Titre : Le XIXe siècle : journal quotidien politique et littéraire / directeur-rédacteur en chef : Gustave Chadeuil
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1885-06-18
Contributeur : Chadeuil, Gustave (1821-1896). Directeur de publication
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Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
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Description : 18 juin 1885 18 juin 1885
Description : 1885/06/18 (A15,N4912). 1885/06/18 (A15,N4912).
Droits : Consultable en ligne
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Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-199
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 09/04/2013
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Quinzième année. — Na 4912 ferk M iuméro à P" : 1 £ œntimei ««- Départements ! 20 éeittiméi Jeudi 18 luiri 1885
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JOURNAL RÉPUBLICAIN CONSERVATEUR
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Et 15, Tichborne Street, (Café Monico. 2d.)
SOMMAIRE ..,,
Dernières nouvelles.
Bulletin
Le Pilori. — HENRY FOUQUIER.
Une lettre signée « Bazaine H. — H. F.
L'Unification dss retraites. — LÉo BIRON.
Manteuffel. — JUSSY.
Courrier du Sénat. — A. LANDRlN.
Nouvelles parlementaires.
Nouvelles de Chine.
Nouvelles coloniales.
Le Syndicat des Panoramas. — P. M.
Informations.
Mouvement judiciaire.
Chronique. — PAUL GINISTY.
Journée de Paris. — CANALIS.
Revue de la presse. — NACHETTE.
Le Choléra en Espagne.
Variétés littéraires. — JULES LEMAITRE. &
Une préface d'Emile Augier.
Documents parlementaires.
Courrier de la Bourse. — H. LE FAURE.
Le Sport du jour. — FAVELLES.
Nouvelles judiciaires..
Faits divers.
Courrier des théâtres. — GEORGES FEYDEAU.
Feuilleton : Suzette. — DUBUT DE LAFOREST.
DERNIÈRES NOUVELLES
LE CABINET MANCINI
La Chambre a adopté, au scrutin secret,
le budget des affaires étrangères, mais à
quatre voix seulement de majorité, 163
contre 159.
L'Opinione et la Tribuna affirment que
• le bruit courait à la Chambre que le mi-
nistère donnerait sa démission à la suite du
vote d'aujourd'hui.
L'INCIDENT DE TUNIS
Les membres du bureau nommé par la
réunion qui vota un témoignage de sym-
pathie à l'armée adressent au président
du tribunal une lettre dans laquelle ils
affirment leur respect et leur estime pour
la justice française.
Un arrêté municipal autorise la réouver-
ture du théâtre, dont les représentations
recommencent aujourd'hui. Les artistes
ont décidé de faire des excuses aux Fran-
çais.
Les Israélites blâment énergiquement
ceux d'entre eux qui prirent part aux in-
cidents, et protestent hautement de leurs
sentiments français.
, La tranquillité est parfaite.
BULLETIN
Le Sénat a, hier, voté le projet de loi
relatif aux subventions de l'Etat pour
construire et approprier les établissements
scolaires; puis le projet de loi sur les
nullités (Je mariage et le régime de la
séparation de corps est revenu en discus-
sion.
Le général de Manteuffel est mort hier.
Le cabinet conservateur anglais va enfin
être constitué. Lord Salisbury a vu hier la
reine à Windsor. La liste des membres du
nouveau cabinet ne sera définitivement
connue que vendredi ou samedi. Sir Staf-
ford Northcote ira à la Chambré des lords.
Sir Hicks Beach prendra la direction du
parti conservateur aux Communes. Le
portefeuille de l'Inde sera réservé à lord
R. Churchill. On assure que la reine, qui
a eu hier une entrevue avec M. Gladstone,
lui aurait exprimé son désir que la majo-
rité libérale du Parlement laissât le pou-
voir aux mains des conservateurs jus-
qu'aux élections.
M. Gladstone gardera peut-être en tout
cas sa liberté d'action. La reine lui a offert
la pairie, et il l'a refusée. Ce refus indique
bien qu'il entend rester dans l'arène poli-
tique ou y rentrer lors des prochaines
élections.
Le Daily News est très agressif à l'égard
du nouveau cabinet.
Lord Vernon Harcourt, ancien ministre
de l'intérieur, a attaqué violemment les
conservateurs dans un banquet.
» Le cabinet de M. Gladstone, a-t-il dit,
a été battu sur la question du whisky ir-
landais, et il est honteux d'appartenir à
un parti qui n'est arrivé au pouvoir que
supporté par un baril de bière. »
LE PILORI
Vous n'ignorez pas que l'Intransi-
geant possède un « pilori M. La Révolu-
tion de 1848 a bien aboli le dernier
vestige des piloris du moyen âge et des
expositions barbares d'autrefois : mais
on se moque bien à Y Intransigeant des
vieilles barbes de 1848, bonnes gens
qui n'entendaient rien à la politique de
haine et de diffamation et pensaient que
les républicains, ayant souffert et lutté
ensemble, devaient triompher ensem-
ble ! M. de Rochefort. est un grand sei-
gneur qui n'a pas dépouillé tout à fait
le marquis et qui, dans son domaine
(je veux dire dans son journal), s'est
attribué un droit de haute et basse jus-
tice. Donc il a son « pilori», comme un
Montmorency et un exécuteur des hau-
tes et basses œuvres dont le nom m'é-
chappe, affichant là les députés qui ne
doivent pas être réélus, ayant le mal-
heur de lui déplaire.
J'ignore qui a inauguré l'instrument
de supplice et qui fut le premier des
« exécutés ». Mais j'imagine qu'il dut
concevoir quelque ennui de l'affaire.
C'est toujours désagréable d'être ainsi,
même injustement, désigné à la haine et
au mépris public. Par malheur, 1 Intran-
sigeant a abusé du pilori. Ce n'est plus
"F • *
un pilori exceptionnellement dressé pour
quelques-uns : c'est le pont d'Avignon,
où tout le monde passe! Déjà deux ou
trois cents républicains y ont figuré et
le chagrin diminue d'être au carcan
quand on y est en bonne compagnie.
M. de Rochefort, qui est certainement
plus sérieux comme homme de théâtre
que comme politique, n'a pas oublié
sans doute le joli couplet de M. A. Du-
mas, dans le Demi-Monde, je crois. M.
Dumas parle de certaines femmes, qui
ont démérité plus sérieusement que la
plupart de nos députés. Il suppose
qu'on les a exilées du monde. La pre-
mière mise au ban en eut du chagrin et
faillit tourner à la Madeleine; mais
quand vint la seconde, on causa; à
trois, on s'offrit du thé; à quatre, on
dansa un quadrille !. Il en est de même
pour les députés « indignes ». Le pre-
mier pilorisé put éprouver un peu d'in-
quiétude. A trois ou à quatre, on
se consola ; à cinquante, on se mit à
rire!
C'est ce qu'il y avait, en somme, de
mieux à faire. Car être dénoncé comme
« traître » à la démocratie et dangereux
à la République en compagnie de gens
qui ont souffert pour l'une et fondé l'au-
tre, en société de condamnés à mort et
d'exilés, c'est un petit, un très petit
malheur. Il y a même quelque avantage
peut-être à figurer dans la collection de
l'Intransigeant? La majorité républi-
caine s'y retrouve et s'y fortifie, sous
les mêmes injures et les mêmes accu-
sations injustes. Et je sais plus d'un
député qui trouverait fort mauvais qu'on
oubliât de le faire figurer à ce pilori où
ont passé les meilleurs serviteurs de la
République !
Le pilorisé d'avant-hier était M. Ranc.
Celui d'aujourd'hui est M. Allain-Targé,
ministre de l'intérieur. Le supplice,
d'ailleurs, est assez doux. Sauf l'éti-
quette générale de traître, et sous cette
réserve que le patient de l'intransi-
geant n'a voulu être ministre que pour
voler les fonds secrets, M. Allain-Targé
est, au fatal poteau, couronné sinon de
fleurs, du - moins de pampres. L'austérité
de M. de Rochefort lui reproche une
allure trop joyeuse pour un homme
d'Etat. Ma foi ! je n'en sais rien ! Mais
au moins, dirai-je avec Montaigne, nous
n'avons pas affaire à un de ces « tristes »
qui ne trouvent de plaisir en ce monde
qu'à tout blâmer, haïr, diffamer et salir,
se donnant un rôle de justicier que les
plus purs, les plus vertueux et les plus
sages se gardent bien de s'attribuer.
Ce dénigrement quasi-général du
parti républicain par quelques-uns de
ses membres, cet ostracisme presque
universel, cette façon d'épurer le parti
républicain comme Narvaëz pacifia l'Es-
pagne (selon l'admirable caricature de
Daumier), tombant aux genoux de la
reine en lui disant : « L'Espagne est
apaisée : il n'y a plus que vous et moi»,
ces violences et ces injustices nous
comblent de joie. Ils nous sont parti-
culièrement agréables à la veille des
élections, servant à merveille la politi-
que que nous entendons suivre.
