Titre : Le XIXe siècle : journal quotidien politique et littéraire / directeur-rédacteur en chef : Gustave Chadeuil
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1886-05-31
Contributeur : Chadeuil, Gustave (1821-1896). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32757974m
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
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Description : 31 mai 1886 31 mai 1886
Description : 1886/05/31 (A17,N5256). 1886/05/31 (A17,N5256).
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k7562039r
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-199
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 09/04/2013
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LILLI Al A OIIJLIIJIII
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BULLETIN
Une élection pour le conseil général de
la Seine a eu lieu hier dans le canton de
Charenton, au second tour de scrutin.
Deux candidats restaient en présence. M.
Baulard, radical, et M. Goût, républicain
opportuniste.
L'élection de M. Baulard parait assurée.
Les bruits qui avaient couru hier sur la
santé de l'empereur Guillaume, ne sont
confirmés par aucune dépêche de Berlin.
Ce ne sont sans doute que des nouvelles
de Bourse qui ne méritent aucun crédit :
il en circule souvent de pareilles aux ap-
proches de la fin du mois.
Les Grecs sont toujours aussi complète-
ment bloqués ; les puissances ne veulent
rien rabattre de leurs exigences. M. Tri-
coupis, de son côté, ne se croit pas tenu de
déférer aux ordres tyranniques de l'Alle-
magne et de l'Autriche. Il pense, non sans
raison, que s'il adhérait aujourd'hui aux
conditions qui lui sont imposées, ce qui
équivaudrait à demander la permission de
démobiliser, il aliènerait la souveraineté
de la Grèce dans le présent et dans l'avenir.
Si le gouvernement hellénique reconnais-
sait aux puissances un pareil droit de con-
trôle sur les affaires intérieures de la
Grèce, ne serait-il pas à redouter qu'elles
prétendissent s'opposer à toute nouvelle
mobilisation au cas où cette éventualité
deviendrait nécessaire ?
Ces exigences de l'Allemagne et de l'Au-
triche sont tellement irrationnelles et si
peu justifiables qu'il est permis de se de-
mander si ces puissances ont bien le main-
tien de la paix pour objectif.
Faut-il ajouter que les Turcs, contraire-
ment aux engagements pris, n'ont point
ramené leurs troupes en arrière ? Des ob-
servations ont été présentées à la Porte
ottomane par le ministre de Grèce. A une
première communication, il a été répondu
d'une façon évasive. Sur l'insistance de M.
Condouriotti, le ministre de Grèce, Saïd-
Pacha, ministre des affaires étrangères, a
donné l'assurance que les troupes turques
reprendraient leurs anciennes positions. Ce
mouvement de retraite n'est pas encore ef-
fectué. Peut-être l'ordre n'a-t-il pu être exé-
cuté, si tant est qu'il ait été reçu. Les
Turcs, bons soldats quand on les paie, de-
viennent aisément indisciplinés quand
leur solde se fait attendre, ce qui arrive
souvent et parait être le cas à l'heure ac-
tuelle.
Quoi qu'il en soit, l'opinion publique à
Athènes se montre inquiète de ces tergi-
versations qui ont toutes les apparences
d'un manquement aux promesses faites
par la Turquie.
Le roi de Grèce s'apprête à quitter sa
capitale; la reine Olga est déjà partie pour
Saint-Pétersbourg. La régence sera exer-
cée, pendant l'absence du roi Georges, par
M. Tricoupis, conformément à la Consti-
tution.
L'heure paraît assez mal choisie pour un
voyage du roi. Il faut que des motifs bien
impérieux nécessitent ce déplacement pour
que le souverain hellénique se décide ou
se résigne à quitter ses Etats dans les cir-
constances présentes. Ce départ a un faux
air de désertion que rend encore plus mar-
qué le maintien inexplicable du blocus.
Jusqu'à plus ample informé, il faut tenir
pour suspecte cette nouvelle qui n'a pas
le mérite de la vraisemblance.
Louis HKNRIQUE.
INFORMATIONS PARTICULIÈRES
Apposition de scellés
Les scellés ont été apposés chez M. le co-
lonel Herbinger, douze heures après sa mort,
conformément à la loi.
On. sait, en effet, que cette mesure est ap-
pliquée après décès, chez tous les officiers
généraux ou supérieurs ayant commandé en
chef devant l'ennemi.
M. de No aille s
M. de Noailles, notre ambassadeur à Cons-
tantinople, actuellement à Paris, prolongera
son séjour en France pendant quelques jours
encore.
Selon toutes probabilités, M. de Noailles ne
rejoindra son poste que vers le 14 ou le 15
juin prochain. Dès son retour, M. de Montho-
lon, qui dirige en ce moment l'ambassade,
rentrera en France et reprendra ses anciennes
fonctions de président de la commission inter-
nationale des frontières pyrénéennes.
Le traité de commerce franco-chinois
M. Vissière, premier interprète de notre
légation à Pékin, arrivera à Paris vers le
15 juin, porteur du traité de commerce signé
dernièrement par M. Cogordan et Li-Hung-
Chang.
M. de Freycinet, ministre des affaires étran-
gères, déposera immédiatement le texte de ce
traité de commerce sur le bureau de la
Chambre.
Les élections d'hier
Un certain nombre d'élections au conseil
général et au conseil d'arrondissement ont
eu lieu hier dans la Seine et en province.
Au moment où nous mettons sous presse,
aucun résultat de province ne nous est par-
venu.
Dans la Seine, les scrutins de dimanche der-
nier n'ayant donné aucun résultat pour l'élec-
tion d'an conseiller d'arrondissement à Sceaux,
en remplacement de M. Hude, nommé dépu-
té, démissionnaire, et pour l'élection d'un con-
seiller général à Charenton, en remplacement
de M. Decorse, décédé, on a procédé à un se-
cond tour de scrutin.
Dans le canton de Charenton, M. Baulard,
radical, est élu contre M. Goût.
Dans le canton de Sceaux, M. Sourdives, ré-
publicain, est élu contre M. Jallon. égale-
ment républicain.
Nous ne sommes pas partisans des
mesures d'exception, même contre les
personnes auxquelles les circonstances
ou les hasards de la naissance ont fait
des situations exceptionnelles. Nous
voyons les inconvénients de l'expulsion
des princes, nous n'en voyons pas les
avantages. On allègue qu'ils ont des
journaux, des comités, des candidats:
en auront-ils moins parce qu'ils seront
au delà de la frontière? On trouve into-
lérable qu'ils distribuent de l'argent
dans un but de propagande politique :
comment l'expulsion empêchera-t-elle
ce commerce? Nous ne sommes pas
les seuls à nous le demander. En
revanche, elle risque de les ren -
dre intéressants aux yeux de beau-
coup de bons bourgeois auxquels ils
étaient jusqu'à aujourd'hui indifférents
ou antipathiques. Enfin,dans bon nombre
de départements où ils étaient incon-
nus, elle fera parler d'eux et consé-
quemment les grandira dans une cer-
taine mesure. Mais, cela dit, il faut avouer
que, si on use de rigueur contre leurs
princes, les conservateurs n'ont que ce
qu'ils méritent. Leur langage dépasse en
violence celui des anarchistes. Ils me-
nacent à tout propos de tirer l'épée contre
le gouvernement légal du pays comme
si c'était la chose la plus naturelle du
monde.
Dans le sixième bureau, M. de Cassa-
gnac, avec son habituelle forfante-
rie, prédisait hier et promettait la
guerre civile pour le cas où l'expul-
sion serait prononcée comme il le
souhaite. « Si les princes reviennent,
a-t-il dit, et ils reviendront, ce sera l'é-
pée à la main. « D'autre part, d'après
Y Univers, dans « l'assemblée des catho-
liques » tenue samedi sous la présidence
de l'évêque d'Hiéropolis, à laquelle as-
sistaient des sénateurs, des députés,
des révérends pères, etc., M. Keller a
soutenu que la situation devait inspirer
aux catholiques des devoirs nouveaux.
