Titre : Le XIXe siècle : journal quotidien politique et littéraire / directeur-rédacteur en chef : Gustave Chadeuil
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1885-05-22
Contributeur : Chadeuil, Gustave (1821-1896). Directeur de publication
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Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
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Description : 22 mai 1885 22 mai 1885
Description : 1885/05/22 (A15,N4885). 1885/05/22 (A15,N4885).
Droits : Consultable en ligne
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Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-199
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 09/04/2013
Quinzième année. — N° 4885
Prix du numéro à Paris : 15 centimes — Départements : 20 centimes
Vendredi 22 Mai 1885
E
JOURNAL RÉPUBLICAIN CONSERVATEUR
RÉDACTION
S'adresser au Secrétaire de la Rédaction
de 2 heures à minuit
16, jL*"o_e Cade"t, il <3
Les Manuscrits non insérés ne seront pas rendus
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Six mois. 32 »»
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PARIS
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Et 15, Tichborne Street, (Café Monico. 2d.)
Dernières aotres le T. Hup
Les nouvelles de la journée d'hier ont
été assez contradictoires. Tandis que nous
recevions 'des amis intimes du poète des
renseignements relativement favorables
sur l'issue de la maladie, les bulletins des
médecins semblaient indiquer qu'il - n'y
vait plus aucun espoir à conserver.
Le bulletin du matin était ainsi conçu :
La nuit a été tranquille, sauf quelques ins-
tants d'oppression et de grande agitation.
En ce moment, la respiration est assez
calme; les fonctions intellectuelles sont in-
tactes.
Situation inquiétante.
jLe 21 mai 1885, neuf heures matin.
Signé : A. VULPIAN
GERMAIN SÉE
EMILE ALLIX.
Dans l'après-midi la situation ne s'est
pas sensiblement modifiée.
Le malade était calme.
Il a pu prendre quelques cuillerées de
potage et un verre de vin de Zucco.
- Grâce à des piqûres de morphine répé-
tées presque toutes les demi-heures, on
obtient que Victor Hugo ait un peu de
calme. , ---. „
Vers une heure et demie, une UUUIUJ
mais violente syncope a été constatée.
Le soir, l'état reste le même.
A minuit, les nouvelles sont trèsinquié-
tantes. -
A deux heures du matin, tout espoir
paraît perdu.
Cependant il ne faut pas oublier que
Victor Hugo a déjà résisté à des crises
extrêmement fortes , qui auraient vaincu
toute autre constitution que la sienne.
—-——————— ————————
VICTOR HUGO
La voilà maintenant désolée, cette char-
mante maison de Victor Hugo où tout n'é-
tait que bienveillance et sourire, et dont
les hommes les plus fiers de ce temps
s'enorgueillissaient de franchir le seuil.
On n'y rencontre que des visages doulou-
reux. On y marche sur la pointe des
pieds. On y parle bas, tout pâle et les lar-
mes aux yeux. C'est que Victor Hugo est
étendu dans son lit aux colonnes de
chêne. Il dort, couché sur le côté droit,
vêtu de flanelle rouge et, dans son som-
meil plein de visions, les mots qut lui sont
chers: « lumière, patrie, liberté,» s'échap-
pent de temps à autre de ses lèvres. La
maladie n'a pas tué ces colombes du bleu
de son âme. Elles voltigent autour de son
chevet.
Ses enfants, qu'il a chantés quand ils
étaient tout petits et qui sont la fierté de
sa mâle vieillesse, veillent auprès de son
lit, accablés de tristesse et d'inquiétude.
Ses parents, ses intimes, ses compagnons
de lutte et d'exil ne peuvent croire à la
possibilité d'une catastrophe. Victor Hugo
était si gai, si vigoureux encore il y a
quelques jours 1 Il causait avec tant d'af-
fabilité, avec tant de bonne grâce et de
cordiale éloquence 1 Il était si bien dans
la conversation ce qu'il est dans son œu-
vre : un charmeur et un conquérant !
Tandis que le registre déposé dans le
vestibule se couvre de noms célèbres, la
foule se presse en face de la maison. Par-
mi ces gens qui attendent des nouvelles,
parmi ces anonymes qui n'osent s'inscrire
et qui se tiennent, immobiles et muets,
parfois sous la pluie battante, de l'autre
côté de la chaussée, il en est qui arrivent
de bien loin, guidés par une invincible
sympathie. Ils n'ont peut-être lu que quel-
ques lignes de Victor Hugo, mais ces li-
gnes leur ont fait battre le cœur. Ils sont
les pèlerins de la reconnaissance. Ils sa-
vent qu'ils ne verront rien et qu'ils se-
raient tout aussi bien renseignés par les
journaux. Qu'importe ? Ils viennent vers
l'homme de génie qui les a consolés, qui
les a peut-être rendus meilleurs, qui a si
bien chanté l'enfance, la justice, l'amour,
la pitié, la gloire, tout ce que la France
aime, tous les cultes éternels de l'huma-
nité.
Si les vœux d'un peuple entier pouvaient
redonner la santé à celui qui, depuis quel-
ques jours, voit la mort de si près, comme
Victor Hugo retrouverait ses forces 1
Comme il se sentirait revivre pour la
durée de ce siècle qu'il a illuminé du
rayonnement de sa pensée ! Et qui sait si
ce miracle ne se produira pas ? Le grand
poète est si robuste ! Il a résisté déjà à de
si rudes épreuves !
Victor Hugo n'a jamais redouté l'appro-
che du moment suprême. Il a toujours
entrevu la fin terrestre avec sérénité. C'est
un sujet sur lequel il revenait avec un ton
de simplicité douce et pénétrante. Cent
fois il en a parlé devant nous, comme
d'une lutte passagère qui doit assurer la
victoire et la délivrance de l'âme. Confiant
dans l'excellence de son œuvre, il n'a ja-
mais douté qu'elle ne lui valût la gloire
éternelle auprès de Dieu comme parmi les
hommes. Il nous écrivit un jour : « Propo-
sez-vous ce but, le plus grand que puisse
se proposer l'homme : Faire pour le
mieux ». Et il ajoutait : « L'artiste vrai est
celui qui emploie la recherche du beau à
la création du bien ». Toute l'œuvre de
Victor Hugo, tout le secret de la saine po-
pularité de cette œuvre est dans ces deux
formules. Victor Hugo a toujours cherché
le mieux. Il n'a jamais séparé le bien du
beau. C'est pour cela qu'il est aimé et c'est
pour cela qu'il est immortel.
P. F.
'i''!I'If'
Les observations que nous avons présentées
au sujet du cri des journaux et des canards
dans les rues ont été reproduites ou approu-
vées par un grand nombre de nos confrères.
De plus, plusieurs de nos abonnés nous ont
écrit, en conseillant au public, pour couper
court à ce scandale, l'abstention. Il faut en-
core ajouter que la préfecture de police pa-
raît avoir donné l'ordre de faire exécuter
la loi.
Voilà donc un abus dont l'opinion paraît
nous avoir débarrassés.
Les journaux conservateurs n'ont pu s'em-
pêcher de nous appuyer dans cette cam-
pagne.
Mais pourquoi le Gaulois dit-il que « les ré-
publicains n'ont pas protesté contre d'autres
infamies », notamment contre le cri ou l'affi-
chage des Amours de Pie IX ?
Quand ce ridicule placard parut, œuvre
d'un séminariste qui a pu se défroquer sans
se faire accueillir de nous, j'ai parfaitement
protesté, comme à l'occasion de la maladie
de V. Hugo. -
Pourquoi les conservateurs ne veulent-ils
pas reconnaître que les républicains de gou-
vernement peuvent avoir, aussi bien qu'eux,
le respect des lois et le sens des convenances
ou des nécessités qu'elles consacrent?
H. F.
BULLETIN
Le Sénat a poursuivi hier la discussion
de la loi sur le scrutin de liste. Le texte
de la commission, dans le paragraphe re-
latif aux étrangers, a été adopt malgréé
l'opposition du gouvernement. La Cham-
bre a achevé de voter les cinquante arti-
cles de la loi sur l'armée coloniale.
Toujours même absence d'informations
précises en ce qui concerne le règlement
de la question afghane. Le Central News
s'est fait l'écho de bruits pessimistes con-
firmés par l'Indépendance belge. Mais la
Pall Mail Gazette assure, au contraire,
que les négociations se poursuivent dans
les meilleures conditions. Meruchak serait
laissé à l'Afghanistan. La réponse de la
Russie n'est pas encore arrivée à Londres.
