Titre : Le XIXe siècle : journal quotidien politique et littéraire / directeur-rédacteur en chef : Gustave Chadeuil
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1885-06-17
Contributeur : Chadeuil, Gustave (1821-1896). Directeur de publication
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Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 17 juin 1885 17 juin 1885
Description : 1885/06/17 (A15,N4911). 1885/06/17 (A15,N4911).
Droits : Consultable en ligne
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Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-199
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 09/04/2013
Quinzième année. — N° 4911
Prix du numéro à Paris : 15 centimes — Départements : 20 centimes
Mercredi 17 Juin 1885
LE xir SIECLE
JOURNAL RÉPUBLICAIN CONSERVATEUR
RÉDACTION
S'adresser au Secrétaire de la Rédaotion
de 2 heures à minuit
16, rixe Cadet, 16
Les Manuscrits non insérés ne seront pas rendus
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Sixmo!s. 33 »»
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PARIS
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Six mois. 25 »>»
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Adresser les Lettres et Mandats à 1 Administrateur -
16, rue Cad..e't, 16
Les Lettres non affranchies seront refusée.
EN VENTE A LONDRES
A la librairie Petitjean
39, OLD COMPTON STREET (SOHO)
ET DANS SES SUCCURSALES
37, Charlotte street, Fitzrôy Square,
Et 15, Tichborne Street, (Café Monico. 2d.)
Nous rappelons à MM. les actionnaires
du XIXe SIÈCLE que les actions de l'an-
cienne Société sont échangées depuis le
1er juin à raison de trois anciennes pour
une nouvelle.
L'échange a lieu chez MM. Le Dru,
Heintz et Ozanne, banquiers, 42, rue No-
tre-De,me-des-Victoires.
SOMMAIRE
Dernières nouvelles.
Bulletin
Question du jour. —
Honneur aux héros. — P. F.
Chambre des députés. — Louis DESFORGES.
Sénat. — A. LANDRIN.
Nouvelles parlementaires.
L'Incident de Tunis. — Louis HENRIQUE.
Nouvelles de Chine.
Nouvelles coloniales.
Informations.
Chronique. — GABRIEL D'ENCRE.
Journée de Paris. — CANALIS.
Revue de la presse. — NACHETTE.
Le Choléra en Espagne.
M. Goblet à Chartres.
Documents parlementaires.
Courrier de la Bourse. - H. LE FAURE.
Le Sport du jour. — FAVELLES.
Tribunaux.
Faits divers.
Courrier des théâtres. - GEORGES FEYDEAU.
Feuilleton : Suzette. - DUBUT DE LAFOREST.
DERNIÈRES NOUVELLES
M. MANCINI AU PARLEMENT ITALIEN
M. Mancini, répondant à MU. Sormani
et Moretti, déclare, au cours de la discus-
sion du budget des affaires étrangères, que
la situation n'a pê.S changé depuis le vote
de confiante du 8 mai.
Les événements survenus ont confirmé
les prévisions du gouvernement.
Les expéditions annoncées sont envoie
d exécution. Le capitaine Cecchi explore
les bouches du Jouba, et le capitaine Bove
est au Congo. Ils sont occcupés tous deux
à conclure des traités de commerce et d'a-
mitié avec les chefs et les souverains de
ces contrées.
Le gouvernement n'entreprendra au-
cune action nouvelle dans la mer Rouge
'Sans consulter le Parlement ; mais il ne
veut pas retirer les troupes déjà envoyées,
car il juge utiles les expéditions actuelles.
Si la Chambre décide de lui retirer sa con-
fiance, il respectera son jugement envieux
parlementaire et en patriote.
M. Bertoni, au nom de l'Extrême Gau-
che, et M. Cairoli, au nom de lapentarchie,
déclarent qu'ils voteront contre la politi-
que étrangère du cabinet.
M. Depretis déclare que tout le cabinet
est absolument solidaire de la politique
étrangère de M. 'Mancini.
L'ordre du jour suivant, accepté par le
ministère, est mis aux voix :
« La Chambre prend acte des déclara-
tions du ministère. »
Cet ordre du jour est adopté par 147
voix contre 126 et 3 abstentions.
LE CABINET ANGLAIS
Le marquis de Salisbury a eu avec lord
H. Churchill une longue entrevue ; il a
conféré ensuite avec sir John Manners,
lord Robert Cecil, le comte Carnavoll, lord
Rowton, sir Michael Hicks Beach, sir
Drummond Wolff, lord Abergavenny et
d'autres membres du parti conservateur.
On assure que ces premiers pourparlers
ont eu finalement pour résultat de facili-
ter une entente qui permettra la rapide
formation d'un ministère.
Les ministres démissionnaires se sont
réunis aussi de leur côtéàDowning-Street.
Sir Ch. Dilke et M. Chamberlain assistaient
à cette réunion.
LE CHOLÉRA EN ESPAGNE
Le ministre de l'intérieur, répondant à
une interpellation au sujet de la déclara-
tion officielle de l'existence du choléra à
Madrid, dit que toutes les nations de
l'Europe ayant soumis à des quarantaines
les provenances et voyageurs d'Espagne,
il n'a vu aucun inconvénient à faire cette
déclaration, 'et a voulu ainsi engager les
habitants de Madrid à prendre toutes les
mesures de prudence.
Le correspondant du Correo dit que la
commission scientifique de Valence re-
connaît dans ses rapports l'utilité et l'inno-
cuité des inoculations faites par le docteur
Ferran, et qu'elle les recommandera avec
certaines restrictions afin d'éviter les
abus.
————————— e ———.
BULLETIN
La Chambre a, hier, ajourné une propo-
sition de M. de Baudry d'Asson qui de-
mandait que des obsèques nationales fus-
sent faites à l'amiral Courbet. Nos lecteurs
verront plus loin pour quelles raisons le
gouvernement a Combattu cette proposi-
tion qu'il se réserve d'apporter lui-même
à la tribune en temps utile.
La discussion de la loi sur le recrute-
ment a été ensuite reprise, et la discus-
sion du budget fixée à lundi.
Le Sénat a levé sa séance en signe de
deuil, après un éloquent discours de M.
Brisson qui a rappelé les belles qualités
de soldat de l'amiral Courbet.
En Angleterre, la situation ministérielle
reste toujours la même. Le bruit a couru,
et la Saint-James Gazette s'en est fait l'é-
cho, que les conservateurs renonçaient à
constituer un cabinet. Mais cette nouvelle
a été démentie.
Lord Salisbury et sir Stafford Northcote
paraissent décidés à prendre le pouvoir ;
mais ils ont eux-même à se défendre
contre les attaques des libéraux, à répri-
mer le zèle et l'audace belliqueuse des
intransigeants du parti, lord R. Churchill
en tête. La tâche est difficile et les condi-
tions d'existence du nouveau cabinet assez
précaires. Le Times prêche toujours la
conciliation aux libéraux.
« Il est admis maintenant, dit ce jour-
nal, non seulement par les députés con-
servateurs, mais par toutes les personnes
équitables, que si lord Salisbury assume le
pouvoir, qui appartient en fait aux libé-
raux, il a le droit d'exiger de ceux-ci l'en-
gagement qu'on ne le molestera pas dans
son administration jusqu'aux nouvelles
élections. Il est douteux que cet engage-
ment soit pris, et bien des conservateurs
craignent même dans le cas contraire que
le nouveau cabinet ne puisse sortir d'em-
barras. Si les libéraux disent que cet en-
gagement est sans précédent, on peut leur
répondre que la situation actuelle est éga-
lement inouïe et qu'elle a été amenée par
eux. »
Le Standard signale des divergences de
vue qui séparent les diverses fractions du
parti conservateur.
« Les conservateurs, dit-il, reconnaissent
que des difficultés sérieuses se sont pro-
duites à cause de certaines divergences de
vues entre les députés qui devront faire
partie du nouveau cabinet. On rapporte
que lord R. Churchill a représenté qu'il
serait impraticable et peu désirable de
renouveler le Crimes' Act dans cette ces-
sion, tandis que d'autres membres du
futur cabinet affirment qu'il est indispen-
sable que ce projet de loi soit voté. »
L'échange des ratifications de la conven-
tion conclue entre l'Allemagne et l'Espa-
gne, en vue de modifier le traité de com-
merce hispano-allemand, a eu lieu hier à
Berlin.