« Pie IX, a-t-il dit au milieu d'un en-
thousiasme indescriptible, ne s'est pas
borné à bénir des chapelets, mais des
épées. Le jour oti nous dirons, comme
Judas Machabée, qu'il vaut mieux pour
nous mourir en combattant que de
voir les maux de notre patrie, nous
serons au jour de la victoire. » On pour-
rait soutenir que des princes, dont les
partisans osent tenir ce langage, se
trouvent, par le fait, placés hors la loi. De
pareilles menaces montrent en tout cas
que les républicains ont mieux à faire
que de se disputer pour des questions
de forme ou de procédure. Si on veut
l'expulsion, qu'on la fasse ; mais qu'on
n'en profite pas pour chercher à dislo-
quer la majorité républicaine.
LA QUESTION IRLANDAISE
La semaine qui s'ouvre verra-t-elle la
fin de la discussion sur le bill irlandais ?
La chose paraît probable sans être cer-
taine. M. Gladstone, qui a mis le temps à
profit pour désagréger l'opposition, se
croit sûr du succès. Mais, dans les ter-
mes où se pose la question, le succès
ne sera que relatif, car le vote ne por-
tera que sur un principe fort élastique.
Aussi chacun reste libre de donner telle
portée qu'il veut et qui peut être ac-
ceptée aussi bien par les séparatistes les
plus radicaux que par les plus timides.
Les seuls qui puissent voter contre la
deuxième lecture du bill sont ceux qui,
comme le marquis de Hartington, ne
veulent rien changer au régime actuel,
et le dernier discours de lord Salisbury
sur la nécessité de pratiquer en Irlande
une politique de répression et d'émigra-
tion n'a vraisemblablement pas dû beau-
coup grossir leurs rangs.
Mais si, grâce à l'habileté de M. Glad-
stone, les probabilités d'échec qui étaient
les plus grandes il y a quelques jours
sont maintenant remplacées par des
probabilités de succès, l'équivoque de-
vient chaque jour plus manifeste. Fidèle
aux traditions parlementaires, M. Glad-
stone ne voulait discuter aux Communes
que le principe du homerule, c'est-à-dire
l'établissement d'un Parlement particu-
lier en Irlande, sans aborder les discus-
sions de détail. Le parti Chamberlain ne
voulait, de son côté, statuer sur le prin-
cipe qu'en sachant si l'Irlande serait
complètement séparée de l'Angleterre
ou si, comme il lui paraissait juste de le
faire, l'île-sœur continuerait à être re-
présentée au Parlement de Westmins-
ter lorsqu'il s'agirait du vote de l'impôt
et des questions impériales.
C'était une question préjudicielle sur
laquelle la majorité se divisait. Pour
la ressaisir, M. Gladstone a eu recours
à la réunion extra-parlementaire qui
s'est tenue jeudi dernier au Foreign-Of-
fice, et dans laquelle il s'est montré dis-
posé à accepter les amendements et à
admettre les représentants de l'Irlande
au Parlement impérial. Le discours de
M. Gladstone a eu dans le pays un pro-
fond retentissement. Les associations
libérales entrent en campagne pour
exercer une pression énergique sur les
membres hésitants du Parlement, et il
est certain que le « vieux tacticien par-
lementaire » a porté en cette circons-
tance un rude coup à ses adversaires.
Mais si au point de vue de la straté-
gie parlementaire la conduite de M.
Gladstone est adroite ; si, pour éviter
une dissolution immédiate et préparer au
parti libéral les meilleures chances aux
prochaines élections, M. Chamberlain
s'unit actuellement à M. Gladstone, la
question ne reste pas moins incertaine
en ce qui concerne l'avenir même de
l'Irlande et c'est, en définitive, ce
qui doit faire le fond du débat et lui
donner son intérêt.
Les Anglais semblent finir par y voir
moins clair que jamais. Ils se trouvent
toujours en présence de trois systèmes.
Le home rule absolu, séparant complè-
tement l'Irlande de l'Angleterre; le sys-
tème de M. Gladstone, accordant un Par-
lement spécialement à l'Irlande, mais la
maintenant sous la dépendance de l'Em-
pire, et enfin celui de M. Chamberlain,
accordant aussi un Parlement à l'Ir-
lande, mais lui conservant une représen-
tation à Westminster dans certains cas
spéciaux.
Qu'il ne se trouve pas dans le Parle-
ment britannique une majorité pour la
séparation complète, ceci ne peut sur-
prendre personne et ce système ne sau-
rait prévaloir. Les parnellistes eux-mê-
mes reconnaissent qu'il n'y faut pas
songer. Il n'y a donc de sérieusement
discutables que les deux autres modes.
Mais il ne faut pas se faire d'illusions.
Quel que soit le système adopté, le
home rule, même le plus restreint et le
plus mitigé, portera atteinte à l'unité
impériale. M. Chamberlain se refuse à
l'évidence lorsqu'il soutient que son
projet échappe à cet inconvénient
parce qu'il restreint à peu près les attri-
butions du Parlement irlandais à celles
d'une sorte de conseil général, et que
les représentants de l'Irlande intervien-
nent dans certaines discussions. Sans
doute, c'est un principe parlementaire
que les contribuables soient représentés
dans le vote de l'impôt. Mais il faut bien
se souvenir que les parnellistes travail-
lent de toutes leurs forces à détruire le
régime parlementaire ; que c'est à eux
qu'est due l'invention de l'obstruction,
et reconnaître que plus les occasions
seront rares pour eux de faire de l'obs-
truction, plus ils en feront. Les ques-
tions impériales, pour lesquelles M.
Chamberlain veut leur ouvrir les portes
des Communes, sont précisément les
plus graves, celles qui doivent être dis-
cutées avec le plus de soin, celles sur
lesquelles l'obstruction ou l'opposition
systématique peut, dans tous les pays,
se donner le plus librement carrière et
c'est précisément sur celles-là que, par
respect pour une fiction chimérique,
celle du maintien de l'unité, les Irlan-
dais seront invités à se joindre aux An-
glais.
M. Gladstone, les excluant du Parle-
ment, était plus logique. Mais il violait
le principe du vote de l'impôt. D'autre
part, il a modifié son système pour se
rapprocher de M. Chamberlain, et il n'y
a pas à s'occuper pour le moment d'un
projet abandonné. JJne fois le principe
voté, M. Gladstone doit retirer le bill
pour le transformer avant de le soumet-
tre à l'épreuve de la discussion en co-
mités, et cette discussion ne pourra
avoir lieu que dans une session extraor-
dinaire d'automne. D'ici là, d'autres sys-
tèmes surgiront peut-être, de nature à
concilier des intérêts dont l'opposition
semble irréductible.
Les Anglais paraissent mettre la ques-
tion du concours et faire appel aux lu-
mières des étrangers pour la résoudre.
Hier, un article paraissait simultané-
ment dans une revue française et dans
une revue anglaise dont M. Gladstone
est lui-même le collaborateur. Cet ar-
ticle concluait à la formation d'un em-
pire fédéral ayant des Chambres spé-
ciales pour l'Angleterre, pour l'Ecosse,
pour l'Irlande, pour l'Ulster, pour le
pays de Galles, avec un Parlement im-
périal qui tiendrait à la fois du congrès
américain et des délégations austro-
hongroises. C'est peut-être la solution
de l'avenir. C'est celle qui pourrait don-
ner satisfaction, dans la plus large me-
sure, aux intérêts opposés des diverses
parties du Royaume-Uni. L'unité réelle
du royaume n'en serait sans doute pas
beaucoup modifiée et il en résulterait
même un apaisement sérieux. Mais les
apparences seraient compromises et
c'est toujours aux apparences que l'on
tient le plus.
Peut-être ne serait-il pas très prudent
de trop montrer que la question de l'Ir-
lande peut conduire à ces graves modi-
fications de l'unité. de l'empire, car ceux
qui tiennent par-dessus tout à mainte-
nir cette unité apparente ne voudraient
pas s'engager dans une voie au bout de
laquelle ils penseraient trouver le fé-
déralisme, et la réforme libérale a l'en-
treprise de laquelle M. Gladstone a le
grand honneur de consacrer ses der-
nières forces pourrait bien rencontrer
de nouvelles et insurmontables résis-
tances.
