Titre : Le XIXe siècle : journal quotidien politique et littéraire / directeur-rédacteur en chef : Gustave Chadeuil
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1886-05-18
Contributeur : Chadeuil, Gustave (1821-1896). Directeur de publication
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Type : texte texte
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Description : 18 mai 1886 18 mai 1886
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Droits : Consultable en ligne
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Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-199
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 09/04/2013
partements : 20 centimes Mardi 18 mai 1886
lix-septiôme année. — Ne 5243 P-rix du numéro à Paris : 15 ceulimgs , départements : 20 centimes Mardi 18 mai 1886
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JOURNAL RÉPUBLICAIN
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j'adresser au Secrétaire de la Rédaction
de 2 heures à minuit
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1 - Directeur politique :
A. EDOUARD PORTALIS
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Six mois £ 5 »»
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BULLETIN
Le Journal officiel a publié hier un rap-
port adressé au ministre de la marine et
des colonies sur l'exposition coloniale
étrangère à Anvers. Nous donnerons de-
main une analyse détaillée de cet intéres-
sant document.
La situation ne s'est pas sensiblement
modifiée en Grèce. Le blocus est exercé
rigoureusement et les populations des îles
commencent à en éprouver le4* effets : les
vivres manquent dans quelques parties du
royaume. L'ardeur belliqueuse de ces
jours derniers a fait place à un découra-
gement qui n'est que trop justifié. La po-
pulation voit très nettement qu'elle a tout
à perdre dans la lutte folle où une politi-
que imprudente a failli engager la Grèce.
Elle ne demande qu'à sortir de l'impasse
où l'obstination de M. Delyannis a acculé
le pays.
Le gouvernement est plus que jamais
disposé à donner satisfaction à ce besoin
de repos qui se manifeste de façon non
équivoque. D'après une dépêche de Vienne,
le nouveau cabinet aurait donné des or-
dres télégraphiques au sujet du désarme-
ment. Ces ordres auraient pour objet de
préparer la démobilisation, si la Chambre
émet le vote favorable qui lui sera de-
mandé par le cabinet, le jour même de
l'ouverture de la session.
C'est la Chambre qui tient entre ses mains
les destinées de la Grèce, on peut le dire
sans rien exagérer.
Les politiciens de tous les partis nouent
des intrigues en vue de la réunion de
la Chambre.
Les partisans de M. Delyannis n'ont pas
renoncé à l'espoir d'être en majorité. M.
Tricoupis fait faire par ses amis une cam-
pagne de dissolution qui a surtout pour
objet de disloquer la majorité sur laquelle
s'appuie M. Delyannis. Placés dans l'alter-
native de soutenir la politique de M. De-
lyannis, — ce qui équivaudrait à une dé-
claration de guerre, - ou de prendre parti
pour le cabinet Valvis, — qu'on a déjà es-
sayé de rendre impopulaire en le dési-
gnant sous le nom de cabinet de la sou-
mission, — dans cette alternative, disons-
nous, bon nombre de députés prendront
un terme moyen et se rallieront à toute
proposition qui fournirait au roi le pré-
texte d'une dissolution.
D'après les avis de Constantinople, des
négociations se poursuivent entre les puis-
sances pour trouver un moyen de faciliter
à la Grèce la lâche du désarmement. Le
ministre de Russie en Grèce vient de re-
joindre son poste.
« Le retour de M. Butzow, à Athènes,
et l'entrevue que l'on annonce de ce mi-
nistre avec le roi Georges, sont considérés
dit le Standard, comme un acte de con-
ciliation des puissances et tendant à ame-
ner une solution satisfaisante des difficul-
tés actuelles.»
Nous ne pouvons que faire des vœux
pour quele ministre russe mène à bien la
mission officieuse dont on le dit chargé.
La discussion du bill sur l'Irlande a été
reprise hier. M. Cross a combattu avec
vigueur le projet relatif à l'établissement
du home rule. M. Stansfeld, au contraire, a
pris énergiquement parti pour la politique
du gouvernement et attaqué avec la der-
nière vivacité le discours du marquis de
Salisbury « dont la témérité calculée dé-
passe tout ce que peut avoir jamais dit
un parnelliste ». Les menaces proférées
contre la nation irlandaise, a ajouté M.
Stansfeld, auraient pius fait pour le succès
du parti libéral que tous les efforts ten-
tés par M. Gladstone lui-même. Au sur-
plus, l'autonomie de l'Irlande n'équivaut
pas à la désagrégation de l'empire, comme
on affecte de le dire.
Cette allusion transparente à la doctrine
professée par M. Chamberlain et ses amis
a été chaleureusement applaudie par les
parnellistes et une fraction du parti radi-
cal. Il ne semble pas pourtant que te dis-
cours de M. Stansfeld ait modifié le sen-
timent de la majorité qui, après comme
avant, paraît hostile au vote du bill.
LOUIS HENRIQUE.
INFORMATIONS PARTICULIÈRES
Déplacements ministériels
Contrairement à ce qui a été annoncé, M.
Sarrien n'ira pas au Havre ; c'est M. de La
Porte, sous-secrétaire d'Etat aux colonies, qui
accompagnera MM. Granet et Lockroy.
Les ministres seront de retour à Paris le
lendemain soir.
En outre, M. Lockroy se rendra le 5 juin à
Limoges pour présider le lendemain la distri-
bution des récompenses du concours ré-
gional
M. Goblet, ministre de l'instruction publi-
que, qui assistait dimanche à l'inauguration
du groupe scolaire de la commune de Beau-
champ-le-Vieux, près d'Amiens, est rentré
hier soir à Paris.
Départ de M. Filippini
M. Filippini, gouverneur de la Cochinchine,
s'est embarqué hier à Ajaccio pour se ren-
dre à Marseille. M. Filippini partira pour re-
prendre son poste par le paquebot du 23
mai.
Le conseil général de la Seine
Le conseil général de le Seine s'est réuni
hier à trois heures, sous la présidence de M.
Rousselle.
Dès l'ouverture de la séance, le président
a déclaré que, le bureau du conseil n'ayant
pas été consulté sur la date de la convoca-
tion, il considérait cette convocation comme
nulle.
Aussitôt M. Darlot a déposé l'ordre du jour
suivant :
« Le conseil, considérant qu'en convoquant
le conseil général sans en avoir référé au
bureau M. le préfet de la Seine a manqué
aux usages et aux convenances, estime qu'il
n'y a pas lieu de siéger aujourd'hui et charge
son bureau de fixer le jour de la prochaine
iéance. »
Une demande de scrutin sur cet ordre du
jour a été déposée.
M. le préfet de la Seine a demandé la pa-
role pour expliquer les motifs qui avaient
porté le gouvernement à convoquer le conseil
général.
Le président lui a refusé la parole, ainsi
qu'aux autres membres qui voulaient parler
pendant le vote.
Finalement, l'ordre du jour de M. Darlot a
été adopté par 87 voix contre 3.
La séance a été levée à trois heures et
quart.
Nous rappellerons que le texte de la loi de
1830, concernant les conseils généraux, auto-
rise ie préfet à être entendu lorsqu'il le de-
mande.
Les cartes postales
M. Granet, ministre des postes et télégra-
phes, soumettra à ses collègues, aujourd'hui,
au conseil des ministres qui aura lieu sous la
présidence de M. Jules Grévy, le texte de son
arrêté sur les cartes postales fermées à 15
centimes.
Ces nouvelles cartes seront mises en circu-
lation le 25 mai très probablement.
Les anciennes cartes dont se sert actuelle-
ment le public ne seront pas supprimées.
La question des Nouvelles-Hébrides
On assure dans les cercles diplomatiques
que sous très peu de jours l'Angleterre aura
fait parvenir à la France l'avis officiel de son
acquiescement à l'annexion des Nouvelles-
Hébrides.
- '■■■—--- — — 1
QUESTIONS DU JOUR
LE FOUET
Tantôt, je suis resté rêveur devant un
fait divers du dernier numéro de la Re-
vue pédagogique.
Il faut savoir que les châtiments cor-
porels sont autant que jamais en vi-
gueur dans les écoles allemandes. Châ-
timents corporels, aliàs le fouet, pour
parler en langue vulgaire. Si l'écolier ne
sait pas sa leçon ou s'il n'a pas fait son
devoir, l'instituteur lui administre ce
qu'on appelle une fessée, accompagnée
d'un discours éloquent. C'est comme un
avant-goût d'exercice à la prussienne.
Or il paraît que ce régime commence
à déplaire aux familles. J'imagine que
les maîtres d'école allemands doivent
souvent l'appliquer, d'ailleurs, avec une
brutalité d'anciens caporaux. Tant il y a
que l'on signale, en Allemagne, une
« agitation » contre les châtiments cor-
porels, pour employer le mot à la mode.
