Titre : Le XIXe siècle : journal quotidien politique et littéraire / directeur-rédacteur en chef : Gustave Chadeuil
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1885-04-22
Contributeur : Chadeuil, Gustave (1821-1896). Directeur de publication
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Description : 22 avril 1885 22 avril 1885
Description : 1885/04/22 (A15,N4855). 1885/04/22 (A15,N4855).
Droits : Consultable en ligne
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Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-199
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 09/04/2013
Quinzième année. — N° 4855
Prix du numéro à Paris : 15 centimes — Départements : 20 centimes
Mercredi 22 Avril 1885
LE Xir SIÈCLE
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Hongrois. i 57 1/16.
BULLETIN
(/opinion qui a cours dans les cercles
diplomatiques est bien moins favorable
qu'il y a deux ou trois jours à une solution
pacifique du conflit anglo-russe. Une cor-
respondance de Vienne, adressée au Mor-
ning Post, déclare qu'aucun fait précis ne
justifie l'optimisme de certains journaux
en ce qui concerne la question afghane.
Et le Daily Telegraph publie une lettre de
Berlin où il est dit que la situation s'est
aggravée.
Des renseignements parlementaires pa-
raissent confirmer cette aggravation du
conflit entre les gouvernements de Lon-
dres et de Saint-Pétersbourg. Et si les né-
gociations continuent toujours, c'est une
croyance assez répandue dans le monde
des affaires et dans les cercles diplomati-
ques que la conclusion d'un arrangement
entre la Russie ét l'Angleterre n'est pas
près de se produire, et qu'en se prolon-
geant les négociations pourraient bien au
contraire rendre la guerre inévitable au
premier jour.
Le bruit a couru hier à Londres que la
Russie mettait comme condition sine quâ
non d'un accord avec l'Angleterre la ces-
sion de Pendjeh, Pul-i-Korti et Ak-Tèpe.
Quoi qu'il en soit, les pourparlers officieu-
sement engagés relativement à la délimi-
tation de la frontière afghane ont été in-
terrompus. Le fond du débat qui se
poursuit actuellement, c'est l'affaire du 30
mars, la victoire du général Komaroff sur
les Afghans, et sur ce point les déclara-
tions du chef de l'armée russe et du géné-
ral Lumsden sont des plus opposées.
Hier soir, lord Granville a fait à la
Chambre des lords, en déposant une de-
mande de crédits de onze millions de li-
vres sterling, dont plus de la moitié est
réservée pour des dépenses éventuelles et
dont le reste est affecté au Soudan,
une importante déclaration. Lord Gran-
ville a dit tout d'abord que le crédit de-
mandé pour le Soudan implique la néces-
sité d'une action hostile.
« Nous avons soigneusement examiné
notre situation militaire, a dit lord Gran-
ville, non seulement relativement au Sou-
dan, mais au point de vue de l'état géné-
ral des affaires publiques et de tous les
emplois probables de nos ressources mi-
litaires, y compris les forces que nous
avons au Soudan et qu'on pourrait rendre
disponibles au besoin pour faire un ser-
vice ailleurs.»
Lord Granville a proclamé la nécessité
d'occuper Souakim. Lord Granville a
ajouté:
f, « L'augmentation de nos ressources mi-
litaires , obtenue en tenant l'armée du
Soudan disponible pour servir ailleurs, est
tout à fait indépendante des demaudes de
grands renforts, faites récemment par le
gouvernement de l'Inde.
»Ces demandes seront couvertes entière-
ment par des mesures prises en Angle-
terre en laissant les forces stationnées
actuellement en Egypte et au Soudan
comme réserves additionnelles pour l'Inde
ou ailleurs. »
Lord Granville a dit en terminant :
« Notre plus grand désir est de rester
en relations amicales avec toutes les puis-
sances étrangères. L'augmentation de nos
moyens militaires et maritimes ne modi-
fiera pas notre désir de régler d'une ma-
nière pacifique tout différend existait
entre l'Angleterre et d'autres puissances.»
A la Chambre des communes, M. Glads-
tone a démenti les bruits d'une alliance
anglo-turque. Venant à la question af-
ghane, M. Gladstone a déclaré ensuite que
la réponse du général Lumsden à la de-
mande du gouvernement, en date du 10 avril
a été reçue ce matin ; elle contient, a dit
M. Gladstone, le rapport complet et dé-
taillé de ce que le général Lumsden re-
garde comme les points principaux du
pénible incident de Pendjeh. Son rapport
diffère sensiblement de celui du général
Komaroff.
M. Gladstone a conclu dans les mêmes
termes que lord Granville :
« Nous comprenons la gravité de la pro-
position et nous comptons avec confiance
sur le patriotisme du Parlement pour ac-
cueillir toute demande juste. Mais notre but
et notre désir, dans nos relations avec les
puissances, sont jusqu'à présent de savoir
s'il est possible d'obtenir par des moyens
pacifiques une solution juste et honorable
- des différends actuels ou futurs. »
La discussion du crédit a été fixée à
\undi.
Nous apprécions plus loin l'incident du
Bosphore égyptien. Voici les dernieas ren-
seignements qui nous parviennent à ce
sujet :
Hier matin, l'agent diplomatique fran-
çais a déclaré à Nubar-Pacha que le gou-
vernement français n'était pas satisfait de
sa réponse à la demande de réparation
dans l'affaire du Bosphore égyptien. L'a-
gent français a donné au gouvernement
égyptien jusqu'à quatre heures pour ré-
pondre.
A l'expiration de ce délai, Nubar-Pacha
a informé l'agent français que la Porte
avait approuvé l'action du gouvernement
égyptien. Il a ajouté qu'il était en commu-
nication avec le gouvernement anglais et
qu'il demandait une courte prolongation
du délai.
D'après une autre dépêche, la Porte
n'aurait pas fait connaître encore son
opinion à Nubar sur l'affaire du Bosphore,
et celui-ci aurait escompté hardiment son
approbation.
.On annonce enfin que des officiers an-
glais auraient visité les canons d'Alexan-
drie pour s'assurer s'ils sont en bon état.
Les renseignements les plus contradictoi-
res circulent au sujet de l'incident du
Bosphore. Voici, par exemple, ce que di-
sent le Standard et le Daily Telegraph.
La première de ces feuilles s'exprime
ainsi :
« Le différend qui s'est élevé entre la
France et l'Angleterre au sujet de la
suppression du Bosphore égyptien me-
nace de devenir sérieux. Cette affaire
a été examinée au conseil de cabinet qui
a eu lieu hier, et, à moins que le gouver-
rnement français ne rabatte de ses pré-
tentions, elle pourrait avoir des conséquen-
ces fort graves. »
Tout autre est le langage du Daily
Telegraph. D'après les informations de ce
journal, sir Evelyn Baring, en fournissant
des explications complètes sur les cir-
constances qui ont amené la suppression
du Bosphore égyptien, a exprimé l'avis
que le gouvernement égyptien, tout en
étant parfaitement dans son droit en arrê-
tant la publication d'un journal étranger
qui dirigeait des attaques contre lui, n'a
pas fait procéder à la fermeture de l'im-
primerie de M. Serrière avec toutes les
formalités légales exigées sous le régime
des capitulations.M. Evelyn Baring serait
donc d'avis que les représentations de la
France fussent accueillies avec un esprit
de conciliation et qu'on nous accordât une
satisfaction raisonnable.
——————— ———————
QUESTION DU JOUR
La peine de mort
Le bruit s'était répandu hier que l'as-
sassin de Mme veuve Ballerich avait vu
rejeter son pourvoi en grâce. A l'heure
où j'écris, rien n'est encore décidé. Ce
nous est une occasion de dire ce qu'on
doit penser de la peine de mort avant
qu'elle soit appliquée ou écartée une
fois de plus.
La peine de mort a des partisans et
des adversaires résolus, et, parmi eux,
on compte également des poètes, des
philosophes, des administrateurs et des
hommes spéciaux, criminalistes et ma-
gistrats. Troplong l'a défendue ; Faus-
tin-Hélie l'a combattue. Et, avec un
lyrisme presque égal, V. Hugo et de
Maistre en ont dit l'horreur ou la né-
cessité supérieure.
Quant à l'opinion du public, on peut
tenir pour vrai, en général, que la peine
de mort a pour partisans les campa-
gnards et les gens du peuple, qui en
sont restés, en matière de justice so-
ciale, à la théorie biblique de la peine
du talion. Elle a, également en géné-
ral, contre elle la bourgeoisie lettrée et
les philosophes, surtout depuis que les
doctrines physiologiques nouvelles sem-
blent, en bien des cas, retirer à l'être
humain tout ou partie de sa liberté d'ac-
tion.
