Titre : Le XIXe siècle : journal quotidien politique et littéraire / directeur-rédacteur en chef : Gustave Chadeuil
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1885-04-27
Contributeur : Chadeuil, Gustave (1821-1896). Directeur de publication
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Description : 27 avril 1885 27 avril 1885
Description : 1885/04/27 (A15,N4860). 1885/04/27 (A15,N4860).
Droits : Consultable en ligne
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Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-199
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 09/04/2013
Quinzième année. — N° 4860 Prix du numéro à Paris : 15 centimes — Départements : 20 centimes uundi 21 Avril 1885
LE XIX" SIECLE
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Six mois. 32 JI»
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Et 15, Tichborne Street, (Café Monico. 2d.)
MM. les Souscripteurs dont Vabonne-
ment expire le 30 avril sont priés de le
renouveler avant le 28 courant s'ils ne
"Veulentpas éprouver de retard dans Ven-
voi du journal. ,
BULLETIN
Les nouvelles du différend franco-égyp-
tien, au sujet du Bosphore, font toujours
prévoir une solution pacifique. L'attitude
énergique du gouvernement français et le
ferme langage de notre chargé d'affaires,
M. Saint-René Taillandier, ont produit une
vive impression et peut-être causé quel-
que surprise à Nubar-Pacha. Mais si toute
crainte d'un conflit aigu semble momen-
tanément écartée, il est probable que le
gouvernement du khédive et la Porte
elle-même agiront en sorte que les choses
traînent en longueur, conformément aux
règles de la diplomatie orientale.
On annonce à ce propos que la Porte
aurait approuvé en principe la conduite de
Nubar et donné mission à Essad-Pacha de
discuter officiellement l'affaire du Bos-
phore avec M. de Freycinet. Ce n'est là,
selon toute apparence, qu'un moyen di-
latoire. Les dépêches de Londres disent
d'ailleurs que le règlement de la question
« est en bonne voie ».
Le départ de M. Saint-René Taillandier
pour Alexandrie ne fera sans doute qu'en
hâter la solution. On annonce qu'une
foule considérable et sympathique a ac-
compagné à la gare notre chargé d'affai-
res.
M. Waddington a eu hier une entrevue
avec lord Granville au sujet de l'affaire du
Bosphore.
Aucun changement n'est à signaler dans
le conflit anglo-russe. On assure pourtant
que le gouvernement anglais a adressé à
son ambassadeur à Saint-Pétersbourg,
avant-hier soir, de nouvelles instructions
qui laissent encore entrevoir la possibilité
d'un arrangement pacifique. Ces instruc-
tions contiendraient, dit-on, des proposi-
tions nouvelles relatives à la question de
la ligne de frontière.
M. de Staal a eu hier une entrevue avec
lord Granville.
Le ministre anglais a fait connaître à
l'ambassadeur de Russie la décision du
cabinet britannique relativement à l'inci-
dent de Pendjeh.
U Observer écrit dans une édition spé-
ciale :
« Nous croyons qu'après la séance du
conseil de cabinet qui a eu lieu samedi,
le Foreign-Office a envoyé à Saint-Péters-
bourg une seconde dépêche réitérant sa
demande qu'il soit procédé sur place à une
enquête militaire sur le combat où le gé-
néral Komaroff a mis en fuite les troupes
afghanes. »
On croit à Londres que, même dans le
cas de neutralité, le gouvernement turc
n'empêchera pas le passage dans les dé-
troits et se contentera de protester.
On mande de Constantinople que plu-
sieurs chefs circassiens seraient arrivés
dans cette ville, pour attendre le cours des
événements et préparer, le cas échéant, un
soulèvement contre les Russes dans le
Caucase.
Les troupes américaines ont occupé, le
25 avril. Panama et arrêté le général Alz-
puru, chef des insurgés, ainsi que trois de
ses officiers.
Les troupes américaines se retireront
aussitôt que les troupes du gouvernement
olombien seront arrivées.
QUESTIONJDU JOUR
Une bonne journée - ■***
Trois élections sénatoriales ont eu lieu
hier dans la Gironde, dans les Deux-Sè-
vres et dans les Basses-Pyrénées. Lesré-
actionnaires ont mis partout en ligne des
candidats et des candidats bien choisis;
en effet, dans la Gironde, l'honorable M.
Caduc avait pour adversaire M. le duc
Decazes, qui pouvait faire encore figure
de grand homme politique en province ;
le concurrent de M. Bergeron dans
les Deux-Sèvres était M. Proust de Le-
zay, qui a dans le département une si-
tuation personnelle très forte, et enfin,
dans les Basses-Pyrénées, le géné-
ral Bourbaki s'était laissé porter par les
royalistes et les bonapartistes, alliés
comme au plus beau temps de MM. de
Fourtou et de Broglie, contre M. Plan-
tié.
Voici quels ont été les résultats du
scrutin :
Gironde
Inscrits : 1,275. — Votants : 1,270
MM. Caduc, républicain. 774 ELU
Le duc Decazes, réact t , , , , t 476
Divers. , , t , , , , , , t t 20
Deux-Sèvres
Votants. 779
MM. Bergeron, républicain. 421 ELU
Proust de Lezay, réact 355
Voix perdues. , , , , , 3
Basses-Pyrénées
MM. Plantié, républicain. ,.. 579 ELU
général Bourbaki, réact.",.. 431
La plus intéressante de ces élections
était assurément celle de la Gironde. Il
s'agissait d'élire un cinquième sénateur
du département, le sort ayant attribué
à la Gironde le siège d'inamovible sup-
primé à la mort de M. Dupuy de Lôme.
Les journaux de la réaction avaient ex-
primé unanimement l'opinion que ce
siège nouveau leur devait appartenir,
par la raison qu'il n'était encore à per-
sonne; le fameux Bilboquet aurait pu être
leur candidat dans la Gironde, mais c'é-
tait M. le duc Decazes, dont le succès
éclatant et écrasant ne faisait doute ni
pour le Gaulois ni pour le Français, On
sait avec quelles flatteries délicates et
quelles caresses de pinceau le premier
de ces journaux traçait ces jours-ci le
portrait de M. le duc Decazes.
Les journaux bonapartistes eux-mêmes
pardonnaient à l'ancien ministre des af-
faires étrangères d'avoir en 1871, dans
sa profession de foi républicaine aux
électeurs de Libourne, annoncé qu'élu
il proposerait incontinent la déchéance
de la famille Bonaparte et soutiendrait
de toute l'ardeur de ses convictions et
de toutes les ressources de son talent
de diplomate politique « les hommes de
coeur » qui avaient organisé la Défense
nationale.
Quant aux journaux royalistes, ils sa-
luaient, dans la victoire de M. le duc
Decazes, la résurrection de l'alliance
conservatrice et le signe précurseur du
prochain avènement de M. le comte de
Paris. Le duc Decazes serait nommé
président du conseil. La France marche-
rait enfin. Et les fonctionnaires du 16
Mai, qui se réunissent annuellement au
Grand-Hôtel dans un banquet qu'ils au-
raient dû peut-être fonder à Venise, en
souvenir de celui de Candide, rentre-
raient dans l'administration par la grande
porte des petites intrigues.M.de L'Angle-
Beaumanoir père, malheureusement, ae
serait plus là pour leur jouer sur le cor une
marche triomphale, mais M. d'Harcourt,
dont la complaisance est universelle,
et qui s'applaudit lui-même d'être éga-
lement propre à toutes les besognes,
consentirait peut-être à le suppléer, en
homme que rien n'étonne.
Que sont devenues ces fières prophé-
ties, ces espérances superbes, ces rêves
doucement caressés ? M. le duc Decazes
est battu et bien battu. Rien ne lui a
servi d'avoir rédigé une élégante circu-
laire de la dernière heure où il annon-
çait qu'élu il protesterait « contre le dé-
sordre financier qui nous envahit », et
aussi « contre cette politique intérieure
qui a troublé les consciences en chas-
sant Dieu des écoles », et enfin « contre
les aventures lointaines imprudemment
menées et poursuivies plus imprudem-
ment encore ». Dans sa péroraison, M.
le duc Decazes adjurait les électeurs de
chercher le remède à tant de maux « là
seulement où il peut se trouver : dans
l'équilibre des institutions ek dans la sta-
bilité du pouvoir M. Ces éloquentes pa-
roles, ces sages conseils ont été enten-
dus, et les électeurs de la Gironde n'ont
pas hésité à nommer l'honorable M.
Plantié.