M. Gladstone, au Parlement, est resté
mystérieux. Il s'est contenté de dire que
rien n'était fixé, ni la question de l'arbi-
trage, ni l'arbitre.
Hier, à la Chambre des communes, sir
Stafford Northcote a questionné le mar-
quis de Hartington au sujet de l'arrêt de
la brigade de la garde devant Alexandrie.
Le marquis de Hartington a, dans un dis-
cours assez confus, refusé en somme de
s'expliquer sur cette mesure.
Les journaux anglais se montrent fort
irrités de la réapparition du Bosphore
égyptien et aussi de la résistance opposée
ahx délégués anglais par les délégués des
autres puissances à la conférence du ca-
nal de Suez. Voici en quels termes le
Times exprime son mécontentement :
« La commission du canal de Suez veut
appliquer à cette voie de navigation un
système de contrôle international. Ce con-
trôle aura pour effet de gêner notre com-
merce et de paralyser nos forces navales.
» Le gouvernement est tenu de ne point
sanctionner cet arrangement qui aurait
pour nous des résultats aussi désastreux,
et s'il tient sa promesse de ne rien con-
clure sans avoir consulté le Parlement,
celui-ci et l'opinion publique ne lui per-
mettront pas de commettre de faute. »
Au Parlement, lord Fitz-Maurice a dé-
claré que le Bosphore cesserait d'être hos-
tile.
La situation en Colombie est toujours
grave :
On télégraphie de New-York que les re-
belles ont attaqué Carthagène pendant la
nuit du 7 mai. Ils ont été repoussés, ont
eu 800 morts et beaucoup de blessés ; ils
ont battu en retraite sur Baranquilla.
A une majorité de sept voix, le Sénat a
exclu les étrangers du recensement général
de la population, servant de base à la distri-
bution des sièges des députés, dans le projet
de loi sur le scrutin de liste.
En pure logique, l'opinion du Sénat est
très défendable.
En politique, elle risque de créer un con-
flit.
Nous pensons qu'il faut attendre à demain
pour savoir si une transaction, très désira-
ble, n'est pas possible ?
H. F.
QUESTION DU JOUR
Pessimisme littéraire
Un événement littéraire peut bien
prendre parfois ici la place ordinaire-
ment réservée à la politique. Avez-
vous lu, comme tout le monde, le
nouveau roman de M. Guy de Mau-
passant, Bel-Ami? Le héros est un
gredin qui fait son chemin en plaisant
aux dames, et le livre se termine par
un mariage riche comme par une apo-
théose. Duroy est un personnage de
Balzac, remanié et enlaidi à la mode du
jour, un Rubempré sans poésie, un
Rastignac sans la grâce et la fleur de
gentilhommerie dont Balzac a pris soin
de parer l'ami de Mme de Nucingen. Il
a plu à M. de Maupassant d'en faire un
journaliste, sans qu'on voie bien la né-
cessité de ce choix. Le sentier tout
ombragé de myrtes qui le conduit à la
fortune pourrait aussi bien être foulé
par un avocat, un ingénieur ou un
médecin. Mais l'auteur est lui-même un
journaliste de talent, un brillant chroni-
queur, et décrit volontiers le milieu
qu'il connaît le mieux. Les romanciers
contemporains, au rebours des anciens
oui cherchaient à faire preuve d'imagi-
nation, se piquent surtout d'exactitude.
Ils n'aiment pas à se dépayser, ni à dé-
payser le lecteur. Ils mettent l'action en
plein boulevard, dans l'année courante,
et font poser les gens qu'ils coudoient.
S'ils voient les choses et les hommes
en noir, s'il leur prend fantaisie surtout
de décrire des coquins et des pieds-
plats, tant pis pour leurs voisins et con-
frères ! Il n'y a d'ailleurs aucune per-
sonnalité ; nul n'a le droit de se recon-
naître et de se plaindre. Seulement les
milliers de Français qui liront l'œuvre
de M. de Maupassant, sans faire la part
du tempérament de l'écrivain et de son
système, concevront une assez triste
idée des journalistes du temps présent,
ce qui ne laisse pas d'être un peu aga-
çant pour les gens qui ont l'honneur
d'exercer ce métier que M. Prudhomme
appelle le sacerdoce de la presse.
Nous n'aurons cependant pas la naï-
veté de répondre à cette satire par une
apologie en règle de la corporation. Ces
plaidoiries ne persuadent guère le pu-
blic, que l'attaque divertit et que la dé-
fense ne manque pas d'ennuyer. D'ail-
leurs on ne répond pas à un roman, si-
non par un autre roman, et nous ne
voyons pas quel est parmi les écrivains
du jour celui qui pourrait être tenté de
faire la contre-partie de Bel-Ami. Le
travail honnête et consciencieux n'a
rien de romanesque ni de divertissant.
La vie d'un ambitieux sans scrupules
peut être intéressante à raconter ; celle
d'un sage et modeste ouvrier de la
plume, ou d'un homme de talent qui
fait son chemin sans fracas ni faux pas,
ressemble à un voyage sur la grand'-
route, sans incident ni péripétie. Une
bonne histoire de brigands sera tou-
jours plus piquante que le Guide Joanne,
même combiné avec la morale en ac-
tions.
On ne réfute pas les pessimistes, mais
on peut chercher les raisons de leur
mauvaise humeur et du goût particulier
qui les porte à peindre les hommes en
laid. La mode y est pour quelque chose;
encore faut-il expliquer la mode. M. de
Maupassant n'est pas homme à suivre
passivement un courant, comme certains
disciples de M. Zola qui croient marcher
sur les traces du maître en poussant
toutes ses hardiesses à l'excès, et qui
semblent avoir généreusement entre-
pris de lui servir de repoussoir. D'ail-
leurs M. de Maupassant procède moins
de Zola que de Flaubert. Il a la descrip-
tion sobre, sans empâtement, sans
fouillis, la narration rapide et alerte, le
style net, ferme et bien français. Pas
plus que Flaubert il ne brouille les limi-
tes de la littérature et des arts plasti-
ques, ni ne cherche à remplacer les
idées par les sensations. Mais, comme
Flaubert, il semble avoir pris en haine
la sottise, la platitude, la bassesse hu-
maines, et cette haine l'absorbe au point
de nejui laisser voir que ce qui est sot,
plat et bas.
On sait par la correspondance de
l'auteur de l'Education sentimentale
quelle souffrance c'était pour lui,.né ro-
mantique et enthousiaste, de passer sa
vie à peindre laborieusement des imbé-
ciles et des médiocres. Il ne pouvait
cependant s'en détacher, au grand
étonnement de George Sand, et il reve-
nait toujours à ses victimes, sans expli-
quer pourquoi il s'acharnait sur elles.
Peut-être était-il dominé, comme M. de
Maupassant, par le besoin de sortir de
l'ornière, d'échapper à la vulgarité, de
faire du neuf ! Le pessimisme peut de-
venir une habitude, mais il est probable
que c'est d'abord un système, une ori-
ginalité voulue, une distinction cher-
chée. Au théâtre, il n'est pas permis,
sous peine de s'exposer à une chute
presque certaine, de ne mettre en scène
que des gens antipathiques et de faire
tomber le rideau sur le triomphe des
méchants ou des faquins. Le romancier
est plus libre, et il use d'autant plus de
cette liberté qu'il la voit refuser aux
dramaturges.
Les pessimistes cèdent surtout au
désir de réagir contre le classique et le
convenu ; ce sont des émancipés et des
révoltés. C'est encore là une forme du
romantisme, c'est-à-dire de l'insurrec-
tion contre les traditions et les règles
surannées. Il y avait dans le bataillon
sacre des romantiques de 183.0 plus
d'un pessimiste d'avant-garde, comme
l'auteur des Contes immoraux, Pétrus
Borel le lycanthrope. Ce qui est parti-
culier à nos contemporains, c'est le goût
de la réalité actuelle, de ce qu'on ap-
pelle aujourd hui la modernité. Les traî-
tres de l'ancien roman sont maintenant
remplacés par des gens en habit- noir,
ses forêts par le bois de Boulogne et
ses cavernes par nos salons et nos cer-
cles. On nous fait toucher et coudoyer
les héros répugnants qu'on prenait soin
autrefois d'exhiber à distance. Pour
montrer qu'on ne jette point le récit
dans un moule usé, on représente le
vice triomphant et -- la vertu ridicule, à
moins qu'on ne la supprime tout à fait.