CHRONIQUE
Fantaisies de milliardaires
The Baltimore American — cité par
le Temps dans une de ses dernières
« Lectures étrangères» — nous apprend
que trois familles « milliardaires » de
New-York, les Vanderbilt, les Astor et
les Gould, ont institué, en commandite,
une police spéciale et privée, chargée
de veiller sur leurs personnes et leurs
propriétés.
« Cette police effectue nuit et jour des
patrouilles, détache des gardiens qui
passent huit heures sur vingt-quatre en
observation, et occupe une vingtaine de
détectives, choisis parmi les plus délu-
rés. »
Voilà qui est pour plaire à M. de Mo-
linari qui, dans son aversion pour l'Etat-
Providence, va jusqu'à demander que la
police devienne entreprise privée et que
tout un chacun qui en ressentira le be-
soin puisse acheter de la sécurité chez le
fournisseur de l'article, comme on achète
de l'épicerie. Utopie de ce côté de l'O-
céan, réalité sur l'autre rive. Ainsi va le
monde!
Ni The Baltimore American ni le
Temps ne nous ont, à ce propos, donné
le plus curieux détail. L'un et l'autre
ont omis de nous dire que la mission
tutélaire de la police particulière des na-
babs américains ne prend pas fin le
moins du monde, comme les naïfs se-
raient tentés de le croire, lorsque le
« patron » vient à déboulonner son cof-
fre-fort, mais qu'elle se prolonge bel et
bien au delà du tombeau !
La chose vaut, cependant, la peine
d'être narrée.
*
* *
Il répugnait aux Américains que l'a-
ristocratie du dollar, — la seule qu'ils
connaissent et reconnaissent, mais dont
les racines traçantes sont en passe de
tarir la sève de ce sol pourtant si riche,
— il leur répugnait, dis-je, que l'aristo-
cratie du dollar constituât seulement un
privilège viager, quoique héréditaire.
Etait-il donc juste et logique, était-il
donc tolérable que le banquier qui, de
son vivant, remuait l'or à la pelle, dont
un geste faisait bouillonner les pétroles,
couler les suifs et gonfler les cotons,
disparût ainsi du jour au lendemain,
sans un vestige, sans un souvenir, com-
*me le dernier des roughs ou le plus dé-
penaillé des cows-boys ?
Non, non ! L'homme riche — the mo-
nied man — ne saurait mourir tout
entier. Décédé, enterré, dissous, mangé
aux vers, il vaut encore son pesant d'or.
Il s'évalue, comme devant, en espèces
sonnantes. Là où nous autres, gens du
vieux continent, idéologues et philoso-
phailleurs, nous n'apercevons qu'une
charogne immonde, une informe bouil-
lie organique, bonne au plus à faire de
; l'engrais, les Yankees, race inventive et
'pratique, qui spécule comme on res-
pire, voient un objet d'agio, un « effet )
négociable.
Nous avons entendu souvent raconter
: que les brigands grecs, espagnols, cala-
brais et siciliens s'amusent quelquefois,
au lieu de détrousser purement et sim-
plement les riches voyageurs, à les gar-
: der à vue au fond de leurs mystérieux
repaires, et à ne les rendre à leur fa-
mille éplorée que moyennant une forte
rançon, dont le taux varie suivant la
fortune présumée des séquestrés. On a
même écrit là-dessus un tas de mélo-
drames. Mais il faut passer l'Atlan-
tique pour trouver des gens assez sub-
tils pour étendre cette industrie jus-
qu'aux morts eux-mêmes. Il n'y a que
l'Amérique, le pays des initiatives excen-
triques , où puisse fonctionner une
Bourse des cadavres, avec sa cote spé-
ciale, qui hausse ou baisse suivant les
- circonstances. Il n'y a que l'Amérique
qui puisse accoucher de la singulière
profession de « voleur de cadavres » !
m
* *
De l'autre côté de l'eau, ce genre de
chantage se pratique sur une grandie
échelle. Quand, dans ce pays d'où notfs
viennent des fantaisistes assez cossus
pour marchander l'Arc de Triomphe, ta-
pisser leur fumoir avec des bank-notes
et faire peindre par Meissonierles stores
de leurs water-closets ; quand, aux
Etats-Unis, un Crésns quelconque a
rendu son portefeuille à Plutus ou à
Mercure, il y a de fortes chances pour
que, quinze jours ou trois semaines
après les obsèques, la sépulture soit
violée et le cercueil — contenant eft
contenu, — mis en sûreté quelque part.
Les audacieux aventuriers qui ont fait
le coup, et dont c'est le métier, écri-
vent alors à la famille pour la prévenir
de la mésaventure posthume dont vient
d'être victime la dépouille mortelle du
de cujus, et lui signifier, en même temps,
que les choses ne seront remises en état
que moyennant le dépôt de la « forte
somme » en un endroit déterminé.
Neuf fois sur dix, la - famille, menacée
dans sa piété, accepte d entrer en né-
gociations. On discute, on marchande,
on transige; finalement on s'exécute.
Tout se passe avec cette loyauté scru-
puleuse que les Anglo-Saxons mettent
dans les affaires. Business is business !
Une fois payés, les détrousseurs de tom-
beaux rapportent le cadavre ou ils l'a-
vaient pris, et où il reste — jusqu'à ce
qu'une bande rivale recommence la
même opération. Cette fois, le cadavre
ayant déjà servi, les héritiers ont dés
chances de s'en tirer à meilleur compte.
Quelquefois il arrive que des parents
peu scrupuleux, ou par trop pressés de
liquider les charges imprévues qui vien-
nent ainsi grever la succession, organi-
sent un traquenard, de sorte que nos
pauvres pirates de cimetières ne recueil-
lent, en guise de rançon, qu'une solidte
cravate de chanvre. Dans les pays où
règne la loi de Lynch, ce sont là menais
désagréments auxquels sont perpétuel-
lement exposés les plus honnêtes gen.
Ajoutons, au surplus, que les grin-
cheux qui cherchent ainsi à rentrer en
possession des reliques « ancestrales »
sans bourse délier courent grand risque
de ne pas porter leur trahison en para-
dis. Il est bien rare que l'auteur du
guet-apens ne fasse une mauvaise fin :.
ou bien on le trouve un vilain matin
grillé vif dans sa maison incendiée, ou
bien il tombe, au coin d'une route, sur
un couteau pointu — bowie-knife —
feuilleton du XIXe SIÈCLE
Du 31 mai 1886
CAUSERIE
"DRAMATIQUE"
COMÚDIE-FRANÇAISE : Le Fruit défendu, co-
médie en trois actes et en vers, de M. Ca-
mille Doucet (reprise). — Nouvelles et can-
cans. — Les enfants au théâtre.
Les théâtres se ferment de tous côtés,
mais la Comédie-Française ne chôme
jamais et fait parler d'elle, ce qui est
fort heureux pour les feuilletonistes et
pour les reporters dramatiques. Elle a
donné, cette semaine, plusieurs repré-
sentations du Fruit défendu, qui ont été
fort goûtées des Parisiens. Le « fruit
défendu », c'est le mari d'une autre
femme, qui excite la curiosité des cro-
queuses de pommes; c'est la femme
dont vous sépare un obstacle, et dont
on a particulièrement envie parce que
tout vous défend d'y songer. Et le sujet
est si éternel et si charmant qu'il n'est
pas surprenant que M. Camille Doucet
ait songé à le traiter, il y a trente ans,
dans une comédie plaisante qui est en-
core d'actualité.
Un aimable docteur, M. Desrosiers,
âgé déjà, plein de bonté, de bonhomie et
de malice au service de l'honnêteté, est,
quoique célibataire, à la tête d'une belle
famille : d'une part, un neveu qui porte
son nom, fils de son frère mort; de
l'autre, trois jeunes filles, nées de sa
sœur. Le docteur a hérité du soin de
diriger toute cette jeunesse, et il a voulu
d'abord marier son neveu avec une de
ses cousines. Mais Léon a fait la sourde
oreille, et voici qu'au lever du rideau
Claire et Marguerite sont en train d'é-
pouser deux amis, de Varennes et Jala-
bert.
