Titre : Le XIXe siècle : journal quotidien politique et littéraire / directeur-rédacteur en chef : Gustave Chadeuil
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1885-03-18
Contributeur : Chadeuil, Gustave (1821-1896). Directeur de publication
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Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 18 mars 1885 18 mars 1885
Description : 1885/03/18 (A15,N4819). 1885/03/18 (A15,N4819).
Droits : Consultable en ligne
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Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-199
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 09/04/2013
Quinzième année. -AB-N° 4819
Prix du numéro à Paris 15 centimes - Départements: 20 centimes
Mercredi 18 Mars 188b
< .—-—
JOURNAL RÉPUBLICAIN CONSERVATEUR
REDACTION
ëla&e,iger au Secrétaire de la Rédaction
de 2 heures à minuit
!16. ru.e Cadet, 16
Manuscrits non insérés ne seront pas rendus
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Six mois 3» »»
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Extérieure 61 llil6.
Egypte 3-15, 345 62.
Hongrois 81 9^16, 5[8.
Actions Rio. 290.
BULLETIN
Hier, la Chambre des députés a pour-
suivi la discussion du projet de loi
portant relèvement des droits sur les
bestiaux. Après une longue et vive dis-
cussion, le droit de 25 francs sur les
bœuls, soutenu par M. Méline, a été voté
par 276 voix contre 216.
La suite de la discussion a été ren-
voyée à demain, où défileront les amen-
dements.
Au Luxembourg, la commission des
finances s'est réunie pour entendre les
déclarations de M. J. Ferry au sujet du
conflit ouvert entre la Chambre et le
Sénat. Par huit voix contre six, la com-
mission a décidé de défendre deux des
crédits supprimés par la Chambre,
ceux relatifs aux bourses des séminaires
et à la Faculté de théologie de Paris.
La séance du Sénat a été consacrée
à l'adoption de quelques projets sans
importance. M. Kranîz a déposé son
rapport sur sur le projet relatif au tarit
général des douanes.
Les ambassadeurs de Turquie, de
France, d'Allemagne et Blum-Pacha se
sont rendus cette après-midi au Foreign-
Office et ont signé la convention inter-
nationale qui règle les finances égyp-
tiennes.
Les journaux anglais commentent tou-
jours les termes du modus vivendi ar-
rêté entre la Russie et l'Angleterre, d'a-
près les explications fouruies par M.
Gladstone dans son dernier discours.
Le Times remarque que, si cet accord
permet de croire que les troupes russes
suspendront leur marche en Asie, les
préparatifs militaires faits par la Rus-
sie dans la zone des frontières russes
n'en sont pas moins un légitime sujet
d'inquiétude pour l'Angleterre. Ces pré-
paratifs militaires ne sont pas contestés.
Le Daily-News déclare, de son côté,
que l'accord officieux entre les deux
puissances a été conclu simplement
pour prévenir un conflit des avant-
postes anglais et des forces russes.
Mais la question reste entière, et cet
arrangement ne saurait faire préjuger
quelle en pourraîêtre la solution défini-
tive. Les journaux de Calcutta prennent
un ton des plus belliqueux et déclarent
eue lord Dufferin a la confiance de
toutes les classes de la population.
A la Chambre des lords, le marquis
de Salisbury a interrogé le gouverne-
ment sur la date et sur la durée de l'ac-
cord conclu entre l'Angleterre et la Rus-
sie; il a demandé également si l'Afgha-
nistan avait souscrit à cet accord. Lord
Granville, dans sa réponse, a renouvelé
les déclarations faites précédemment par
M. Gladstone. Le ministre a ajouté qu'il
a télégraphié à M. de Giers pour savoir
si celui-ci comprend l'accord dans
le sens énoncé par M. Gladstone. Le
marquis de Salisbury a annoncé qu'il
remonterait demain à la tribune pour
questionner de nouveau le gouverne-
ment. Le correspondant du Standard à
Berlin et celui du Times à Paris prê-
tent l'un et l'autre à M. de Bismarck
dans le conflit anglo-russe les disposi-
tions d'esprit les plus pacifiques et
expriment la confiance que le conflit
n'entrera pas dans une phase aiguë.
La nouvelle de la prise de Kassala est
confirmée par des dépêches particu-
lières, bien que le gouvernement n'ait
encore reçu aucun renseignement à cet
égard. En tout cas, la position de Kas-
sala est désespérée, au dire du Stan-
dard. La garnison, épuisée par les as-
sauts qu'elle a repoussés, est décimée par
la famine, et les munitions ne manquent
pas moins que les vivres. Les dépêches
reçues par le Standard semblent donc
confirmer la nouvelle de la chute de
Kassala;
Le dernier discours de M. de Bis-
marck au Reichstag a produit une pro-
fonde impression que les journaux alle-
mands, à l'exception des organes ca-
tholiques et socialistes, sont unanimes
a constater. M. de Bismarck a passé en
revue les grandes époques de l'histoire
de l'Allemagne, et a constaté qu'aux pé-
riodes de prospérité avaient toujours
succédé de longues périodes de déca-
dence.; Le chancelier s'est exprimé
ainsi :
Nous nous retrouvons toujours au milieu
d'un grand essor national, qui semble de-
voir être plus heureux que tous ceux qui
l'ont précédé. Mais nous sommes dans l'obli-
gallon de nous dire que le déchirement mo-
ral de la nation ne nous permet guère d'es-
perer que ce nouvel essor survivra à l'ac-
tion de 1 homme qui l'a fait naître et oui l'a
dirigea
Le chancelier a pris texte des leçons
de l'histoire pour adresser au Reichstag
des plaintes et des reproches. Ces pé-
nibles retours sur le nasse servent fré-
quemment au chancelier pour s'assurer
des avantages dans le présent. Cette
fois il a rencontré, pour traduire sps sen-
timents ou servir ses intérêts politiques,
des accents d'une grandiose et éloquente
mélancolie.
On mande d'Alexandrie que Zebehr-
Pacha a été arrêté à la suite de rensei-
gnements envoyés par le général Wol-
seley. Le bruit court que l'état de siège
serait proclamé à bref délai au Caire.
A la dernière heure, nous apprenons
qu'une importante discussion a eu lieu
à la Chambre des communes à propos
des affaires du Niger, et aussi de la
saisie par notre flotte du Gleenroy.
Nous y reviendrons demain.
QUESTION DU JOUR
Les Etrangers chez nous
On dit qu'une question va être adres-
sée au ministère sur quelques expul-
sions d'étrangers toutes récentes. C'est
un sujet tentant : il y a de si belles
phrases à faire sur l'hospitalité tradi-
tionnelle de la nation française, sur les
égards qu'un peuple généreux doit à
d'infortunés proscrits! On peut aussi
tonner avec une éloquence entraînante
contre un gouvernement qui se fait
l'exécuteur des arrêts des tyrans, et
qui prête aux sbires du dehors le con-
cours de nos gendarmes. Mais la poli-
tiqne n'est pas toujours une chose sen-
timentale, et les hommes qui ont l'hon-
neur et la charge de veiller à la sécurité
du pays sont parfois obligés de faire
passer la raison avant la rhétorique.
Aussi lesministres pourront-ilsrépondre
à qui les interpellera : « Ce que vous
dites est très touchant, mais nous fai-
sons notre devoir, et, si nous y man-
quions, il nous serait difficile de ré-
pondre à des no'es diplomatiques par
des considérations attendries sur la
fraternité humaine. »
Entendons-nous bien. Les proscrits
qui ne sont que des proscrits doivent
trouver sur notre sol un asile inviolable.
Quoi qu'ils aient fait dans leur pays
d'origine, il suffit que ce soient des exi-
lés politiques, et purement politiques,
pour que la France leur soit hospita-
lière. Après la Commune, quand Paris
fumait encore, aucune puissance euro-
péenne ne nous a livré un homme ac-
cusé d'avoir fusillé les otages ou d'a-
voir fait « flamber finances M. Nos voisins
avaient raison de garder les fugitifs que
nous avons amnistiés depuis : si nous
avions obtenu des cabinets qu'on sévît
contre eux, nous l'aurions regretté plus
tard. Et si aujourd'hui la Russie ou
l'Angleterre, la Prusse ou l'Espagne,
nous sommait d'interdire l'eau et le
feu aux gens qui cherchent un abri
chez nous, nous répondrions que nous
ne le pouvons pas et que les révolu-
tionnaires ont le droit de fouler l'as-
phalte du boulevard au même titre que
les rois en exil et les prétendants en
vacances, qui affluent aujourd'hui à
Paris comme jadis à Venise.