Les raisons qu'invoquent les partisans
et les ennemis de la peine de mort sont
très variées, et, en les étudiant, on voit
le problème s'offrir à nous sous ses fa-
ces les plus diverses.
Les gens simples, le brave ouvrier, le
cultivateur, approuvent l'exécution des
assassins parce qu'ils trouvent là une
garantie absolue de défense sociale, un
exemple qui doit intimider quiconque
les voudrait imiter et aussi, comme je
le disais, une application du principe du
talion, qui leur paraît être ce que la jus-
tice humaine peut inventer de mieux.
Mais ces raisons sont vivement com-
battues par les abolitionnistes.
Il est certain que la loi du talion est
le reste d'un état de civilisation bar-
bare et, dès les temps les plus anciens,
on y avait renoncé déjà en admettant le
rachat du crime par une pénitence ou une
amende, par une compensation. Une so-
ciété savante ne peut se contenter de la
formule : « Œil pour œil, dent pour dent ».
Cette formule n'avait de valeur que dans
des civilisations où le crime commis
contre un particulier soulevait moins la
vindicte publique qu'il n'intéressait la
famille de la victime. L'Etat n'inter-
venait que pour régulariser et aider
une sorte de vendetta. Nous sommes
bien loin de ceci. Quand des crimes
sont commis, aujourd'hui, nous som-
mes en présence de deux théories
juridiques : l'une à laquelle reste at-
tachée presque toute la magistrature
et qui est la théorie de l'Eglise (qui fait
précéder le pardon de l'expiation), c'est
que la société tout entière est outragée
par l'attentat commis contre un de ses
membres et qu'elle le punit au nom
d'un droit supérieur qui est en elle. On
disait même encore, il n'y a pas bien
longtemps, dans les réquisitoires, que la
société « se vengeait ». Mais une autre
théorie est née, qui soutient que la so-
ciété n'a le droit ni de se venger ni
même de punir, n'ayant pas les éléments
pour juger, de façon absolue, la ques-
tion morale qui se pose à chaque crime.
Tout ce que peut faire la société, di-
sent les partisans de cette façon de voir,
c'est de se garantir contre le criminel.
Car le criminel, ajoutent volontiers les
savants, est presque toujours un fou,
tout au moins un demi-fou, qui n'a pas
agi avec la liberté de volonté que per-
sonne n'est assuré d'avoir. Pas de li-
berté, pas de responsabilité. La ques-
tion se résume à savoir si la mort est
le seul moyen et le moyen nécessaire
pour se garantir du criminel-aliéné.
Rien n'est plus grave que ce débat
philosophique, où les doctrines spiri-
tualistes sont aux prises avec les doc-
trines qu'on appelle matérialistes, et ce
débat, vieux comme le monde, n'est pas
près d'être résolu.
Il faut donc, abandonnant les régions
de la haute spéculation, réduire le débafc-
et n'en considérer que les côtés prati-
ques, non sans faire observer que,
parmi les philosophes qui tiennent pour
l'irresponsabilité morale du criminel, il
en est beaucoup que cette opinion n'em-
pêche pas d'accepter la peine de mort.
Le criminel, pour eux, est dangereux
encore plus qu'irresponsable, et d'au-
tant moins gnérissable qu'il est plus
irresponsable. Il faut le supprimer sans
colère, mais comme on détruit un
fauve.
Il y a même des fantaisistes qui, par-
tant d'une observation faite sur la folie
héréditaire, proposent la déportation
préalable des enfants des criminels !
En l'état, laissant les théories et refu-
sant d'attribuer à la science physiolo-
gique l'absolue certitude qu'elle refuse
elle-même à la psychologie classique,
il faut simplement se demander si l'ap-
plication de la peine de mort, qui répu-
gne à notre sentimentalisme dont je ne
veux pas médire, mais qui pourrait
s'exercer mieux qu'à propos des crimi-
nels, est indispensable comme garantie,
équitablement appliquée comme puni-
tion et utile comme exemple ?
Voilà tout le problème actuel, qui ré-
pond à toutes les théories et à toutes
les opinions.
L'expérience paraît démontrer que la
peine de mort est inefficace comme
exemple. Et cela est si bien senti par
les hommes compétents et pratiques
qui règlent les exécutions, qu'on leur
enlève de plus en plus toute -solennité,
et que ce soir, à dix heures, on refuse
encore de faire savoir si, oui ou non,
Gamahut sera guillotiné dans quelques
heures. Les abolitionnistes ont raison
quand ils demandent qu'on supprime
l'échafaud ou qu'on le rétablisse en
plein jour, sur la place d'un marché,
avec tout l'appareil de la punition exem-
plaire. C'est pour cela que l'exécution
dans les prisons paraît, et à bon droit,
un expédient qui satisfait nos sensibili-
tés, mais ne répond à aucune conception
logique sur le droit de punir.
La peine de mort est-elle nécessaire
comme garantie ? A coup sûr, il n'y en
a pas de plus efficace. On peut cepen-
dant assurer que les cas d'évasion des
déportés à vie sont assez rares pour que
la garantie de la déportation ou de la
prison perpétuelle soit suffisante.
Enfin, et c'est là le point le plus déli-
cat, la peine de mort, considérée com-
me une punition, est-elle appliquée
avec équité et peut-elle l'être ?
Ici, d'abord, on rencontre l'argument
de l'erreur judiciaire : mais cet argu-
ment n'a pas grande valeur. Si la peine
de mort est utile, une erreur sur mille,
fâcheuse, irréparable, ne suffirait pas à
la faire condamner. L'erreur est fatale
à toutes les choses humaines et jamais
une loi sociale ne doit compter avec une
exception, j
Ce qui est plus important, ce qui
choque davantage l'équité, c'est la part
de hasard qui entre dans les condam-
nations et dans l'exercice du droit de
grâce même. L'inégalité de traitement
est effroyable. On exécutera, dit-on,
Gamahut. Il y a quinze jours un homme
qui a violé une petite fille, l'a tuée,
coupée en morceaux, a obtenu des cir-
constances atténuantes. Pourquoi? Un
hasard dans le tirage au sort des jurés.
Billoir, honnête jusqu'au crime, a été
exécuté. De même tel ou tel, qui n'é-
tait pas récidiviste. Et on a gracié tel
ou tel autre, assassin de profession.
Et on a fusillé, parce qu'il était en-
gagé volontaire, un garçon de dix-
huit ans, pour un seul assassinat! La
jurisprudence même qui fait de l'atro-
cité du crime une raison du refus de la
grâce (et qui est la jurisprudence ordi-
naire de l'Elysée) est contestée par la
science. L'excès d'horreur du crime
est, aux yeux des savants, une présomp-
tion d'irresponsabilité. Il est certain
que, de Papavoine à Ménesclou, on guil-
lotine des fous. Pour Ménesclou, on a
trouvé la preuve matérielle de la lésion
cérébrale (adhérence des méninges).
La raison pure — encore un coup,
j'écarte le sentiment — paraît donc
condamner la peine de mort.
En certains cas, la politique l'a con-
seillée. C'était le cas de Billoir, de Pré-
vost; c'est celui de Gamahut. Mais les
conseils de la politique suffisent-ils pour
répondre aux arguments multiples invo-
qués contre le dernier supplice? Il est
permis d'en douter, et il serait peut-être
plus équitable et plus sûr de chercher
dans la loi préventive des récidivistes
le remède nécessaire à l'augmentation
des crimes.
HENRY FOUQUIER. c
Un rédacteur du Voltaire est allé inter-
wiewer M. J. Ferry à son retour de Saint-Dié.
En réponse à une question de son interlocu-
teur relativement à son voyage éventuel
dans le midi de la Franco, M. J. Ferry a dit
qu' « il ne pouvait point ne pas parler aEpi-
nal », mais qu'il allait partir pour l'Italie.
« On insinuait, a répliqué le rédacteur * du
Voltaire, que votre voyage à Grenoble et
dans le Midi aurait pour but de préparer les
élections générales.
— C'est vouloir bien précipiter les choses
que de les annoncer ainsi, a répondu M. J.
Ferry. La période électorale n'est pas ou-
verte. Quand nous en serons là, je ne suis pas
homme à déserter la lutte. »
Le reste de l'entretien a porté sur les affai-
res de Chine. M. J. Ferry a déploré que le
public fût continuellement dupe de fausses
nouvelles.
LE CONFLIT ÉGYPTIEN
Les questions succèdent aux ques-
tions , les incidents aux incidents, et
l'affaire du Bosphore égyptien vient tout
à coup distraire l'opinion européenne
des affaires de l'Extrême-Orient. Ce
coup de force, si audacieusement exé-
cuté par le gouvernement du khédive,
emprunte une gravité toute particulière
à la situation ambiguë de l'Egypte, et
peut-être Nubar, en donnant l'ordre
d'envahir l'imprimerie Serrière, a-t-il
prononcé la parole magique qui doit en-
fin rompre le charme, déchirer les voi-
les et contraindre l'Angleterre à dire
franchement ce qu'elle fait dans la vallée
du Nil.
