Titre : Le XIXe siècle : journal quotidien politique et littéraire / directeur-rédacteur en chef : Gustave Chadeuil
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1885-05-18
Contributeur : Chadeuil, Gustave (1821-1896). Directeur de publication
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Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 18 mai 1885 18 mai 1885
Description : 1885/05/18 (A15,N4881). 1885/05/18 (A15,N4881).
Droits : Consultable en ligne
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Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-199
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 09/04/2013
Quinzième année. — N° 4881
Prix du numéro à Paris : 15 centimes — Départements : 20 centimes
Lundi 18 Mai 1835
v - J
JOURNAL RÉPUBLICAIN CONSERVATEUR
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ET DANS SES SUCCURSALES
37, Charlotte Street, Fitzroy Square,
Et 15, Tichborne Street, (Café Monica. 2d.)
Nous commencerons demain la publi-
cation du roman de MARIE-ROBERT HALT,
LES SUITES D'UN COOK'S TOE
curieuse étude de la vie anglaise; qui
ne manquera pas, nous l espérons, d in-
téresser vivement nos lecteurs.
A ce roman succédera, sans inter-
ruption, une œuvre écrite spécialement
pour le XIXe Siècle par un de nos ro-
manciers les plus aimés du public.
BULLETIN
Les négociations se poursuivent active-
ment entre les cabinets de Londres et de
Saint-Pétersbourg au sujet du règlement
de la question afghane. L'article du Daily
News que nous avons signalé hier fait
l'objet de commentaires variés. Quelques
journaux s'autorisent même du passage où
il est dit que l'occupation de Hérat par
les Russes ne serait pas un casus belli
pour prédire un changement complet
• Sans la politique de l'Angleterre, qui se
rapprocherait de la Russie pour faire échec
à l'Allemagne et aux visées commerciales
et coloniales de M. de Bismarck. Cet
important article du Daily JS ews est d'ail-
leurs apprécié plus loin par un de nos
collaborateurs. - -",
L'Invalide russe publie la correspon-
dance qui a eu lieu entre le général Koma-
roff et Zakrshewsky d'un côté, et le capi-
taine Yate et Naïd Salar de l'autre. Cette
correspondance s'étend du 14 (26) mars au
25 mars (6 avril).
Le ton des lettres échangées entre
Zakrshewsky et le capitaine Yate est ex-
trêmement courtois, mais ne fait pas la
lumière sur les incidents de mars qui n'of-
frent plus qu'un intérêt rétrospectif. Le pas-
sage le plus important est le mémoire de
l'agent russe Taïroff, où celui-ci affirme
qu'après l'arrivée des Russes à Tasch-Ke-
pri, le capitaine Yate a engagé les Turco-
mans Sarikhs à prendre du service dans
l'armée afghane, leur promettant de leur
donner de l'argent. Les Turcomans Sarikhs
déclinèrent toutefois ces offres.
La retraite des Anglais en Egypte con-
tinue. On mande du Caire que l'ordre a
été donné d'évacuer Dongola, et de
Souakim que le général Graham et l'infan-
terie de la garde ont quitté la ville.
La nouvelle que Riel a été fait prison-
nier est confirmée. Il a été pris par des
éclaireurs qui l'ont poursuivi après la ba-
taille de lundi dernier. On a eu, paraît-il,
quelque peine à protéger le chef des in-
surgés contre la colère des troupes : avant
de l'amener dans le camp, il a fallu consi-
gner les soldats dans leurs tentes.
Ses lieutenants tenteront sans doute de
poursuivre la lutte sans leur chef. Mais il
est probable que le gouvernement cana-
dien finira par se rendre à quelques-unes
de leurs réclamations. On sait les princi-
paux points du « programme » des insur-
gés. Ils réclament une concession gratuite
de 240 acres (80 hectares) de terres
pour les métis qui n'en ont pas encore
reçu du gouvernement, la mise en
vente d'un demi-million d'acres dont le
produit serait employé à fournir aux plus
pauvres des charrues ou d'autres instru-
ments d'agriculture et des graines pour
l'ensemencement des terres, chaque prin-
temps ; la mise en réserve d'une centaine
de cantons dans les terrains inhabités, qui
devraient être distribués aux enfants mé-
tis des nouvelles générations, pendant
cent vingt ans ; enfin, une subvention d'au
moins 1,000 piastres, destinée à l'entre-
tien d'un couvent de religieuses dans cha-
que endroit où se trouvent établies un
grand nombre de familles métis.
Le noTrveaTicabhert^àrÀthfcne??, que pré-
side M. Delyannis, n'a pas publié de pro-
gramme à son avènement au pouvoir, mais
il sepropose de le faire connaître par le
discours du trône
M. Théodore Delyannis est pour la pre-
mière fois président du conseil, mais à
plusieurs reprises il a eu le portefeuille
des affaires étrangères et celui des finan-
ces. Il a longtemps, sous l'Empire, occupé
le poste de ministre de Grèce à Paris.
Le premier acte du cabinet a été d'or-
donner une enquête sur la situation finan-
cière, de façon à trouver les voies et
moyens pour réaliser sur le budget une
économie de douze à quinze millions.
QUESTION DU JOUR
Le conflit anglo-russe
Que sortira-t-il des négociations en-
gagées entre les cabinets de Londres et
de Saint-Pétersbourg? Est-ce la guerre
ou l'alliance anglo-russe? Je ne sais,
bien qu'à vrai dire la première hypo-
thèse ait paru plus admissible jusqu'à
ce jour. On sait — nous l'avons annoncé
hier — que le gouvernement russe n'ac-
cepte pas l'avant-proj et élaboré- à -Lon-
drès et relatif à la délimitation de la
frontière afghane.
Sur quoi est motivé le refus de la
Russie ? Quelles modifications demande-
t-elle - en attendant qu'elle les exige
— au tracé adopté à Londres par son
représentant ? Là-dessus on n'a encore
que des renseignements incomplets. On
dit pourtant que la Russie demande la
cession de Meruchak comme faisant
partie de l'oasis de Pendjeh et une rec-
tification de frontière du côté de Zulfi-
car, qui lui assurerait la possession de
certains défilés.
On ajoute que l'émir de l'Afghanis-
tan n'accepte pas ces modifications.
C'est un point secondaire ; l'émir n'a
par lui-même ni autorité ni moyens
d'action. Toute la question est de sa-
voir si l'Angleterre qui, jusqu'ici, parle
au nom de son allié, l'encourage à la
résistance et est prête à lui donner
autre chose que des conseils.
Officiellement, l'Angleterre n'a rien
fait connaître de ses intentions : elle
n'y met pas tant de hâte. La presse of-
ficieuse est tenue à moins de réserve,
et elle n'a point tardé à dire son senti-
ment en cette grave affaire.
Le Daily News, notamment, vient de
publier un article qui a fait grand bruit
de l'autre côté du détroit. S'il fallait
accepter les idées qui y sont dévelop-
pées comme l'expression exacte des
pensées du cabinet britannique, on ne
peut se dissimuler que nous serions
bien près de la paix conclue et de l'al-
liance anglo-russe.
D'après le Daily News, la seule con-
duite à tenir envers l'émir est de l'aban-
donner à son malheureux sort. Sans
doute on ne lui signifie pas cette réso-
lution sans y mettre des formes ; non,
on lui promet même l'envoi d'officiers
pour fortifier sa frontière du nord-ouest
ou modifier son système militaire s'il en
a le désir.
Seulement le journal anglais laisse
clairement entendre que c'est folie de
vouloir faire de son royaume une sorte
de tampon entre la Russie et l'Inde ;
qu'au surplus les Anglais n'ont pas pris
l'engagement « de le secourir en toutes
circonstances»; qu'au contraire l'appui
de l'Angleterre est subordonné à certai-
nes conditions qui ne sont d'ailleurs
formulées que d'une façon vague, par
précaution diplomatique.
Au total, le Daily News déclare que,
« lors même que les Russes iraient à
Hérat, les troupes anglaises ne s'y porte-
raient pas pour les combattre»; il ajoute
même que, « sur ce point, lord Salisbury
est complètement d'accord avec lord
Kimberly », ce qui est net et précis et
peut donner à penser que le journal de
Londres est autorisé par quelqu'un à se
montrer aussi absolu dans ses affirm a-
tions.