Cette politique est une politique d'u-
nion. Et l'lntransigeant et ses amis font
eux-mêmes cette union en confondant
dans la même réprobation des hommes
également estimés, mais divisés par
des nuances et par des tempéraments
divers. Imaginez qu'on dise au pays :
« Sur cinq cents républicains que tu as
élus, il y en a quatre cent cinquante qui
sont des canailles », le pays se fâchera,
non contre ses élus, mais contre ceux
qui les attaquent de la sorte. Il se sen-
tira mis lui-même au pilori par un au-
dacieux qui n'a de règle que sa fantai-
sie ; il prendra peur, à juste titre, d'une
politique de rancune qui fait la joie des
monarchistes, et il fera rentrer dans le
rang les présomptueux qui semblent
lui dire, à un quarteron qu'ils sont :
« Nous seulst et c'est assez ! »
Et quant à M. Allain-Targé, mon an-
cien camarade des jours de lutte, alors
qu'au Courrier du dimanche, et plus
tard à l'Avenir, nous combattions pour la
liberté tandis que M. de Rochefort n'é -
tait encore que le très spirituel employé
de l'Empire que l'on sait, — obtenant
des congés de faveur tandis que Rane
obtenait la prison et l'exil, — qu'il me
permette de lui dire que je ne suis pas
fâché de le voir au pilori de l'Intransi-
geant, tout ministre qu'il est et juste-
ment parce qu'il est ministre. M. de
Rochefort est un enfant terrible, qui
manque visiblement de réflexion. Mais
il a, à côté de lui, des politiques qui se
fâcheraient si on ne les considérait
pas comme des hommes profonds. De-
mandez-le plutôt à M. Clémenceau, à
M. Pelletan et à quelques autres qui
prétendent bien mener « le peuple »
aux élections. Or ces hommes profonds
avaient trouvé bon de faire croire aux
naïfs que le ministère actuel était leur
chose et que les hommes qui le com-
posent marchaient à leur dévotion. Ils
avaient rêvé de réunir en leurs person-
nes les doubles vertus électorales du
candidat opposant et de l'officieux, et
de pouvoir montrer aux populations
naïves leur main droite pleine de bu-
reaux de tabac, leur main gauche agitant
le fusil de l'insurgé !
.Rêve éteint ! vision disparue t.
Don César de Rochefort a pataugé
dans ces toiles d'araignées. Cabinet
Brisson, cabinet Freycinet, cabinet
Ferry, c'est tout un. Au pilori, tous ces
gens-là ! "Au pilori, tous les fondateurs
de la République! Place nette. pour
Sa Majesté Philippe VII !. Mais la
France n'entend pas de cette oreille, et
elle comprendra, elle a compris déjà
que l'intransigeance, avec son esprit
exclusif, ne peut rien faire autre chose
que « faire le jeu » des réactionnaires.
M. de Rochefort et M. Clémenceau, qui
vont aux courses, entendront cette fa-
çon de dire, expression d'une vérité po-
litique qu'il faut être aveugle pour ne
pas voir !
HENRY FOUQUIER.
UNE LETTRE SIGNÉE: « BAZAINE »
Nous trouvons dans le Figaro, comme
pour faire suite aux éloges sanâ restric-
tion donnés au prince Frédéric-Charles,
une lettre signée : Bazaine.
Cette lettre étant datée, de Paris, nous
ne pouvons supposer qu'elle soit du fait
de l'ex-maréchal Bazaine. Cet homme est
en rupture de ban et, s'il était en France,
devrait être immédiatement arrêté.
Le papier que publie le Figaro lui a
donc été adressé, à coup sûr, par un pa-
rent du condamné.
Il contient un double certificat donné à
M. Bazaine par le prince Frédéric-Char-
les, que nous donnons à titre de docu-
ment :
Je déclare, par le présent écrit, que jamais,
durant le blocus de Metz, M. le maréchal Ba-
zaine n'est venu à mon quartier général de
Borny. J'ai vu, pour la première fois, M. le
maréchal Bazaine le soir du 29 octobre 1870,
au moment où il a quitté Metz, après la capi-
tulation.
Berlin, 23 septembre 1873.
Signé: FRÉDÉRIC-CHARLES. ,
Prince de Prusse, général, feld-maréchal.
Je déclare que je professe une entière et
haute estime pour M. le maréchal Bazaine,
spécialement pour l'énergie et la persévé-
rance avec lesquelles il a pu si longtemps
soustraire l'armée de Metz à une capitulation
qui, d'après mon opinion, était inévitable.
Berlin, 6 décembre 1873.
Signé : FRÉDÉRIC-CHARLES,
Général, feld-maréchal.
Quant à la lettre publiée par le Figaro,
nous n'y relèverons qu'un mot, celui de
« calomnie », prononcé à propos des faits
qui ont motivé la condamnation de l'ex-
maréchal par un conseil de guerre com-
posé de généraux français et présidé par
M. le duc d'Aumale.
Ce n'est pas sans étonnement que nous
voyons un journal français et, dit-on, or-
léaniste, prendre la responsabilité d'une
pareille injure à l'adresse de notre armée
et d'un de ses anciens chefs qui est pour
nous un adversaire politique, mais dont la
loyauté de soldat ne peut être soupçonnée.
Ce n'est pas sans étonnement non plus
que nous voyons un journal français ac-
corder à M. Bazaine le titre de maréchal
de France.
M. Bazaine a été dégradé. Il est rayé
des cadres de l'armée.
Ce n'est pas le jour où l'Allemagne cé-
lèbre les funérailles du prince Frédéric-
Charles que nous pouvons l'oublier.
H. F.
L'UNIFICATION DES RETRAITES
La cause de l'unification des pensions
de retraite va de mieux en mieux. La com-
mission d'initiative s'est prononcée, à l'u-
nanimité, en faveur de cette réforme ; au-
jourd'hui même, le rapport de M. Carret
sera déposé à la Chambre, et l'urgence
sera demandée.
Nous avons tout lieu d'espérer que nos
amis obtiendront enfin justice, et que l'u-
nification des retraites pourra être comp-
tée parmi les principaux articles du tes-
tament législatif de cette Chambre qui
touche à la fin de son mandat et n'aurait
plus le temps de réparer ses fautes.
La cause que nous défendons ici, avec
la conviction que sait inspirer la justice,
est représentée par soixante-quinze mille
adhérents ! C'est assez dire son importance
et son intérêt.
Nous sommes en mesure de donner,
dès aujourd'hui, le texte dn rapport de M.
Carret, Le voici :
Messieurs,
La question présente est assurément l'une
des plus dignes de l'attention de la Chambre.
Les lois des 23 juillet 1881 et 8 août 1883
assurent à nos anciens militaires et marins de
rang inférieur à celui d'officier des pensions
de retraites modestes, suffisantes cependant,
mesurées à la cherté actuelle des subsis-
tances.
Le bénéfice de ces lois ne s'étend pas aux
militaires et marins retraités sous les régi-
mes antérieurs. Ces hommes plus âgés, non
moins méritants, auxquels un travail quel-
conque est plus difficile, demeurent limités à
des pensions trop faibles que l'accroissement
du coût de la vie rend de plus en plus petites.
Une telle inégalité n'était pas dans l'inten-
tion du législateur. Les retraités des régimes
anciens sont victimes d'une erreur matérielle.
Il suffit pour s'en convaincre de se reporter
aux débats de juin et juillet 1880, et aux votes
émis par la Chambre. La proposition de loi
qui vous est soumise relate clairement ces
points, et nous dispense d'en faire ici l'ex-
posé.
Disons que les nombreuses pétitions d'an-
ciens retraités adressées à la Chambre ont
toujours été favorablement classées par nos
commissions.
Disons enfin que la proposition de loi ac-
tuelle porte les signatures de cent quatre-
vint-dix-huit députés.
Ces motifs permettent d'en taire d'au-
tres..
En conséquence, votre commission d'initia-
tive vous prie, à l'unanimité, de prendre en
considération la proposition de loi présentée
par M. Georges Roche et ses collègues.
Ce rapport, comme on le voit, est caté-
gorique dans sa teneur sommaire, Il an-
nonce que l'unification des retraites, pour
laquelle M. Reverchon et son vaillant co-
mité de Paris combattent sans relâche
depuis plus de dix-huit mois, va être enfin
votée à la satisfaction des anciens mili-
taires.