De leur côté, les instituteurs prussiens
se sont émus; ils ont tenu un congrès,
ni plus ni moins, et ont formulé des con-
clusions en douze articles :
1° On ne peut, de l'avis de presque tous les
pédagogues pratiques, supprimer ni dans la
maison ni dans l'école les châtiments corpo-
rels, bien que certains s'efforcent de les dis-
créditer comme des moyens surannés et gros-
siers ;
20 La loi civile les permet et la !oi divine
les commande :
3° S'opposer à l'application des châtiments
corporels dans les écoles primalre, c'est se
mettre en opposition avec l'expérience des
pédagogues et les commandements de la
Sainte-Ecriture.
Je vous fais grâce des neuf autres
articles, qui ne sont, d'ailleurs, en tout
point, que la conséquence ou le déve-
loppement des trois premiers.
J'ai à peine besoin d'ajouter que les
instituteurs prussiens ont l'appui du
gouvernement qui encourage ce zèle de
fustigation, et l'on n'a pas de peine à
deviner pourquoi : c'est qu'on croit que
la monarchie, par ce procédé d'éduca-
tion, se préparera des sujets soumis :
l'école, à ce point de vue spécial, est
considérée comme un établissement
d'entraînement à la servitude.
Il est facile, après cela, de se rendre
compte des principes qui ont présidé à
l'organisation de l'enseignement pri-
maire actuel en Allemagne. On a eu
deux desseins que l'on a cru pouvoir
poursuivre parallèlement : 1° donner aux
écoliers une aussi bonne instruction
que possible dans l'intérêt de l'agricul-
ture, de l'industrie et du commerce,
parce qu'on a reconnu la supériorité
des races instruites sur les races igno-
rantes ; 2° maintenir néanmoins dans la
nation, par un abaissement des carac-
tères auquel tout doit concourir dès
l'enfance, un esprit de discipline pas-
sive qui mette l'empire à l'abri de tous
dangers libéraux et démocratiques.
Ainsi l'on voudrait bien en même
temps élever le niveau de l'instruction
populaire et se prémunir cependant
contre les velléités d'affranchissement
qui naîtraient sans doute dans de jeu-
nes esprits désormais ouverts à toutes
les suggestions de la lecture. Contra-
diction !
A se placer au point de vue du des-
potisme impérial allemand, le rêve est
intéressant, mais il est utopique. On ne
trouvera pas de combinaison qui empê-
che, dans un pays de gouvernement
despotique, la diffusion de l'enseigne-
ment d'être un péril. Il n'y aura point
de contrainte morale ni de châtiments
corporels qui tiennent : vos jeunes gé-
nérations finiront par vous échapper
malgré les verges. Vous poursuivriez
l'accomplissement d'un projet chiméri-
que en cherchant la future prospérité
de l'Allemagne dans l'union de ce qu'il
y a de plus incompatible au monde :
l'instruction populaire et la servitude.
C'est un rêve qui sera toujours suivi,
pour la monarchie, d'un dur réveil. En
dépit de la servilité de ses instituteurs,
c'est donc contre lui-même que l'empire
allemand a travaillé en multipliant les
écoles. On disait à Berlin, il y a vingt
ans, que le maître d'école prussien avait
gagné la bataille de Sadowa. Il est très
probable que, dans vingt ans, sans le
vouloir peut-être et sans même s'en
douter, le même maître d'école aura
gagné encore une bataille, mais d'un
autre genre : celle de la démocratie con-
tre le trône.
L'instruction populaire perdra tou-
jours les monarchies; c'est dans son
essence, et ce n'est que l'affaire d'un
temps relativement court. D'ailleurs la
destruction de la monarchie ne sera pas
l'œuvre seulement de l'instruction po-
pulaire, mais de tout progrès et de tout
contact avec le progrès. Ceci me rap-
pelle une belle page de Chateaubriand
qui, sans toujours savoir régler sage-
ment sa propre conduite, vit parfois,
dans l'avenir des nations, si loin et si
juste.
« Les rois croient, disait-il, qu'en fai-
sant sentinelle autour de leur trône,
ils arrêteront les mouvements de l'in-
telligence. Ils les feront saisir aux fron-
tières. Ils se persuadent qu'en multi-
pliant les douanes, les gendarmes, les
espions de la police, les commissions
militaires, ils les empêcheront de cir-
culer. Mais les idées ne marchent pas
qu'à pied : elles sont dans l'air, elles vo-
lent, on les respire. Les gouvernements
absolus, qui établissent des télégraphes,
des chemins de fer, des bateaux à va-
peur, et qui veulent en même temps re-
tenir les esprits au niveau des dogmes
politiques du xiv" siècle, sont inconsé-
quents ; à la fois progressifs et rétro-
grades, ils se perdent dans la confu-
sion résultant d'une théorie et d'une
pratique contradictoires, »
Ce que dit Chateaubriand des che-
mins de fer- et des télégraphes se peut
dire, à bien plus forte raison, des écoles.
Les lignes précédentes datent de 1833,
et la même année, Châteaubriand écri-
vait encore :
« Puisque aucun pouvoii parmi nous
n'est inviolable, puisque le sceptre hé-
réditaire est tombé quatre fois en trente-
huit années, puisque le bandeau royal
attaché par la victoire s'est dénoué deux
fois de la tête de Napoléon, puisque la
souveraineté de Juillet a été incessam-
ment assaillie, il faut en conclure que
ce n'est pas la République qui est im-
possible, mais là monarchie ! Le parti
démocratique est le seul en progrès,
parce qu'il marche vers le monde fu-
tur. »
La prédiction s'est admirablement ac-
complie chez nous, où, quinze ans après,
reparaissait une aurore républicaine.
Nous subîmes ensuite, à la vérité, dix-
huit ans d'Empire ; mais le drapeau de
la troisième République, à cette heure,
est planté si profondément dans notre
sol, qu'il défie les tempêtes. La démo-
cratie lui a fait un rempart solide.
Mais, me direz-vous, que nous voilà
donc loin des écoles allemandes !
Pas tant que l'on croirait. Ce que je
voulais rappeler, c'est qu'il n'y a pas de
gouvernement qui ait la puissance d'as-
socier utilement deux principes opposés,
qui se tuent l'un l'autre : le despotisme
et le progrès intellectuel. Comme le dit
si bien Chateaubriand, c'est une uto-
pie de vouloir être à la fois progressif
et rétrograde. Du moment où l'Allema-
gne a ouvert des milliers d'écoles à ses
jeunes générations, c'est comme si elle
les avait vouées à un avenir démocratique
plus ou moins prochain, mais qui sera
la conséquence naturelle et forcée de
la diffusion des connaissances. Allez-y du
fouet, allez-y du bâton, vous ne détrui-
rez pas désormais l'œuvre de votre pro-
pre enseignement primaire. Il y a là
matière à philosopher pour les observa-
teurs, et, sous quelque face qu'on re-
tourne la question, l'on arrivera, comme
Chateaubriand, à conclure que, dans
l'état de nos civilisations modernes,
c'est la République qui doit vivre et la
monarchie qui doit mourir.
EUG. LlÉBERT.
:
LA COMMISSION DU BUDGET
La commission du budget a repris hier
ses travaux. Jusqu'ici, elle ne s'était occu-
pée que de l'emprunt et elle n'a pas en-
core commencé l'examen du budget de
1887. La session est déjà bien avancée;
elle se terminera sans doute assez tôt à
cause des élections des conseils généraux.
Nous voici donc dès maintenant à peu près
certain, d'avoir une session d'automne lon-
gue et chargée.
L'habitude s'accentue de plus en plus de
réserver pour cette session extraordinaire,
et qui ne devrait être en quelque sorte
qu'exceptionnelle, la plus importante des
discussions, celle qui devrait être la plus
sérieusement étudiée. Chaque année, il
faut, au dernier moment, courir la poste
et voter précipitamment. Encore n'arrive-
rait-on pas à temps, si le Sénat ne faisait
preuve de bonne volonté et si la commis-
sion des finances ne préparait son travail
d'avance et sans attendre que le projet
soit déposé sur le bureau du Sénat.
Ce mode de procéder est regrettable à
tous égards et en tout temps ; mais cette
année les inconvénients en seraient encore
plus grands qu'ils ne le sont d'ordinaire.
Quand une Chambre est aux affaires de-
puis quelque temps, elle s'est fait une po-
litique financière ; elle l'a appliquée et
elle n'a plus qu'à persévérer dans sa tradi-
tion. Il n'en est pas ainsi pour le moment.
