Titre : Le XIXe siècle : journal quotidien politique et littéraire / directeur-rédacteur en chef : Gustave Chadeuil
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1885-04-20
Contributeur : Chadeuil, Gustave (1821-1896). Directeur de publication
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Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
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Description : 20 avril 1885 20 avril 1885
Description : 1885/04/20 (A15,N4853). 1885/04/20 (A15,N4853).
Droits : Consultable en ligne
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Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-199
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 09/04/2013
Quinzième année. — Ne 4853 Prix du numéro à Paris : 15 centimes — Départements : 20 centunes Lundi 20 Avril ti)
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Et 15, Tichborne Street, (Café Monico. 2d.}
BULLETIN
Nous avons publié hier, avec de pru-
dentes réserves, la nouvelle qu'une grave
insurrection avait éclaté en Espagne.
L'ambassade nous communique, à ce pro-
pos, la note suivante :
« Les bruits d'une prétendue insurrec-
tion en Espagne ont couru hier à la
Bourse. Les nouvelles officielles et privées
reçues à l'ambassade nous autorisent à
déclarer que ces bruits sont inexacts, l'or-
dre public 'n'ayant pas été troublé un seul
instant en Espagne. »
Les nouvelles du conflit anglo-russe
sont de plus en plus pacifiques. Nous les
apprécions plus loin.
On mande de Souakim qu'un messager
qui vient d'arriver dans cette ville an-
nonce que la tribu des Amaraset plusieurs
autres moins importantes désirent se join-
dre aux Anglais pour combattre Osman-
Digma. Trois colonnes anglaises parties
de Souakim, Handoub et Otao ont opéré
une reconnaissance sur Deberet. Elles
n'ont vu, paraît-il, qu'un petit nombre
d'ennemis qui se sont retirés à leur appro-
che.Les troupes anglaises , néanmoins ,
sont revenues après avoir brûlé Hasheen.
Mardi prochain, le cabinet Bernaert pré-
sentera à la Chambre des représentants
belges le projet de loi autorisant le roi à
accepter la souveraineté de l'Etat libre du
Congo. La majorité est acquise a ce projet
dans les deux Chambres.
La création de ce royaume est, sem-
ble-t-il, en contradiction avec le droit de
préemption que la France s'est réservé
surles terres de la fameuse et fallacieuse
Association internationale africaine. Nous
aurons d'ailleurs le loisir de traiter à fond
cette question. ,
QUESTION DU JOUR
La paix anglo-russe
La nouvelle d'une conclusion pacifi-
que du conflit anglo-russe en Afghanis-
tan paraît de plus en plus probable. Ce
fut d'abord rumeur légère, provenant
des cercles bien informés de Berlin.
Aujourd'hui, pour que la guerre éclate,
il faudrait un événement imprévu, et il
n'est pas bien certain même que l'occu-
pation « provisoire » de Hérat par les
troupes du général Komaroff serait con-
sidérée comme un casus belli. Il y a
huit jours, la guerre contre la Rus-
sie était en Angleterre et aux Indes, à
en juger par les communications peut-
être légèrement hyperboliques de lord
Duffeim, qui est un homme d'Etat, la
guerre attendue, la guerre nécessaire et
sainte.
Aujourd'hui, l'opinion publique s'est
fort calmée. Les journaux de Londres
disaient, il y a une semaine, avec une su-
perbe fierté, qu'il ne pouvait être ques-
tion d'un arrangement avec la Russie tant
que le général Komaroff n'aurait pas été
rappelé, et qu'il fallait au moins une
éclatante satisfaction morale à la poli-
tique de l'Angleterre dans la question af-
ghane ; ils en sont venus, par un progrès
lent et convenablement ménagé, pour
que l'honneur national parût sauf, à
dire tout haut qu'après tout les Russes
n'avaient pas fait un si grand pas en
avant par la victoire du général Koma-
roff; qu'il n'y avait peut-être, dans la
rencontre du 31 mars, qu'un incident ;
que l'administration provisoirement im-
posée par la Russie à Pendjeh pouvait
être expliquée et excusée, eu égard aux
circonstances ; enfin, que le jeu ne vaut
pas le moindre bout de chandelle. Et
ces journaux publient déjà des projets
d'arrangement diplomatique, des plans
de modus vivendi entre l'Angleterre et
la Russie
Voici i|#elles «feraient les bases de l'ac-
cord prochain. L'Angleterre, sans mettre
d'entêtement à tirer une réparation so-
lennelle du combat d'Ak-Tepe, où les
Afghans mirent si bien à profit le con-
seil connu :
Les pieds sauvent la personne;
Il n'est que de bien courir,
céderait Pendjeh aux Russes à titre défi-
nitif. En échange, la Russie octroierait à
l'émir une bande de terrain près de Zul-
fikar. Et, sous peu, il serait procédé à la
délimitation officielle des frontières de
l'Afghanistan. L'Angleterre insisterait
pour que lés négociations se fissent à
Londres ; cette victoire diplomatique,
si elle la remportait, lui paraîtrait un
dédommagement suffisant de toutes les
concessions qu'elle ferait d'autre part.
Les Anglais prennent donc aisément
leur parti de l'humiliation nouvelle qu'ils
viennent de subir en Afghanistan, et
qu'ils arriveront mieux à se cacher à eux-
mêmes qu'à l'Europe et aux Indous. Ils
ont procédé à l'égard de la Russie par
intimidation. Le gouvernement a, non
sans fracas, rappelé sous les drapeaux
les réserves, donné l'ordre à la flotte
de se tenir prête à toutes les éventuali-
tés, fait connaître urbi et orbi le dé-
vouement des radjahs au drapeau an-
glais ; lord Dufferin a tenté de trans-
former l'émir de l'Afghanistan en épou-
vantail pour les Russes; cette mise en
scène n'a pas empêché M. de Giers de
maintenir tranquillement et résolument
les prétentions de la Russie; et l'Angle-
terre, sans y persévérer un instant, ac-
cepte à cette heure les faits accomplis
et leurs conséquences futures, qui sont
graves. Elle n'aurait pu faire la guerre
à la Russie d'une façon sérieuse en Af-
ghanistan et (à supposer que l'émit
apportât le même zèle patriotique qu'un
colonel des gardes au service de la
reine Victoria, impératrice des Indes),
n'aurait pu que résister un an peut-être
à l'armée du général Komaroff en
concentrant ses meilleures troupes à
Kandahar et à Caboul.
Transporter la guerre en Europe,
c'est-à-dire forcer le passage des Dar-
danelles, ç'eût été rouvrir la question
d'Orient, et courir au-devant des plus
redoutables complications. On comprend
que l'Angleterre ait hésité et qu'elle
n'ait pas voulu courir la chance d'une
défaite qui aurait pu être désastreuse
pour elle dans les conditions où elle ?e
trouve actuellement et qui sont de tout
point déplorables. Car depuis un an
l'Angleterre, par une juste et inévitable
punition de sa politique égoïste et en-
vahissante, n'a eu à enregistrer que des
échecs qui, en se répétant, ont porté
une atteinte grave à son prestige en
Europe et ailleurs encore.
Enumérer ces échecs équivaut pres-
que à faire un voyage autour du monde.
Il y a quelques mois, sa politique hautaine
et jalouse était battue en brèche à An-
gra-Pequenha par un simple négociant
de Hambourg. L'orgueilleuse Angleterre
était obligée de s'effacer devant les re-
vendications de l'Allemagne décidée à
prendre pied sur le continent africain et
à défendre les droits de ses nationaux.
Elle a essayé de résister: elle n'a pas
insisté en présence du langage ferme de
l'ambassadeur de Berlin, et le drapeau
allemand flotte sur la côte occidentale
d'Afrique.
A quelques semaines de distance, l'a-
mour-propre de l'Angleterre était soumis
à une nouvelle épreuve plus cruelle en-
core dans l'océan Pacifique. En dépit de
ses représentations, malgré la présence
de ses cuirassés et les protestations de
ses commodores, l'Allemagne, qui entre
à toutes voites dans le courant de la
politique coloniale, prenait pied en Nou-
velle-Guinée et s'adjugeait, sans autre
forme de procès, une partie de ce vaste
territoire. Les colonies anglaises de
l'Australie ne sont pas revenues de leur
étonnement. Elles accablent la métro-
pole de leurs plaintes et la secrétairerie
des colonies de leurs objurgations.