Il n'en est pas de même quand ces
exilés conspirent, et conspirent active-
ment. Car il y a conspiration et cons-
piration. Se réunir pour pleurer sur une
cause perdue, ou pour chercher les
moyens de la relever; parler, écrire,
imprimer contre les gouvernements
étrangers, cela ne dépasse pas les limi-
tes de ce que l'usage autorise et de ce
que l'humanité nous obligé à tolérer.
Ce que nous permettons à nos conci-
toyens contre nous-mêmes, nous de-
vons le permettre aux réfugiés contre
leurs Etats respectifs. Il n'en est plus
de même quand on passe des paroles à
l'action. Le jour où la dynamite entre
en jeu, où les monuments commencent
à sauter, les trains de chemins de fer
à dérailler et les passants inoffensifs
à semer leurs membres aux quatre
vents, le cabinet de Londres a le droit
de nous demander de ne pas souffrir
que Paris soit le quartier général et
l'arsenal des entrepreneurs d'explosions.
Si l'Angleterre et l'Irlande étaient
deux puissances en guerre ouverte, nous
refuserions également aux Anglais et
aux Irlandais la faculté de se ravitailler
chez nous. Quand une troupe poursuivie
par l'ennemi se réfugie en territoire
neutre, elle est sur-le-champ désarmée
et internée jusqu'à la fin des hostilités.
Il plaît aujourd'hui à quelques enfants
do 10. vorto Erin do ronger par tous les
moyens leurs injures séculaires, et de
guerroyer contre le gouvernement de
la reine Victoria en remplaçant la pou-
dre à canon par la nitro-glycérine. Il est
probable qu'ils n'arriveront ainsi qu'à
aggraver les maux dont ils souffrent,
qu à appesantir le joug qui pèse sur
leurs concitoyens; c'est leur affaire. Ce
qui est la nôtre: c'est de remplir nos
devoirs internationaux, et de fermer
notre territoire aux ennemis armés d'un
peuple avec qui nous vivons en paix.
Il a été convenu, quand nous avons
fondé la troisième République, que nous
ne travaillerions plus pour l'exporta-
tion, et que nous laisserions les peu-
ples voisins user à leur gré du droit de
choisir leur gouvernement. Cette sage
résolution n'a pas peu contribué à pro-
curer à la France républicaine une place
honorable et une situation paisible au
milieu de l'Europe monarchique. Le mo-
ment serait mal choisi pour changer de
système et pour laisser organiser à Pa-
ris des expéditions à main armée con-
tre nos voisins. Ce procédé ne serait pas
plus conforme au droit international et
à la saine politique si les belligérants
se servaient des plus récentes inven-
tions de la chimie que s'ils partaient de
chez nous avec des canons Krupp et des
fusils à la dernière mode.
Responsable vis-à-vis des puissances
des agressions qui partiraient de notre
territoire, le gouvernement français doit
être libre d'éloigner ceux des réfugiés
étrangers qui abuseraient de notre hos-
pitalité pour préparer une invasion ou
machiner un attentat. La loi lui donne
à cet égard un pouvoir arbitraire, et,
quelque horreur que nous inspire l'ar-
bitraire, nous ne voyons pas comment
on en pourrait sortir en pareille matière.
Faudrait il faire juger par n tribunal
les inJividu.; s is^ects d > fabri uer des
bombes? Mais, s'ils étaient convainc is
par un d'bat public, il deviendrait dif-
ficile de se borner à l'expulsion , et
nous serions moralement obligés de
- châtier plus sévèrement leur crime.
Ceux qui demandent des garanties pour
ces étrangers sont-ils bien sûrs que la
meilleure, garantie ne consiste pas dans
la douceur de nos mœurs et dans nos
traditions d'hospitalité ? Si l'on avait
examiné olus à fond le cas de Hartmann
avant de le conduire à la frontière, au-
rait-on pu se contenter de cette mesure
bénigne?
Les députés qui se proposent de
questionner le ministre sur les récentes
expulsions d'étrangers feront sagement
de ne pas trop insister sur le cas de
leurs clients. Mais peut-être n'est-ce
pas à leurs clients qu'ils s'intéressent?
M. G. Berry, qui brigue de nouveau
les voix des électeurs municipaux du
quartier de la Chaussée-d'Antin, a la
candidature gaie.
Il proteste avec une vigueur par-
fois assez bouffonne contre les deux
décisions qui ont annulé son élection.
Pour lui, elles n'ont été rendues que par
passion politique et seulement dans le
but de protéger son concurrent, l'hono-
rable M. Ratier.
Qu'il y consente ou non, les fantaisies
électorales de M. Berry resteront pour-
tant légendaires. Comment oublier les
quelque vingt membres de son comité
signant son affiche, le couvrant de leur
notoriété et dont le moindre défaut était
de n'exister point ?
Le miracle des seize concierges chan-
gés en rentiers n'était pas mal, non plus
que les personnes du sexe faible comp-
tées comme électeurs, et adjointes à ce
titre au comité susdit. Mlle Hubertine
Auclert me s'attendait sans doute pas à
ce que ses principes fussent adoptés tout
d'abord par un réactionnaire déclaré !
M. Ratier se présente dans des condi-
tions bien différentes : la dignité de son
caractère, la fermeté de ses opinions ré-
publicaines, son expérience des affaires,
son dévouement aux intérêts de la ville
de Paris, plaident seuls en sa faveur.
Les électeurs du quartier de la Chaus-
sée-d'Antin tiendront à honneur de l'en-
voyer siéger au conseil. La majorité, lors
des élections de mai, ne lui avait échappé
de quelques- voix qu'à l'aide des ma-
nœuvres dont nous avons donné de lé-
gers échantillons.
Il y a donc lieu d'espérer qu'incessam-
ment M. Georges Berry sera rendu à la
vie privée, aux muses et au barreau.
La Patrie commence ainsi un article
intitulé la Coalition :
« Nous nous applaudissons d'avoir été
des premiers à conseiller à tous ceux qui
regrettent l'ancienne prospérité maté-
rielle et morale, à tous ceux qui aiment
la France, de se coaliser dans une haute
pensée conservatrice en vue des élections
législatives prochaines. Aujourd'hui, l'i-
dée de cette coalition s'impose à l'atten-
tion générale. Il n'est personne qui ne
s'en occupe. Les républicains la redou-
tent ; leurs adversaires l'étudient et cher-
chent les meilleurs moyens de la rendre
fructueuse : c'est ce dernier point qui
doit nous intéress9r. »
Là-dessus, n'est-ce pas? on s'attend à
un mirifique programme de conciliation
réunissant dans une embrassade générale
les amis mûrs des d'Orléans et les jeunes
compagnons du prince Victor.
Sur la fin, tout casse.
Ce que nous voulons, s'écrie le parti-
san si chaud d'une alliance si belle,
a c'est un gouvernement qui tire la France
de la situation douloureuse et sombre
dans laquelle nous la voyons s'épuiser et
se perdre. Seulement, nous précisons :
nous voulons que ce gouvernement émane
au suffrage universel, do b volonté natio-
nale, de l'appel au peuple, parce une-,
sans cela, il manquerait de base et n'au-
rait pas plus de solidité et de force pour
le bien que la République elle-même. »
Allions-nous , coalisons-nous ; mais ,
vous savez, pas d'erreur : - chacun pour
soi !
^—-— m»
L'Œuvre 9e Bastu-Lepage
Ce matin s'ouvre au public l'Exposi-
tion des œuvres de Bastien-Lepage.
Hier le président de la République a
été visiter celte exposition, où la presse
a été également accueillie. Il y en a
eu peu, depuis longtemps, d'aussi inté-
ressantes. Les quatre salles, bien déco-
rées, de l'hôtel de Chimay, déjà occupé
en partie par l'administration des beaux-
arts, seront visitées par tous ceux
qu'intéressent les choses de l'art. Il ne
manquera pas aux amis de Bastien-
Lepage cette consolation dernière du
rayon de gloire qui dore une tombe
trop tôt ouverte et refermée.