QUESTION DU JOUR
L'exploitation du deuil
La nouvelle de la mort de l'amiral
Courbet a été pour la grande majorité
des Français un deuil public. Pour quel-
ques politiciens, c'est surtout une occa-
sion de dauber sur le ministère Ferry
et sur la politique coloniale. Ce soldat,
mort à son poste, devient pour les in-
transigeants une victime de l'opportu-
nisme, Ile s'en servent pour refaire à
leur façon la promenade du cadavre.
Les journaux de l'Extrême Gauche sem-
blent s'être donné le mot, mais c'est le
conseil municipal de Paris qui a su le
mieux mettre à profit la perte éprouvée
par la marine française,
Quelques membres appartenant à tous
les groupes avaient proposé de s'as-
socier au deuil national « en dehors de
toute considération politique ». Rien n'é-
tait plus simple que de s'en tenir à ce
juste hommage rendu au soldat qui
vient de succomber aux fatigues d'une
glorieuse campagne. Mais le président,
M. Michelin, a éprouvé le besoin d'ap-
peler l'amiral Courbet « une victime de
la politique coloniale ». Des protesta-
tions se sont fait entendre sur les bancs
où l'on n'estime pas que ce soit un
crime d'agrandir le domaine de la
France. Là-dessus, la majorité a pris
feu, et, après quelques sorties virulen-
tes de deux ou trois orateurs du crû,
elle a voté un ordre du jour approuvant
le langage du président.
Il ne faut pas donner a cet incident
plus d'importance qu'il n'en a. Pendant
que nos édiles déclament contre la po-
litique coloniale, le gouvernement et les
Chambres en acceptent les résultats sans
la moindre répugnance ; M. de Freyci-
net demande et obtient la ratification du
traité de Hué, du traité avec le Cam-
bodge. Peu de gens proposent sérieuse-
ment l'abandon de nos conquêtes, et
nous aimons à croire qu'il est beaucoup
d'intransigeants, parmi les plus échauf-
fés, de qui le patriotisme serait doulou-
reusement affecté si l'on suivait leur avis.
Mais l'exemple du conseil municipal
était trop séduisant pour n'être pas
suivi, et M. de Baudry-d'Asson n'a pas
voulu que la Droite du Palais-Bourbon se
montrât inférieure à l'Extrême-Gauche
de l'Hôtel de Ville ; une fois de plus, on
a vu ces deux sœurs ennemies, l'intran-
sigeance et la réaction, se prêter réci-
proquement leurs idées et leurs mots.
Nous n'insistons pas sur le fâcheux
malentendu provoqué par la proposition
du fougueux Vendéen. Mais il nous sem-
ble que cette façon de pleurer nos morts
illustres a quelque chose de choquant,
et dénote une médiocre intelligence de
ce qu'est le devoir militaire. On dirait,
à lire certains articles, à entendre cer-
tains discours, que les soldats qui tom-
bent frappés par l'ennemi ou par le cli-;
mat sont plus ou moins à plaindre se-
Ion qu'ils faisaient la guerre à tel ou tel
adversaire, pour tel ou tel motif. Par-
tout où le drapeau de la France est en-
gagé, ceux qui le portent bravent le
péril avec une égale résolution, avec
une égale allégresse. Un marin qui se
bat pour acquérir une colonie à son
pays, ou pour vêngèr l'honneur du pa-
villon national, ne se demande pas si
cette acquisition est vraiment profitable,
si le pavillon, a été mal à propos com-
promis par une erreur de son gouver-
nement. C'est aux hommes d'Etat à peser
les raisons de braver ou d'éviter la
lutte; les soldats, qui ne marchandent
pas leur vie, ne s'amusent pas à calculer
la valeur exacte de l'objet en litige.
Certes, on doit être en tout temps
iftéiiagêr du sang français, et nous
n'excuserons jamais une guerre frivole.
Mais nous ne croyons pas que le sou-
venir toujours vivant de nos revers et
du démembrement de notre territoire
doive nous empêcher de défendre,
même par la force, les intérêts fran-
çais dans le reste du monde. Le recueil-
lement absolu que nous conseillent cer-
tains patriotes, et que les ennemis in-
génieux du ministère Ferry réclamaient
par esprit de parti au moins autant que
par principe, cette sainte horreur de
tout agrandissement dans un temps où
presque toutes les puissances d'Europe
se disputent fiévreusement les places
vides et les colonies à prendre, c'est
une inertie qui ressemblerait à de la
peur, et qui finirait par nous inculquer
à nous-mêmes l'habitude de la timidité ;
c'est une abdication qui ne relèverait
certainement ni notre prestige au de-
hors ni notre caractère national. Ce
serait, au bout de quelques années,
la décadence de l'esprit militaire dans
notre pays.
Certes nous ne saurions trop regret-
ter l'éminent homme de guerre qui
vient de nous être enlevé. Mais ce se-
rait rendre à sa mémoire un médiocre
hommage que de mêler à notre deuil des
récriminations de parti. Ce serait aussi
méconnaître la valeur et la vitalité de
nos armées de terre et de mer que de
les croire décapitées par de telles per-
tes, si douloureuses qu'elles soient.
L'exemple des braves qui succombent
leur enfante de dignes successeurs, et
aucun des défenseurs du drapeau tri-
colore ne doit emporter dans la tombe
cette douloureuse pensée que le drapeau
sera moins bien défendu quand il ne
sera plus là.
$
Nom
J'ai reçu, à propos de l'article que le XIXc
Siècle a publié sur la mort de l'amiral Cour-
bet, une lettre d'un officier supérieur, habi-
bitant une des villes voisines de Paris. Je ne
puis publier cette lettre, malgré le vif désir
que j'en aurais, par déférence pour le vœu de
mon correspondant. Mais il me sera permis
de lui témoigner ici ma gratitude et de lui
dire combien les sentiments qu'il exprime
sont les nôtres.
H. F.
HONNEUR AUX HÉROS !
En apprenant la mort de l'amiral Cour-
bet, le pays tout entier semble s'être écrié,
comme Victor Hugo perdant l'un après
l'autre ses deux fils :
Coup sur coup. Deuil sur deuil. Ah ! l'épreuve
[redouble !
L'humanité était frappée par la mort du
grand poète. La patrie armée est frappée
par la mort du grand soldat. La plupart
des journaux ont ppru encadrés de noir
et, malgré la pompe des récentes fun é-
railles de Victor Hugo, malgré le dicton :
Non bis in idem, l'amiral Courbet aura
certainement des obsèques nationales.
Pourquoi la France tient-elle à voir tous
ceux qui ont quelque droit à la représen-
ter suivre le convoi funèbre du vainqueur
de Thuan-An, de Sontay et de Fou-Tcheou?
Est-ce seulement pour rendre un suprême
hommage au soldat heureux qui a contri-
bué à relever le prestige de nos armes
Veut-on organiser une sorte d'apothéose
de nos victoires dans l'Extrême-Orient ?
Certes, ces intentions seraient louables,
mais elles ne suffisent pas à expliquer
l'unanimité, l'intensité des regrets que
cause la mort du commandant du Bayard.
Ce qui fend ces regrets plus poignants,
c'est que l'on n'a peut-être pas agi vis-a-
vis de l'amiral Courbet comme on aurait
dûagir, c'est qu'on n'a pas montré suffhàrn"
ment de confiance dans ses capacités mi-
litaires, c'est que les difficultés qu'on lui
a créées peuvent avoir abrégé sa vie. Ce
qui rend nécessaire une réparation solen-
nelle faite à sa mémoire, c'est qu'il n'est
pas le seul qui soit tombé bravement, a
son poste, sans que la France songe à lui
faire l'aumône d'un tombeau. L amiral
Pierre, malade comme l'amiral Courbet,
est venu mourir obscurément à Toulon,
sans se plaindre, sans être plaint. Où sont
les Cendres de Francis Garnier ? Dans un
coin du cimetière de Saïgon. Combien d'a-
mis ont suivi le cercueil du commandant
Rivière ? Bien peu de gens savent où il est
enterré.
Eh bien ! il ne faut pas que les hommes
d'énergie et de cœur qui donnent leur Vie
pour relever, dans les pays lointains,
l'honneur du nom français, soient ainsi
sacrifiés. Le devoir de tous les patriotes
est de réclamer, pour ceux qui sont morts
autour des trois couleurs, les funérailles
des héros. En suivant le cercueil de l'ami-
ral Courbet, en conduisant sa dépouille
sous le dôme des Invalides, en conviant à
ces obsèques nationales le peuple et l'ar-
mée, nous rendrons hommage non seule-
ment à l'amiral Courbet, mais à l'amiral
Pierre, au lieutenant Garnier, au comman-
dant Rivière, à tous les combattants tom-
bés au Tonkin, en Chine, à Madagascar.