L'Angleterre fait la sourde oreille. Elle
subit ce qu'elle ne se sent plus la force
d'empêcher. Faut-il parler de son échec
en Egypte et de son équipée au Sou-
dan qui tourne au désastre ? Khartoum
lui a échappé, le mahdi l'a refoulée vers
le Delta du Nil, le général Graham n'at-
tend qu'un signal pour s'embarquer à
Souakim avec son corps d'armée et le
cabinet de Londres paraît réduit à l'hu-
miliante nécessité d'accepter le con-
cours de l'Italie pour sauver ses posi-
tions en Egypte. En Asie, sa situation
n'est ni plus brillante ni plus solide.
Elle laisse écraser à Pendjeh par les
Russes les Afghans qu'elle protège par
définition. Elle ne sait ni empêcher une
collision ni réparer l'échec de ses alliés.
Elle ne le tente même pas.
Ainsi, échec en Afrique, échec en
Egypte, échec en Océanie, échec en
Asie, tel est le bilan de la politique an-
glaise en moins de six mois, sans par-
ler de la Chine, qui s'embarquait folle-
ment dans une guerre ruineuse, sur la
foi des promesses venues de Londres,
et doit aujourd'hui faire d'amères ré-
flexions sur la vanité de l'alliance an-
glaise.
Ce rapide résumé explique assez clai-
rement les causes du retournement
presque subit de la politique du gouver-
nement anglais.
Sans al'iance sérieuse en Europe, l'An-
gleterre pouvait-elle risquer l'alea terri-
bted'une guerre à outrance avec la Rus-
sie ? Assurément, si le dénouement
pacifique du conflit afghan est fort humi-
liant pour l'amour-propre anglais, il sau-
vegarde momentanément ses intérêts
économiques et commerciaux. Et la na-
tion la plus pratique de l'Europe s'en
est rendu compte assez tôt pour que
les choses n'en soient pas venues à un
tel point qu'il lui eût été impossible de
se dérober devant la Russie et d'éviter
la guerre. -
Mais cette solution pacifique est pour
la Russie une victoire morale d'une
portée considérable. Si, comme la chose
semble certaine, l'accord qui va se con-
clure n'est qu'une trêve de quelques
années et si, par la force des choses, la
lutte doit s'engager un jour ou l'autre,
dans l'Asie centrale, entre la Russie et
l'Angleterre, la première de ces puis-
sances vient de faire, sans qu'il lui en
coûte rien, un grand pas sur la route
qui doit la conduire dans l'empire des
Indes et où les alliés ne lui manqueront
pas désormais ; car il semble qu'il n'y
ait aucune témérité à penser que, le jour
où la guerre éclatera, les troupes d'a-
vant-garde de la - Russie seront ces
Afghans qu'a mis, le 31 mars dernier,
en pleine déroute le général Komaroff
sur les bords du Kouschk.
Ce sont de graves et prophétiques pa-
roles que celles prononcées avant-hier
par lord Churchill au banquet de la Ligue
Ptimrose, institué en mémoire de lord
Beaconsfield :
« Si les négociations actuellement
poursuivies avec la Russie ne réussis-
sent pas à mettre, une fois pour toutes,
un terme à ses mauvais desseins, l'au-
torité de la Grande-Bretagne dans l'Inde
recevra un coup mortel et l'anéantisse-
ment de la puissance anglaise - n'y est
plus qu'une question de temps. »
M.
Savez-vous qui mène la France? Vous
croyez peut-être que c'est l'opinion de la gé-
néralité des citoyens, la majorité du Parle-
ment, qui les représente tant bien que mal,
l'ensemble du gouvernement, qui émane du
choix des Chambres, sans parler des grandes
lois historiques, qui sont au-dessus de la vo-
lonté des hommes ? Point, mes amis. Vous
n'y êtes pas. Ouvrez les journaux radicaux et
quelques autres encore, consultez M. Camille
Pelletan, le subtil, interrogez M. Camille
Dreyfus, le profond, ou M. Janicot, l'avisé, ils
vous diront que celui qui mène la France,
c'est M. Ranc. -
Et, à cette découverte, les deux Camille —
comme la Camille des Horaces — ajoutent
de belles imprécations :
o Ranc! l'unique objet de mon ressentiment!
0 Ranc! qui m'as vu naître et que mon cœur
[abhorre.
Les épithètes pittoresques, avec une cer-
taine prudence d'ailleurs, se détournent un
moment de la tête de M. Ferry pour voltiger
autour de celle de M. Ranc. Le moins qu'on
dise de lui, c'est qu'il est le père Joseph de
M. de Freycinet et l'Eminence grise des Ri-
chelieu du cabinet.
La France a décidément grand'peine à se
guérir des individus. Nous ne pouvons nous
habituer aux choses simples qui arrivent sim-
plement. Un mouvement légitime et naturel
de l'opinion ne peut se produire sans qu'on
veuille y voir les plus ténébreuses trames.
C'est une véritable manie, à laquelle n'échap-
pent pas même les gens d'esprit.
M. Ranc a certainement une influence dans
le monde politique, influence qu'il doit aux ser-
vices rendus par lui depuis vingt ans à la cause
républicaine et au désintéressement qui le
tient en dehors de toutes les compétitions de
places où se diminuent certains politiques,
alors même qu'ils croient y grandir leur per-
sonnage. Mais ce serait aller trop loin que de
vouloir faire de lui, comme jadis on le disait
de Napoléon, « une majorité en une seule
personne » 1
La démocratie a d'autres mœurs.
Et quelle drôle d'idée les gens qui ont ren-
versé le ministère Ferry se font des ministres
à qui ils ont promis leur appui et leur sym-
pathie, s'ils sont déjà à les considérer comme
des instruments aux mains d'un seul homme !
M'est avis que, quand on crie si fort que les
ministres obéissent à M. Ranc, c'est pour ca-
cher le dépit qu'on a de voir qu'ils n'obéissent
pas à M. Dreyfus, à M. Clémenceau ou à
M. Pelletan.
H. F.
—— in im i — ■ ■ ■—
Nous constations hier les dispositions prises
par les membres républicains de différents
conseils généraux en vue des futures élec-
tions législatives. Les conseillers de Clermont-
Ferrand viennent à leur tour de s'organiser
en comité d'initiative dans des conditions par-
faitement déterminées.
Considérant qu'il est de tradition que c'est
du corps électoral lui-même que doit émaner
le programme des réformes dont l'accomplis-
sement est réservé à la prochaine législa-
ture, le comité a décidé que les réunions
préparatoires dans lesquelles se feront les
nominations de délégués auront pour mis-
sion de déterminer les bases des revendica-
tions du parti républicain.
La résolution des conseillers généraux du
Puy-de-Dôme signifie sans équivoque possi-
ble que le comité institué dès aujourd'hui n'a
d'autre but que de se mettre au service des
intérêts généraux du pays.
Nous approuvons fort ce libéralisme bien
entendu et ces plans d'organisation simple et
pratique.
E. R.
M. Clamageran vient d'adresser au Na-
tional une lettre pour rectifier des détails
importants de l'interwiew que nous avons
donné hier. Voici les passages essentiels
de cette lettre où M. Clamageran assure
tout d'abord que la goutte est pour beau-
coup dans sa démission. Personne n'a
contesté qu'elle y fût pour quelque chose :
Je n'ai pas dit que « j'avais l'intention de
faire toutes les réformes possibles dans le
personnel des perceptions ». J'ai parlé seule-
ment d'une réforme dans l'administration
centrale du ministère des finances. Cette ré-
forme, la seule dont j'ai entretenu le conseil,
consistait à supprimer le sous-secrétariat
d'Etat ainsi que la direction du contentieux,
de l'inspection des finances et de la statisti-
que, dont les services auraient été autrement
répartis.
M. Clamageran déclare qu'il ne songeait
pas à supprimer les trésoreries générales,
qu'il est opposé à un compte spécial
pour les garanties des chemins de fer, et
se défend d'avoir voulu apporter dans le
budget de M. Tirard « des modifications
profondes ». M. Clamageran se proposait
seulement d'abaisser les évaluations des re-
cettes douanières provenant des droits sur
les céréales et sur les bestiaux.
Voici la fin de la lettre de M. CIHmage-
ran.
Sur la question de l'emprunt, je croyais
avoir été très net. Je vois que je ne l'ai pas
été suffisamment. Bien loin dV être favora-
ble, j'aurais voulu l'éviter le plus longtemps
possible, et dans ce but je me préoccupais
de ne pas trop charger la dette flottante.
Je ne répudie nullement les paroles que
votre rédacteur met dans ma bouciiê sur les
réformes irréalisables et les r-éfottrues prati-
ques ; mais je me hâte d'ajouw <$«'eo fait
de réformes mon programma actuel était
trop modeste (c'était selon mm-ke strict né-
cessaire), et que mes collègues a'oat pas eu
à se prononcer sur sa valeur ©u SMt. oppor-
tunité, puisqu'il ne leur a pas été soumis,
sauf en un point spécial qui a été ajourné.