Il n'y a peut-être, dans toute cette
philosophie attristante, qu'une formule
littéraire. Le dédain des préjugés n'est
parfois qu'un préjugé et la révolte
qu'un procédé. Choquer le sentiment
bourgeois est un plaisir qui séduit
même des esprits distingués, et qui
devient assez promptement une ha-
bitude, une nécessité, un tempérament
acquis. Mais on se lasse de ne braver
que les préjugés des Philistins; c'est
un divertissement plus raffiné, pour un
auteur un peu blasé, de dauber sur la
presse à laquelle il appartient, dé tour-
ner en ridicule les journalistes parmi
lesquels il ne compte que des admira-
teurs., un divertissement analogue à ce-
lui que M. Andrieux se donnait naguère
en publiant ses Mémoires d'enfant ter-
rible. Cela amuse le public, et les con-
frères eux-mêmes ne font qu'en rire,
quand c'est un homme d'un rare talent
qui les immole en masse sur l'autel du
pessimisme. Nous consentons à être un
peu calomniés, pourvu qu'on nous inté-
resse.
$
LE PARLEMENT
COURRIER DE LA CHAMBRE
Paris, 21 mai 1885.
Le monde parlementaire est sous le
coup d'une émotion visible, depuis que
Victor Hugo est en danger de mort ;
c'est ce que nous avons constaté en arri-
vant au Palais-Bourbon.
On s'inquiète de l'état du poète ; on s'in-
terroge ; on questionne les intimes, et for-
cément l'ordre du jour se ressent un peu
de ces préoccupations.
Si la nouvelle fatale arrive, on parle de
lever la séance en signe de deuil ; c'est
dans ces conditions que M. Floquet monte
au fauteuil de la présidence.
Une centaine de députés au plus sont à
leur poste. ----
Ce public restreint n'empêche pas M.
Cunéo d'Ornano de venir déposer une de-
mande d'interpellation.
Il paraîtrait que le conseil général des
Pyrénées-Orientales aurait découvert des
irrégularités dans l'administration de M.
Rivaud, préfet de ce département.
M. Cunéo d'Ornano qui se tient aux
aguets, et qui exerce auprès des préfets de
la République la surveillance d'un inspec-
teur des services administratifs, a saisi la
balle au bond, et a trouvé là une excellente
occasion de taquiner le ministre de l'in-
térieur.
Malheureusement M. Allain-Targé était
retenu au Sénat par la discussion du scru-
tin de liste, et n'a pu par conséquent fixer
la date de l'interpellation.
Mais ce qui est différé n'est pas perdu,
et M. Cunéo d'Ornano compte assurément
se rattraper un jour prochain.
Une nouvelle déception nous attendait.
On sait que M. Andrieux était pour-
suivi pour diffamation par un de nos con-
frères. La commission chargée d'examiner
s'il y avait lieu à poursuites, s'était pro-
noncée pour la négative.
On espérait, et M. Andrieux l'avait dé-
claré lui-même, que le jour où viendrait
devant la Chambre la discussion des con-
clusions de la commission, le député du
Rhône se livrerait à un petit exercice de
gymnastique spirituel, un genre dans le-
quel il excelle étonnamment.
Espérance déçue. M. Andrieux ne s'est
pas présenté à la barre, sur laquelle on
espérait qu'il ferait quelques tours. Les
conclusions de la commission ont été
adoptées à l'unanimité, et le député pour-
suivi a été acquitté. par défaut.
L'inviolabilité parlementaire n'est pas
encore un vain mot.
*
* *
On a repris ensuite la discussion du
projet de loi relatif à l'organisation de
l'armée coloniale.
M. Ténot a d'abord présenté un amen-
dement à l'article 8. M. Ténot veut savoir
si le contingent colonial, c'est-à-dire formé
par les colonies, sera affecté à la défense
de ces colonies.
Cet amendement consiste dans l'addi-
tion de ces mots à l'article en question :
« Elles encadrent le contingent colonial. »
La Chambre a repoussé par 258 voix
contre 164 la proposition de M. Ténot.
Les articles 9 à 25 sont ensuite adoptés
sans discussion.
Voici l'article 26 qui amène M. de Mahy
à la tribune. Cet article est relatif à l'avan-
cement dans les troupes coloniales. M. de
Mahy demande qu'il soit établi un tableau
d'avancement spécial pour les officiers de
ces troupes.
Le baron Reillelui répond que le projet
de loi assure à ces officiers toutes les va-
cances ouvertes aux colonies, à condition
qu'ils comptent deux années de séjour ;
c'est, dit le rapporteur, un avantage çon-
sidérable.
M. de Mahy retire son amendement.
L'article 29, relatif au recrutement des
troupes coloniales, fournit de nouveau à
l'honorable questeur de la Chambre l'oc-
casion de proposer un paragraphe tendant
à comprendre. dans les éléments de ce
recrutement, le contingent colonial de la
Réunion, de la Guadeloupe, de la Martini-
que et de la Guyane.
Sur le conseil du général Campenon, M.
de Mahy consent à ajourner son amende-
ment, qu'il reprendra quand viendra la
seconde lecture de la loi sur le recrute-
ment.
Malgré MM. Vachal et Pierre Alype, qui
ont chacun une disposition additionnelle
que la Chambre ne prend pas d'ailleurs en
considération, on vote successivement les
articles de la loi jusqu'au n° 41.
Sur celui-ci, M. de Mun intervient pour
demander la suppression de sa seconde
partie ; cette seconde partie est relative
à la date du rattachement des troupes de
la marine au département de la guerre.
Cette date, dit ce second paragraphe,
pourra être prorogée par décret du pré-
sident de la République dans le cas où, en
raison des expéditions en cours ou de •
toute autre circonstance, la réorganisa-
tion des troupes coloniales ne pourrait
avoir lieu à ce moment sans de graves in-
convénients.
D'après M. de Mun, il est très grave de
laisser la date du rattachement à l'appré-
ciation du gouvernement ; c'est presque
un ajournement indéfini de la loi.
Le général Campenon s'élance à la tri-
bune pour protester contre ces insinua-
tions. Il supplie la Chambre de ne point
désarmer le ministre de la guerre et de
voter intégralement l'article 41.
On ne refuse rien au- général Campe
non, et l'article 41 est voté dans son en-
tier.
Les neuf articles suivants sont adoptés
sans débat, et la Chambre décide qu'elle
passera à une deuxième délibération de la
loi.
Louis DESFORGES.
Feuilleton du XIXe SIÈCLE
Du 22 mai 1885
-
LES
Suites d'un Mi tour
Il
— suite —
*
- Ah! Gerty, «-parlez-vous sérieuse-
ment? dit Edith tout attendrie. Une telle
offre à une pauvre fille orpheline qui n'a
au monde que la belle-sœur que vous sa-
\ez et le frère qui est soumis à son com-
mandement comme, le plus humble, le
plus triste des soldats 1
— Comment, soldat? N'est-il pas capi-
taine ?
— Oui, en effet, il est capitaine.
Miss Plumkett eut un court ricane-
ment.
— Et son numéro, le numéro 54 ? dé-
ni anda-t-elle.
— Chut ! dit Edith en riant aussi.
Puis, prenant das ses bras la grosse de-
moiselle qui se adressait sur le ca-
napé :
— Ah ! chère, vous me sauvez la vie 1
Bénis soient Cook et ses tours qui nous
lassemblent 1
Miss Plumkett l'embrassa :
— Nous ne nous quitterons plus, mais
ne bénissez pas Cook ; ne bénissez aucun
)bmme 1 Envoyez au diable les deux Fid-
ifting, le blond et le brun, et tous ceux que
nous rencontrerons encore sur notre route
d'ici à Manchester !
- Même Mr. Bulow?
- Mr. Bulow doit reposer en ce mo-
ment de tout son long dans le sein d'Abra-
ham, car j'avais oublié de vous apprendre
qu'il y a vingt-deux ans il en avait déjà
vingt de plus que moi. Je vous dis que
nous ne nous quitterons plus 1
— Jamais plus ?
— C'est juré 1
Une demi-heure après, elles dormaient
toutes deux comme deux enfants.
III
« Nous te supplions, Seigneur, de pro-
téger notre très gracieuse dame la reine
Victoria, Albert Edward, prince de Galles,
la princesse de Galles et toute la famille
royale, etc.»