Quant à l'Inde, elle doit chercher sa
sécurité sur ses propres frontières, en
mettant à profit la splendide ligne de
défenses naturelles qui s'étend de la
limite extrême de la frontière Pescha-
war à la mer, laquelle est constituée
par les chaînes des monts Soliman et
les défilés qui se trouvent entre Khyber
et le Bolan.
« Ce n'est pas à Hérat ni à Caboul
qu'on trouvera la clef de l'Inde, mais
dans l'Inde même. Nos engagements
vis-à-vis de l'émir seront naturellement
observés scrupuleusement ; mais quant
au reste, quant aux zones neutres,
quant à la théorie de l'Etat-tampon et à
la foi dans les promesses de la diplo-
matie, ce sont là, nous l'espérons, au-
tant de choses qui resteront reléguées
dans le passé », ajoute le Daily News
qui termine par cette conclusion paci-
fique :
« L'adoption de ce nouveau point de
départ est la plus sage résolution qui,
depuis des années, ait été prise dans
les questions de politique étrangère
par l'Angleterre. Il est certain qu'elle
rencontrera dans le public anglais un
accueil chaleureux et universel. Cette
mesure satisfera les Afghans, car elle
leur montrera que, tout en portant se-
cours à l'émir, nous sommes décidés à
nous renfermer derrière la barrière in-
franchissable de l'Inde, dont les con-
seillers militaires du gouvernement au-
ront à indiquer le tracé. Elle tranquil-
lisera l'esprit de nos sujets de l'Inde,
dont la loyauté s'est manifestée si ou-
vertement ; et, en dernier lieu, elle pro-
duira sur la Russie une impression aussi
profonde que le grand discours de M.
Gladstone et l'attitude de la popula-
tion anglaise tout entière quand, il y a.
quelque temps, la guerre paraissait iné-
vitable. » •»—»..
L'émir, qui paraissait chercher sa voie
en louvoyant visiblement et s'orientant
auvent, saura maintenant à quoi s'en te-
nir sur les véritables sentiments de l'An-
gleterre, si tant est que le Daily News
ait traduit exactement l'opinion du ca-
binet de Londres.
Les Afghans n'apprendront rien de
plus que ce qu'ils savent ; poussés en
avant par les généraux anglais, ils sont
abandonnés par la diplomatie anglaise.
Quant à la Russie, elle peut en pren-
dre à son aise : elle a carte blanche.
Je doute fort cependant qu'une telle
attitude de l'Angleterre soit de nature
à restaurer son prestige dans l'Inde ; il
était déjà gravement compromis par
les échecs sans nombre qui ont marqué
la politique anglaise dans ces derniers
temps; la reculade du cabinet Glads-
tone lui portera un coup funeste.
Si l'Angleterre doit perdre l'Inde un
jour ou l'autre, si, comme le disent bien
de& politiques, c'est affaire de temps,
ce dernier échec hâte l'heure de la dé-
chéance.
Si le cabinet Gladstone s'est vérita-
blement résigné à l'abandon de l'Afgha-
nistan, comme le dit le Daily News, il
est certain que la guerre est évitée.
Cela veut-il dire que l'alliance anglo-
russe est conclue ?
Tout arrive, mais une semblable hy-
pothèse a de quoi surprendre les plus
sceptiques.
Louis HENRI QUE.
———————
Ainsi que nous l'avions prévu, le ministre
de la guerre vient d'ordonner une enquête sur
le cas du jeune soldat du 6e régiment d'artil-
lerie dont l'arrivée à Vizille, attaché à un
bât de mulet, émut si vivement la population
de cette petite ville.
Les résultats de l'enquête parviendront au
ministère dans les premiers jours de la se-
maine. Nous les ferons connaître aussitôt
qu'ils nous seront communiqués.
On assure que le ministre serait disposé à
agir avec une grande rigueur si les faits an-
noncés sont confirmés.
Ce qui n'avait jamais fait doute pour nous.
Mais encore faut-il bien être sûr que cet
incident n'a pas été exagéré?
L'enquête seule peut fixer l'opinion pu-
blique.
E. R.
CAUSERIE DU DIMANCHE
Tous les procès ne sont pas terribles
ou inquiétants, comme l'abominable
crime de la Gloire-Dieu ou comme le
procès de Montceau-les-Mines, que nous
aurons la semaine prochaine et que
nous ne manquerons pas de suivre sur
les lieux. Il y a des causes gaies et des
causes curieuses. Parmi celles-ci, il
faut placer au premier rang l'instance
qui va s'ouvrir, dit-on, entre l'impéra-
trice Eugénie et la ville de Marseille.
On sait que l'impératrice avait donné
à la ville, en toute propriété, la rési-
dence impériale du Pharo, ce beau pa-
lais, à l'entrée des ports de Marseille,
dans une situation admirable, presque
unique. J'ai vu bâtir cette villa, rempla-
çant le vieux restaurant de la Réserve,
où les Marseillais d'antan allaient man-
ger des clovisses, de la bouillabaisse et
boire un joli petit vin de Cassis, sen-
tant la pierre des coteaux où pousse la
vigne maigre et parfumée.
L'empereur avait reçu les terrains en
don du conseil municipal marseillais,
en 1855. Il avait fait bâtir le palais où il
ne devait jamais entrer. Après le 4 Sep-
tembre, la ville revendiqua la propriété
des terrains. Elle perdit son procès.
Mais l'impératrice, une fois son droit de
propriété établi, fit don et des terrains
et des bâtisses à la ville.
Le conseil municipal, d'abord farou-
che, s'amadoua. La largesse fut accep-
tée et le palais devint un hôpital fort
utile. Cet hôpital, dans la dernière épi-
démie, a rendu les plus grands services,
sous la direction du docteur Nicolas
Duranti, qui a reçu, à cette occasion, la
croix, sans que personne ait protesté,
ce , qui est très joli pour Marseille !
Il semble donc que les choses étaient
àu mieux. Mais voici que l'administra-
tion de l'enregistrement est intervenue,
qui a tout gâté. Quand, en 1855, le con-
seil municipal donna les terrains du
Pharo à Napoléon, il ne fut pas perçu
de droits. Quand, en 1884, l'impératrice
fit cadeau à la ville des terrains et du
palais, il était entendu que la ville paie-
rait les frais de mutation. Or le fisc a
trouvé ingénieux de faire d'une pierre
deux coups. Il réclame à la ville 85,000
francs de droits de donation pour 1884;
de plus, remontant à 1855, il revendi-
que 85,000 autres francs pour la dona-
tion de la ville à Napoléon.
La ville de Marseille a regimbé. Payer
pour le cadeau qu'elle aeçoit, à la
bonne heure ! Mais pour le cadeau que
le conseil municipal fit, en 1855, elle
s'y refuse. Et le fisc, qui n'aime pas à
plaider contre les villes, s'est retourné
contre l'impératrice et, -tant pour les
droits de 1884 que pour ceux de 1855,
a saisi les loyers qu'elle touche en
France ! Là-dessus, l'impératrice de-
mande à rentrer en possession de sa
propriété, puisqu'en en disposant elle
s'expose à payer 175,000 francs de
frais.
Commeut s'arrangeront les choses? Je
n'en sais rien. Mais ne vous semble-t-il
pas que l'administration de l'enregis-
trement, c'est-à-dire, après tout, le mi-
nistre des finances, devrait se montrer
conciliant ? Cette administration, de
1855 à 1870, n'a rien dit. Elle a trans-
gressé ses règlements au profit de
l'empereur vivant et tout-puissant. Et
voilà qu'elle se ravise, après trente ans,
au risque de priver la ville de Marseille
d'une magnifique largesse? Ah! cela
est bien français ! Chez nous, les admi-
nistrations et les pouvoirs sont rivaux.
depuis le ministre jusqu'au plus petit
employé. Pour faire vingt sous d'écono-
mies à la guerre, on dépensera inutile-
ment vingt francs à la marine. N'y au-
rait-il pas intérêt, en pareil cas, à une
entente, les ministères et les villes s'a-
perçevant qu'après tout l'argent dont
il s'agit est pris dans la bourse com-
mune, dans la bourse de la France ?