Il arrive assez souvent qu'un gouver-
nement oriental essaie d'empiéter sur
les droits que les traités et les capitula-
tions assurent aux Européens. Il est gê-
nant pour des pachas d'avoir à respec-
ter la liberté et la propriété, et les agents
d'un gouvernement absolu estiment
sincèrement qn'il est injuste de sous-
traire qui que ce soit à leurs vexations
arbitraires. Mais ces tentatives ne peu-
vent manquer d'échouer, parce que les
puissances civilisées sont en mesure de
mettre la force au service du droit.
Il n'en est pas de même dans l'affaire
du Bosphore égytien, et les ministres
qui font semblant d'exercer le pouvoir
au Caire se flattent, d'être à l'abri de
toute revendication. L'Egypte se croit
inattaquable en même temps qu'irres-
ponsable, parce qu'elle est sous la main
de l'Angleterre. Si l'on s'adresse au ca-
binet du khédive, il bravera toutes les
menaces derrière les canons britanni-
ques; si l'on s'adresse au cabinet bri-
tannique, il répondra que le khédive est
chez lui.
Un a a aoora pretendu que le gouver-
nement anglais se laverait les mains du
méfait de son protégé. Cependant il
faut reconnaître que M. Gladstone ne
décline pas toute responsabilité. Quant
à la presse de Londres, elle prend feu
avec une promptitude que les circons-
tances actuelles n'expliquent que trop
bien. Il y a huit jours, nos bons voisins
ne parlaient que de mettre les Russes
à la raison; toute réflexion faite, ils se
décident à se montrer eux-mêmes ex-
cessivement raisonnables. Le ministère,
que les chauvins britanniques taxaient
de poltronnerie, a peut-être vu dans un
conflit avec la France une douche pro-
pre à refroidir cette ardeur antimosco-
vite qui devenait imprudente. Un clou
chasse l'autre; la querelle d'aujourd'hui
fait oublier la querelle d'hier, et il suf-
fira peut-être de lâcher John Bull sur ce
nouvel adversaire pour que les empiéte-
ments du général Komaroff perdent
presque toute leur importance aux yeux
des concitoyens de Wellington.
Plus la reculade sera complète en
Afghanistan, plus nos ex-alliés de Cri-
mée seront hargneux à notre égard.
Rien n'est si dangereux que de marcher
sur le pied d'un homme qui vient d'em-
pocher un soufflet et qui n'a cependant
pas toute honte bue. Aussi ne sommes-
nous pas surpris de ce que les journaux
de Londres prennent un ton provocant
en s'adressant à nous. Chassés du Sou-
dan par le mahdi, humiliés par M. de
Bismarck qui les a obligés à renoncer
au monopole colonial, humiliés par la
Russie qui les contraint à ouvrir la
route d'Hérat après quelques vaines
criailleries, les Anglais sont exaspérés,
et ils sont assez convaincus de notre
humeur pacifique pour saisir enfin l'oc-
casion de montrer quelque fierté.
Il est certain que nos confrères de
Londres déploieront dans cette affaire
un héroïsme encore plus brillant que
dans la glorieuse campagne qu'ils vien-
nent de mener contre l'ambition mos-
covite Leur début promet, et la vail-
lance se retrouverait sous leur plume,
si elle était bannie du reste du monde.
Mais le procès qui s'engage n'est pas
uniquement du ressort de la presse, et
la tâche du gouvernement britannique
est moins facile que celle des gens qui
l'exhortent à étonner l'Europe par sa
fermeté. Si M. Gladstone avait franche-
ment avoué que l'Egypte fait, à ses
yeux, partie intégrante des possessions
de Sa Gracieuse Majesté, nous n'aurions
pas plus le droit de nous étonner de la
suppression d'un journal français du
Caire que s'il avait paru à Bénarès ou à
Montréal. Or l'Angleterre a jugé bon de
conserver une apparence de gouverne-
ment national en Egypte, pour exécu-
ter certaines œuvres dont elle ne vou-
lait pas porter le poids. Le jour où elle
approuve et autorise la violation auda-
cieuse des capitulations, elle substitue
la réalité au fantôme, et sa propre res-
ponsabilité à celle des mannequins dont
elle ornait les bords du Nil.
Ici ce n'est plus la France seulement
qui a des réparations à exiger, c'est
l'Europe tout entière qui a le droit et le
devoir de rappeler au cabinet de Lon-
dres ses protestations de désintéresse-
ment et ses déclarations réitérées au
sujet de l'Egypte. Il faudra qu'on nous
dise si cette intervention est une con-
quête et une annexion, et si, une fois
de plus, la parole de l'Angleterre a été
solennellement donnée à la face du
monde pour tromper le monde. Le chau-
vinisme" de la presse anglaise ne s'y
trompe pas, et les partisans de l'an-
nexion espèrent tout haut que l'annexion
sortira d'un conflit avec la France. L'E-
gypte vaut bien un manque de parole.
Mais on commence à savoir, même en
France, que le cabinet de Londres est
moins téméraire que la presse de Lon-
dres n'est provocante. Pour que nous
ne nous laissions pas terrifier, il nous
suffit de relire les articles foudroyants
que lançaient il y a quinze jours, sur
la Russie, ces mêmes feuilles dont l'ar-
tillerie est aujourd'hui braquée sur nous.
$
LE MOUVEMENT ÉLECTORAL
Il est peu probable que la session pro-
chaine, la dernière de la législature actuelle,
soit bien mouvementée. Les préoccupations
électorales domineront en effet la situation.
Déjà, dans un certain nombre de départe-
monts, les comités se sont constitués et les
listes sont prêtes, surtout dans les départe-
ments où il s'agit de. lutter contre les réac-
tionnaires coalisés.
M. Clémenceau et ses amis de l'Extrême-
Gauche ont l'intention de mener une campa-
gne fort active, surtout dans l'ouest et le
midi de la France. C'est à Bordeaux que le
leader de l'Extrême-Gauche prononcera son
premier discours-programme.
M. Clémenceau se rendra ensuite à Nar-
bonne, Marseille, Toulon, Draguignan et Avi-
gnon. ;,
Dans le Pas-de-Calais, nous pouvons an-
noncer une réunion d'une grande importance
qui aura lieu le 3 mai à Saint-Pol, et dans
laquelle M. Ribot exposera le programme des
républicains modérés et libéraux. A cette réu-
nion assisteront tous les députés républi-
cains du département qui se présenteront sur
la même liste. Ce sont MM. Georges Graux,
Bouillez-Bridou, Florent-Lefebvre, Fanien,
Desprez et Ansart-Raux.
Dans le discours qu'il prononcera à cette
occasion, M. Ribot, laissant de côté toutes
les questions qui pourraient diviser le parti
républicain se bornera à traiter les deux
questions qui seront la plateforme des réac-
tionnaires, le budget et la politique coloniale
et pius spécialement le Tonkin.
On connaît les idées de M. Ribot sur ces
deux questions.
L'orateur de l'Union démocratique, retra-
çant l'histoire de ces quinze années de Répu-
blique, s'attachera à mettre en lumière le
rôle du parti républicain modéré et libéral et
à justifier son attitude dans le Parlement.
Ce mouvement électoral ira certainement
en s'accentuant, et on peut compter que l'a-
cuité des discussions parlementaires en sera
singulièrement atténuée.
-
LA SESSION PARLEMENTAIRE
On sait que le Parlement reprendra ses tra-
vaux le lundi 4 mai. Dès lundi prochain
27 avril, la commission du budget se réunira
au Palais-Bourbon pour commencer l'examen
du projet de M. Tirard, auquel le nouveau
ministère s'est rallié.
Comme les rapports des budgets particu-
liers et le rapport général ne pourront guère
être déposés que dans la seconde quinzaine
de mai, le conseil des ministres s'est occupé
des projets de loi qui devront être discutés
par les deux Chambres, en attendant la dis-
cussion du budget.
Après une courte discussion, les ministres
sont tombés d'accord pour demander à la
Chambre d'examiner en premier lieu les lois
sur les récidivistes, sur les incompatibilités
et sur la réforme du Code d'instruction cri-
minelle.
Les lois militaires ne pourront être discu-
tées qu'ensuite par la Chambre. Il faut, en
effet, qu'avant le débat public le général
Campenon se mette d'accord avec la commis-
sion de l'armée.