La Chambre comprend beaucoup de mem-
bres qui n'appartenaient pas à ses devan-
cières; elle a besoin de se familiariser
avec le mécanisme du budget. En outre,
il y a deux ans qu'il n'y a pas eu, à propre-
ment parler, de discussion financière à la
Chambre. Le budget de 1886 a été voté à
la fin de la session ordinaire de l'année
dernière et avant les élections. Il était
presque exactement calqué sur celui de
1885 qui avait été lui-même voté fort tar-
divement, au commencement de cette
même session. Le gouvernement d'alors
avait été d'avis qu'il n'y avait pas lieu
d'aborder l'examen des problèmes finan-
ciers et qu'il convenait de laisser la nou-
velle Chambre libre de les résoudre à son
gré.
Il faut donc, à l'heure actuelle, que la
Chambre examine attentivement ces ques-
tions réservées et qu'elle se prononce sur
les réformes proposées par le gouverne-
ment. Certains points peuvent prêter à
des discussions importantes. La réforme
de l'impôt sur les boissons, les modifica-
tions relatives aux trésoriers-payeurs gé-
néraux, la suppression du budget extraor-
dinaire, sont des questions qui ne sau-
raient être étudiées de trop près. Ces
discussions et bien d'autres encore, où la
politique n'est pas moins engagée que
l'administration financière, réclameront
beaucoup de temps ; si l'on n'y prenait
garde, on arriverait bien facilement au
bout de l'année sans avoir rien résolu, et
il faudrait recourir à l'expédient des dou-
zièmes provisoires.
Ce serait un fâcheux début pour une
Chambre qui a annoncée qu'elle voulait
avoir une politique financière et dont la
principale tâche doit être de faire dispa-
raître de nos budgets les irrégularités que
les réactionnaires se sont plu à exagérer
pendant la période électorale et qui ont
été une de leurs armes les plus puissantes
contre nous. Cette tâche doit suffire aux
ambitions de la Chambre et elle ne sau-
rait trop se hâter de se mettre à l'œuvre.
Aussi nous voulons espérer que les incer-
titudes qui se sont produites dans la com-
mission du budget lors de la discussion
de l'emprunt ne se renouvelleront pas et
que cette commission fera tous ses efforts
pour mettre la Chambre en mesure de
commencer le plustôt possible la discus-
sion de la loi de finances.
-«»- —-
Le conseil général avait été convoqué pour
hier afin d'étudier certaines questions urgen-
tes et notamment celle du Métropolitain. Mais
il paraît que l'administration avait commis
une faute grave. Elle avait convoqué le con-
seil, ainsi que la loi de 1833, art. 12, et la loi
du 21 septembre 1871, art. 2, lui en donnent
le droit. Seulement elle avait oublié de con-
sulter les convenances du conseil général.
C'est du moins ce que le bureau prétend, tan-
dis que le préfet maintient qu'il avait donné
officieusement avis de la convocation au pré-
sident du conseil général.
Quoi qu'il en soit, le conseil général, à peine
réuni, a été saisi d'une proposition de M.
Darlot tendant à faire déclarer que, le bureau
n'ayant pas été consulté, la convocation était
nulle. Lo préfet a voulu prendre la parole
pour expliquer l'objet de la convocation. Il
était encore dans son droit. La loi de 1833,
art. 12, porte que le préfet est entendu quand
il le demande. Mais le président du conseil
général de la Seine a refusé la parole au pré-
fet. Finalement, la proposition de M. Darlot a
été adoptée. Mais, aussitôt après, le bureau a
décidé que le conseil général siégerait de-
main et que le procès-verbal ne mentionne-
rait pas le compte rendu de la séance.
De son côté, le conseil municipal, dans la
séance qui a suivi, a émis un vote de blâme
contre ie préfet auquel il reprochait égale-
ment un manque d'égards.
AU SALON
V
Réparons deux oublis en mentionnant
un charmant tableau de Mme Marguerite
Ruffo, « la Veuve », et un joli paysage
de M. Darasse; et, avant de passer aux
portraits, citons deux très remarquables
tableaux de peinture militaire.
La « Ligne de feu », de M. Jeanniot.
En plein soleil, dans un air blanchi par la
lumière crue et la poudre, les hommes
tirent. Il en reste peu, presque tous sont
morts. Au premier plan, un soldat abattu
sur la face tient à deux mains, d'un geste
terrible et vrai, sa tête où vient d'en-
trer une balle. Le clairon, hagard et
tombé, ne sonne plus. Seuls quelques
hommes continuent à se battre.
De M. Médard, une « Armée en re-
traite», qui s'en va comme un troupeau,
abattue, pressée, lasse, accablée.
Je n'ai cité à dessein que ces deux
œuvres qui sont fort belles, la peinture
militaire étant presque toujours de la
peinture officielle. J'ai parlé ailleurs de
l'eeuvre magistrale de M. Protais.
Je passerai donc devant toutes les
manifestations patriotiques en couleur,
chères aux protecteurs de la peinture à
l'huile, pour m'arrêter cependant devant
une toile où j'ai cru démêler des sym-
boles nro fond s.
Dans une plaine immense, vrai champ
de bataille où les brins de paille sortent
de terre comme des tuyaux de pipe,
deux armées se sont rencontrées, une
de dindons noirs, l'autre de dindons
blancs.
Et, pendant que les femelles attenti-
ves regardent, les mâles se sont atta-
qués et combattent, M. Schenck a nom-
mé cela « la Lutte ». — Quelle lutte,
monsieur? La lutte du noir contre le
blanc? de l'ignorance contre la science?
des ténèbres contre la lumière? des
barbares contre les civilisés? de l'Alle-
magne contre la France? du Nord con-
tre le Midi? du mal contre le bien?
N'est-ce pas, oui, n'est-ce pas que je
vous ai compris?Les dindons noirs sont
la barbarie et les dindons blancs la ci-
vilisation?
C'est à cette peinture allégorique et
simple que le ministre, s'il était seul
juge, donnerait assurément la médaillle
d'honneur.
Animaliers et portraitistes. - Bêtes
et hommes.
Toutes les grandes qualités de M. Bon-
nat se trouvent réunies dans le superbe
portrait de M. Pasteur qu'il expose cette
année. Un autre portrait de M. Pasteur
par M. Edelfelt révèle chez ce jeune
peintre un éminent artiste.
Un homme, qui n'est plus un débu-
tant, M. Cabanel, semble cependant
débuter avec les portraits du fondateur
et de la fondatrice des Petites-Sœurs
des pauvres. Ce couple de religieux
restera comme une des bonnes choses
de ce temps-ci.
M. Barillot nous montre des vaches
très remarquables; M. Hermann (Léon),
un marché aux chevaux plein de mou-
vement et de talent ; M. Tuxen, un ex-
cellent portrait de femme ; M. Girardin,
une fort bonne tête de vieille ; M. Lan-
delle, un poétique aveugle du désert;
M. Duez, une charmante femme tout
en rouge, couchée sur un divan rouge,
dans un boudoir rouge, enfin ce qu'on
appelle une symphonie de rouges déli-
cieuse.
M. Roll expose un admirable portrait
de M. Damoye, et M. Gervex un petit
paysage d'une saisissante vérité, où se
tient debout, en plein air, en pleine lu-
mière, en pleine atmosphère de campa-
gne, M. Hauch, un de ses amis. On re-
marque encore de bonnes figures de
femmes de MM. Alaux et Agache, et le
portrait de Mme Pasca par Mlle du Mes-
gnil. C'est Mme Pasca en mère de
clown, comme on l'a dit, ou plutôt Mme
Pasca gelée à son retour de Russie, ce
qu'indiquent les mains serrées contre le
corps et la quantité de fourrures dont
l'a couverte maladroitement l'artiste.
Elle a bien froid, car elle est bien pâle,
la pauvre femme, malgré toutes ces
fourrures que remplaceraient avec avan-
tage quelques dentelles de Doucet.
ta Remarquons encore en première ligne
deux fort beaux portraits de M. Layraud,
celui d'une très jolie femme, Mlle d'An-
glar et celui de notre confrère bien
connu M. Alexandre Hepp; puis deux
études charmantes de M. Lafranchise,
« la Mère gracieuse » et « la Fille du
phare » ; l'excellent portrait de M. Paul
Mounet, par M. Boutet de Monvel ; un
ravissant portrait de femme par Mlle
Julia Marest ; d'une autre jeune artiste,
Mlle Paraf-Javal, un autre très bon por-
trait.
Ceux de M. Jacques Blanche révèlent
un véritable artiste ; celui de Mlle Veg-
man est fort bon, et l'apparition des-
cendue par la cheminée, si noire de
suie qu'on la voit à peine, que nous
montre M. Whistler, dénote un peintre
bizarre, mais des plus intéressants.
Un fort bon portrait de Mlle Boucher-
Ourliac, deux autres de M. Vergèsos,
un autre de M. PauldeKatow, une char-
mante Femme turque de Mlle Mégret.