*
+ 4-
Il faut savoir reconnaître ses erreurs.
e le fais toujours pour mon compte,
rès volontiers, ne serait-ce que pour
lner un bon exemple à nos hommes
)olitiques. Aussi j'avoue que c'est à
ort que j'ai attribué à Béranger, il y a
leux jours, le vers sur le drapeau tri-
colore :
D'Orléans, toi qui l'as porté.
Je vers est, comme me l'ont remis en
némoire trois ou quatre de nos lecteurs
[ue je remercie, dans la Parisienne de
Jasimir Delavigne, et voici le couplet
ntier :
Soldat du drapeau tricolore.
D'Orléans, toi qui l'as porté,
Ton sang s'y mêlerait encore
A celui qu'il nous a coûté.
Voilà ma confession faite I
Mais, quand on s'est trompé, il faut
tâcher de savoir pourquoi. Les erreurs
de mémoire sont souvent empreintes
d'une certaine logique. Et je pense que
c'est mon cas. Si le nom de Béranger
est venu par erreur sous ma plume,
c'est que Béranger représente à mer-
veille et de la façon la plus complète le
mouvement de 1830 où, comme me
l'écrit un conseiller municipal dans une
lettre très intéressante, la haine des
Bourbons concilia le bonapartisme, l'or-
léanisme et la République d'une façon
singulière. Ce qu'on appelle l'esprit de
1830, - on dit (encore en province l'es-
prit philippiste, — c'est Béranger en po-
litique, Casimir Delavigne en littérature,
Delaroche en art. Je parlais politique, j'ai
cité Béranger. Merci à mes correspon-
dants qui m'ont remis en bonne voie, et
me jette la pierre celui qui n'a jamais
péché !
*
* #
Il y a huit jours, ainsi que nous
l'avons noté, la ville d'Orléans a célébré,
comme tous les ans, la date anniver-
saire de sa délivrance par Jeanne d'Arc.
La fête a eu cela de particulier qu'elle a
été en partie double : fête religieuse à'
la cathédrale, fête civile au théâtre.)
A l'église, c'est Mgr Langénieux qui?
a officié. Sans ironie et sérieusement, L
je dis qu'au théâtre c'est M. Fabre qur
a également officié. La célébration d'une
grande mémoire n'est-elle pas aussi!
un acte religieux, et d'une religion qui:
a moins d'incrédules que les autres ? -
M. Fabre, on le sait, s'est fait l'apôtre
de 1 idee d'une fête nationale en l'hon-
neur de Jeanne d'Arc. Cette idée, bien
accueillie par près de trois cents dépu-
tés, ne peut être combattue que paf,
des objections d'ordre pratique que
nous ne soulèverons pas. En principe,
cette canonisation populaire et officielle'
d'une sainte laïque et nationale ne peut'
que nous apparaître comme un acte
excellent. Il serait bon, — après Miche-
let, — tout en reconnaissant on Jeanne
une catholique sincère, de ne pas la
laisser tout entière à l'Eglise, qui la
condamna, quoi qu'on ait voulu dire. :
Or, tout justement, il paraît que, réa-
lisant enfin le vœu de Mgr Dupanloup,
qui aimait son pays, Jeanne d'Arc et les
vers grecs (un évêque que nous regret-
tons), l'Eglise abandonne l'évêque Cau-J
chon et le tribunal ecclésiastique qui fit
aux Anglais la politesse de condamner
la Pucelle. Mgr Langénieux a annoncé
que la procédure de la canonisation pre-
nait enfin bonne tournure. Je n'y vois
pas de mal. Mais, encore une fois, ne
laissons ni une opinion ni un parti s'em-
parer de cette admirable créature, qui
fut, ignorante et peut-être maladroite,
l'âme de la France, et qui est à tous et
à toutes.
*
* *
J ai appris avec bien du plaisir que
M. Charles Bigot, agrégé, ancien élève
de l'Ecole normale et de l'Ecole d'A-
thènes, avait reçu du ministère de l'ins-
truction publique une mission en Orient.
M. Charles Bigot est chargé d'aller étu-
dier la façon dont la langue française est
enseignée et propagée en Orient. Il est
à peine utile de faire ressortir l'impor-
tance de cette mission. C'est par la lan-
gue que l'influence d'un peuple se main-
tient et grandit et nous avons à défen-
dre la nôtre dans les pays qu'on appe-
lait autrefois les pays « de langue fran-
que ».
lUI, mieux que M. L. Bigot, n'est apte
à remplir la mission qu'on lui a confiée.
Il connaît les pays où il retourne. Il en
a le sens et le goût. Nos lecteurs n'ont
pas oublié sa longue collaboration chez
nous. Et quand M. Bigot, assez heureux
pour pouvoir interrompre sa carrière de
journaliste militant dans le but d'ac-
complir une œuvre utile et patriotique,
s'en va aux rivages lointains auxquels
tant de liens nous rattachent, nos lec-
teurs seront avec nous pour envoyer à
ce lettré le vœu d'Horace à Virgile.
H. F.
Feuilleton du XIXe SIÈCLE
Du 18 mai
CAUSERIE
DRAMATIQUE
NATIONS : le Roman d'Elise (reprise). — Fer-
dinand Hiller. — BIBLIOGRAPHIE : le Réper-
toire de la Comédie-Française, par M. Ch.
Gueullette (1), avec une préface de M. A.
Silvestre.
Le théâtre des Nations, qui renou-
velle souvent son affiche, nous a donné
me reprise du drame le Roman dE, lise,
jou £ il y a quelques mois au théâtre du
Chât,au-d'Eau. C'est donc une « conti-
nuation „ plus qu'une reprise. La pièce
est de M. Georges Richard qui, aux
Nations, 'y est gardé un rôle; car, sui-
vant d libres exemples, M. G. Richard
est à la fOlomédien et auteur drama-
tique. Comm comédien, il est fort ha-
bile, composa^ avec soin ses rôles, un
peu froid, et flrticulièrement remar-
quable dans les \ersonnages ironiques.
C'est un pince-savrire, comme on dit
familièrement. Cofftne auteur dramati-
que, M. G. Richarc recherche au con-
traire l'émotion, t mouvement, l'ex-
pression des grands sentiments, et les
rencontre quelqueDis. Il nous a raconté
dans son Roman dElise l'aventure d'une
jeune fille russe, (e haute lignée, qui se
donne à un offiier français et force
son aristocratique famille à consentir
au mariage tout fait nécessaire. Mais
le père de lhéroiie, après être entré en
rapports avec son futur gendre en lui
tirant un coup de pistolet, continue en
(1) Un vol. chez Jfuaust, 338, rue St-Houoré.
le prévenant que, s'il lui donne sa fille,
il fera tout pour la lui reprendre. Elise,
en effet, est entourée de séductions aux-
quelles son père prête les mains, ce
qui est le côté scabreux de la situation.
Elle y succombe presque; mais, après
un duel en son honneur, l'armée fran-
çaise remporte une victoire définitive.
OEuvre un peu incohérente, mais qui
est loin d'être dépourvue d'intérêt. La
peinture de la société russe, peut-être
un peu convenue, dépasse même l'ordi-
naire moyenne du mélodrame et confine
à la comédie. Bref, c'est une des bon-
nes œuvres nouvelles que nous ayons
eues depuis quelque temps, et on la
devrait remarquer même dans une autre
période que la période de disette que
nous traversons.
En revanche, la saison des concerts
se prolonge et les échos des pianos,
violons et basses ne cessent pas en-
core ! Mais, sauf des cas rares, il n'y à
guère à rendre compte de ces réunions,
qui témoignent simplement de la grande
extension que prend, dans le monde
entier, la virtuosité des exécutants. La
France, aujourd'hui, peut marcher de
pair avec l'Allemagne pour la perfec-
tion des musiciens instrumentistes.