Bastien-Lepage, a-t-on dit, a exercé
une grande influence sur la jeune école
de peinture. Je pense le contraire, et
pour s'en convaincre il suffit de voir
son œuvre réunie. On n'exerce une in-
fluence que par un système suivi, par
un parti-pris méthodique. Bastien-Le-
page n'en avait pas. Nul peintre, mou-
rant aussi jeune que lui, n'a eu tant de
manières diverses : et ces manières ne
se succèdent pas, comme chez d'autres
peintres. Eiles coexistent aux mêmes
dates. Ainsi, à l'Exposition de l'hôtel de
Chimay, on trouve des paysages qui tou-
chent à l'impressionnisme ou à la liberté
extrême de certains Anglais, et des
paysages serrés, d'une exécution qui
fa t penser à Rousseau. Bastien-Lepage
a, pour ses paysanneries de plein air,
une manière claire, très particulière,
qui rappelle un peu Manet, avec une
précision de dessinateur extrême que
n'avait pas celui-ci. Ses grands por-
traits de village sont ainsi exécutés.
Mais il a aussi, dans un jour d'atelier,
une manière qu'on pourrait dire sa
« manière des gens du monde » , pen-
chant plutôt vers l'archaïsme que vers
ce qu'on appelle le naturalisme. Ses
petits portraits, de purs chefs-d'œu-
vre, avec un accent moins dur et plus
de finesse, font penser à Meissonier,
comme ses pastels à Millet. Il n'est pas
jusqu'au pittoresque sec de Detaille ou
au pittoresque plus libre de Fortuny,
à qui ne fassent penser tel Réserviste.
ou telle Pochade de pâtissier qu'on voit
à l'hôtel de Chimay.
Le peintre, accessible à des influences
si diverses, était donc un simple ou-
vrier adroit, sans originalité? Du tout.
Bastien-Lepagc est original de la plus
grande des originalités, celle qui tient
à un don de l'esprit et qui ne s'imite
pas. Il était profondément observateur.
Il était de ceux qui, d'après un mot
pittoresque d'atelier, regardent «dedans
leurs modèles». Ses portraits ont tous ce
mérite, qui est un mérite de grand maî-
tre, depuis les portraits à quatre-vingts
francs qu'il fit au village, jusqu'à celui
du prince de Galles, vêtu du manteau
des chevaliers de la Jarretière. Cette
qualité suprême, il l'a dès ses débuts,
dès 4871. A cette date viennent les por-
traits de Prosper Bastien et de sa femme,
serrés comme le portrait de Pagnest,
qui évoquent tout de suite la pensée
d'êtres bons et simples. Le peintre, naï-
vement chercheur, exécute, à la même
époque, un portrait de Mlle J., qui
est une erreur. Il s'est trompé. Il re-
commence, exécute les admirables por-
traits de sa famille, celui du « grand-
père», clair déjà et touchant au ton de
la fresque, et arrive, en 1875, à une
œuvre capitale, le dyptique Ales Pa-
rents. Le plein air, ici, joue au peintre
un de ces tours dont il est coutumier.
Les figures sont superbes de bonne foi,
dignes d'Holbein ; les fonds, justes en
soi, ne prennent pas assez leur place.
En supprimant l'artifice des repoussoirs,
la perspective aérienne reste impuis-
sante. Et le peintre, comme s'il aimait
à passer d'un système à un autre, exé-
cute aussitôt le portrait, vigoureux,
noir, fait de clair-obscur, de M. Hayem,
ce magnifique Oriental en redingote
sous la peau de qui on voit couler, pour
ainsi dire, le sang de sa race. Le por-
trait de M. Wallon est encore dans cette
manière noire, très puissante, qui
garde un peu de convenu dans le moyen
d'expression du pinceau, mais dont le
dessin ne transige jamais.
Puis, après un portrait de M. Kahn,
très remarquable, commence la série
des petits portraits, qui sont des chefs-
d'œuvre. 11 faut citer, jusqu'à la veille
de la mort de l'artiste, les portraits de
MM. Theuriet, Charpentier, Emile Bas-
tien-Lepage, V. Klotz, de M. Goudchaux
et de Mme Goudchaux, de M. Coquelin
(étude particulièrement intéressante par
la recherche de la physionomie), de Mme
Delanglade, de Mme de Montagnac, de
Mme Drouet et d'autres que je passe pour
mettre à part, couronnant cette série,
trois œuvres hors ligne : le portrait de M.
Wolff, en belles bottes rouges de hus-
sard, dans son cabinet, visiblement heu-
reux de contempler des œuvres d'art
qui lui rappellent ses amis, portrait que
je préfère, pour ma part, à la plupart
des Meissonier; le portrait de Mme
Sarah Bernhardt, d'une étrangeté vou-
lue, et, qui sait? non sans ironie peut-
être; et enfin celui de M. Andrieux,
une merveille! L'allure féline, on toyantc,
gaie, lassée et terrible du modèle est
exprimée avec une profondeur d'obser-
vation sans exemple. C'est le portrait à
mettre en tête des Souvenirs d'un pré-
fet de police !
Bastien-Lepage était surtout un grand
portraitiste et c'est, dans ses tableaux,
le portrait qui est intéressant encore par-
dessus tout. Ses compositions simples,
sans artifice, ne sont que des portraits
mouvementés et en plein air. Il laisse,
d'ailleurs, peu de tableaux achevés et
de grandes -dimensions. Le premier en
date est Une Source, étude qu'un bou-
let creva en 1871. Ce tableau du peintre
lorrain garde et montre sa blessure 1
Puis, après quelques ébauches, nous
passons à la Chanson du printemps,
essai singulier de mythologie contempo-
raine, où le peintre cherche le style par
les simplifications telles que les pratique
à l'excès M. Puvis de Chavannes. Ce
sont ensuite les deux morceaux de con-
cours de l'artiste qui n'eut jamais le
prix; l'un, l'Athille, très ordinaire, ins-
piré de la statuaire antique; l'autre,
Y Adoration, imitée, mais d'un grand art,
de Corrège. Heureusement, je crois,
Bastien-Lepage resta en France, dans
sa terre de Lorraine, où il retrouvait son
originalité paysanne. Dès 1875, la Com-
muniante, en dehors de la symphonie
des blancs, révèle le peintre des âmes
obscures et des instincts du campa-
gnard. Il est maître, de lui-même, dans
cette manière rustique, avec les Foins
(à l'Etat), nous montrant la lassitude de
l'homme des champs et l'espèce d'état
contemplatif naïf, je dirais volontiers
bestial, de sa compagne. Puis ce sont
les Blés murs, la mer dorée de la
moisson, le Mendiant, Jeanne d'Arc,
la Récolte des pommes de terre, le Père
Jacques (tableau de plein air où la pers-
pective est inattaquable), Pas mèche,
étude de garçon d'une réalité fine, enfin
VAmour au village, sa dernière grande
toile.
Bastien-Lepage n'est pas moins varié
comme paysagiste que comme peintre
de portraits. En France, dans son coin
de Lorraine, il se rapproche de Millet
(le Soir au village), sans se refuser les
beaux tons de velours de M. J. Breton.
Puis, ce sont des incursions violentes
sur le terrain impressionniste. En An-
gleterre, les deux influences se fondent.
A Venise, le peintre, très sage, devient
fin et délicat, soit qu'il s'en tienne aux
paysages de nuit, aux tons gris, soit
qu'il aborde, lui aussi, les roses vifs, par
où, comme un rayon à travers une
porte, Venise est éclairée par l'Orient.
Mais, en général, ses paysages ne sont
pas très poussés, sauf un dernier qui
annonçait une évolution nouvelle du ta-
lent du maître, cherchant la solidité,
comme, dans la Forge, il a cherché et
trouvé la perfection minutieuse des Hol-
landais.
En réalité, ce grand artiste faisait ce
qu'il voulait de son pinceau. Réserve
faite pour certaines perspectives dans
les grands tableaux en plein air, il est
maître de tous les moyens. Ses dessins
sont, au point de vue de la facture, extra-
ordinaires. A côté de larges esquisses, M
trouve des études, — un chapeau, par
exemple, — à l'encre, qui décourage-
raient le plus avisé des graveurs 1 C'est
une de ces mains de paysan, fortes, et
qui savent tout faire !