Gardons pour la fin les deux superbes
toiles d'un maître toujours admiré, M.
Carolus Dur an.
Note. — On dit (mais la nouvelle mé-
rite confirmation) qu'à la suite de son ex-
position de cette année M. Besnard vient
d'être nommé peintre attaché à l'éta-
blissement thermal de Vichy, — mala-
dies du foie, — sécrétions biliaires, jau-
nisse, etc., etc.
X. groupe. — Fumistes et déments.
Trop nombreux pour être cités.
SCULPTURE
J'ai écrit, en commençant ces articles,
que personne n'avait le droit de préten-
dre s'y connaître en peinture.
En sculpture, au contraire, tout le
monde devrait être compétent, car tout
le monde a vu, en plus ou moins grand
nombre, des gens nus, et peut comparer.
Mais cela n'a encore servi de rien.
L'art du sculpteur, tel qu'on le prati-
que depuis la plus haute antiquité, est
aussi simple que celui du boulanger; il
consiste à modeler en marbre, en plâtre
ou en terre un homme ou une femme,
toujours le même ou la même, dans
deux ou trois mouvements qui ne va-
rient jamais.
Le sujet peut danser, se battre, pleu-
rer, rire, se fâcher ou supplier, sans
que la forme de son corps soit modifiée,
car rien ne ressemble moins à un
homme vivant qu'un homme sculpté.
L'homme vivant a loutes les tailles, tou-
tes les formes, toutes les proportions.
Il n'en est pas deux qui se ressemblent,
tandis que l'homme sculpté doit l'être
dans certaines conditions, toujours pa-
reilles, de beauté invraisemblable et
convenue qui fait des sculpteurs les
seuls idéalement momifiés ou pétrifiés
des artistes.
Depuis longtemps les écrivains ont
abandonné le héros plein de grandeur,
de beauté, de noblesse, de courage et
de générosité, qui sauve les jeunes fil-
les, arrête les chevaux emportés, tue
les traîtres, laisse intact, à force d'ar-
gent, l'honneur des pères à cheveux
blancs, compromis par des hommes
d'affaires, et épouse dans une apothéose
de vertu.
Depuis longtemps les peintres, aban-
donnant l'école du beau muscle et des
nobles attitudes dont Raphaël fut le plus
éminent vulgarisateur, se sont efforcés
d'exprimer toute la nature humaine et
de chercher dans le sens profond des
choses une beauté autre qûe la beauté
commune, visible pour tous et écœu-
rante pour les esprits délicats.
Mais le sculpteur continue, depuis l'é-
ternité, à sculpter le beau torse, le beau
bras et la belle jambe des statues grec-
aues, qui ne ressemblent pas plus à
1 humanité moderne qu'une étoile ne
ressemble à une tomate.
Et le public passe devant tous ces
marbres qui ont la même tête, les mê-
mes membres de Ja même longueur
mathématique , le même geste superbe
et gracieux, et il murmure, plein d'or-
gueil : « C'est rudement beau, un
homme ! »
Mais regarde-toi donc, imbécile, re-
garde ta femme, ta fille, ton fils, ton
père, ta mère, ta bonne, ton voisin. Y
en a-t-il un de vous qui ait des jambes
et des bras comme ceux-ci ? Regarde
les gens dans la rue, les échassiers qui
vont à longs pas, et les bedonnants qui
trottinent; va voir aux bains froids ceux
qui piquent des têtes en caleçon rouge;
rappelle-toi même les belles filles que
tu as pu connaître , les plus belles, les
plus vantées ; est-ce qu'elles ressem-
laient aux Vénus?
Mais si on les habillait, ces Vénus,
elles seraient larges comme des porte-
faix, car leurs bras, si gracieux à l'œil
dans les galeries des musées, sont plus
gros, le mètre à la main, que ceux des
hercules de foire !
Comment n'es-tu pas révolté, bon
public niais et gobeur, par toute cette
beauté ronde, par tous ces membres en
boudins, par tous ces Apollons et par
toutes ces déesses vulgaires.
Tiens, voici un homme, M. Mercié,
qui a osé sculpter deux morts, deux
morts illustres, tels qu'ils étaient : le roi
Louis-Philippe et la reine? Qu'en dis-tu ?
Ce que tu en dis? Tu admires l'ange
qui pleure derrière le couple royal, le
vieil ange que tu as vu cent mille fois ?
Et tu trouves qu'il fait repoussoir,
comme on dit en argot d'art.
Car la sculpture comme le théâtre
sont restés embourbés dans le fossé des
conventions alors que la peinture et le
roman s'efforcent de s'en dégager. Donc
la chose la plus intéressante parmi les
marbres, intéressante par la recherche
du vrai, du neuf, par la sincérité en
même temps que par l'admirable exé-
cution, est assurément l'œuvre de M.
Mercié.
L'envoi de M. de Saint-Marceaux,
« Danseuse arabe », est fort gracieux
et fort ingénieusement conçu.
M. Ferrary expose un groupe char-
mant, « Mercure et l'Amour, » d'un
mouvement aussi hardi que joli.
M. Falguière nous montre des fem-
mes qui se battent et il les nomme des
Bacchantes, uniquement parce qu'elles
sont nues. Cela m'étonne! C'est vrai-
ment un procédé commode de modeler
un fort de la Halle et de le baptiser
« Hercule », de faire une Diane avec la
petite au concierge d'en face, et d'em-
plir Paris de divinités à dix francs la
séance.
Pourquoi donc M. Falguière n'a-t-il
pas simplement inscrit au catalogue :
« Drôlesses nature qui se crêpent le
chignon? » On raconte (mais est-ce
vrai ?) que l'artiste avait un peu ce des-
sein et même qu'un petit lapin figurait
dans le groupe. Devant la pudeur indi-
gnée des vieilles barbes du jury, le lapin
dont on prétend encore .distinguer deux
pattes serait devenu une simple pomme
de pin.
Signalons une Diane surprise fort
jolie, d'une exécution savante et déli-
cate de Mlle Anne Manuela et un beau
buste de la même artiste.
Deux groupes fort intéressants de
Mlle M. Thomas : la « Chèvre Amalthée »
et « Au chenil».
Une figure nue : « Jeune Fille », et
aussi un buste de M. Faraill.
Un beau groupe tragique : « Virgi-
nius », de Mme Bloch.
Les ravissants médaillons de Mme
Paule Parent-Desbarres.
Un beau buste de M. Karl Ivel.
Une tête de paysanne en bronze de
M. Lafont.
Beaucoup de bustes d'ailleurs sont
des œuvres remarquables. Leur énumé-
ratipn serait longue, agréable seulement
aux artistes et aux propriétaires des
têtes exposées, mais fatigante pour le
public. Supprimons-la, et concluons.
*
* *
Donc, pour conclure, car il faut tou-
jours tirer la morale des choses, s'il se
se rencontrait jamais un ministre des
beaux-arts intelligent, il déciderait ceci :
- Il n'y a plus de ministre ni de di-
recteur des beaux-arts.
— Les beaux-arts cessent d'être pro-
tégés par l'Etat.
— Le Salon annuel est supprimé.
Ce ministre ne se rencontrera pas.
Le Salon annuel est, en effet, la con-
séquence directe de la peinture protégée
à la façon de l'agriculture et de la pros-
titution.
Or, quand le protecteur se trouve to-
talement inférieur au protégé, moins
compétent et moins instruit, cette si-
tuation anormale peut amener de gra-
ves inconvénients.
Mais l'incompétence absolue des mi-
nistres et directeurs des beaux-arts
étant devenue trop éclatante, on a créé
parallèlemenf une Société des artistes
chargée d'organiser le Salon, ce qui
équivalait à remplacer des sourds-muets
par les ouvriers de la tour de Babel.
Le principe du Salon n'était pas at-
teint.
Mais le Salon produit les résultats
suivants :
1° Mépris de la peinture par la foule
qui confond ce concours avec ceux des
volailles grasses, des primeurs, des
beurres et des orphéons ;
2* Développement chez les peintres
d'une acrobatie particulière, nécessaire
pour décrocher les médailles suspen-
dues par l'Etat au sommet de ce mât
de cocagne englué de couleur à l'huile.
Les peintres en effet, demeurés de
petits collégiens, attendent la distribu-
tion des prix qui leur apportera l'estime
méprisable, mais dorée, du public, et ils
deviennent des forts en thème au lieu
de devenir des artistes.
Le sujet change, mais le thème du
Salon reste le même.
La première condition pour être vu,
remarqué, et prendre rang, c'est de
faire grand. Et ils font grand, Lacre-
bleu ! les matins !