Ceux de nos soldats qui luttent loin de
la mère-patrie verront qu'on ne les oublie
pas, qu'on les apprécie, qu'on les aime,
qu'on leur rend justice. Voilà pourquoi
nous devons préparer à la dépouille de
l'amiral Courbet un retour digne de son
courage, digne de l'héroïsme de ses com-
pagnons d'armes, digne de ses victoires,
digne de la France.
P. F.
LE PARLEMENT
COURRIER DE LA CHAMBRE
Paris, 16 juin 1885.
Le début de la séance a été particulière-
ment triste.
Les incidents pénibles qui s'étaient pro-
duits lors de la mort de Victor Hugo, se
sont renouvelés à propos de la mort de
l'amiral Courbet.
Voici, en quelques mots, comment les
choses se sont passées.
Hier, lorsque l'amiral Galiber annonça
à la Chambre la perte douloureuse que ve-
nait de faire la France, il ne fut pas ques-
tion des obsèques de l'amiral Courbet.
Malgré cela, il était convenu dans l'es-
prit de tout le monde que ces obsèques
ne pouvaient être que nationales.
On avait cependant oublié de le dire, et
la Droite, qui est toujours à l'affût, et ne
laisse échapper aucune occasion de mani-
fester sa haine contre la République, n'a
pas manqué, cette fois, de jouer du cada-
vre de notre grand marin, pour satisfaire
ses petites rancunes.
Il s'agissait pour elle de prendre une
revanche, et de répondre aux funérailles
de Victor Hugo par celles de l'amiral
Courbet.,
Ce n'est pas sans un certain étonnement
qu'on vit alors M. de Baudry-d'Asson, le fou-
gueux Vendéen, monter à la tribune, et de-
mander l'urgence sur une proposition ten-
dant à ce qu'il soit fait à l'amiral Courbet
des obsèques nationales.
Voyez-vous d'ici la belle niche que la
Droite veut faire à la Gauche ?
L'évêque d'Angers s'esclaffe de rire.
Ah ! la bonne farce ! Ce brave Baudry-
d'Asson est merveilleux pour ces sortes
de besognes !
Il met les pieds dans le plat avec une
candeur charmante.
D'ailleurs, écoutez-le développer l'ex-
posé des motifs de sa proposition :
« La politique d'aventures coloniales a
porté des fruits amers 1 » s'écrie-t-il aa
plus grosse voix. <.
*
* *
Sur ce mot, le vacarme commence. La
Droite exulte; M. de Baudry-d'Asson s'épa-
nouit; le coup a porté.
Il continue : « Je ne demande pas que
l'amiral Courbet soit enterré au Panthéon;
la place d'un chrétien n'est pas dans un
édifice d'où l'on a chassé Dieu ! »
Jusque-là l'incident ne dépasse pas les
limites d'une agréable facétie que la ma.":'
jorité tolère d'assez bonne humeur ; mais
l'intervention de M. de Mahy lui fait pren-
dre Une nouvelle tournure.
M. de Mahy a, par moments, l'attitude
d'un homme aigri, et quelques-uns at-
tribuent ces accès d'humeur chagrine à
des ambitions de portefeuille Inassouvies
Toujours - est-il que - M. de Mahy a eu,
hier, une singulière attitude en venant
appuyer la proposition de M. de Baudry-
d'Asson.
Le général Campenon a beau déclarer
qu'avant de résoudre cette question il est
convenable de savoir si l'amiral Courbet,
avant de mourir, n'a pas laissé des dispo-
sitions particulières, et si sa famille n'a
pas également des intentions dont il im-
porterait de tenir compte.
M. de Mahy ne l'entend pas de cette
oreille. Il faut que la Chambre vote l'ur-
gence sur la proposition de M. de Baudry-
d'Asson; c'est déjà trop, dit-il, d'avoir
laissé à un membre de la Droite l'initia-
tive d'une telle proposition.
Que M. de Mahy nous permette de le
lui dire : que ne l'a-t-il prise, lui ?
Il est évident que la Chambre est d'avis
qu'il faut faire à l'amiral Courbet des ob-
sèques nationales ; sur tous les bancs, on
est unanime à ce sujet, et le gouverne-
ment se proposait, comme l'a dit M. Al-
lain-Targé, de prendre lui-même l'initia-
tive de l'hommage qui doit être rendu au
vaillant soldat que tout le monde pleure ;
mais voilà ! M. de Mahy trouve l'occasion
de déverser sa bile sur ses collègues, et il
n'y manque pas.
Il ne s'aperçoit pas qu'il fait une beso-
gne imprudente, que l'évêque d'Angers et
ses coreligionnaires de la Droite l'applau-
dissent à tout rompre, qu'au contraire,
sur les bancs de la majorité, on est pres-
que confus de voir un membre du parti
républicain donner si maladroitement
dans le panneau.
M. de Mahy ne voit pas tout cela.
Il crie, il tempête, il écume ; pour un
peu, il se précipiterait dans les bras
de M. de Baudry-d'Asson.
Enfin cette triste comédie finit. M. Flo-
quet met aux voix l'urgence de la propo-
sition Baudry-d'Asson, qui est repoussée
par 292 voix contre 94, y compris celle de
M. de Mahy.
Ce vote, nos lecteurs le devinent, ne pré-
juge rien de @ la question. Ce n'était pas à
la Droite qu'appartenait l'initiative d'une
pareille proposition; tout le monde l'a
compris, M. de Mahy excepté.
Son intervention a donc été une mala-
dresse insigne. L'honorable questeur.'a
Feuilleton du XIXe SIÈCLE
Du 17 juin 1885
(2) -
SUZETTE
NOUVELLE
1
— suite —
M. Alexandre est un bourgeois, un
brave homme, malgré ses vanteries méri-
dionales. Il comprend que Suzette serait
plus heureuse ailleurs que chez lui, mais
fégoïsme excusable des vieillards influe
sur ses intentions généreuses.
- Tu as bien le temps de te marier,
dit-il à sa pupille. Tu verras, je te trou-
verai un bon parti.
Puis il ajouta mentalement :
— Si j'étais à la place d'Henri, tu serais
ma femme, petite.
C'est la tante qui, un jour où elle était
de mauvaise humeur, est allée dénicher
un mari pour Suzette. On a invité à dîner
l'instituteur de Milhac-les-Fontaines ; et
comme la jeune fille est resté froide et
réservée la tante l'a prise à part pour lui
dire :
— Mademoiselle veut épouser un prince,
sans doute ?.
La parente pauvre ne répondit pas :
Mme Laugardière la regarda, étonnée, en
murmurant :
— Elle est très courageuse.
Maintenant, Suzette est triste, parce que
la tante, qui est enfin descendue de sa
chaise, a laissé tomber ces mots:
— Nous allons faire les honneurs pour
le dîner des fiançailles. Suzette, vous
aurez un beau cadeau de noces.
Et comme l'orpheline tressaille, Mme
Laugardière dit, en souriant avec un air
de bienveillance :
— Suzette, votre tour viendra. Etes-
vous pressée ?
- Oh ! non, ma tante.
— Vous avez raison. Choisissez bien.
Et, la couvrant de son regard, la vieille
dame ajoute :
- Je choisirai pour vous.
La jeune fille n'ignore pas que
la question du mariage d'Henri et de
Mlle de Pindray est depuis quelque, mois
dans l'air ; mais, vraiment, elle ne pensait
pas que les choses fussent aussi avancées.
— Attrapez !. fait la vieille tante en re-
mettant à Suzette une demi-douzaine de
couverts d'argent. Ces dames ne tarderont
pas à arriver. Les compotiers sont dans
le placard, ainsi que les corbeilles à fruits.
Voyons, ma fille, soyez un peu plus gra-
cieuse. Vous me trouvez sévère et dure
pour vous, n'est-ce pas?. Qui aime bien.
La parente pauvre met le couvert et la
tante se dirige lentement vers la cuisine
pour surveiller les rôtis de la vieille Na-
nette.