Les lois sur les récidivistes et sur les in-
compatibilités émanent de l'initiative de la
Chambre. Elles ont été adoptées par le Sé-
nat avec certaines modifications que le con-
seil a examinées. Les rapports sont déposés
et ont été distribués depuis plusieurs semai-
nes aux députés. Afin de ne pas retarder le
vote définitif, il a été décidé par le conseil
des ministres que M. Allain-Targé demande-
rait à la Chambre d'adopter sans modifica-
tions les textes amendés par le Sénat.
Quant au projet sur la réforme du Code
d'instruction criminelle, l'initiative en appar-
tient au Sénat. La Chambre l'a adopté en
première lecture sur un remarquable rap-
port de M. René Goblet, aujourd'hui ministre
de l'instruction publique. Il s'agit de l'adop-
ter en seconde délibération. Mais la commis-
sion de la Chambre devra auparavant nom-
mer un rapporteur en remplacement de M.
Goblet. Ce sera, sans douîe, M. Bovier-La-
pierre, député de l'Isère.
Au Sénat, c'est la loi sur le scrutin de liste
qui viendra la première en discussion. M. De-
môle, le rapporteur, étant devenu ministre
des travaux publics, la commission sénato-
riale devra lui donner un successeur. Mais ce
sera là une pure formalité, car le rapport de
M. Demôle est distribué.
Le gouvernement demandera au Sénat de
voter la loi telle qu'elle est sortie des délibé-
rations de la Chambre ; il espère que la ma-
jorité républicaine du Luxembourg repous-
sera l'amendement qui a pour but de distraire
les étrangers du chiffre de la population pour
le calcul du nombre des députés par dépar-
tement.
Au cas où le Sénat adopterait cette disposi-
tion, la Chambre serait de nouveau appelée à
statuer.
Tel est l'ordre des premiers travaux législa-
tifs.
Il convient de prévoir, en outre, un cer-
tain nombre de questions ou d'interpellations
émanant de la Droite.
-00
L'ARMÉE DU CRIME
Les récidivistes se chargent chaque jour
de démontrer, à coups de couteau, la né-
cessité de la loi que le Parlement, après
une longue discussion, est sur le point de
voter contre eux. Après Marquelet, Gama-
hut ; après Gamahut, Marchandon. Et
nous ne parlons que des crimes les plus
récents, de ceux qui sont encore présents
à toutes les mémoires ; mais combien de
forfaits auraient pu être évités, depuis
trois ans que l'on discute la loi sur les ré-
cidivistes, si cette loi, beaucoup plus facile
à appliquer que ne le croient les abstrac-
teurs de quintessence, était restée moins
longtemps dans les cartons 1
Nous ignorons si Marchandon a des
complices dans le crime de la rue de Sèze,
mais les débats des procès qui lui ont
valu ses condamnations antérieures prou-
vaient que, comme Gamahut et comme
Marquelet, il faisait partie d'une bande.
Paris, sous le régime des lois actuelles,
est le paradis des récidivistes. Ils s'y asso-
cient, s'y rendent mutuellement des ser-
vices, s'indiquent les uns aux autres les
coups à tenter. Ils "sonî""comme enrégi-
mentés et forment l'armée du crime.
Trouvant de fréquentes occasions de vo.
1er et pouvant vivre uniquement du pro-
duit de leurs vols, ils envisagent, comme
un hasard qui doit se produire un jour ou
l'autre, le cas où ils seront obligés d'assas*
siner pour n'être pas pris.
Le plus terrible, c'est que le retour au
bien leur est, pour ainsi dire, interdit
dans les milieux où ils ont déjà commis
un certain nombre de vols. S'ils veulent
rompre avec leurs méprisables relations
d'autrefois, ils risquent d'être dénoncés et
de ne pouvoir gagner leur vie par des
moyens honnêtes. Ils sont donc forcés,
par leurs complicités antérieures, de rou-
ler de crime en crime jusque sur la route
qui mène à l'échafaud.
Prenez n'importe quel journal, par exem.
ple un journal d'aujourd'hui, et lisez les
faits divers et le compte rendu des tribu-
naux : trois malfaiteurs se sont introduits
pour voler chez un bijoutier, M. Fiaux.
L'un de ces voleurs, nommé Mitaine, a
vingt condamnations à son actif. Les deux
autres sont également des repris de jus-
tice. On juge une autre bande de voleurs
qui ont fondé, rue Colbert, un « comptoir
de reports ». L'un de ces individus, Fos..
set, a déjà été condamné dix fois. Un au-
tre, Aubert, a été condamné sept fois pour
filouterie, abus de confiance, faux en écri-
ture, etc. Et c'est chaque jour la même
chose.
Le public est las d'assister à ce défilé
d'incorrigibles qui mettent la ville à sac et
qui menacent la fortune et la vie de tous.
Hodie mihi, cras tibi. Hier Mme Ballerich,
aujourd'hui Mme Cornet; demain, peut-
être, une personne dont la vie nous est
aussi chère que la nôtre.
Il faut que la Chambre, dès sa rentrée,
se décide à voter rapidement la loi qui lui
est soumise. Il n'y a pas là l'ombre d'une
question politique, quoi qu'en disent les
intransigeants, mais une simple question
de salubrité. L'application de la loi contre
les récidivistes consommera seule la dé-
route de l'armée du crime.
P. F.
Voici quelques détails sur l'entrevue de M.
Allain-Targé et d'une délégation de la cham-
bre consultative des associations coopérati-
ves ouvrières de. production, où celles-ci ont
fait connaître à M. Allain-Targé tous leurs
désidérata.
Au sujet du sectionnement des lots, le mi-
nistre a déclaré qu'il allait mettre à l'étud »
un projet de loi qui sera déposé prochaine-
ment sur le bureau de la Chambre.
Pour les cautionnements, il existe déjà des
règlements qui peuvent être modifiés et dont
l'application doit être aussi libérale que
possible.
Les délégués se sont plaints des retards
pour les règlements de compte par les admi-
nistrations publiques. Il faut au moins six
mois pour le payement d'un mémoire, et cela
oblige des associations disposant de faibles
capitaux à des appels de fonds onéreux et
difficiles à trouver.
L'Etat et les villes ne favorisent pas suffi-
samment, ont-ils dit, les associations coopé-
ratives ouvrières, et exigent des certificats
d'aptitude qui gênent surtout les associations
encore à leur début.
M. Allain-Targé a promis de rechercher la
solution aux difficultés qui se produisent, et
d'étudier la question d'une exposition du tra-
vail pour 1889. -,
EN CHINE
La nouvelle donnée hier par un journal
anglais d'une aggression contre nos li-
gnes n'est pas encore confirmée. Il se
peut que les Pavillons-Noirs et autres ir-
réguliers chinois aient attaqué nos postes
de la rivière Claire et de Hong-Hoa; j'ose
même dire que rien n'est plus vraisembla-
ble. Il en sera ainsi longtemps encore..
Personne n'a pu supposer que les pirates
de toute robe désarmeraient hic et nunc.
Mais enfin, pour vraisemblable qu'elle
puisse être, la nouvelle est et reste an-
glaise jusqu'à plus ample informé.
M. Patenôtre est parti pour Tientsin où
il doit se rencontrer avec les plénipoten-
tiaires chinois.
On ne signale aucun incident en Chine
au sujet des négociations. -
*
* *
La Chine est d'ailleurs en passe de se
réconcilier avec le Japon. Un traité a été
signé entre les deux pays. La cour de Pé-
kin consent à retirer ses troupes de Corée.
Les Japonais en feront autant. Un corps de
gendarmerie sera organisé pour exercer la
police en Corée : il sera commandé par des
officiers étrangers.
Le Japon, d'ailleurs, ne renonce pas à
l'espoir de recommencer la lutte avec la
Chine sur d'autres points. Le gouvernement
de Tokio veut avoir aussi une marine sé-
rieuse. Il vient, paraît-il, de commander
des cuirassés, tout comme nos concurrents,
hier nos ennemis, qui ont deux beaux cui-
rassés sur chantiers à Kiel.
Il est vrai que la Chine n'a pas encore la
jouissance de ces deux bâtiments, l'Alle-
magne s'étant opposée jusqu'ici à leur dé-
part pour Shanghaï. La Gazette de Colo-
gne annonce que depuis la signature des
préliminaires de paix il règne une cer-
taine activité à bord des deux cuirassés
chinois. Correct jusqu'au bout, le gouver-
nement allemand les gardera sans doute à
l'ancre jusqu'à la conclusion définitive de
la paix.
* *
„ En attendant que M. Palenôtre ait ob-
tenu des mandarins de Pékin le dernier
mot sur la question qui nous divise, les
envois de troupes continuent et les prépa-
ratifs militaires sont poussés activement.
C'est de la prudence. Quoi qu'en ait pu
dire un de nos confrères en chroniques
militaires, 25,000 hommes ne suffisent pas
à tenir en respect les bandes chinoises et
à appuyer l'action de nos diplomates.