Le pasteur ayant achevé la nomencla-
ture, sans oublier la République chez la-
quelle il se trouvait en ce moment, se tut.
Le culte était achevé.
Le foule cependant demeura quelques
instants debout, silencieuse et recueillie.
Puis, des hauteurs de la famille royale et
du Seigneur revenue à la terre, ce furent
des saluts, des sourires, des mouvements
de surprise échangés de banc à banc,
comme si on ne s'était pas vu durant tout
l'office, et des groupes se formèrent dans
les allées.
Le révérend Luke Colston avait quitté
la chaire et, vêtu encore de son long sur-
plis de laine noire, se tenait à la porte
d'entrée comme un maître de maison qui,
après une réception, remercie ses hôtes
sur le seuil..
Il attendit là ses fidèles de passage, fi-
dèles dont le zèle et la générosité entre-
tiennent généralement à Paris les révé-
rends et les chapelles qui, pour les tou-
ristes, sont autant de petites Angleterre
de réconfort patriotique et religieux.
Il y avait là les baptistes du Gook's tour
et les autres qui traversaient Paris au mê-
me moment, des familles au complet de
dix à douze personnes venues du levant
ou du couchant, de l'hôtel voisin ou du
fond de l'Australie.
Nos tleux amies se tenaient à l'entrée
d'un banc, et à un pas d'elle le gentle-
man blond et le gentleman brun. Elles
allaient sortir à leur tour quand une ex-
clamation à demi-voix les fit se retourner :
— Miss Plumkett ! Je ne me trompe
pas, c'est bien miss Plumkett !
Elle se trouvait devant un gros petit
homme bien rasé et souriant, et si res-
semblant à une vieille connaissance,
qu'elle pâlit comme devant un revenant et
murmura :
— Mister Bulow?
— Moi-même, miss Plumkett.
Et il lui tendit la main. Elle avança la
sienne, lentement, avec une peur visible,
comme si elle allait toucher une main de
spectre ; car, en vingt-deux ans, Mr Bu-
low, dont personne ne parlait plus, avait
eu le temps de mourir et de perdre même
les deux mains sans compter le reste.
Mais c'était bien une main de vivant et
qui plus est de bon vivant, car elle secoua
longuement celle de miss Plumkett avec
le plus cordial entrain.
Et la demoiselle ainsi secouée se tourna
vers Edith dont s'étaient rapprochés les
deux - Fiddlinsr :
— Allez devant ; je vous rejoins.
Ils obéirent. Alors les deux ex-amoureux
se regardèrent des pieds à la tête.
Ils étaient aussi gras et ronds l'un que
l'autre, avec un égal triple menton. Le
ventreen poire deMr Bulow bedonnait joli-
ment. Ses courtes jambes frétillaient dans
un pantalon de nankin et ses mains gras-
souillettes, potelées étaient comme des
mains de femme.
Semblablement encore à miss Plumkett,
il avait le nez armé de lunettes ; mais, au-
dessus d'elles, le front se prolongeait jus-
qu'à la nuque, chauve comme le pavé du
lieu saint, tandis qu'une chevelure abon-
dante et à peine mouchetée de quelques
fils blancs couvrait la tête de miss Plum-
kett.
Au chapeau du petit homme, un crêpe
assez fripé annonçait un deuil finissant :
le deuil de sa femme I
Il le dit d'un air assez dolent et assez vif
tout à la fois pour faire sourire la demoi-
selle à la pensée que cette femme n'avait
jamais été la mistress Bulow que Gertrude
Plumkett aurait pu être.
Alors, un doigt sur ce crêpe flétri, il
prononça ces mots :
— Miss Plumkett, sachez ceci, sachez-
le 1. Tout arrive à la fin !
Après cette pensée qui semblait être la
grande préoccupation de son cerveau, tant
il y mit de poids et d'assurance, il ajouta
discrètement qu'à trente-sept ans un hom-
me n'existe pas encore, ou ne se manifeste
que par des sottises parfaitement impar-
donnables comme, par exemple, d'aban-
donner la proie pour l'ombre ; c'est seule-
ment à soixante-six ans révolus qu'il com-
mence à voir la différence des choses.
Devant ce rapide et aimable meâ culpâ
de Mr. Bulow, qui avait les soixante-six
ans révolus, miss Plumkett poussa un pe-
tit ricanement, aimable aussi, et avec le
ressuscité marcha vers la porte où le ré-
vérend Luke Colston les arrêta comme
tout le monde pour les inviter à son thé
de cinq heures.
Hors de la chapelle, dans la rue, le blond
et le brun gentleman, l'un à la droite, l'au-
tre à la gauche d'Edith, attendaient avec
elle.
Ils se mirent délicatement en marche à
la vue des deux antiques flirts qui s'avan-
çaient en causant et d'un air peu pressé
de les rejoindre.
Après une cinquantaine de pas, Edith
s'entendit appeler par miss Plumkett et
vint à l'appel.
Miss Plumkett frémissait gaiement, les
pommettes en feu.
— Edith, ma chère, voilà de l'inatten-
du. Mister Bulow, miss Edith Hawkins.
— Mister Bulow me prie de l'accompagner
chez un ami. Prenez-donc le « bus » et
votre lunch sans moi avec ces deux mes-
sieurs ; vous me retrouverez à la Made-
leine, où va toute la « party H.
Derrière leurs lunettes, les petits yeux
roux de la grosse demoiselle jetaient de
joyeux éclairs.
— Allons, bon voyage, ma chérie ! ré-
pondit finement miss Hawkins.
Le sourcil légèrement froncé et avec un
soupir, elle s'en retourna du côté des deux
hommes.
Adieu donc, dès le premier jour, à la li-
berté promise, à Manchester, à la belle
vie avec la principale du school board!
Hélas 1 il fallait t?ller retrouver l'assom-
mante « consomptive» et tout ce qui s'en-
suivait ! Voilà bien deux jeunes gens qui
ne semblaient pas mécontents de sa per-
sonne ; mais un Anglais met souvent dix,
vingt, trente ans avant d'épouser celle
qu'il aime comme Mr. Bulow, très étran-
ge amoureux d'ailleurs, et qui lui sem-
blait devoir mieux représenter sous terre
que dessus. *
— Je suis maintenant seule avec vous
en ce monde parisien, dit-elle aux deux
frères en les abordant; miss Plumkett
nous donne rendez-vous à la Madeleine,
mais elle n'y viendra pas ; Mr. Bulow, son
antique ami, la détournera certainement
de cette papiste visite.
Cependant, à une heure précise, devant
l'église du rendez-vous, ils revirent la
grosse demoiselle. Elle sortit d'un fiacre
avec son frétillant vieillard au moment
juste où les touristes descendaient du
« bus ».
Toute souriante, en moulinant de son
parapluie, elle passa le long de Mrs.
Fressland, la dame aux tracts, de son
mari casqué et voilé de blanc et de toute
la troupe, et ne s'arrêta que pour deman-
der à Edith si elle avait confortablement
lunché.
Puis tout bas, dans le pêle-mêle :
— Ne riez pas, ma douce, ne m'en veuil-
lez pas ; la vie est la plus drôle de per-
sonne du monde, quoiqu'elle ne soit pas
entièrement, comme dit Shakespeare, un
conte fait par un idiot. Je vous explique-
rai. Ne riez pas!
Elle se retourna vers Mr. Bulow, pour
s'occuper de lui bruyamment, avec une
parfaite inconvenance, et de façon à se
faire regarder de travers par le guide so-
lennel en train de pérorer. Elle goguenar-
dait les saintetés, dont il célébrait le prix
d'achat, quand tout à coup. Mrs Fressland
éclata, saisit le bras de son mari à la barbe
argentée, en disant de toute son âme :
— Je ne supporterai pas plus longtemps
la vue de ce paganisme honteux !
— Ni moi non plus ! dit miss Plum-
kett.
Elle entraîna Mr. Bulow, toujours fré-
tillant, jusqu'au fiacre qui les avait ame-
nés. -
Dix minutes après, le « bus » rebondé
partait au trot de ses quatre chevaux pour
d'autres visites catholiques à tous les clo-
chers de Paris, ces visites-là ne rompant
point le sabbat.
On devait débuter par la Trinité. Sur la
route, comme sans se douter du coup
qu'ils faisaient là, les quatre chevaux s'ar-
rêtèrent tranquillement devant l'Opéra,
et le guide, aussi tranquille qu'eux, se
leva.