La salle à manger est d'une grande sim-
plicité. Indépendamment de l'armoire du
linge, on y remarque un buffet en cerisier
avec des serrures de cuivre à têtes d'aigles,
une table ovale recouverte d'un tapis de
laine où sont rangés un pot à tabac, une
lampe, des livres et une collection du
journal VAvenir de la Dordogne. Tout le
long des murs, tapissés d'un papier bleu
fané, des fauteuils et des chaises dé paille ;
la cheminée en bois peint imitant le mar-
bre, supporte une pendule de porcelaine
— un Napoléon Ier équestre — et des va-
ses coloriés contenant des fleurs artifi-
cielles. Une porte à deux battants établit
une communication entre la salle à man-
ger et le salon de compagnie, comme di-
sent les bourgeoises de là-bas.
Le salon de compagnie sert, à l'occa-
sion, de chambre à coucher. L'alcôve à
deux lits est masquée, par des rideaux
blancs : çà et là, des chaises en tapisse-
rie, le travail de la morte, de cette chère
Adrienne qui défendait Suzette contre les
rigueurs de sa propre mère. Au fond, un
piano, entre deux fauteuils Voltaire ; dans
l'embrasure de la fenêtre, des étagères en-
combrées de vieux cartons de musique.
Un secrétaire d'acajou fait face au piano et
montre, aligné sur son dessus de marbre,
un service à thé. Au milieu du salon, une
table style Empire dont l'ornement princi-
pal est un porte-cigares à musique flanqué
de deux albums de photographies.
Les trois chambres du haut ne sont
guère plus luxueuses : l'une d'entre elles
est réservée aux dames de Pindray pour la
saison des vacances que les Parisiennes
passent à la Morbonne ; M. et Mme Lau-
gardière et leur fils Henri occupent les
deux autres : quant à Suzette, elle n'a
qu'une chambrette dont l'unique mobilier
se compose d'une table en bois blanc, de
deux chaises et d'une malle, la malle que
l'orpheline apporta il y a dix ans.
La jeune fille est montée dans son ré-
duit pour rajuster sa chevelure devant un
miroir ébréché. Elle a mis sa robe des
dimanches, une robe de laine légère, à
raies noires et bleues, qu'elle a confection-
née elle-même. Tout à coup, du bas de
l'escalier, s'élève la voix un peu criarde
de la tante :
— Suzette, venez faire chauffer la fla-
nelle de votre oncle. Entendez-vous,
Suzette?.
— Oui, ma tante.
La toilette n'a pas été longue ; et pour-
tant la demoiselle est gentille dans son
costume simple, bien fait à la taille, avec
ses cheveux blonds ramenés en bandeaux
et ce sourire d'enfant qu'elle essaie de
rendre joyeux. Elle comprend, la douce
Suzette, que tout est perdu pour elle ;
mais elle a la fierté de cacher ses tristes-
ses et le courage de dévorer ses larmes.
La voici dans la cuisine, face à face avec
la Nanette, la vieille servante, grognon
édentée qui mène grand tapage quand
il y a des invités à la maison. La domes-
tique est à la Morbonne, depuis plus de
quarante ans : si elle est dévouée à la fa-
mille Laugardière, elle est terrible avec
les étrangers, même avec quelques pa-
rents, surtout avec Suzanne Fougeras que
sa situation de fille pauvre ne lui rend
pas sympathique. Dans son inconscience,
la vieille va jusqu'à reprocher à la demoi-
selle l'imprévoyance ou plutôt la généro-
sité exagérée de sa mère qui l'a laissée
sans fortune.
- -
Suzette se tient accroupie devant la
flambée, un gilet de flanelle entre ses
mains, indifférente aux paroles qui gron-
dent autour d'elle. La domestique en
mouchÓir de tête, tablier de toile aux
reins, la figure couperosée, marche lente-
ment à travers sa cuisine ; ses petits yeux
gris clignotent et sa grande bouche abêtie
laisse tomber, de temps à autre, des
mots patois que souligne le balance-
ment de son gros corps de vieille petite
femme.
—■ Oh! tan dé cousiniers co faïvirâ lo
têtol E lu trabai n'avanço pci. (1).
Mme Laugardière, en train de surveiller
une compote de poires sur le potager,
murmure :
- Allons, Nanette, ne te fâche pas.
Tu es vieille : nous sommes là pour t'ai-
der.
— De jolis aides! gronde la farouche
cuisinière.
La porte de la cuisine s'ouvre brusque-
ment. Paraît un jeune homme accompa-
gné de son chien, puis, se traînant un peu,
le maître' de la maison, M. Alexandre
Laugardière, qui s'éponge le front avec
son mouchoir.
— Rien. rien, dit Henri. Il n'y a plus
de gibier.
Mais l'épagneul qui sent le carnier sem-
ble démentir les paroles du chasseur ; et, à
la grande joie de sa mère, le cousin de Su-
zette exhibe quatre perdreaux et un lièvre
qu'il remet à la domestique.
-Alexandre, tu vas changer. Suzette,
portez la bouilloire dans la chambre de
votre oncle.
Ces messieurs s'installent auprès du feu.
(1) Oh! tant de cuisiniers font tourner la tête 1.
Et le travail n'avance pas. -
— Eh bien, père, interroge Henri, nous
avons fait une bonne promenade?
— Tu as des jambes de fer.
— Mais il me semble que tu ne t'en tires
pas encore trop mal.
— Les jambes vont encore. mais la
vue. Oh! cegredin de levraut!. Là, parti
sous mes pieds. J'avais mon fusil à l'é-
paule.
En descendant de leur chambre, M. Lau-
gardière et son fils regardent en même
temps la grande pendule du corridor.
- Six heures. La voiture ne tardera
pas à arriver. Si nous allions un peu à
l'avance de ces dames. Tu viens, Henri?
— Oui, père. Et toi, maman?
— Je vais avec vous.
— Et Suzette?.
Il crie :
— Suzette !
— Suzette reste pour surveiller le rôti,
dit Mme Laugardière. La vieille Nanette
est tellement en colère qu'elle ferait tout
brûler.
Ils sortent.
Et comme Suzette s'est penchée sur le
feu pour arroser la volaille, la servante la
repousse presque brutalement :
— Vézean. Vézean. Toutà que las
cousinérias m'embarrassen !. (1)
Les Laugardière suivent une petite route
plantée d'arbres verts ; la mère s'appuie
au bras de son fils, un grand jeune homme
à moustaches noires, aux yeux pleins de
vive lumière, très élégant sous son veston
bleu serré à la taille. Henri porte un mo-
nocle et le papa Alexandre, qui ne croit pas
à la myopie de son fils, le tourmente fort
pour qu'il abandonne cet objet inutile.
— Tu te gâtes la vue.
— Oh! rien qu'un œil, papa.
Un vert vieillard, M. Alexandre. Il mar-
che, oublieux déjà des fatigues de la
journée, promenant son regard sur les
ajoncs qui bordent le chemin, se lançant
dans de longues explications sur les cul-
(1) Voyons, voyons, toutes ces cuisinières sont
embarrassantes!.
tures nouvelles destinées à atténuer les
ravages du phylloxéra. De haute taille, un
peu bedonnant, les cheveux gris coupés
ras, la figure glabre, n'étaient les minces
favoris blancs taillés à l'anglaise, des dents
bien blanches éclairées par un large rire,
tel apparaît le premier conseiller muni-
cipal inscrit de la commune de Milhac-les-
Fontaines. Le sous-préfet de Nontron a
insisté pour que M. Laugardière acceptât
le poste de maire que lui offrait l'unani-
mité du conseil municipal. Le bonhomme
a refusé sans raison plausible, abandon-
nant la charge à un de ses vieux amis
plus lettré que lui, mais peut-être moins
populaire dans la contrée. M. Alexandre
est l'ennemi juré de toutes les écritures
en ce qui le touche personnellement, car
il est le premier à s'enorgueillir de la
science du jeune ingénieur.
Il est vêtu d'une longue redingote noire
et coiffé d'un large chapeau de paille. Son
fils l'a doucement converti aux idées répu-
blicaines; et, dans sa-modeste sphère, il
n'a pas été étranger à la révolution sou-
daine qui a détruit chez le-paysan péri-
gourdin la légende napoléonienne.
Mais voilà qu'un nuage de poussière s'é-
lève dans les lointains de la route ; et trot-
tinant s'avance un cheval boiteux qui
traîne une voiture dont les essieux grin-
cent et dont la capote un peu rabattue sur
les malles du siège de derrière encadre le
visage des voyageurs.
— Ma tante. ma sœur.
— Vous avez fait bon voyage ?.
— Laure, vous devez être fatiguée ?.
- Et toi, Marie ?.