La paix serait faite deouis longtemps si
Prix du numéro à Paris : 15 centimes — Départements : 20 centimes
Mercredi 22 Avril 1885
LE Xir SIÈCLE
JOURNAL RÉPUBLICAIN CONSERVATEUR
RÉDACTION
S'adresser au Secrétaire de la Rédaction
de 2 heures à minuit
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lll,/20/0 108 15, 25, 22.
Turc. , , , , , 16 07.
Banque Ottomane. 541 87, 540, 541 25.
,Extérieure 56 13/16, 7/8, 13/16.
Egyptienne 312 50, 310, 311 56.
Hongrois. i 57 1/16.
BULLETIN
(/opinion qui a cours dans les cercles
diplomatiques est bien moins favorable
qu'il y a deux ou trois jours à une solution
pacifique du conflit anglo-russe. Une cor-
respondance de Vienne, adressée au Mor-
ning Post, déclare qu'aucun fait précis ne
justifie l'optimisme de certains journaux
en ce qui concerne la question afghane.
Et le Daily Telegraph publie une lettre de
Berlin où il est dit que la situation s'est
aggravée.
Des renseignements parlementaires pa-
raissent confirmer cette aggravation du
conflit entre les gouvernements de Lon-
dres et de Saint-Pétersbourg. Et si les né-
gociations continuent toujours, c'est une
croyance assez répandue dans le monde
des affaires et dans les cercles diplomati-
ques que la conclusion d'un arrangement
entre la Russie ét l'Angleterre n'est pas
près de se produire, et qu'en se prolon-
geant les négociations pourraient bien au
contraire rendre la guerre inévitable au
premier jour.
Le bruit a couru hier à Londres que la
Russie mettait comme condition sine quâ
non d'un accord avec l'Angleterre la ces-
sion de Pendjeh, Pul-i-Korti et Ak-Tèpe.
Quoi qu'il en soit, les pourparlers officieu-
sement engagés relativement à la délimi-
tation de la frontière afghane ont été in-
terrompus. Le fond du débat qui se
poursuit actuellement, c'est l'affaire du 30
mars, la victoire du général Komaroff sur
les Afghans, et sur ce point les déclara-
tions du chef de l'armée russe et du géné-
ral Lumsden sont des plus opposées.
Hier soir, lord Granville a fait à la
Chambre des lords, en déposant une de-
mande de crédits de onze millions de li-
vres sterling, dont plus de la moitié est
réservée pour des dépenses éventuelles et
dont le reste est affecté au Soudan,
une importante déclaration. Lord Gran-
ville a dit tout d'abord que le crédit de-
mandé pour le Soudan implique la néces-
sité d'une action hostile.
« Nous avons soigneusement examiné
notre situation militaire, a dit lord Gran-
ville, non seulement relativement au Sou-
dan, mais au point de vue de l'état géné-
ral des affaires publiques et de tous les
emplois probables de nos ressources mi-
litaires, y compris les forces que nous
avons au Soudan et qu'on pourrait rendre
disponibles au besoin pour faire un ser-
vice ailleurs.»
Lord Granville a proclamé la nécessité
d'occuper Souakim. Lord Granville a
ajouté:
f, « L'augmentation de nos ressources mi-
litaires , obtenue en tenant l'armée du
Soudan disponible pour servir ailleurs, est
tout à fait indépendante des demaudes de
grands renforts, faites récemment par le
gouvernement de l'Inde.
»Ces demandes seront couvertes entière-
ment par des mesures prises en Angle-
terre en laissant les forces stationnées
actuellement en Egypte et au Soudan
comme réserves additionnelles pour l'Inde
ou ailleurs. »
Lord Granville a dit en terminant :
« Notre plus grand désir est de rester
en relations amicales avec toutes les puis-
sances étrangères. L'augmentation de nos
moyens militaires et maritimes ne modi-
fiera pas notre désir de régler d'une ma-
nière pacifique tout différend existait
entre l'Angleterre et d'autres puissances.»
A la Chambre des communes, M. Glads-
tone a démenti les bruits d'une alliance
anglo-turque. Venant à la question af-
ghane, M. Gladstone a déclaré ensuite que
la réponse du général Lumsden à la de-
mande du gouvernement, en date du 10 avril
a été reçue ce matin ; elle contient, a dit
M. Gladstone, le rapport complet et dé-
taillé de ce que le général Lumsden re-
garde comme les points principaux du
pénible incident de Pendjeh. Son rapport
diffère sensiblement de celui du général
Komaroff.
M. Gladstone a conclu dans les mêmes
termes que lord Granville :
« Nous comprenons la gravité de la pro-
position et nous comptons avec confiance
sur le patriotisme du Parlement pour ac-
cueillir toute demande juste. Mais notre but
et notre désir, dans nos relations avec les
puissances, sont jusqu'à présent de savoir
s'il est possible d'obtenir par des moyens
pacifiques une solution juste et honorable
- des différends actuels ou futurs. »
La discussion du crédit a été fixée à
\undi.
Nous apprécions plus loin l'incident du
Bosphore égyptien. Voici les dernieas ren-
seignements qui nous parviennent à ce
sujet :
Hier matin, l'agent diplomatique fran-
çais a déclaré à Nubar-Pacha que le gou-
vernement français n'était pas satisfait de
sa réponse à la demande de réparation
dans l'affaire du Bosphore égyptien. L'a-
gent français a donné au gouvernement
égyptien jusqu'à quatre heures pour ré-
pondre.
A l'expiration de ce délai, Nubar-Pacha
a informé l'agent français que la Porte
avait approuvé l'action du gouvernement
égyptien. Il a ajouté qu'il était en commu-
nication avec le gouvernement anglais et
qu'il demandait une courte prolongation
du délai.
D'après une autre dépêche, la Porte
n'aurait pas fait connaître encore son
opinion à Nubar sur l'affaire du Bosphore,
et celui-ci aurait escompté hardiment son
approbation.
.On annonce enfin que des officiers an-
glais auraient visité les canons d'Alexan-
drie pour s'assurer s'ils sont en bon état.
Les renseignements les plus contradictoi-
res circulent au sujet de l'incident du
Bosphore. Voici, par exemple, ce que di-
sent le Standard et le Daily Telegraph.
La première de ces feuilles s'exprime
ainsi :
« Le différend qui s'est élevé entre la
France et l'Angleterre au sujet de la
suppression du Bosphore égyptien me-
nace de devenir sérieux. Cette affaire
a été examinée au conseil de cabinet qui
a eu lieu hier, et, à moins que le gouver-
rnement français ne rabatte de ses pré-
tentions, elle pourrait avoir des conséquen-
ces fort graves. »
Tout autre est le langage du Daily
Telegraph. D'après les informations de ce
journal, sir Evelyn Baring, en fournissant
des explications complètes sur les cir-
constances qui ont amené la suppression
du Bosphore égyptien, a exprimé l'avis
que le gouvernement égyptien, tout en
étant parfaitement dans son droit en arrê-
tant la publication d'un journal étranger
qui dirigeait des attaques contre lui, n'a
pas fait procéder à la fermeture de l'im-
primerie de M. Serrière avec toutes les
formalités légales exigées sous le régime
des capitulations.M. Evelyn Baring serait
donc d'avis que les représentations de la
France fussent accueillies avec un esprit
de conciliation et qu'on nous accordât une
satisfaction raisonnable.
——————— ———————
QUESTION DU JOUR
La peine de mort
Le bruit s'était répandu hier que l'as-
sassin de Mme veuve Ballerich avait vu
rejeter son pourvoi en grâce. A l'heure
où j'écris, rien n'est encore décidé. Ce
nous est une occasion de dire ce qu'on
doit penser de la peine de mort avant
qu'elle soit appliquée ou écartée une
fois de plus.
La peine de mort a des partisans et
des adversaires résolus, et, parmi eux,
on compte également des poètes, des
philosophes, des administrateurs et des
hommes spéciaux, criminalistes et ma-
gistrats. Troplong l'a défendue ; Faus-
tin-Hélie l'a combattue. Et, avec un
lyrisme presque égal, V. Hugo et de
Maistre en ont dit l'horreur ou la né-
cessité supérieure.
Quant à l'opinion du public, on peut
tenir pour vrai, en général, que la peine
de mort a pour partisans les campa-
gnards et les gens du peuple, qui en
sont restés, en matière de justice so-
ciale, à la théorie biblique de la peine
du talion. Elle a, également en géné-
ral, contre elle la bourgeoisie lettrée et
les philosophes, surtout depuis que les
doctrines physiologiques nouvelles sem-
blent, en bien des cas, retirer à l'être
humain tout ou partie de sa liberté d'ac-
tion.
Les raisons qu'invoquent les partisans
et les ennemis de la peine de mort sont
très variées, et, en les étudiant, on voit
le problème s'offrir à nous sous ses fa-
ces les plus diverses.
