Titre : Le XIXe siècle : journal quotidien politique et littéraire / directeur-rédacteur en chef : Gustave Chadeuil
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1885-03-16
Contributeur : Chadeuil, Gustave (1821-1896). Directeur de publication
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Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 16 mars 1885 16 mars 1885
Description : 1885/03/16 (A15,N4817). 1885/03/16 (A15,N4817).
Droits : Consultable en ligne
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Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-199
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 09/04/2013
Quinzième année.—AB—N"48i7 Prix du numéro à Paris 15 centimes — Départements: 20 centimes Lundi 16 Mars 1885
JOURNAL RÉPUBLICAIN CONSERVATEUR
REDACTION
S'adresser au Secrétaire de la Rédaction
de 2 heures à minuit
as, rue Cadet, 16
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Trois mois la »»
Six mois. 32 »»
Un an. 62 »»
PARIS
Trois mois. «2 jfe.
Six mois 25 :t..,,'
Un an EQ/ **
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Les aboDDemtl partent dès ttr et 15 de chagJO mois
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6, place de la Bourse, ô
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Les Lettres non affranchies seront refusée*
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ET DANS SES SUCCURSALES
37, Charlotte Street, Fitzroy Square.
,:;\ n, Tichborne Street. (Café Monico. 2d.)
Les représentants des actionnaires du
XIX8 Siècle m'ont demandé de diriger
la rédaction du journal dont j'ai été,
- pendant plusieurs années et jusqu'en
ces derniers temps, le collaborateur
quotidien.
J'ai accepté ce grand honneur et cette
lourde tâche, heureux de retrouver les
lecteurs et les abonnés qui avaient bien
voulu me témoigner souvent leurs sym-
pathies pour mes efforts.
La tâche est d'autant plus lourde
que des circonstances, sur lesquelles
je ne reviendrai que si on nous y force,
m'ont contraint à l'accepter brusque-
ment, et sans certains concours qui
l'eussent allégée.
Le journal, avec la plus grande ra-
pidité possible, sera complété par d'heu-
reuses et nouvelles collaborations, mo-
difié dans sa forme qui ne répondait
plus aux besoins du jour, augmenté de
rubriques nouvelles qui mettront notre
chère et ancienne clientèle au courant
de tout ce qui peut intéresser le lec-
teur, qu'il lise seul le journal ou qu'il
le lise en famille.
Nous avons, ici, l'habitude de nous
expliquer très franchement sur nos pro-
jets. Le journal que sera le XIX* Siècle
de ddmain essaiera de tenir le milieu,
en étant aussi complet que les uns et
que les autres, entre les journaux poli-
tiques et les journaux plus particuliè-
rement parisiens.
Sa règle de conduite absolue est qu'un
journal doit être fait pour plaire à qui
le lit plus que pour servir à qui l'écrit.
Et, pour cela, il doit avoir, avec la cu-
riosité de toutes les choses de l'esprit,
une indépendance absolue vis-à-vis de
tous les hommes.
Rien n'est changé à la ligne politi-
que du journal, qui reste fidèle à son ti-
tre de journal « républicain conserva-
teur ».
Nous revenons à la conduite politi-
que qui a fait la fortune du XIXe Siècle,
en revenant à une politique de conci-
liation chère à tous les bons républi-
cains, passionnés pour les idées, sans
haines pour les hommes qui diffèrent
d'opinion avec nous.
Un journal a deux façons, également
nécessaires, d'être indépendant:
Il doit être indépendant des hommes
au pouvoir ;
Il doit être indépendant pour ainsi dire
de lui-même, en l'étant de tout intérêt
prticulier, detouterancune personnelle,
de toute ambition autre que celle d'ins-
truire, de convaincre ses lecteurs et
aussi, pourquoi ne pas l'avouer? de les
charmer et de les amuser.
C'est tout le programme de notre
journal.
- HENRY FOUQUIER.
Bourso de Paris
PETITE BOURSE DU SOIR"
3 ©10 82 20, 22, 21.
4' lîËC'0 110 15,17,15.
Turc 17 85, 77.
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Egypt 341 56,342 50.
Hongrois. 81 9ilô.
Actions Rio. 288.
Nous commencerons demain la pu-
blication du nouveau feuilleton: le
Roman du Roman, par M. EDGAR
MONTEIL.