MARIE-ROBERT HALT.
(A suivre)
Prix du numéro à Paris : 15 centimes — Départements : 20 centimes
Vendredi 22 Mai 1885
E
JOURNAL RÉPUBLICAIN CONSERVATEUR
RÉDACTION
S'adresser au Secrétaire de la Rédaction
de 2 heures à minuit
16, jL*"o_e Cade"t, il <3
Les Manuscrits non insérés ne seront pas rendus
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Six mois. 32 »»
Un an. 62 Ji),
PARIS
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EN VENTE A LONDRES
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ET DANS SES SUCCURSALES
37, Charlotte Street, Fitzroy Square,
Et 15, Tichborne Street, (Café Monico. 2d.)
Dernières aotres le T. Hup
Les nouvelles de la journée d'hier ont
été assez contradictoires. Tandis que nous
recevions 'des amis intimes du poète des
renseignements relativement favorables
sur l'issue de la maladie, les bulletins des
médecins semblaient indiquer qu'il - n'y
vait plus aucun espoir à conserver.
Le bulletin du matin était ainsi conçu :
La nuit a été tranquille, sauf quelques ins-
tants d'oppression et de grande agitation.
En ce moment, la respiration est assez
calme; les fonctions intellectuelles sont in-
tactes.
Situation inquiétante.
jLe 21 mai 1885, neuf heures matin.
Signé : A. VULPIAN
GERMAIN SÉE
EMILE ALLIX.
Dans l'après-midi la situation ne s'est
pas sensiblement modifiée.
Le malade était calme.
Il a pu prendre quelques cuillerées de
potage et un verre de vin de Zucco.
- Grâce à des piqûres de morphine répé-
tées presque toutes les demi-heures, on
obtient que Victor Hugo ait un peu de
calme. , ---. „
Vers une heure et demie, une UUUIUJ
mais violente syncope a été constatée.
Le soir, l'état reste le même.
A minuit, les nouvelles sont trèsinquié-
tantes. -
A deux heures du matin, tout espoir
paraît perdu.
Cependant il ne faut pas oublier que
Victor Hugo a déjà résisté à des crises
extrêmement fortes , qui auraient vaincu
toute autre constitution que la sienne.
—-——————— ————————
VICTOR HUGO
La voilà maintenant désolée, cette char-
mante maison de Victor Hugo où tout n'é-
tait que bienveillance et sourire, et dont
les hommes les plus fiers de ce temps
s'enorgueillissaient de franchir le seuil.
On n'y rencontre que des visages doulou-
reux. On y marche sur la pointe des
pieds. On y parle bas, tout pâle et les lar-
mes aux yeux. C'est que Victor Hugo est
étendu dans son lit aux colonnes de
chêne. Il dort, couché sur le côté droit,
vêtu de flanelle rouge et, dans son som-
meil plein de visions, les mots qut lui sont
chers: « lumière, patrie, liberté,» s'échap-
pent de temps à autre de ses lèvres. La
maladie n'a pas tué ces colombes du bleu
de son âme. Elles voltigent autour de son
chevet.
Ses enfants, qu'il a chantés quand ils
étaient tout petits et qui sont la fierté de
sa mâle vieillesse, veillent auprès de son
lit, accablés de tristesse et d'inquiétude.
Ses parents, ses intimes, ses compagnons
de lutte et d'exil ne peuvent croire à la
possibilité d'une catastrophe. Victor Hugo
était si gai, si vigoureux encore il y a
quelques jours 1 Il causait avec tant d'af-
fabilité, avec tant de bonne grâce et de
cordiale éloquence 1 Il était si bien dans
la conversation ce qu'il est dans son œu-
vre : un charmeur et un conquérant !
Tandis que le registre déposé dans le
vestibule se couvre de noms célèbres, la
foule se presse en face de la maison. Par-
mi ces gens qui attendent des nouvelles,
parmi ces anonymes qui n'osent s'inscrire
et qui se tiennent, immobiles et muets,
parfois sous la pluie battante, de l'autre
côté de la chaussée, il en est qui arrivent
de bien loin, guidés par une invincible
sympathie. Ils n'ont peut-être lu que quel-
ques lignes de Victor Hugo, mais ces li-
gnes leur ont fait battre le cœur. Ils sont
les pèlerins de la reconnaissance. Ils sa-
vent qu'ils ne verront rien et qu'ils se-
raient tout aussi bien renseignés par les
journaux. Qu'importe ? Ils viennent vers
l'homme de génie qui les a consolés, qui
les a peut-être rendus meilleurs, qui a si
bien chanté l'enfance, la justice, l'amour,
la pitié, la gloire, tout ce que la France
aime, tous les cultes éternels de l'huma-
nité.
Si les vœux d'un peuple entier pouvaient
redonner la santé à celui qui, depuis quel-
ques jours, voit la mort de si près, comme
Victor Hugo retrouverait ses forces 1
Comme il se sentirait revivre pour la
durée de ce siècle qu'il a illuminé du
rayonnement de sa pensée ! Et qui sait si
ce miracle ne se produira pas ? Le grand
poète est si robuste ! Il a résisté déjà à de
si rudes épreuves !
Victor Hugo n'a jamais redouté l'appro-
che du moment suprême. Il a toujours
entrevu la fin terrestre avec sérénité. C'est
un sujet sur lequel il revenait avec un ton
de simplicité douce et pénétrante. Cent
fois il en a parlé devant nous, comme
d'une lutte passagère qui doit assurer la
victoire et la délivrance de l'âme. Confiant
dans l'excellence de son œuvre, il n'a ja-
mais douté qu'elle ne lui valût la gloire
éternelle auprès de Dieu comme parmi les
hommes. Il nous écrivit un jour : « Propo-
sez-vous ce but, le plus grand que puisse
se proposer l'homme : Faire pour le
mieux ». Et il ajoutait : « L'artiste vrai est
celui qui emploie la recherche du beau à
la création du bien ». Toute l'œuvre de
Victor Hugo, tout le secret de la saine po-
pularité de cette œuvre est dans ces deux
formules. Victor Hugo a toujours cherché
le mieux. Il n'a jamais séparé le bien du
beau. C'est pour cela qu'il est aimé et c'est
pour cela qu'il est immortel.
P. F.
'i''!I'If'
Les observations que nous avons présentées
au sujet du cri des journaux et des canards
dans les rues ont été reproduites ou approu-
vées par un grand nombre de nos confrères.
De plus, plusieurs de nos abonnés nous ont
écrit, en conseillant au public, pour couper
court à ce scandale, l'abstention. Il faut en-
core ajouter que la préfecture de police pa-
raît avoir donné l'ordre de faire exécuter
la loi.
Voilà donc un abus dont l'opinion paraît
nous avoir débarrassés.
Les journaux conservateurs n'ont pu s'em-
pêcher de nous appuyer dans cette cam-
pagne.
Mais pourquoi le Gaulois dit-il que « les ré-
publicains n'ont pas protesté contre d'autres
infamies », notamment contre le cri ou l'affi-
chage des Amours de Pie IX ?
Quand ce ridicule placard parut, œuvre
d'un séminariste qui a pu se défroquer sans
se faire accueillir de nous, j'ai parfaitement
protesté, comme à l'occasion de la maladie
de V. Hugo. -
Pourquoi les conservateurs ne veulent-ils
pas reconnaître que les républicains de gou-
vernement peuvent avoir, aussi bien qu'eux,
le respect des lois et le sens des convenances
ou des nécessités qu'elles consacrent?
H. F.
BULLETIN
Le Sénat a poursuivi hier la discussion
de la loi sur le scrutin de liste. Le texte
de la commission, dans le paragraphe re-
latif aux étrangers, a été adopt malgréé
l'opposition du gouvernement. La Cham-
bre a achevé de voter les cinquante arti-
cles de la loi sur l'armée coloniale.
Toujours même absence d'informations
précises en ce qui concerne le règlement
de la question afghane. Le Central News
s'est fait l'écho de bruits pessimistes con-
firmés par l'Indépendance belge. Mais la
Pall Mail Gazette assure, au contraire,
que les négociations se poursuivent dans
les meilleures conditions. Meruchak serait
laissé à l'Afghanistan. La réponse de la
Russie n'est pas encore arrivée à Londres.