De sorte que les miniaturistes de-
lix-septiôme année. — Ne 5243 P-rix du numéro à Paris : 15 ceulimgs , départements : 20 centimes Mardi 18 mai 1886
f W TÏ¥E Cï.'tpï W
JOURNAL RÉPUBLICAIN
RÉDACTION
j'adresser au Secrétaire de la Rédaction
de 2 heures à minuit
16, r"U.e Cadet, 16
1 - Directeur politique :
A. EDOUARD PORTALIS
ABONNEMENTS
DEPARTEMENTS
Troismots. 2 3s » »
Six mois. 32 n"
Un an. 62 »>,
PAlif S *
Trois mois. i c »»
Six mois £ 5 »»
Un au. 30 "n
Supplément pr rttrangüf 1 Europe) 1 f.. par trimestre
Les abonncmts partent des Ie-" fit 15 de chaque mois
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Adresser les Lettres et Mandats à l'Administrateur
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RÉGISSEURS D'ANNONOES:
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6, place de la Bourse, 6
BULLETIN
Le Journal officiel a publié hier un rap-
port adressé au ministre de la marine et
des colonies sur l'exposition coloniale
étrangère à Anvers. Nous donnerons de-
main une analyse détaillée de cet intéres-
sant document.
La situation ne s'est pas sensiblement
modifiée en Grèce. Le blocus est exercé
rigoureusement et les populations des îles
commencent à en éprouver le4* effets : les
vivres manquent dans quelques parties du
royaume. L'ardeur belliqueuse de ces
jours derniers a fait place à un découra-
gement qui n'est que trop justifié. La po-
pulation voit très nettement qu'elle a tout
à perdre dans la lutte folle où une politi-
que imprudente a failli engager la Grèce.
Elle ne demande qu'à sortir de l'impasse
où l'obstination de M. Delyannis a acculé
le pays.
Le gouvernement est plus que jamais
disposé à donner satisfaction à ce besoin
de repos qui se manifeste de façon non
équivoque. D'après une dépêche de Vienne,
le nouveau cabinet aurait donné des or-
dres télégraphiques au sujet du désarme-
ment. Ces ordres auraient pour objet de
préparer la démobilisation, si la Chambre
émet le vote favorable qui lui sera de-
mandé par le cabinet, le jour même de
l'ouverture de la session.
C'est la Chambre qui tient entre ses mains
les destinées de la Grèce, on peut le dire
sans rien exagérer.
Les politiciens de tous les partis nouent
des intrigues en vue de la réunion de
la Chambre.
Les partisans de M. Delyannis n'ont pas
renoncé à l'espoir d'être en majorité. M.
Tricoupis fait faire par ses amis une cam-
pagne de dissolution qui a surtout pour
objet de disloquer la majorité sur laquelle
s'appuie M. Delyannis. Placés dans l'alter-
native de soutenir la politique de M. De-
lyannis, — ce qui équivaudrait à une dé-
claration de guerre, - ou de prendre parti
pour le cabinet Valvis, — qu'on a déjà es-
sayé de rendre impopulaire en le dési-
gnant sous le nom de cabinet de la sou-
mission, — dans cette alternative, disons-
nous, bon nombre de députés prendront
un terme moyen et se rallieront à toute
proposition qui fournirait au roi le pré-
texte d'une dissolution.
D'après les avis de Constantinople, des
négociations se poursuivent entre les puis-
sances pour trouver un moyen de faciliter
à la Grèce la lâche du désarmement. Le
ministre de Russie en Grèce vient de re-
joindre son poste.
« Le retour de M. Butzow, à Athènes,
et l'entrevue que l'on annonce de ce mi-
nistre avec le roi Georges, sont considérés
dit le Standard, comme un acte de con-
ciliation des puissances et tendant à ame-
ner une solution satisfaisante des difficul-
tés actuelles.»
Nous ne pouvons que faire des vœux
pour quele ministre russe mène à bien la
mission officieuse dont on le dit chargé.
La discussion du bill sur l'Irlande a été
reprise hier. M. Cross a combattu avec
vigueur le projet relatif à l'établissement
du home rule. M. Stansfeld, au contraire, a
pris énergiquement parti pour la politique
du gouvernement et attaqué avec la der-
nière vivacité le discours du marquis de
Salisbury « dont la témérité calculée dé-
passe tout ce que peut avoir jamais dit
un parnelliste ». Les menaces proférées
contre la nation irlandaise, a ajouté M.
Stansfeld, auraient pius fait pour le succès
du parti libéral que tous les efforts ten-
tés par M. Gladstone lui-même. Au sur-
plus, l'autonomie de l'Irlande n'équivaut
pas à la désagrégation de l'empire, comme
on affecte de le dire.
Cette allusion transparente à la doctrine
professée par M. Chamberlain et ses amis
a été chaleureusement applaudie par les
parnellistes et une fraction du parti radi-
cal. Il ne semble pas pourtant que te dis-
cours de M. Stansfeld ait modifié le sen-
timent de la majorité qui, après comme
avant, paraît hostile au vote du bill.
LOUIS HENRIQUE.
INFORMATIONS PARTICULIÈRES
Déplacements ministériels
Contrairement à ce qui a été annoncé, M.
Sarrien n'ira pas au Havre ; c'est M. de La
Porte, sous-secrétaire d'Etat aux colonies, qui
accompagnera MM. Granet et Lockroy.
Les ministres seront de retour à Paris le
lendemain soir.
En outre, M. Lockroy se rendra le 5 juin à
Limoges pour présider le lendemain la distri-
bution des récompenses du concours ré-
gional
M. Goblet, ministre de l'instruction publi-
que, qui assistait dimanche à l'inauguration
du groupe scolaire de la commune de Beau-
champ-le-Vieux, près d'Amiens, est rentré
hier soir à Paris.
Départ de M. Filippini
M. Filippini, gouverneur de la Cochinchine,
s'est embarqué hier à Ajaccio pour se ren-
dre à Marseille. M. Filippini partira pour re-
prendre son poste par le paquebot du 23
mai.
Le conseil général de la Seine
Le conseil général de le Seine s'est réuni
hier à trois heures, sous la présidence de M.
Rousselle.
Dès l'ouverture de la séance, le président
a déclaré que, le bureau du conseil n'ayant
pas été consulté sur la date de la convoca-
tion, il considérait cette convocation comme
nulle.
Aussitôt M. Darlot a déposé l'ordre du jour
suivant :
« Le conseil, considérant qu'en convoquant
le conseil général sans en avoir référé au
bureau M. le préfet de la Seine a manqué
aux usages et aux convenances, estime qu'il
n'y a pas lieu de siéger aujourd'hui et charge
son bureau de fixer le jour de la prochaine
iéance. »
Une demande de scrutin sur cet ordre du
jour a été déposée.
M. le préfet de la Seine a demandé la pa-
role pour expliquer les motifs qui avaient
porté le gouvernement à convoquer le conseil
général.
Le président lui a refusé la parole, ainsi
qu'aux autres membres qui voulaient parler
pendant le vote.
Finalement, l'ordre du jour de M. Darlot a
été adopté par 87 voix contre 3.
La séance a été levée à trois heures et
quart.
Nous rappellerons que le texte de la loi de
1830, concernant les conseils généraux, auto-
rise ie préfet à être entendu lorsqu'il le de-
mande.
Les cartes postales
M. Granet, ministre des postes et télégra-
phes, soumettra à ses collègues, aujourd'hui,
au conseil des ministres qui aura lieu sous la
présidence de M. Jules Grévy, le texte de son
arrêté sur les cartes postales fermées à 15
centimes.
Ces nouvelles cartes seront mises en circu-
lation le 25 mai très probablement.
Les anciennes cartes dont se sert actuelle-
ment le public ne seront pas supprimées.
La question des Nouvelles-Hébrides
On assure dans les cercles diplomatiques
que sous très peu de jours l'Angleterre aura
fait parvenir à la France l'avis officiel de son
acquiescement à l'annexion des Nouvelles-
Hébrides.
- '■■■—--- — — 1
QUESTIONS DU JOUR
LE FOUET
Tantôt, je suis resté rêveur devant un
fait divers du dernier numéro de la Re-
vue pédagogique.
Il faut savoir que les châtiments cor-
porels sont autant que jamais en vi-
gueur dans les écoles allemandes. Châ-
timents corporels, aliàs le fouet, pour
parler en langue vulgaire. Si l'écolier ne
sait pas sa leçon ou s'il n'a pas fait son
devoir, l'instituteur lui administre ce
qu'on appelle une fessée, accompagnée
d'un discours éloquent. C'est comme un
avant-goût d'exercice à la prussienne.
Or il paraît que ce régime commence
à déplaire aux familles. J'imagine que
les maîtres d'école allemands doivent
souvent l'appliquer, d'ailleurs, avec une
brutalité d'anciens caporaux. Tant il y a
que l'on signale, en Allemagne, une
« agitation » contre les châtiments cor-
porels, pour employer le mot à la mode.