Les gens simples, le brave ouvrier, le
cultivateur, approuvent l'exécution des
assassins parce qu'ils trouvent là une
garantie absolue de défense sociale, un
exemple qui doit intimider quiconque
les voudrait imiter et aussi, comme je
le disais, une application du principe du
talion, qui leur paraît être ce que la jus-
tice humaine peut inventer de mieux.
Mais ces raisons sont vivement com-
battues par les abolitionnistes.
Il est certain que la loi du talion est
le reste d'un état de civilisation bar-
bare et, dès les temps les plus anciens,
on y avait renoncé déjà en admettant le
rachat du crime par une pénitence ou une
amende, par une compensation. Une so-
ciété savante ne peut se contenter de la
formule : « Œil pour œil, dent pour dent ».
Cette formule n'avait de valeur que dans
des civilisations où le crime commis
contre un particulier soulevait moins la
vindicte publique qu'il n'intéressait la
famille de la victime. L'Etat n'inter-
venait que pour régulariser et aider
une sorte de vendetta. Nous sommes
bien loin de ceci. Quand des crimes
sont commis, aujourd'hui, nous som-
mes en présence de deux théories
juridiques : l'une à laquelle reste at-
tachée presque toute la magistrature
et qui est la théorie de l'Eglise (qui fait
précéder le pardon de l'expiation), c'est
que la société tout entière est outragée
par l'attentat commis contre un de ses
membres et qu'elle le punit au nom
d'un droit supérieur qui est en elle. On
disait même encore, il n'y a pas bien
longtemps, dans les réquisitoires, que la
société « se vengeait ». Mais une autre
théorie est née, qui soutient que la so-
ciété n'a le droit ni de se venger ni
même de punir, n'ayant pas les éléments
pour juger, de façon absolue, la ques-
tion morale qui se pose à chaque crime.
Tout ce que peut faire la société, di-
sent les partisans de cette façon de voir,
c'est de se garantir contre le criminel.
Car le criminel, ajoutent volontiers les
savants, est presque toujours un fou,
tout au moins un demi-fou, qui n'a pas
agi avec la liberté de volonté que per-
sonne n'est assuré d'avoir. Pas de li-
berté, pas de responsabilité. La ques-
tion se résume à savoir si la mort est
le seul moyen et le moyen nécessaire
pour se garantir du criminel-aliéné.
Rien n'est plus grave que ce débat
philosophique, où les doctrines spiri-
tualistes sont aux prises avec les doc-
trines qu'on appelle matérialistes, et ce
débat, vieux comme le monde, n'est pas
près d'être résolu.
Il faut donc, abandonnant les régions
de la haute spéculation, réduire le débafc-
et n'en considérer que les côtés prati-
ques, non sans faire observer que,
parmi les philosophes qui tiennent pour
l'irresponsabilité morale du criminel, il
en est beaucoup que cette opinion n'em-
pêche pas d'accepter la peine de mort.
Le criminel, pour eux, est dangereux
encore plus qu'irresponsable, et d'au-
tant moins gnérissable qu'il est plus
irresponsable. Il faut le supprimer sans
colère, mais comme on détruit un
fauve.
Il y a même des fantaisistes qui, par-
tant d'une observation faite sur la folie
héréditaire, proposent la déportation
préalable des enfants des criminels !
En l'état, laissant les théories et refu-
sant d'attribuer à la science physiolo-
gique l'absolue certitude qu'elle refuse
elle-même à la psychologie classique,
il faut simplement se demander si l'ap-
plication de la peine de mort, qui répu-
gne à notre sentimentalisme dont je ne
veux pas médire, mais qui pourrait
s'exercer mieux qu'à propos des crimi-
nels, est indispensable comme garantie,
équitablement appliquée comme puni-
tion et utile comme exemple ?
Voilà tout le problème actuel, qui ré-
pond à toutes les théories et à toutes
les opinions.
L'expérience paraît démontrer que la
peine de mort est inefficace comme
exemple. Et cela est si bien senti par
les hommes compétents et pratiques
qui règlent les exécutions, qu'on leur
enlève de plus en plus toute -solennité,
et que ce soir, à dix heures, on refuse
encore de faire savoir si, oui ou non,
Gamahut sera guillotiné dans quelques
heures. Les abolitionnistes ont raison
quand ils demandent qu'on supprime
l'échafaud ou qu'on le rétablisse en
plein jour, sur la place d'un marché,
avec tout l'appareil de la punition exem-
plaire. C'est pour cela que l'exécution
dans les prisons paraît, et à bon droit,
un expédient qui satisfait nos sensibili-
tés, mais ne répond à aucune conception
logique sur le droit de punir.
La peine de mort est-elle nécessaire
comme garantie ? A coup sûr, il n'y en
a pas de plus efficace. On peut cepen-
dant assurer que les cas d'évasion des
déportés à vie sont assez rares pour que
la garantie de la déportation ou de la
prison perpétuelle soit suffisante.
Enfin, et c'est là le point le plus déli-
cat, la peine de mort, considérée com-
me une punition, est-elle appliquée
avec équité et peut-elle l'être ?
Ici, d'abord, on rencontre l'argument
de l'erreur judiciaire : mais cet argu-
ment n'a pas grande valeur. Si la peine
de mort est utile, une erreur sur mille,
fâcheuse, irréparable, ne suffirait pas à
la faire condamner. L'erreur est fatale
à toutes les choses humaines et jamais
une loi sociale ne doit compter avec une
exception, j
Ce qui est plus important, ce qui
choque davantage l'équité, c'est la part
de hasard qui entre dans les condam-
nations et dans l'exercice du droit de
grâce même. L'inégalité de traitement
est effroyable. On exécutera, dit-on,
Gamahut. Il y a quinze jours un homme
qui a violé une petite fille, l'a tuée,
coupée en morceaux, a obtenu des cir-
constances atténuantes. Pourquoi? Un
hasard dans le tirage au sort des jurés.
Billoir, honnête jusqu'au crime, a été
exécuté. De même tel ou tel, qui n'é-
tait pas récidiviste. Et on a gracié tel
ou tel autre, assassin de profession.
Et on a fusillé, parce qu'il était en-
gagé volontaire, un garçon de dix-
huit ans, pour un seul assassinat! La
jurisprudence même qui fait de l'atro-
cité du crime une raison du refus de la
grâce (et qui est la jurisprudence ordi-
naire de l'Elysée) est contestée par la
science. L'excès d'horreur du crime
est, aux yeux des savants, une présomp-
tion d'irresponsabilité. Il est certain
que, de Papavoine à Ménesclou, on guil-
lotine des fous. Pour Ménesclou, on a
trouvé la preuve matérielle de la lésion
cérébrale (adhérence des méninges).
La raison pure — encore un coup,
j'écarte le sentiment — paraît donc
condamner la peine de mort.
En certains cas, la politique l'a con-
seillée. C'était le cas de Billoir, de Pré-
vost; c'est celui de Gamahut. Mais les
conseils de la politique suffisent-ils pour
répondre aux arguments multiples invo-
qués contre le dernier supplice? Il est
permis d'en douter, et il serait peut-être
plus équitable et plus sûr de chercher
dans la loi préventive des récidivistes
le remède nécessaire à l'augmentation
des crimes.
HENRY FOUQUIER. c
Un rédacteur du Voltaire est allé inter-
wiewer M. J. Ferry à son retour de Saint-Dié.
En réponse à une question de son interlocu-
teur relativement à son voyage éventuel
dans le midi de la Franco, M. J. Ferry a dit
qu' « il ne pouvait point ne pas parler aEpi-
nal », mais qu'il allait partir pour l'Italie.
« On insinuait, a répliqué le rédacteur * du
Voltaire, que votre voyage à Grenoble et
dans le Midi aurait pour but de préparer les
élections générales.
— C'est vouloir bien précipiter les choses
que de les annoncer ainsi, a répondu M. J.
Ferry. La période électorale n'est pas ou-
verte. Quand nous en serons là, je ne suis pas
homme à déserter la lutte. »
Le reste de l'entretien a porté sur les affai-
res de Chine. M. J. Ferry a déploré que le
public fût continuellement dupe de fausses
nouvelles.
LE CONFLIT ÉGYPTIEN
Les questions succèdent aux ques-
tions , les incidents aux incidents, et
l'affaire du Bosphore égyptien vient tout
à coup distraire l'opinion européenne
des affaires de l'Extrême-Orient. Ce
coup de force, si audacieusement exé-
cuté par le gouvernement du khédive,
emprunte une gravité toute particulière
à la situation ambiguë de l'Egypte, et
peut-être Nubar, en donnant l'ordre
d'envahir l'imprimerie Serrière, a-t-il
prononcé la parole magique qui doit en-
fin rompre le charme, déchirer les voi-
les et contraindre l'Angleterre à dire
franchement ce qu'elle fait dans la vallée
du Nil.