Tout justement, un des plus grands
chefs d'orchestre de la Germanie vient
de mourir cette semaine, Ferdinand
Hiller. Il avait été chef d'orchestre au
théâtre des Italiens pendant une sai-
son, et avait donné, à Paris, de nom-
breux concerts. Sa vie montre quel cas
les Allemands font- des musiciens et
quels encouragements ils leur prodi-
guent. Ferdinand Hiller était mon allié,
et j'eus l'occasion, il y a des années, de
lui rendre visite à Cologne, où il s'était
retiré, directeur du Conservatoire. Il me
fut facile de constater combien le musi-
cien était non seulement estimé dans le
monde des arts, mais populaire ce qui
est rare pour nos artistes quand ils ne
travaillent pas pour le théâtre.
Hiller avait été un enfant prodige, et
à l'âge de dix ans il avait déjà exécuté
en public un concerto de Mozart, cet au-
tre enfant prodige qui charmait, au
même âge, la cour de France en jouant
sur le clavecin où il pouvait entrer, tant
il était mignon. Après ces débuts, Hil-
ler se mit à l'école chez Hummel, maî-
tre sévère et sûr. Choron, à Paris, fut
son second maître. Après ces classiques
études, le musicien commença une lon-
gue et laborieuse carrière de virtuose
et de compositeur. On lui doit d'avoir
rêpandd en France les œuvres de Sé-
bastien Bach, qu'il interprétait d'une fa-
çon admirable. Très curieux, très éru-
dit, il voyageait volontiers et, à plu-
sieurs reprises, lié d'amitié avec Ros-
sini, il se rendit en Italie où il étudia,
à Rome, la musique classique de cha-
pelle. En Russie, il dirigea les concerts
de la cour du tzar. Sa réputation com-
me chef d'orchestre était incontestée et
Meyerbeer l'avait consacrée en décla-
rant que Hiller et Weber étaient les
deux plus grands conducteurs de musi-
ciens qu'il eût connus.
Hiller a été, pour préciser en évo-
quant des noms connus du public pari-
sien, le Habeneck et le Pasdeloup de
l'Allemagne. Il a organisé, notamment,
le Festival annuel de Bonn et de Co-
logne, fête nationale de la musique
d'outre-Rhin. Quant à ses propres com-
positions, qui sont nombreuses, opéras
avec ou sans paroles, oratorios, suites
d'orchestre, symphonies, motets, mélo-
dies, je ne connais que ces dernières,
au piano. Elles sont d'un grand carac-
tère, avec une poésie noble et généra-
lement simple, car Hiller, quelque sa-
vant qu'il fût, aimait la musique acces-
sible, et le bruit de sa querelle avec
Wagner a été grand en Allemagne,
d'autant plus que Hiller était un écri-
vain très spirituel et même acerbe. Il
laisse, en outre de son œuvre de musi-
cien, des écrits estimés, notamment ses
Souvenirs sur Mendelsohn, Cherubini
et Spohr. La correspondance de Ber-
lioz contient nombre de lettres qui lui
sont adressées par l'illustre composi-
teur français, et ces lettres ne sont pas
toutes tendres pour Wagner.
Il est assez bon de constater que
Wagner, comme chef d'école, — car
son talent est hors de cause, — a été
et est aussi bien contesté en Allema-
gne qu'en France et peut-être davan-
tage, car chez nous, on le sait trop,
l'admiration pour les étrangers devient
vite une superstition.
Si le théâtre chôme presque, il n'en
est pas de même de la littérature théâ-
trale, qui a pris chez nous un immense
développement. Il n'est pas de semaine
qui n'apporte deux ou trois volumes
consacrés au théâtre. La Comédie-
Française, à elle seule, peut revendi-
quer la gloire d'occuper dix ou quinze
écrivains chaque année. Ces jours-ci, M.
Jouaust a mis en vente un petit volume
de M. Ch. Gueullette, consacré au ré-
pertoire de notre première scène, de-
puis le. mois de mars 1883 jusqu'à la fin
(le, J'année dernière. M. Gueullette, qui
n'en est pas à son premier travail de
critique dramatique, a noté les pièces
nouvelles jouées rue de Richelieu, les
reprises et les débuts. Les trois seules
grandes pièces nouvelles jouées pen-
dant cette période sont, après le Monde
où l'on s'ennuie, Smilis et le Député de
Bombignac. Mais les actes sont nom-
breux et les reprises importantes
également. C'est la force de la Comédie
de pouvoir attendre et de pouvoir mar-
cher avec son admirable répertoire,
tant contemporain que classique.
Pour les amateurs de théâtre, une
pièce ancienne, avec une distribution
nouvelle, se trouve assez rajeunie pour
pouvoir exciter la curiosité. Ces repri-
ses et ces débuts sont appréciés par M.
Ch. Gueullette avec beaucoup d'origina-
lité et d'indépendance, et même, par
instants, la chronique de la coulisse
montre le bout de son nez dans ces
appréciations. Le public, de plus en
plus, aime ce genre d'ouvrages, lui rap-
pelant les travaux d'un théâtre pendant
une saison. Il a bien accueilli l'Année
thédtrale de MM. Noël et Stoullig et sa
curiosité reste assez vive pour qu'il y
ait eu lieu à faire, pour la Comédie-
Française, une étude spéciale.
Le volume de M. Gueullette est dédié
à Mlle Bartet, avec un portrait de l'aima-
ble actrice qui serait plus charmant en-
core s'il était plus ressemblant, et pré-
cédé d'une préface de M. A. Silvestre. La
préface de notre confrère est très remar-
quable. Elle est pessimiste. M. Silvestre,
qui est un poète, se plaint de l'envahisse-
ment du monde littéraire par la criti-
que. « Les gens sont bien malades, dit-
il, quand le médecin ne trouve rien à
faire qu'à leur tâter continuellement le
pouls. M II ajoute que c'est le cas du
théâtre. Qui « jamais n'a inspiré tant
de livres, tant de critiques », et qui ja-
mais n'a produit si peu d'œuvres. « Qui
s'intéresse encore au drame? ajoute M.
Silvestre, qui acclame la comédie sé-
rieuse. Les ouvrages gais ont seuls
conservé un succès de digestion dont
l'art a autant de raison de s'enorgueillir
que le christianisme des qualités médi-
cales de la - chartreuse. - » Le mot est
charmant et, bien que nous ne désespé-
rions pas de l'avenir du théâtre, il est
certain que M. Silvestre n'a- pas tout à
fait tort quand il se montre inquiet.
Cette faiblesse de la production, M.
Silvestre en cherche les causes. Il pense
qu'on doit payer la grande production
d'il y a trente ans. Tous les sujets ont
été traités. De plus, la mise en scène
est devenue une nécessité coûteuse,
empêchant les directeurs de monter,
comme autrefois, un grand nombre de
pièces chaque saison, de façon à faire
place à tout le monde. Ah ! que nous
avons dit cela des fois et des fois ! Et
comme nous sommes encore de l'avis
de M. Silvestre quand il estime que le
système des étoiles est nuisible à l'art !
Tout cela est vrai. Seulement, il ne faut
pas désespérer, ce que fait trop le pré-
facier qui pense que l'art dramatique
est en péril et pour les causes qu'il dit,
et auxquelles on peut remédier, et pour
d'autres encore qu'il ne dit pas.
La Comédie-Française d'ailleurs, il le
reconnaît, est le théâtre qui lutte et
doit lutter surtout contre la menace de
décadence. M. Silvestre se plaint de
quelque timidité dans la direction de la
Comédie, qui n'a joué ni les Erinnyes
de M. Leconte de Lisle, ni la Formosa
de M. Vacquerie, ni le Severo Torelli de
M. Coppée. Il voudrait qu'au comité de
lecture fussent adjoints quelques let-
trés, ou pour dire mieux, car les co-
médiens de la rue Richelieu sont des
lettrés, quelques auteurs dramatiques.
Il cite le nom de M. Augier, et chacun
s'inclinerait à coup sûr devant l'autorité
et la gloire de notre cher maître. Mais
les lettrés se trompent comme les au-
tres ! Et ce qu'on doit surtout deman-
der à la Comédie, je pense, avant d'étu-
dier telle ou telle réforme dont on a
parlé souvent, c'est de conserver cette
admirable troupe d'ensemble qui doit
faire trouver des excuses aux œuvres
médiocres et un charme nouveau et
inédit aux œuvres anciennes.