On se presse les main3; on s'embrasse,
et tandis que François traîne la bête par la
bride jusqu'à l'écurie, la famille rentre à
la maison en suivant la grande allée du
jardin.
François, aidé de l'un des métayers de
la cour, monte les malles dans la chambre
du haut réservée aux voyageuses.
DUBUT DE LAFOREST.
(A suivre)
Prix du numéro à Paris : 15 centimes — Départements : 20 centimes
Mercredi 17 Juin 1885
LE xir SIECLE
JOURNAL RÉPUBLICAIN CONSERVATEUR
RÉDACTION
S'adresser au Secrétaire de la Rédaotion
de 2 heures à minuit
16, rixe Cadet, 16
Les Manuscrits non insérés ne seront pas rendus
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Sixmo!s. 33 »»
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Régisseurs d'annonces : MM. LAGRANGE, CERF et G9
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EN VENTE A LONDRES
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ET DANS SES SUCCURSALES
37, Charlotte street, Fitzrôy Square,
Et 15, Tichborne Street, (Café Monico. 2d.)
Nous rappelons à MM. les actionnaires
du XIXe SIÈCLE que les actions de l'an-
cienne Société sont échangées depuis le
1er juin à raison de trois anciennes pour
une nouvelle.
L'échange a lieu chez MM. Le Dru,
Heintz et Ozanne, banquiers, 42, rue No-
tre-De,me-des-Victoires.
SOMMAIRE
Dernières nouvelles.
Bulletin
Question du jour. —
Honneur aux héros. — P. F.
Chambre des députés. — Louis DESFORGES.
Sénat. — A. LANDRIN.
Nouvelles parlementaires.
L'Incident de Tunis. — Louis HENRIQUE.
Nouvelles de Chine.
Nouvelles coloniales.
Informations.
Chronique. — GABRIEL D'ENCRE.
Journée de Paris. — CANALIS.
Revue de la presse. — NACHETTE.
Le Choléra en Espagne.
M. Goblet à Chartres.
Documents parlementaires.
Courrier de la Bourse. - H. LE FAURE.
Le Sport du jour. — FAVELLES.
Tribunaux.
Faits divers.
Courrier des théâtres. - GEORGES FEYDEAU.
Feuilleton : Suzette. - DUBUT DE LAFOREST.
DERNIÈRES NOUVELLES
M. MANCINI AU PARLEMENT ITALIEN
M. Mancini, répondant à MU. Sormani
et Moretti, déclare, au cours de la discus-
sion du budget des affaires étrangères, que
la situation n'a pê.S changé depuis le vote
de confiante du 8 mai.
Les événements survenus ont confirmé
les prévisions du gouvernement.
Les expéditions annoncées sont envoie
d exécution. Le capitaine Cecchi explore
les bouches du Jouba, et le capitaine Bove
est au Congo. Ils sont occcupés tous deux
à conclure des traités de commerce et d'a-
mitié avec les chefs et les souverains de
ces contrées.
Le gouvernement n'entreprendra au-
cune action nouvelle dans la mer Rouge
'Sans consulter le Parlement ; mais il ne
veut pas retirer les troupes déjà envoyées,
car il juge utiles les expéditions actuelles.
Si la Chambre décide de lui retirer sa con-
fiance, il respectera son jugement envieux
parlementaire et en patriote.
M. Bertoni, au nom de l'Extrême Gau-
che, et M. Cairoli, au nom de lapentarchie,
déclarent qu'ils voteront contre la politi-
que étrangère du cabinet.
M. Depretis déclare que tout le cabinet
est absolument solidaire de la politique
étrangère de M. 'Mancini.
L'ordre du jour suivant, accepté par le
ministère, est mis aux voix :
« La Chambre prend acte des déclara-
tions du ministère. »
Cet ordre du jour est adopté par 147
voix contre 126 et 3 abstentions.
LE CABINET ANGLAIS
Le marquis de Salisbury a eu avec lord
H. Churchill une longue entrevue ; il a
conféré ensuite avec sir John Manners,
lord Robert Cecil, le comte Carnavoll, lord
Rowton, sir Michael Hicks Beach, sir
Drummond Wolff, lord Abergavenny et
d'autres membres du parti conservateur.
On assure que ces premiers pourparlers
ont eu finalement pour résultat de facili-
ter une entente qui permettra la rapide
formation d'un ministère.
Les ministres démissionnaires se sont
réunis aussi de leur côtéàDowning-Street.
Sir Ch. Dilke et M. Chamberlain assistaient
à cette réunion.
LE CHOLÉRA EN ESPAGNE
Le ministre de l'intérieur, répondant à
une interpellation au sujet de la déclara-
tion officielle de l'existence du choléra à
Madrid, dit que toutes les nations de
l'Europe ayant soumis à des quarantaines
les provenances et voyageurs d'Espagne,
il n'a vu aucun inconvénient à faire cette
déclaration, 'et a voulu ainsi engager les
habitants de Madrid à prendre toutes les
mesures de prudence.
Le correspondant du Correo dit que la
commission scientifique de Valence re-
connaît dans ses rapports l'utilité et l'inno-
cuité des inoculations faites par le docteur
Ferran, et qu'elle les recommandera avec
certaines restrictions afin d'éviter les
abus.
————————— e ———.
BULLETIN
La Chambre a, hier, ajourné une propo-
sition de M. de Baudry d'Asson qui de-
mandait que des obsèques nationales fus-
sent faites à l'amiral Courbet. Nos lecteurs
verront plus loin pour quelles raisons le
gouvernement a Combattu cette proposi-
tion qu'il se réserve d'apporter lui-même
à la tribune en temps utile.
La discussion de la loi sur le recrute-
ment a été ensuite reprise, et la discus-
sion du budget fixée à lundi.
Le Sénat a levé sa séance en signe de
deuil, après un éloquent discours de M.
Brisson qui a rappelé les belles qualités
de soldat de l'amiral Courbet.
En Angleterre, la situation ministérielle
reste toujours la même. Le bruit a couru,
et la Saint-James Gazette s'en est fait l'é-
cho, que les conservateurs renonçaient à
constituer un cabinet. Mais cette nouvelle
a été démentie.
Lord Salisbury et sir Stafford Northcote
paraissent décidés à prendre le pouvoir ;
mais ils ont eux-même à se défendre
contre les attaques des libéraux, à répri-
mer le zèle et l'audace belliqueuse des
intransigeants du parti, lord R. Churchill
en tête. La tâche est difficile et les condi-
tions d'existence du nouveau cabinet assez
précaires. Le Times prêche toujours la
conciliation aux libéraux.
« Il est admis maintenant, dit ce jour-
nal, non seulement par les députés con-
servateurs, mais par toutes les personnes
équitables, que si lord Salisbury assume le
pouvoir, qui appartient en fait aux libé-
raux, il a le droit d'exiger de ceux-ci l'en-
gagement qu'on ne le molestera pas dans
son administration jusqu'aux nouvelles
élections. Il est douteux que cet engage-
ment soit pris, et bien des conservateurs
craignent même dans le cas contraire que
le nouveau cabinet ne puisse sortir d'em-
barras. Si les libéraux disent que cet en-
gagement est sans précédent, on peut leur
répondre que la situation actuelle est éga-
lement inouïe et qu'elle a été amenée par
eux. »
Le Standard signale des divergences de
vue qui séparent les diverses fractions du
parti conservateur.
« Les conservateurs, dit-il, reconnaissent
que des difficultés sérieuses se sont pro-
duites à cause de certaines divergences de
vues entre les députés qui devront faire
partie du nouveau cabinet. On rapporte
que lord R. Churchill a représenté qu'il
serait impraticable et peu désirable de
renouveler le Crimes' Act dans cette ces-
sion, tandis que d'autres membres du
futur cabinet affirment qu'il est indispen-
sable que ce projet de loi soit voté. »
L'échange des ratifications de la conven-
tion conclue entre l'Allemagne et l'Espa-
gne, en vue de modifier le traité de com-
merce hispano-allemand, a eu lieu hier à
Berlin.
QUESTION DU JOUR
L'exploitation du deuil
La nouvelle de la mort de l'amiral
Courbet a été pour la grande majorité
des Français un deuil public. Pour quel-
ques politiciens, c'est surtout une occa-
sion de dauber sur le ministère Ferry
et sur la politique coloniale. Ce soldat,
mort à son poste, devient pour les in-
transigeants une victime de l'opportu-
nisme, Ile s'en servent pour refaire à
leur façon la promenade du cadavre.