BULLETIN
Hier, la Chambre a abordé la ques-
tion du relèvement des droits sur les
bestiaux, projet soutenu par le gouver-
nement et combattu par la commission.
M. Méline, ministre de l'agriculture, a
prononcé à ce sujet un long et impor-
tant discours. La suite de la discussion
a été renvoyée à lundi.
En réponse à M. Richards, qui a de-
mandé au premier ministre si la décla-
ration du traité de Paris de 1856 ne four-
nirait pas l'occasion d'invoquer les bons
offices d'une puissance amie pour
régler le différend anglo-russe., M.
Gladstone a répondu que la question
de la frontière afghane peut être consi-
dérée sous deux faces bien différentes.
On peut en effet faire porter le débat
sur l'accord intervenu récemment entre
l'Angleterre et la Russie pour la déli-
mitation de cette frontière, ou sur la
marche en avant des forces russes. Sur
le premier point, a déclaré M. Glads-
tone, 1 Angleterre et la Russie ne sont
pas arrivées encore à une entente dé-
finitive. L'affaire est en cours par les
voies diplomatiques, et il est au moins
inutile d'émettre une. opinion sur la so-
lution qui prévaudra. Sur le second
point, M. Gladstone a annoncé qu'il a
été convenu entre les cabinets de Lon-
dres et de Saint-Pétersbourg que le
statu quo serait respecté. Il convient
de remarquer que ce n'est pas du slatu
(jw ante qu'il s'agit. La Russie reste
n)a,ti*esse des tei-fltoli-es -occupés par
eue. M. Gladstone a ajouté, en réponse
a une question de sir Stafford Norlh-
cote, que cet accord n'avait pas «le
caractere d'un instrument formel » et
qu il durera « autant qu'il y aura lieu»).
Le premier ministre admet donc la prise
de possession par la Russie des terri-
toires contestés, mais en refusant de
se prononcer sur le fond même du dé-
baf, c'est-à-dire la légitimité de-cette
occupation.
Le Daily News croit savoir d'autre
part que, dans le conseil de cabinet tenu
hier, la question des armements mili-
taires nécessités par la marche en
avant des Russes en Asie a été lon-
guement examinée. D'après le Stan-
dard, lord Duflerin aurait reçu l'ordre
de se tenir prêt à toute éventualité.
Le Times annonce de son côté, que le
gouvernement anglais a reçu du cabi-
net de Saint-Pétersbourg de nouvelles
assurances pacifiques. Mais la presse
anglaise ne paraît pas ajouter foi à ces
démonstrations diplomatiques de la
Russie.
Les Anglais en sont encore à cher-
cher quels sont, en Egypte, leurs alliés
ou leurs ennemis. Une dépêche d'Alexan-
drie nous annonce que Zebehr-Pacha a
été arrêté aujourd'hui, en vertu d'ordres
émanant de l'autorité militaire anglaise.
Zebehr a été conduit à bord de l'aviso
Iris, qui est prêt à prendre la mer.
Le gouvernement mexicain prend
les mesures que rendent nécessaires les
prétentions du général Barrios à la dic-
tature sur les Etats de l'Amérique cen-
trale.
QUESTION DU JOUR
La Guerre ou la Paix?
Un grand émoi, depuis quelques jours,
a régné dans les esprits. On aurait pu
répéter, avec le poète :
Dans les fourreaux frémit l'acier.
Le vent qui souffle sort, ô guerre !
Des naseaux de ton noir coursier 1
Les hommes d'affaires, les politiques
et les philosophes ont également res-
senti une immense inquiétude à la pen-
sée du choc qui pouvait se produire,
dans l'Asie centrale, entre l'Angleterre
et la Russie, entre « la baleine et l'élé-
phant » , comme on l'a dit de façon.
pittoresque.
Pendant quatre jours, les avant-pos-
tes russes et les avant-postes afghans,
en présence sur les limites contestées
de FAfghanistan et de la Tartane, que
les cartes de géographie sont seules à
appeler encore la Tàïtarie indépendante,
ont été si près qJle la guerre pou-
vait éclater par le moindre hasard. Car,
derrière les Afghans, se trouvaient les
Anglais et les soldats de l'armée des
Indes.