HENRY FOUQUIER.
Prix du numéro à Paris : 15 centimes — Départements : 20 centimes
Lundi 18 Mai 1835
v - J
JOURNAL RÉPUBLICAIN CONSERVATEUR
RÉDACTION
S'adresser au Secrétaire de la Rédaction
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1 EN VENTE A LONDRES
A la librairie Petitjean
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ET DANS SES SUCCURSALES
37, Charlotte Street, Fitzroy Square,
Et 15, Tichborne Street, (Café Monica. 2d.)
Nous commencerons demain la publi-
cation du roman de MARIE-ROBERT HALT,
LES SUITES D'UN COOK'S TOE
curieuse étude de la vie anglaise; qui
ne manquera pas, nous l espérons, d in-
téresser vivement nos lecteurs.
A ce roman succédera, sans inter-
ruption, une œuvre écrite spécialement
pour le XIXe Siècle par un de nos ro-
manciers les plus aimés du public.
BULLETIN
Les négociations se poursuivent active-
ment entre les cabinets de Londres et de
Saint-Pétersbourg au sujet du règlement
de la question afghane. L'article du Daily
News que nous avons signalé hier fait
l'objet de commentaires variés. Quelques
journaux s'autorisent même du passage où
il est dit que l'occupation de Hérat par
les Russes ne serait pas un casus belli
pour prédire un changement complet
• Sans la politique de l'Angleterre, qui se
rapprocherait de la Russie pour faire échec
à l'Allemagne et aux visées commerciales
et coloniales de M. de Bismarck. Cet
important article du Daily JS ews est d'ail-
leurs apprécié plus loin par un de nos
collaborateurs. - -",
L'Invalide russe publie la correspon-
dance qui a eu lieu entre le général Koma-
roff et Zakrshewsky d'un côté, et le capi-
taine Yate et Naïd Salar de l'autre. Cette
correspondance s'étend du 14 (26) mars au
25 mars (6 avril).
Le ton des lettres échangées entre
Zakrshewsky et le capitaine Yate est ex-
trêmement courtois, mais ne fait pas la
lumière sur les incidents de mars qui n'of-
frent plus qu'un intérêt rétrospectif. Le pas-
sage le plus important est le mémoire de
l'agent russe Taïroff, où celui-ci affirme
qu'après l'arrivée des Russes à Tasch-Ke-
pri, le capitaine Yate a engagé les Turco-
mans Sarikhs à prendre du service dans
l'armée afghane, leur promettant de leur
donner de l'argent. Les Turcomans Sarikhs
déclinèrent toutefois ces offres.
La retraite des Anglais en Egypte con-
tinue. On mande du Caire que l'ordre a
été donné d'évacuer Dongola, et de
Souakim que le général Graham et l'infan-
terie de la garde ont quitté la ville.
La nouvelle que Riel a été fait prison-
nier est confirmée. Il a été pris par des
éclaireurs qui l'ont poursuivi après la ba-
taille de lundi dernier. On a eu, paraît-il,
quelque peine à protéger le chef des in-
surgés contre la colère des troupes : avant
de l'amener dans le camp, il a fallu consi-
gner les soldats dans leurs tentes.
Ses lieutenants tenteront sans doute de
poursuivre la lutte sans leur chef. Mais il
est probable que le gouvernement cana-
dien finira par se rendre à quelques-unes
de leurs réclamations. On sait les princi-
paux points du « programme » des insur-
gés. Ils réclament une concession gratuite
de 240 acres (80 hectares) de terres
pour les métis qui n'en ont pas encore
reçu du gouvernement, la mise en
vente d'un demi-million d'acres dont le
produit serait employé à fournir aux plus
pauvres des charrues ou d'autres instru-
ments d'agriculture et des graines pour
l'ensemencement des terres, chaque prin-
temps ; la mise en réserve d'une centaine
de cantons dans les terrains inhabités, qui
devraient être distribués aux enfants mé-
tis des nouvelles générations, pendant
cent vingt ans ; enfin, une subvention d'au
moins 1,000 piastres, destinée à l'entre-
tien d'un couvent de religieuses dans cha-
que endroit où se trouvent établies un
grand nombre de familles métis.
Le noTrveaTicabhert^àrÀthfcne??, que pré-
side M. Delyannis, n'a pas publié de pro-
gramme à son avènement au pouvoir, mais
il sepropose de le faire connaître par le
discours du trône
M. Théodore Delyannis est pour la pre-
mière fois président du conseil, mais à
plusieurs reprises il a eu le portefeuille
des affaires étrangères et celui des finan-
ces. Il a longtemps, sous l'Empire, occupé
le poste de ministre de Grèce à Paris.
Le premier acte du cabinet a été d'or-
donner une enquête sur la situation finan-
cière, de façon à trouver les voies et
moyens pour réaliser sur le budget une
économie de douze à quinze millions.
QUESTION DU JOUR
Le conflit anglo-russe
Que sortira-t-il des négociations en-
gagées entre les cabinets de Londres et
de Saint-Pétersbourg? Est-ce la guerre
ou l'alliance anglo-russe? Je ne sais,
bien qu'à vrai dire la première hypo-
thèse ait paru plus admissible jusqu'à
ce jour. On sait — nous l'avons annoncé
hier — que le gouvernement russe n'ac-
cepte pas l'avant-proj et élaboré- à -Lon-
drès et relatif à la délimitation de la
frontière afghane.
Sur quoi est motivé le refus de la
Russie ? Quelles modifications demande-
t-elle - en attendant qu'elle les exige
— au tracé adopté à Londres par son
représentant ? Là-dessus on n'a encore
que des renseignements incomplets. On
dit pourtant que la Russie demande la
cession de Meruchak comme faisant
partie de l'oasis de Pendjeh et une rec-
tification de frontière du côté de Zulfi-
car, qui lui assurerait la possession de
certains défilés.
On ajoute que l'émir de l'Afghanis-
tan n'accepte pas ces modifications.
C'est un point secondaire ; l'émir n'a
par lui-même ni autorité ni moyens
d'action. Toute la question est de sa-
voir si l'Angleterre qui, jusqu'ici, parle
au nom de son allié, l'encourage à la
résistance et est prête à lui donner
autre chose que des conseils.
Officiellement, l'Angleterre n'a rien
fait connaître de ses intentions : elle
n'y met pas tant de hâte. La presse of-
ficieuse est tenue à moins de réserve,
et elle n'a point tardé à dire son senti-
ment en cette grave affaire.
Le Daily News, notamment, vient de
publier un article qui a fait grand bruit
de l'autre côté du détroit. S'il fallait
accepter les idées qui y sont dévelop-
pées comme l'expression exacte des
pensées du cabinet britannique, on ne
peut se dissimuler que nous serions
bien près de la paix conclue et de l'al-
liance anglo-russe.
D'après le Daily News, la seule con-
duite à tenir envers l'émir est de l'aban-
donner à son malheureux sort. Sans
doute on ne lui signifie pas cette réso-
lution sans y mettre des formes ; non,
on lui promet même l'envoi d'officiers
pour fortifier sa frontière du nord-ouest
ou modifier son système militaire s'il en
a le désir.
Seulement le journal anglais laisse
clairement entendre que c'est folie de
vouloir faire de son royaume une sorte
de tampon entre la Russie et l'Inde ;
qu'au surplus les Anglais n'ont pas pris
l'engagement « de le secourir en toutes
circonstances»; qu'au contraire l'appui
de l'Angleterre est subordonné à certai-
nes conditions qui ne sont d'ailleurs
formulées que d'une façon vague, par
précaution diplomatique.
Au total, le Daily News déclare que,
« lors même que les Russes iraient à
Hérat, les troupes anglaises ne s'y porte-
raient pas pour les combattre»; il ajoute
même que, « sur ce point, lord Salisbury
est complètement d'accord avec lord
Kimberly », ce qui est net et précis et
peut donner à penser que le journal de
Londres est autorisé par quelqu'un à se
montrer aussi absolu dans ses affirm a-
tions.