L'esprit du peintre était rustique
aussi, fin et simple, et trouvant, pour
traduire son émotion, là où il en a
éprouvé une, — car le drame est rare
en son œuvre, - des moyens naïve-
ment puissants. Le Gambetta sur son
lit de mort ne peut être regardé par
ceux qui ont vu cette chambre funeste
des Jardies, 'sans une poignante admi-
ration. Le portrait du peintre nous le
révèle d'ailleurs. Tout est ordinaire en
ces traits d'un homme qui fut peintre
de naissance, et rien que peintre. Mais
rœii est un œil de voyant, comme en
avait un soi^compatriote Claude, œil où
les formes et-les harmonies des cou-
leurs arrivent avec une puissance prodi-
gieuse, guidant la main, chez ces hom-
mes dont on peut dire que leur talent
fut un don de nature, ce qui est le pre-
mier pas vers le génie. Bastien-Lepage,
hélas! n'a pas accompli toute la route.
Mais il est tombé sur le chemin des
maîtres définitifs, et ayant déjà fait assez
pour se séparer du gros des ouvriers
adroits, des artistes spirituels et des
simples savants de la peinture. Car,
ceci ne vous étonne pas, ce prétendu
« réaliste » fut un poète.
HBNRY FOUQUIER.
——. -— —————
LE PARLEMENT
COURRIER DE LA CHAMBRE
Paris, 16 mars 1885.
Les bêtes à cornes sont encore à l'or-
dre du jour.
Nous avons laissé, samedi dernier, M.
Méline au moment où il termiDait un
discours essentiellement protectionniste,
réclamant des droits sur le bétail étran-
ger.
M. Frédéric Passy, on s'en souvient,
allait lui répondre ; mais la Chambre, fa-
tiguée, l'avait prié de remettre son dis-
cours à la séance suivante.
M. Frédéric Passy a donc parlé hier, et,
nous avons entendu un panégyrique du
libre-échange qui nous est aussi fami-
lier que la thèse opposée.
Ce n'est pas que nous ne partagions
pas en général les théories de M. Fré-
déric Passy, dont la compétence en ma-
tière économique est universellement re-
connue. Mais pourquoi, grand Dieu ! re-
venir sur ce qui a élé dit, et essayer de
convaincre une Chambre qui reste sour-
de parce qu'elle le veut bien, et qui ne
démordra pas de quelques-unes de ses
idées protectionnistes et électorales?
M. Frédéric Passy a fait un effort su-
prême pour détourner le gouvernement
de la voie dans laquelle il s'est engagé.
Déjà le pain a augmenté dans Paris,
a-t-il dit : c'est l'effet désastreux d'une
loi qui n'est pas encore promulguée !
Va-t-on agir de même avec la viande ? Il
faut s'y attendre ; avec les droits que l'on
réclame, la viande va subir une hausse
à bref délai.
L'orateur économiste combat la théorie
de la rétroactivité, qui consiste à dire que
les droits sur le bétail sont la consé-
guencenécessaire des droits sur les cé-
réales. Où M. Méline trouve-t-il une con.
nèxité entre les deux mesures ?
Voici maintenant une autre cloche et
un autre son : c'est le marquis de Roys
qui arrive à la tribune avec un stock
énorme d'arguments protectionnistes.
Depuis que la discussion actuelle est
ouverte, c'est-à-dire depuis un mois, il
est à remarquer que ce sont toujours les
mêmes orateurs, une dizaine au plus, qui
ont soutenu le débat.
A l'exception de M. Raoul Duval, il
faut, pour être juste, reconnaître qu'ils
ont été plus. soporifiques les uns que
les autres.
En dehors de MM. Graux, des Roys.
Frédéric Passy, Ganault, Ansart et quel-
ques autres dont les noms nous échap-
pent, personne n'a parlé, et la Chambre
a dû subir quelque chose comme cent
discours pour et contre, et cela pendant
un mois!
Croit-on que c'est gai?
M. le marquis de Roys a naturellement
pris à partie son adversaire libre-échan-
giste, et dans un long discours a réfuté
de nouveau les arguments de M. Passy
les uns après les autres.
Au bout d'une heure, il n'en restait
pas un debout.
C'est aLars que la Chambre rendue, har-
rassée, brisée, a réclamé à grand cris la
clôture.
« La clôture ! la clôture ! » Les cris de-
viennent des mugissements, des bêle-
ments, des hurlements, lorsqu'on voit
apparaître pour la quarante-cinquième
fois M. Frédéric Passy, avec sa légen-
daire serviette sous le bras, tout prêt à
nous servir un quarante-cinquième dis-
cours.
M. Brialou se met de la partie, mais
pour protester contre la clôture, histoire
de placer quelques mots, et de faire con-
naître à la Chambre son opinion.
Ça n'a pas été long, c'est déjà un
avantage. M. Brialou est un brave ou-
vrier lyonnais assez peu familier avec le
bagage parlementaire, et qui n'y va pas
par quatre chemins quand il a quelque
chose à dire à ses collègues.
— Vous êtes tout simplement des affa-
meursl leur crie-t-il.
— Retirez votre expression ! lui dit M.
Brisson.
— Je la retire, mais ma pensée reste
entière.
Comme on le voit, M. Brialou a placé
son mot, et descend satisfait.
Après quelques observations du minis-
tre de l'agriculture et du rapporteur, M.
Raoul Duval, on décide par 289 voix con-
tre 184, qu'on passera à la discussion des
articles.
Ici, une pluie d'amendements; les
bœufs et les vaches sont particulièrement
visés.
Le toréador Ganault descend dans la
piste et lance contre le bœuf un droit de
60 francs, et contre la vache un droit
de 40.
Vlan l D'un simple coup de corne, le
pauvre M. Ganault est envoyé au diable,
lui et son amendement.
M. Ansart, toréador plus malin, appa-
raît ; c'est le poids de la bête qui le préoc-
cupe et non la bêle elle-même.
Les bœufs paieraient, à l'entrée, 5 cen-
times par kilog. ; les vaches, 3 centimes
et les veaux 5 centimes.
M. Ansart est battu.
Le marquis des Roys arrive à son tour.
Il demande 40 francs par tête de bœuf.
C'est trop s'écrie M. Méline ; mettons.
25 francs et n'en parlons plus.
M. Langlois proteste avec force coups
de poing sur son pupitre. 25 francs, un
bœuf, pour entrer en France! L'équivalent
de l'indemnité parlementaire ! Serait-ce
par hasard une allusion de la part du mi-
nistre?.
M. Langlois est exaspéré, furieux, hors
de lui : tel un taureau qui aurait aperçu
la fameuse bannière rouge de Levallois-
Perret.
M. Brisson le calme par quelques coup.
de sonnette, et parvient entin.à mettre le
chiffre de 25 francs aux voix.
273 voix contre 216 condamnent les
bœuts étrangers.
Le traditionnel bœuf à la mode est
hélas ! bien malade.
Loere DESFORGES.
COURRIER DU SÉNAT
Séance d'un quart d'heure, séance ab-
solument nulle, séance pour la forme,
motivée uniquement par la nécessité de
recevoir le dépôt du rapport de M.Krantz
sur la modification du tarif général des
douanes.
A trois heures, les sénateurs entrent
en séance ; ils votent au galop, sans dis-
cussion, deux projets sans intérêt; M.
Krantz monte à la tribune et remet son
rapport au président; on décide -qu'on
s'ajourne à jeudi pour en discuter les
conclusions, et la séance est levée. Voilà
tout, et le public désappointé évacue
les tribunes en regrettant de s'être dé-
rangé pour si peu de chose.
La banalité de la séance était du reste
prévue, et là n'était pas l'intérêt. Ce qui
préoccupait, c'était de savoir les dispo-
sitions de la majorité sénatoriale à l'é-
gard des réductions apportées par la
Chambre au budget ; c'était de savoir si,
oui ou non, un litige sérieux est à la
veille de se produire entre les deux As-
semblées.
Déjà certains prononçaient en trem-
blant le gros mot de « conflit », et es-
comptaient tous les malheurs qu'une si-
tuation de ce genre pourrait entraîner!
Eh bien! que les peureux se rassu-
rent : il est maintenant à peu près cer-
tain qu'il n'y aura aucun « conflit ». M.