Tous ces jeunes gens sont de bons
jeunes gens. Cependant le goût Jn
fruit défendu ne leur est pas -tlleQnfi\1.
Jalabert, qui est un riche - et
qui a épouse Mar^ jeune nH
aux goûts s~t~ brÛlé de connaître
les joies -01()ndains de Paris. De Yaren-
ne^> sportsman et viveur, qui a clioiM
Claire laquelle aime fort le monde, est pi-
qué du désir de vivre la vie tranquille des
champs. Aussi les deux beaux-frères,
faisant violence au goût de leurs jeunes
femmes, changent d'existence ï le mon-
dain se retire à la campagne, le campa-
gnard s'installe à Paris. Telle est l'ex-
position de ce petit conte philosophi-
que.
Au bout de six mois, — et au second
acte, - le campagnard Jalabert en a
par-dessus les oreilles de la vie de Pa-
ris, et le Parisien de Varennes a épuisé
tes joies des champs, y compris la pê-
che à la ligne. Mais leurs femmes, par
contre, se trouvent très bien de leurs
nouvelles existences. 11 est vrai que ce
qui plaît le plus à Marguerite dans les
grands dîners et les bals, c'est l'assi-
duité de son cousin Léon à s'y trouver
auprès d'elle ; et ce qui charme Claire
dans les parties rustiques, c'est le soin
que prend ce même Léon dé n'y faire in-
viter. Car les deux jeunes femmes n'ont
pas plutôt été mariées que Lé'flri> qui
eût pu épouser l'une ou l'autre et qui
ne l'a pas voulu, se met à faire une cdùr
effrontée à l'une et à l'autrë. N'était le
tour de main déliiôàt et débonnaire à la
fois de M. Camille Doucet, remarquons
combien la, situation est immorale. Ce
CfVusiû qui, sitôt Ses cousines mariées,
- - , - 1.1.
les poursuit toutes lés deux ensemble
de ses assiduités ftèU platoniques, est
Un LoVeUëê effronté, et véritablement
les jeunes épouses se défendent peu et
mettôïit trôp de complaisance à ébduter
les ïiiscbùils de ce petit serpent.
Heureusement, - l'oncle - Desrosiôrâ
veille. Il commence par attirer sur Léon
l'attention des deux maris, mais chacun
croyant tràvailler poUi4 lé compte de son
beau-frère. liuîs il s'occupe de caser le,
dangereux cousin di1 le mariant à la
dernière des cousinës, Jeanne. Pour at-
teindre ce but, Desrosiers feint de croire
que Léon est fort amoureux de Jeanne,
mais il a soin de lui révéler qu'un obs-
tacle impossible à surmonter empêche
le mariage. Il n'en faut pas plus pour
allumer à l'extrême l'imagination de
Léon qui va jusqu'à parler d'enlève-
ment, ce qu'attendait Desrosiers pour
1^ Conduire à la mairie.
Jje charme de ces trois actes, et il est
très grand, est dans l'arrangement des
scènes, dans le parallélisme tiès bien
sùivi des situations, dans la philosophie
facile et douce qui en découle. Mais ces
mérites sont peut-être achetés au détri-
ment de l'intérêt des caractères « Si on
va bien au fond des choses, ce Léon qui
ahne deux femmes et ces deux femmes
qUi l'cotiiént ne mérltetit prié le mal
qu'on se donne poùr eUx; Mais c'est le
propre dii tatêrit de M: OirHn Doucet
de ne pas aller aux conséquences der-
nières, de tourner autour des écueils,
et de passer, d'un pied sûr et en sou-
riant, à côté dès âbtrrles; Aussi le Fruit
défendu a-t-il réussi aujourd'hui comme
il y a trente ans, L'auteur f a fait quel-
ques remaniements et comme Uil ferift
de toilette. Il a, comme on dit, retiré a
la pièce les cheveux blancs que l'âge y
Avait mis; he style n'en reste pas moins
un spécimen très complet de la paésië
dramàtiqué teiie qu £ J'entendait l'écoie
du bon sens. Cette école, très raillée
des rbïîiàntiqûes et coflspiiée des « dé-
cadents », n'en a pas moins donné des
poètes agréables, sains, parfois très
flers; comme Ponsard dans cette Char-
loite Corday qUé je regrette de ne plus
voir jouer, étant une des belles œuvres
de notre temps. Il est certain pourtant
que le poète, obligé de mettre en vers
les incidents les plus prdmaires de la
4,w i ter d'arriver
vie bourgeoise, ne peut t- Ite: d arrIver
à une simplicité qui frise parfo-s la P
titude. 11 est impossible de- l'une
façon lyrique que le notaire est a:vofJvé
par le chemin de fer et; qu'il attend dans
là salle de billard. Il se peut même
qu'un écrivain qui s'obstinerait aujour-
d'hui à employer le langage des dieux
pour faire parler les avoués commit une
faute contre le goût public ou une im-
prudence contre la mode,
Mais, il y a trente ans, ce procédé d'art
était entré dans la convention dramati-
que. C'était titie chose entendue avec le
public, comme toutes ls conventions,
opéra-comique ou drame. Il y a, je
trouve, un peu de puérilité à donner de
là latide contre des formes d'art qui ne
sont plus celles du jouf. Nous sommes,
ie crois, plus justes et meilleurs ména-
gers de nos plaisirs en sachant décou-
vrit derrière ces formes un peu suran-
nées des sentinîerits délicats et fins qui
sont potrr faire toujours plaisir et, dans
ces mfjotïS même de dire, la bonne
grâce et l'esprit qui n'y manquent pas.
C'est ainsi, d'ailleurs, que le public a
voulu accueillir la comédie du très sym-
pâtfiique secrétaire perpétuel de l'Aca-
démie française. On nous annonce, et
tout le monde sait pourquoi, d'autres
reprises des œuvres du répertoire de la
Comédie qui sont d'académiciens. Je ne
m'en plaindrai pas, si toutes ont autant
d'agrément pour moi que ce Fruit dé-
fendu dont le seul titre fait penser à
tant de choses !
La Comédie de M. Camille Doucet est
fort bien jouée. Tandis que M. Coquelin
aîné, se rajeunissant de plus en plus,
joue volontiers les jeunes premiers, M.
Coquelin cadet, se vieillissant, acquiert
une autorité de plus en plus considéra-
Vie dans les rôles de son ewploi. Il a été
- * fait excellent dans le personnage
QH\ tI '-
du bon docteur Desrosiers, et il a donné
à sa physionomie une pointe d'origina-
lité pittoresque qui ne gâte rien. Les
deux maris sont représentés par 1Jr
Baillet et de FéFaúdy, convenablemen t
J'estime que le dernier est un acteur de
grand avenir; mais il n'était pas, 4*
dans un rôle qui lui convînt bien. JHjip
ému que gai, M. Le Bargy joue Léon
avec trop de souvenirs de M. Delaunay.
Les rôles de femmes sont tenus W
Mlles Durand, Màrsy et Reichemberg.
Celle-ci est toujours de plus en plus in-
génue, presque trop. Je crois qu'elle fe-
rait une campagne comme vivandiéye
d'un régiment de dragons qu'elle ne
perdrait pas l'art de dire innocemment :
« Le petit citât est mort! ) Et, tout en
admirant cet art, j'aimerais bien voir Mlle
Reichemberg mettre son admirable ta-
lent au service de rôles un peu plus va-
riés.
La Comédie-Française nous promet, à
bref délai, un petit acte de M. Vercon-
sin, annoncé dèpuis longtemps, et une
reprise de VEtrangère, de M. A. Dumas
(de l'Académie française), avec jpte
Marsy dans le rôle de cette jolie lady
Clarkson qui trouble le ménage 4e
Septmonts. Quo non ascendaml est dé-
cidément la devise de la belle CélimèQe,
qui travaille énormément à la Comédie
depuis quelque temps. Par contra, op
avait parlé d'une pièce de M. Jacques
Normand. Elle a été retirée après une
lecture à la suite de laquelle, -le comité
Ji'à pas passé au vote d'admissigil
Ou de refus. Lenteur n'é pôs- opu vrai
LILLI Al A OIIJLIIJIII
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BULLETIN
Une élection pour le conseil général de
la Seine a eu lieu hier dans le canton de
Charenton, au second tour de scrutin.