Quant à l'Inde, elle doit chercher sa
sécurité sur ses propres frontières, en
mettant à profit la splendide ligne de
défenses naturelles qui s'étend de la
limite extrême de la frontière Pescha-
war à la mer, laquelle est constituée
par les chaînes des monts Soliman et
les défilés qui se trouvent entre Khyber
et le Bolan.
« Ce n'est pas à Hérat ni à Caboul
qu'on trouvera la clef de l'Inde, mais
dans l'Inde même. Nos engagements
vis-à-vis de l'émir seront naturellement
observés scrupuleusement ; mais quant
au reste, quant aux zones neutres,
quant à la théorie de l'Etat-tampon et à
la foi dans les promesses de la diplo-
matie, ce sont là, nous l'espérons, au-
tant de choses qui resteront reléguées
dans le passé », ajoute le Daily News
qui termine par cette conclusion paci-
fique :
« L'adoption de ce nouveau point de
départ est la plus sage résolution qui,
depuis des années, ait été prise dans
les questions de politique étrangère
par l'Angleterre. Il est certain qu'elle
rencontrera dans le public anglais un
accueil chaleureux et universel. Cette
mesure satisfera les Afghans, car elle
leur montrera que, tout en portant se-
cours à l'émir, nous sommes décidés à
nous renfermer derrière la barrière in-
franchissable de l'Inde, dont les con-
seillers militaires du gouvernement au-
ront à indiquer le tracé. Elle tranquil-
lisera l'esprit de nos sujets de l'Inde,
dont la loyauté s'est manifestée si ou-
vertement ; et, en dernier lieu, elle pro-
duira sur la Russie une impression aussi
profonde que le grand discours de M.
Gladstone et l'attitude de la popula-
tion anglaise tout entière quand, il y a.
quelque temps, la guerre paraissait iné-
vitable. » •»—»..
L'émir, qui paraissait chercher sa voie
en louvoyant visiblement et s'orientant
auvent, saura maintenant à quoi s'en te-
nir sur les véritables sentiments de l'An-
gleterre, si tant est que le Daily News
ait traduit exactement l'opinion du ca-
binet de Londres.
Les Afghans n'apprendront rien de
plus que ce qu'ils savent ; poussés en
avant par les généraux anglais, ils sont
abandonnés par la diplomatie anglaise.
Quant à la Russie, elle peut en pren-
dre à son aise : elle a carte blanche.
Je doute fort cependant qu'une telle
attitude de l'Angleterre soit de nature
à restaurer son prestige dans l'Inde ; il
était déjà gravement compromis par
les échecs sans nombre qui ont marqué
la politique anglaise dans ces derniers
temps; la reculade du cabinet Glads-
tone lui portera un coup funeste.
Si l'Angleterre doit perdre l'Inde un
jour ou l'autre, si, comme le disent bien
de& politiques, c'est affaire de temps,
ce dernier échec hâte l'heure de la dé-
chéance.
Si le cabinet Gladstone s'est vérita-
blement résigné à l'abandon de l'Afgha-
nistan, comme le dit le Daily News, il
est certain que la guerre est évitée.
Cela veut-il dire que l'alliance anglo-
russe est conclue ?
Tout arrive, mais une semblable hy-
pothèse a de quoi surprendre les plus
sceptiques.
Louis HENRI QUE.
———————
Ainsi que nous l'avions prévu, le ministre
de la guerre vient d'ordonner une enquête sur
le cas du jeune soldat du 6e régiment d'artil-
lerie dont l'arrivée à Vizille, attaché à un
bât de mulet, émut si vivement la population
de cette petite ville.
Les résultats de l'enquête parviendront au
ministère dans les premiers jours de la se-
maine. Nous les ferons connaître aussitôt
qu'ils nous seront communiqués.
On assure que le ministre serait disposé à
agir avec une grande rigueur si les faits an-
noncés sont confirmés.
Ce qui n'avait jamais fait doute pour nous.
Mais encore faut-il bien être sûr que cet
incident n'a pas été exagéré?
L'enquête seule peut fixer l'opinion pu-
blique.
E. R.
CAUSERIE DU DIMANCHE
Tous les procès ne sont pas terribles
ou inquiétants, comme l'abominable
crime de la Gloire-Dieu ou comme le
procès de Montceau-les-Mines, que nous
aurons la semaine prochaine et que
nous ne manquerons pas de suivre sur
les lieux. Il y a des causes gaies et des
causes curieuses. Parmi celles-ci, il
faut placer au premier rang l'instance
qui va s'ouvrir, dit-on, entre l'impéra-
trice Eugénie et la ville de Marseille.
On sait que l'impératrice avait donné
à la ville, en toute propriété, la rési-
dence impériale du Pharo, ce beau pa-
lais, à l'entrée des ports de Marseille,
dans une situation admirable, presque
unique. J'ai vu bâtir cette villa, rempla-
çant le vieux restaurant de la Réserve,
où les Marseillais d'antan allaient man-
ger des clovisses, de la bouillabaisse et
boire un joli petit vin de Cassis, sen-
tant la pierre des coteaux où pousse la
vigne maigre et parfumée.
L'empereur avait reçu les terrains en
don du conseil municipal marseillais,
en 1855. Il avait fait bâtir le palais où il
ne devait jamais entrer. Après le 4 Sep-
tembre, la ville revendiqua la propriété
des terrains. Elle perdit son procès.
Mais l'impératrice, une fois son droit de
propriété établi, fit don et des terrains
et des bâtisses à la ville.
Le conseil municipal, d'abord farou-
che, s'amadoua. La largesse fut accep-
tée et le palais devint un hôpital fort
utile. Cet hôpital, dans la dernière épi-
démie, a rendu les plus grands services,
sous la direction du docteur Nicolas
Duranti, qui a reçu, à cette occasion, la
croix, sans que personne ait protesté,
ce , qui est très joli pour Marseille !
Il semble donc que les choses étaient
àu mieux. Mais voici que l'administra-
tion de l'enregistrement est intervenue,
qui a tout gâté. Quand, en 1855, le con-
seil municipal donna les terrains du
Pharo à Napoléon, il ne fut pas perçu
de droits. Quand, en 1884, l'impératrice
fit cadeau à la ville des terrains et du
palais, il était entendu que la ville paie-
rait les frais de mutation. Or le fisc a
trouvé ingénieux de faire d'une pierre
deux coups. Il réclame à la ville 85,000
francs de droits de donation pour 1884;
de plus, remontant à 1855, il revendi-
que 85,000 autres francs pour la dona-
tion de la ville à Napoléon.
La ville de Marseille a regimbé. Payer
pour le cadeau qu'elle aeçoit, à la
bonne heure ! Mais pour le cadeau que
le conseil municipal fit, en 1855, elle
s'y refuse. Et le fisc, qui n'aime pas à
plaider contre les villes, s'est retourné
contre l'impératrice et, -tant pour les
droits de 1884 que pour ceux de 1855,
a saisi les loyers qu'elle touche en
France ! Là-dessus, l'impératrice de-
mande à rentrer en possession de sa
propriété, puisqu'en en disposant elle
s'expose à payer 175,000 francs de
frais.
Commeut s'arrangeront les choses? Je
n'en sais rien. Mais ne vous semble-t-il
pas que l'administration de l'enregis-
trement, c'est-à-dire, après tout, le mi-
nistre des finances, devrait se montrer
conciliant ? Cette administration, de
1855 à 1870, n'a rien dit. Elle a trans-
gressé ses règlements au profit de
l'empereur vivant et tout-puissant. Et
voilà qu'elle se ravise, après trente ans,
au risque de priver la ville de Marseille
d'une magnifique largesse? Ah! cela
est bien français ! Chez nous, les admi-
nistrations et les pouvoirs sont rivaux.
depuis le ministre jusqu'au plus petit
employé. Pour faire vingt sous d'écono-
mies à la guerre, on dépensera inutile-
ment vingt francs à la marine. N'y au-
rait-il pas intérêt, en pareil cas, à une
entente, les ministères et les villes s'a-
perçevant qu'après tout l'argent dont
il s'agit est pris dans la bourse com-
mune, dans la bourse de la France ?