Nous attendons avec quelque curio-
sité les réflexions que le scrutin d'hier
dans la Gironde inspirera au Français.
Mais ce journal nous permettra bien de
lui faire connaître dès à présent la vraie
cause de l'échec piteux de M. le duc
Decazes. Il paraît que celui-ci est un
franc-maçon ! Qn n'ignore pas que si le
cabinet de M. Ferry a été renversé le
30 mars, la raison providentielle en est
qu'il était un cabinet maçonnique, qu'il
comptait cinq FF.-., comme écrit le
Francals. Il est infiniment vraisembla-
ble qu'avertis à temps les conservateurs
de la Gironde ont voulu épargner au fu-
tur conseil des ministres de M. le comte
de Paris l'humiliation et le sacrilège
d'être présidé par un F.. Et ils ont sur-
le-champ voté en chœur pour le candi-
dat républicain, puisque dans cette élec-
tion, sur 1,275 électeurs inscrits, 1,270
ont pris part au vote !
L'élection des Deux-Sèvres ne prête
pas à de nombreux commentaires. On
doit faire remarquer cependant que la
cause républicaine n'a pas perdu un
pouce de terrain dans ce département.
En 1882, M. de Reigné, candidat ré-
publicain, n'avait été élu que par 248
suffrages sur 424 votants.
Quant à l'élection des Basses-Pyré-
nées, nous n'en dirons que quelques
mots. Dans le manifeste du comité qui
a patronné la candidature « éminem-
ment française » et nettement réac -
tionnaire du général Bourbaki, il était
dit que celui-ci « désirait rester étran-
ger à la vie politique », ce que l'on con-
çoit sans peine, car la politique n'a
jamais eu pour lui que de décevants
sourires et de trompeuses faveurs.
Pourtant le général Bourbaki s'est laissé
persuader qu'il devait « lutter contre
l'influence d'idées et de principes qui
mènent le pays aux abîmes ». Cette
faiblesse l'a conduit à subir une défaite
électorale sans grandeur, et à cette
heure le vieux soldat « dont toute l'exis-
tence a été associée aux gloires et aux
douî urs de la patrie » — comme disait
le -id»iifeste. de son comité — doit être
encore plus mécontent de lui-même que
des autres!
M.
Nous avons fait quelques réflexions au su-
jet d'un article de la Victoire de Bordeaux
qui donnait le conseil aux délégués radicaux
de la Gironde de voter ou de s'abstenir, dans
la lutte entre M. Caduc et le duc Decazes, se-
lon « leurs convenances ». Il paraît que la
feuille radicale a fait également quelques
réflexions à ce propos. Car nous y avons lu
hier, avec une surprise fort agréable cette
fois, la déclaration suivante :
« M. Caduc n'entend pas se recommander
exclusivement de la politique Ferry; son ma-
nifeste est un désaveu de ces prétentions ; il
se recommande uniquement de son honora-
bilité, de sa constance républicaine; il ré-
prouve une politique d'intolérance et d'exclu-
sivisme.
» Dans ces conditions, très loyalement, en
toute conscience, nous pensons que l'attitude
nette prise par M. Caduc et que son appel à
la conciliation doivent être entendus et com-
pris. »
On voit que si la Victoire a pris aisément
la grave détermination de conseiller l'absten-
tion à certains délégués sénatoriaux, elle leur
a donné le lendemain sans entêtement le
conseil sage et absolument contraire de voter
pour M. Caduc, au nom de la discipline répu-
blicaine. Ajoutons qu'il est piquant que M.
C. Pelletan n'ait aucune opinion sur cette cu-
rieuse aventure électorale, ou du moins qu'il
ne nous ait pas fait connaître celle qu'il a,
non plus qu'à nos confrères du Paris. Est-ce
parce que M. C. Pelletan estime que la dis-
crétion est une des vertus de l'homme poli-
tique ?
La Caisse des Retraites de l'Opéra
Il s'est fait un certain bruit, depuis
quelques jours, autour de la question de
la caisse des retraites de l'Opéra, où un
déficit de 400,000 francs aurait été cons-
taté.
Quelques indications sont indispensa-
bles pour apprécier l'incident à sa juste
valeur.
On sait que la caisse des retraites de
l'Opéra fut créé par décret du 14 mai 1856,
à l'époque où l'Académie de musique était
régie par l'Etat. Elle a fonctionné de
la sorte jusqu'en 1866; puis, l'Opéra ayant
été rendu à l'entreprise privée, il y eut
une division du personnel en deux par-
ties, l'une tributaire de la caisse, l'autre
restée en dehors. En 1879, tout le person-
nel fut admis à la caisse.
Dans son rapport, M. Edmond Turquet,
sous-secrétaire d'Etat des beaux-arts, fai-
sait alors remarquer que les intérêts des
anciens tributaires ne pouvaient être lé-
sés, puisque la caisse possédait 120,000
francs de rentes 5 0/0 et qu'elle n'avait
à pourvoir qu'à 130 pensions représentant
une dépense de 101,081 francs.
Dans ces conditions, la combinaison
nouvelle fut adoptée ; le règlement de la
caisse fut dressé et M. Vaucorbeil, suc-
cesseur de M. Halanzier, accepta un cahier
des charges rectifié en ce sens , comme
MM. Ritt et Gailhard l'ont accepté à leur
tour avec le règlement suivant afférant à
la caisse des retraites :
Sont affectés aux recettes de la caisse :
1° Le produit de la retenue 5 0/0 sur tous
les traitements, appointements, feux assurés
ou éventuels et gages payés à quelque titre
que ce soit aux tributaires ;
2e Le produit de toutes les amendes et rete-
nues disciplinaires ;
3° Un fonds annuel de 20,000 francs, impu-
table sur la subvention allouée à l'Opéra par
le budget de l'Etat ;
40 Un fonds annuel de 20,000 francs versé
par le directeur de l'Opéra, soit à l'aide de
représentations spéciales organisées par lui,
soit de ses propres deniers;
5° et 6° Les arrérages de rentes et les do-
nations éventuelles ;
Le 4e paragraphe est complété par l'article
91 du cahier des charges ainsi libellé :
« Le directeur sera tenu de donner chaque
année au profit de la caisse des pensions de
retraites le nombre de représentations, de con-
certs ou de bals nécessaire pour assurer à
cette caisse une somme de vingt mille francs,
qui devra être versée à la Caisse des dépôts
et consignations.
» Il pourra toutefois, s'il le préfère, verser
simplement, même en plusieurs termes, cette
somme de vingt mille francs. »
D'après ce règlement, il est aisé de voir
le rôle qui incombe au directeur de l'Opéra,
quel qu'il soit : il doit veiller à ce que la
retenue de 5 0/0 sur les appointements,
les amendes, les arrérages de rentes et les
donations soient recueillis exactement ; il
doit verser personnellement 20,000 fr.
par an et distraire vingt autres mille francs
de la subvention que lui alloue l'Etat.
Ceci fait, il n'a plus à s'occuper de ce
que produit ou ne produit pas la caisse des
retraites, sinon pour souhaiter qu'elle lui
permette de régulariser le plus tôt possi-
ble la situation d'une partie des mem-
bres de son personnel atteinte par l'âge
et bonne à supprimer.
Pour ceci encore intervient le règlement
ministériel, dont l'article 28 dit :
Au commencement de chaque année, le mi-
nistre se fait représenter le compte de situa-
tion de la caisse, et autorise, s'il y a lieu, les
admissions à la retraite dans la limite des res-
sources disponibles ; et, si les liquidations ef-
fectuées absorbent tous les revenus de la
caisse, aucune pension nouvelle ne pourra
être concédée. — L'admission à la retraiteest
prononcée par arrêté du ministre, sur la de-
mande du directeur.
Les ressources disponibles absorbées,
point de pensions nouvelles, point de si-
tuations régularisées, d'où déficit si l'on
veut mettre les choses au pire.
Il suffit d'examiner les ressources pré-
vues ou souhaitées pour comprendre
qu'elles sont parfaitement aléatoires.
La retenue de 5 0/0, par exemple, baisse
tout aussitôt, si, comme c'est le cas en ce
moment, la direction opère des économies
sur les traitements de ses artistes.
Les amendes peuvent être moins nom-
breuses;
Les rentes moins fortes (il a été procédé
à la conversion);
Les donations nulles.
Reste en fait de solide l'annuité de
40,000 francs provenant en deux parts de
la direction.