Les journaux de l'Extrême Gauche sem-
blent s'être donné le mot, mais c'est le
conseil municipal de Paris qui a su le
mieux mettre à profit la perte éprouvée
par la marine française,
Quelques membres appartenant à tous
les groupes avaient proposé de s'as-
socier au deuil national « en dehors de
toute considération politique ». Rien n'é-
tait plus simple que de s'en tenir à ce
juste hommage rendu au soldat qui
vient de succomber aux fatigues d'une
glorieuse campagne. Mais le président,
M. Michelin, a éprouvé le besoin d'ap-
peler l'amiral Courbet « une victime de
la politique coloniale ». Des protesta-
tions se sont fait entendre sur les bancs
où l'on n'estime pas que ce soit un
crime d'agrandir le domaine de la
France. Là-dessus, la majorité a pris
feu, et, après quelques sorties virulen-
tes de deux ou trois orateurs du crû,
elle a voté un ordre du jour approuvant
le langage du président.
Il ne faut pas donner a cet incident
plus d'importance qu'il n'en a. Pendant
que nos édiles déclament contre la po-
litique coloniale, le gouvernement et les
Chambres en acceptent les résultats sans
la moindre répugnance ; M. de Freyci-
net demande et obtient la ratification du
traité de Hué, du traité avec le Cam-
bodge. Peu de gens proposent sérieuse-
ment l'abandon de nos conquêtes, et
nous aimons à croire qu'il est beaucoup
d'intransigeants, parmi les plus échauf-
fés, de qui le patriotisme serait doulou-
reusement affecté si l'on suivait leur avis.
Mais l'exemple du conseil municipal
était trop séduisant pour n'être pas
suivi, et M. de Baudry-d'Asson n'a pas
voulu que la Droite du Palais-Bourbon se
montrât inférieure à l'Extrême-Gauche
de l'Hôtel de Ville ; une fois de plus, on
a vu ces deux sœurs ennemies, l'intran-
sigeance et la réaction, se prêter réci-
proquement leurs idées et leurs mots.
Nous n'insistons pas sur le fâcheux
malentendu provoqué par la proposition
du fougueux Vendéen. Mais il nous sem-
ble que cette façon de pleurer nos morts
illustres a quelque chose de choquant,
et dénote une médiocre intelligence de
ce qu'est le devoir militaire. On dirait,
à lire certains articles, à entendre cer-
tains discours, que les soldats qui tom-
bent frappés par l'ennemi ou par le cli-;
mat sont plus ou moins à plaindre se-
Ion qu'ils faisaient la guerre à tel ou tel
adversaire, pour tel ou tel motif. Par-
tout où le drapeau de la France est en-
gagé, ceux qui le portent bravent le
péril avec une égale résolution, avec
une égale allégresse. Un marin qui se
bat pour acquérir une colonie à son
pays, ou pour vêngèr l'honneur du pa-
villon national, ne se demande pas si
cette acquisition est vraiment profitable,
si le pavillon, a été mal à propos com-
promis par une erreur de son gouver-
nement. C'est aux hommes d'Etat à peser
les raisons de braver ou d'éviter la
lutte; les soldats, qui ne marchandent
pas leur vie, ne s'amusent pas à calculer
la valeur exacte de l'objet en litige.
Certes, on doit être en tout temps
iftéiiagêr du sang français, et nous
n'excuserons jamais une guerre frivole.
Mais nous ne croyons pas que le sou-
venir toujours vivant de nos revers et
du démembrement de notre territoire
doive nous empêcher de défendre,
même par la force, les intérêts fran-
çais dans le reste du monde. Le recueil-
lement absolu que nous conseillent cer-
tains patriotes, et que les ennemis in-
génieux du ministère Ferry réclamaient
par esprit de parti au moins autant que
par principe, cette sainte horreur de
tout agrandissement dans un temps où
presque toutes les puissances d'Europe
se disputent fiévreusement les places
vides et les colonies à prendre, c'est
une inertie qui ressemblerait à de la
peur, et qui finirait par nous inculquer
à nous-mêmes l'habitude de la timidité ;
c'est une abdication qui ne relèverait
certainement ni notre prestige au de-
hors ni notre caractère national. Ce
serait, au bout de quelques années,
la décadence de l'esprit militaire dans
notre pays.
Certes nous ne saurions trop regret-
ter l'éminent homme de guerre qui
vient de nous être enlevé. Mais ce se-
rait rendre à sa mémoire un médiocre
hommage que de mêler à notre deuil des
récriminations de parti. Ce serait aussi
méconnaître la valeur et la vitalité de
nos armées de terre et de mer que de
les croire décapitées par de telles per-
tes, si douloureuses qu'elles soient.
L'exemple des braves qui succombent
leur enfante de dignes successeurs, et
aucun des défenseurs du drapeau tri-
colore ne doit emporter dans la tombe
cette douloureuse pensée que le drapeau
sera moins bien défendu quand il ne
sera plus là.
$
Nom
J'ai reçu, à propos de l'article que le XIXc
Siècle a publié sur la mort de l'amiral Cour-
bet, une lettre d'un officier supérieur, habi-
bitant une des villes voisines de Paris. Je ne
puis publier cette lettre, malgré le vif désir
que j'en aurais, par déférence pour le vœu de
mon correspondant. Mais il me sera permis
de lui témoigner ici ma gratitude et de lui
dire combien les sentiments qu'il exprime
sont les nôtres.
H. F.
HONNEUR AUX HÉROS !
En apprenant la mort de l'amiral Cour-
bet, le pays tout entier semble s'être écrié,
comme Victor Hugo perdant l'un après
l'autre ses deux fils :
Coup sur coup. Deuil sur deuil. Ah ! l'épreuve
[redouble !
L'humanité était frappée par la mort du
grand poète. La patrie armée est frappée
par la mort du grand soldat. La plupart
des journaux ont ppru encadrés de noir
et, malgré la pompe des récentes fun é-
railles de Victor Hugo, malgré le dicton :
Non bis in idem, l'amiral Courbet aura
certainement des obsèques nationales.
Pourquoi la France tient-elle à voir tous
ceux qui ont quelque droit à la représen-
ter suivre le convoi funèbre du vainqueur
de Thuan-An, de Sontay et de Fou-Tcheou?
Est-ce seulement pour rendre un suprême
hommage au soldat heureux qui a contri-
bué à relever le prestige de nos armes
Veut-on organiser une sorte d'apothéose
de nos victoires dans l'Extrême-Orient ?
Certes, ces intentions seraient louables,
mais elles ne suffisent pas à expliquer
l'unanimité, l'intensité des regrets que
cause la mort du commandant du Bayard.
Ce qui fend ces regrets plus poignants,
c'est que l'on n'a peut-être pas agi vis-a-
vis de l'amiral Courbet comme on aurait
dûagir, c'est qu'on n'a pas montré suffhàrn"
ment de confiance dans ses capacités mi-
litaires, c'est que les difficultés qu'on lui
a créées peuvent avoir abrégé sa vie. Ce
qui rend nécessaire une réparation solen-
nelle faite à sa mémoire, c'est qu'il n'est
pas le seul qui soit tombé bravement, a
son poste, sans que la France songe à lui
faire l'aumône d'un tombeau. L amiral
Pierre, malade comme l'amiral Courbet,
est venu mourir obscurément à Toulon,
sans se plaindre, sans être plaint. Où sont
les Cendres de Francis Garnier ? Dans un
coin du cimetière de Saïgon. Combien d'a-
mis ont suivi le cercueil du commandant
Rivière ? Bien peu de gens savent où il est
enterré.
Eh bien ! il ne faut pas que les hommes
d'énergie et de cœur qui donnent leur Vie
pour relever, dans les pays lointains,
l'honneur du nom français, soient ainsi
sacrifiés. Le devoir de tous les patriotes
est de réclamer, pour ceux qui sont morts
autour des trois couleurs, les funérailles
des héros. En suivant le cercueil de l'ami-
ral Courbet, en conduisant sa dépouille
sous le dôme des Invalides, en conviant à
ces obsèques nationales le peuple et l'ar-
mée, nous rendrons hommage non seule-
ment à l'amiral Courbet, mais à l'amiral
Pierre, au lieutenant Garnier, au comman-
dant Rivière, à tous les combattants tom-
bés au Tonkin, en Chine, à Madagascar.