M. Gladstone, au Parlement, est resté
mystérieux. Il s'est contenté de dire que
rien n'était fixé, ni la question de l'arbi-
trage, ni l'arbitre.
Hier, à la Chambre des communes, sir
Stafford Northcote a questionné le mar-
quis de Hartington au sujet de l'arrêt de
la brigade de la garde devant Alexandrie.
Le marquis de Hartington a, dans un dis-
cours assez confus, refusé en somme de
s'expliquer sur cette mesure.
Les journaux anglais se montrent fort
irrités de la réapparition du Bosphore
égyptien et aussi de la résistance opposée
ahx délégués anglais par les délégués des
autres puissances à la conférence du ca-
nal de Suez. Voici en quels termes le
Times exprime son mécontentement :
« La commission du canal de Suez veut
appliquer à cette voie de navigation un
système de contrôle international. Ce con-
trôle aura pour effet de gêner notre com-
merce et de paralyser nos forces navales.
» Le gouvernement est tenu de ne point
sanctionner cet arrangement qui aurait
pour nous des résultats aussi désastreux,
et s'il tient sa promesse de ne rien con-
clure sans avoir consulté le Parlement,
celui-ci et l'opinion publique ne lui per-
mettront pas de commettre de faute. »
Au Parlement, lord Fitz-Maurice a dé-
claré que le Bosphore cesserait d'être hos-
tile.
La situation en Colombie est toujours
grave :
On télégraphie de New-York que les re-
belles ont attaqué Carthagène pendant la
nuit du 7 mai. Ils ont été repoussés, ont
eu 800 morts et beaucoup de blessés ; ils
ont battu en retraite sur Baranquilla.
A une majorité de sept voix, le Sénat a
exclu les étrangers du recensement général
de la population, servant de base à la distri-
bution des sièges des députés, dans le projet
de loi sur le scrutin de liste.
En pure logique, l'opinion du Sénat est
très défendable.
En politique, elle risque de créer un con-
flit.
Nous pensons qu'il faut attendre à demain
pour savoir si une transaction, très désira-
ble, n'est pas possible ?
H. F.
QUESTION DU JOUR
Pessimisme littéraire
Un événement littéraire peut bien
prendre parfois ici la place ordinaire-
ment réservée à la politique. Avez-
vous lu, comme tout le monde, le
nouveau roman de M. Guy de Mau-
passant, Bel-Ami? Le héros est un
gredin qui fait son chemin en plaisant
aux dames, et le livre se termine par
un mariage riche comme par une apo-
théose. Duroy est un personnage de
Balzac, remanié et enlaidi à la mode du
jour, un Rubempré sans poésie, un
Rastignac sans la grâce et la fleur de
gentilhommerie dont Balzac a pris soin
de parer l'ami de Mme de Nucingen. Il
a plu à M. de Maupassant d'en faire un
journaliste, sans qu'on voie bien la né-
cessité de ce choix. Le sentier tout
ombragé de myrtes qui le conduit à la
fortune pourrait aussi bien être foulé
par un avocat, un ingénieur ou un
médecin. Mais l'auteur est lui-même un
journaliste de talent, un brillant chroni-
queur, et décrit volontiers le milieu
qu'il connaît le mieux. Les romanciers
contemporains, au rebours des anciens
oui cherchaient à faire preuve d'imagi-
nation, se piquent surtout d'exactitude.
Ils n'aiment pas à se dépayser, ni à dé-
payser le lecteur. Ils mettent l'action en
plein boulevard, dans l'année courante,
et font poser les gens qu'ils coudoient.
S'ils voient les choses et les hommes
en noir, s'il leur prend fantaisie surtout
de décrire des coquins et des pieds-
plats, tant pis pour leurs voisins et con-
frères ! Il n'y a d'ailleurs aucune per-
sonnalité ; nul n'a le droit de se recon-
naître et de se plaindre. Seulement les
milliers de Français qui liront l'œuvre
de M. de Maupassant, sans faire la part
du tempérament de l'écrivain et de son
système, concevront une assez triste
idée des journalistes du temps présent,
ce qui ne laisse pas d'être un peu aga-
çant pour les gens qui ont l'honneur
d'exercer ce métier que M. Prudhomme
appelle le sacerdoce de la presse.
Nous n'aurons cependant pas la naï-
veté de répondre à cette satire par une
apologie en règle de la corporation. Ces
plaidoiries ne persuadent guère le pu-
blic, que l'attaque divertit et que la dé-
fense ne manque pas d'ennuyer. D'ail-
leurs on ne répond pas à un roman, si-
non par un autre roman, et nous ne
voyons pas quel est parmi les écrivains
du jour celui qui pourrait être tenté de
faire la contre-partie de Bel-Ami. Le
travail honnête et consciencieux n'a
rien de romanesque ni de divertissant.
La vie d'un ambitieux sans scrupules
peut être intéressante à raconter ; celle
d'un sage et modeste ouvrier de la
plume, ou d'un homme de talent qui
fait son chemin sans fracas ni faux pas,
ressemble à un voyage sur la grand'-
route, sans incident ni péripétie. Une
bonne histoire de brigands sera tou-
jours plus piquante que le Guide Joanne,
même combiné avec la morale en ac-
tions.
On ne réfute pas les pessimistes, mais
on peut chercher les raisons de leur
mauvaise humeur et du goût particulier
qui les porte à peindre les hommes en
laid. La mode y est pour quelque chose;
encore faut-il expliquer la mode. M. de
Maupassant n'est pas homme à suivre
passivement un courant, comme certains
disciples de M. Zola qui croient marcher
sur les traces du maître en poussant
toutes ses hardiesses à l'excès, et qui
semblent avoir généreusement entre-
pris de lui servir de repoussoir. D'ail-
leurs M. de Maupassant procède moins
de Zola que de Flaubert. Il a la descrip-
tion sobre, sans empâtement, sans
fouillis, la narration rapide et alerte, le
style net, ferme et bien français. Pas
plus que Flaubert il ne brouille les limi-
tes de la littérature et des arts plasti-
ques, ni ne cherche à remplacer les
idées par les sensations. Mais, comme
Flaubert, il semble avoir pris en haine
la sottise, la platitude, la bassesse hu-
maines, et cette haine l'absorbe au point
de nejui laisser voir que ce qui est sot,
plat et bas.
On sait par la correspondance de
l'auteur de l'Education sentimentale
quelle souffrance c'était pour lui,.né ro-
mantique et enthousiaste, de passer sa
vie à peindre laborieusement des imbé-
ciles et des médiocres. Il ne pouvait
cependant s'en détacher, au grand
étonnement de George Sand, et il reve-
nait toujours à ses victimes, sans expli-
quer pourquoi il s'acharnait sur elles.
Peut-être était-il dominé, comme M. de
Maupassant, par le besoin de sortir de
l'ornière, d'échapper à la vulgarité, de
faire du neuf ! Le pessimisme peut de-
venir une habitude, mais il est probable
que c'est d'abord un système, une ori-
ginalité voulue, une distinction cher-
chée. Au théâtre, il n'est pas permis,
sous peine de s'exposer à une chute
presque certaine, de ne mettre en scène
que des gens antipathiques et de faire
tomber le rideau sur le triomphe des
méchants ou des faquins. Le romancier
est plus libre, et il use d'autant plus de
cette liberté qu'il la voit refuser aux
dramaturges.
Les pessimistes cèdent surtout au
désir de réagir contre le classique et le
convenu ; ce sont des émancipés et des
révoltés. C'est encore là une forme du
romantisme, c'est-à-dire de l'insurrec-
tion contre les traditions et les règles
surannées. Il y avait dans le bataillon
sacre des romantiques de 183.0 plus
d'un pessimiste d'avant-garde, comme
l'auteur des Contes immoraux, Pétrus
Borel le lycanthrope. Ce qui est parti-
culier à nos contemporains, c'est le goût
de la réalité actuelle, de ce qu'on ap-
pelle aujourd hui la modernité. Les traî-
tres de l'ancien roman sont maintenant
remplacés par des gens en habit- noir,
ses forêts par le bois de Boulogne et
ses cavernes par nos salons et nos cer-
cles. On nous fait toucher et coudoyer
les héros répugnants qu'on prenait soin
autrefois d'exhiber à distance. Pour
montrer qu'on ne jette point le récit
dans un moule usé, on représente le
vice triomphant et -- la vertu ridicule, à
moins qu'on ne la supprime tout à fait.