De leur côté, les instituteurs prussiens
se sont émus; ils ont tenu un congrès,
ni plus ni moins, et ont formulé des con-
clusions en douze articles :
1° On ne peut, de l'avis de presque tous les
pédagogues pratiques, supprimer ni dans la
maison ni dans l'école les châtiments corpo-
rels, bien que certains s'efforcent de les dis-
créditer comme des moyens surannés et gros-
siers ;
20 La loi civile les permet et la !oi divine
les commande :
3° S'opposer à l'application des châtiments
corporels dans les écoles primalre, c'est se
mettre en opposition avec l'expérience des
pédagogues et les commandements de la
Sainte-Ecriture.
Je vous fais grâce des neuf autres
articles, qui ne sont, d'ailleurs, en tout
point, que la conséquence ou le déve-
loppement des trois premiers.
J'ai à peine besoin d'ajouter que les
instituteurs prussiens ont l'appui du
gouvernement qui encourage ce zèle de
fustigation, et l'on n'a pas de peine à
deviner pourquoi : c'est qu'on croit que
la monarchie, par ce procédé d'éduca-
tion, se préparera des sujets soumis :
l'école, à ce point de vue spécial, est
considérée comme un établissement
d'entraînement à la servitude.
Il est facile, après cela, de se rendre
compte des principes qui ont présidé à
l'organisation de l'enseignement pri-
maire actuel en Allemagne. On a eu
deux desseins que l'on a cru pouvoir
poursuivre parallèlement : 1° donner aux
écoliers une aussi bonne instruction
que possible dans l'intérêt de l'agricul-
ture, de l'industrie et du commerce,
parce qu'on a reconnu la supériorité
des races instruites sur les races igno-
rantes ; 2° maintenir néanmoins dans la
nation, par un abaissement des carac-
tères auquel tout doit concourir dès
l'enfance, un esprit de discipline pas-
sive qui mette l'empire à l'abri de tous
dangers libéraux et démocratiques.
Ainsi l'on voudrait bien en même
temps élever le niveau de l'instruction
populaire et se prémunir cependant
contre les velléités d'affranchissement
qui naîtraient sans doute dans de jeu-
nes esprits désormais ouverts à toutes
les suggestions de la lecture. Contra-
diction !
A se placer au point de vue du des-
potisme impérial allemand, le rêve est
intéressant, mais il est utopique. On ne
trouvera pas de combinaison qui empê-
che, dans un pays de gouvernement
despotique, la diffusion de l'enseigne-
ment d'être un péril. Il n'y aura point
de contrainte morale ni de châtiments
corporels qui tiennent : vos jeunes gé-
nérations finiront par vous échapper
malgré les verges. Vous poursuivriez
l'accomplissement d'un projet chiméri-
que en cherchant la future prospérité
de l'Allemagne dans l'union de ce qu'il
y a de plus incompatible au monde :
l'instruction populaire et la servitude.
C'est un rêve qui sera toujours suivi,
pour la monarchie, d'un dur réveil. En
dépit de la servilité de ses instituteurs,
c'est donc contre lui-même que l'empire
allemand a travaillé en multipliant les
écoles. On disait à Berlin, il y a vingt
ans, que le maître d'école prussien avait
gagné la bataille de Sadowa. Il est très
probable que, dans vingt ans, sans le
vouloir peut-être et sans même s'en
douter, le même maître d'école aura
gagné encore une bataille, mais d'un
autre genre : celle de la démocratie con-
tre le trône.
L'instruction populaire perdra tou-
jours les monarchies; c'est dans son
essence, et ce n'est que l'affaire d'un
temps relativement court. D'ailleurs la
destruction de la monarchie ne sera pas
l'œuvre seulement de l'instruction po-
pulaire, mais de tout progrès et de tout
contact avec le progrès. Ceci me rap-
pelle une belle page de Chateaubriand
qui, sans toujours savoir régler sage-
ment sa propre conduite, vit parfois,
dans l'avenir des nations, si loin et si
juste.
« Les rois croient, disait-il, qu'en fai-
sant sentinelle autour de leur trône,
ils arrêteront les mouvements de l'in-
telligence. Ils les feront saisir aux fron-
tières. Ils se persuadent qu'en multi-
pliant les douanes, les gendarmes, les
espions de la police, les commissions
militaires, ils les empêcheront de cir-
culer. Mais les idées ne marchent pas
qu'à pied : elles sont dans l'air, elles vo-
lent, on les respire. Les gouvernements
absolus, qui établissent des télégraphes,
des chemins de fer, des bateaux à va-
peur, et qui veulent en même temps re-
tenir les esprits au niveau des dogmes
politiques du xiv" siècle, sont inconsé-
quents ; à la fois progressifs et rétro-
grades, ils se perdent dans la confu-
sion résultant d'une théorie et d'une
pratique contradictoires, »
Ce que dit Chateaubriand des che-
mins de fer- et des télégraphes se peut
dire, à bien plus forte raison, des écoles.
Les lignes précédentes datent de 1833,
et la même année, Châteaubriand écri-
vait encore :
« Puisque aucun pouvoii parmi nous
n'est inviolable, puisque le sceptre hé-
réditaire est tombé quatre fois en trente-
huit années, puisque le bandeau royal
attaché par la victoire s'est dénoué deux
fois de la tête de Napoléon, puisque la
souveraineté de Juillet a été incessam-
ment assaillie, il faut en conclure que
ce n'est pas la République qui est im-
possible, mais là monarchie ! Le parti
démocratique est le seul en progrès,
parce qu'il marche vers le monde fu-
tur. »
La prédiction s'est admirablement ac-
complie chez nous, où, quinze ans après,
reparaissait une aurore républicaine.
Nous subîmes ensuite, à la vérité, dix-
huit ans d'Empire ; mais le drapeau de
la troisième République, à cette heure,
est planté si profondément dans notre
sol, qu'il défie les tempêtes. La démo-
cratie lui a fait un rempart solide.
Mais, me direz-vous, que nous voilà
donc loin des écoles allemandes !
Pas tant que l'on croirait. Ce que je
voulais rappeler, c'est qu'il n'y a pas de
gouvernement qui ait la puissance d'as-
socier utilement deux principes opposés,
qui se tuent l'un l'autre : le despotisme
et le progrès intellectuel. Comme le dit
si bien Chateaubriand, c'est une uto-
pie de vouloir être à la fois progressif
et rétrograde. Du moment où l'Allema-
gne a ouvert des milliers d'écoles à ses
jeunes générations, c'est comme si elle
les avait vouées à un avenir démocratique
plus ou moins prochain, mais qui sera
la conséquence naturelle et forcée de
la diffusion des connaissances. Allez-y du
fouet, allez-y du bâton, vous ne détrui-
rez pas désormais l'œuvre de votre pro-
pre enseignement primaire. Il y a là
matière à philosopher pour les observa-
teurs, et, sous quelque face qu'on re-
tourne la question, l'on arrivera, comme
Chateaubriand, à conclure que, dans
l'état de nos civilisations modernes,
c'est la République qui doit vivre et la
monarchie qui doit mourir.
EUG. LlÉBERT.
:
LA COMMISSION DU BUDGET
La commission du budget a repris hier
ses travaux. Jusqu'ici, elle ne s'était occu-
pée que de l'emprunt et elle n'a pas en-
core commencé l'examen du budget de
1887. La session est déjà bien avancée;
elle se terminera sans doute assez tôt à
cause des élections des conseils généraux.
Nous voici donc dès maintenant à peu près
certain, d'avoir une session d'automne lon-
gue et chargée.
L'habitude s'accentue de plus en plus de
réserver pour cette session extraordinaire,
et qui ne devrait être en quelque sorte
qu'exceptionnelle, la plus importante des
discussions, celle qui devrait être la plus
sérieusement étudiée. Chaque année, il
faut, au dernier moment, courir la poste
et voter précipitamment. Encore n'arrive-
rait-on pas à temps, si le Sénat ne faisait
preuve de bonne volonté et si la commis-
sion des finances ne préparait son travail
d'avance et sans attendre que le projet
soit déposé sur le bureau du Sénat.
Ce mode de procéder est regrettable à
tous égards et en tout temps ; mais cette
année les inconvénients en seraient encore
plus grands qu'ils ne le sont d'ordinaire.
Quand une Chambre est aux affaires de-
puis quelque temps, elle s'est fait une po-
litique financière ; elle l'a appliquée et
elle n'a plus qu'à persévérer dans sa tradi-
tion. Il n'en est pas ainsi pour le moment.