Jules Ferry demande tout simplement
au Sénat d'émettre un vote politique en
acceptant toutes les réductions de la
Chambre. Ce vote n'engageant en rien
l'avenir, n'établissant aucun précédent,
ne préjugeant en rien les principes, n'at-
teignant même pas dans leur existence
les institutions qui supportent les réduc-
tions, il n'est pas douteux gue, sur 59
terrain, le ministère trouve, sinon dans
Prix du numéro à Paris 15 centimes - Départements: 20 centimes
Mercredi 18 Mars 188b
< .—-—
JOURNAL RÉPUBLICAIN CONSERVATEUR
REDACTION
ëla&e,iger au Secrétaire de la Rédaction
de 2 heures à minuit
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Six mois 3» »»
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Extérieure 61 llil6.
Egypte 3-15, 345 62.
Hongrois 81 9^16, 5[8.
Actions Rio. 290.
BULLETIN
Hier, la Chambre des députés a pour-
suivi la discussion du projet de loi
portant relèvement des droits sur les
bestiaux. Après une longue et vive dis-
cussion, le droit de 25 francs sur les
bœuls, soutenu par M. Méline, a été voté
par 276 voix contre 216.
La suite de la discussion a été ren-
voyée à demain, où défileront les amen-
dements.
Au Luxembourg, la commission des
finances s'est réunie pour entendre les
déclarations de M. J. Ferry au sujet du
conflit ouvert entre la Chambre et le
Sénat. Par huit voix contre six, la com-
mission a décidé de défendre deux des
crédits supprimés par la Chambre,
ceux relatifs aux bourses des séminaires
et à la Faculté de théologie de Paris.
La séance du Sénat a été consacrée
à l'adoption de quelques projets sans
importance. M. Kranîz a déposé son
rapport sur sur le projet relatif au tarit
général des douanes.
Les ambassadeurs de Turquie, de
France, d'Allemagne et Blum-Pacha se
sont rendus cette après-midi au Foreign-
Office et ont signé la convention inter-
nationale qui règle les finances égyp-
tiennes.
Les journaux anglais commentent tou-
jours les termes du modus vivendi ar-
rêté entre la Russie et l'Angleterre, d'a-
près les explications fouruies par M.
Gladstone dans son dernier discours.
Le Times remarque que, si cet accord
permet de croire que les troupes russes
suspendront leur marche en Asie, les
préparatifs militaires faits par la Rus-
sie dans la zone des frontières russes
n'en sont pas moins un légitime sujet
d'inquiétude pour l'Angleterre. Ces pré-
paratifs militaires ne sont pas contestés.
Le Daily-News déclare, de son côté,
que l'accord officieux entre les deux
puissances a été conclu simplement
pour prévenir un conflit des avant-
postes anglais et des forces russes.
Mais la question reste entière, et cet
arrangement ne saurait faire préjuger
quelle en pourraîêtre la solution défini-
tive. Les journaux de Calcutta prennent
un ton des plus belliqueux et déclarent
eue lord Dufferin a la confiance de
toutes les classes de la population.
A la Chambre des lords, le marquis
de Salisbury a interrogé le gouverne-
ment sur la date et sur la durée de l'ac-
cord conclu entre l'Angleterre et la Rus-
sie; il a demandé également si l'Afgha-
nistan avait souscrit à cet accord. Lord
Granville, dans sa réponse, a renouvelé
les déclarations faites précédemment par
M. Gladstone. Le ministre a ajouté qu'il
a télégraphié à M. de Giers pour savoir
si celui-ci comprend l'accord dans
le sens énoncé par M. Gladstone. Le
marquis de Salisbury a annoncé qu'il
remonterait demain à la tribune pour
questionner de nouveau le gouverne-
ment. Le correspondant du Standard à
Berlin et celui du Times à Paris prê-
tent l'un et l'autre à M. de Bismarck
dans le conflit anglo-russe les disposi-
tions d'esprit les plus pacifiques et
expriment la confiance que le conflit
n'entrera pas dans une phase aiguë.
La nouvelle de la prise de Kassala est
confirmée par des dépêches particu-
lières, bien que le gouvernement n'ait
encore reçu aucun renseignement à cet
égard. En tout cas, la position de Kas-
sala est désespérée, au dire du Stan-
dard. La garnison, épuisée par les as-
sauts qu'elle a repoussés, est décimée par
la famine, et les munitions ne manquent
pas moins que les vivres. Les dépêches
reçues par le Standard semblent donc
confirmer la nouvelle de la chute de
Kassala;
Le dernier discours de M. de Bis-
marck au Reichstag a produit une pro-
fonde impression que les journaux alle-
mands, à l'exception des organes ca-
tholiques et socialistes, sont unanimes
a constater. M. de Bismarck a passé en
revue les grandes époques de l'histoire
de l'Allemagne, et a constaté qu'aux pé-
riodes de prospérité avaient toujours
succédé de longues périodes de déca-
dence.; Le chancelier s'est exprimé
ainsi :
Nous nous retrouvons toujours au milieu
d'un grand essor national, qui semble de-
voir être plus heureux que tous ceux qui
l'ont précédé. Mais nous sommes dans l'obli-
gallon de nous dire que le déchirement mo-
ral de la nation ne nous permet guère d'es-
perer que ce nouvel essor survivra à l'ac-
tion de 1 homme qui l'a fait naître et oui l'a
dirigea
Le chancelier a pris texte des leçons
de l'histoire pour adresser au Reichstag
des plaintes et des reproches. Ces pé-
nibles retours sur le nasse servent fré-
quemment au chancelier pour s'assurer
des avantages dans le présent. Cette
fois il a rencontré, pour traduire sps sen-
timents ou servir ses intérêts politiques,
des accents d'une grandiose et éloquente
mélancolie.
On mande d'Alexandrie que Zebehr-
Pacha a été arrêté à la suite de rensei-
gnements envoyés par le général Wol-
seley. Le bruit court que l'état de siège
serait proclamé à bref délai au Caire.
A la dernière heure, nous apprenons
qu'une importante discussion a eu lieu
à la Chambre des communes à propos
des affaires du Niger, et aussi de la
saisie par notre flotte du Gleenroy.
Nous y reviendrons demain.
QUESTION DU JOUR
Les Etrangers chez nous
On dit qu'une question va être adres-
sée au ministère sur quelques expul-
sions d'étrangers toutes récentes. C'est
un sujet tentant : il y a de si belles
phrases à faire sur l'hospitalité tradi-
tionnelle de la nation française, sur les
égards qu'un peuple généreux doit à
d'infortunés proscrits! On peut aussi
tonner avec une éloquence entraînante
contre un gouvernement qui se fait
l'exécuteur des arrêts des tyrans, et
qui prête aux sbires du dehors le con-
cours de nos gendarmes. Mais la poli-
tiqne n'est pas toujours une chose sen-
timentale, et les hommes qui ont l'hon-
neur et la charge de veiller à la sécurité
du pays sont parfois obligés de faire
passer la raison avant la rhétorique.
Aussi lesministres pourront-ilsrépondre
à qui les interpellera : « Ce que vous
dites est très touchant, mais nous fai-
sons notre devoir, et, si nous y man-
quions, il nous serait difficile de ré-
pondre à des no'es diplomatiques par
des considérations attendries sur la
fraternité humaine. »
Entendons-nous bien. Les proscrits
qui ne sont que des proscrits doivent
trouver sur notre sol un asile inviolable.
Quoi qu'ils aient fait dans leur pays
d'origine, il suffit que ce soient des exi-
lés politiques, et purement politiques,
pour que la France leur soit hospita-
lière. Après la Commune, quand Paris
fumait encore, aucune puissance euro-
péenne ne nous a livré un homme ac-
cusé d'avoir fusillé les otages ou d'a-
voir fait « flamber finances M. Nos voisins
avaient raison de garder les fugitifs que
nous avons amnistiés depuis : si nous
avions obtenu des cabinets qu'on sévît
contre eux, nous l'aurions regretté plus
tard. Et si aujourd'hui la Russie ou
l'Angleterre, la Prusse ou l'Espagne,
nous sommait d'interdire l'eau et le
feu aux gens qui cherchent un abri
chez nous, nous répondrions que nous
ne le pouvons pas et que les révolu-
tionnaires ont le droit de fouler l'as-
phalte du boulevard au même titre que
les rois en exil et les prétendants en
vacances, qui affluent aujourd'hui à
Paris comme jadis à Venise.
