- Mon parrain! s'écria-t-elle, courant
à Kerdistel. Là-bas! là-bas! au nord, re-
garde. Ce no peut-être que lui ; c'est lui.
Tout me l'annonce.
l- Soit! — répondit le commandant.
-Nous irons à sa rencontre. L'A Icyone
va chasser sur ses ancres; nous sommes
forcés de partir.
- Comment ! Partir ! Pourquoi ne Pas
Reproduction afitorisée potf» les journaux
qui ont un traité avec la 8o« £ 4ié des gens de
ieitreg. JDrcit de tr'acluf tipzi rmerv4,
attendre? Je t'en supplie, parrain, —
prononça-t-elle les mains jointes, — une
heure ou deux de plus me permettraient
de le voir, de lui parler. — Tu me l'avais
pourtant bien promis, et le moment n'est
pas encore venu.
Le vieillard prit doucement Hira par le
bras. ,-.
Il la contraignit à se retourner, et, de
sa main tendue, lui désigna l'horizon du
sud-ouest.
— Regarde dit-il simplement.
Hira ouvrit de grands yeux. La terreur
fit un instant diversion au chagrin.
- Qu'est-ce? demanda-t-elle.
- Un cyclone.
Tout au fond, glissant sur les flots ap-
pesantis, paraissant creuser la mer sous
sa masse, un gigantesque nimbus, poussé
par un vent formidable, accourait, dévo-
rant le ciel de sa tache noire grandis-
sante.
Hira se détourna vers le nord, tout
blanc, maintenant, d'une blancheur spec-
trale. Le point de tout à l'heure avait
grossi. A la lunette on distinguait les
mâts de la frégate-amirale.
— Ouil s'écria-t-elle, fuyons! fuyons
vers eux.
XIII
Les roulements, des sifflets des maîtres
retentirent.
On entendit grincer le cabestan ; l'ancre
remonta à la surface et vint se coller aux
flancs du yacht.
Alors, un grondement monta de la
chambre de chauffe et des machines. La
soupape ieta un souoix strideIlten même
temps que la cheminée s'empanachait de
fumée. L'hélice tournoya, communiquant
sa fièvre au bâtiment. Toute la membrure
trépida et lA leyoiie, comme un cheval
échappé au piquet, bondit d'un élan su-
perbe sur la plaine liquide.
- En quelques minutes, elle eut dépassé
les extrémités-de la baie et se prit à volér
sur l'Océan.
Pourtant, derrière elle, sur sa trace,
l'ouragan accourait d'une effroyable vi-
tesse.
Jusqu'alors il ne l'avait pas atteinte..
C'était un tableau sinistre que celui de
oette mer sur laquelle le géant des temn
pêtes semblait donner la chasse à cette
misérable coque de noix.,
Debout sur la dunette, immobile, ri-
gide, Hira se laissait en quelque sorte
fasciner par l'effrayant spectacle.
Pas une écume, pas un remous ne ve-
nait encore battre la carène du yacht.
Les eaux étaient calmes, d'un calme ter-
rible, comme soudées les unes aux au-
tres. Mais, en arrière, le sillage se faisait
moutonneux. A mesure que la densité
du firmament croissait, le vent devenait
plus violent, et la surface de la mer cla-
potait, écumait, fumait. Et d'un mons-
trueux demi-cercle qui gagnait rapide-
ment sur le nord et sur l'est, la tempête
enveloppait le frêle esquif, le débordant
comme pour lui couper toute issue.
Hira s'était retournée une fois de plus
vers le vaisseau apparu au septentrion.
Celui-ci ne grandissait plus, — au con-
traire.
Lui aussi avait vu venir le cyclone. Il
fuvait au large, se dérobant au vortex de
la trombe qui paraissait prendre l'île
pour centre.
Dans la blafarde échancrure du ciel,
ceux de VAlcyone pouvaient voir s'effacer
ceux de la Flore. -
Haletante, la jeune fille tenait ses mains
jointes, ses - regards en haut, comme si,
au travers des sombres vapeurs accrues,
elle eût espéré voir Dieu. Et certes, son
désespoir présent était fait de deux sen-
timents terribles : l'épouvante de la tour-
mente, et la douleur de l'abandon.
- Poussez les feux! ordonna KerdisteL
UAlcyone s'élança à toute vapeur.
Ce ue fut plus la course rapide, grai-
cieuse et régulière d'une traversée; ce
fut le galop furieux, désordonné, hoque-
tant d'une bête que la peur affole et qui
s'efforce, d'échapper au danger le plus
promptement qu'elle peut. Des bonds
convulsifs l'emportaient au-dessus de
l'eau ; l'hélice criait quelquefois avec des
rauquements d'agonie; toute la mem-
brure tremblait dans le délire de l'épou-
vante.
Et, si vite qu'elle courût, la tempête
courait plus vite encore. Un premier cla-
potement se fit sur l'arrière, une pre-
mière vague vint mordre d'une dent d'é-
cume les flancs incurvés du yacht. L'ins-
tant d'après; l'étrave eut à déchirer une
nappe blanchie par la houle. Dès lors, la
lutte était commencée.
La nuit tomba sur le gouffre.
Alors, à tribord, à bâbord, les flots se
dressèrent en murailles. On avait calé les
perroquets, consolidé les mâts de hune,
saisi les embarcations et pris toutes les
mesures de circonstance.