Il ne nous reste plus qu'à adresser à
nos amis un nouveau témoignage de sym-
pathie et d'espérance, et à féliciter les
membres de la commission d'initiative
d'avoir prouvé combien ils étaient péné-
trés du sentiment de la véritable équité,
qui sera sans doute aussi celui de la ma-
jorité au Parlement.
LÉo BIRON.
M. Arthur Meyer, directeur du Gaulois,
a écrit hier à M. Edouard Hervé, directeur
du Soleil, et il lui a écrit à propos de la
mort de l'amiral Courbet.
Il s'agit d'un monument à élever, d'une
souscription à ouvrir.
Le «regretté amiral », dit M. Meyer, est
une « noble victime», et la presse « pa-
triotique et indépendante » doit prendre
l'initiative du mouvement.
Dans la pensée de M. Meyer, la presse
patriotique et indépendante, c'est évidem-
ment le Gaulois, d abord. Pourquoi y ad-
joindre le seul Soleil?
Pourquoi ? Le mystère n'est pas long à
éclaircir. Aux yeux de M. Meyer M. Edouard
Hervé a ce qu on appelle de la surface.
Votre largeur d'esprit, dit le patriote et l'in-
dépendant boulevardier, la courtoisie de vo-
tre talent, même dans la bataille la plus vive,
permettraient à des hommes qui ne sont pas
exclusivement monarchiques et catholiques
comme nous, de prendre part à une mani-
festation qui doit être nationale avant tout, et
de symboliser la reconnaissance du pays
pour la marine et l'armée, qui ont si bien
mérité de tous.
Or votre nom, mon cher confrère, si juste-
ment estimé de tous, est on ne peut plus
propre à préciser cette signification.
Mais si la souscription appartient aussi
aux journaux « indépendants et patriotes»
et qui ne sont pas exclusivement « monar-
chiques », pourquoi ne pas faire appel à
nous ?
Le Soleil, d'ailleurs, n'a pas publié la
lettre en même temps que le Gaulois.
E. R.
La cinquième chambre vient (sauf appel
en Cour de cassation) d'établir une juris-
prudence, à propos de la loi du 8 avril
1885 sur les marchés à terme, jurispru-
dence qui cause un vif émoi dans le monde
des affaires. Elle a jugé que la loi.d'avril
devait avoir un effet rétroactif et saisir les
faits accomplis au moment de sa promul-
gation.
Nous consacrerons demain un article à
cette intéressante question.
MANTEUFFEL
Metz, 17 juin, matin.
A l'instant, le télégraphe me transmet
une grave nouvelle. Le feld-maréchal de
Manteuffel, gouverneur de l'Alsace-Lor-
raine, vient de mourir à Carlsbad. Je vous
envoie en toute hâte, par un ami, quel-
ques détails sur la longue carrière du dé-
funt.
Tout d'abord, avant d'arriver à la der-
nière période, qui nous intéresse le plus,
quelques détails biographiques.
*
- + *
Manteuffel était né le 24 février 1809. En
1827,—il n'avait pas dix-huit ans,-il entra
dans le régiment des draçons de la garde
prussienne, où il conquit ses premiers
grades. Colonel en 1854, général en 1858,
il joua un rôle actif dans les guerres de 1864
contre le Danemark et de 1866 contre
l'Autriche et les Etats allemands.
En 1870, Manteuffel rit part, à la tête
du 1er corps, aux batailles qui furent li-
vrées sous Metz. En octobre, il remplaça
Steinmetz comme commandant de la 1re
armée et fut chargé de combattre Fai-
dherbe et d'occuper les départements du
Nord. Après les insuccès de Bapaume et
de Pont-Noyelles, il fut mis à la tête des
troupes allemandes du Sud destinées à
arrêter le mouvement du général Bour-
baki dans l'Est. Il arriva sur le Jura au
moment où le général de Werder venaitde
rejeter en Suisse les débris de l'armée
française.
Après la signature de la paix, Manteuf-
fel fut nommé commandant des troupes
d'occupation. On sait que cette occupation
se termina au mois de septembre 1873, le
jour même où Manteuffel était nommé
feld-maréchal.
*
+ *
Telle est, en peu de mots, la carrière
militaire de l'homme qui vient de mourir
à Carlsbad.
Manteuffel était moins un général qu'un
diplomate. Ses aptitudes, sa tournure
d'esprit, tout en lui semblait le pousser de
ce côté, comme l'ont prouvé les missions
délicates qu'il remplit avec succès à
Vienne et à Saint-Pétersbourg. Il préféra
rester à l'armée, où l'amitié fraternelle de
l'empereur Guillaume lui facilita si ou-
vertement l'accès des plus hauts em-
plois.
*
* *
Le 1er octobre 1879, Manteuffel, nommé
quelques jours auparavant gouverneur de
1 Alsace-Lorraine, arrivait à Strasbourg et
prenait possession de ses nouvelles fonc-
tions. Il était chargé par M. de Bismarck
d'assurer le fonctionnement de là consti-
tution que le chancelier de fer, dans sa
haute magnanimité, venait d'accorder au
pays annexé.
Cette constitution, qui régit encore le
pays, comprend, on le sait :
Un statthalter ou gouverneur, régnant
de fait au nom de l'empereur d'Allema-
gne;
Un cabinet nommé par l'empereur et
assistant le statthalter ;
Un conseil d'Etat;
Une assemblée provinciale (la Déléga-
tion d'Alsace-Lorraine) élue au suffrage
restreint.
Bien que cette constitution, surtout
avec le maintien de la dictature, fût loin
de donner satisfaction aux légitimes aspi-
rations des populations annexées, l'arrivée
de Manteuffel à Strasbourg fut consi-
dérée dans toute l'Alsace-Lorraine comme
le commencement d'une ère réparatrice
pour le pays.
Le gouverneur, en effet, semblait animé
des meilleures intentions. Le 11 octobre
1879, par exemple, il disait à Colmar : « Je
respecte l'attachement que les Alsaciens-
Lorrains éprouvent pour le grand pays au-
quel ils ont été attachés si longtemps.
Une aussi longue période ne s'efface pas. »
Dans tous les discours qu'il prononça à
cette époque, Manteuffel fit montre des
mêmes sentiments.
Cet état de choses ne pouvait longtemps
durer. Le calme des premiers temps était
dû à un malentendu. Manteuffel, conci-
liant, doux, bénin, presque partial en fa-
veur des Alsaciens-Lorrains, aux dépens
des immigrés allemands, Manteuffel espé-
rait en quelques mois achever la germani-
sation du pays annexé et faire oublier à la
population la patrie d'avant 1870.
Mais cette tactique échoua. Les Alsa-
ciens-Lorrains ne tardèrent pas à pénétrer
les intentions du gouverneur : ils agirent
en conséquence, et, dès ce moment, ils
n'eurent qu'un but : protester hautement,
légalement, chaque fois que l'occasion se
présentait, de leurs sentiments d'indisso-
luble attachement à la France.
*
* *
La désillusion de Manteuffel fut aussi
complète que sa confiance avait été
grande.
De doux qu'il était au début, il devient
dur, presque cruel. Qu'on en juge par la
nomenclature suivante des actes qu'il a
accomplis depuis quatre ans :
Au commencement de 1881, il expulse
les compagnies d'assurances françaises,
portant ainsi une grave atteinte aux inté-
rêts matériels — intérêts toujours respec-
tables — du pays annexé.
Quelques jours plus tard, il fait inter-
dire l'usage de la langue française dans
les débats de la Délégation.
En septembre 1881, il supprime la Presse
d'Alsace et de Lorraine, journal de M. Ka-
blé, l'honorable député de Strasbourg.
En mai 1882, il supprime le Volksolatt,
un autre journal de M. Kablé.
Le 15 janvier 1883, le lendemain du jour
où M. Kablé venait de lancer la devise :
« Protestation et action », il prononce ce
fameux discours dans lequel il disait :
« J'ai trop étudié les Condé et les Tu-
renne, ainsi que les campagnes de Napo-
léon, et les quatre batailles dans lesquel-
les je me suis trouvé en face de troupes
françaises sont encore trop fraîches dans
ma mémoire pour que je ne respecte pas
l'armée française. Mais je connais aussi
mon armée allemande et je sais aussi, si
l'on nous forçait encore une fois à faire
cette guerre, des centaines de mille de
femmes allemandes qui diraient à leurs
fils: « Avec ou sur le bouclier. »
En août 1883, Manteuffel fait fermer le
seul cercle français de Metz et interdit à
M. Antoine la publication du journal dont
l'honorable député avait déjà fait tous les
frais.
Le 1er octobre suivant, à la suite d'un
échange de lettres dont on se souvient,
il fait emprisonner M. Antoine et lui fait
intenter ce procès ridicule qui s'est ter-
miné si piteusement pour l'Allemagne.