Agréez, monsieur le directeur, l'assurance
cordiale de mes meilleurs sentiments.
J.-J. Clamageran.
LES CAISSES D'ËPARGNE
(DEUXIÈME ARTICLE)
III
Les caisses d'épargne d'origine privée,
autorisées par l'Etat et opérant, sous sa
garantie, dans la mesure des fonds qu'el-
les sont tenues de verser au Trésor public,
étaient, à la fin de l'année 188i,au nombre
de 341, avec 904 succursales. Elles avaient
pour auxiliaires 580 percepteurs des finan-
ces et 133 receveurs des postes.
Ce n'était pas au total 2,000 bureaux ou-
verts, quelques heures par jour et quel-
ques jours par semaine, aux dépôts et
aux retraits dans les 36,000 communes de
France.
Or, depuis 1861 en Angleterre , depuis
plus de dix ans en Belgique et dans les
Pays-Bas, en Autriche, en Italie, en Por-
tugal, au Canada, dans l'Inde anglaise,
même au Japon, tous les bureaux de poste
de territoire étaient ouverts à l'épargne
populaire, — sans cesse prêts pour les re-
traits précipités comme pour les versements
de hasard.
La loi du 9 avril 1881 a enfin établi chez
nous le procédé simple, rapide et sûr,
comme l'écrivaitle rapporteur de la Cham-
bre des députés, « d'aller chercher l'épar-
gne de l'ouvrier ou du paysan jusque
dans les hameaux les plus reculés, d'alter
la saisir en quelque sorte dans les mains
de celui qui hésiterait entre une dépense
inutile et un placement profitable. »
La Caisse nationale d'épargne par la
poste, que cette loi a instituée, — en
dehors des anciennes caisses, mais pas
contre elles, puisque celles-ci ont profité
de toutes les lacilités nouvelles accordées
au mouvement de la petite économie, —
« est placée sous la garantie immédiate et
absolue de l'Etat a.
Délivrant gratuitement les livrets, elle
sert aux déposants un intérêt fixe de 3 0,0,
qui part du 1er et du 16 de chaque mois
après le jour du versement
Les opérations de versement sans for-
malités et celles de remboursement à très
bref délai s'y peuvent faire sur tous les
points du territoire, de l'Algérie et des
colonies, même par dépêches télégraphi-
ques, tous les jours, pendant toute la du-
rée de l'ouverture des guichets des bu-
reaux de poste.
Un décret tout récent, du 18 mars 1885,
Feuilleton du XIXe SIÈCLE
Du 20 Avril 1885
CAUSERIE
DRAMATIQUE
ODÉÕN: le Divorce de Sarah Moore, comédie
en trois actes, par M. Jacques Rozier. —
OPÉRA : Faust (débuts de M. de Reszké).
L'Odéon a donné, cette semaine, une
pièce en trois actes, de M. Jacques Ro-
zier, le Divorce de Sarah Moore. Cette
pièce est tombée, dès le premier soir,
de façon à ne pas se relever. Hier di-
manche, on a repris déjà Henriette Ma-
réchal, et il se peut que le Divorce de
Sarah Moore ne reparaisse pas sur l'af-
fiche. Cette pièce tombée avait plus de
qualités que beaucoup d'œuvres qui ont
réussi. Mais le public a mal pris la scène
essentielle, la situation capitale du
drame; et, dès lors, il n'y avait plus
d'espoir à garder pour le succès. Quand
la foule, au théâtre, a été une fois gra-
vement choquée, elle ne veut plus rien
entendre, et il semble qu'elle ne puisse
plus rien comprendre. L'esprit de bla-
gue et de parodie qui plane toujours
au-dessus d'un parterre parisien s'em-
pare des spectateurs, et les choses les
plus simples paraissent des énormités.
Dans une pièce qui tombe, tout parait
détestable, comme tout « porte » dans
une pièce qui réussit. La sensibilité du
public est presque maladive et irraison-
née. Ce n'est pas la première fois que
nous avons à faire cette observation.
Voici quelle est cette scène dont la
pièce est morte. Georges Mac-Lay (un
assez triste sire) a divorcé avec sa fem-
me Sarah, à la suite des manœuvres de la
propre cousine de celle-ci, Lucy, et il a
épousé Lucy, tandis que Sarah reste
la veuve inconsolée de son mari vivant.
Cependant les affaires du ménage Mac-
Lay vont très mal. Georges, complète-
ment ruiné, dévoré d'inquiétudes, de
remords et de regrets, gardant au fond
du cœur l'amour de sa première femme,
a résolu de se tuer. Par une circons-
tance quelconque, au moment où il va
se brûler le peu de cervelle qu'il a,
Sarah intervient. Les ex-époux recon-
naissent qu'ils s'aiment toujours; ils
n'ont plus qu'à tomber dans les bras
l'un de l'autre. Mais le diable est que
Sarah Moore, qui fut d'abord un roman
de passion et d'aventures, est devenue
une pièce à thèse ; et l'auteur — une
femme, dont le nom de Jacques Rozier
n'est que le pseudonyme — n'est pas
partisan du divorce. Nous trouvons donc
ici, dans la scène entre Sarah et Geor-
ges, une discussion en règle sur les in-
convénients de la loi Naquet. Et Geor-
ges, qui a eu toutes sortes de torts
envers la vertueuse Sarah, se trouve
entraîné par la discussion à lui adresser
des reproches amers. Le public n'a pas
admis ce renversement des rôles. Je ne
vois pas cependant ce que le discours
de Georges a d'inacceptable. Ce qu'il
prétend, c'est qu'un mari de vingt-cinq
ans peut bien subir un entraînement des
sens ou de l'imagination comme il se-
rait atteint d'une maladie; et sa femme,
pitoyable pour le mal physique, peut et
doit, si elle aime, avoir aussi de l'in-
dulgence pour la folie d'une passion.
Cette opinion a révolté, tout simplement,
je le crois, parce qu'elle a été exposée
sans adresse. La « scène à faire » n'a pas
été une « scène faite ». Car, en vérité,
ce qui a paru si hardi, au delà de toute
mesure, au parterre de l'Odéon est
moins une audace qu'une banalité. Com-
bien de , fois n'a-t-on pas applaudi au
théâtre l'honnête femme qui reconquiert
son mari sur une rivale! Il n'a pas si tort,
ce Georges, quand il assure que le ma-
riage n'est pas une aventure d'amour et
qu'une femme aimante, encore aimée,
ne rompt pas ce lien pour une frasque.
Mais le public siffle ou applaudit non les
choses qu'on lui dit, mais la façon dont
elles lui sont dites. C'est un grand en-
fant, qui ne se résigne qu'aux pilules
sucrées et dorées avec art!
Or, bien que l'auteur du Divorce de
Sarah Moore soit une femme, sa ma-
nière, loin d'être mièvre, est plutôt em-
preinte de brutalité. Nous en voyons
l'exemple dans la fin de la scène que je
viens de dire. Sarah, moins sévère que
le parterre de l'Odéon, a presque accepté
les raisons de Georges. Celui-ci, lui
parlant enfin le langage de la passion, et
évoquant le souvenir de leur bonheur
d'autrefois, l'a presque fait tomber dans
ses bras, quand intervient Lucy. C'est
Lucy qui a appelé Sarah chez elle, pour
lui demander, en reconnaissance d'un
ancien service qui a lié leurs pères, de
sauver Georges de la ruine. Mais quand
elle voit Georges en train de se ré-
concilier avec son ancienne femme,
elle en témoigne une colère qui se tra-
duit en invectives. Sur quoi Georges
force Lucy — « cette fille qui est sa fem-
me » — à s'agenouiller devant Sarah.
C'est vraiment trop. Un instinct supé-
rieur de morale ne permet pas d'admet-
tre qu'un homme comme Georges, dont
la faiblesse est criminelle, se fasse justi-
cier de qui que ce soit. C'est lui qui de-
vrait commencer par se mettre à ge-
noux, et devant sa première femme
qu'il a trahie et abandonnée, et même
devant la seconde, qui l'aime, après
tout, et dont il n'a su en rien diriger ni
assurer la vie !