Il faudrait donc que cette annuité n'eût
pas été versée pendant dix ans 1
Nous ne pouvons nous résoudre à pen-
ser que les choses se seraient passées
ainsi, et nous inclinons à croire que c'est
par la baisse des autres ressources, amen-
des, 5 0/0, donations, etc., que la caisse se
trouve momentanément gênée.
Il n'en est pas moins évident qu'une ré-
forme radicale doit être introduite dans
cette institution ; par suite d'arrangements
nouveaux, de mesures financières sérieu-
ses, la caisse devra être assurée de faire
face à ses besoins raisonnables.
Le petit personnel y gagnera de pouvoir
se retirer à l'époque fixée.
La direction sera dégagée d'un gros
souci.
Et enfin nous, public, verrons se renou-
veler choristes et figurants un peu plus
souvent, ce qui ne sera pas un mal.
EDMOND RENOIR.
LE CONFLIT ANGLO-RUSSE
Les négociations continuent entre Lon-
dres et Pétersbourg. La situation n'est ni
meilleure ni pire aujourd'hui qu'hier.
Pourtant il faut signaler un certain revire-
ment dans la presse étrangère au sujet de
l'issue probable du conflit. L'opinion qui
semble prévaloir est que le maintien de la
paix est encore possible parce que l'Angle-
terre n'est pas en mesure de faire la guerre
avec chance de succès.
En Asie, ainsi que je l'indiquais hier, et
c'est aussi l'avis des journaux allemands et
autrichiens, l'Angleterre serait certaine-
ment battue.
Aussi est-il dès à présent certain qu'elle
essaierait, le cas échéant, de prendre l'of-
fensive contre la Russie sur la Baltique et
sur la mer Noire.
Les journaux de Londres nous ont déjà
appris qu'une escadre a été formée sous
les ordres de l'amiral IIornby et qu'elle a
pris le titre d'escadre de la Baltique.
Quel peut être l'objectif de cette esca-
dre et quelles difficultés rencontrera-t-
elle?
Si l'Angleterre donnait suite au projet
d'envoyer une escadre sur le littoral du
nord de l'empire russe, elle aurait d'abord
à vaincre un premier obstacle: forcer le
passage des détroits qui commandent l'en-
trée de la Baltique. La Suède, le Dane-
mark et l'Allemagne peuvent s'y opposer,
et, déjà on signale les préparatifs militai-
res faits par le Danemark pour compléter
les fortifications du littoral et les ordres
donnés par la Suède pour l'envoi de
navires de guerre à Gothiand et l'arme-
ment de la forteresse de Karlsbury.
Ces préparatifs signifient-ils que les
deux Etats du Nord veuillent défendre par
les armes l'accès des détroits ? Peut-être
le voudraient-ils. Sûrement ils ne l'ose'
ront pas. *
Quant à l'Allemagne, elle se réserve.
Mais supposons l'escadre anglaise dans
les eaux de la Baltique. Qu y peut-elle
faire ? Menacer Saint-Pétersbourg ? Ce se-
rait l'opération la plus efficace; c'est la
moins possible.
La capitale de l'empire russe est à l'abri
de toute insulte. Les formidables fortifica-
tions élevées à Cronstadt la couvrent sur
la côte, et il n'est pas à supposer que l'ami-
ral anglais soit assez fou pour lancer des
canonnières sur la Néva à l'effet de bom-
barder Pétersbourg : ce sont les seuls bâ-
timents qui puissent remonter l'étroit
chenal de la" Néva. Bombardera-t-il Cron-
stadt? Ce serait une tâche tout autre que
le bombardement d'Alexandrie, qui a illus-
tré les armes anglaises..
Les batteries de côte qui défendent
Cronstadt tiendraient à distance l'escadre
anglaise, sans parler des torpilles parse-
mées sur tout le littoral russe.
Si la prise de Pétersbourg est impos-
sible, si le bombardement de Cronstadt
doit être inutile, si un débarquement est
une folie, que reste-t-il à faire à l'amiral
HornBy dans la Baltique? A donner la
chasse aux navires de commerce, à incen-
dier quelques places sans importance et
surtout à se défendre contre la marine
russe et la flottille de torpilleurs que la
Russie a organisée depuis quelques an-
nées avec un soin remarquable. A cet
égard, elle a, de l'avis de tous, une avance
considérable sur l'Angleterre : son per-
sonnel est mieux exercé et son matériel
incomparablement plus perfectionné. *
L'entrée d'une escadre anglaise dans la
Baltique est grosse de périls ; on cherche
en vain quels avantages l'Angleterre pour-
rait trouver à une opération aussi hasar-
dée.
Ce qui est vrai dans la Baltique ne l'est
pas moins dans la mer Noire.
Feuilleton du X/Xc SIÈCLE
Du 27 Avril 1885
CAUSERIE
DRAMATIQUE
OPÉRA-COMIQUE: Une Nuit de Cléopâtre, opéra
en trois actes, paroles de M. Jules Barbier,
musique de V. Massé. — PALAIS-ROYAL :
Cherchons papa, vaudeville en trois actes,
par V. Bernard et Maurice Ordonneau.
Le drame lyrique que l'Opéra-Comique
vient de représenter est intitulé Une
lfuit de Cléopâtre, comme la nouvelle
de Théophile Gautier d'où il est tiré. Si
le titre de la pièce eût été : Cléopâtre,
il aurait fallu nous donner un événe-
ment important de la vie de l'héroïne,
nous dire ses amours avec César ou ses
amours avec Antoine et le drame final
de son existence singulière. M. J. Bar-
bier, au contraire, s'est contenté d'un
épisode qui n'a rien d'historique et qui
va même contre ce que nous savons de
Cléopâtre. La reine d'Egypte n'était pas
un modèle de vertu. Mais cette femme,
qui fit assassiner son frère, lequel était
son mari, selon l'usage des maisons
royales d'Orient, et avec lui bien d'au-
tres hommes qui gênaient ses projets
ambitieux, fut surtout une ambitieuse
et une politique. Elle se servit de sa
beauté pour réussir et se donna à César
et à Antoine ; elle entoura celui-ci de
toutes les séductions du luxe asiatique,
si bien que, quand elle allait à sa ren-
contre, sur un bateau couvert de fleurs
dont les matelots étaient des jeunes fil-
les, couchée, nue ou à peu près à la
proue, les soldats romains et grecs
voyaient en elle Ariane allant retrouver
Dacchus vainqueur.
Mais cette grande pompe publique, ce
decor de ballet où elle se réservait le
;lc principal, ne nous disent pas que
Cléopâtre fût la « cocodette couronnée »
ou la « dame aux camélias » antique
que nous fait voir l'Opéra-Comique. Si
elle a été jamais amoureuse, c'est d'An-
toine, et il ne paraît pas qu'elle ait ja-
mais eu beaucoup le temps de s'en-
nuyer. Cette grande ambitieuse qui rêva
l'empire du monde et la suprématie de
l'Orient sur l'Occident s'occupait de
mille travaux. Elle réorganisa la flotte
qu'elle voulut commander elle-même
elle restaura la bibliothèque d'Alexan-
drie, que les chrétiens brûlèrent plus
tard; elle fit son expédition contre Khar-
toum (qui ne réussit pas), organisa et
intrigua plus qu'elle n'aima. Ce ne fut
certainement pas la femme du harem
ennuyée et voluptueuse qu'on nous dit.
Gautier, d'ailleurs, se moquait bien de
la vérité historique ! Il avait voulu mettre
une histoire assez vieille d'amour dans
le cadre égyptien ; et il prit le person-
nage de Cléopâtre comme le plus légen-
daire parmi les souvenirs de cette vieille
terre. Mais n'exagérons pas le reproche
ou la critique qu'on peut faire de sa façon
fantaisiste de procéder.
La nouvelle de Gautier, écrite d'une
plume d'or, a fourni trois actes à l'O-
péra-Comique, pleins de pittoresque,
mais un peu dénués d'action. Balzac,
dans un de ses plus beaux Contes drola-
tiques,a raconté une histoire très sembla-
ble à celle du pêcheur Manassès et de
Cléopâtre, mais y a ajouté des éléments
dramatiques puissants, en imaginant que
l'héroïne cherche un homme pour le
faire assassiner par son mari au lieu et
place de son amant. Et cet homme elle'
le trouve dans un jeune page qui con-
sent à aller au rendez-vous, sachant ce
qui l'attend. C'est Fortunio héroïque.