Ceux de nos soldats qui luttent loin de
la mère-patrie verront qu'on ne les oublie
pas, qu'on les apprécie, qu'on les aime,
qu'on leur rend justice. Voilà pourquoi
nous devons préparer à la dépouille de
l'amiral Courbet un retour digne de son
courage, digne de l'héroïsme de ses com-
pagnons d'armes, digne de ses victoires,
digne de la France.
P. F.
LE PARLEMENT
COURRIER DE LA CHAMBRE
Paris, 16 juin 1885.
Le début de la séance a été particulière-
ment triste.
Les incidents pénibles qui s'étaient pro-
duits lors de la mort de Victor Hugo, se
sont renouvelés à propos de la mort de
l'amiral Courbet.
Voici, en quelques mots, comment les
choses se sont passées.
Hier, lorsque l'amiral Galiber annonça
à la Chambre la perte douloureuse que ve-
nait de faire la France, il ne fut pas ques-
tion des obsèques de l'amiral Courbet.
Malgré cela, il était convenu dans l'es-
prit de tout le monde que ces obsèques
ne pouvaient être que nationales.
On avait cependant oublié de le dire, et
la Droite, qui est toujours à l'affût, et ne
laisse échapper aucune occasion de mani-
fester sa haine contre la République, n'a
pas manqué, cette fois, de jouer du cada-
vre de notre grand marin, pour satisfaire
ses petites rancunes.
Il s'agissait pour elle de prendre une
revanche, et de répondre aux funérailles
de Victor Hugo par celles de l'amiral
Courbet.,
Ce n'est pas sans un certain étonnement
qu'on vit alors M. de Baudry-d'Asson, le fou-
gueux Vendéen, monter à la tribune, et de-
mander l'urgence sur une proposition ten-
dant à ce qu'il soit fait à l'amiral Courbet
des obsèques nationales.
Voyez-vous d'ici la belle niche que la
Droite veut faire à la Gauche ?
L'évêque d'Angers s'esclaffe de rire.
Ah ! la bonne farce ! Ce brave Baudry-
d'Asson est merveilleux pour ces sortes
de besognes !
Il met les pieds dans le plat avec une
candeur charmante.
D'ailleurs, écoutez-le développer l'ex-
posé des motifs de sa proposition :
« La politique d'aventures coloniales a
porté des fruits amers 1 » s'écrie-t-il aa
plus grosse voix. <.
*
* *
Sur ce mot, le vacarme commence. La
Droite exulte; M. de Baudry-d'Asson s'épa-
nouit; le coup a porté.
Il continue : « Je ne demande pas que
l'amiral Courbet soit enterré au Panthéon;
la place d'un chrétien n'est pas dans un
édifice d'où l'on a chassé Dieu ! »
Jusque-là l'incident ne dépasse pas les
limites d'une agréable facétie que la ma.":'
jorité tolère d'assez bonne humeur ; mais
l'intervention de M. de Mahy lui fait pren-
dre Une nouvelle tournure.
M. de Mahy a, par moments, l'attitude
d'un homme aigri, et quelques-uns at-
tribuent ces accès d'humeur chagrine à
des ambitions de portefeuille Inassouvies
Toujours - est-il que - M. de Mahy a eu,
hier, une singulière attitude en venant
appuyer la proposition de M. de Baudry-
d'Asson.
Le général Campenon a beau déclarer
qu'avant de résoudre cette question il est
convenable de savoir si l'amiral Courbet,
avant de mourir, n'a pas laissé des dispo-
sitions particulières, et si sa famille n'a
pas également des intentions dont il im-
porterait de tenir compte.
M. de Mahy ne l'entend pas de cette
oreille. Il faut que la Chambre vote l'ur-
gence sur la proposition de M. de Baudry-
d'Asson; c'est déjà trop, dit-il, d'avoir
laissé à un membre de la Droite l'initia-
tive d'une telle proposition.
Que M. de Mahy nous permette de le
lui dire : que ne l'a-t-il prise, lui ?
Il est évident que la Chambre est d'avis
qu'il faut faire à l'amiral Courbet des ob-
sèques nationales ; sur tous les bancs, on
est unanime à ce sujet, et le gouverne-
ment se proposait, comme l'a dit M. Al-
lain-Targé, de prendre lui-même l'initia-
tive de l'hommage qui doit être rendu au
vaillant soldat que tout le monde pleure ;
mais voilà ! M. de Mahy trouve l'occasion
de déverser sa bile sur ses collègues, et il
n'y manque pas.
Il ne s'aperçoit pas qu'il fait une beso-
gne imprudente, que l'évêque d'Angers et
ses coreligionnaires de la Droite l'applau-
dissent à tout rompre, qu'au contraire,
sur les bancs de la majorité, on est pres-
que confus de voir un membre du parti
républicain donner si maladroitement
dans le panneau.
M. de Mahy ne voit pas tout cela.
Il crie, il tempête, il écume ; pour un
peu, il se précipiterait dans les bras
de M. de Baudry-d'Asson.
Enfin cette triste comédie finit. M. Flo-
quet met aux voix l'urgence de la propo-
sition Baudry-d'Asson, qui est repoussée
par 292 voix contre 94, y compris celle de
M. de Mahy.
Ce vote, nos lecteurs le devinent, ne pré-
juge rien de @ la question. Ce n'était pas à
la Droite qu'appartenait l'initiative d'une
pareille proposition; tout le monde l'a
compris, M. de Mahy excepté.
Son intervention a donc été une mala-
dresse insigne. L'honorable questeur.'a
Feuilleton du XIXe SIÈCLE
Du 17 juin 1885
(2) -
SUZETTE
NOUVELLE
1
— suite —
M. Alexandre est un bourgeois, un
brave homme, malgré ses vanteries méri-
dionales. Il comprend que Suzette serait
plus heureuse ailleurs que chez lui, mais
fégoïsme excusable des vieillards influe
sur ses intentions généreuses.
- Tu as bien le temps de te marier,
dit-il à sa pupille. Tu verras, je te trou-
verai un bon parti.
Puis il ajouta mentalement :
— Si j'étais à la place d'Henri, tu serais
ma femme, petite.
C'est la tante qui, un jour où elle était
de mauvaise humeur, est allée dénicher
un mari pour Suzette. On a invité à dîner
l'instituteur de Milhac-les-Fontaines ; et
comme la jeune fille est resté froide et
réservée la tante l'a prise à part pour lui
dire :
— Mademoiselle veut épouser un prince,
sans doute ?.
La parente pauvre ne répondit pas :
Mme Laugardière la regarda, étonnée, en
murmurant :
— Elle est très courageuse.
Maintenant, Suzette est triste, parce que
la tante, qui est enfin descendue de sa
chaise, a laissé tomber ces mots:
— Nous allons faire les honneurs pour
le dîner des fiançailles. Suzette, vous
aurez un beau cadeau de noces.
Et comme l'orpheline tressaille, Mme
Laugardière dit, en souriant avec un air
de bienveillance :
— Suzette, votre tour viendra. Etes-
vous pressée ?
- Oh ! non, ma tante.
— Vous avez raison. Choisissez bien.
Et, la couvrant de son regard, la vieille
dame ajoute :
- Je choisirai pour vous.
La jeune fille n'ignore pas que
la question du mariage d'Henri et de
Mlle de Pindray est depuis quelque, mois
dans l'air ; mais, vraiment, elle ne pensait
pas que les choses fussent aussi avancées.
— Attrapez !. fait la vieille tante en re-
mettant à Suzette une demi-douzaine de
couverts d'argent. Ces dames ne tarderont
pas à arriver. Les compotiers sont dans
le placard, ainsi que les corbeilles à fruits.
Voyons, ma fille, soyez un peu plus gra-
cieuse. Vous me trouvez sévère et dure
pour vous, n'est-ce pas?. Qui aime bien.
La parente pauvre met le couvert et la
tante se dirige lentement vers la cuisine
pour surveiller les rôtis de la vieille Na-
nette.
La salle à manger est d'une grande sim-
plicité. Indépendamment de l'armoire du
linge, on y remarque un buffet en cerisier
avec des serrures de cuivre à têtes d'aigles,
une table ovale recouverte d'un tapis de
laine où sont rangés un pot à tabac, une
lampe, des livres et une collection du
journal VAvenir de la Dordogne. Tout le
long des murs, tapissés d'un papier bleu
fané, des fauteuils et des chaises dé paille ;
la cheminée en bois peint imitant le mar-
bre, supporte une pendule de porcelaine
— un Napoléon Ier équestre — et des va-
ses coloriés contenant des fleurs artifi-
cielles. Une porte à deux battants établit
une communication entre la salle à man-
ger et le salon de compagnie, comme di-
sent les bourgeoises de là-bas.