Deux candidats restaient en présence. M.
Baulard, radical, et M. Goût, républicain
opportuniste.
L'élection de M. Baulard parait assurée.
Les bruits qui avaient couru hier sur la
santé de l'empereur Guillaume, ne sont
confirmés par aucune dépêche de Berlin.
Ce ne sont sans doute que des nouvelles
de Bourse qui ne méritent aucun crédit :
il en circule souvent de pareilles aux ap-
proches de la fin du mois.
Les Grecs sont toujours aussi complète-
ment bloqués ; les puissances ne veulent
rien rabattre de leurs exigences. M. Tri-
coupis, de son côté, ne se croit pas tenu de
déférer aux ordres tyranniques de l'Alle-
magne et de l'Autriche. Il pense, non sans
raison, que s'il adhérait aujourd'hui aux
conditions qui lui sont imposées, ce qui
équivaudrait à demander la permission de
démobiliser, il aliènerait la souveraineté
de la Grèce dans le présent et dans l'avenir.
Si le gouvernement hellénique reconnais-
sait aux puissances un pareil droit de con-
trôle sur les affaires intérieures de la
Grèce, ne serait-il pas à redouter qu'elles
prétendissent s'opposer à toute nouvelle
mobilisation au cas où cette éventualité
deviendrait nécessaire ?
Ces exigences de l'Allemagne et de l'Au-
triche sont tellement irrationnelles et si
peu justifiables qu'il est permis de se de-
mander si ces puissances ont bien le main-
tien de la paix pour objectif.
Faut-il ajouter que les Turcs, contraire-
ment aux engagements pris, n'ont point
ramené leurs troupes en arrière ? Des ob-
servations ont été présentées à la Porte
ottomane par le ministre de Grèce. A une
première communication, il a été répondu
d'une façon évasive. Sur l'insistance de M.
Condouriotti, le ministre de Grèce, Saïd-
Pacha, ministre des affaires étrangères, a
donné l'assurance que les troupes turques
reprendraient leurs anciennes positions. Ce
mouvement de retraite n'est pas encore ef-
fectué. Peut-être l'ordre n'a-t-il pu être exé-
cuté, si tant est qu'il ait été reçu. Les
Turcs, bons soldats quand on les paie, de-
viennent aisément indisciplinés quand
leur solde se fait attendre, ce qui arrive
souvent et parait être le cas à l'heure ac-
tuelle.
Quoi qu'il en soit, l'opinion publique à
Athènes se montre inquiète de ces tergi-
versations qui ont toutes les apparences
d'un manquement aux promesses faites
par la Turquie.
Le roi de Grèce s'apprête à quitter sa
capitale; la reine Olga est déjà partie pour
Saint-Pétersbourg. La régence sera exer-
cée, pendant l'absence du roi Georges, par
M. Tricoupis, conformément à la Consti-
tution.
L'heure paraît assez mal choisie pour un
voyage du roi. Il faut que des motifs bien
impérieux nécessitent ce déplacement pour
que le souverain hellénique se décide ou
se résigne à quitter ses Etats dans les cir-
constances présentes. Ce départ a un faux
air de désertion que rend encore plus mar-
qué le maintien inexplicable du blocus.
Jusqu'à plus ample informé, il faut tenir
pour suspecte cette nouvelle qui n'a pas
le mérite de la vraisemblance.
Louis HKNRIQUE.
INFORMATIONS PARTICULIÈRES
Apposition de scellés
Les scellés ont été apposés chez M. le co-
lonel Herbinger, douze heures après sa mort,
conformément à la loi.
On. sait, en effet, que cette mesure est ap-
pliquée après décès, chez tous les officiers
généraux ou supérieurs ayant commandé en
chef devant l'ennemi.
M. de No aille s
M. de Noailles, notre ambassadeur à Cons-
tantinople, actuellement à Paris, prolongera
son séjour en France pendant quelques jours
encore.
Selon toutes probabilités, M. de Noailles ne
rejoindra son poste que vers le 14 ou le 15
juin prochain. Dès son retour, M. de Montho-
lon, qui dirige en ce moment l'ambassade,
rentrera en France et reprendra ses anciennes
fonctions de président de la commission inter-
nationale des frontières pyrénéennes.
Le traité de commerce franco-chinois
M. Vissière, premier interprète de notre
légation à Pékin, arrivera à Paris vers le
15 juin, porteur du traité de commerce signé
dernièrement par M. Cogordan et Li-Hung-
Chang.
M. de Freycinet, ministre des affaires étran-
gères, déposera immédiatement le texte de ce
traité de commerce sur le bureau de la
Chambre.
Les élections d'hier
Un certain nombre d'élections au conseil
général et au conseil d'arrondissement ont
eu lieu hier dans la Seine et en province.
Au moment où nous mettons sous presse,
aucun résultat de province ne nous est par-
venu.
Dans la Seine, les scrutins de dimanche der-
nier n'ayant donné aucun résultat pour l'élec-
tion d'an conseiller d'arrondissement à Sceaux,
en remplacement de M. Hude, nommé dépu-
té, démissionnaire, et pour l'élection d'un con-
seiller général à Charenton, en remplacement
de M. Decorse, décédé, on a procédé à un se-
cond tour de scrutin.
Dans le canton de Charenton, M. Baulard,
radical, est élu contre M. Goût.
Dans le canton de Sceaux, M. Sourdives, ré-
publicain, est élu contre M. Jallon. égale-
ment républicain.
Nous ne sommes pas partisans des
mesures d'exception, même contre les
personnes auxquelles les circonstances
ou les hasards de la naissance ont fait
des situations exceptionnelles. Nous
voyons les inconvénients de l'expulsion
des princes, nous n'en voyons pas les
avantages. On allègue qu'ils ont des
journaux, des comités, des candidats:
en auront-ils moins parce qu'ils seront
au delà de la frontière? On trouve into-
lérable qu'ils distribuent de l'argent
dans un but de propagande politique :
comment l'expulsion empêchera-t-elle
ce commerce? Nous ne sommes pas
les seuls à nous le demander. En
revanche, elle risque de les ren -
dre intéressants aux yeux de beau-
coup de bons bourgeois auxquels ils
étaient jusqu'à aujourd'hui indifférents
ou antipathiques. Enfin,dans bon nombre
de départements où ils étaient incon-
nus, elle fera parler d'eux et consé-
quemment les grandira dans une cer-
taine mesure. Mais, cela dit, il faut avouer
que, si on use de rigueur contre leurs
princes, les conservateurs n'ont que ce
qu'ils méritent. Leur langage dépasse en
violence celui des anarchistes. Ils me-
nacent à tout propos de tirer l'épée contre
le gouvernement légal du pays comme
si c'était la chose la plus naturelle du
monde.
Dans le sixième bureau, M. de Cassa-
gnac, avec son habituelle forfante-
rie, prédisait hier et promettait la
guerre civile pour le cas où l'expul-
sion serait prononcée comme il le
souhaite. « Si les princes reviennent,
a-t-il dit, et ils reviendront, ce sera l'é-
pée à la main. « D'autre part, d'après
Y Univers, dans « l'assemblée des catho-
liques » tenue samedi sous la présidence
de l'évêque d'Hiéropolis, à laquelle as-
sistaient des sénateurs, des députés,
des révérends pères, etc., M. Keller a
soutenu que la situation devait inspirer
aux catholiques des devoirs nouveaux.