Sur quoi la dame change d'amour et
meurt avec celui qui ne devait être que
la victime d une scélératesse. On voit
la supériorité de la donnée ainsi déve-
loppée. Il ne faut cependant pas exagé-
rer le blâme et se plaindre par trop du
manque d'action. La musique est peut-
être mieux faite pour exprimer des sen-
timents que pour s'adapter note à note
à une action très variée. L'amour de
Manassès, les langueurs de Cléopâtre,
qui tiennent un tableau et demi, ont
peut-être fourni au musicien ses ins-
pirations les plus distinguées. Ne nous
en plaignons pas.
L'action de Cléopâtre est assez simple
pour qu'on puisse la suivre en parlant
des principaux numéros du catalogue
thématique. Le lever du rideau est pré-
cédé d'un prélude, presque tout entier
formé par le motif caractéristique qui,
selon une mode nouvelle (disent les wa-
gnériens, qui semblent ignorer Meyer-
beer) , accompagne Manassès. Nous
sommes au bord du Nil, près d'un
temple d'Iris. Les femmes prient la
déesse. Puis passe un muletier, chan-
tant sa chanson et conduisant sur sa
mùle une des suivantes de Cléopâtre,
Charmion. Cette jeune fille aime le pê-
cheur Manassès, son frère de lait, et
l'avoue à la mère de celui-ci, dans un
air exquis. Survient, toujours chan-
tant, Manassès, qui revoit avec joie la
compagne de son enfance. Mais il ne
saurait l'aimer d'amour, le pauvre pê-
cheur ! Car il a vu Cléopâtre descendre
le Nil sur sa cange dorée, coiffée du
casque d'or aux ailes d'épervier, et son
cœur et son âme se sont donnés à cette
apparition quasi-divine. C'est ce que le
pêcheur nous apprend dans un air d'une
inspiration tout à fait « sublime », com-
me disait Stendhal, en parlant de h
plus simple et de la plus belle des mélo-
dies de Cimarosa. Et, tout justement,
voici l'apparition qui se présente à nous,
avec Cléopâtre passant sur le Nil. au
fond de la scène, en chantant-aux étoi-
les naissantes de la nuit !
Le second acte est au palais de la
reine et s'ouvre par un divertissement,
suivi d'un duo, où Charmion se plaint
du mal d'amour, où Cléopâtre gémit de
ne pas le connaître. Rien de pins dé-
licieux que cette élégie, interromoue ii:1'
une déclaration d'amour qui flfi.; n-' à
Cléopâtre sous-la forme d'un billet at-
taché à une flèche lancée par la fénêtre
du harem. Cléopâtre s'indigne contre
l'audacieux. Mais on devine bien que le
trait tombé à ses côtés est parti de l'arc
de l'Amour et l'a tout de même touchée
au cœur!
Voici qu'au tableau suivant la reine,
pour calmer ses nerfs, a été dans le
kiosque, au milieu des verdures, où
l'attend le bain parfumé. L'orchestre,
un moment imitatif, — Dieu nous garde
de la musique imitative ! mais Massé n'y
sacrifie qu'un instant, — joue une sorte
d'accompagnement à la poésie de Hugo,
qui nous revient en tête :
Je pourrais folâtrer nue
Sous la nue
Dans le ruisseau du jardin
Sans crainte de voir dans l'ombre
Du bois sombre
Deux yeux s'allumer soudain.
Hé ! justement, deux yeux s'allument
dans l'ombre : ce sont ceux de Manassès.
Il s'est introduit dans le gynécée ; il a
vu Diane au bain. Mais, provisoirement
plus heureux qu'Actéon, ce n'est pas
sur son beau front que le bois va pous-
ser ! Car à la façon dont Cléopâtre, au
milieu de ses femmes accourues, regarde
Manassès, extasié (comme on dit aujour-
d'hui), tout en buvant quelque jatte de
lait au sortir du bain, on devine qu'elle
porte la santé d'un caprice royal qui
vient de naître en son cœur.
Le troisième acte nous fait assister
aux amours de la reine et du pêcheur.
Les femmes du harem dansent et chan-
teut autour des amants le chœur des
heures noires et blanches, et Manassès
voit a chaque caresse la passion de
léüpâÜ{e graniiV. La reine regrettera
ip marché qu'elle a : fait, car si elle se
.ttu-'i'e au.pce*iôur, c'est qu'il a' d abord
proirti-s de mouvir on se réveillant de
soa rêve. Le long duo d'amour qui tient
presque tout l'acte est tout à fait admi-
rable, depuis le (V-bnt de Cléopâtre :
'( L:, connais-nî, l'amour? » jusqu'au
fil"):!i:. ; a Donh du cic! divine ex-
tase! » C'est de la pure poésie musi-
cale, servie par un art assez savant
pour savoir être discret, et on a été
heureux, je le jure, de trouver cette
poésie, si rare chez nos trop habiles
arrangeurs de sons! Mais , comme
Cléopâtre et son amant, il faut sortir
de ce beau rêve. Voici les trompettes
romaines qui annoncent le retour de
Marc-Antoine. Cléopâtre ne serait guère
embarrassée de faire cacher son amant
qu'elle veut sauver maintenant. Mais
c'est Manassès qui veut mourir. Car,
dit Gautier, « il avait embrassé sa chi-
mère aux ailes inquiètes sans qu'elle
s'envolât; il avait touché le but de sa
vie. Vivrait-il l'âge de Nestor et de
Priam, il n'éprouverait rien de nouveau. »
Et Manassès prend la coupe empoison-
née aux mains de Charmion éperdue et
meurt sans regrets, encore ivre de son
amour.
La Nuit de fWopâtre a obtenu un suc-
cès complet, qui n'est dû ni à la grande
estime où l'on tient son auteur, ni aux
amitiés touchantes qu'il avait eu le mé-
rite d'inspirer, ni au secret plaisir de
protester contre l'Opéra (qui a refusé
la pièce), mais qui tient seulement à
la joie du public de trouver une mu-
sique dont la poésie et le sentiment
font tous les frais. Je ne veux pas d'ail-
leurs , remplissant ici l'intérim de no-
tre rédacteur en chef que la maladie a
éloigné du théâtre ces jours-ci, soule-
ver à propos de la Nuit de Cléopâ-
tre les querelles d'écoles. Le ch'arme de
cette œuvre, c'est justement de les avoir
fait oublier et de nous avoir donné
du plaisir sans que nous ayons eu à con-
sulter les docteurs.
L'interprétation d'Une Nuit de Cléo-
pâtre est excellente et les décors sont
admirables.
Ce grand et cher Théo aurait été réjoui
de voir ses rêves égyptiens prendre si
bien corps, et de trouver sa salle de
bains, son palais, son Nil, tels qu'il les
avait évoqués. Et Massé eût été heureux,
le pauvre martyr, d'entendre sa musi-
que, son œuvre de prédilection peut-
être, interprétée comme, elle l'a été. Je
ne fais que citer, malgré leur grand
mérite, Mme Reggiani, qui a débuté
heureusement, et MM. Taskin et Bouvet,
qui ont de petits rôles. Tout le poids
de la partition est supporté par M. Talazac
et Mme Heilbron. Il est bien difficile
d'en parler longuement quand il suffit
de dire qu'ils ont été excellents. Chez
M. Talazac, la beauté de la voix s'est
alliée à la méthode sûre, avec un goût
particulier de composition. A ces mérites
se joint chez Mme Heilbron, un charme
féminin tout à fait particulier. Qui sait?
peut-être Paris aurait-il aussi, à la ri-
gueur, son Manassès ? Cléopâtre porte
avec une grâce infinie les costumes les
plus divers, depuis le costume d'apparat,
casquée de l'épervier mystique, couverte
d'or et de pourpre, jusqu'au eostume
plus simple du bain, — un brouillard
d'étoffe, de l'air tramé, ventus textilis,
disait Pétrone, — et un brouillard qui,
le jour de la répétition, a été déchiré d'un
coup de vent indiscret et malin. Mais
ces choses n'arrivent pas deux fois de
suite !
Il n'y a rien à ajouter, je pense, aux
quelques mots qui ont été dits, dans
notre Soirée tltédtrale, de Cherchons
papa, que le Palais-Royal a joué avec
un demi-succès, suffisant pour faire des
demi-salles pour une demi-fin de sai-
son. C'est encore une pièce, comme la
mode en vient, sur les lois récentes ou
futures. Les auteurs ont supposé que la
recherche de la paternité était permise
chez nous et en ont tiré une comédie
ou plutôt une farce. Elle n'est pas en-
nuyeuse , encore que trop grosse et
compliquée. L'imbroglio, d'ailleurs, si
le point de départ est neuf, ne l'est
pas. La recherche de la paternité donne
prétexte à des scènes assez connues.