Quelle est donc cette enchanteresse
ou cette sorcière de Lucy ? Ah ! voilà,
pour moi, le point le plus faible du
drame de Jacques Rozier. Cette Lucy,
c'est « la femme de feu », une femme
passionnée, entêtée, indolente aussi,
sans scrupules, qui a du sang de Mexi-
caine dans les veines, bref, un vieux
personnage de roman, cent fois vu,
et qui n'a plus l'ombre d'intérêt. C'est
au premier acte que se développe sur-
tout ce caractère, .banal dans sa vio-
lence. Lucy vit dans la maison de sa
cousine Sarah, et elle n'a pas manqué
de devenir follement éprise de Georges.
Or, comme elle n'y va pas quatre che-
mins, Lucy a tout simplement été s'of-
frir à Georges, qui n'a pas laissé son
manteau aux mains de cette enragée
Mais il a eu tout aussitôt le plus grand
regret de « sa faiblesse » et il déclare à
Lucy que « c'est fini » ; sur quoi Lucy
appelle dans la résidence d'Attywood
son père, un Yankee aventureux, vio-
lent et alcoolique, et déclare devant
tout le monde qu'elle est la maîtresse
de Georges et, de plus, enceinte de son
fait. Là-dessus, le père de Sarah exige
que sa fille divorce, tandis que le père
de Lucy meurt de colère. Situation déjà
brutale, mais qui a passé sans encom-
bre, grâce au tour de main, et peut-être
aussi parce que ce type, si déplaisant,
de « la femn:le.de feu », est entré, depuis
quelque temps, dans l'esprit du public.
Il a désormais sa place dans le cata-
logue des personnages de théâtre qu'on
ne discute plus.
Georges, en épousant Lucy, a trouvé
une maîtresse, non une femme. Elle est
fidèle, mais c'est tout. C'est une vraie
« cocodette», qui n'aime même pas son
enfant, qui pousse son mari à de folles
dépenses et à des entreprises insensées,
si bien qu'une ruine effroyable s'ensuit.
C'est alors que Lucy a l'idée de s'adres-
ser à sa cousine Sarah pour que celle-
ci, fort riche, tire son ex-mari d'affaires.
Je sais bien que jadis le père de Lucy a
rendu un service de ce genre au père
de Sarah. Mais ce. qu'un frère peut de-
mander à son frère ou accepter de lui,
une femme peut-elle, sans déchoir
étrangement et perdre toute dignité, le
demander à une femme à qui elle a pris
son mari ? Il se peut que cette question
d'argent soit nécessaire pour ramener
Sarah dans la maison de Georges. Mais
ce moyen ôte au caractère de Lucy le
peu d'intérêt qu'il gardait encore.
J'ai dit déjà ce qu'il advient du retour
de Sarah à Attywood. Après la scène
violente où a sombré le drame, il n'y
avait plus qu'à conclure. Mais ce n'était
pas chose aisée ! La disparition de Lu-
cy serait la conclusion logique, puis-
qu'elle est, dans l'espèce, le « vibrion »
social qui fait tout le mal et qu'il s'agit
d'éliminer. Seulement réépouser sa pre-
mière femme est encore plus défendu
par les lois du théâtre que par les lois
sur le divorce. C'est alors que nous
voyons intervenir ici, d'une façon enfin
utile, l'enfant de Georges et de Lucy, le
petit Harry. Pour rétablir sa fortune,
Georges est prêt à partir pour le Mexi-
que;' Lucy se décide enfin à le suivre.
Mais le médecin de la maison, un mé-
decin a l'année, car il est là tout le
temps, avertit Lucy que si Harry va
dans les terres chaudes il mourra. Que
faire? La solution, pressentie depuis
longtemps, s'offre par l'intervention de
Sarah qui prend l'enfant avec elle. En
apparence, cela arrange les choses :
mais cet arrangement n'est que factice
et. nour ainsi dire. matériel. Oue vont
devenir ces quatre personnages ? Quelle
situation pour Georges de vivre avec sa
seconde femme, taudis que sa première
élève l'enfant des secondes noces !
Que deviendra cette Lucy quand, ses
ardeurs calmées, elle se sentira peut-
être enfin des entrailles de mère ? Et ce
petit Harry, comment son tendre cœur
se débrouillera-t-il entre deux mamans ?
Cela est pénible et obscur. Il n'y a guère
que Sarah Moore dont la situation soit
acceptable, étant préparée de longue
main. On a eu soin, en effet, de nous
faire savoir dès le premier acte que
Sarah était désolée de ne pas être mère.
Si elle divorce, c'est que Lucy est en-
ceinte et la maternité, a ses yeux, cons-
titue un droit supérieur à l'amour. C'est
pour l'enfant que Sarah comprend qu'on
vive. Elle a la noble passion de la ma-
ternité. Au second acte, quand elle voit
Harry, elle le repousse d'abord; mais
bientôt elle se sent attirée vers lui, se
substitue à sa mère et, saintement,
aime Georges, qui ne peut plus être à
elle, dans son enfant qui lui ressemble.
Sentiment tendre, naturel ou du moins
possible et touchant, mais qui eût pu,
ce semble, donner lieu à une pièce tout
autre qui, mettant l'enfant entre la mère
selon le sang et la mère d'adoption, eût
eu d'ailleurs l'inconvénient de ressem-
bler au Fils, où la question est traitée.
L'intervention de l'enfant, dans la
genèse des sentiments de Sarah, est ce
que la pièce nous présente de plus inté-
ressant au point de vue psychologique ;
et, au point de vue dramatique, c'est
encore le rôle de l'enfant qui est le meil-
leur. Ce malheureux petit être, oublié
entre ses parents en proie à des pas-
sions funestes et absorbantes, allant de
l'un à l'autre avec un bouquet qu'on
refuse et qu'il finit par offrir à Sarah,
est touchant comme une figure de
Dickens ou de Daudet. Et il fournit un
épisode que je trouve, pour ma part,
absolument admirable, à la barbe du
public qui a protesté contre trop de vé-
rité. La ruine de Georges est complète.
Son valet de pied a déjà présenté la
note des emprunts que lui ont fait
« monsieur » et « madame », une « mi-
sère », les derniers cinq ou six mille
francs risqués au jeu ou donnés au cou-
turier. Le désastre est devenu public.
Georges est parti au cercle tenter la for-
tune une dernière fois ; Lucy a fui je ne
sais où. La valetaille envahit le salon, où
Harry reste seul. Et c'est un crescendo
de railleries, de méchancetés, d'injures
de la part de tous ces drôles ! Seul, le
cuisinier nègre se montre bon. Il joue
avec Harry ; il lui parle de sa propre
enfance, des caresses de sa mère, l'es-
clave de la plantation : et Harry envie
le sort de ceux qui, pour être aimés de
leur mère, ont été nègres! Mais voilà
que, tout en jouant, le cuisinier se met
à boire. Une ivresse de brute s'empare
de lui. Il veut forcer le petit maître à
vider une fiole de gin et il va le battre,
le tuer peut-être, quand intervient Sa-
rah. Episode lié d'un fil léger au sujet,
mais superbe, shakespearien, — comme
on dit aujourd'hui, — comparable au
prologue de Malheur aux vaincus, dont
le public a goûté la partie sentimentale,
mais dont il a repoussé la partie terri-
ble, sans aucune raison, si ce n'est que
les bourgeois de Paris ne veulent pas
qu'on dise trop de mal de leurs domes-
tiques. Ça les gêne de se voir entourés
de tels ennemis !
Tout le talent de M. Jacques Rozier,
qui est très grand, n'a pas sauvé la
pièce, trop dure au fond et, parfois,
trop maladroite dans l'exécution. Mais
cette chute n'est pas décourageante.
Quant aux acteurs, ils ont fait de leur
mieux. M. Berton rentrait dans un de
ces rôles où il excelle, fait de passion
et de faiblesse ; Mlle Hadamard a mon-
tré, une fois de plus, sa connaissance
parfaite de son art ; les autres person-
nages, un peu secondaires, sont bien
tenus, et on a acclamé la petite Stehlé,
qui joue Harry, presque « comme une
personne naturelle ». J'ai le regret, tout
en trouvant Mlle Baréty très jolie, de
ne pouvoir louer sa diction et son jeu,
où je rencontre un singulier mélange
d'apprêt et de vulgarité.
A l'Opéra, nous avons eu le début de
M. de Reszké, dans Méphistophéfès, de
Faust. La représentation n'a pas été
excellente, et les chœurs ont marché,
parfois, tout de travers. M. Sellier n'a pas
mieux chanté Faust qu'il ne l'a joué.