« Pie IX, a-t-il dit au milieu d'un en-
thousiasme indescriptible, ne s'est pas
borné à bénir des chapelets, mais des
épées. Le jour oti nous dirons, comme
Judas Machabée, qu'il vaut mieux pour
nous mourir en combattant que de
voir les maux de notre patrie, nous
serons au jour de la victoire. » On pour-
rait soutenir que des princes, dont les
partisans osent tenir ce langage, se
trouvent, par le fait, placés hors la loi. De
pareilles menaces montrent en tout cas
que les républicains ont mieux à faire
que de se disputer pour des questions
de forme ou de procédure. Si on veut
l'expulsion, qu'on la fasse ; mais qu'on
n'en profite pas pour chercher à dislo-
quer la majorité républicaine.
LA QUESTION IRLANDAISE
La semaine qui s'ouvre verra-t-elle la
fin de la discussion sur le bill irlandais ?
La chose paraît probable sans être cer-
taine. M. Gladstone, qui a mis le temps à
profit pour désagréger l'opposition, se
croit sûr du succès. Mais, dans les ter-
mes où se pose la question, le succès
ne sera que relatif, car le vote ne por-
tera que sur un principe fort élastique.
Aussi chacun reste libre de donner telle
portée qu'il veut et qui peut être ac-
ceptée aussi bien par les séparatistes les
plus radicaux que par les plus timides.
Les seuls qui puissent voter contre la
deuxième lecture du bill sont ceux qui,
comme le marquis de Hartington, ne
veulent rien changer au régime actuel,
et le dernier discours de lord Salisbury
sur la nécessité de pratiquer en Irlande
une politique de répression et d'émigra-
tion n'a vraisemblablement pas dû beau-
coup grossir leurs rangs.
Mais si, grâce à l'habileté de M. Glad-
stone, les probabilités d'échec qui étaient
les plus grandes il y a quelques jours
sont maintenant remplacées par des
probabilités de succès, l'équivoque de-
vient chaque jour plus manifeste. Fidèle
aux traditions parlementaires, M. Glad-
stone ne voulait discuter aux Communes
que le principe du homerule, c'est-à-dire
l'établissement d'un Parlement particu-
lier en Irlande, sans aborder les discus-
sions de détail. Le parti Chamberlain ne
voulait, de son côté, statuer sur le prin-
cipe qu'en sachant si l'Irlande serait
complètement séparée de l'Angleterre
ou si, comme il lui paraissait juste de le
faire, l'île-sœur continuerait à être re-
présentée au Parlement de Westmins-
ter lorsqu'il s'agirait du vote de l'impôt
et des questions impériales.
C'était une question préjudicielle sur
laquelle la majorité se divisait. Pour
la ressaisir, M. Gladstone a eu recours
à la réunion extra-parlementaire qui
s'est tenue jeudi dernier au Foreign-Of-
fice, et dans laquelle il s'est montré dis-
posé à accepter les amendements et à
admettre les représentants de l'Irlande
au Parlement impérial. Le discours de
M. Gladstone a eu dans le pays un pro-
fond retentissement. Les associations
libérales entrent en campagne pour
exercer une pression énergique sur les
membres hésitants du Parlement, et il
est certain que le « vieux tacticien par-
lementaire » a porté en cette circons-
tance un rude coup à ses adversaires.
Mais si au point de vue de la straté-
gie parlementaire la conduite de M.
Gladstone est adroite ; si, pour éviter
une dissolution immédiate et préparer au
parti libéral les meilleures chances aux
prochaines élections, M. Chamberlain
s'unit actuellement à M. Gladstone, la
question ne reste pas moins incertaine
en ce qui concerne l'avenir même de
l'Irlande et c'est, en définitive, ce
qui doit faire le fond du débat et lui
donner son intérêt.
Les Anglais semblent finir par y voir
moins clair que jamais. Ils se trouvent
toujours en présence de trois systèmes.
Le home rule absolu, séparant complè-
tement l'Irlande de l'Angleterre; le sys-
tème de M. Gladstone, accordant un Par-
lement spécialement à l'Irlande, mais la
maintenant sous la dépendance de l'Em-
pire, et enfin celui de M. Chamberlain,
accordant aussi un Parlement à l'Ir-
lande, mais lui conservant une représen-
tation à Westminster dans certains cas
spéciaux.
Qu'il ne se trouve pas dans le Parle-
ment britannique une majorité pour la
séparation complète, ceci ne peut sur-
prendre personne et ce système ne sau-
rait prévaloir. Les parnellistes eux-mê-
mes reconnaissent qu'il n'y faut pas
songer. Il n'y a donc de sérieusement
discutables que les deux autres modes.
Mais il ne faut pas se faire d'illusions.
Quel que soit le système adopté, le
home rule, même le plus restreint et le
plus mitigé, portera atteinte à l'unité
impériale. M. Chamberlain se refuse à
l'évidence lorsqu'il soutient que son
projet échappe à cet inconvénient
parce qu'il restreint à peu près les attri-
butions du Parlement irlandais à celles
d'une sorte de conseil général, et que
les représentants de l'Irlande intervien-
nent dans certaines discussions. Sans
doute, c'est un principe parlementaire
que les contribuables soient représentés
dans le vote de l'impôt. Mais il faut bien
se souvenir que les parnellistes travail-
lent de toutes leurs forces à détruire le
régime parlementaire ; que c'est à eux
qu'est due l'invention de l'obstruction,
et reconnaître que plus les occasions
seront rares pour eux de faire de l'obs-
truction, plus ils en feront. Les ques-
tions impériales, pour lesquelles M.
Chamberlain veut leur ouvrir les portes
des Communes, sont précisément les
plus graves, celles qui doivent être dis-
cutées avec le plus de soin, celles sur
lesquelles l'obstruction ou l'opposition
systématique peut, dans tous les pays,
se donner le plus librement carrière et
c'est précisément sur celles-là que, par
respect pour une fiction chimérique,
celle du maintien de l'unité, les Irlan-
dais seront invités à se joindre aux An-
glais.
M. Gladstone, les excluant du Parle-
ment, était plus logique. Mais il violait
le principe du vote de l'impôt. D'autre
part, il a modifié son système pour se
rapprocher de M. Chamberlain, et il n'y
a pas à s'occuper pour le moment d'un
projet abandonné. JJne fois le principe
voté, M. Gladstone doit retirer le bill
pour le transformer avant de le soumet-
tre à l'épreuve de la discussion en co-
mités, et cette discussion ne pourra
avoir lieu que dans une session extraor-
dinaire d'automne. D'ici là, d'autres sys-
tèmes surgiront peut-être, de nature à
concilier des intérêts dont l'opposition
semble irréductible.
Les Anglais paraissent mettre la ques-
tion du concours et faire appel aux lu-
mières des étrangers pour la résoudre.
Hier, un article paraissait simultané-
ment dans une revue française et dans
une revue anglaise dont M. Gladstone
est lui-même le collaborateur. Cet ar-
ticle concluait à la formation d'un em-
pire fédéral ayant des Chambres spé-
ciales pour l'Angleterre, pour l'Ecosse,
pour l'Irlande, pour l'Ulster, pour le
pays de Galles, avec un Parlement im-
périal qui tiendrait à la fois du congrès
américain et des délégations austro-
hongroises. C'est peut-être la solution
de l'avenir. C'est celle qui pourrait don-
ner satisfaction, dans la plus large me-
sure, aux intérêts opposés des diverses
parties du Royaume-Uni. L'unité réelle
du royaume n'en serait sans doute pas
beaucoup modifiée et il en résulterait
même un apaisement sérieux. Mais les
apparences seraient compromises et
c'est toujours aux apparences que l'on
tient le plus.
Peut-être ne serait-il pas très prudent
de trop montrer que la question de l'Ir-
lande peut conduire à ces graves modi-
fications de l'unité. de l'empire, car ceux
qui tiennent par-dessus tout à mainte-
nir cette unité apparente ne voudraient
pas s'engager dans une voie au bout de
laquelle ils penseraient trouver le fé-
déralisme, et la réforme libérale a l'en-
treprise de laquelle M. Gladstone a le
grand honneur de consacrer ses der-
nières forces pourrait bien rencontrer
de nouvelles et insurmontables résis-
tances.