Il n'en est pas de même quand ces
exilés conspirent, et conspirent active-
ment. Car il y a conspiration et cons-
piration. Se réunir pour pleurer sur une
cause perdue, ou pour chercher les
moyens de la relever; parler, écrire,
imprimer contre les gouvernements
étrangers, cela ne dépasse pas les limi-
tes de ce que l'usage autorise et de ce
que l'humanité nous obligé à tolérer.
Ce que nous permettons à nos conci-
toyens contre nous-mêmes, nous de-
vons le permettre aux réfugiés contre
leurs Etats respectifs. Il n'en est plus
de même quand on passe des paroles à
l'action. Le jour où la dynamite entre
en jeu, où les monuments commencent
à sauter, les trains de chemins de fer
à dérailler et les passants inoffensifs
à semer leurs membres aux quatre
vents, le cabinet de Londres a le droit
de nous demander de ne pas souffrir
que Paris soit le quartier général et
l'arsenal des entrepreneurs d'explosions.
Si l'Angleterre et l'Irlande étaient
deux puissances en guerre ouverte, nous
refuserions également aux Anglais et
aux Irlandais la faculté de se ravitailler
chez nous. Quand une troupe poursuivie
par l'ennemi se réfugie en territoire
neutre, elle est sur-le-champ désarmée
et internée jusqu'à la fin des hostilités.
Il plaît aujourd'hui à quelques enfants
do 10. vorto Erin do ronger par tous les
moyens leurs injures séculaires, et de
guerroyer contre le gouvernement de
la reine Victoria en remplaçant la pou-
dre à canon par la nitro-glycérine. Il est
probable qu'ils n'arriveront ainsi qu'à
aggraver les maux dont ils souffrent,
qu à appesantir le joug qui pèse sur
leurs concitoyens; c'est leur affaire. Ce
qui est la nôtre: c'est de remplir nos
devoirs internationaux, et de fermer
notre territoire aux ennemis armés d'un
peuple avec qui nous vivons en paix.
Il a été convenu, quand nous avons
fondé la troisième République, que nous
ne travaillerions plus pour l'exporta-
tion, et que nous laisserions les peu-
ples voisins user à leur gré du droit de
choisir leur gouvernement. Cette sage
résolution n'a pas peu contribué à pro-
curer à la France républicaine une place
honorable et une situation paisible au
milieu de l'Europe monarchique. Le mo-
ment serait mal choisi pour changer de
système et pour laisser organiser à Pa-
ris des expéditions à main armée con-
tre nos voisins. Ce procédé ne serait pas
plus conforme au droit international et
à la saine politique si les belligérants
se servaient des plus récentes inven-
tions de la chimie que s'ils partaient de
chez nous avec des canons Krupp et des
fusils à la dernière mode.
Responsable vis-à-vis des puissances
des agressions qui partiraient de notre
territoire, le gouvernement français doit
être libre d'éloigner ceux des réfugiés
étrangers qui abuseraient de notre hos-
pitalité pour préparer une invasion ou
machiner un attentat. La loi lui donne
à cet égard un pouvoir arbitraire, et,
quelque horreur que nous inspire l'ar-
bitraire, nous ne voyons pas comment
on en pourrait sortir en pareille matière.
Faudrait il faire juger par n tribunal
les inJividu.; s is^ects d > fabri uer des
bombes? Mais, s'ils étaient convainc is
par un d'bat public, il deviendrait dif-
ficile de se borner à l'expulsion , et
nous serions moralement obligés de
- châtier plus sévèrement leur crime.
Ceux qui demandent des garanties pour
ces étrangers sont-ils bien sûrs que la
meilleure, garantie ne consiste pas dans
la douceur de nos mœurs et dans nos
traditions d'hospitalité ? Si l'on avait
examiné olus à fond le cas de Hartmann
avant de le conduire à la frontière, au-
rait-on pu se contenter de cette mesure
bénigne?
Les députés qui se proposent de
questionner le ministre sur les récentes
expulsions d'étrangers feront sagement
de ne pas trop insister sur le cas de
leurs clients. Mais peut-être n'est-ce
pas à leurs clients qu'ils s'intéressent?
M. G. Berry, qui brigue de nouveau
les voix des électeurs municipaux du
quartier de la Chaussée-d'Antin, a la
candidature gaie.
Il proteste avec une vigueur par-
fois assez bouffonne contre les deux
décisions qui ont annulé son élection.
Pour lui, elles n'ont été rendues que par
passion politique et seulement dans le
but de protéger son concurrent, l'hono-
rable M. Ratier.
Qu'il y consente ou non, les fantaisies
électorales de M. Berry resteront pour-
tant légendaires. Comment oublier les
quelque vingt membres de son comité
signant son affiche, le couvrant de leur
notoriété et dont le moindre défaut était
de n'exister point ?
Le miracle des seize concierges chan-
gés en rentiers n'était pas mal, non plus
que les personnes du sexe faible comp-
tées comme électeurs, et adjointes à ce
titre au comité susdit. Mlle Hubertine
Auclert me s'attendait sans doute pas à
ce que ses principes fussent adoptés tout
d'abord par un réactionnaire déclaré !
M. Ratier se présente dans des condi-
tions bien différentes : la dignité de son
caractère, la fermeté de ses opinions ré-
publicaines, son expérience des affaires,
son dévouement aux intérêts de la ville
de Paris, plaident seuls en sa faveur.
Les électeurs du quartier de la Chaus-
sée-d'Antin tiendront à honneur de l'en-
voyer siéger au conseil. La majorité, lors
des élections de mai, ne lui avait échappé
de quelques- voix qu'à l'aide des ma-
nœuvres dont nous avons donné de lé-
gers échantillons.
Il y a donc lieu d'espérer qu'incessam-
ment M. Georges Berry sera rendu à la
vie privée, aux muses et au barreau.
La Patrie commence ainsi un article
intitulé la Coalition :
« Nous nous applaudissons d'avoir été
des premiers à conseiller à tous ceux qui
regrettent l'ancienne prospérité maté-
rielle et morale, à tous ceux qui aiment
la France, de se coaliser dans une haute
pensée conservatrice en vue des élections
législatives prochaines. Aujourd'hui, l'i-
dée de cette coalition s'impose à l'atten-
tion générale. Il n'est personne qui ne
s'en occupe. Les républicains la redou-
tent ; leurs adversaires l'étudient et cher-
chent les meilleurs moyens de la rendre
fructueuse : c'est ce dernier point qui
doit nous intéress9r. »
Là-dessus, n'est-ce pas? on s'attend à
un mirifique programme de conciliation
réunissant dans une embrassade générale
les amis mûrs des d'Orléans et les jeunes
compagnons du prince Victor.
Sur la fin, tout casse.
Ce que nous voulons, s'écrie le parti-
san si chaud d'une alliance si belle,
a c'est un gouvernement qui tire la France
de la situation douloureuse et sombre
dans laquelle nous la voyons s'épuiser et
se perdre. Seulement, nous précisons :
nous voulons que ce gouvernement émane
au suffrage universel, do b volonté natio-
nale, de l'appel au peuple, parce une-,
sans cela, il manquerait de base et n'au-
rait pas plus de solidité et de force pour
le bien que la République elle-même. »
Allions-nous , coalisons-nous ; mais ,
vous savez, pas d'erreur : - chacun pour
soi !
^—-— m»
L'Œuvre 9e Bastu-Lepage
Ce matin s'ouvre au public l'Exposi-
tion des œuvres de Bastien-Lepage.
Hier le président de la République a
été visiter celte exposition, où la presse
a été également accueillie. Il y en a
eu peu, depuis longtemps, d'aussi inté-
ressantes. Les quatre salles, bien déco-
rées, de l'hôtel de Chimay, déjà occupé
en partie par l'administration des beaux-
arts, seront visitées par tous ceux
qu'intéressent les choses de l'art. Il ne
manquera pas aux amis de Bastien-
Lepage cette consolation dernière du
rayon de gloire qui dore une tombe
trop tôt ouverte et refermée.