En août 1884, il publie le fameux res-
crit relatif aux Français habitant l'Alsace-
Lorraine, ce rescrit qui a jeté une si pro-
fonde perturbation dans le pays.
Enfin, le 22 novembre 1884, il publie un
nouveau rescrit par lequel il supprime
trois journaux alsaciens.
Tel est le bilan des quatre dernières an-
nées.
La force et la violence n'ont pas plus
réussi que le reste au gouvernement de
l'Alsace-Lorraine. La germanisation du
pays n'a pas fait un pas depuis 1871, et
les mesures de rigueur n'ont eu d'autre
résultat que de ramener à la France les ra-
res annexés que les premières avances du
gouverneur avaient séduits.
A chaque coup de force, du reste, le
pays annexé répondait par une nouvelle
protestation. Il n'y a qu'à se rappeler les
différentes élections qui ont eu lieu en Al-
sace-Lorraine depuis 1880 pour se con-
vaincre de la ténacité des sentiments du
pays et de la persévérance silencieuse
avec laquelle la population a toujours hau-
tement tenu le drapeau de la protesta-
tion.
*
* *
Manteuffel est mort : l'empereur Guil-
laume perd en lui un de ses plus fidèles
amis, un de ses plus vieux serviteurs.
L'Allemagne perd également un homme
qui lui a rendu en maintes occasions les
plus signalés services.
Quant à l'Alsace-Lorraine, la disparition
de son statthalter, en l'espèce, lui importe
peu. Personne, pas plus ici qu'à Stras-
bourg ou à Colmar, ne met en doute la
haute honorabilité du défunt qui, dit-on,
était, dans l'intimité, un homme charmant,
et chacun se plaît à lui reconnaître des
vertus que peu de grands personnages al-
lemands pourraient se flatter de possé-
der.
Mais, au point de vue du pays annexé,
cette mort nous laisse indifférents. Que ce
soit Manteuffel ou tout autre qui gou-
verne l'Alsace-Lorraine, que nous importe
à nous? Tant que notre pays sera sous le
régime de la dictature inaugurée en 1871
et continuée scrupuleusement jusqu'à au-
jourd'hui, M. de Bismarck pourra mettre
à Strasbourg qui bon lui semblera, car le
régime odieux de l'Alsace-Lorraine n'en
sera pas changé d'un iota.
JUSSY.
LE PARLEMENT
COURRIER DU SENAT
Les travaux et dépenses ayant pour but
d'étendre l'enseignement ou de faciliter
l'exécution de la loi sur l'instruction obli-
gatoire ont le don d'exaspérer les réac- •
tionnaires; et chaque fois qu'un projet
touchant à ces questions est présenté au
Sénat, les membres de la Droite emploient
tous les moyens dilatoires possibles pour
en retarder la discussion, et, s'ils n'y peu-
vent parvenir, font assaut d'éloquence
pour obtenir son rejet. C'est de tradition,
c'est réglé, c'est connu. Aussi personne
ne s'est montré surpris, aujourd'hui, que
MM. Pâris, Buffet, etc., combattent avec
acharnement l'urgence demandée par M.
Millaud, rapporteur, pour le projet de loi
voté par la Chambre en faveur des cons
tructions et appropriations d'établisse-
ments destinés au service de l'enseigne-
ment, sans montrer le moindre souci de
4,000 communes qui attendent impatiem-
ment, depuis déjà si longtemps, la déci-
sion du Parlement. Personne non plus,
d'ailleurs, ne s'est étonné que, malgré
leurs efforts, il ait suffi de quelques mots
du rapporteur et du ministre de l'instruc-
tion publique pour obtenir que l'urgence
fût prononcée par 185 voix contre 76.
Après ce premier échec, la Droite a es-
sayé de se rattraper en luttant contre le
projet lui-même. M. Blavier a protesté
contre le principe des subventions de l'E-
tat, essayé de démontrer que la situa-
tion de nos finances et l'élévation des im-
pôts communaux ne permettaient pas les
dépenses proposées, et aigrement insisté
pour obtenir le rejet ou tout au moins
l'ajournement.
Mais ce système d'attaque n'a obtenu
qu'un médiocre succès : M. Edouard Mil-
laud, qui connait aussi bien les questions
budgétaires que les besoins de l'instruc-
tion publique, n'a pas eu de peine à dé-
montrer que nos finances ne sont pas si
mauvaises que M. Blavier veut le faire
croire, et, les, communes restant libres
d'emprunter ou non à leur gré, le projet
ne les obère nullement. Puis le ministre,
M. Goblet, insistant à son tour, a dit très
justement qu'ajourner la loi, ce serait
manquer aux engagements pris, refuser de
répondre à des besoins urgents, et que la
repousser, ce serait déclarer qu'on ne veut
plus faire d'écoles, malgré les demandes
des populations elles-mêmes. Enfin le mi-
nistre des finances, M. Sadi Carnot, ve-
nant à la rescousse pour dissiper toute
hésitation, affirme que le projet n'a aucun
inconvénient budgétaire et a été conçu,
au contraire, de manière à dégager la dette
flottante.
Cette fois, la démonstration est faite,
bien faite, et malgré les cris et les grands
gestes de M. Blavier, qui persiste à vou-
loir tout casser, le Sénat passe à l'examen
des articles, et les vote tous successive-
ment, presque sans discussion.
L'ensemble du projet bien et dûment
voté à une énorme majorité, le Sénat a re-
pris la délibération sur les cas de nullité
de mariage et les séparations de corps.
Le rapporteur, M. Allou, donne lecture
d'un texte rectifié de l'article premier, qui
donne le droit de faire annuler le mariage
dans les cas de substitution de personne,
d'usurpation d'état civil, de condamnation
antérieurement au mariage à une peine
afflictive ou infamante, et ce texte est
adopté.
Moins heureux, l'article 2, qui dit que
le tribunal pourra interdire à la femme
séparée de continuer à porter le nom du
mari, ou au mari celui d'adjoindre à son
nom le nom de sa femme, soulève des
protestations du garde des sceaux et de
plusieurs orateurs et finit. par être re-
poussé.
Le Sénat n'a pas poussé plus loin le dé-
bat et s'est séparé sur ce vote en s'ajour-
nant à demain.
A. LANDRIN.
--- —————
NOUVELLES PARLEMENTAIRES
CHAMBRE DES DÉPUTÉS
* jf Commission du budget
M. Sadi Carnot, ministre des finances, a été
entendu hier par la commission du budget au
sujet de la création du compte spécial de la
garantie d'intérêt des chemins de fer français
et algériens.
M. Ribot s'était prononcé contre la création
de ce compte et avait exprimé le vœu que les
grandes Compagnies fissent face, aux lieu et
place de l'Etat, pour 1886, à la charge des ga-
ranties d'intérêt, au moyen d'une émission
d'obligations.
Le ministre des finances a combattu ce sys-
tème. Il a déclaré qu'il fallait exclure du
budget ordinaire les garanties d'intérêt qui
sont une avance remboursable, produc-
tive d'intérêts et gagée sur le matériel des
Compagnies. Il a insisté pour que le compte
spécial des garanties d'intérêt fût alimenté
par l'Etat au moyen d'une émission d'obliga-
tions sexennaires qui se placent à un taux
plus avantageux que celui des obligations de
chemins de fer.
La commission du budget a approuvé dans
leur ensemble les propositions du gouverne-
ment et a décidé que l'opération s'applique-
rait, comme le demandait M. Sadi Carnot,
aux 13 millions de garanties des chemins de
fer algériens comme aux 50 millions des che-
mins de fer français.
La commission du budget a adopté le cré-
dit demandé pour l'organisation de la station
maritime d'Obock et, sur la demande de M,
Rousseau, sous-secrétaire d'Etat aux colonies,
elle a élevé le crédit de 600,000 francs à
1,100,000 fr.
M. Rouvier, président de la commission, a
rendu compte d'un entretien qu'il a eu avec
M. Henri Brisson, au sujet d'une proposition
de M. Ribot tendant à inscrire au budget de
1886 un crédit représentant la dépense nor-
male d'occupation du Tonkin. M. Henri Bris-
son a répondu à M. Rouvier qu'il ne croyait
pas possible d'établir dès à présent, à ce su-
jet, des prévisions sérieuses, et qu'il priait la
commission du budget de réserver la ques-
tion.
M. Rouvier a communiqué à la commission
un état de répartition du crédit de 200 mil-
lions récemment voté par les Chambres pour
l'expédition du Tonkin. Sur ces 200 millions,
100 millions ont été attribués au département
de la guerre et 100 millions au département
de la marine. Il résulte d'une note de l'amiral
Galiber que si les 100 millions attribués au
département de la marine sont dépensés à
remettre en état notre matériel naval, il
manquera encore 900,000 francs pour que
notre flotte puisse être mise dans l'état où
elle se trouvait avant l'expédition du Tonkin.