La Chambre comprend beaucoup de mem-
bres qui n'appartenaient pas à ses devan-
cières; elle a besoin de se familiariser
avec le mécanisme du budget. En outre,
il y a deux ans qu'il n'y a pas eu, à propre-
ment parler, de discussion financière à la
Chambre. Le budget de 1886 a été voté à
la fin de la session ordinaire de l'année
dernière et avant les élections. Il était
presque exactement calqué sur celui de
1885 qui avait été lui-même voté fort tar-
divement, au commencement de cette
même session. Le gouvernement d'alors
avait été d'avis qu'il n'y avait pas lieu
d'aborder l'examen des problèmes finan-
ciers et qu'il convenait de laisser la nou-
velle Chambre libre de les résoudre à son
gré.
Il faut donc, à l'heure actuelle, que la
Chambre examine attentivement ces ques-
tions réservées et qu'elle se prononce sur
les réformes proposées par le gouverne-
ment. Certains points peuvent prêter à
des discussions importantes. La réforme
de l'impôt sur les boissons, les modifica-
tions relatives aux trésoriers-payeurs gé-
néraux, la suppression du budget extraor-
dinaire, sont des questions qui ne sau-
raient être étudiées de trop près. Ces
discussions et bien d'autres encore, où la
politique n'est pas moins engagée que
l'administration financière, réclameront
beaucoup de temps ; si l'on n'y prenait
garde, on arriverait bien facilement au
bout de l'année sans avoir rien résolu, et
il faudrait recourir à l'expédient des dou-
zièmes provisoires.
Ce serait un fâcheux début pour une
Chambre qui a annoncée qu'elle voulait
avoir une politique financière et dont la
principale tâche doit être de faire dispa-
raître de nos budgets les irrégularités que
les réactionnaires se sont plu à exagérer
pendant la période électorale et qui ont
été une de leurs armes les plus puissantes
contre nous. Cette tâche doit suffire aux
ambitions de la Chambre et elle ne sau-
rait trop se hâter de se mettre à l'œuvre.
Aussi nous voulons espérer que les incer-
titudes qui se sont produites dans la com-
mission du budget lors de la discussion
de l'emprunt ne se renouvelleront pas et
que cette commission fera tous ses efforts
pour mettre la Chambre en mesure de
commencer le plustôt possible la discus-
sion de la loi de finances.
-«»- —-
Le conseil général avait été convoqué pour
hier afin d'étudier certaines questions urgen-
tes et notamment celle du Métropolitain. Mais
il paraît que l'administration avait commis
une faute grave. Elle avait convoqué le con-
seil, ainsi que la loi de 1833, art. 12, et la loi
du 21 septembre 1871, art. 2, lui en donnent
le droit. Seulement elle avait oublié de con-
sulter les convenances du conseil général.
C'est du moins ce que le bureau prétend, tan-
dis que le préfet maintient qu'il avait donné
officieusement avis de la convocation au pré-
sident du conseil général.
Quoi qu'il en soit, le conseil général, à peine
réuni, a été saisi d'une proposition de M.
Darlot tendant à faire déclarer que, le bureau
n'ayant pas été consulté, la convocation était
nulle. Lo préfet a voulu prendre la parole
pour expliquer l'objet de la convocation. Il
était encore dans son droit. La loi de 1833,
art. 12, porte que le préfet est entendu quand
il le demande. Mais le président du conseil
général de la Seine a refusé la parole au pré-
fet. Finalement, la proposition de M. Darlot a
été adoptée. Mais, aussitôt après, le bureau a
décidé que le conseil général siégerait de-
main et que le procès-verbal ne mentionne-
rait pas le compte rendu de la séance.
De son côté, le conseil municipal, dans la
séance qui a suivi, a émis un vote de blâme
contre ie préfet auquel il reprochait égale-
ment un manque d'égards.
AU SALON
V
Réparons deux oublis en mentionnant
un charmant tableau de Mme Marguerite
Ruffo, « la Veuve », et un joli paysage
de M. Darasse; et, avant de passer aux
portraits, citons deux très remarquables
tableaux de peinture militaire.
La « Ligne de feu », de M. Jeanniot.
En plein soleil, dans un air blanchi par la
lumière crue et la poudre, les hommes
tirent. Il en reste peu, presque tous sont
morts. Au premier plan, un soldat abattu
sur la face tient à deux mains, d'un geste
terrible et vrai, sa tête où vient d'en-
trer une balle. Le clairon, hagard et
tombé, ne sonne plus. Seuls quelques
hommes continuent à se battre.
De M. Médard, une « Armée en re-
traite», qui s'en va comme un troupeau,
abattue, pressée, lasse, accablée.
Je n'ai cité à dessein que ces deux
œuvres qui sont fort belles, la peinture
militaire étant presque toujours de la
peinture officielle. J'ai parlé ailleurs de
l'eeuvre magistrale de M. Protais.
Je passerai donc devant toutes les
manifestations patriotiques en couleur,
chères aux protecteurs de la peinture à
l'huile, pour m'arrêter cependant devant
une toile où j'ai cru démêler des sym-
boles nro fond s.
Dans une plaine immense, vrai champ
de bataille où les brins de paille sortent
de terre comme des tuyaux de pipe,
deux armées se sont rencontrées, une
de dindons noirs, l'autre de dindons
blancs.
Et, pendant que les femelles attenti-
ves regardent, les mâles se sont atta-
qués et combattent, M. Schenck a nom-
mé cela « la Lutte ». — Quelle lutte,
monsieur? La lutte du noir contre le
blanc? de l'ignorance contre la science?
des ténèbres contre la lumière? des
barbares contre les civilisés? de l'Alle-
magne contre la France? du Nord con-
tre le Midi? du mal contre le bien?
N'est-ce pas, oui, n'est-ce pas que je
vous ai compris?Les dindons noirs sont
la barbarie et les dindons blancs la ci-
vilisation?
C'est à cette peinture allégorique et
simple que le ministre, s'il était seul
juge, donnerait assurément la médaillle
d'honneur.
Animaliers et portraitistes. - Bêtes
et hommes.
Toutes les grandes qualités de M. Bon-
nat se trouvent réunies dans le superbe
portrait de M. Pasteur qu'il expose cette
année. Un autre portrait de M. Pasteur
par M. Edelfelt révèle chez ce jeune
peintre un éminent artiste.
Un homme, qui n'est plus un débu-
tant, M. Cabanel, semble cependant
débuter avec les portraits du fondateur
et de la fondatrice des Petites-Sœurs
des pauvres. Ce couple de religieux
restera comme une des bonnes choses
de ce temps-ci.
M. Barillot nous montre des vaches
très remarquables; M. Hermann (Léon),
un marché aux chevaux plein de mou-
vement et de talent ; M. Tuxen, un ex-
cellent portrait de femme ; M. Girardin,
une fort bonne tête de vieille ; M. Lan-
delle, un poétique aveugle du désert;
M. Duez, une charmante femme tout
en rouge, couchée sur un divan rouge,
dans un boudoir rouge, enfin ce qu'on
appelle une symphonie de rouges déli-
cieuse.
M. Roll expose un admirable portrait
de M. Damoye, et M. Gervex un petit
paysage d'une saisissante vérité, où se
tient debout, en plein air, en pleine lu-
mière, en pleine atmosphère de campa-
gne, M. Hauch, un de ses amis. On re-
marque encore de bonnes figures de
femmes de MM. Alaux et Agache, et le
portrait de Mme Pasca par Mlle du Mes-
gnil. C'est Mme Pasca en mère de
clown, comme on l'a dit, ou plutôt Mme
Pasca gelée à son retour de Russie, ce
qu'indiquent les mains serrées contre le
corps et la quantité de fourrures dont
l'a couverte maladroitement l'artiste.
Elle a bien froid, car elle est bien pâle,
la pauvre femme, malgré toutes ces
fourrures que remplaceraient avec avan-
tage quelques dentelles de Doucet.
ta Remarquons encore en première ligne
deux fort beaux portraits de M. Layraud,
celui d'une très jolie femme, Mlle d'An-
glar et celui de notre confrère bien
connu M. Alexandre Hepp; puis deux
études charmantes de M. Lafranchise,
« la Mère gracieuse » et « la Fille du
phare » ; l'excellent portrait de M. Paul
Mounet, par M. Boutet de Monvel ; un
ravissant portrait de femme par Mlle
Julia Marest ; d'une autre jeune artiste,
Mlle Paraf-Javal, un autre très bon por-
trait.
Ceux de M. Jacques Blanche révèlent
un véritable artiste ; celui de Mlle Veg-
man est fort bon, et l'apparition des-
cendue par la cheminée, si noire de
suie qu'on la voit à peine, que nous
montre M. Whistler, dénote un peintre
bizarre, mais des plus intéressants.