Hira était descendue dans le faux-pont.
Les panneaux étaient en place, les sa-
bords fermés. La jeune fille ne pouvait
donc plus regarder l'horizon. Des pa-
quets de mer couvraient à chaque se-
conde les hublots,et leur ruissellement
les rendait opaques. D'ailleurs, de quoi
lui eût servi ce coup d'œil ? La Flore,
moins proche de la tourmente, mieux
servie par ses moyens de vitesse, s'était
hâtée de sortir de la zone d'envahisse-
ment.
En ce moment, VAlcyone, emprisonnée
sous les ténèbres de la voûte, sous IW chute
du ciel, n'avait plus qu'à disputer sa ché-
tive existence à la fureur de l'Océan.
L'abîme rugissait. A chaque instant,
des montagnes d'eau, semblables à des
trombes, tombaient sur le pont, au risque
de le crever, le balayant de bout en bout,
avec d'effroyables résonnances de ses vi-
des. Cet océan démonté, qui eût pu en-
gloutir dans une seule bouchée la pau-
vre nef, avait des caprices féroces de chat
jouant avec une souris.
Les matelots luttaient comme ils pou-
vaient. Ils luttaient bien. Kerdistel s'é-
tait fait amarrer sur la passerelle, et de
là jetait ses ordres. L'eau salée trempait
les vêtements, les collant au corps, brû-
lant et déchirant l'épiderme. Les mains
laissaient des traces rouges, instantané-
ment lavées, aux manœuvres et aux fi-
lières. Ici et là quelque homme tombait,
se broyant la poitrine aux espars brisés
ou se fracassant le crâne sur le bordage.
Mais le cadavre n'attendait pas longtemps
la sépulture. Une lame venait qui lui fai-
sait un linceul d'écume ; une autre em-
portait le mort ou le mourant par-dessus
les bastingages.
Dans le salon, Hira, les yeux dans le
vague, ne voyait plus, n'entendait plus*.:
Certes, ce n'était pas la première tem.
pète qu'elle traversait. Elle en avait l'ex..
périence. Mais celle-ci avait un caractère
particulier de violence, une férocité insi-
gne entre toutes. Jamais la jeune fille
n?avait vu les flots faire preuve d'un tel
acharnement ; jamais, elle ne leur avait
connu cette soudaineté d'attaque qui pré-
vient et déconcerte les moyens de dé:"
fense de l'adversaire. La pensée de la
mort venait de jeter dans son esprit une
lueur funèbre, comme si, pour la pre-
mière fois, elle eût pris connaissance de
la grande, de la suprême leçon.
Pourtant n'avait-elle pas vu mourir ?
Ce n'était point dant une tempête, c'était
dans un jour calme, sous un firmament
pur que Louis Raimbault s'était éteint..
Pourquoi, dans le cauchemar de ce cy-
clone, cette fin tranquille avait-elle pour
Hira des sourires ironiques?
Et puis, ce qui était le plus cruel, c'é-
tait de mourir là, si près du bonheur
extrême ! A quelques milles à peine Phi-*
lippe luttait peut-être, lui aussi, contre
le trépas. Que pèse de plus qu'un yachtTi
un vaisseau de guerre dans les caprices
de là mer? Ils allaient peut-être mouric
tous les deux, mourir ensemble, — et
pourtant séparés, lui ignorant sa pré:
sence, elle ne la connaissant que trop 1
Fibbre MA1**
(.4 s~M'~ ,-
Le taux de reconnaissance estimé pour ce document est de 99.64%.
En savoir plus sur l'OCR
En savoir plus sur l'OCR
Le texte affiché peut comporter un certain nombre d'erreurs. En effet, le mode texte de ce document a été généré de façon automatique par un programme de reconnaissance optique de caractères (OCR). Le taux de reconnaissance estimé pour ce document est de 99.64%.
- Auteurs similaires Bibliothèque Diplomatique Numérique Bibliothèque Diplomatique Numérique /services/engine/search/sru?operation=searchRetrieve&version=1.2&maximumRecords=50&collapsing=true&exactSearch=true&query=colnum adj "MAEDIGen0"
-
-
Page
chiffre de pagination vue 2/4
- Recherche dans le document Recherche dans le document https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/search/ark:/12148/bpt6k7562289b/f2.image ×
Recherche dans le document
- Partage et envoi par courriel Partage et envoi par courriel https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/share/ark:/12148/bpt6k7562289b/f2.image
- Téléchargement / impression Téléchargement / impression https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/download/ark:/12148/bpt6k7562289b/f2.image
- Mise en scène Mise en scène ×
Mise en scène
Créer facilement :
- Marque-page Marque-page https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/bookmark/ark:/12148/bpt6k7562289b/f2.image ×
Gérer son espace personnel
Ajouter ce document
Ajouter/Voir ses marque-pages
Mes sélections ()Titre - Acheter une reproduction Acheter une reproduction https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/pa-ecommerce/ark:/12148/bpt6k7562289b
- Acheter le livre complet Acheter le livre complet https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/indisponible/achat/ark:/12148/bpt6k7562289b
- Signalement d'anomalie Signalement d'anomalie https://sindbadbnf.libanswers.com/widget_standalone.php?la_widget_id=7142
- Aide Aide https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/aide/ark:/12148/bpt6k7562289b/f2.image × Aide
Facebook
Twitter
Pinterest