CHRONIQUE
Fantaisies de milliardaires
The Baltimore American — cité par
le Temps dans une de ses dernières
« Lectures étrangères» — nous apprend
que trois familles « milliardaires » de
New-York, les Vanderbilt, les Astor et
les Gould, ont institué, en commandite,
une police spéciale et privée, chargée
de veiller sur leurs personnes et leurs
propriétés.
« Cette police effectue nuit et jour des
patrouilles, détache des gardiens qui
passent huit heures sur vingt-quatre en
observation, et occupe une vingtaine de
détectives, choisis parmi les plus délu-
rés. »
Voilà qui est pour plaire à M. de Mo-
linari qui, dans son aversion pour l'Etat-
Providence, va jusqu'à demander que la
police devienne entreprise privée et que
tout un chacun qui en ressentira le be-
soin puisse acheter de la sécurité chez le
fournisseur de l'article, comme on achète
de l'épicerie. Utopie de ce côté de l'O-
céan, réalité sur l'autre rive. Ainsi va le
monde!
Ni The Baltimore American ni le
Temps ne nous ont, à ce propos, donné
le plus curieux détail. L'un et l'autre
ont omis de nous dire que la mission
tutélaire de la police particulière des na-
babs américains ne prend pas fin le
moins du monde, comme les naïfs se-
raient tentés de le croire, lorsque le
« patron » vient à déboulonner son cof-
fre-fort, mais qu'elle se prolonge bel et
bien au delà du tombeau !
La chose vaut, cependant, la peine
d'être narrée.
*
* *
Il répugnait aux Américains que l'a-
ristocratie du dollar, — la seule qu'ils
connaissent et reconnaissent, mais dont
les racines traçantes sont en passe de
tarir la sève de ce sol pourtant si riche,
— il leur répugnait, dis-je, que l'aristo-
cratie du dollar constituât seulement un
privilège viager, quoique héréditaire.
Etait-il donc juste et logique, était-il
donc tolérable que le banquier qui, de
son vivant, remuait l'or à la pelle, dont
un geste faisait bouillonner les pétroles,
couler les suifs et gonfler les cotons,
disparût ainsi du jour au lendemain,
sans un vestige, sans un souvenir, com-
*me le dernier des roughs ou le plus dé-
penaillé des cows-boys ?
Non, non ! L'homme riche — the mo-
nied man — ne saurait mourir tout
entier. Décédé, enterré, dissous, mangé
aux vers, il vaut encore son pesant d'or.
Il s'évalue, comme devant, en espèces
sonnantes. Là où nous autres, gens du
vieux continent, idéologues et philoso-
phailleurs, nous n'apercevons qu'une
charogne immonde, une informe bouil-
lie organique, bonne au plus à faire de
; l'engrais, les Yankees, race inventive et
'pratique, qui spécule comme on res-
pire, voient un objet d'agio, un « effet )
négociable.
Nous avons entendu souvent raconter
: que les brigands grecs, espagnols, cala-
brais et siciliens s'amusent quelquefois,
au lieu de détrousser purement et sim-
plement les riches voyageurs, à les gar-
: der à vue au fond de leurs mystérieux
repaires, et à ne les rendre à leur fa-
mille éplorée que moyennant une forte
rançon, dont le taux varie suivant la
fortune présumée des séquestrés. On a
même écrit là-dessus un tas de mélo-
drames. Mais il faut passer l'Atlan-
tique pour trouver des gens assez sub-
tils pour étendre cette industrie jus-
qu'aux morts eux-mêmes. Il n'y a que
l'Amérique, le pays des initiatives excen-
triques , où puisse fonctionner une
Bourse des cadavres, avec sa cote spé-
ciale, qui hausse ou baisse suivant les
- circonstances. Il n'y a que l'Amérique
qui puisse accoucher de la singulière
profession de « voleur de cadavres » !
m
* *
De l'autre côté de l'eau, ce genre de
chantage se pratique sur une grandie
échelle. Quand, dans ce pays d'où notfs
viennent des fantaisistes assez cossus
pour marchander l'Arc de Triomphe, ta-
pisser leur fumoir avec des bank-notes
et faire peindre par Meissonierles stores
de leurs water-closets ; quand, aux
Etats-Unis, un Crésns quelconque a
rendu son portefeuille à Plutus ou à
Mercure, il y a de fortes chances pour
que, quinze jours ou trois semaines
après les obsèques, la sépulture soit
violée et le cercueil — contenant eft
contenu, — mis en sûreté quelque part.
Les audacieux aventuriers qui ont fait
le coup, et dont c'est le métier, écri-
vent alors à la famille pour la prévenir
de la mésaventure posthume dont vient
d'être victime la dépouille mortelle du
de cujus, et lui signifier, en même temps,
que les choses ne seront remises en état
que moyennant le dépôt de la « forte
somme » en un endroit déterminé.
Neuf fois sur dix, la - famille, menacée
dans sa piété, accepte d entrer en né-
gociations. On discute, on marchande,
on transige; finalement on s'exécute.
Tout se passe avec cette loyauté scru-
puleuse que les Anglo-Saxons mettent
dans les affaires. Business is business !
Une fois payés, les détrousseurs de tom-
beaux rapportent le cadavre ou ils l'a-
vaient pris, et où il reste — jusqu'à ce
qu'une bande rivale recommence la
même opération. Cette fois, le cadavre
ayant déjà servi, les héritiers ont dés
chances de s'en tirer à meilleur compte.
Quelquefois il arrive que des parents
peu scrupuleux, ou par trop pressés de
liquider les charges imprévues qui vien-
nent ainsi grever la succession, organi-
sent un traquenard, de sorte que nos
pauvres pirates de cimetières ne recueil-
lent, en guise de rançon, qu'une solidte
cravate de chanvre. Dans les pays où
règne la loi de Lynch, ce sont là menais
désagréments auxquels sont perpétuel-
lement exposés les plus honnêtes gen.
Ajoutons, au surplus, que les grin-
cheux qui cherchent ainsi à rentrer en
possession des reliques « ancestrales »
sans bourse délier courent grand risque
de ne pas porter leur trahison en para-
dis. Il est bien rare que l'auteur du
guet-apens ne fasse une mauvaise fin :.
ou bien on le trouve un vilain matin
grillé vif dans sa maison incendiée, ou
bien il tombe, au coin d'une route, sur
un couteau pointu — bowie-knife —
feuilleton du XIXe SIÈCLE
Du 31 mai 1886
CAUSERIE
"DRAMATIQUE"
COMÚDIE-FRANÇAISE : Le Fruit défendu, co-
médie en trois actes et en vers, de M. Ca-
mille Doucet (reprise). — Nouvelles et can-
cans. — Les enfants au théâtre.
Les théâtres se ferment de tous côtés,
mais la Comédie-Française ne chôme
jamais et fait parler d'elle, ce qui est
fort heureux pour les feuilletonistes et
pour les reporters dramatiques. Elle a
donné, cette semaine, plusieurs repré-
sentations du Fruit défendu, qui ont été
fort goûtées des Parisiens. Le « fruit
défendu », c'est le mari d'une autre
femme, qui excite la curiosité des cro-
queuses de pommes; c'est la femme
dont vous sépare un obstacle, et dont
on a particulièrement envie parce que
tout vous défend d'y songer. Et le sujet
est si éternel et si charmant qu'il n'est
pas surprenant que M. Camille Doucet
ait songé à le traiter, il y a trente ans,
dans une comédie plaisante qui est en-
core d'actualité.
Un aimable docteur, M. Desrosiers,
âgé déjà, plein de bonté, de bonhomie et
de malice au service de l'honnêteté, est,
quoique célibataire, à la tête d'une belle
famille : d'une part, un neveu qui porte
son nom, fils de son frère mort; de
l'autre, trois jeunes filles, nées de sa
sœur. Le docteur a hérité du soin de
diriger toute cette jeunesse, et il a voulu
d'abord marier son neveu avec une de
ses cousines. Mais Léon a fait la sourde
oreille, et voici qu'au lever du rideau
Claire et Marguerite sont en train d'é-
pouser deux amis, de Varennes et Jala-
bert.