Quinzième année. — Na 4912 ferk M iuméro à P" : 1 £ œntimei ««- Départements ! 20 éeittiméi Jeudi 18 luiri 1885
E ï 1
JOURNAL RÉPUBLICAIN CONSERVATEUR
)j :
RÉDACTION
S'adresser au Secrétaire de la Rédaction
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ET DANS SES SUCCURSALES
37, Charlotte Street, Fitzroy Square,
Et 15, Tichborne Street, (Café Monico. 2d.)
SOMMAIRE ..,,
Dernières nouvelles.
Bulletin
Le Pilori. — HENRY FOUQUIER.
Une lettre signée « Bazaine H. — H. F.
L'Unification dss retraites. — LÉo BIRON.
Manteuffel. — JUSSY.
Courrier du Sénat. — A. LANDRlN.
Nouvelles parlementaires.
Nouvelles de Chine.
Nouvelles coloniales.
Le Syndicat des Panoramas. — P. M.
Informations.
Mouvement judiciaire.
Chronique. — PAUL GINISTY.
Journée de Paris. — CANALIS.
Revue de la presse. — NACHETTE.
Le Choléra en Espagne.
Variétés littéraires. — JULES LEMAITRE. &
Une préface d'Emile Augier.
Documents parlementaires.
Courrier de la Bourse. — H. LE FAURE.
Le Sport du jour. — FAVELLES.
Nouvelles judiciaires..
Faits divers.
Courrier des théâtres. — GEORGES FEYDEAU.
Feuilleton : Suzette. — DUBUT DE LAFOREST.
DERNIÈRES NOUVELLES
LE CABINET MANCINI
La Chambre a adopté, au scrutin secret,
le budget des affaires étrangères, mais à
quatre voix seulement de majorité, 163
contre 159.
L'Opinione et la Tribuna affirment que
• le bruit courait à la Chambre que le mi-
nistère donnerait sa démission à la suite du
vote d'aujourd'hui.
L'INCIDENT DE TUNIS
Les membres du bureau nommé par la
réunion qui vota un témoignage de sym-
pathie à l'armée adressent au président
du tribunal une lettre dans laquelle ils
affirment leur respect et leur estime pour
la justice française.
Un arrêté municipal autorise la réouver-
ture du théâtre, dont les représentations
recommencent aujourd'hui. Les artistes
ont décidé de faire des excuses aux Fran-
çais.
Les Israélites blâment énergiquement
ceux d'entre eux qui prirent part aux in-
cidents, et protestent hautement de leurs
sentiments français.
, La tranquillité est parfaite.
BULLETIN
Le Sénat a, hier, voté le projet de loi
relatif aux subventions de l'Etat pour
construire et approprier les établissements
scolaires; puis le projet de loi sur les
nullités (Je mariage et le régime de la
séparation de corps est revenu en discus-
sion.
Le général de Manteuffel est mort hier.
Le cabinet conservateur anglais va enfin
être constitué. Lord Salisbury a vu hier la
reine à Windsor. La liste des membres du
nouveau cabinet ne sera définitivement
connue que vendredi ou samedi. Sir Staf-
ford Northcote ira à la Chambré des lords.
Sir Hicks Beach prendra la direction du
parti conservateur aux Communes. Le
portefeuille de l'Inde sera réservé à lord
R. Churchill. On assure que la reine, qui
a eu hier une entrevue avec M. Gladstone,
lui aurait exprimé son désir que la majo-
rité libérale du Parlement laissât le pou-
voir aux mains des conservateurs jus-
qu'aux élections.
M. Gladstone gardera peut-être en tout
cas sa liberté d'action. La reine lui a offert
la pairie, et il l'a refusée. Ce refus indique
bien qu'il entend rester dans l'arène poli-
tique ou y rentrer lors des prochaines
élections.
Le Daily News est très agressif à l'égard
du nouveau cabinet.
Lord Vernon Harcourt, ancien ministre
de l'intérieur, a attaqué violemment les
conservateurs dans un banquet.
» Le cabinet de M. Gladstone, a-t-il dit,
a été battu sur la question du whisky ir-
landais, et il est honteux d'appartenir à
un parti qui n'est arrivé au pouvoir que
supporté par un baril de bière. »
LE PILORI
Vous n'ignorez pas que l'Intransi-
geant possède un « pilori M. La Révolu-
tion de 1848 a bien aboli le dernier
vestige des piloris du moyen âge et des
expositions barbares d'autrefois : mais
on se moque bien à Y Intransigeant des
vieilles barbes de 1848, bonnes gens
qui n'entendaient rien à la politique de
haine et de diffamation et pensaient que
les républicains, ayant souffert et lutté
ensemble, devaient triompher ensem-
ble ! M. de Rochefort. est un grand sei-
gneur qui n'a pas dépouillé tout à fait
le marquis et qui, dans son domaine
(je veux dire dans son journal), s'est
attribué un droit de haute et basse jus-
tice. Donc il a son « pilori», comme un
Montmorency et un exécuteur des hau-
tes et basses œuvres dont le nom m'é-
chappe, affichant là les députés qui ne
doivent pas être réélus, ayant le mal-
heur de lui déplaire.
J'ignore qui a inauguré l'instrument
de supplice et qui fut le premier des
« exécutés ». Mais j'imagine qu'il dut
concevoir quelque ennui de l'affaire.
C'est toujours désagréable d'être ainsi,
même injustement, désigné à la haine et
au mépris public. Par malheur, 1 Intran-
sigeant a abusé du pilori. Ce n'est plus
"F • *
un pilori exceptionnellement dressé pour
quelques-uns : c'est le pont d'Avignon,
où tout le monde passe! Déjà deux ou
trois cents républicains y ont figuré et
le chagrin diminue d'être au carcan
quand on y est en bonne compagnie.
M. de Rochefort, qui est certainement
plus sérieux comme homme de théâtre
que comme politique, n'a pas oublié
sans doute le joli couplet de M. A. Du-
mas, dans le Demi-Monde, je crois. M.
Dumas parle de certaines femmes, qui
ont démérité plus sérieusement que la
plupart de nos députés. Il suppose
qu'on les a exilées du monde. La pre-
mière mise au ban en eut du chagrin et
faillit tourner à la Madeleine; mais
quand vint la seconde, on causa; à
trois, on s'offrit du thé; à quatre, on
dansa un quadrille !. Il en est de même
pour les députés « indignes ». Le pre-
mier pilorisé put éprouver un peu d'in-
quiétude. A trois ou à quatre, on
se consola ; à cinquante, on se mit à
rire!
C'est ce qu'il y avait, en somme, de
mieux à faire. Car être dénoncé comme
« traître » à la démocratie et dangereux
à la République en compagnie de gens
qui ont souffert pour l'une et fondé l'au-
tre, en société de condamnés à mort et
d'exilés, c'est un petit, un très petit
malheur. Il y a même quelque avantage
peut-être à figurer dans la collection de
l'Intransigeant? La majorité républi-
caine s'y retrouve et s'y fortifie, sous
les mêmes injures et les mêmes accu-
sations injustes. Et je sais plus d'un
député qui trouverait fort mauvais qu'on
oubliât de le faire figurer à ce pilori où
ont passé les meilleurs serviteurs de la
République !
Le pilorisé d'avant-hier était M. Ranc.
Celui d'aujourd'hui est M. Allain-Targé,
ministre de l'intérieur. Le supplice,
d'ailleurs, est assez doux. Sauf l'éti-
quette générale de traître, et sous cette
réserve que le patient de l'intransi-
geant n'a voulu être ministre que pour
voler les fonds secrets, M. Allain-Targé
est, au fatal poteau, couronné sinon de
fleurs, du - moins de pampres. L'austérité
de M. de Rochefort lui reproche une
allure trop joyeuse pour un homme
d'Etat. Ma foi ! je n'en sais rien ! Mais
au moins, dirai-je avec Montaigne, nous
n'avons pas affaire à un de ces « tristes »
qui ne trouvent de plaisir en ce monde
qu'à tout blâmer, haïr, diffamer et salir,
se donnant un rôle de justicier que les
plus purs, les plus vertueux et les plus
sages se gardent bien de s'attribuer.
Ce dénigrement quasi-général du
parti républicain par quelques-uns de
ses membres, cet ostracisme presque
universel, cette façon d'épurer le parti
républicain comme Narvaëz pacifia l'Es-
pagne (selon l'admirable caricature de
Daumier), tombant aux genoux de la
reine en lui disant : « L'Espagne est
apaisée : il n'y a plus que vous et moi»,
ces violences et ces injustices nous
comblent de joie. Ils nous sont parti-
culièrement agréables à la veille des
élections, servant à merveille la politi-
que que nous entendons suivre.