Malgré cette médiocre compagnie, M. de
Reszké a bien réussi. Sa voix est tout à
fait belle, sa méthode excellente. La
seule réserve que je -- veuille faire, c'est
que, surtout avec un chanteur d ecole
italienne, Méphistophélès devient à l'O-
péra, de plus en plus, un personnage
bouffe. Hé! nous ne croyons plus guère
au diable! Mais, de grâce, que le diable
ait l'air, au moins, de croire à lui-
même 1
Henry Fouquier,
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Et 15, Tichborne Street, (Café Monico. 2d.}
BULLETIN
Nous avons publié hier, avec de pru-
dentes réserves, la nouvelle qu'une grave
insurrection avait éclaté en Espagne.
L'ambassade nous communique, à ce pro-
pos, la note suivante :
« Les bruits d'une prétendue insurrec-
tion en Espagne ont couru hier à la
Bourse. Les nouvelles officielles et privées
reçues à l'ambassade nous autorisent à
déclarer que ces bruits sont inexacts, l'or-
dre public 'n'ayant pas été troublé un seul
instant en Espagne. »
Les nouvelles du conflit anglo-russe
sont de plus en plus pacifiques. Nous les
apprécions plus loin.
On mande de Souakim qu'un messager
qui vient d'arriver dans cette ville an-
nonce que la tribu des Amaraset plusieurs
autres moins importantes désirent se join-
dre aux Anglais pour combattre Osman-
Digma. Trois colonnes anglaises parties
de Souakim, Handoub et Otao ont opéré
une reconnaissance sur Deberet. Elles
n'ont vu, paraît-il, qu'un petit nombre
d'ennemis qui se sont retirés à leur appro-
che.Les troupes anglaises , néanmoins ,
sont revenues après avoir brûlé Hasheen.
Mardi prochain, le cabinet Bernaert pré-
sentera à la Chambre des représentants
belges le projet de loi autorisant le roi à
accepter la souveraineté de l'Etat libre du
Congo. La majorité est acquise a ce projet
dans les deux Chambres.
La création de ce royaume est, sem-
ble-t-il, en contradiction avec le droit de
préemption que la France s'est réservé
surles terres de la fameuse et fallacieuse
Association internationale africaine. Nous
aurons d'ailleurs le loisir de traiter à fond
cette question. ,
QUESTION DU JOUR
La paix anglo-russe
La nouvelle d'une conclusion pacifi-
que du conflit anglo-russe en Afghanis-
tan paraît de plus en plus probable. Ce
fut d'abord rumeur légère, provenant
des cercles bien informés de Berlin.
Aujourd'hui, pour que la guerre éclate,
il faudrait un événement imprévu, et il
n'est pas bien certain même que l'occu-
pation « provisoire » de Hérat par les
troupes du général Komaroff serait con-
sidérée comme un casus belli. Il y a
huit jours, la guerre contre la Rus-
sie était en Angleterre et aux Indes, à
en juger par les communications peut-
être légèrement hyperboliques de lord
Duffeim, qui est un homme d'Etat, la
guerre attendue, la guerre nécessaire et
sainte.
Aujourd'hui, l'opinion publique s'est
fort calmée. Les journaux de Londres
disaient, il y a une semaine, avec une su-
perbe fierté, qu'il ne pouvait être ques-
tion d'un arrangement avec la Russie tant
que le général Komaroff n'aurait pas été
rappelé, et qu'il fallait au moins une
éclatante satisfaction morale à la poli-
tique de l'Angleterre dans la question af-
ghane ; ils en sont venus, par un progrès
lent et convenablement ménagé, pour
que l'honneur national parût sauf, à
dire tout haut qu'après tout les Russes
n'avaient pas fait un si grand pas en
avant par la victoire du général Koma-
roff; qu'il n'y avait peut-être, dans la
rencontre du 31 mars, qu'un incident ;
que l'administration provisoirement im-
posée par la Russie à Pendjeh pouvait
être expliquée et excusée, eu égard aux
circonstances ; enfin, que le jeu ne vaut
pas le moindre bout de chandelle. Et
ces journaux publient déjà des projets
d'arrangement diplomatique, des plans
de modus vivendi entre l'Angleterre et
la Russie
Voici i|#elles «feraient les bases de l'ac-
cord prochain. L'Angleterre, sans mettre
d'entêtement à tirer une réparation so-
lennelle du combat d'Ak-Tepe, où les
Afghans mirent si bien à profit le con-
seil connu :
Les pieds sauvent la personne;
Il n'est que de bien courir,
céderait Pendjeh aux Russes à titre défi-
nitif. En échange, la Russie octroierait à
l'émir une bande de terrain près de Zul-
fikar. Et, sous peu, il serait procédé à la
délimitation officielle des frontières de
l'Afghanistan. L'Angleterre insisterait
pour que lés négociations se fissent à
Londres ; cette victoire diplomatique,
si elle la remportait, lui paraîtrait un
dédommagement suffisant de toutes les
concessions qu'elle ferait d'autre part.
Les Anglais prennent donc aisément
leur parti de l'humiliation nouvelle qu'ils
viennent de subir en Afghanistan, et
qu'ils arriveront mieux à se cacher à eux-
mêmes qu'à l'Europe et aux Indous. Ils
ont procédé à l'égard de la Russie par
intimidation. Le gouvernement a, non
sans fracas, rappelé sous les drapeaux
les réserves, donné l'ordre à la flotte
de se tenir prête à toutes les éventuali-
tés, fait connaître urbi et orbi le dé-
vouement des radjahs au drapeau an-
glais ; lord Dufferin a tenté de trans-
former l'émir de l'Afghanistan en épou-
vantail pour les Russes; cette mise en
scène n'a pas empêché M. de Giers de
maintenir tranquillement et résolument
les prétentions de la Russie; et l'Angle-
terre, sans y persévérer un instant, ac-
cepte à cette heure les faits accomplis
et leurs conséquences futures, qui sont
graves. Elle n'aurait pu faire la guerre
à la Russie d'une façon sérieuse en Af-
ghanistan et (à supposer que l'émit
apportât le même zèle patriotique qu'un
colonel des gardes au service de la
reine Victoria, impératrice des Indes),
n'aurait pu que résister un an peut-être
à l'armée du général Komaroff en
concentrant ses meilleures troupes à
Kandahar et à Caboul.
Transporter la guerre en Europe,
c'est-à-dire forcer le passage des Dar-
danelles, ç'eût été rouvrir la question
d'Orient, et courir au-devant des plus
redoutables complications. On comprend
que l'Angleterre ait hésité et qu'elle
n'ait pas voulu courir la chance d'une
défaite qui aurait pu être désastreuse
pour elle dans les conditions où elle ?e
trouve actuellement et qui sont de tout
point déplorables. Car depuis un an
l'Angleterre, par une juste et inévitable
punition de sa politique égoïste et en-
vahissante, n'a eu à enregistrer que des
échecs qui, en se répétant, ont porté
une atteinte grave à son prestige en
Europe et ailleurs encore.
Enumérer ces échecs équivaut pres-
que à faire un voyage autour du monde.
Il y a quelques mois, sa politique hautaine
et jalouse était battue en brèche à An-
gra-Pequenha par un simple négociant
de Hambourg. L'orgueilleuse Angleterre
était obligée de s'effacer devant les re-
vendications de l'Allemagne décidée à
prendre pied sur le continent africain et
à défendre les droits de ses nationaux.
Elle a essayé de résister: elle n'a pas
insisté en présence du langage ferme de
l'ambassadeur de Berlin, et le drapeau
allemand flotte sur la côte occidentale
d'Afrique.
A quelques semaines de distance, l'a-
mour-propre de l'Angleterre était soumis
à une nouvelle épreuve plus cruelle en-
core dans l'océan Pacifique. En dépit de
ses représentations, malgré la présence
de ses cuirassés et les protestations de
ses commodores, l'Allemagne, qui entre
à toutes voites dans le courant de la
politique coloniale, prenait pied en Nou-
velle-Guinée et s'adjugeait, sans autre
forme de procès, une partie de ce vaste
territoire. Les colonies anglaises de
l'Australie ne sont pas revenues de leur
étonnement. Elles accablent la métro-
pole de leurs plaintes et la secrétairerie
des colonies de leurs objurgations.
L'Angleterre fait la sourde oreille. Elle
subit ce qu'elle ne se sent plus la force
d'empêcher. Faut-il parler de son échec
en Egypte et de son équipée au Sou-
dan qui tourne au désastre ? Khartoum
lui a échappé, le mahdi l'a refoulée vers
le Delta du Nil, le général Graham n'at-
tend qu'un signal pour s'embarquer à
Souakim avec son corps d'armée et le
cabinet de Londres paraît réduit à l'hu-
miliante nécessité d'accepter le con-
cours de l'Italie pour sauver ses posi-
tions en Egypte. En Asie, sa situation
n'est ni plus brillante ni plus solide.