Sur des sujets nouveaux faisons des vers antiqueJ,
a dit Chénier. Mais le conseil est meil-
leur pour les poètes que pour les vau-
devillistes !
JjvTEaw.
LE XIX" SIECLE
-
JOURNAL REPUBLICAIN CONSERVATEUR
RÉDACTION
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MM. les Souscripteurs dont Vabonne-
ment expire le 30 avril sont priés de le
renouveler avant le 28 courant s'ils ne
"Veulentpas éprouver de retard dans Ven-
voi du journal. ,
BULLETIN
Les nouvelles du différend franco-égyp-
tien, au sujet du Bosphore, font toujours
prévoir une solution pacifique. L'attitude
énergique du gouvernement français et le
ferme langage de notre chargé d'affaires,
M. Saint-René Taillandier, ont produit une
vive impression et peut-être causé quel-
que surprise à Nubar-Pacha. Mais si toute
crainte d'un conflit aigu semble momen-
tanément écartée, il est probable que le
gouvernement du khédive et la Porte
elle-même agiront en sorte que les choses
traînent en longueur, conformément aux
règles de la diplomatie orientale.
On annonce à ce propos que la Porte
aurait approuvé en principe la conduite de
Nubar et donné mission à Essad-Pacha de
discuter officiellement l'affaire du Bos-
phore avec M. de Freycinet. Ce n'est là,
selon toute apparence, qu'un moyen di-
latoire. Les dépêches de Londres disent
d'ailleurs que le règlement de la question
« est en bonne voie ».
Le départ de M. Saint-René Taillandier
pour Alexandrie ne fera sans doute qu'en
hâter la solution. On annonce qu'une
foule considérable et sympathique a ac-
compagné à la gare notre chargé d'affai-
res.
M. Waddington a eu hier une entrevue
avec lord Granville au sujet de l'affaire du
Bosphore.
Aucun changement n'est à signaler dans
le conflit anglo-russe. On assure pourtant
que le gouvernement anglais a adressé à
son ambassadeur à Saint-Pétersbourg,
avant-hier soir, de nouvelles instructions
qui laissent encore entrevoir la possibilité
d'un arrangement pacifique. Ces instruc-
tions contiendraient, dit-on, des proposi-
tions nouvelles relatives à la question de
la ligne de frontière.
M. de Staal a eu hier une entrevue avec
lord Granville.
Le ministre anglais a fait connaître à
l'ambassadeur de Russie la décision du
cabinet britannique relativement à l'inci-
dent de Pendjeh.
U Observer écrit dans une édition spé-
ciale :
« Nous croyons qu'après la séance du
conseil de cabinet qui a eu lieu samedi,
le Foreign-Office a envoyé à Saint-Péters-
bourg une seconde dépêche réitérant sa
demande qu'il soit procédé sur place à une
enquête militaire sur le combat où le gé-
néral Komaroff a mis en fuite les troupes
afghanes. »
On croit à Londres que, même dans le
cas de neutralité, le gouvernement turc
n'empêchera pas le passage dans les dé-
troits et se contentera de protester.
On mande de Constantinople que plu-
sieurs chefs circassiens seraient arrivés
dans cette ville, pour attendre le cours des
événements et préparer, le cas échéant, un
soulèvement contre les Russes dans le
Caucase.
Les troupes américaines ont occupé, le
25 avril. Panama et arrêté le général Alz-
puru, chef des insurgés, ainsi que trois de
ses officiers.
Les troupes américaines se retireront
aussitôt que les troupes du gouvernement
olombien seront arrivées.
QUESTIONJDU JOUR
Une bonne journée - ■***
Trois élections sénatoriales ont eu lieu
hier dans la Gironde, dans les Deux-Sè-
vres et dans les Basses-Pyrénées. Lesré-
actionnaires ont mis partout en ligne des
candidats et des candidats bien choisis;
en effet, dans la Gironde, l'honorable M.
Caduc avait pour adversaire M. le duc
Decazes, qui pouvait faire encore figure
de grand homme politique en province ;
le concurrent de M. Bergeron dans
les Deux-Sèvres était M. Proust de Le-
zay, qui a dans le département une si-
tuation personnelle très forte, et enfin,
dans les Basses-Pyrénées, le géné-
ral Bourbaki s'était laissé porter par les
royalistes et les bonapartistes, alliés
comme au plus beau temps de MM. de
Fourtou et de Broglie, contre M. Plan-
tié.
Voici quels ont été les résultats du
scrutin :
Gironde
Inscrits : 1,275. — Votants : 1,270
MM. Caduc, républicain. 774 ELU
Le duc Decazes, réact t , , , , t 476
Divers. , , t , , , , , , t t 20
Deux-Sèvres
Votants. 779
MM. Bergeron, républicain. 421 ELU
Proust de Lezay, réact 355
Voix perdues. , , , , , 3
Basses-Pyrénées
MM. Plantié, républicain. ,.. 579 ELU
général Bourbaki, réact.",.. 431
La plus intéressante de ces élections
était assurément celle de la Gironde. Il
s'agissait d'élire un cinquième sénateur
du département, le sort ayant attribué
à la Gironde le siège d'inamovible sup-
primé à la mort de M. Dupuy de Lôme.
Les journaux de la réaction avaient ex-
primé unanimement l'opinion que ce
siège nouveau leur devait appartenir,
par la raison qu'il n'était encore à per-
sonne; le fameux Bilboquet aurait pu être
leur candidat dans la Gironde, mais c'é-
tait M. le duc Decazes, dont le succès
éclatant et écrasant ne faisait doute ni
pour le Gaulois ni pour le Français, On
sait avec quelles flatteries délicates et
quelles caresses de pinceau le premier
de ces journaux traçait ces jours-ci le
portrait de M. le duc Decazes.
Les journaux bonapartistes eux-mêmes
pardonnaient à l'ancien ministre des af-
faires étrangères d'avoir en 1871, dans
sa profession de foi républicaine aux
électeurs de Libourne, annoncé qu'élu
il proposerait incontinent la déchéance
de la famille Bonaparte et soutiendrait
de toute l'ardeur de ses convictions et
de toutes les ressources de son talent
de diplomate politique « les hommes de
coeur » qui avaient organisé la Défense
nationale.
Quant aux journaux royalistes, ils sa-
luaient, dans la victoire de M. le duc
Decazes, la résurrection de l'alliance
conservatrice et le signe précurseur du
prochain avènement de M. le comte de
Paris. Le duc Decazes serait nommé
président du conseil. La France marche-
rait enfin. Et les fonctionnaires du 16
Mai, qui se réunissent annuellement au
Grand-Hôtel dans un banquet qu'ils au-
raient dû peut-être fonder à Venise, en
souvenir de celui de Candide, rentre-
raient dans l'administration par la grande
porte des petites intrigues.M.de L'Angle-
Beaumanoir père, malheureusement, ae
serait plus là pour leur jouer sur le cor une
marche triomphale, mais M. d'Harcourt,
dont la complaisance est universelle,
et qui s'applaudit lui-même d'être éga-
lement propre à toutes les besognes,
consentirait peut-être à le suppléer, en
homme que rien n'étonne.
Que sont devenues ces fières prophé-
ties, ces espérances superbes, ces rêves
doucement caressés ? M. le duc Decazes
est battu et bien battu. Rien ne lui a
servi d'avoir rédigé une élégante circu-
laire de la dernière heure où il annon-
çait qu'élu il protesterait « contre le dé-
sordre financier qui nous envahit », et
aussi « contre cette politique intérieure
qui a troublé les consciences en chas-
sant Dieu des écoles », et enfin « contre
les aventures lointaines imprudemment
menées et poursuivies plus imprudem-
ment encore ». Dans sa péroraison, M.
le duc Decazes adjurait les électeurs de
chercher le remède à tant de maux « là
seulement où il peut se trouver : dans
l'équilibre des institutions ek dans la sta-
bilité du pouvoir M. Ces éloquentes pa-
roles, ces sages conseils ont été enten-
dus, et les électeurs de la Gironde n'ont
pas hésité à nommer l'honorable M.
Plantié.
Nous attendons avec quelque curio-
sité les réflexions que le scrutin d'hier
dans la Gironde inspirera au Français.