Cette politique est une politique d'u-
nion. Et l'lntransigeant et ses amis font
eux-mêmes cette union en confondant
dans la même réprobation des hommes
également estimés, mais divisés par
des nuances et par des tempéraments
divers. Imaginez qu'on dise au pays :
« Sur cinq cents républicains que tu as
élus, il y en a quatre cent cinquante qui
sont des canailles », le pays se fâchera,
non contre ses élus, mais contre ceux
qui les attaquent de la sorte. Il se sen-
tira mis lui-même au pilori par un au-
dacieux qui n'a de règle que sa fantai-
sie ; il prendra peur, à juste titre, d'une
politique de rancune qui fait la joie des
monarchistes, et il fera rentrer dans le
rang les présomptueux qui semblent
lui dire, à un quarteron qu'ils sont :
« Nous seulst et c'est assez ! »
Et quant à M. Allain-Targé, mon an-
cien camarade des jours de lutte, alors
qu'au Courrier du dimanche, et plus
tard à l'Avenir, nous combattions pour la
liberté tandis que M. de Rochefort n'é -
tait encore que le très spirituel employé
de l'Empire que l'on sait, — obtenant
des congés de faveur tandis que Rane
obtenait la prison et l'exil, — qu'il me
permette de lui dire que je ne suis pas
fâché de le voir au pilori de l'Intransi-
geant, tout ministre qu'il est et juste-
ment parce qu'il est ministre. M. de
Rochefort est un enfant terrible, qui
manque visiblement de réflexion. Mais
il a, à côté de lui, des politiques qui se
fâcheraient si on ne les considérait
pas comme des hommes profonds. De-
mandez-le plutôt à M. Clémenceau, à
M. Pelletan et à quelques autres qui
prétendent bien mener « le peuple »
aux élections. Or ces hommes profonds
avaient trouvé bon de faire croire aux
naïfs que le ministère actuel était leur
chose et que les hommes qui le com-
posent marchaient à leur dévotion. Ils
avaient rêvé de réunir en leurs person-
nes les doubles vertus électorales du
candidat opposant et de l'officieux, et
de pouvoir montrer aux populations
naïves leur main droite pleine de bu-
reaux de tabac, leur main gauche agitant
le fusil de l'insurgé !
.Rêve éteint ! vision disparue t.
Don César de Rochefort a pataugé
dans ces toiles d'araignées. Cabinet
Brisson, cabinet Freycinet, cabinet
Ferry, c'est tout un. Au pilori, tous ces
gens-là ! "Au pilori, tous les fondateurs
de la République! Place nette. pour
Sa Majesté Philippe VII !. Mais la
France n'entend pas de cette oreille, et
elle comprendra, elle a compris déjà
que l'intransigeance, avec son esprit
exclusif, ne peut rien faire autre chose
que « faire le jeu » des réactionnaires.
M. de Rochefort et M. Clémenceau, qui
vont aux courses, entendront cette fa-
çon de dire, expression d'une vérité po-
litique qu'il faut être aveugle pour ne
pas voir !
HENRY FOUQUIER.
UNE LETTRE SIGNÉE: « BAZAINE »
Nous trouvons dans le Figaro, comme
pour faire suite aux éloges sanâ restric-
tion donnés au prince Frédéric-Charles,
une lettre signée : Bazaine.
Cette lettre étant datée, de Paris, nous
ne pouvons supposer qu'elle soit du fait
de l'ex-maréchal Bazaine. Cet homme est
en rupture de ban et, s'il était en France,
devrait être immédiatement arrêté.
Le papier que publie le Figaro lui a
donc été adressé, à coup sûr, par un pa-
rent du condamné.
Il contient un double certificat donné à
M. Bazaine par le prince Frédéric-Char-
les, que nous donnons à titre de docu-
ment :
Je déclare, par le présent écrit, que jamais,
durant le blocus de Metz, M. le maréchal Ba-
zaine n'est venu à mon quartier général de
Borny. J'ai vu, pour la première fois, M. le
maréchal Bazaine le soir du 29 octobre 1870,
au moment où il a quitté Metz, après la capi-
tulation.
Berlin, 23 septembre 1873.
Signé: FRÉDÉRIC-CHARLES. ,
Prince de Prusse, général, feld-maréchal.
Je déclare que je professe une entière et
haute estime pour M. le maréchal Bazaine,
spécialement pour l'énergie et la persévé-
rance avec lesquelles il a pu si longtemps
soustraire l'armée de Metz à une capitulation
qui, d'après mon opinion, était inévitable.
Berlin, 6 décembre 1873.
Signé : FRÉDÉRIC-CHARLES,
Général, feld-maréchal.
Quant à la lettre publiée par le Figaro,
nous n'y relèverons qu'un mot, celui de
« calomnie », prononcé à propos des faits
qui ont motivé la condamnation de l'ex-
maréchal par un conseil de guerre com-
posé de généraux français et présidé par
M. le duc d'Aumale.
Ce n'est pas sans étonnement que nous
voyons un journal français et, dit-on, or-
léaniste, prendre la responsabilité d'une
pareille injure à l'adresse de notre armée
et d'un de ses anciens chefs qui est pour
nous un adversaire politique, mais dont la
loyauté de soldat ne peut être soupçonnée.
Ce n'est pas sans étonnement non plus
que nous voyons un journal français ac-
corder à M. Bazaine le titre de maréchal
de France.
M. Bazaine a été dégradé. Il est rayé
des cadres de l'armée.
Ce n'est pas le jour où l'Allemagne cé-
lèbre les funérailles du prince Frédéric-
Charles que nous pouvons l'oublier.
H. F.
L'UNIFICATION DES RETRAITES
La cause de l'unification des pensions
de retraite va de mieux en mieux. La com-
mission d'initiative s'est prononcée, à l'u-
nanimité, en faveur de cette réforme ; au-
jourd'hui même, le rapport de M. Carret
sera déposé à la Chambre, et l'urgence
sera demandée.
Nous avons tout lieu d'espérer que nos
amis obtiendront enfin justice, et que l'u-
nification des retraites pourra être comp-
tée parmi les principaux articles du tes-
tament législatif de cette Chambre qui
touche à la fin de son mandat et n'aurait
plus le temps de réparer ses fautes.
La cause que nous défendons ici, avec
la conviction que sait inspirer la justice,
est représentée par soixante-quinze mille
adhérents ! C'est assez dire son importance
et son intérêt.
Nous sommes en mesure de donner,
dès aujourd'hui, le texte dn rapport de M.
Carret, Le voici :
Messieurs,
La question présente est assurément l'une
des plus dignes de l'attention de la Chambre.
Les lois des 23 juillet 1881 et 8 août 1883
assurent à nos anciens militaires et marins de
rang inférieur à celui d'officier des pensions
de retraites modestes, suffisantes cependant,
mesurées à la cherté actuelle des subsis-
tances.
Le bénéfice de ces lois ne s'étend pas aux
militaires et marins retraités sous les régi-
mes antérieurs. Ces hommes plus âgés, non
moins méritants, auxquels un travail quel-
conque est plus difficile, demeurent limités à
des pensions trop faibles que l'accroissement
du coût de la vie rend de plus en plus petites.
Une telle inégalité n'était pas dans l'inten-
tion du législateur. Les retraités des régimes
anciens sont victimes d'une erreur matérielle.
Il suffit pour s'en convaincre de se reporter
aux débats de juin et juillet 1880, et aux votes
émis par la Chambre. La proposition de loi
qui vous est soumise relate clairement ces
points, et nous dispense d'en faire ici l'ex-
posé.
Disons que les nombreuses pétitions d'an-
ciens retraités adressées à la Chambre ont
toujours été favorablement classées par nos
commissions.
Disons enfin que la proposition de loi ac-
tuelle porte les signatures de cent quatre-
vint-dix-huit députés.
Ces motifs permettent d'en taire d'au-
tres..
En conséquence, votre commission d'initia-
tive vous prie, à l'unanimité, de prendre en
considération la proposition de loi présentée
par M. Georges Roche et ses collègues.
Ce rapport, comme on le voit, est caté-
gorique dans sa teneur sommaire, Il an-
nonce que l'unification des retraites, pour
laquelle M. Reverchon et son vaillant co-
mité de Paris combattent sans relâche
depuis plus de dix-huit mois, va être enfin
votée à la satisfaction des anciens mili-
taires.
Il ne nous reste plus qu'à adresser à
nos amis un nouveau témoignage de sym-
pathie et d'espérance, et à féliciter les
membres de la commission d'initiative
d'avoir prouvé combien ils étaient péné-
trés du sentiment de la véritable équité,
qui sera sans doute aussi celui de la ma-
jorité au Parlement.