Elle laisse écraser à Pendjeh par les
Russes les Afghans qu'elle protège par
définition. Elle ne sait ni empêcher une
collision ni réparer l'échec de ses alliés.
Elle ne le tente même pas.
Ainsi, échec en Afrique, échec en
Egypte, échec en Océanie, échec en
Asie, tel est le bilan de la politique an-
glaise en moins de six mois, sans par-
ler de la Chine, qui s'embarquait folle-
ment dans une guerre ruineuse, sur la
foi des promesses venues de Londres,
et doit aujourd'hui faire d'amères ré-
flexions sur la vanité de l'alliance an-
glaise.
Ce rapide résumé explique assez clai-
rement les causes du retournement
presque subit de la politique du gouver-
nement anglais.
Sans al'iance sérieuse en Europe, l'An-
gleterre pouvait-elle risquer l'alea terri-
bted'une guerre à outrance avec la Rus-
sie ? Assurément, si le dénouement
pacifique du conflit afghan est fort humi-
liant pour l'amour-propre anglais, il sau-
vegarde momentanément ses intérêts
économiques et commerciaux. Et la na-
tion la plus pratique de l'Europe s'en
est rendu compte assez tôt pour que
les choses n'en soient pas venues à un
tel point qu'il lui eût été impossible de
se dérober devant la Russie et d'éviter
la guerre. -
Mais cette solution pacifique est pour
la Russie une victoire morale d'une
portée considérable. Si, comme la chose
semble certaine, l'accord qui va se con-
clure n'est qu'une trêve de quelques
années et si, par la force des choses, la
lutte doit s'engager un jour ou l'autre,
dans l'Asie centrale, entre la Russie et
l'Angleterre, la première de ces puis-
sances vient de faire, sans qu'il lui en
coûte rien, un grand pas sur la route
qui doit la conduire dans l'empire des
Indes et où les alliés ne lui manqueront
pas désormais ; car il semble qu'il n'y
ait aucune témérité à penser que, le jour
où la guerre éclatera, les troupes d'a-
vant-garde de la - Russie seront ces
Afghans qu'a mis, le 31 mars dernier,
en pleine déroute le général Komaroff
sur les bords du Kouschk.
Ce sont de graves et prophétiques pa-
roles que celles prononcées avant-hier
par lord Churchill au banquet de la Ligue
Ptimrose, institué en mémoire de lord
Beaconsfield :
« Si les négociations actuellement
poursuivies avec la Russie ne réussis-
sent pas à mettre, une fois pour toutes,
un terme à ses mauvais desseins, l'au-
torité de la Grande-Bretagne dans l'Inde
recevra un coup mortel et l'anéantisse-
ment de la puissance anglaise - n'y est
plus qu'une question de temps. »
M.
Savez-vous qui mène la France? Vous
croyez peut-être que c'est l'opinion de la gé-
néralité des citoyens, la majorité du Parle-
ment, qui les représente tant bien que mal,
l'ensemble du gouvernement, qui émane du
choix des Chambres, sans parler des grandes
lois historiques, qui sont au-dessus de la vo-
lonté des hommes ? Point, mes amis. Vous
n'y êtes pas. Ouvrez les journaux radicaux et
quelques autres encore, consultez M. Camille
Pelletan, le subtil, interrogez M. Camille
Dreyfus, le profond, ou M. Janicot, l'avisé, ils
vous diront que celui qui mène la France,
c'est M. Ranc. -
Et, à cette découverte, les deux Camille —
comme la Camille des Horaces — ajoutent
de belles imprécations :
o Ranc! l'unique objet de mon ressentiment!
0 Ranc! qui m'as vu naître et que mon cœur
[abhorre.
Les épithètes pittoresques, avec une cer-
taine prudence d'ailleurs, se détournent un
moment de la tête de M. Ferry pour voltiger
autour de celle de M. Ranc. Le moins qu'on
dise de lui, c'est qu'il est le père Joseph de
M. de Freycinet et l'Eminence grise des Ri-
chelieu du cabinet.
La France a décidément grand'peine à se
guérir des individus. Nous ne pouvons nous
habituer aux choses simples qui arrivent sim-
plement. Un mouvement légitime et naturel
de l'opinion ne peut se produire sans qu'on
veuille y voir les plus ténébreuses trames.
C'est une véritable manie, à laquelle n'échap-
pent pas même les gens d'esprit.
M. Ranc a certainement une influence dans
le monde politique, influence qu'il doit aux ser-
vices rendus par lui depuis vingt ans à la cause
républicaine et au désintéressement qui le
tient en dehors de toutes les compétitions de
places où se diminuent certains politiques,
alors même qu'ils croient y grandir leur per-
sonnage. Mais ce serait aller trop loin que de
vouloir faire de lui, comme jadis on le disait
de Napoléon, « une majorité en une seule
personne » 1
La démocratie a d'autres mœurs.
Et quelle drôle d'idée les gens qui ont ren-
versé le ministère Ferry se font des ministres
à qui ils ont promis leur appui et leur sym-
pathie, s'ils sont déjà à les considérer comme
des instruments aux mains d'un seul homme !
M'est avis que, quand on crie si fort que les
ministres obéissent à M. Ranc, c'est pour ca-
cher le dépit qu'on a de voir qu'ils n'obéissent
pas à M. Dreyfus, à M. Clémenceau ou à
M. Pelletan.
H. F.
—— in im i — ■ ■ ■—
Nous constations hier les dispositions prises
par les membres républicains de différents
conseils généraux en vue des futures élec-
tions législatives. Les conseillers de Clermont-
Ferrand viennent à leur tour de s'organiser
en comité d'initiative dans des conditions par-
faitement déterminées.
Considérant qu'il est de tradition que c'est
du corps électoral lui-même que doit émaner
le programme des réformes dont l'accomplis-
sement est réservé à la prochaine législa-
ture, le comité a décidé que les réunions
préparatoires dans lesquelles se feront les
nominations de délégués auront pour mis-
sion de déterminer les bases des revendica-
tions du parti républicain.
La résolution des conseillers généraux du
Puy-de-Dôme signifie sans équivoque possi-
ble que le comité institué dès aujourd'hui n'a
d'autre but que de se mettre au service des
intérêts généraux du pays.
Nous approuvons fort ce libéralisme bien
entendu et ces plans d'organisation simple et
pratique.
E. R.
M. Clamageran vient d'adresser au Na-
tional une lettre pour rectifier des détails
importants de l'interwiew que nous avons
donné hier. Voici les passages essentiels
de cette lettre où M. Clamageran assure
tout d'abord que la goutte est pour beau-
coup dans sa démission. Personne n'a
contesté qu'elle y fût pour quelque chose :
Je n'ai pas dit que « j'avais l'intention de
faire toutes les réformes possibles dans le
personnel des perceptions ». J'ai parlé seule-
ment d'une réforme dans l'administration
centrale du ministère des finances. Cette ré-
forme, la seule dont j'ai entretenu le conseil,
consistait à supprimer le sous-secrétariat
d'Etat ainsi que la direction du contentieux,
de l'inspection des finances et de la statisti-
que, dont les services auraient été autrement
répartis.
M. Clamageran déclare qu'il ne songeait
pas à supprimer les trésoreries générales,
qu'il est opposé à un compte spécial
pour les garanties des chemins de fer, et
se défend d'avoir voulu apporter dans le
budget de M. Tirard « des modifications
profondes ». M. Clamageran se proposait
seulement d'abaisser les évaluations des re-
cettes douanières provenant des droits sur
les céréales et sur les bestiaux.
Voici la fin de la lettre de M. CIHmage-
ran.
Sur la question de l'emprunt, je croyais
avoir été très net. Je vois que je ne l'ai pas
été suffisamment. Bien loin dV être favora-
ble, j'aurais voulu l'éviter le plus longtemps
possible, et dans ce but je me préoccupais
de ne pas trop charger la dette flottante.
Je ne répudie nullement les paroles que
votre rédacteur met dans ma bouciiê sur les
réformes irréalisables et les r-éfottrues prati-
ques ; mais je me hâte d'ajouw <$«'eo fait
de réformes mon programma actuel était
trop modeste (c'était selon mm-ke strict né-
cessaire), et que mes collègues a'oat pas eu
à se prononcer sur sa valeur ©u SMt. oppor-
tunité, puisqu'il ne leur a pas été soumis,
sauf en un point spécial qui a été ajourné.