Il arrive assez souvent qu'un gouver-
nement oriental essaie d'empiéter sur
les droits que les traités et les capitula-
tions assurent aux Européens. Il est gê-
nant pour des pachas d'avoir à respec-
ter la liberté et la propriété, et les agents
d'un gouvernement absolu estiment
sincèrement qn'il est injuste de sous-
traire qui que ce soit à leurs vexations
arbitraires. Mais ces tentatives ne peu-
vent manquer d'échouer, parce que les
puissances civilisées sont en mesure de
mettre la force au service du droit.
Il n'en est pas de même dans l'affaire
du Bosphore égytien, et les ministres
qui font semblant d'exercer le pouvoir
au Caire se flattent, d'être à l'abri de
toute revendication. L'Egypte se croit
inattaquable en même temps qu'irres-
ponsable, parce qu'elle est sous la main
de l'Angleterre. Si l'on s'adresse au ca-
binet du khédive, il bravera toutes les
menaces derrière les canons britanni-
ques; si l'on s'adresse au cabinet bri-
tannique, il répondra que le khédive est
chez lui.
Un a a aoora pretendu que le gouver-
nement anglais se laverait les mains du
méfait de son protégé. Cependant il
faut reconnaître que M. Gladstone ne
décline pas toute responsabilité. Quant
à la presse de Londres, elle prend feu
avec une promptitude que les circons-
tances actuelles n'expliquent que trop
bien. Il y a huit jours, nos bons voisins
ne parlaient que de mettre les Russes
à la raison; toute réflexion faite, ils se
décident à se montrer eux-mêmes ex-
cessivement raisonnables. Le ministère,
que les chauvins britanniques taxaient
de poltronnerie, a peut-être vu dans un
conflit avec la France une douche pro-
pre à refroidir cette ardeur antimosco-
vite qui devenait imprudente. Un clou
chasse l'autre; la querelle d'aujourd'hui
fait oublier la querelle d'hier, et il suf-
fira peut-être de lâcher John Bull sur ce
nouvel adversaire pour que les empiéte-
ments du général Komaroff perdent
presque toute leur importance aux yeux
des concitoyens de Wellington.
Plus la reculade sera complète en
Afghanistan, plus nos ex-alliés de Cri-
mée seront hargneux à notre égard.
Rien n'est si dangereux que de marcher
sur le pied d'un homme qui vient d'em-
pocher un soufflet et qui n'a cependant
pas toute honte bue. Aussi ne sommes-
nous pas surpris de ce que les journaux
de Londres prennent un ton provocant
en s'adressant à nous. Chassés du Sou-
dan par le mahdi, humiliés par M. de
Bismarck qui les a obligés à renoncer
au monopole colonial, humiliés par la
Russie qui les contraint à ouvrir la
route d'Hérat après quelques vaines
criailleries, les Anglais sont exaspérés,
et ils sont assez convaincus de notre
humeur pacifique pour saisir enfin l'oc-
casion de montrer quelque fierté.
Il est certain que nos confrères de
Londres déploieront dans cette affaire
un héroïsme encore plus brillant que
dans la glorieuse campagne qu'ils vien-
nent de mener contre l'ambition mos-
covite Leur début promet, et la vail-
lance se retrouverait sous leur plume,
si elle était bannie du reste du monde.
Mais le procès qui s'engage n'est pas
uniquement du ressort de la presse, et
la tâche du gouvernement britannique
est moins facile que celle des gens qui
l'exhortent à étonner l'Europe par sa
fermeté. Si M. Gladstone avait franche-
ment avoué que l'Egypte fait, à ses
yeux, partie intégrante des possessions
de Sa Gracieuse Majesté, nous n'aurions
pas plus le droit de nous étonner de la
suppression d'un journal français du
Caire que s'il avait paru à Bénarès ou à
Montréal. Or l'Angleterre a jugé bon de
conserver une apparence de gouverne-
ment national en Egypte, pour exécu-
ter certaines œuvres dont elle ne vou-
lait pas porter le poids. Le jour où elle
approuve et autorise la violation auda-
cieuse des capitulations, elle substitue
la réalité au fantôme, et sa propre res-
ponsabilité à celle des mannequins dont
elle ornait les bords du Nil.
Ici ce n'est plus la France seulement
qui a des réparations à exiger, c'est
l'Europe tout entière qui a le droit et le
devoir de rappeler au cabinet de Lon-
dres ses protestations de désintéresse-
ment et ses déclarations réitérées au
sujet de l'Egypte. Il faudra qu'on nous
dise si cette intervention est une con-
quête et une annexion, et si, une fois
de plus, la parole de l'Angleterre a été
solennellement donnée à la face du
monde pour tromper le monde. Le chau-
vinisme" de la presse anglaise ne s'y
trompe pas, et les partisans de l'an-
nexion espèrent tout haut que l'annexion
sortira d'un conflit avec la France. L'E-
gypte vaut bien un manque de parole.
Mais on commence à savoir, même en
France, que le cabinet de Londres est
moins téméraire que la presse de Lon-
dres n'est provocante. Pour que nous
ne nous laissions pas terrifier, il nous
suffit de relire les articles foudroyants
que lançaient il y a quinze jours, sur
la Russie, ces mêmes feuilles dont l'ar-
tillerie est aujourd'hui braquée sur nous.
$
LE MOUVEMENT ÉLECTORAL
Il est peu probable que la session pro-
chaine, la dernière de la législature actuelle,
soit bien mouvementée. Les préoccupations
électorales domineront en effet la situation.
Déjà, dans un certain nombre de départe-
monts, les comités se sont constitués et les
listes sont prêtes, surtout dans les départe-
ments où il s'agit de. lutter contre les réac-
tionnaires coalisés.
M. Clémenceau et ses amis de l'Extrême-
Gauche ont l'intention de mener une campa-
gne fort active, surtout dans l'ouest et le
midi de la France. C'est à Bordeaux que le
leader de l'Extrême-Gauche prononcera son
premier discours-programme.
M. Clémenceau se rendra ensuite à Nar-
bonne, Marseille, Toulon, Draguignan et Avi-
gnon. ;,
Dans le Pas-de-Calais, nous pouvons an-
noncer une réunion d'une grande importance
qui aura lieu le 3 mai à Saint-Pol, et dans
laquelle M. Ribot exposera le programme des
républicains modérés et libéraux. A cette réu-
nion assisteront tous les députés républi-
cains du département qui se présenteront sur
la même liste. Ce sont MM. Georges Graux,
Bouillez-Bridou, Florent-Lefebvre, Fanien,
Desprez et Ansart-Raux.
Dans le discours qu'il prononcera à cette
occasion, M. Ribot, laissant de côté toutes
les questions qui pourraient diviser le parti
républicain se bornera à traiter les deux
questions qui seront la plateforme des réac-
tionnaires, le budget et la politique coloniale
et pius spécialement le Tonkin.
On connaît les idées de M. Ribot sur ces
deux questions.
L'orateur de l'Union démocratique, retra-
çant l'histoire de ces quinze années de Répu-
blique, s'attachera à mettre en lumière le
rôle du parti républicain modéré et libéral et
à justifier son attitude dans le Parlement.
Ce mouvement électoral ira certainement
en s'accentuant, et on peut compter que l'a-
cuité des discussions parlementaires en sera
singulièrement atténuée.
-
LA SESSION PARLEMENTAIRE
On sait que le Parlement reprendra ses tra-
vaux le lundi 4 mai. Dès lundi prochain
27 avril, la commission du budget se réunira
au Palais-Bourbon pour commencer l'examen
du projet de M. Tirard, auquel le nouveau
ministère s'est rallié.
Comme les rapports des budgets particu-
liers et le rapport général ne pourront guère
être déposés que dans la seconde quinzaine
de mai, le conseil des ministres s'est occupé
des projets de loi qui devront être discutés
par les deux Chambres, en attendant la dis-
cussion du budget.
Après une courte discussion, les ministres
sont tombés d'accord pour demander à la
Chambre d'examiner en premier lieu les lois
sur les récidivistes, sur les incompatibilités
et sur la réforme du Code d'instruction cri-
minelle.
Les lois militaires ne pourront être discu-
tées qu'ensuite par la Chambre. Il faut, en
effet, qu'avant le débat public le général
Campenon se mette d'accord avec la commis-
sion de l'armée.
Les lois sur les récidivistes et sur les in-
compatibilités émanent de l'initiative de la
Chambre. Elles ont été adoptées par le Sé-
nat avec certaines modifications que le con-
seil a examinées. Les rapports sont déposés
et ont été distribués depuis plusieurs semai-
nes aux députés. Afin de ne pas retarder le
vote définitif, il a été décidé par le conseil
des ministres que M. Allain-Targé demande-
rait à la Chambre d'adopter sans modifica-
tions les textes amendés par le Sénat.