Une accalmie s'est produite et, au
Parlement, M. Gladstone a pu rassurer
les négociants de la Cité, tandis que la
presse russe abandonnait toute crainte
de voir la Baltique bloquée. Cette ac-
calmie est due, en apparence, à l'inter-
vention personnelle de l'empereur Guil-
laume, qui a écrit au czar, son neveu,
une lettre dont l'existence ne paraît
plus être douteuse.
En réalité, Russes et Anglais s'ar-
rêtent, effrayés, les uns et les autres,
des conséquences d'une guerre dont nul
ne pourrait prévoir la fin.
M. Gladstone qui, en sa qualité
d'Anglais et d'homme pieux, paye vo-
lontiers les gens en eau bénite, a re-
mercié M. de Bismarck en appelant les
bénédictions du ciel sur les entreprises
coloniales des Allemands. Il a prédit de
beaux jours au commerce des bibles de
Leipzick, et nous n'en avons nulle ja-
lousie.
Mais le choc, ajourné, ne manquera
pas de se produire.
Obéissant à une loi mystérieuse, le
monde européen retourne vers les pays
d'où il a pris son essor. Anglais et
Russes sont en présence sur ce pla-
teau du Haut-Iran, d'où ils sont des-
cendus jadis.
Les Européens, en face les uns des
autres dans les mondes anciens qui
sont à conquérir et à renouveler, se
touchent presque et se menacent, sem-
blables à ces enfants qui se défient,
une paille sur l'épaule, et ne portent
pas le premier coup tant que la paille
n'est pas touchée.
Voici déjà qu'on assure que M. Glads-
tone ne veut que gagner du temps,
opérer sa retraite du Soudan, et que,
tandis que le lion britannique paraît
assez piteusement rentrer ses griffes, il
les laisse simplement repousser ou les
aiguise.
Quoi qu'il en soit des événements
immédiats, que la paix soit menacée à
brève échéance ou qu'elle soit assurée
pour quelque temps, il est certain dès à
présent pour tous les observateurs que
la guerre sortira un jour de l'extension
coloniale, devenue une nécesssité pour
les peuples de l'Europe.
La sagesse suprême, pour les Euro-
péens, serait de procéder pacifiquement
à un partage du monde, en tenant
compte des droits historiques de chà-
que peuple, et, surtout, de ce qu'on
pourrait appeler les droits géographi-
ques, c'est-à-dire les convenances de
voisinage.
J Avec ce partage, un grand syndicat
ae défense pourrait être formé contre
le monde musulman, qui a derrière lui
sa gloire d'hier, et contre le monde de
la race jaune, qui rêve peut-être d'une
gloire future à acquérir.
Mais cette politique idéale n'est pas
de celles que les diplomates compren-
nent et pratiquent. II y a donc lieu de
croire que la politique d'équilibre, rom-
pue en Europe parla, faute des grandes
puissances, se rompra de même dans
la politique coloniale, et que la force
des armes interviendra au loin. Crainte
ou espérance pour nous, selon le bien
ou le mal que la guerre pourra nous
apporter.
A l'heure présente, dans le? conflits
qui se préparent pour un avenir plus
ou moins long, nous n'avons pas à in-
tervenir.
Mais ce qui vient de se pisser entre
Londres et Berlin, entre Londres et
Saint-Pétersbourg, doit être un avertis-
sement.
Le problème à résoudre pour nous est
d'entrer dans le mouvement indispen-
sable de l'extension colotiale, de pren-
dre une position politiqae et militaire
qui nous donne le droit d'être écoutés
en telles questions, et .de terminer ce-
pendant cette besogne avec assez de
promptitude pour que nos forces restent
sous notre main. L'énergie aujourd'hui
est la première règle que dicte la pru-
dence patriotique. 0
HBNRY FOUQUIER.
Tout ce que la France contient d'anar-
chistes — et si peu qu'il y en ait, c'est
encore trop — va pousser aiwbeaux cris :
Antoine Rieffel, gérant d'un journal in-
titulé Terre et Liberté, disparu aujour-
d'hui, poursuivi pour avoir publié des
menaces de mort contre les jurés et les
magistrats ayant siégé dans l'affaire de la
salle Lévis, a été condamné hier à deux
ans de prison, 200 francs d'amende et
cinq ans de surveillance.