Mais ce journal nous permettra bien de
lui faire connaître dès à présent la vraie
cause de l'échec piteux de M. le duc
Decazes. Il paraît que celui-ci est un
franc-maçon ! Qn n'ignore pas que si le
cabinet de M. Ferry a été renversé le
30 mars, la raison providentielle en est
qu'il était un cabinet maçonnique, qu'il
comptait cinq FF.-., comme écrit le
Francals. Il est infiniment vraisembla-
ble qu'avertis à temps les conservateurs
de la Gironde ont voulu épargner au fu-
tur conseil des ministres de M. le comte
de Paris l'humiliation et le sacrilège
d'être présidé par un F.. Et ils ont sur-
le-champ voté en chœur pour le candi-
dat républicain, puisque dans cette élec-
tion, sur 1,275 électeurs inscrits, 1,270
ont pris part au vote !
L'élection des Deux-Sèvres ne prête
pas à de nombreux commentaires. On
doit faire remarquer cependant que la
cause républicaine n'a pas perdu un
pouce de terrain dans ce département.
En 1882, M. de Reigné, candidat ré-
publicain, n'avait été élu que par 248
suffrages sur 424 votants.
Quant à l'élection des Basses-Pyré-
nées, nous n'en dirons que quelques
mots. Dans le manifeste du comité qui
a patronné la candidature « éminem-
ment française » et nettement réac -
tionnaire du général Bourbaki, il était
dit que celui-ci « désirait rester étran-
ger à la vie politique », ce que l'on con-
çoit sans peine, car la politique n'a
jamais eu pour lui que de décevants
sourires et de trompeuses faveurs.
Pourtant le général Bourbaki s'est laissé
persuader qu'il devait « lutter contre
l'influence d'idées et de principes qui
mènent le pays aux abîmes ». Cette
faiblesse l'a conduit à subir une défaite
électorale sans grandeur, et à cette
heure le vieux soldat « dont toute l'exis-
tence a été associée aux gloires et aux
douî urs de la patrie » — comme disait
le -id»iifeste. de son comité — doit être
encore plus mécontent de lui-même que
des autres!
M.
Nous avons fait quelques réflexions au su-
jet d'un article de la Victoire de Bordeaux
qui donnait le conseil aux délégués radicaux
de la Gironde de voter ou de s'abstenir, dans
la lutte entre M. Caduc et le duc Decazes, se-
lon « leurs convenances ». Il paraît que la
feuille radicale a fait également quelques
réflexions à ce propos. Car nous y avons lu
hier, avec une surprise fort agréable cette
fois, la déclaration suivante :
« M. Caduc n'entend pas se recommander
exclusivement de la politique Ferry; son ma-
nifeste est un désaveu de ces prétentions ; il
se recommande uniquement de son honora-
bilité, de sa constance républicaine; il ré-
prouve une politique d'intolérance et d'exclu-
sivisme.
» Dans ces conditions, très loyalement, en
toute conscience, nous pensons que l'attitude
nette prise par M. Caduc et que son appel à
la conciliation doivent être entendus et com-
pris. »
On voit que si la Victoire a pris aisément
la grave détermination de conseiller l'absten-
tion à certains délégués sénatoriaux, elle leur
a donné le lendemain sans entêtement le
conseil sage et absolument contraire de voter
pour M. Caduc, au nom de la discipline répu-
blicaine. Ajoutons qu'il est piquant que M.
C. Pelletan n'ait aucune opinion sur cette cu-
rieuse aventure électorale, ou du moins qu'il
ne nous ait pas fait connaître celle qu'il a,
non plus qu'à nos confrères du Paris. Est-ce
parce que M. C. Pelletan estime que la dis-
crétion est une des vertus de l'homme poli-
tique ?
La Caisse des Retraites de l'Opéra
Il s'est fait un certain bruit, depuis
quelques jours, autour de la question de
la caisse des retraites de l'Opéra, où un
déficit de 400,000 francs aurait été cons-
taté.
Quelques indications sont indispensa-
bles pour apprécier l'incident à sa juste
valeur.
On sait que la caisse des retraites de
l'Opéra fut créé par décret du 14 mai 1856,
à l'époque où l'Académie de musique était
régie par l'Etat. Elle a fonctionné de
la sorte jusqu'en 1866; puis, l'Opéra ayant
été rendu à l'entreprise privée, il y eut
une division du personnel en deux par-
ties, l'une tributaire de la caisse, l'autre
restée en dehors. En 1879, tout le person-
nel fut admis à la caisse.
Dans son rapport, M. Edmond Turquet,
sous-secrétaire d'Etat des beaux-arts, fai-
sait alors remarquer que les intérêts des
anciens tributaires ne pouvaient être lé-
sés, puisque la caisse possédait 120,000
francs de rentes 5 0/0 et qu'elle n'avait
à pourvoir qu'à 130 pensions représentant
une dépense de 101,081 francs.
Dans ces conditions, la combinaison
nouvelle fut adoptée ; le règlement de la
caisse fut dressé et M. Vaucorbeil, suc-
cesseur de M. Halanzier, accepta un cahier
des charges rectifié en ce sens , comme
MM. Ritt et Gailhard l'ont accepté à leur
tour avec le règlement suivant afférant à
la caisse des retraites :
Sont affectés aux recettes de la caisse :
1° Le produit de la retenue 5 0/0 sur tous
les traitements, appointements, feux assurés
ou éventuels et gages payés à quelque titre
que ce soit aux tributaires ;
2e Le produit de toutes les amendes et rete-
nues disciplinaires ;
3° Un fonds annuel de 20,000 francs, impu-
table sur la subvention allouée à l'Opéra par
le budget de l'Etat ;
40 Un fonds annuel de 20,000 francs versé
par le directeur de l'Opéra, soit à l'aide de
représentations spéciales organisées par lui,
soit de ses propres deniers;
5° et 6° Les arrérages de rentes et les do-
nations éventuelles ;
Le 4e paragraphe est complété par l'article
91 du cahier des charges ainsi libellé :
« Le directeur sera tenu de donner chaque
année au profit de la caisse des pensions de
retraites le nombre de représentations, de con-
certs ou de bals nécessaire pour assurer à
cette caisse une somme de vingt mille francs,
qui devra être versée à la Caisse des dépôts
et consignations.
» Il pourra toutefois, s'il le préfère, verser
simplement, même en plusieurs termes, cette
somme de vingt mille francs. »
D'après ce règlement, il est aisé de voir
le rôle qui incombe au directeur de l'Opéra,
quel qu'il soit : il doit veiller à ce que la
retenue de 5 0/0 sur les appointements,
les amendes, les arrérages de rentes et les
donations soient recueillis exactement ; il
doit verser personnellement 20,000 fr.
par an et distraire vingt autres mille francs
de la subvention que lui alloue l'Etat.
Ceci fait, il n'a plus à s'occuper de ce
que produit ou ne produit pas la caisse des
retraites, sinon pour souhaiter qu'elle lui
permette de régulariser le plus tôt possi-
ble la situation d'une partie des mem-
bres de son personnel atteinte par l'âge
et bonne à supprimer.
Pour ceci encore intervient le règlement
ministériel, dont l'article 28 dit :
Au commencement de chaque année, le mi-
nistre se fait représenter le compte de situa-
tion de la caisse, et autorise, s'il y a lieu, les
admissions à la retraite dans la limite des res-
sources disponibles ; et, si les liquidations ef-
fectuées absorbent tous les revenus de la
caisse, aucune pension nouvelle ne pourra
être concédée. — L'admission à la retraiteest
prononcée par arrêté du ministre, sur la de-
mande du directeur.
Les ressources disponibles absorbées,
point de pensions nouvelles, point de si-
tuations régularisées, d'où déficit si l'on
veut mettre les choses au pire.
Il suffit d'examiner les ressources pré-
vues ou souhaitées pour comprendre
qu'elles sont parfaitement aléatoires.
La retenue de 5 0/0, par exemple, baisse
tout aussitôt, si, comme c'est le cas en ce
moment, la direction opère des économies
sur les traitements de ses artistes.
Les amendes peuvent être moins nom-
breuses;
Les rentes moins fortes (il a été procédé
à la conversion);
Les donations nulles.
Reste en fait de solide l'annuité de
40,000 francs provenant en deux parts de
la direction.
Il faudrait donc que cette annuité n'eût
pas été versée pendant dix ans 1
Nous ne pouvons nous résoudre à pen-
ser que les choses se seraient passées
ainsi, et nous inclinons à croire que c'est
par la baisse des autres ressources, amen-
des, 5 0/0, donations, etc., que la caisse se
trouve momentanément gênée.