Quant au projet sur la réforme du Code
d'instruction criminelle, l'initiative en appar-
tient au Sénat. La Chambre l'a adopté en
première lecture sur un remarquable rap-
port de M. René Goblet, aujourd'hui ministre
de l'instruction publique. Il s'agit de l'adop-
ter en seconde délibération. Mais la commis-
sion de la Chambre devra auparavant nom-
mer un rapporteur en remplacement de M.
Goblet. Ce sera, sans douîe, M. Bovier-La-
pierre, député de l'Isère.
Au Sénat, c'est la loi sur le scrutin de liste
qui viendra la première en discussion. M. De-
môle, le rapporteur, étant devenu ministre
des travaux publics, la commission sénato-
riale devra lui donner un successeur. Mais ce
sera là une pure formalité, car le rapport de
M. Demôle est distribué.
Le gouvernement demandera au Sénat de
voter la loi telle qu'elle est sortie des délibé-
rations de la Chambre ; il espère que la ma-
jorité républicaine du Luxembourg repous-
sera l'amendement qui a pour but de distraire
les étrangers du chiffre de la population pour
le calcul du nombre des députés par dépar-
tement.
Au cas où le Sénat adopterait cette disposi-
tion, la Chambre serait de nouveau appelée à
statuer.
Tel est l'ordre des premiers travaux législa-
tifs.
Il convient de prévoir, en outre, un cer-
tain nombre de questions ou d'interpellations
émanant de la Droite.
-00
L'ARMÉE DU CRIME
Les récidivistes se chargent chaque jour
de démontrer, à coups de couteau, la né-
cessité de la loi que le Parlement, après
une longue discussion, est sur le point de
voter contre eux. Après Marquelet, Gama-
hut ; après Gamahut, Marchandon. Et
nous ne parlons que des crimes les plus
récents, de ceux qui sont encore présents
à toutes les mémoires ; mais combien de
forfaits auraient pu être évités, depuis
trois ans que l'on discute la loi sur les ré-
cidivistes, si cette loi, beaucoup plus facile
à appliquer que ne le croient les abstrac-
teurs de quintessence, était restée moins
longtemps dans les cartons 1
Nous ignorons si Marchandon a des
complices dans le crime de la rue de Sèze,
mais les débats des procès qui lui ont
valu ses condamnations antérieures prou-
vaient que, comme Gamahut et comme
Marquelet, il faisait partie d'une bande.
Paris, sous le régime des lois actuelles,
est le paradis des récidivistes. Ils s'y asso-
cient, s'y rendent mutuellement des ser-
vices, s'indiquent les uns aux autres les
coups à tenter. Ils "sonî""comme enrégi-
mentés et forment l'armée du crime.
Trouvant de fréquentes occasions de vo.
1er et pouvant vivre uniquement du pro-
duit de leurs vols, ils envisagent, comme
un hasard qui doit se produire un jour ou
l'autre, le cas où ils seront obligés d'assas*
siner pour n'être pas pris.
Le plus terrible, c'est que le retour au
bien leur est, pour ainsi dire, interdit
dans les milieux où ils ont déjà commis
un certain nombre de vols. S'ils veulent
rompre avec leurs méprisables relations
d'autrefois, ils risquent d'être dénoncés et
de ne pouvoir gagner leur vie par des
moyens honnêtes. Ils sont donc forcés,
par leurs complicités antérieures, de rou-
ler de crime en crime jusque sur la route
qui mène à l'échafaud.
Prenez n'importe quel journal, par exem.
ple un journal d'aujourd'hui, et lisez les
faits divers et le compte rendu des tribu-
naux : trois malfaiteurs se sont introduits
pour voler chez un bijoutier, M. Fiaux.
L'un de ces voleurs, nommé Mitaine, a
vingt condamnations à son actif. Les deux
autres sont également des repris de jus-
tice. On juge une autre bande de voleurs
qui ont fondé, rue Colbert, un « comptoir
de reports ». L'un de ces individus, Fos..
set, a déjà été condamné dix fois. Un au-
tre, Aubert, a été condamné sept fois pour
filouterie, abus de confiance, faux en écri-
ture, etc. Et c'est chaque jour la même
chose.
Le public est las d'assister à ce défilé
d'incorrigibles qui mettent la ville à sac et
qui menacent la fortune et la vie de tous.
Hodie mihi, cras tibi. Hier Mme Ballerich,
aujourd'hui Mme Cornet; demain, peut-
être, une personne dont la vie nous est
aussi chère que la nôtre.
Il faut que la Chambre, dès sa rentrée,
se décide à voter rapidement la loi qui lui
est soumise. Il n'y a pas là l'ombre d'une
question politique, quoi qu'en disent les
intransigeants, mais une simple question
de salubrité. L'application de la loi contre
les récidivistes consommera seule la dé-
route de l'armée du crime.
P. F.
Voici quelques détails sur l'entrevue de M.
Allain-Targé et d'une délégation de la cham-
bre consultative des associations coopérati-
ves ouvrières de. production, où celles-ci ont
fait connaître à M. Allain-Targé tous leurs
désidérata.
Au sujet du sectionnement des lots, le mi-
nistre a déclaré qu'il allait mettre à l'étud »
un projet de loi qui sera déposé prochaine-
ment sur le bureau de la Chambre.
Pour les cautionnements, il existe déjà des
règlements qui peuvent être modifiés et dont
l'application doit être aussi libérale que
possible.
Les délégués se sont plaints des retards
pour les règlements de compte par les admi-
nistrations publiques. Il faut au moins six
mois pour le payement d'un mémoire, et cela
oblige des associations disposant de faibles
capitaux à des appels de fonds onéreux et
difficiles à trouver.
L'Etat et les villes ne favorisent pas suffi-
samment, ont-ils dit, les associations coopé-
ratives ouvrières, et exigent des certificats
d'aptitude qui gênent surtout les associations
encore à leur début.
M. Allain-Targé a promis de rechercher la
solution aux difficultés qui se produisent, et
d'étudier la question d'une exposition du tra-
vail pour 1889. -,
EN CHINE
La nouvelle donnée hier par un journal
anglais d'une aggression contre nos li-
gnes n'est pas encore confirmée. Il se
peut que les Pavillons-Noirs et autres ir-
réguliers chinois aient attaqué nos postes
de la rivière Claire et de Hong-Hoa; j'ose
même dire que rien n'est plus vraisembla-
ble. Il en sera ainsi longtemps encore..
Personne n'a pu supposer que les pirates
de toute robe désarmeraient hic et nunc.
Mais enfin, pour vraisemblable qu'elle
puisse être, la nouvelle est et reste an-
glaise jusqu'à plus ample informé.
M. Patenôtre est parti pour Tientsin où
il doit se rencontrer avec les plénipoten-
tiaires chinois.
On ne signale aucun incident en Chine
au sujet des négociations. -
*
* *
La Chine est d'ailleurs en passe de se
réconcilier avec le Japon. Un traité a été
signé entre les deux pays. La cour de Pé-
kin consent à retirer ses troupes de Corée.
Les Japonais en feront autant. Un corps de
gendarmerie sera organisé pour exercer la
police en Corée : il sera commandé par des
officiers étrangers.
Le Japon, d'ailleurs, ne renonce pas à
l'espoir de recommencer la lutte avec la
Chine sur d'autres points. Le gouvernement
de Tokio veut avoir aussi une marine sé-
rieuse. Il vient, paraît-il, de commander
des cuirassés, tout comme nos concurrents,
hier nos ennemis, qui ont deux beaux cui-
rassés sur chantiers à Kiel.
Il est vrai que la Chine n'a pas encore la
jouissance de ces deux bâtiments, l'Alle-
magne s'étant opposée jusqu'ici à leur dé-
part pour Shanghaï. La Gazette de Colo-
gne annonce que depuis la signature des
préliminaires de paix il règne une cer-
taine activité à bord des deux cuirassés
chinois. Correct jusqu'au bout, le gouver-
nement allemand les gardera sans doute à
l'ancre jusqu'à la conclusion définitive de
la paix.
* *
„ En attendant que M. Palenôtre ait ob-
tenu des mandarins de Pékin le dernier
mot sur la question qui nous divise, les
envois de troupes continuent et les prépa-
ratifs militaires sont poussés activement.
C'est de la prudence. Quoi qu'en ait pu
dire un de nos confrères en chroniques
militaires, 25,000 hommes ne suffisent pas
à tenir en respect les bandes chinoises et
à appuyer l'action de nos diplomates.
La paix serait faite deouis longtemps si
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