*
+ 4-
Il faut savoir reconnaître ses erreurs.
e le fais toujours pour mon compte,
rès volontiers, ne serait-ce que pour
lner un bon exemple à nos hommes
)olitiques. Aussi j'avoue que c'est à
ort que j'ai attribué à Béranger, il y a
leux jours, le vers sur le drapeau tri-
colore :
D'Orléans, toi qui l'as porté.
Je vers est, comme me l'ont remis en
némoire trois ou quatre de nos lecteurs
[ue je remercie, dans la Parisienne de
Jasimir Delavigne, et voici le couplet
ntier :
Soldat du drapeau tricolore.
D'Orléans, toi qui l'as porté,
Ton sang s'y mêlerait encore
A celui qu'il nous a coûté.
Voilà ma confession faite I
Mais, quand on s'est trompé, il faut
tâcher de savoir pourquoi. Les erreurs
de mémoire sont souvent empreintes
d'une certaine logique. Et je pense que
c'est mon cas. Si le nom de Béranger
est venu par erreur sous ma plume,
c'est que Béranger représente à mer-
veille et de la façon la plus complète le
mouvement de 1830 où, comme me
l'écrit un conseiller municipal dans une
lettre très intéressante, la haine des
Bourbons concilia le bonapartisme, l'or-
léanisme et la République d'une façon
singulière. Ce qu'on appelle l'esprit de
1830, - on dit (encore en province l'es-
prit philippiste, — c'est Béranger en po-
litique, Casimir Delavigne en littérature,
Delaroche en art. Je parlais politique, j'ai
cité Béranger. Merci à mes correspon-
dants qui m'ont remis en bonne voie, et
me jette la pierre celui qui n'a jamais
péché !
*
* #
Il y a huit jours, ainsi que nous
l'avons noté, la ville d'Orléans a célébré,
comme tous les ans, la date anniver-
saire de sa délivrance par Jeanne d'Arc.
La fête a eu cela de particulier qu'elle a
été en partie double : fête religieuse à'
la cathédrale, fête civile au théâtre.)
A l'église, c'est Mgr Langénieux qui?
a officié. Sans ironie et sérieusement, L
je dis qu'au théâtre c'est M. Fabre qur
a également officié. La célébration d'une
grande mémoire n'est-elle pas aussi!
un acte religieux, et d'une religion qui:
a moins d'incrédules que les autres ? -
M. Fabre, on le sait, s'est fait l'apôtre
de 1 idee d'une fête nationale en l'hon-
neur de Jeanne d'Arc. Cette idée, bien
accueillie par près de trois cents dépu-
tés, ne peut être combattue que paf,
des objections d'ordre pratique que
nous ne soulèverons pas. En principe,
cette canonisation populaire et officielle'
d'une sainte laïque et nationale ne peut'
que nous apparaître comme un acte
excellent. Il serait bon, — après Miche-
let, — tout en reconnaissant on Jeanne
une catholique sincère, de ne pas la
laisser tout entière à l'Eglise, qui la
condamna, quoi qu'on ait voulu dire. :
Or, tout justement, il paraît que, réa-
lisant enfin le vœu de Mgr Dupanloup,
qui aimait son pays, Jeanne d'Arc et les
vers grecs (un évêque que nous regret-
tons), l'Eglise abandonne l'évêque Cau-J
chon et le tribunal ecclésiastique qui fit
aux Anglais la politesse de condamner
la Pucelle. Mgr Langénieux a annoncé
que la procédure de la canonisation pre-
nait enfin bonne tournure. Je n'y vois
pas de mal. Mais, encore une fois, ne
laissons ni une opinion ni un parti s'em-
parer de cette admirable créature, qui
fut, ignorante et peut-être maladroite,
l'âme de la France, et qui est à tous et
à toutes.
*
* *
J ai appris avec bien du plaisir que
M. Charles Bigot, agrégé, ancien élève
de l'Ecole normale et de l'Ecole d'A-
thènes, avait reçu du ministère de l'ins-
truction publique une mission en Orient.
M. Charles Bigot est chargé d'aller étu-
dier la façon dont la langue française est
enseignée et propagée en Orient. Il est
à peine utile de faire ressortir l'impor-
tance de cette mission. C'est par la lan-
gue que l'influence d'un peuple se main-
tient et grandit et nous avons à défen-
dre la nôtre dans les pays qu'on appe-
lait autrefois les pays « de langue fran-
que ».
lUI, mieux que M. L. Bigot, n'est apte
à remplir la mission qu'on lui a confiée.
Il connaît les pays où il retourne. Il en
a le sens et le goût. Nos lecteurs n'ont
pas oublié sa longue collaboration chez
nous. Et quand M. Bigot, assez heureux
pour pouvoir interrompre sa carrière de
journaliste militant dans le but d'ac-
complir une œuvre utile et patriotique,
s'en va aux rivages lointains auxquels
tant de liens nous rattachent, nos lec-
teurs seront avec nous pour envoyer à
ce lettré le vœu d'Horace à Virgile.
H. F.
Feuilleton du XIXe SIÈCLE
Du 18 mai
CAUSERIE
DRAMATIQUE
NATIONS : le Roman d'Elise (reprise). — Fer-
dinand Hiller. — BIBLIOGRAPHIE : le Réper-
toire de la Comédie-Française, par M. Ch.
Gueullette (1), avec une préface de M. A.
Silvestre.
Le théâtre des Nations, qui renou-
velle souvent son affiche, nous a donné
me reprise du drame le Roman dE, lise,
jou £ il y a quelques mois au théâtre du
Chât,au-d'Eau. C'est donc une « conti-
nuation „ plus qu'une reprise. La pièce
est de M. Georges Richard qui, aux
Nations, 'y est gardé un rôle; car, sui-
vant d libres exemples, M. G. Richard
est à la fOlomédien et auteur drama-
tique. Comm comédien, il est fort ha-
bile, composa^ avec soin ses rôles, un
peu froid, et flrticulièrement remar-
quable dans les \ersonnages ironiques.
C'est un pince-savrire, comme on dit
familièrement. Cofftne auteur dramati-
que, M. G. Richarc recherche au con-
traire l'émotion, t mouvement, l'ex-
pression des grands sentiments, et les
rencontre quelqueDis. Il nous a raconté
dans son Roman dElise l'aventure d'une
jeune fille russe, (e haute lignée, qui se
donne à un offiier français et force
son aristocratique famille à consentir
au mariage tout fait nécessaire. Mais
le père de lhéroiie, après être entré en
rapports avec son futur gendre en lui
tirant un coup de pistolet, continue en
(1) Un vol. chez Jfuaust, 338, rue St-Houoré.
le prévenant que, s'il lui donne sa fille,
il fera tout pour la lui reprendre. Elise,
en effet, est entourée de séductions aux-
quelles son père prête les mains, ce
qui est le côté scabreux de la situation.
Elle y succombe presque; mais, après
un duel en son honneur, l'armée fran-
çaise remporte une victoire définitive.
OEuvre un peu incohérente, mais qui
est loin d'être dépourvue d'intérêt. La
peinture de la société russe, peut-être
un peu convenue, dépasse même l'ordi-
naire moyenne du mélodrame et confine
à la comédie. Bref, c'est une des bon-
nes œuvres nouvelles que nous ayons
eues depuis quelque temps, et on la
devrait remarquer même dans une autre
période que la période de disette que
nous traversons.
En revanche, la saison des concerts
se prolonge et les échos des pianos,
violons et basses ne cessent pas en-
core ! Mais, sauf des cas rares, il n'y à
guère à rendre compte de ces réunions,
qui témoignent simplement de la grande
extension que prend, dans le monde
entier, la virtuosité des exécutants. La
France, aujourd'hui, peut marcher de
pair avec l'Allemagne pour la perfec-
tion des musiciens instrumentistes.