Bastien-Lepage, a-t-on dit, a exercé
une grande influence sur la jeune école
de peinture. Je pense le contraire, et
pour s'en convaincre il suffit de voir
son œuvre réunie. On n'exerce une in-
fluence que par un système suivi, par
un parti-pris méthodique. Bastien-Le-
page n'en avait pas. Nul peintre, mou-
rant aussi jeune que lui, n'a eu tant de
manières diverses : et ces manières ne
se succèdent pas, comme chez d'autres
peintres. Eiles coexistent aux mêmes
dates. Ainsi, à l'Exposition de l'hôtel de
Chimay, on trouve des paysages qui tou-
chent à l'impressionnisme ou à la liberté
extrême de certains Anglais, et des
paysages serrés, d'une exécution qui
fa t penser à Rousseau. Bastien-Lepage
a, pour ses paysanneries de plein air,
une manière claire, très particulière,
qui rappelle un peu Manet, avec une
précision de dessinateur extrême que
n'avait pas celui-ci. Ses grands por-
traits de village sont ainsi exécutés.
Mais il a aussi, dans un jour d'atelier,
une manière qu'on pourrait dire sa
« manière des gens du monde » , pen-
chant plutôt vers l'archaïsme que vers
ce qu'on appelle le naturalisme. Ses
petits portraits, de purs chefs-d'œu-
vre, avec un accent moins dur et plus
de finesse, font penser à Meissonier,
comme ses pastels à Millet. Il n'est pas
jusqu'au pittoresque sec de Detaille ou
au pittoresque plus libre de Fortuny,
à qui ne fassent penser tel Réserviste.
ou telle Pochade de pâtissier qu'on voit
à l'hôtel de Chimay.
Le peintre, accessible à des influences
si diverses, était donc un simple ou-
vrier adroit, sans originalité? Du tout.
Bastien-Lepagc est original de la plus
grande des originalités, celle qui tient
à un don de l'esprit et qui ne s'imite
pas. Il était profondément observateur.
Il était de ceux qui, d'après un mot
pittoresque d'atelier, regardent «dedans
leurs modèles». Ses portraits ont tous ce
mérite, qui est un mérite de grand maî-
tre, depuis les portraits à quatre-vingts
francs qu'il fit au village, jusqu'à celui
du prince de Galles, vêtu du manteau
des chevaliers de la Jarretière. Cette
qualité suprême, il l'a dès ses débuts,
dès 4871. A cette date viennent les por-
traits de Prosper Bastien et de sa femme,
serrés comme le portrait de Pagnest,
qui évoquent tout de suite la pensée
d'êtres bons et simples. Le peintre, naï-
vement chercheur, exécute, à la même
époque, un portrait de Mlle J., qui
est une erreur. Il s'est trompé. Il re-
commence, exécute les admirables por-
traits de sa famille, celui du « grand-
père», clair déjà et touchant au ton de
la fresque, et arrive, en 1875, à une
œuvre capitale, le dyptique Ales Pa-
rents. Le plein air, ici, joue au peintre
un de ces tours dont il est coutumier.
Les figures sont superbes de bonne foi,
dignes d'Holbein ; les fonds, justes en
soi, ne prennent pas assez leur place.
En supprimant l'artifice des repoussoirs,
la perspective aérienne reste impuis-
sante. Et le peintre, comme s'il aimait
à passer d'un système à un autre, exé-
cute aussitôt le portrait, vigoureux,
noir, fait de clair-obscur, de M. Hayem,
ce magnifique Oriental en redingote
sous la peau de qui on voit couler, pour
ainsi dire, le sang de sa race. Le por-
trait de M. Wallon est encore dans cette
manière noire, très puissante, qui
garde un peu de convenu dans le moyen
d'expression du pinceau, mais dont le
dessin ne transige jamais.
Puis, après un portrait de M. Kahn,
très remarquable, commence la série
des petits portraits, qui sont des chefs-
d'œuvre. 11 faut citer, jusqu'à la veille
de la mort de l'artiste, les portraits de
MM. Theuriet, Charpentier, Emile Bas-
tien-Lepage, V. Klotz, de M. Goudchaux
et de Mme Goudchaux, de M. Coquelin
(étude particulièrement intéressante par
la recherche de la physionomie), de Mme
Delanglade, de Mme de Montagnac, de
Mme Drouet et d'autres que je passe pour
mettre à part, couronnant cette série,
trois œuvres hors ligne : le portrait de M.
Wolff, en belles bottes rouges de hus-
sard, dans son cabinet, visiblement heu-
reux de contempler des œuvres d'art
qui lui rappellent ses amis, portrait que
je préfère, pour ma part, à la plupart
des Meissonier; le portrait de Mme
Sarah Bernhardt, d'une étrangeté vou-
lue, et, qui sait? non sans ironie peut-
être; et enfin celui de M. Andrieux,
une merveille! L'allure féline, on toyantc,
gaie, lassée et terrible du modèle est
exprimée avec une profondeur d'obser-
vation sans exemple. C'est le portrait à
mettre en tête des Souvenirs d'un pré-
fet de police !
Bastien-Lepage était surtout un grand
portraitiste et c'est, dans ses tableaux,
le portrait qui est intéressant encore par-
dessus tout. Ses compositions simples,
sans artifice, ne sont que des portraits
mouvementés et en plein air. Il laisse,
d'ailleurs, peu de tableaux achevés et
de grandes -dimensions. Le premier en
date est Une Source, étude qu'un bou-
let creva en 1871. Ce tableau du peintre
lorrain garde et montre sa blessure 1
Puis, après quelques ébauches, nous
passons à la Chanson du printemps,
essai singulier de mythologie contempo-
raine, où le peintre cherche le style par
les simplifications telles que les pratique
à l'excès M. Puvis de Chavannes. Ce
sont ensuite les deux morceaux de con-
cours de l'artiste qui n'eut jamais le
prix; l'un, l'Athille, très ordinaire, ins-
piré de la statuaire antique; l'autre,
Y Adoration, imitée, mais d'un grand art,
de Corrège. Heureusement, je crois,
Bastien-Lepage resta en France, dans
sa terre de Lorraine, où il retrouvait son
originalité paysanne. Dès 1875, la Com-
muniante, en dehors de la symphonie
des blancs, révèle le peintre des âmes
obscures et des instincts du campa-
gnard. Il est maître, de lui-même, dans
cette manière rustique, avec les Foins
(à l'Etat), nous montrant la lassitude de
l'homme des champs et l'espèce d'état
contemplatif naïf, je dirais volontiers
bestial, de sa compagne. Puis ce sont
les Blés murs, la mer dorée de la
moisson, le Mendiant, Jeanne d'Arc,
la Récolte des pommes de terre, le Père
Jacques (tableau de plein air où la pers-
pective est inattaquable), Pas mèche,
étude de garçon d'une réalité fine, enfin
VAmour au village, sa dernière grande
toile.
Bastien-Lepage n'est pas moins varié
comme paysagiste que comme peintre
de portraits. En France, dans son coin
de Lorraine, il se rapproche de Millet
(le Soir au village), sans se refuser les
beaux tons de velours de M. J. Breton.
Puis, ce sont des incursions violentes
sur le terrain impressionniste. En An-
gleterre, les deux influences se fondent.
A Venise, le peintre, très sage, devient
fin et délicat, soit qu'il s'en tienne aux
paysages de nuit, aux tons gris, soit
qu'il aborde, lui aussi, les roses vifs, par
où, comme un rayon à travers une
porte, Venise est éclairée par l'Orient.
Mais, en général, ses paysages ne sont
pas très poussés, sauf un dernier qui
annonçait une évolution nouvelle du ta-
lent du maître, cherchant la solidité,
comme, dans la Forge, il a cherché et
trouvé la perfection minutieuse des Hol-
landais.
En réalité, ce grand artiste faisait ce
qu'il voulait de son pinceau. Réserve
faite pour certaines perspectives dans
les grands tableaux en plein air, il est
maître de tous les moyens. Ses dessins
sont, au point de vue de la facture, extra-
ordinaires. A côté de larges esquisses, M
trouve des études, — un chapeau, par
exemple, — à l'encre, qui décourage-
raient le plus avisé des graveurs 1 C'est
une de ces mains de paysan, fortes, et
qui savent tout faire !