Quoi qu'en disent les anarchistes, la li-
berté de la presse n'est nullement mise
en question dans le cas présent.
Il faut considérer qu'au contraire la
cour, en condamnant Rieffel, est restée
dans la pure tradition de la Révolution,
puisqu'elle défendait le jury institué en
93 et placé, dans l'esprit du législateur,
au-dessus de toute menace, de toute in-
jure et de toute attaque.
Ne doit-on pas, si l'on tient pour un
progrès d'être jugé par ses pairs, com-
mencer par les respecter ?
■11^» ii——11
M. Philippoteaux, vice-président de la
Chambre, a ouvert hier la séance de la
Chambre par le petit discours d'usage
lorsqu'un'de ses membres est décédé.
M. Gatineau en était l'objet.
« Les commencements de M. Gatineau,
dit M. Pniiippoteaux, furent difficiles, et
c'est au prix de grands efforts qu'il con-
quit sa situation au barreau.
» Entré dans la vie politique, il s'y fit
remarquer par la constance de son opi-
nion républicaine, par son excellent cœur;
qui ne fit jamais défaut à ses coreligion-
naires politiques, et par la franchise et la
lovauté de son caractère. »
C'est « joyeuseté» qui est le mot pro-
pre.
Me Gatineau réalisa en effet le typé
complet de l'homme de franche allure,
au mot vif, tranchant, un peu vert. Nos
pères adoraient cela. Le goût nous en est
un peu resté.
C'est Me Gatineau qui, défendant un
jour treize marchands de volailles accu-
sés de vol, s'écria:
— Messieurs, sur mes treize clients, il
y a douze hommes de l'honnêteté des-
quels je réponds.
Le treizième accusé était une femme.
C'était un gros moyen, soit, mais c'en
était un.
Jamais le « gros mot » pour rire ne
manq aâ Me Gatineau.
Dans un accès de belle humeur, c'est
Gatineau qui lança cette apostrophe de-
meurée célèbre, à l'adresse d'un de ses
confrères, majestueux et redondant :
« Vous voyez Jupiter, M0 X. enveloppé
de flanelle, lançant du haut de l'Olympe
ses flèches en papier mâché. »
En une autre rencontre, il plaidait pour
la famille d'un client décédé à la suite
d'un traitement douteux : « Un duel 1.
on nous demande un duel ! Soit: j'aime
mieux avoir un tel docteur pour adver-
saire sur le terrain. que pour me soi-
gner ! »
Allez donc résister à ces accès de gros
rire 1 Personne n'y résistait. Pas même
les électeurs d'Eure-et-Loir qui n'étaient
pas fàchés d'avoir ce Bourguignon dans
leur jeu pourfaire croire que leur Diccolo
valait du chambertin. -
————
A monsieur Arthur Meyer, directeur
du Gaulois.
Paris, 14 mars 1885.
Mon cher confrère,
Sous ce titre : Histoire d'un journal répu-
blicain sous la troisième République, vous
publiez, dans le Gaulois d'hier, un article
que je ne puis laisser sans réponse.
Votre rédacteur, M. Jean Sincère, qui est
certainement sincère, si ce mot veut dire
« de bonne foi », mais qui est aussi Jean,
si ce prénom indique une âme crédule, ra-
conte, à sa façon, l'histoire du XIXe Siècle
depuis le mois de novembre dernier.
Il y a, dans ce récit dramatisé, quelques
faits exacts et d'autres, plus nombreux et
plus importants, qui ne le sont pas.
Je ne parlerai que de ce qui me touche.
Votre rédacteur dit nettement que ma ren-
trée au XIX,, Siècle est le résultat d'une
« conspiration » à laquelle le ministère se
serait mêlé.
Après mon honorable ami M. Guichard, et
pour la seconde fois, — veuillez, mon cher
confrère, le remarquer, — j'oppose à cette
insinuation, ou à cette assertion, le plus
formel démenti. Je reviens au journal, que
j'ai dû quitter il y a trois mois, dans des
conditions d'indépendance absolue, qui sont
dans le désir des administrateurs comme
dans le mien. Ceux qui diraient le contraire
auraient le choix d'être des calomniateurs,
des nigauds ou des gens mal informés.