Il n'en est pas moins évident qu'une ré-
forme radicale doit être introduite dans
cette institution ; par suite d'arrangements
nouveaux, de mesures financières sérieu-
ses, la caisse devra être assurée de faire
face à ses besoins raisonnables.
Le petit personnel y gagnera de pouvoir
se retirer à l'époque fixée.
La direction sera dégagée d'un gros
souci.
Et enfin nous, public, verrons se renou-
veler choristes et figurants un peu plus
souvent, ce qui ne sera pas un mal.
EDMOND RENOIR.
LE CONFLIT ANGLO-RUSSE
Les négociations continuent entre Lon-
dres et Pétersbourg. La situation n'est ni
meilleure ni pire aujourd'hui qu'hier.
Pourtant il faut signaler un certain revire-
ment dans la presse étrangère au sujet de
l'issue probable du conflit. L'opinion qui
semble prévaloir est que le maintien de la
paix est encore possible parce que l'Angle-
terre n'est pas en mesure de faire la guerre
avec chance de succès.
En Asie, ainsi que je l'indiquais hier, et
c'est aussi l'avis des journaux allemands et
autrichiens, l'Angleterre serait certaine-
ment battue.
Aussi est-il dès à présent certain qu'elle
essaierait, le cas échéant, de prendre l'of-
fensive contre la Russie sur la Baltique et
sur la mer Noire.
Les journaux de Londres nous ont déjà
appris qu'une escadre a été formée sous
les ordres de l'amiral IIornby et qu'elle a
pris le titre d'escadre de la Baltique.
Quel peut être l'objectif de cette esca-
dre et quelles difficultés rencontrera-t-
elle?
Si l'Angleterre donnait suite au projet
d'envoyer une escadre sur le littoral du
nord de l'empire russe, elle aurait d'abord
à vaincre un premier obstacle: forcer le
passage des détroits qui commandent l'en-
trée de la Baltique. La Suède, le Dane-
mark et l'Allemagne peuvent s'y opposer,
et, déjà on signale les préparatifs militai-
res faits par le Danemark pour compléter
les fortifications du littoral et les ordres
donnés par la Suède pour l'envoi de
navires de guerre à Gothiand et l'arme-
ment de la forteresse de Karlsbury.
Ces préparatifs signifient-ils que les
deux Etats du Nord veuillent défendre par
les armes l'accès des détroits ? Peut-être
le voudraient-ils. Sûrement ils ne l'ose'
ront pas. *
Quant à l'Allemagne, elle se réserve.
Mais supposons l'escadre anglaise dans
les eaux de la Baltique. Qu y peut-elle
faire ? Menacer Saint-Pétersbourg ? Ce se-
rait l'opération la plus efficace; c'est la
moins possible.
La capitale de l'empire russe est à l'abri
de toute insulte. Les formidables fortifica-
tions élevées à Cronstadt la couvrent sur
la côte, et il n'est pas à supposer que l'ami-
ral anglais soit assez fou pour lancer des
canonnières sur la Néva à l'effet de bom-
barder Pétersbourg : ce sont les seuls bâ-
timents qui puissent remonter l'étroit
chenal de la" Néva. Bombardera-t-il Cron-
stadt? Ce serait une tâche tout autre que
le bombardement d'Alexandrie, qui a illus-
tré les armes anglaises..
Les batteries de côte qui défendent
Cronstadt tiendraient à distance l'escadre
anglaise, sans parler des torpilles parse-
mées sur tout le littoral russe.
Si la prise de Pétersbourg est impos-
sible, si le bombardement de Cronstadt
doit être inutile, si un débarquement est
une folie, que reste-t-il à faire à l'amiral
HornBy dans la Baltique? A donner la
chasse aux navires de commerce, à incen-
dier quelques places sans importance et
surtout à se défendre contre la marine
russe et la flottille de torpilleurs que la
Russie a organisée depuis quelques an-
nées avec un soin remarquable. A cet
égard, elle a, de l'avis de tous, une avance
considérable sur l'Angleterre : son per-
sonnel est mieux exercé et son matériel
incomparablement plus perfectionné. *
L'entrée d'une escadre anglaise dans la
Baltique est grosse de périls ; on cherche
en vain quels avantages l'Angleterre pour-
rait trouver à une opération aussi hasar-
dée.
Ce qui est vrai dans la Baltique ne l'est
pas moins dans la mer Noire.
Feuilleton du X/Xc SIÈCLE
Du 27 Avril 1885
CAUSERIE
DRAMATIQUE
OPÉRA-COMIQUE: Une Nuit de Cléopâtre, opéra
en trois actes, paroles de M. Jules Barbier,
musique de V. Massé. — PALAIS-ROYAL :
Cherchons papa, vaudeville en trois actes,
par V. Bernard et Maurice Ordonneau.
Le drame lyrique que l'Opéra-Comique
vient de représenter est intitulé Une
lfuit de Cléopâtre, comme la nouvelle
de Théophile Gautier d'où il est tiré. Si
le titre de la pièce eût été : Cléopâtre,
il aurait fallu nous donner un événe-
ment important de la vie de l'héroïne,
nous dire ses amours avec César ou ses
amours avec Antoine et le drame final
de son existence singulière. M. J. Bar-
bier, au contraire, s'est contenté d'un
épisode qui n'a rien d'historique et qui
va même contre ce que nous savons de
Cléopâtre. La reine d'Egypte n'était pas
un modèle de vertu. Mais cette femme,
qui fit assassiner son frère, lequel était
son mari, selon l'usage des maisons
royales d'Orient, et avec lui bien d'au-
tres hommes qui gênaient ses projets
ambitieux, fut surtout une ambitieuse
et une politique. Elle se servit de sa
beauté pour réussir et se donna à César
et à Antoine ; elle entoura celui-ci de
toutes les séductions du luxe asiatique,
si bien que, quand elle allait à sa ren-
contre, sur un bateau couvert de fleurs
dont les matelots étaient des jeunes fil-
les, couchée, nue ou à peu près à la
proue, les soldats romains et grecs
voyaient en elle Ariane allant retrouver
Dacchus vainqueur.
Mais cette grande pompe publique, ce
decor de ballet où elle se réservait le
;lc principal, ne nous disent pas que
Cléopâtre fût la « cocodette couronnée »
ou la « dame aux camélias » antique
que nous fait voir l'Opéra-Comique. Si
elle a été jamais amoureuse, c'est d'An-
toine, et il ne paraît pas qu'elle ait ja-
mais eu beaucoup le temps de s'en-
nuyer. Cette grande ambitieuse qui rêva
l'empire du monde et la suprématie de
l'Orient sur l'Occident s'occupait de
mille travaux. Elle réorganisa la flotte
qu'elle voulut commander elle-même
elle restaura la bibliothèque d'Alexan-
drie, que les chrétiens brûlèrent plus
tard; elle fit son expédition contre Khar-
toum (qui ne réussit pas), organisa et
intrigua plus qu'elle n'aima. Ce ne fut
certainement pas la femme du harem
ennuyée et voluptueuse qu'on nous dit.
Gautier, d'ailleurs, se moquait bien de
la vérité historique ! Il avait voulu mettre
une histoire assez vieille d'amour dans
le cadre égyptien ; et il prit le person-
nage de Cléopâtre comme le plus légen-
daire parmi les souvenirs de cette vieille
terre. Mais n'exagérons pas le reproche
ou la critique qu'on peut faire de sa façon
fantaisiste de procéder.
La nouvelle de Gautier, écrite d'une
plume d'or, a fourni trois actes à l'O-
péra-Comique, pleins de pittoresque,
mais un peu dénués d'action. Balzac,
dans un de ses plus beaux Contes drola-
tiques,a raconté une histoire très sembla-
ble à celle du pêcheur Manassès et de
Cléopâtre, mais y a ajouté des éléments
dramatiques puissants, en imaginant que
l'héroïne cherche un homme pour le
faire assassiner par son mari au lieu et
place de son amant. Et cet homme elle'
le trouve dans un jeune page qui con-
sent à aller au rendez-vous, sachant ce
qui l'attend. C'est Fortunio héroïque.
Sur quoi la dame change d'amour et
meurt avec celui qui ne devait être que
la victime d une scélératesse. On voit
la supériorité de la donnée ainsi déve-
loppée. Il ne faut cependant pas exagé-
rer le blâme et se plaindre par trop du
manque d'action. La musique est peut-
être mieux faite pour exprimer des sen-
timents que pour s'adapter note à note
à une action très variée. L'amour de
Manassès, les langueurs de Cléopâtre,
qui tiennent un tableau et demi, ont
peut-être fourni au musicien ses ins-
pirations les plus distinguées. Ne nous
en plaignons pas.