Un fort bon portrait de Mlle Boucher-
Ourliac, deux autres de M. Vergèsos,
un autre de M. PauldeKatow, une char-
mante Femme turque de Mlle Mégret.
Gardons pour la fin les deux superbes
toiles d'un maître toujours admiré, M.
Carolus Dur an.
Note. — On dit (mais la nouvelle mé-
rite confirmation) qu'à la suite de son ex-
position de cette année M. Besnard vient
d'être nommé peintre attaché à l'éta-
blissement thermal de Vichy, — mala-
dies du foie, — sécrétions biliaires, jau-
nisse, etc., etc.
X. groupe. — Fumistes et déments.
Trop nombreux pour être cités.
SCULPTURE
J'ai écrit, en commençant ces articles,
que personne n'avait le droit de préten-
dre s'y connaître en peinture.
En sculpture, au contraire, tout le
monde devrait être compétent, car tout
le monde a vu, en plus ou moins grand
nombre, des gens nus, et peut comparer.
Mais cela n'a encore servi de rien.
L'art du sculpteur, tel qu'on le prati-
que depuis la plus haute antiquité, est
aussi simple que celui du boulanger; il
consiste à modeler en marbre, en plâtre
ou en terre un homme ou une femme,
toujours le même ou la même, dans
deux ou trois mouvements qui ne va-
rient jamais.
Le sujet peut danser, se battre, pleu-
rer, rire, se fâcher ou supplier, sans
que la forme de son corps soit modifiée,
car rien ne ressemble moins à un
homme vivant qu'un homme sculpté.
L'homme vivant a loutes les tailles, tou-
tes les formes, toutes les proportions.
Il n'en est pas deux qui se ressemblent,
tandis que l'homme sculpté doit l'être
dans certaines conditions, toujours pa-
reilles, de beauté invraisemblable et
convenue qui fait des sculpteurs les
seuls idéalement momifiés ou pétrifiés
des artistes.
Depuis longtemps les écrivains ont
abandonné le héros plein de grandeur,
de beauté, de noblesse, de courage et
de générosité, qui sauve les jeunes fil-
les, arrête les chevaux emportés, tue
les traîtres, laisse intact, à force d'ar-
gent, l'honneur des pères à cheveux
blancs, compromis par des hommes
d'affaires, et épouse dans une apothéose
de vertu.
Depuis longtemps les peintres, aban-
donnant l'école du beau muscle et des
nobles attitudes dont Raphaël fut le plus
éminent vulgarisateur, se sont efforcés
d'exprimer toute la nature humaine et
de chercher dans le sens profond des
choses une beauté autre qûe la beauté
commune, visible pour tous et écœu-
rante pour les esprits délicats.
Mais le sculpteur continue, depuis l'é-
ternité, à sculpter le beau torse, le beau
bras et la belle jambe des statues grec-
aues, qui ne ressemblent pas plus à
1 humanité moderne qu'une étoile ne
ressemble à une tomate.
Et le public passe devant tous ces
marbres qui ont la même tête, les mê-
mes membres de Ja même longueur
mathématique , le même geste superbe
et gracieux, et il murmure, plein d'or-
gueil : « C'est rudement beau, un
homme ! »
Mais regarde-toi donc, imbécile, re-
garde ta femme, ta fille, ton fils, ton
père, ta mère, ta bonne, ton voisin. Y
en a-t-il un de vous qui ait des jambes
et des bras comme ceux-ci ? Regarde
les gens dans la rue, les échassiers qui
vont à longs pas, et les bedonnants qui
trottinent; va voir aux bains froids ceux
qui piquent des têtes en caleçon rouge;
rappelle-toi même les belles filles que
tu as pu connaître , les plus belles, les
plus vantées ; est-ce qu'elles ressem-
laient aux Vénus?
Mais si on les habillait, ces Vénus,
elles seraient larges comme des porte-
faix, car leurs bras, si gracieux à l'œil
dans les galeries des musées, sont plus
gros, le mètre à la main, que ceux des
hercules de foire !
Comment n'es-tu pas révolté, bon
public niais et gobeur, par toute cette
beauté ronde, par tous ces membres en
boudins, par tous ces Apollons et par
toutes ces déesses vulgaires.
Tiens, voici un homme, M. Mercié,
qui a osé sculpter deux morts, deux
morts illustres, tels qu'ils étaient : le roi
Louis-Philippe et la reine? Qu'en dis-tu ?
Ce que tu en dis? Tu admires l'ange
qui pleure derrière le couple royal, le
vieil ange que tu as vu cent mille fois ?
Et tu trouves qu'il fait repoussoir,
comme on dit en argot d'art.
Car la sculpture comme le théâtre
sont restés embourbés dans le fossé des
conventions alors que la peinture et le
roman s'efforcent de s'en dégager. Donc
la chose la plus intéressante parmi les
marbres, intéressante par la recherche
du vrai, du neuf, par la sincérité en
même temps que par l'admirable exé-
cution, est assurément l'œuvre de M.
Mercié.
L'envoi de M. de Saint-Marceaux,
« Danseuse arabe », est fort gracieux
et fort ingénieusement conçu.
M. Ferrary expose un groupe char-
mant, « Mercure et l'Amour, » d'un
mouvement aussi hardi que joli.
M. Falguière nous montre des fem-
mes qui se battent et il les nomme des
Bacchantes, uniquement parce qu'elles
sont nues. Cela m'étonne! C'est vrai-
ment un procédé commode de modeler
un fort de la Halle et de le baptiser
« Hercule », de faire une Diane avec la
petite au concierge d'en face, et d'em-
plir Paris de divinités à dix francs la
séance.
Pourquoi donc M. Falguière n'a-t-il
pas simplement inscrit au catalogue :
« Drôlesses nature qui se crêpent le
chignon? » On raconte (mais est-ce
vrai ?) que l'artiste avait un peu ce des-
sein et même qu'un petit lapin figurait
dans le groupe. Devant la pudeur indi-
gnée des vieilles barbes du jury, le lapin
dont on prétend encore .distinguer deux
pattes serait devenu une simple pomme
de pin.
Signalons une Diane surprise fort
jolie, d'une exécution savante et déli-
cate de Mlle Anne Manuela et un beau
buste de la même artiste.
Deux groupes fort intéressants de
Mlle M. Thomas : la « Chèvre Amalthée »
et « Au chenil».
Une figure nue : « Jeune Fille », et
aussi un buste de M. Faraill.
Un beau groupe tragique : « Virgi-
nius », de Mme Bloch.
Les ravissants médaillons de Mme
Paule Parent-Desbarres.
Un beau buste de M. Karl Ivel.
Une tête de paysanne en bronze de
M. Lafont.
Beaucoup de bustes d'ailleurs sont
des œuvres remarquables. Leur énumé-
ratipn serait longue, agréable seulement
aux artistes et aux propriétaires des
têtes exposées, mais fatigante pour le
public. Supprimons-la, et concluons.
*
* *
Donc, pour conclure, car il faut tou-
jours tirer la morale des choses, s'il se
se rencontrait jamais un ministre des
beaux-arts intelligent, il déciderait ceci :
- Il n'y a plus de ministre ni de di-
recteur des beaux-arts.
— Les beaux-arts cessent d'être pro-
tégés par l'Etat.
— Le Salon annuel est supprimé.
Ce ministre ne se rencontrera pas.
Le Salon annuel est, en effet, la con-
séquence directe de la peinture protégée
à la façon de l'agriculture et de la pros-
titution.
Or, quand le protecteur se trouve to-
talement inférieur au protégé, moins
compétent et moins instruit, cette si-
tuation anormale peut amener de gra-
ves inconvénients.
Mais l'incompétence absolue des mi-
nistres et directeurs des beaux-arts
étant devenue trop éclatante, on a créé
parallèlemenf une Société des artistes
chargée d'organiser le Salon, ce qui
équivalait à remplacer des sourds-muets
par les ouvriers de la tour de Babel.
Le principe du Salon n'était pas at-
teint.
Mais le Salon produit les résultats
suivants :
1° Mépris de la peinture par la foule
qui confond ce concours avec ceux des
volailles grasses, des primeurs, des
beurres et des orphéons ;
2* Développement chez les peintres
d'une acrobatie particulière, nécessaire
pour décrocher les médailles suspen-
dues par l'Etat au sommet de ce mât
de cocagne englué de couleur à l'huile.
Les peintres en effet, demeurés de
petits collégiens, attendent la distribu-
tion des prix qui leur apportera l'estime
méprisable, mais dorée, du public, et ils
deviennent des forts en thème au lieu
de devenir des artistes.
Le sujet change, mais le thème du
Salon reste le même.
La première condition pour être vu,
remarqué, et prendre rang, c'est de
faire grand. Et ils font grand, Lacre-
bleu ! les matins !
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