Il n'y a peut-être, dans toute cette
philosophie attristante, qu'une formule
littéraire. Le dédain des préjugés n'est
parfois qu'un préjugé et la révolte
qu'un procédé. Choquer le sentiment
bourgeois est un plaisir qui séduit
même des esprits distingués, et qui
devient assez promptement une ha-
bitude, une nécessité, un tempérament
acquis. Mais on se lasse de ne braver
que les préjugés des Philistins; c'est
un divertissement plus raffiné, pour un
auteur un peu blasé, de dauber sur la
presse à laquelle il appartient, dé tour-
ner en ridicule les journalistes parmi
lesquels il ne compte que des admira-
teurs., un divertissement analogue à ce-
lui que M. Andrieux se donnait naguère
en publiant ses Mémoires d'enfant ter-
rible. Cela amuse le public, et les con-
frères eux-mêmes ne font qu'en rire,
quand c'est un homme d'un rare talent
qui les immole en masse sur l'autel du
pessimisme. Nous consentons à être un
peu calomniés, pourvu qu'on nous inté-
resse.
$
LE PARLEMENT
COURRIER DE LA CHAMBRE
Paris, 21 mai 1885.
Le monde parlementaire est sous le
coup d'une émotion visible, depuis que
Victor Hugo est en danger de mort ;
c'est ce que nous avons constaté en arri-
vant au Palais-Bourbon.
On s'inquiète de l'état du poète ; on s'in-
terroge ; on questionne les intimes, et for-
cément l'ordre du jour se ressent un peu
de ces préoccupations.
Si la nouvelle fatale arrive, on parle de
lever la séance en signe de deuil ; c'est
dans ces conditions que M. Floquet monte
au fauteuil de la présidence.
Une centaine de députés au plus sont à
leur poste. ----
Ce public restreint n'empêche pas M.
Cunéo d'Ornano de venir déposer une de-
mande d'interpellation.
Il paraîtrait que le conseil général des
Pyrénées-Orientales aurait découvert des
irrégularités dans l'administration de M.
Rivaud, préfet de ce département.
M. Cunéo d'Ornano qui se tient aux
aguets, et qui exerce auprès des préfets de
la République la surveillance d'un inspec-
teur des services administratifs, a saisi la
balle au bond, et a trouvé là une excellente
occasion de taquiner le ministre de l'in-
térieur.
Malheureusement M. Allain-Targé était
retenu au Sénat par la discussion du scru-
tin de liste, et n'a pu par conséquent fixer
la date de l'interpellation.
Mais ce qui est différé n'est pas perdu,
et M. Cunéo d'Ornano compte assurément
se rattraper un jour prochain.
Une nouvelle déception nous attendait.
On sait que M. Andrieux était pour-
suivi pour diffamation par un de nos con-
frères. La commission chargée d'examiner
s'il y avait lieu à poursuites, s'était pro-
noncée pour la négative.
On espérait, et M. Andrieux l'avait dé-
claré lui-même, que le jour où viendrait
devant la Chambre la discussion des con-
clusions de la commission, le député du
Rhône se livrerait à un petit exercice de
gymnastique spirituel, un genre dans le-
quel il excelle étonnamment.
Espérance déçue. M. Andrieux ne s'est
pas présenté à la barre, sur laquelle on
espérait qu'il ferait quelques tours. Les
conclusions de la commission ont été
adoptées à l'unanimité, et le député pour-
suivi a été acquitté. par défaut.
L'inviolabilité parlementaire n'est pas
encore un vain mot.
*
* *
On a repris ensuite la discussion du
projet de loi relatif à l'organisation de
l'armée coloniale.
M. Ténot a d'abord présenté un amen-
dement à l'article 8. M. Ténot veut savoir
si le contingent colonial, c'est-à-dire formé
par les colonies, sera affecté à la défense
de ces colonies.
Cet amendement consiste dans l'addi-
tion de ces mots à l'article en question :
« Elles encadrent le contingent colonial. »
La Chambre a repoussé par 258 voix
contre 164 la proposition de M. Ténot.
Les articles 9 à 25 sont ensuite adoptés
sans discussion.
Voici l'article 26 qui amène M. de Mahy
à la tribune. Cet article est relatif à l'avan-
cement dans les troupes coloniales. M. de
Mahy demande qu'il soit établi un tableau
d'avancement spécial pour les officiers de
ces troupes.
Le baron Reillelui répond que le projet
de loi assure à ces officiers toutes les va-
cances ouvertes aux colonies, à condition
qu'ils comptent deux années de séjour ;
c'est, dit le rapporteur, un avantage çon-
sidérable.
M. de Mahy retire son amendement.
L'article 29, relatif au recrutement des
troupes coloniales, fournit de nouveau à
l'honorable questeur de la Chambre l'oc-
casion de proposer un paragraphe tendant
à comprendre. dans les éléments de ce
recrutement, le contingent colonial de la
Réunion, de la Guadeloupe, de la Martini-
que et de la Guyane.
Sur le conseil du général Campenon, M.
de Mahy consent à ajourner son amende-
ment, qu'il reprendra quand viendra la
seconde lecture de la loi sur le recrute-
ment.
Malgré MM. Vachal et Pierre Alype, qui
ont chacun une disposition additionnelle
que la Chambre ne prend pas d'ailleurs en
considération, on vote successivement les
articles de la loi jusqu'au n° 41.
Sur celui-ci, M. de Mun intervient pour
demander la suppression de sa seconde
partie ; cette seconde partie est relative
à la date du rattachement des troupes de
la marine au département de la guerre.
Cette date, dit ce second paragraphe,
pourra être prorogée par décret du pré-
sident de la République dans le cas où, en
raison des expéditions en cours ou de •
toute autre circonstance, la réorganisa-
tion des troupes coloniales ne pourrait
avoir lieu à ce moment sans de graves in-
convénients.
D'après M. de Mun, il est très grave de
laisser la date du rattachement à l'appré-
ciation du gouvernement ; c'est presque
un ajournement indéfini de la loi.
Le général Campenon s'élance à la tri-
bune pour protester contre ces insinua-
tions. Il supplie la Chambre de ne point
désarmer le ministre de la guerre et de
voter intégralement l'article 41.
On ne refuse rien au- général Campe
non, et l'article 41 est voté dans son en-
tier.
Les neuf articles suivants sont adoptés
sans débat, et la Chambre décide qu'elle
passera à une deuxième délibération de la
loi.
Louis DESFORGES.
Feuilleton du XIXe SIÈCLE
Du 22 mai 1885
-
LES
Suites d'un Mi tour
Il
— suite —
*
- Ah! Gerty, «-parlez-vous sérieuse-
ment? dit Edith tout attendrie. Une telle
offre à une pauvre fille orpheline qui n'a
au monde que la belle-sœur que vous sa-
\ez et le frère qui est soumis à son com-
mandement comme, le plus humble, le
plus triste des soldats 1
— Comment, soldat? N'est-il pas capi-
taine ?
— Oui, en effet, il est capitaine.
Miss Plumkett eut un court ricane-
ment.
— Et son numéro, le numéro 54 ? dé-
ni anda-t-elle.
— Chut ! dit Edith en riant aussi.
Puis, prenant das ses bras la grosse de-
moiselle qui se adressait sur le ca-
napé :
— Ah ! chère, vous me sauvez la vie 1
Bénis soient Cook et ses tours qui nous
lassemblent 1
Miss Plumkett l'embrassa :
— Nous ne nous quitterons plus, mais
ne bénissez pas Cook ; ne bénissez aucun
)bmme 1 Envoyez au diable les deux Fid-
ifting, le blond et le brun, et tous ceux que
nous rencontrerons encore sur notre route
d'ici à Manchester !
- Même Mr. Bulow?
- Mr. Bulow doit reposer en ce mo-
ment de tout son long dans le sein d'Abra-
ham, car j'avais oublié de vous apprendre
qu'il y a vingt-deux ans il en avait déjà
vingt de plus que moi. Je vous dis que
nous ne nous quitterons plus 1
— Jamais plus ?
— C'est juré 1
Une demi-heure après, elles dormaient
toutes deux comme deux enfants.
III
« Nous te supplions, Seigneur, de pro-
téger notre très gracieuse dame la reine
Victoria, Albert Edward, prince de Galles,
la princesse de Galles et toute la famille
royale, etc.»
Le pasteur ayant achevé la nomencla-
ture, sans oublier la République chez la-
quelle il se trouvait en ce moment, se tut.