L'esprit du peintre était rustique
aussi, fin et simple, et trouvant, pour
traduire son émotion, là où il en a
éprouvé une, — car le drame est rare
en son œuvre, - des moyens naïve-
ment puissants. Le Gambetta sur son
lit de mort ne peut être regardé par
ceux qui ont vu cette chambre funeste
des Jardies, 'sans une poignante admi-
ration. Le portrait du peintre nous le
révèle d'ailleurs. Tout est ordinaire en
ces traits d'un homme qui fut peintre
de naissance, et rien que peintre. Mais
rœii est un œil de voyant, comme en
avait un soi^compatriote Claude, œil où
les formes et-les harmonies des cou-
leurs arrivent avec une puissance prodi-
gieuse, guidant la main, chez ces hom-
mes dont on peut dire que leur talent
fut un don de nature, ce qui est le pre-
mier pas vers le génie. Bastien-Lepage,
hélas! n'a pas accompli toute la route.
Mais il est tombé sur le chemin des
maîtres définitifs, et ayant déjà fait assez
pour se séparer du gros des ouvriers
adroits, des artistes spirituels et des
simples savants de la peinture. Car,
ceci ne vous étonne pas, ce prétendu
« réaliste » fut un poète.
HBNRY FOUQUIER.
——. -— —————
LE PARLEMENT
COURRIER DE LA CHAMBRE
Paris, 16 mars 1885.
Les bêtes à cornes sont encore à l'or-
dre du jour.
Nous avons laissé, samedi dernier, M.
Méline au moment où il termiDait un
discours essentiellement protectionniste,
réclamant des droits sur le bétail étran-
ger.
M. Frédéric Passy, on s'en souvient,
allait lui répondre ; mais la Chambre, fa-
tiguée, l'avait prié de remettre son dis-
cours à la séance suivante.
M. Frédéric Passy a donc parlé hier, et,
nous avons entendu un panégyrique du
libre-échange qui nous est aussi fami-
lier que la thèse opposée.
Ce n'est pas que nous ne partagions
pas en général les théories de M. Fré-
déric Passy, dont la compétence en ma-
tière économique est universellement re-
connue. Mais pourquoi, grand Dieu ! re-
venir sur ce qui a élé dit, et essayer de
convaincre une Chambre qui reste sour-
de parce qu'elle le veut bien, et qui ne
démordra pas de quelques-unes de ses
idées protectionnistes et électorales?
M. Frédéric Passy a fait un effort su-
prême pour détourner le gouvernement
de la voie dans laquelle il s'est engagé.
Déjà le pain a augmenté dans Paris,
a-t-il dit : c'est l'effet désastreux d'une
loi qui n'est pas encore promulguée !
Va-t-on agir de même avec la viande ? Il
faut s'y attendre ; avec les droits que l'on
réclame, la viande va subir une hausse
à bref délai.
L'orateur économiste combat la théorie
de la rétroactivité, qui consiste à dire que
les droits sur le bétail sont la consé-
guencenécessaire des droits sur les cé-
réales. Où M. Méline trouve-t-il une con.
nèxité entre les deux mesures ?
Voici maintenant une autre cloche et
un autre son : c'est le marquis de Roys
qui arrive à la tribune avec un stock
énorme d'arguments protectionnistes.
Depuis que la discussion actuelle est
ouverte, c'est-à-dire depuis un mois, il
est à remarquer que ce sont toujours les
mêmes orateurs, une dizaine au plus, qui
ont soutenu le débat.
A l'exception de M. Raoul Duval, il
faut, pour être juste, reconnaître qu'ils
ont été plus. soporifiques les uns que
les autres.
En dehors de MM. Graux, des Roys.
Frédéric Passy, Ganault, Ansart et quel-
ques autres dont les noms nous échap-
pent, personne n'a parlé, et la Chambre
a dû subir quelque chose comme cent
discours pour et contre, et cela pendant
un mois!
Croit-on que c'est gai?
M. le marquis de Roys a naturellement
pris à partie son adversaire libre-échan-
giste, et dans un long discours a réfuté
de nouveau les arguments de M. Passy
les uns après les autres.
Au bout d'une heure, il n'en restait
pas un debout.
C'est aLars que la Chambre rendue, har-
rassée, brisée, a réclamé à grand cris la
clôture.
« La clôture ! la clôture ! » Les cris de-
viennent des mugissements, des bêle-
ments, des hurlements, lorsqu'on voit
apparaître pour la quarante-cinquième
fois M. Frédéric Passy, avec sa légen-
daire serviette sous le bras, tout prêt à
nous servir un quarante-cinquième dis-
cours.
M. Brialou se met de la partie, mais
pour protester contre la clôture, histoire
de placer quelques mots, et de faire con-
naître à la Chambre son opinion.
Ça n'a pas été long, c'est déjà un
avantage. M. Brialou est un brave ou-
vrier lyonnais assez peu familier avec le
bagage parlementaire, et qui n'y va pas
par quatre chemins quand il a quelque
chose à dire à ses collègues.
— Vous êtes tout simplement des affa-
meursl leur crie-t-il.
— Retirez votre expression ! lui dit M.
Brisson.
— Je la retire, mais ma pensée reste
entière.
Comme on le voit, M. Brialou a placé
son mot, et descend satisfait.
Après quelques observations du minis-
tre de l'agriculture et du rapporteur, M.
Raoul Duval, on décide par 289 voix con-
tre 184, qu'on passera à la discussion des
articles.
Ici, une pluie d'amendements; les
bœufs et les vaches sont particulièrement
visés.
Le toréador Ganault descend dans la
piste et lance contre le bœuf un droit de
60 francs, et contre la vache un droit
de 40.
Vlan l D'un simple coup de corne, le
pauvre M. Ganault est envoyé au diable,
lui et son amendement.
M. Ansart, toréador plus malin, appa-
raît ; c'est le poids de la bête qui le préoc-
cupe et non la bêle elle-même.
Les bœufs paieraient, à l'entrée, 5 cen-
times par kilog. ; les vaches, 3 centimes
et les veaux 5 centimes.
M. Ansart est battu.
Le marquis des Roys arrive à son tour.
Il demande 40 francs par tête de bœuf.
C'est trop s'écrie M. Méline ; mettons.
25 francs et n'en parlons plus.
M. Langlois proteste avec force coups
de poing sur son pupitre. 25 francs, un
bœuf, pour entrer en France! L'équivalent
de l'indemnité parlementaire ! Serait-ce
par hasard une allusion de la part du mi-
nistre?.
M. Langlois est exaspéré, furieux, hors
de lui : tel un taureau qui aurait aperçu
la fameuse bannière rouge de Levallois-
Perret.
M. Brisson le calme par quelques coup.
de sonnette, et parvient entin.à mettre le
chiffre de 25 francs aux voix.
273 voix contre 216 condamnent les
bœuts étrangers.
Le traditionnel bœuf à la mode est
hélas ! bien malade.
Loere DESFORGES.
COURRIER DU SÉNAT
Séance d'un quart d'heure, séance ab-
solument nulle, séance pour la forme,
motivée uniquement par la nécessité de
recevoir le dépôt du rapport de M.Krantz
sur la modification du tarif général des
douanes.
A trois heures, les sénateurs entrent
en séance ; ils votent au galop, sans dis-
cussion, deux projets sans intérêt; M.
Krantz monte à la tribune et remet son
rapport au président; on décide -qu'on
s'ajourne à jeudi pour en discuter les
conclusions, et la séance est levée. Voilà
tout, et le public désappointé évacue
les tribunes en regrettant de s'être dé-
rangé pour si peu de chose.
La banalité de la séance était du reste
prévue, et là n'était pas l'intérêt. Ce qui
préoccupait, c'était de savoir les dispo-
sitions de la majorité sénatoriale à l'é-
gard des réductions apportées par la
Chambre au budget ; c'était de savoir si,
oui ou non, un litige sérieux est à la
veille de se produire entre les deux As-
semblées.
Déjà certains prononçaient en trem-
blant le gros mot de « conflit », et es-
comptaient tous les malheurs qu'une si-
tuation de ce genre pourrait entraîner!
Eh bien! que les peureux se rassu-
rent : il est maintenant à peu près cer-
tain qu'il n'y aura aucun « conflit ». M.
Jules Ferry demande tout simplement
au Sénat d'émettre un vote politique en
acceptant toutes les réductions de la
Chambre. Ce vote n'engageant en rien
l'avenir, n'établissant aucun précédent,
ne préjugeant en rien les principes, n'at-
teignant même pas dans leur existence
les institutions qui supportent les réduc-
tions, il n'est pas douteux gue, sur 59
terrain, le ministère trouve, sinon dans
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