Agréez, monsieur le directeur, l'assurance
cordiale de mes meilleurs sentiments.
J.-J. Clamageran.
LES CAISSES D'ËPARGNE
(DEUXIÈME ARTICLE)
III
Les caisses d'épargne d'origine privée,
autorisées par l'Etat et opérant, sous sa
garantie, dans la mesure des fonds qu'el-
les sont tenues de verser au Trésor public,
étaient, à la fin de l'année 188i,au nombre
de 341, avec 904 succursales. Elles avaient
pour auxiliaires 580 percepteurs des finan-
ces et 133 receveurs des postes.
Ce n'était pas au total 2,000 bureaux ou-
verts, quelques heures par jour et quel-
ques jours par semaine, aux dépôts et
aux retraits dans les 36,000 communes de
France.
Or, depuis 1861 en Angleterre , depuis
plus de dix ans en Belgique et dans les
Pays-Bas, en Autriche, en Italie, en Por-
tugal, au Canada, dans l'Inde anglaise,
même au Japon, tous les bureaux de poste
de territoire étaient ouverts à l'épargne
populaire, — sans cesse prêts pour les re-
traits précipités comme pour les versements
de hasard.
La loi du 9 avril 1881 a enfin établi chez
nous le procédé simple, rapide et sûr,
comme l'écrivaitle rapporteur de la Cham-
bre des députés, « d'aller chercher l'épar-
gne de l'ouvrier ou du paysan jusque
dans les hameaux les plus reculés, d'alter
la saisir en quelque sorte dans les mains
de celui qui hésiterait entre une dépense
inutile et un placement profitable. »
La Caisse nationale d'épargne par la
poste, que cette loi a instituée, — en
dehors des anciennes caisses, mais pas
contre elles, puisque celles-ci ont profité
de toutes les lacilités nouvelles accordées
au mouvement de la petite économie, —
« est placée sous la garantie immédiate et
absolue de l'Etat a.
Délivrant gratuitement les livrets, elle
sert aux déposants un intérêt fixe de 3 0,0,
qui part du 1er et du 16 de chaque mois
après le jour du versement
Les opérations de versement sans for-
malités et celles de remboursement à très
bref délai s'y peuvent faire sur tous les
points du territoire, de l'Algérie et des
colonies, même par dépêches télégraphi-
ques, tous les jours, pendant toute la du-
rée de l'ouverture des guichets des bu-
reaux de poste.
Un décret tout récent, du 18 mars 1885,
Feuilleton du XIXe SIÈCLE
Du 20 Avril 1885
CAUSERIE
DRAMATIQUE
ODÉÕN: le Divorce de Sarah Moore, comédie
en trois actes, par M. Jacques Rozier. —
OPÉRA : Faust (débuts de M. de Reszké).
L'Odéon a donné, cette semaine, une
pièce en trois actes, de M. Jacques Ro-
zier, le Divorce de Sarah Moore. Cette
pièce est tombée, dès le premier soir,
de façon à ne pas se relever. Hier di-
manche, on a repris déjà Henriette Ma-
réchal, et il se peut que le Divorce de
Sarah Moore ne reparaisse pas sur l'af-
fiche. Cette pièce tombée avait plus de
qualités que beaucoup d'œuvres qui ont
réussi. Mais le public a mal pris la scène
essentielle, la situation capitale du
drame; et, dès lors, il n'y avait plus
d'espoir à garder pour le succès. Quand
la foule, au théâtre, a été une fois gra-
vement choquée, elle ne veut plus rien
entendre, et il semble qu'elle ne puisse
plus rien comprendre. L'esprit de bla-
gue et de parodie qui plane toujours
au-dessus d'un parterre parisien s'em-
pare des spectateurs, et les choses les
plus simples paraissent des énormités.
Dans une pièce qui tombe, tout parait
détestable, comme tout « porte » dans
une pièce qui réussit. La sensibilité du
public est presque maladive et irraison-
née. Ce n'est pas la première fois que
nous avons à faire cette observation.
Voici quelle est cette scène dont la
pièce est morte. Georges Mac-Lay (un
assez triste sire) a divorcé avec sa fem-
me Sarah, à la suite des manœuvres de la
propre cousine de celle-ci, Lucy, et il a
épousé Lucy, tandis que Sarah reste
la veuve inconsolée de son mari vivant.
Cependant les affaires du ménage Mac-
Lay vont très mal. Georges, complète-
ment ruiné, dévoré d'inquiétudes, de
remords et de regrets, gardant au fond
du cœur l'amour de sa première femme,
a résolu de se tuer. Par une circons-
tance quelconque, au moment où il va
se brûler le peu de cervelle qu'il a,
Sarah intervient. Les ex-époux recon-
naissent qu'ils s'aiment toujours; ils
n'ont plus qu'à tomber dans les bras
l'un de l'autre. Mais le diable est que
Sarah Moore, qui fut d'abord un roman
de passion et d'aventures, est devenue
une pièce à thèse ; et l'auteur — une
femme, dont le nom de Jacques Rozier
n'est que le pseudonyme — n'est pas
partisan du divorce. Nous trouvons donc
ici, dans la scène entre Sarah et Geor-
ges, une discussion en règle sur les in-
convénients de la loi Naquet. Et Geor-
ges, qui a eu toutes sortes de torts
envers la vertueuse Sarah, se trouve
entraîné par la discussion à lui adresser
des reproches amers. Le public n'a pas
admis ce renversement des rôles. Je ne
vois pas cependant ce que le discours
de Georges a d'inacceptable. Ce qu'il
prétend, c'est qu'un mari de vingt-cinq
ans peut bien subir un entraînement des
sens ou de l'imagination comme il se-
rait atteint d'une maladie; et sa femme,
pitoyable pour le mal physique, peut et
doit, si elle aime, avoir aussi de l'in-
dulgence pour la folie d'une passion.
Cette opinion a révolté, tout simplement,
je le crois, parce qu'elle a été exposée
sans adresse. La « scène à faire » n'a pas
été une « scène faite ». Car, en vérité,
ce qui a paru si hardi, au delà de toute
mesure, au parterre de l'Odéon est
moins une audace qu'une banalité. Com-
bien de , fois n'a-t-on pas applaudi au
théâtre l'honnête femme qui reconquiert
son mari sur une rivale! Il n'a pas si tort,
ce Georges, quand il assure que le ma-
riage n'est pas une aventure d'amour et
qu'une femme aimante, encore aimée,
ne rompt pas ce lien pour une frasque.
Mais le public siffle ou applaudit non les
choses qu'on lui dit, mais la façon dont
elles lui sont dites. C'est un grand en-
fant, qui ne se résigne qu'aux pilules
sucrées et dorées avec art!
Or, bien que l'auteur du Divorce de
Sarah Moore soit une femme, sa ma-
nière, loin d'être mièvre, est plutôt em-
preinte de brutalité. Nous en voyons
l'exemple dans la fin de la scène que je
viens de dire. Sarah, moins sévère que
le parterre de l'Odéon, a presque accepté
les raisons de Georges. Celui-ci, lui
parlant enfin le langage de la passion, et
évoquant le souvenir de leur bonheur
d'autrefois, l'a presque fait tomber dans
ses bras, quand intervient Lucy. C'est
Lucy qui a appelé Sarah chez elle, pour
lui demander, en reconnaissance d'un
ancien service qui a lié leurs pères, de
sauver Georges de la ruine. Mais quand
elle voit Georges en train de se ré-
concilier avec son ancienne femme,
elle en témoigne une colère qui se tra-
duit en invectives. Sur quoi Georges
force Lucy — « cette fille qui est sa fem-
me » — à s'agenouiller devant Sarah.
C'est vraiment trop. Un instinct supé-
rieur de morale ne permet pas d'admet-
tre qu'un homme comme Georges, dont
la faiblesse est criminelle, se fasse justi-
cier de qui que ce soit. C'est lui qui de-
vrait commencer par se mettre à ge-
noux, et devant sa première femme
qu'il a trahie et abandonnée, et même
devant la seconde, qui l'aime, après
tout, et dont il n'a su en rien diriger ni
assurer la vie !
Quelle est donc cette enchanteresse
ou cette sorcière de Lucy ? Ah ! voilà,
pour moi, le point le plus faible du
drame de Jacques Rozier. Cette Lucy,
c'est « la femme de feu », une femme
passionnée, entêtée, indolente aussi,
sans scrupules, qui a du sang de Mexi-
caine dans les veines, bref, un vieux
personnage de roman, cent fois vu,
et qui n'a plus l'ombre d'intérêt. C'est
au premier acte que se développe sur-
tout ce caractère, .banal dans sa vio-
lence. Lucy vit dans la maison de sa
cousine Sarah, et elle n'a pas manqué
de devenir follement éprise de Georges.