Tout justement, un des plus grands
chefs d'orchestre de la Germanie vient
de mourir cette semaine, Ferdinand
Hiller. Il avait été chef d'orchestre au
théâtre des Italiens pendant une sai-
son, et avait donné, à Paris, de nom-
breux concerts. Sa vie montre quel cas
les Allemands font- des musiciens et
quels encouragements ils leur prodi-
guent. Ferdinand Hiller était mon allié,
et j'eus l'occasion, il y a des années, de
lui rendre visite à Cologne, où il s'était
retiré, directeur du Conservatoire. Il me
fut facile de constater combien le musi-
cien était non seulement estimé dans le
monde des arts, mais populaire ce qui
est rare pour nos artistes quand ils ne
travaillent pas pour le théâtre.
Hiller avait été un enfant prodige, et
à l'âge de dix ans il avait déjà exécuté
en public un concerto de Mozart, cet au-
tre enfant prodige qui charmait, au
même âge, la cour de France en jouant
sur le clavecin où il pouvait entrer, tant
il était mignon. Après ces débuts, Hil-
ler se mit à l'école chez Hummel, maî-
tre sévère et sûr. Choron, à Paris, fut
son second maître. Après ces classiques
études, le musicien commença une lon-
gue et laborieuse carrière de virtuose
et de compositeur. On lui doit d'avoir
rêpandd en France les œuvres de Sé-
bastien Bach, qu'il interprétait d'une fa-
çon admirable. Très curieux, très éru-
dit, il voyageait volontiers et, à plu-
sieurs reprises, lié d'amitié avec Ros-
sini, il se rendit en Italie où il étudia,
à Rome, la musique classique de cha-
pelle. En Russie, il dirigea les concerts
de la cour du tzar. Sa réputation com-
me chef d'orchestre était incontestée et
Meyerbeer l'avait consacrée en décla-
rant que Hiller et Weber étaient les
deux plus grands conducteurs de musi-
ciens qu'il eût connus.
Hiller a été, pour préciser en évo-
quant des noms connus du public pari-
sien, le Habeneck et le Pasdeloup de
l'Allemagne. Il a organisé, notamment,
le Festival annuel de Bonn et de Co-
logne, fête nationale de la musique
d'outre-Rhin. Quant à ses propres com-
positions, qui sont nombreuses, opéras
avec ou sans paroles, oratorios, suites
d'orchestre, symphonies, motets, mélo-
dies, je ne connais que ces dernières,
au piano. Elles sont d'un grand carac-
tère, avec une poésie noble et généra-
lement simple, car Hiller, quelque sa-
vant qu'il fût, aimait la musique acces-
sible, et le bruit de sa querelle avec
Wagner a été grand en Allemagne,
d'autant plus que Hiller était un écri-
vain très spirituel et même acerbe. Il
laisse, en outre de son œuvre de musi-
cien, des écrits estimés, notamment ses
Souvenirs sur Mendelsohn, Cherubini
et Spohr. La correspondance de Ber-
lioz contient nombre de lettres qui lui
sont adressées par l'illustre composi-
teur français, et ces lettres ne sont pas
toutes tendres pour Wagner.
Il est assez bon de constater que
Wagner, comme chef d'école, — car
son talent est hors de cause, — a été
et est aussi bien contesté en Allema-
gne qu'en France et peut-être davan-
tage, car chez nous, on le sait trop,
l'admiration pour les étrangers devient
vite une superstition.
Si le théâtre chôme presque, il n'en
est pas de même de la littérature théâ-
trale, qui a pris chez nous un immense
développement. Il n'est pas de semaine
qui n'apporte deux ou trois volumes
consacrés au théâtre. La Comédie-
Française, à elle seule, peut revendi-
quer la gloire d'occuper dix ou quinze
écrivains chaque année. Ces jours-ci, M.
Jouaust a mis en vente un petit volume
de M. Ch. Gueullette, consacré au ré-
pertoire de notre première scène, de-
puis le. mois de mars 1883 jusqu'à la fin
(le, J'année dernière. M. Gueullette, qui
n'en est pas à son premier travail de
critique dramatique, a noté les pièces
nouvelles jouées rue de Richelieu, les
reprises et les débuts. Les trois seules
grandes pièces nouvelles jouées pen-
dant cette période sont, après le Monde
où l'on s'ennuie, Smilis et le Député de
Bombignac. Mais les actes sont nom-
breux et les reprises importantes
également. C'est la force de la Comédie
de pouvoir attendre et de pouvoir mar-
cher avec son admirable répertoire,
tant contemporain que classique.
Pour les amateurs de théâtre, une
pièce ancienne, avec une distribution
nouvelle, se trouve assez rajeunie pour
pouvoir exciter la curiosité. Ces repri-
ses et ces débuts sont appréciés par M.
Ch. Gueullette avec beaucoup d'origina-
lité et d'indépendance, et même, par
instants, la chronique de la coulisse
montre le bout de son nez dans ces
appréciations. Le public, de plus en
plus, aime ce genre d'ouvrages, lui rap-
pelant les travaux d'un théâtre pendant
une saison. Il a bien accueilli l'Année
thédtrale de MM. Noël et Stoullig et sa
curiosité reste assez vive pour qu'il y
ait eu lieu à faire, pour la Comédie-
Française, une étude spéciale.
Le volume de M. Gueullette est dédié
à Mlle Bartet, avec un portrait de l'aima-
ble actrice qui serait plus charmant en-
core s'il était plus ressemblant, et pré-
cédé d'une préface de M. A. Silvestre. La
préface de notre confrère est très remar-
quable. Elle est pessimiste. M. Silvestre,
qui est un poète, se plaint de l'envahisse-
ment du monde littéraire par la criti-
que. « Les gens sont bien malades, dit-
il, quand le médecin ne trouve rien à
faire qu'à leur tâter continuellement le
pouls. M II ajoute que c'est le cas du
théâtre. Qui « jamais n'a inspiré tant
de livres, tant de critiques », et qui ja-
mais n'a produit si peu d'œuvres. « Qui
s'intéresse encore au drame? ajoute M.
Silvestre, qui acclame la comédie sé-
rieuse. Les ouvrages gais ont seuls
conservé un succès de digestion dont
l'art a autant de raison de s'enorgueillir
que le christianisme des qualités médi-
cales de la - chartreuse. - » Le mot est
charmant et, bien que nous ne désespé-
rions pas de l'avenir du théâtre, il est
certain que M. Silvestre n'a- pas tout à
fait tort quand il se montre inquiet.
Cette faiblesse de la production, M.
Silvestre en cherche les causes. Il pense
qu'on doit payer la grande production
d'il y a trente ans. Tous les sujets ont
été traités. De plus, la mise en scène
est devenue une nécessité coûteuse,
empêchant les directeurs de monter,
comme autrefois, un grand nombre de
pièces chaque saison, de façon à faire
place à tout le monde. Ah ! que nous
avons dit cela des fois et des fois ! Et
comme nous sommes encore de l'avis
de M. Silvestre quand il estime que le
système des étoiles est nuisible à l'art !
Tout cela est vrai. Seulement, il ne faut
pas désespérer, ce que fait trop le pré-
facier qui pense que l'art dramatique
est en péril et pour les causes qu'il dit,
et auxquelles on peut remédier, et pour
d'autres encore qu'il ne dit pas.
La Comédie-Française d'ailleurs, il le
reconnaît, est le théâtre qui lutte et
doit lutter surtout contre la menace de
décadence. M. Silvestre se plaint de
quelque timidité dans la direction de la
Comédie, qui n'a joué ni les Erinnyes
de M. Leconte de Lisle, ni la Formosa
de M. Vacquerie, ni le Severo Torelli de
M. Coppée. Il voudrait qu'au comité de
lecture fussent adjoints quelques let-
trés, ou pour dire mieux, car les co-
médiens de la rue Richelieu sont des
lettrés, quelques auteurs dramatiques.
Il cite le nom de M. Augier, et chacun
s'inclinerait à coup sûr devant l'autorité
et la gloire de notre cher maître. Mais
les lettrés se trompent comme les au-
tres ! Et ce qu'on doit surtout deman-
der à la Comédie, je pense, avant d'étu-
dier telle ou telle réforme dont on a
parlé souvent, c'est de conserver cette
admirable troupe d'ensemble qui doit
faire trouver des excuses aux œuvres
médiocres et un charme nouveau et
inédit aux œuvres anciennes.
HENRY FOUQUIER.
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