Tous ces jeunes gens sont de bons
jeunes gens. Cependant le goût Jn
fruit défendu ne leur est pas -tlleQnfi\1.
Jalabert, qui est un riche - et
qui a épouse Mar^ jeune nH
aux goûts s~t~ brÛlé de connaître
les joies -01()ndains de Paris. De Yaren-
ne^> sportsman et viveur, qui a clioiM
Claire laquelle aime fort le monde, est pi-
qué du désir de vivre la vie tranquille des
champs. Aussi les deux beaux-frères,
faisant violence au goût de leurs jeunes
femmes, changent d'existence ï le mon-
dain se retire à la campagne, le campa-
gnard s'installe à Paris. Telle est l'ex-
position de ce petit conte philosophi-
que.
Au bout de six mois, — et au second
acte, - le campagnard Jalabert en a
par-dessus les oreilles de la vie de Pa-
ris, et le Parisien de Varennes a épuisé
tes joies des champs, y compris la pê-
che à la ligne. Mais leurs femmes, par
contre, se trouvent très bien de leurs
nouvelles existences. 11 est vrai que ce
qui plaît le plus à Marguerite dans les
grands dîners et les bals, c'est l'assi-
duité de son cousin Léon à s'y trouver
auprès d'elle ; et ce qui charme Claire
dans les parties rustiques, c'est le soin
que prend ce même Léon dé n'y faire in-
viter. Car les deux jeunes femmes n'ont
pas plutôt été mariées que Lé'flri> qui
eût pu épouser l'une ou l'autre et qui
ne l'a pas voulu, se met à faire une cdùr
effrontée à l'une et à l'autrë. N'était le
tour de main déliiôàt et débonnaire à la
fois de M. Camille Doucet, remarquons
combien la, situation est immorale. Ce
CfVusiû qui, sitôt Ses cousines mariées,
- - , - 1.1.
les poursuit toutes lés deux ensemble
de ses assiduités ftèU platoniques, est
Un LoVeUëê effronté, et véritablement
les jeunes épouses se défendent peu et
mettôïit trôp de complaisance à ébduter
les ïiiscbùils de ce petit serpent.
Heureusement, - l'oncle - Desrosiôrâ
veille. Il commence par attirer sur Léon
l'attention des deux maris, mais chacun
croyant tràvailler poUi4 lé compte de son
beau-frère. liuîs il s'occupe de caser le,
dangereux cousin di1 le mariant à la
dernière des cousinës, Jeanne. Pour at-
teindre ce but, Desrosiers feint de croire
que Léon est fort amoureux de Jeanne,
mais il a soin de lui révéler qu'un obs-
tacle impossible à surmonter empêche
le mariage. Il n'en faut pas plus pour
allumer à l'extrême l'imagination de
Léon qui va jusqu'à parler d'enlève-
ment, ce qu'attendait Desrosiers pour
1^ Conduire à la mairie.
Jje charme de ces trois actes, et il est
très grand, est dans l'arrangement des
scènes, dans le parallélisme tiès bien
sùivi des situations, dans la philosophie
facile et douce qui en découle. Mais ces
mérites sont peut-être achetés au détri-
ment de l'intérêt des caractères « Si on
va bien au fond des choses, ce Léon qui
ahne deux femmes et ces deux femmes
qUi l'cotiiént ne mérltetit prié le mal
qu'on se donne poùr eUx; Mais c'est le
propre dii tatêrit de M: OirHn Doucet
de ne pas aller aux conséquences der-
nières, de tourner autour des écueils,
et de passer, d'un pied sûr et en sou-
riant, à côté dès âbtrrles; Aussi le Fruit
défendu a-t-il réussi aujourd'hui comme
il y a trente ans, L'auteur f a fait quel-
ques remaniements et comme Uil ferift
de toilette. Il a, comme on dit, retiré a
la pièce les cheveux blancs que l'âge y
Avait mis; he style n'en reste pas moins
un spécimen très complet de la paésië
dramàtiqué teiie qu £ J'entendait l'écoie
du bon sens. Cette école, très raillée
des rbïîiàntiqûes et coflspiiée des « dé-
cadents », n'en a pas moins donné des
poètes agréables, sains, parfois très
flers; comme Ponsard dans cette Char-
loite Corday qUé je regrette de ne plus
voir jouer, étant une des belles œuvres
de notre temps. Il est certain pourtant
que le poète, obligé de mettre en vers
les incidents les plus prdmaires de la
4,w i ter d'arriver
vie bourgeoise, ne peut t- Ite: d arrIver
à une simplicité qui frise parfo-s la P
titude. 11 est impossible de- l'une
façon lyrique que le notaire est a:vofJvé
par le chemin de fer et; qu'il attend dans
là salle de billard. Il se peut même
qu'un écrivain qui s'obstinerait aujour-
d'hui à employer le langage des dieux
pour faire parler les avoués commit une
faute contre le goût public ou une im-
prudence contre la mode,
Mais, il y a trente ans, ce procédé d'art
était entré dans la convention dramati-
que. C'était titie chose entendue avec le
public, comme toutes ls conventions,
opéra-comique ou drame. Il y a, je
trouve, un peu de puérilité à donner de
là latide contre des formes d'art qui ne
sont plus celles du jouf. Nous sommes,
ie crois, plus justes et meilleurs ména-
gers de nos plaisirs en sachant décou-
vrit derrière ces formes un peu suran-
nées des sentinîerits délicats et fins qui
sont potrr faire toujours plaisir et, dans
ces mfjotïS même de dire, la bonne
grâce et l'esprit qui n'y manquent pas.
C'est ainsi, d'ailleurs, que le public a
voulu accueillir la comédie du très sym-
pâtfiique secrétaire perpétuel de l'Aca-
démie française. On nous annonce, et
tout le monde sait pourquoi, d'autres
reprises des œuvres du répertoire de la
Comédie qui sont d'académiciens. Je ne
m'en plaindrai pas, si toutes ont autant
d'agrément pour moi que ce Fruit dé-
fendu dont le seul titre fait penser à
tant de choses !
La Comédie de M. Camille Doucet est
fort bien jouée. Tandis que M. Coquelin
aîné, se rajeunissant de plus en plus,
joue volontiers les jeunes premiers, M.
Coquelin cadet, se vieillissant, acquiert
une autorité de plus en plus considéra-
Vie dans les rôles de son ewploi. Il a été
- * fait excellent dans le personnage
QH\ tI '-
du bon docteur Desrosiers, et il a donné
à sa physionomie une pointe d'origina-
lité pittoresque qui ne gâte rien. Les
deux maris sont représentés par 1Jr
Baillet et de FéFaúdy, convenablemen t
J'estime que le dernier est un acteur de
grand avenir; mais il n'était pas, 4*
dans un rôle qui lui convînt bien. JHjip
ému que gai, M. Le Bargy joue Léon
avec trop de souvenirs de M. Delaunay.
Les rôles de femmes sont tenus W
Mlles Durand, Màrsy et Reichemberg.
Celle-ci est toujours de plus en plus in-
génue, presque trop. Je crois qu'elle fe-
rait une campagne comme vivandiéye
d'un régiment de dragons qu'elle ne
perdrait pas l'art de dire innocemment :
« Le petit citât est mort! ) Et, tout en
admirant cet art, j'aimerais bien voir Mlle
Reichemberg mettre son admirable ta-
lent au service de rôles un peu plus va-
riés.
La Comédie-Française nous promet, à
bref délai, un petit acte de M. Vercon-
sin, annoncé dèpuis longtemps, et une
reprise de VEtrangère, de M. A. Dumas
(de l'Académie française), avec jpte
Marsy dans le rôle de cette jolie lady
Clarkson qui trouble le ménage 4e
Septmonts. Quo non ascendaml est dé-
cidément la devise de la belle CélimèQe,
qui travaille énormément à la Comédie
depuis quelque temps. Par contra, op
avait parlé d'une pièce de M. Jacques
Normand. Elle a été retirée après une
lecture à la suite de laquelle, -le comité
Ji'à pas passé au vote d'admissigil
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