Le salon de compagnie sert, à l'occa-
sion, de chambre à coucher. L'alcôve à
deux lits est masquée, par des rideaux
blancs : çà et là, des chaises en tapisse-
rie, le travail de la morte, de cette chère
Adrienne qui défendait Suzette contre les
rigueurs de sa propre mère. Au fond, un
piano, entre deux fauteuils Voltaire ; dans
l'embrasure de la fenêtre, des étagères en-
combrées de vieux cartons de musique.
Un secrétaire d'acajou fait face au piano et
montre, aligné sur son dessus de marbre,
un service à thé. Au milieu du salon, une
table style Empire dont l'ornement princi-
pal est un porte-cigares à musique flanqué
de deux albums de photographies.
Les trois chambres du haut ne sont
guère plus luxueuses : l'une d'entre elles
est réservée aux dames de Pindray pour la
saison des vacances que les Parisiennes
passent à la Morbonne ; M. et Mme Lau-
gardière et leur fils Henri occupent les
deux autres : quant à Suzette, elle n'a
qu'une chambrette dont l'unique mobilier
se compose d'une table en bois blanc, de
deux chaises et d'une malle, la malle que
l'orpheline apporta il y a dix ans.
La jeune fille est montée dans son ré-
duit pour rajuster sa chevelure devant un
miroir ébréché. Elle a mis sa robe des
dimanches, une robe de laine légère, à
raies noires et bleues, qu'elle a confection-
née elle-même. Tout à coup, du bas de
l'escalier, s'élève la voix un peu criarde
de la tante :
— Suzette, venez faire chauffer la fla-
nelle de votre oncle. Entendez-vous,
Suzette?.
— Oui, ma tante.
La toilette n'a pas été longue ; et pour-
tant la demoiselle est gentille dans son
costume simple, bien fait à la taille, avec
ses cheveux blonds ramenés en bandeaux
et ce sourire d'enfant qu'elle essaie de
rendre joyeux. Elle comprend, la douce
Suzette, que tout est perdu pour elle ;
mais elle a la fierté de cacher ses tristes-
ses et le courage de dévorer ses larmes.
La voici dans la cuisine, face à face avec
la Nanette, la vieille servante, grognon
édentée qui mène grand tapage quand
il y a des invités à la maison. La domes-
tique est à la Morbonne, depuis plus de
quarante ans : si elle est dévouée à la fa-
mille Laugardière, elle est terrible avec
les étrangers, même avec quelques pa-
rents, surtout avec Suzanne Fougeras que
sa situation de fille pauvre ne lui rend
pas sympathique. Dans son inconscience,
la vieille va jusqu'à reprocher à la demoi-
selle l'imprévoyance ou plutôt la généro-
sité exagérée de sa mère qui l'a laissée
sans fortune.
- -
Suzette se tient accroupie devant la
flambée, un gilet de flanelle entre ses
mains, indifférente aux paroles qui gron-
dent autour d'elle. La domestique en
mouchÓir de tête, tablier de toile aux
reins, la figure couperosée, marche lente-
ment à travers sa cuisine ; ses petits yeux
gris clignotent et sa grande bouche abêtie
laisse tomber, de temps à autre, des
mots patois que souligne le balance-
ment de son gros corps de vieille petite
femme.
—■ Oh! tan dé cousiniers co faïvirâ lo
têtol E lu trabai n'avanço pci. (1).
Mme Laugardière, en train de surveiller
une compote de poires sur le potager,
murmure :
- Allons, Nanette, ne te fâche pas.
Tu es vieille : nous sommes là pour t'ai-
der.
— De jolis aides! gronde la farouche
cuisinière.
La porte de la cuisine s'ouvre brusque-
ment. Paraît un jeune homme accompa-
gné de son chien, puis, se traînant un peu,
le maître' de la maison, M. Alexandre
Laugardière, qui s'éponge le front avec
son mouchoir.
— Rien. rien, dit Henri. Il n'y a plus
de gibier.
Mais l'épagneul qui sent le carnier sem-
ble démentir les paroles du chasseur ; et, à
la grande joie de sa mère, le cousin de Su-
zette exhibe quatre perdreaux et un lièvre
qu'il remet à la domestique.
-Alexandre, tu vas changer. Suzette,
portez la bouilloire dans la chambre de
votre oncle.
Ces messieurs s'installent auprès du feu.
(1) Oh! tant de cuisiniers font tourner la tête 1.
Et le travail n'avance pas. -
— Eh bien, père, interroge Henri, nous
avons fait une bonne promenade?
— Tu as des jambes de fer.
— Mais il me semble que tu ne t'en tires
pas encore trop mal.
— Les jambes vont encore. mais la
vue. Oh! cegredin de levraut!. Là, parti
sous mes pieds. J'avais mon fusil à l'é-
paule.
En descendant de leur chambre, M. Lau-
gardière et son fils regardent en même
temps la grande pendule du corridor.
- Six heures. La voiture ne tardera
pas à arriver. Si nous allions un peu à
l'avance de ces dames. Tu viens, Henri?
— Oui, père. Et toi, maman?
— Je vais avec vous.
— Et Suzette?.
Il crie :
— Suzette !
— Suzette reste pour surveiller le rôti,
dit Mme Laugardière. La vieille Nanette
est tellement en colère qu'elle ferait tout
brûler.
Ils sortent.
Et comme Suzette s'est penchée sur le
feu pour arroser la volaille, la servante la
repousse presque brutalement :
— Vézean. Vézean. Toutà que las
cousinérias m'embarrassen !. (1)
Les Laugardière suivent une petite route
plantée d'arbres verts ; la mère s'appuie
au bras de son fils, un grand jeune homme
à moustaches noires, aux yeux pleins de
vive lumière, très élégant sous son veston
bleu serré à la taille. Henri porte un mo-
nocle et le papa Alexandre, qui ne croit pas
à la myopie de son fils, le tourmente fort
pour qu'il abandonne cet objet inutile.
— Tu te gâtes la vue.
— Oh! rien qu'un œil, papa.
Un vert vieillard, M. Alexandre. Il mar-
che, oublieux déjà des fatigues de la
journée, promenant son regard sur les
ajoncs qui bordent le chemin, se lançant
dans de longues explications sur les cul-
(1) Voyons, voyons, toutes ces cuisinières sont
embarrassantes!.
tures nouvelles destinées à atténuer les
ravages du phylloxéra. De haute taille, un
peu bedonnant, les cheveux gris coupés
ras, la figure glabre, n'étaient les minces
favoris blancs taillés à l'anglaise, des dents
bien blanches éclairées par un large rire,
tel apparaît le premier conseiller muni-
cipal inscrit de la commune de Milhac-les-
Fontaines. Le sous-préfet de Nontron a
insisté pour que M. Laugardière acceptât
le poste de maire que lui offrait l'unani-
mité du conseil municipal. Le bonhomme
a refusé sans raison plausible, abandon-
nant la charge à un de ses vieux amis
plus lettré que lui, mais peut-être moins
populaire dans la contrée. M. Alexandre
est l'ennemi juré de toutes les écritures
en ce qui le touche personnellement, car
il est le premier à s'enorgueillir de la
science du jeune ingénieur.
Il est vêtu d'une longue redingote noire
et coiffé d'un large chapeau de paille. Son
fils l'a doucement converti aux idées répu-
blicaines; et, dans sa-modeste sphère, il
n'a pas été étranger à la révolution sou-
daine qui a détruit chez le-paysan péri-
gourdin la légende napoléonienne.
Mais voilà qu'un nuage de poussière s'é-
lève dans les lointains de la route ; et trot-
tinant s'avance un cheval boiteux qui
traîne une voiture dont les essieux grin-
cent et dont la capote un peu rabattue sur
les malles du siège de derrière encadre le
visage des voyageurs.
— Ma tante. ma sœur.
— Vous avez fait bon voyage ?.
— Laure, vous devez être fatiguée ?.
- Et toi, Marie ?.
On se presse les main3; on s'embrasse,
et tandis que François traîne la bête par la
bride jusqu'à l'écurie, la famille rentre à
la maison en suivant la grande allée du
jardin.
François, aidé de l'un des métayers de
la cour, monte les malles dans la chambre
du haut réservée aux voyageuses.
DUBUT DE LAFOREST.
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