LÉo BIRON.
M. Arthur Meyer, directeur du Gaulois,
a écrit hier à M. Edouard Hervé, directeur
du Soleil, et il lui a écrit à propos de la
mort de l'amiral Courbet.
Il s'agit d'un monument à élever, d'une
souscription à ouvrir.
Le «regretté amiral », dit M. Meyer, est
une « noble victime», et la presse « pa-
triotique et indépendante » doit prendre
l'initiative du mouvement.
Dans la pensée de M. Meyer, la presse
patriotique et indépendante, c'est évidem-
ment le Gaulois, d abord. Pourquoi y ad-
joindre le seul Soleil?
Pourquoi ? Le mystère n'est pas long à
éclaircir. Aux yeux de M. Meyer M. Edouard
Hervé a ce qu on appelle de la surface.
Votre largeur d'esprit, dit le patriote et l'in-
dépendant boulevardier, la courtoisie de vo-
tre talent, même dans la bataille la plus vive,
permettraient à des hommes qui ne sont pas
exclusivement monarchiques et catholiques
comme nous, de prendre part à une mani-
festation qui doit être nationale avant tout, et
de symboliser la reconnaissance du pays
pour la marine et l'armée, qui ont si bien
mérité de tous.
Or votre nom, mon cher confrère, si juste-
ment estimé de tous, est on ne peut plus
propre à préciser cette signification.
Mais si la souscription appartient aussi
aux journaux « indépendants et patriotes»
et qui ne sont pas exclusivement « monar-
chiques », pourquoi ne pas faire appel à
nous ?
Le Soleil, d'ailleurs, n'a pas publié la
lettre en même temps que le Gaulois.
E. R.
La cinquième chambre vient (sauf appel
en Cour de cassation) d'établir une juris-
prudence, à propos de la loi du 8 avril
1885 sur les marchés à terme, jurispru-
dence qui cause un vif émoi dans le monde
des affaires. Elle a jugé que la loi.d'avril
devait avoir un effet rétroactif et saisir les
faits accomplis au moment de sa promul-
gation.
Nous consacrerons demain un article à
cette intéressante question.
MANTEUFFEL
Metz, 17 juin, matin.
A l'instant, le télégraphe me transmet
une grave nouvelle. Le feld-maréchal de
Manteuffel, gouverneur de l'Alsace-Lor-
raine, vient de mourir à Carlsbad. Je vous
envoie en toute hâte, par un ami, quel-
ques détails sur la longue carrière du dé-
funt.
Tout d'abord, avant d'arriver à la der-
nière période, qui nous intéresse le plus,
quelques détails biographiques.
*
- + *
Manteuffel était né le 24 février 1809. En
1827,—il n'avait pas dix-huit ans,-il entra
dans le régiment des draçons de la garde
prussienne, où il conquit ses premiers
grades. Colonel en 1854, général en 1858,
il joua un rôle actif dans les guerres de 1864
contre le Danemark et de 1866 contre
l'Autriche et les Etats allemands.
En 1870, Manteuffel rit part, à la tête
du 1er corps, aux batailles qui furent li-
vrées sous Metz. En octobre, il remplaça
Steinmetz comme commandant de la 1re
armée et fut chargé de combattre Fai-
dherbe et d'occuper les départements du
Nord. Après les insuccès de Bapaume et
de Pont-Noyelles, il fut mis à la tête des
troupes allemandes du Sud destinées à
arrêter le mouvement du général Bour-
baki dans l'Est. Il arriva sur le Jura au
moment où le général de Werder venaitde
rejeter en Suisse les débris de l'armée
française.
Après la signature de la paix, Manteuf-
fel fut nommé commandant des troupes
d'occupation. On sait que cette occupation
se termina au mois de septembre 1873, le
jour même où Manteuffel était nommé
feld-maréchal.
*
+ *
Telle est, en peu de mots, la carrière
militaire de l'homme qui vient de mourir
à Carlsbad.
Manteuffel était moins un général qu'un
diplomate. Ses aptitudes, sa tournure
d'esprit, tout en lui semblait le pousser de
ce côté, comme l'ont prouvé les missions
délicates qu'il remplit avec succès à
Vienne et à Saint-Pétersbourg. Il préféra
rester à l'armée, où l'amitié fraternelle de
l'empereur Guillaume lui facilita si ou-
vertement l'accès des plus hauts em-
plois.
*
* *
Le 1er octobre 1879, Manteuffel, nommé
quelques jours auparavant gouverneur de
1 Alsace-Lorraine, arrivait à Strasbourg et
prenait possession de ses nouvelles fonc-
tions. Il était chargé par M. de Bismarck
d'assurer le fonctionnement de là consti-
tution que le chancelier de fer, dans sa
haute magnanimité, venait d'accorder au
pays annexé.
Cette constitution, qui régit encore le
pays, comprend, on le sait :
Un statthalter ou gouverneur, régnant
de fait au nom de l'empereur d'Allema-
gne;
Un cabinet nommé par l'empereur et
assistant le statthalter ;
Un conseil d'Etat;
Une assemblée provinciale (la Déléga-
tion d'Alsace-Lorraine) élue au suffrage
restreint.
Bien que cette constitution, surtout
avec le maintien de la dictature, fût loin
de donner satisfaction aux légitimes aspi-
rations des populations annexées, l'arrivée
de Manteuffel à Strasbourg fut consi-
dérée dans toute l'Alsace-Lorraine comme
le commencement d'une ère réparatrice
pour le pays.
Le gouverneur, en effet, semblait animé
des meilleures intentions. Le 11 octobre
1879, par exemple, il disait à Colmar : « Je
respecte l'attachement que les Alsaciens-
Lorrains éprouvent pour le grand pays au-
quel ils ont été attachés si longtemps.
Une aussi longue période ne s'efface pas. »
Dans tous les discours qu'il prononça à
cette époque, Manteuffel fit montre des
mêmes sentiments.
Cet état de choses ne pouvait longtemps
durer. Le calme des premiers temps était
dû à un malentendu. Manteuffel, conci-
liant, doux, bénin, presque partial en fa-
veur des Alsaciens-Lorrains, aux dépens
des immigrés allemands, Manteuffel espé-
rait en quelques mois achever la germani-
sation du pays annexé et faire oublier à la
population la patrie d'avant 1870.
Mais cette tactique échoua. Les Alsa-
ciens-Lorrains ne tardèrent pas à pénétrer
les intentions du gouverneur : ils agirent
en conséquence, et, dès ce moment, ils
n'eurent qu'un but : protester hautement,
légalement, chaque fois que l'occasion se
présentait, de leurs sentiments d'indisso-
luble attachement à la France.
*
* *
La désillusion de Manteuffel fut aussi
complète que sa confiance avait été
grande.
De doux qu'il était au début, il devient
dur, presque cruel. Qu'on en juge par la
nomenclature suivante des actes qu'il a
accomplis depuis quatre ans :
Au commencement de 1881, il expulse
les compagnies d'assurances françaises,
portant ainsi une grave atteinte aux inté-
rêts matériels — intérêts toujours respec-
tables — du pays annexé.
Quelques jours plus tard, il fait inter-
dire l'usage de la langue française dans
les débats de la Délégation.
En septembre 1881, il supprime la Presse
d'Alsace et de Lorraine, journal de M. Ka-
blé, l'honorable député de Strasbourg.
En mai 1882, il supprime le Volksolatt,
un autre journal de M. Kablé.
Le 15 janvier 1883, le lendemain du jour
où M. Kablé venait de lancer la devise :
« Protestation et action », il prononce ce
fameux discours dans lequel il disait :
« J'ai trop étudié les Condé et les Tu-
renne, ainsi que les campagnes de Napo-
léon, et les quatre batailles dans lesquel-
les je me suis trouvé en face de troupes
françaises sont encore trop fraîches dans
ma mémoire pour que je ne respecte pas
l'armée française. Mais je connais aussi
mon armée allemande et je sais aussi, si
l'on nous forçait encore une fois à faire
cette guerre, des centaines de mille de
femmes allemandes qui diraient à leurs
fils: « Avec ou sur le bouclier. »
En août 1883, Manteuffel fait fermer le
seul cercle français de Metz et interdit à
M. Antoine la publication du journal dont
l'honorable député avait déjà fait tous les
frais.
Le 1er octobre suivant, à la suite d'un
échange de lettres dont on se souvient,
il fait emprisonner M. Antoine et lui fait
intenter ce procès ridicule qui s'est ter-
miné si piteusement pour l'Allemagne.
En août 1884, il publie le fameux res-
crit relatif aux Français habitant l'Alsace-
Lorraine, ce rescrit qui a jeté une si pro-
fonde perturbation dans le pays.