Le culte était achevé.
Le foule cependant demeura quelques
instants debout, silencieuse et recueillie.
Puis, des hauteurs de la famille royale et
du Seigneur revenue à la terre, ce furent
des saluts, des sourires, des mouvements
de surprise échangés de banc à banc,
comme si on ne s'était pas vu durant tout
l'office, et des groupes se formèrent dans
les allées.
Le révérend Luke Colston avait quitté
la chaire et, vêtu encore de son long sur-
plis de laine noire, se tenait à la porte
d'entrée comme un maître de maison qui,
après une réception, remercie ses hôtes
sur le seuil..
Il attendit là ses fidèles de passage, fi-
dèles dont le zèle et la générosité entre-
tiennent généralement à Paris les révé-
rends et les chapelles qui, pour les tou-
ristes, sont autant de petites Angleterre
de réconfort patriotique et religieux.
Il y avait là les baptistes du Gook's tour
et les autres qui traversaient Paris au mê-
me moment, des familles au complet de
dix à douze personnes venues du levant
ou du couchant, de l'hôtel voisin ou du
fond de l'Australie.
Nos tleux amies se tenaient à l'entrée
d'un banc, et à un pas d'elle le gentle-
man blond et le gentleman brun. Elles
allaient sortir à leur tour quand une ex-
clamation à demi-voix les fit se retourner :
— Miss Plumkett ! Je ne me trompe
pas, c'est bien miss Plumkett !
Elle se trouvait devant un gros petit
homme bien rasé et souriant, et si res-
semblant à une vieille connaissance,
qu'elle pâlit comme devant un revenant et
murmura :
— Mister Bulow?
— Moi-même, miss Plumkett.
Et il lui tendit la main. Elle avança la
sienne, lentement, avec une peur visible,
comme si elle allait toucher une main de
spectre ; car, en vingt-deux ans, Mr Bu-
low, dont personne ne parlait plus, avait
eu le temps de mourir et de perdre même
les deux mains sans compter le reste.
Mais c'était bien une main de vivant et
qui plus est de bon vivant, car elle secoua
longuement celle de miss Plumkett avec
le plus cordial entrain.
Et la demoiselle ainsi secouée se tourna
vers Edith dont s'étaient rapprochés les
deux - Fiddlinsr :
— Allez devant ; je vous rejoins.
Ils obéirent. Alors les deux ex-amoureux
se regardèrent des pieds à la tête.
Ils étaient aussi gras et ronds l'un que
l'autre, avec un égal triple menton. Le
ventreen poire deMr Bulow bedonnait joli-
ment. Ses courtes jambes frétillaient dans
un pantalon de nankin et ses mains gras-
souillettes, potelées étaient comme des
mains de femme.
Semblablement encore à miss Plumkett,
il avait le nez armé de lunettes ; mais, au-
dessus d'elles, le front se prolongeait jus-
qu'à la nuque, chauve comme le pavé du
lieu saint, tandis qu'une chevelure abon-
dante et à peine mouchetée de quelques
fils blancs couvrait la tête de miss Plum-
kett.
Au chapeau du petit homme, un crêpe
assez fripé annonçait un deuil finissant :
le deuil de sa femme I
Il le dit d'un air assez dolent et assez vif
tout à la fois pour faire sourire la demoi-
selle à la pensée que cette femme n'avait
jamais été la mistress Bulow que Gertrude
Plumkett aurait pu être.
Alors, un doigt sur ce crêpe flétri, il
prononça ces mots :
— Miss Plumkett, sachez ceci, sachez-
le 1. Tout arrive à la fin !
Après cette pensée qui semblait être la
grande préoccupation de son cerveau, tant
il y mit de poids et d'assurance, il ajouta
discrètement qu'à trente-sept ans un hom-
me n'existe pas encore, ou ne se manifeste
que par des sottises parfaitement impar-
donnables comme, par exemple, d'aban-
donner la proie pour l'ombre ; c'est seule-
ment à soixante-six ans révolus qu'il com-
mence à voir la différence des choses.
Devant ce rapide et aimable meâ culpâ
de Mr. Bulow, qui avait les soixante-six
ans révolus, miss Plumkett poussa un pe-
tit ricanement, aimable aussi, et avec le
ressuscité marcha vers la porte où le ré-
vérend Luke Colston les arrêta comme
tout le monde pour les inviter à son thé
de cinq heures.
Hors de la chapelle, dans la rue, le blond
et le brun gentleman, l'un à la droite, l'au-
tre à la gauche d'Edith, attendaient avec
elle.
Ils se mirent délicatement en marche à
la vue des deux antiques flirts qui s'avan-
çaient en causant et d'un air peu pressé
de les rejoindre.
Après une cinquantaine de pas, Edith
s'entendit appeler par miss Plumkett et
vint à l'appel.
Miss Plumkett frémissait gaiement, les
pommettes en feu.
— Edith, ma chère, voilà de l'inatten-
du. Mister Bulow, miss Edith Hawkins.
— Mister Bulow me prie de l'accompagner
chez un ami. Prenez-donc le « bus » et
votre lunch sans moi avec ces deux mes-
sieurs ; vous me retrouverez à la Made-
leine, où va toute la « party H.
Derrière leurs lunettes, les petits yeux
roux de la grosse demoiselle jetaient de
joyeux éclairs.
— Allons, bon voyage, ma chérie ! ré-
pondit finement miss Hawkins.
Le sourcil légèrement froncé et avec un
soupir, elle s'en retourna du côté des deux
hommes.
Adieu donc, dès le premier jour, à la li-
berté promise, à Manchester, à la belle
vie avec la principale du school board!
Hélas 1 il fallait t?ller retrouver l'assom-
mante « consomptive» et tout ce qui s'en-
suivait ! Voilà bien deux jeunes gens qui
ne semblaient pas mécontents de sa per-
sonne ; mais un Anglais met souvent dix,
vingt, trente ans avant d'épouser celle
qu'il aime comme Mr. Bulow, très étran-
ge amoureux d'ailleurs, et qui lui sem-
blait devoir mieux représenter sous terre
que dessus. *
— Je suis maintenant seule avec vous
en ce monde parisien, dit-elle aux deux
frères en les abordant; miss Plumkett
nous donne rendez-vous à la Madeleine,
mais elle n'y viendra pas ; Mr. Bulow, son
antique ami, la détournera certainement
de cette papiste visite.
Cependant, à une heure précise, devant
l'église du rendez-vous, ils revirent la
grosse demoiselle. Elle sortit d'un fiacre
avec son frétillant vieillard au moment
juste où les touristes descendaient du
« bus ».
Toute souriante, en moulinant de son
parapluie, elle passa le long de Mrs.
Fressland, la dame aux tracts, de son
mari casqué et voilé de blanc et de toute
la troupe, et ne s'arrêta que pour deman-
der à Edith si elle avait confortablement
lunché.
Puis tout bas, dans le pêle-mêle :
— Ne riez pas, ma douce, ne m'en veuil-
lez pas ; la vie est la plus drôle de per-
sonne du monde, quoiqu'elle ne soit pas
entièrement, comme dit Shakespeare, un
conte fait par un idiot. Je vous explique-
rai. Ne riez pas!
Elle se retourna vers Mr. Bulow, pour
s'occuper de lui bruyamment, avec une
parfaite inconvenance, et de façon à se
faire regarder de travers par le guide so-
lennel en train de pérorer. Elle goguenar-
dait les saintetés, dont il célébrait le prix
d'achat, quand tout à coup. Mrs Fressland
éclata, saisit le bras de son mari à la barbe
argentée, en disant de toute son âme :
— Je ne supporterai pas plus longtemps
la vue de ce paganisme honteux !
— Ni moi non plus ! dit miss Plum-
kett.
Elle entraîna Mr. Bulow, toujours fré-
tillant, jusqu'au fiacre qui les avait ame-
nés. -
Dix minutes après, le « bus » rebondé
partait au trot de ses quatre chevaux pour
d'autres visites catholiques à tous les clo-
chers de Paris, ces visites-là ne rompant
point le sabbat.
On devait débuter par la Trinité. Sur la
route, comme sans se douter du coup
qu'ils faisaient là, les quatre chevaux s'ar-
rêtèrent tranquillement devant l'Opéra,
et le guide, aussi tranquille qu'eux, se
leva.
MARIE-ROBERT HALT.
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