L'action de Cléopâtre est assez simple
pour qu'on puisse la suivre en parlant
des principaux numéros du catalogue
thématique. Le lever du rideau est pré-
cédé d'un prélude, presque tout entier
formé par le motif caractéristique qui,
selon une mode nouvelle (disent les wa-
gnériens, qui semblent ignorer Meyer-
beer) , accompagne Manassès. Nous
sommes au bord du Nil, près d'un
temple d'Iris. Les femmes prient la
déesse. Puis passe un muletier, chan-
tant sa chanson et conduisant sur sa
mùle une des suivantes de Cléopâtre,
Charmion. Cette jeune fille aime le pê-
cheur Manassès, son frère de lait, et
l'avoue à la mère de celui-ci, dans un
air exquis. Survient, toujours chan-
tant, Manassès, qui revoit avec joie la
compagne de son enfance. Mais il ne
saurait l'aimer d'amour, le pauvre pê-
cheur ! Car il a vu Cléopâtre descendre
le Nil sur sa cange dorée, coiffée du
casque d'or aux ailes d'épervier, et son
cœur et son âme se sont donnés à cette
apparition quasi-divine. C'est ce que le
pêcheur nous apprend dans un air d'une
inspiration tout à fait « sublime », com-
me disait Stendhal, en parlant de h
plus simple et de la plus belle des mélo-
dies de Cimarosa. Et, tout justement,
voici l'apparition qui se présente à nous,
avec Cléopâtre passant sur le Nil. au
fond de la scène, en chantant-aux étoi-
les naissantes de la nuit !
Le second acte est au palais de la
reine et s'ouvre par un divertissement,
suivi d'un duo, où Charmion se plaint
du mal d'amour, où Cléopâtre gémit de
ne pas le connaître. Rien de pins dé-
licieux que cette élégie, interromoue ii:1'
une déclaration d'amour qui flfi.; n-' à
Cléopâtre sous-la forme d'un billet at-
taché à une flèche lancée par la fénêtre
du harem. Cléopâtre s'indigne contre
l'audacieux. Mais on devine bien que le
trait tombé à ses côtés est parti de l'arc
de l'Amour et l'a tout de même touchée
au cœur!
Voici qu'au tableau suivant la reine,
pour calmer ses nerfs, a été dans le
kiosque, au milieu des verdures, où
l'attend le bain parfumé. L'orchestre,
un moment imitatif, — Dieu nous garde
de la musique imitative ! mais Massé n'y
sacrifie qu'un instant, — joue une sorte
d'accompagnement à la poésie de Hugo,
qui nous revient en tête :
Je pourrais folâtrer nue
Sous la nue
Dans le ruisseau du jardin
Sans crainte de voir dans l'ombre
Du bois sombre
Deux yeux s'allumer soudain.
Hé ! justement, deux yeux s'allument
dans l'ombre : ce sont ceux de Manassès.
Il s'est introduit dans le gynécée ; il a
vu Diane au bain. Mais, provisoirement
plus heureux qu'Actéon, ce n'est pas
sur son beau front que le bois va pous-
ser ! Car à la façon dont Cléopâtre, au
milieu de ses femmes accourues, regarde
Manassès, extasié (comme on dit aujour-
d'hui), tout en buvant quelque jatte de
lait au sortir du bain, on devine qu'elle
porte la santé d'un caprice royal qui
vient de naître en son cœur.
Le troisième acte nous fait assister
aux amours de la reine et du pêcheur.
Les femmes du harem dansent et chan-
teut autour des amants le chœur des
heures noires et blanches, et Manassès
voit a chaque caresse la passion de
léüpâÜ{e graniiV. La reine regrettera
ip marché qu'elle a : fait, car si elle se
.ttu-'i'e au.pce*iôur, c'est qu'il a' d abord
proirti-s de mouvir on se réveillant de
soa rêve. Le long duo d'amour qui tient
presque tout l'acte est tout à fait admi-
rable, depuis le (V-bnt de Cléopâtre :
'( L:, connais-nî, l'amour? » jusqu'au
fil"):!i:. ; a Donh du cic! divine ex-
tase! » C'est de la pure poésie musi-
cale, servie par un art assez savant
pour savoir être discret, et on a été
heureux, je le jure, de trouver cette
poésie, si rare chez nos trop habiles
arrangeurs de sons! Mais , comme
Cléopâtre et son amant, il faut sortir
de ce beau rêve. Voici les trompettes
romaines qui annoncent le retour de
Marc-Antoine. Cléopâtre ne serait guère
embarrassée de faire cacher son amant
qu'elle veut sauver maintenant. Mais
c'est Manassès qui veut mourir. Car,
dit Gautier, « il avait embrassé sa chi-
mère aux ailes inquiètes sans qu'elle
s'envolât; il avait touché le but de sa
vie. Vivrait-il l'âge de Nestor et de
Priam, il n'éprouverait rien de nouveau. »
Et Manassès prend la coupe empoison-
née aux mains de Charmion éperdue et
meurt sans regrets, encore ivre de son
amour.
La Nuit de fWopâtre a obtenu un suc-
cès complet, qui n'est dû ni à la grande
estime où l'on tient son auteur, ni aux
amitiés touchantes qu'il avait eu le mé-
rite d'inspirer, ni au secret plaisir de
protester contre l'Opéra (qui a refusé
la pièce), mais qui tient seulement à
la joie du public de trouver une mu-
sique dont la poésie et le sentiment
font tous les frais. Je ne veux pas d'ail-
leurs , remplissant ici l'intérim de no-
tre rédacteur en chef que la maladie a
éloigné du théâtre ces jours-ci, soule-
ver à propos de la Nuit de Cléopâ-
tre les querelles d'écoles. Le ch'arme de
cette œuvre, c'est justement de les avoir
fait oublier et de nous avoir donné
du plaisir sans que nous ayons eu à con-
sulter les docteurs.
L'interprétation d'Une Nuit de Cléo-
pâtre est excellente et les décors sont
admirables.
Ce grand et cher Théo aurait été réjoui
de voir ses rêves égyptiens prendre si
bien corps, et de trouver sa salle de
bains, son palais, son Nil, tels qu'il les
avait évoqués. Et Massé eût été heureux,
le pauvre martyr, d'entendre sa musi-
que, son œuvre de prédilection peut-
être, interprétée comme, elle l'a été. Je
ne fais que citer, malgré leur grand
mérite, Mme Reggiani, qui a débuté
heureusement, et MM. Taskin et Bouvet,
qui ont de petits rôles. Tout le poids
de la partition est supporté par M. Talazac
et Mme Heilbron. Il est bien difficile
d'en parler longuement quand il suffit
de dire qu'ils ont été excellents. Chez
M. Talazac, la beauté de la voix s'est
alliée à la méthode sûre, avec un goût
particulier de composition. A ces mérites
se joint chez Mme Heilbron, un charme
féminin tout à fait particulier. Qui sait?
peut-être Paris aurait-il aussi, à la ri-
gueur, son Manassès ? Cléopâtre porte
avec une grâce infinie les costumes les
plus divers, depuis le costume d'apparat,
casquée de l'épervier mystique, couverte
d'or et de pourpre, jusqu'au eostume
plus simple du bain, — un brouillard
d'étoffe, de l'air tramé, ventus textilis,
disait Pétrone, — et un brouillard qui,
le jour de la répétition, a été déchiré d'un
coup de vent indiscret et malin. Mais
ces choses n'arrivent pas deux fois de
suite !
Il n'y a rien à ajouter, je pense, aux
quelques mots qui ont été dits, dans
notre Soirée tltédtrale, de Cherchons
papa, que le Palais-Royal a joué avec
un demi-succès, suffisant pour faire des
demi-salles pour une demi-fin de sai-
son. C'est encore une pièce, comme la
mode en vient, sur les lois récentes ou
futures. Les auteurs ont supposé que la
recherche de la paternité était permise
chez nous et en ont tiré une comédie
ou plutôt une farce. Elle n'est pas en-
nuyeuse , encore que trop grosse et
compliquée. L'imbroglio, d'ailleurs, si
le point de départ est neuf, ne l'est
pas. La recherche de la paternité donne
prétexte à des scènes assez connues.
Sur des sujets nouveaux faisons des vers antiqueJ,
a dit Chénier. Mais le conseil est meil-
leur pour les poètes que pour les vau-
devillistes !
JjvTEaw.
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