Enfin, le 22 novembre 1884, il publie un
nouveau rescrit par lequel il supprime
trois journaux alsaciens.
Tel est le bilan des quatre dernières an-
nées.
La force et la violence n'ont pas plus
réussi que le reste au gouvernement de
l'Alsace-Lorraine. La germanisation du
pays n'a pas fait un pas depuis 1871, et
les mesures de rigueur n'ont eu d'autre
résultat que de ramener à la France les ra-
res annexés que les premières avances du
gouverneur avaient séduits.
A chaque coup de force, du reste, le
pays annexé répondait par une nouvelle
protestation. Il n'y a qu'à se rappeler les
différentes élections qui ont eu lieu en Al-
sace-Lorraine depuis 1880 pour se con-
vaincre de la ténacité des sentiments du
pays et de la persévérance silencieuse
avec laquelle la population a toujours hau-
tement tenu le drapeau de la protesta-
tion.
*
* *
Manteuffel est mort : l'empereur Guil-
laume perd en lui un de ses plus fidèles
amis, un de ses plus vieux serviteurs.
L'Allemagne perd également un homme
qui lui a rendu en maintes occasions les
plus signalés services.
Quant à l'Alsace-Lorraine, la disparition
de son statthalter, en l'espèce, lui importe
peu. Personne, pas plus ici qu'à Stras-
bourg ou à Colmar, ne met en doute la
haute honorabilité du défunt qui, dit-on,
était, dans l'intimité, un homme charmant,
et chacun se plaît à lui reconnaître des
vertus que peu de grands personnages al-
lemands pourraient se flatter de possé-
der.
Mais, au point de vue du pays annexé,
cette mort nous laisse indifférents. Que ce
soit Manteuffel ou tout autre qui gou-
verne l'Alsace-Lorraine, que nous importe
à nous? Tant que notre pays sera sous le
régime de la dictature inaugurée en 1871
et continuée scrupuleusement jusqu'à au-
jourd'hui, M. de Bismarck pourra mettre
à Strasbourg qui bon lui semblera, car le
régime odieux de l'Alsace-Lorraine n'en
sera pas changé d'un iota.
JUSSY.
LE PARLEMENT
COURRIER DU SENAT
Les travaux et dépenses ayant pour but
d'étendre l'enseignement ou de faciliter
l'exécution de la loi sur l'instruction obli-
gatoire ont le don d'exaspérer les réac- •
tionnaires; et chaque fois qu'un projet
touchant à ces questions est présenté au
Sénat, les membres de la Droite emploient
tous les moyens dilatoires possibles pour
en retarder la discussion, et, s'ils n'y peu-
vent parvenir, font assaut d'éloquence
pour obtenir son rejet. C'est de tradition,
c'est réglé, c'est connu. Aussi personne
ne s'est montré surpris, aujourd'hui, que
MM. Pâris, Buffet, etc., combattent avec
acharnement l'urgence demandée par M.
Millaud, rapporteur, pour le projet de loi
voté par la Chambre en faveur des cons
tructions et appropriations d'établisse-
ments destinés au service de l'enseigne-
ment, sans montrer le moindre souci de
4,000 communes qui attendent impatiem-
ment, depuis déjà si longtemps, la déci-
sion du Parlement. Personne non plus,
d'ailleurs, ne s'est étonné que, malgré
leurs efforts, il ait suffi de quelques mots
du rapporteur et du ministre de l'instruc-
tion publique pour obtenir que l'urgence
fût prononcée par 185 voix contre 76.
Après ce premier échec, la Droite a es-
sayé de se rattraper en luttant contre le
projet lui-même. M. Blavier a protesté
contre le principe des subventions de l'E-
tat, essayé de démontrer que la situa-
tion de nos finances et l'élévation des im-
pôts communaux ne permettaient pas les
dépenses proposées, et aigrement insisté
pour obtenir le rejet ou tout au moins
l'ajournement.
Mais ce système d'attaque n'a obtenu
qu'un médiocre succès : M. Edouard Mil-
laud, qui connait aussi bien les questions
budgétaires que les besoins de l'instruc-
tion publique, n'a pas eu de peine à dé-
montrer que nos finances ne sont pas si
mauvaises que M. Blavier veut le faire
croire, et, les, communes restant libres
d'emprunter ou non à leur gré, le projet
ne les obère nullement. Puis le ministre,
M. Goblet, insistant à son tour, a dit très
justement qu'ajourner la loi, ce serait
manquer aux engagements pris, refuser de
répondre à des besoins urgents, et que la
repousser, ce serait déclarer qu'on ne veut
plus faire d'écoles, malgré les demandes
des populations elles-mêmes. Enfin le mi-
nistre des finances, M. Sadi Carnot, ve-
nant à la rescousse pour dissiper toute
hésitation, affirme que le projet n'a aucun
inconvénient budgétaire et a été conçu,
au contraire, de manière à dégager la dette
flottante.
Cette fois, la démonstration est faite,
bien faite, et malgré les cris et les grands
gestes de M. Blavier, qui persiste à vou-
loir tout casser, le Sénat passe à l'examen
des articles, et les vote tous successive-
ment, presque sans discussion.
L'ensemble du projet bien et dûment
voté à une énorme majorité, le Sénat a re-
pris la délibération sur les cas de nullité
de mariage et les séparations de corps.
Le rapporteur, M. Allou, donne lecture
d'un texte rectifié de l'article premier, qui
donne le droit de faire annuler le mariage
dans les cas de substitution de personne,
d'usurpation d'état civil, de condamnation
antérieurement au mariage à une peine
afflictive ou infamante, et ce texte est
adopté.
Moins heureux, l'article 2, qui dit que
le tribunal pourra interdire à la femme
séparée de continuer à porter le nom du
mari, ou au mari celui d'adjoindre à son
nom le nom de sa femme, soulève des
protestations du garde des sceaux et de
plusieurs orateurs et finit. par être re-
poussé.
Le Sénat n'a pas poussé plus loin le dé-
bat et s'est séparé sur ce vote en s'ajour-
nant à demain.
A. LANDRIN.
--- —————
NOUVELLES PARLEMENTAIRES
CHAMBRE DES DÉPUTÉS
* jf Commission du budget
M. Sadi Carnot, ministre des finances, a été
entendu hier par la commission du budget au
sujet de la création du compte spécial de la
garantie d'intérêt des chemins de fer français
et algériens.
M. Ribot s'était prononcé contre la création
de ce compte et avait exprimé le vœu que les
grandes Compagnies fissent face, aux lieu et
place de l'Etat, pour 1886, à la charge des ga-
ranties d'intérêt, au moyen d'une émission
d'obligations.
Le ministre des finances a combattu ce sys-
tème. Il a déclaré qu'il fallait exclure du
budget ordinaire les garanties d'intérêt qui
sont une avance remboursable, produc-
tive d'intérêts et gagée sur le matériel des
Compagnies. Il a insisté pour que le compte
spécial des garanties d'intérêt fût alimenté
par l'Etat au moyen d'une émission d'obliga-
tions sexennaires qui se placent à un taux
plus avantageux que celui des obligations de
chemins de fer.
La commission du budget a approuvé dans
leur ensemble les propositions du gouverne-
ment et a décidé que l'opération s'applique-
rait, comme le demandait M. Sadi Carnot,
aux 13 millions de garanties des chemins de
fer algériens comme aux 50 millions des che-
mins de fer français.
La commission du budget a adopté le cré-
dit demandé pour l'organisation de la station
maritime d'Obock et, sur la demande de M,
Rousseau, sous-secrétaire d'Etat aux colonies,
elle a élevé le crédit de 600,000 francs à
1,100,000 fr.
M. Rouvier, président de la commission, a
rendu compte d'un entretien qu'il a eu avec
M. Henri Brisson, au sujet d'une proposition
de M. Ribot tendant à inscrire au budget de
1886 un crédit représentant la dépense nor-
male d'occupation du Tonkin. M. Henri Bris-
son a répondu à M. Rouvier qu'il ne croyait
pas possible d'établir dès à présent, à ce su-
jet, des prévisions sérieuses, et qu'il priait la
commission du budget de réserver la ques-
tion.
M. Rouvier a communiqué à la commission
un état de répartition du crédit de 200 mil-
lions récemment voté par les Chambres pour
l'expédition du Tonkin. Sur ces 200 millions,
100 millions ont été attribués au département
de la guerre et 100 millions au département
de la marine. Il résulte d'une note de l'amiral
Galiber que si les 100 millions attribués au
département de la marine sont dépensés à
remettre en état notre matériel naval, il
manquera encore 900,000 francs pour que
notre flotte puisse être mise dans l'état où
elle se trouvait avant l'expédition du Tonkin.
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