Or, comme elle n'y va pas quatre che-
mins, Lucy a tout simplement été s'of-
frir à Georges, qui n'a pas laissé son
manteau aux mains de cette enragée
Mais il a eu tout aussitôt le plus grand
regret de « sa faiblesse » et il déclare à
Lucy que « c'est fini » ; sur quoi Lucy
appelle dans la résidence d'Attywood
son père, un Yankee aventureux, vio-
lent et alcoolique, et déclare devant
tout le monde qu'elle est la maîtresse
de Georges et, de plus, enceinte de son
fait. Là-dessus, le père de Sarah exige
que sa fille divorce, tandis que le père
de Lucy meurt de colère. Situation déjà
brutale, mais qui a passé sans encom-
bre, grâce au tour de main, et peut-être
aussi parce que ce type, si déplaisant,
de « la femn:le.de feu », est entré, depuis
quelque temps, dans l'esprit du public.
Il a désormais sa place dans le cata-
logue des personnages de théâtre qu'on
ne discute plus.
Georges, en épousant Lucy, a trouvé
une maîtresse, non une femme. Elle est
fidèle, mais c'est tout. C'est une vraie
« cocodette», qui n'aime même pas son
enfant, qui pousse son mari à de folles
dépenses et à des entreprises insensées,
si bien qu'une ruine effroyable s'ensuit.
C'est alors que Lucy a l'idée de s'adres-
ser à sa cousine Sarah pour que celle-
ci, fort riche, tire son ex-mari d'affaires.
Je sais bien que jadis le père de Lucy a
rendu un service de ce genre au père
de Sarah. Mais ce. qu'un frère peut de-
mander à son frère ou accepter de lui,
une femme peut-elle, sans déchoir
étrangement et perdre toute dignité, le
demander à une femme à qui elle a pris
son mari ? Il se peut que cette question
d'argent soit nécessaire pour ramener
Sarah dans la maison de Georges. Mais
ce moyen ôte au caractère de Lucy le
peu d'intérêt qu'il gardait encore.
J'ai dit déjà ce qu'il advient du retour
de Sarah à Attywood. Après la scène
violente où a sombré le drame, il n'y
avait plus qu'à conclure. Mais ce n'était
pas chose aisée ! La disparition de Lu-
cy serait la conclusion logique, puis-
qu'elle est, dans l'espèce, le « vibrion »
social qui fait tout le mal et qu'il s'agit
d'éliminer. Seulement réépouser sa pre-
mière femme est encore plus défendu
par les lois du théâtre que par les lois
sur le divorce. C'est alors que nous
voyons intervenir ici, d'une façon enfin
utile, l'enfant de Georges et de Lucy, le
petit Harry. Pour rétablir sa fortune,
Georges est prêt à partir pour le Mexi-
que;' Lucy se décide enfin à le suivre.
Mais le médecin de la maison, un mé-
decin a l'année, car il est là tout le
temps, avertit Lucy que si Harry va
dans les terres chaudes il mourra. Que
faire? La solution, pressentie depuis
longtemps, s'offre par l'intervention de
Sarah qui prend l'enfant avec elle. En
apparence, cela arrange les choses :
mais cet arrangement n'est que factice
et. nour ainsi dire. matériel. Oue vont
devenir ces quatre personnages ? Quelle
situation pour Georges de vivre avec sa
seconde femme, taudis que sa première
élève l'enfant des secondes noces !
Que deviendra cette Lucy quand, ses
ardeurs calmées, elle se sentira peut-
être enfin des entrailles de mère ? Et ce
petit Harry, comment son tendre cœur
se débrouillera-t-il entre deux mamans ?
Cela est pénible et obscur. Il n'y a guère
que Sarah Moore dont la situation soit
acceptable, étant préparée de longue
main. On a eu soin, en effet, de nous
faire savoir dès le premier acte que
Sarah était désolée de ne pas être mère.
Si elle divorce, c'est que Lucy est en-
ceinte et la maternité, a ses yeux, cons-
titue un droit supérieur à l'amour. C'est
pour l'enfant que Sarah comprend qu'on
vive. Elle a la noble passion de la ma-
ternité. Au second acte, quand elle voit
Harry, elle le repousse d'abord; mais
bientôt elle se sent attirée vers lui, se
substitue à sa mère et, saintement,
aime Georges, qui ne peut plus être à
elle, dans son enfant qui lui ressemble.
Sentiment tendre, naturel ou du moins
possible et touchant, mais qui eût pu,
ce semble, donner lieu à une pièce tout
autre qui, mettant l'enfant entre la mère
selon le sang et la mère d'adoption, eût
eu d'ailleurs l'inconvénient de ressem-
bler au Fils, où la question est traitée.
L'intervention de l'enfant, dans la
genèse des sentiments de Sarah, est ce
que la pièce nous présente de plus inté-
ressant au point de vue psychologique ;
et, au point de vue dramatique, c'est
encore le rôle de l'enfant qui est le meil-
leur. Ce malheureux petit être, oublié
entre ses parents en proie à des pas-
sions funestes et absorbantes, allant de
l'un à l'autre avec un bouquet qu'on
refuse et qu'il finit par offrir à Sarah,
est touchant comme une figure de
Dickens ou de Daudet. Et il fournit un
épisode que je trouve, pour ma part,
absolument admirable, à la barbe du
public qui a protesté contre trop de vé-
rité. La ruine de Georges est complète.
Son valet de pied a déjà présenté la
note des emprunts que lui ont fait
« monsieur » et « madame », une « mi-
sère », les derniers cinq ou six mille
francs risqués au jeu ou donnés au cou-
turier. Le désastre est devenu public.
Georges est parti au cercle tenter la for-
tune une dernière fois ; Lucy a fui je ne
sais où. La valetaille envahit le salon, où
Harry reste seul. Et c'est un crescendo
de railleries, de méchancetés, d'injures
de la part de tous ces drôles ! Seul, le
cuisinier nègre se montre bon. Il joue
avec Harry ; il lui parle de sa propre
enfance, des caresses de sa mère, l'es-
clave de la plantation : et Harry envie
le sort de ceux qui, pour être aimés de
leur mère, ont été nègres! Mais voilà
que, tout en jouant, le cuisinier se met
à boire. Une ivresse de brute s'empare
de lui. Il veut forcer le petit maître à
vider une fiole de gin et il va le battre,
le tuer peut-être, quand intervient Sa-
rah. Episode lié d'un fil léger au sujet,
mais superbe, shakespearien, — comme
on dit aujourd'hui, — comparable au
prologue de Malheur aux vaincus, dont
le public a goûté la partie sentimentale,
mais dont il a repoussé la partie terri-
ble, sans aucune raison, si ce n'est que
les bourgeois de Paris ne veulent pas
qu'on dise trop de mal de leurs domes-
tiques. Ça les gêne de se voir entourés
de tels ennemis !
Tout le talent de M. Jacques Rozier,
qui est très grand, n'a pas sauvé la
pièce, trop dure au fond et, parfois,
trop maladroite dans l'exécution. Mais
cette chute n'est pas décourageante.
Quant aux acteurs, ils ont fait de leur
mieux. M. Berton rentrait dans un de
ces rôles où il excelle, fait de passion
et de faiblesse ; Mlle Hadamard a mon-
tré, une fois de plus, sa connaissance
parfaite de son art ; les autres person-
nages, un peu secondaires, sont bien
tenus, et on a acclamé la petite Stehlé,
qui joue Harry, presque « comme une
personne naturelle ». J'ai le regret, tout
en trouvant Mlle Baréty très jolie, de
ne pouvoir louer sa diction et son jeu,
où je rencontre un singulier mélange
d'apprêt et de vulgarité.
A l'Opéra, nous avons eu le début de
M. de Reszké, dans Méphistophéfès, de
Faust. La représentation n'a pas été
excellente, et les chœurs ont marché,
parfois, tout de travers. M. Sellier n'a pas
mieux chanté Faust qu'il ne l'a joué.
Malgré cette médiocre compagnie, M. de
Reszké a bien réussi. Sa voix est tout à
fait belle, sa méthode excellente. La
seule réserve que je -- veuille faire, c'est
que, surtout avec un chanteur d ecole
italienne, Méphistophélès devient à l'O-
péra, de plus en plus, un personnage
bouffe. Hé! nous ne croyons plus guère
au diable! Mais, de grâce, que le diable
ait l'air, au moins, de croire à lui-
même 1
Henry Fouquier,
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