Je ne doute pas que votre estimable colla-
borateur ne choisisse cette dernière qua-
Iité, ce qui me permet de lui répondre en
l'assurant, ainsi que vous, de mes meilleurs
sentiments de confraternité.
H. FOUQUlKB.
P. S. — Vous m'excuserez de publier
cette lettre en même temps que je vous
l'adresse. Mais il y a urgence pour moi à
rétablir la vérité.
H. F.
LA MORALE nu VERDICT
Il est intéressant de faire quelques
réflexions sur le procès Ballerich. Ce
n'est pas que l'issue en fût douteuse.
L'un des deux frères mort, on ne pou-
vait pas condamner l'autre ; on ne pou-
vait pas frapper l'accusé entre deux
tombes. Quel qu'eût été son égare-
ment, ce double deuil le rendait pour
ainsi dire inviolable à la justice hu-
maine. Aussi le public n'a-t-il pas
ressenti, au spectacle ou à la lecture
de ces débats, l'anxiété poignante que
fait éprouver un drame dont le héros
peut-être succombera. Pourtant l'audi-
toire de la cour d'assises s'est pas-
sionné, comme si la partie pouvait
être perdue ; il a manifesté sa passion,
en dépit du respect et de la crainte
qu'inspire le prétoire, en dépit des obr
jurgations d'un président qu'on souhai-
tait d'autant plus de ne pas offenser que
son attitude se montrait en communion
avec le sentiment général.
-Le secret de cette sympathie n'est
pas difficile à trouver. La conscience
publique ne juge pas tant les actes que
les mobiles. Au premier bruit de l'as-
saut donné aux bureaux du Cri du
Peuple, on avait été un peu partagé.
Ces deux fils atteints dans leur plus
chère affection, exaspérés par une plai-
santerie sinistre, touchaient par l'excès
même de leur égarement ; mais aussi on
s'indignait de voir deux magistrats, dé-
positaires de l'autorité légale et d'une
portion de la force publique, gardiens
at itrés des lois et de la paix, venger
leur inj ure l'épée à la main, le revolver
au poing. Tandis que les uns ne consi-
déraient que la coupable violence de
deux fonctionnaires de la police, les
autres excusaient tout en faveur d'une
colère si naturelle, et les discussions
allaient grand train.
L'accord s'est fait peu à peu : à l'heure
du procès, il n'y avait plus qu'une voix.
Même la partie civile demandait l'ac-
quittement, non seulement pour rejeter
la responsabilité de l'agression sur les
chefs et sur l'institution de la police,
mais pour ne pas froisser l'opinion, pour
ne pas rencontrer un courant irrésis-
tible d'indulgence et d'attendrissement.
Le jury n'a guère délibéré ; le verdict
était dans l'atmosphère de la salle et sur
toutes les lèvres avant de sortir de la
bouche qui devait le prononcer. La cause
était jugée d'avance.
Peut-être un misanthrope dirait-il que
nous devenons bien prompts à excuser
les toupside force, à transporter dans
la vie la morale du théâtre et du roman.
Cet appréciateur sévère et quinteux
des mœurs du temps rasssemblerait en
faisceau tous les épisodes sanglants,
tous les faits-divers mélodramatiques
de la saison ou de l'année, et il en con-
clurait que les Français de cette fin de
siècle ne demandent qu'à retourner à la
barbarie qui a précédé le règne des lois,
que nous nous mettons à l'école de la
Corse, et qu'un nouveau Mérimée pour-
rait sans invraisemblance refaire Co-
lomba en remplaçant le maquis par le
boulevard. 11 prétendrait que nous ne
contestons à la société le droit d'infliger
la peine de mort que pour en investir
les individus, ou du moins tout honnête
homme, toute femme honnête cruelle-
ment trahie, et qu'enfin, clans cette sym-
pathie si aisément accordée à qui fait
parler la poudre, il y a un peu de l'ins-
tinct belliqueux et parfois féroce qui se
tapit au fond du cœur humain.
Ce misanthrope aurait tort, au moins
dans le cas dont il s'agit. Sans doute on
peut, à l'occasion de certains procès,
nous accuser de faire bon marché des
articles du Code qui protègent même
la vie des gredins. Sans doute il semble
que les mœurs américaines, dont nous
avons tant plaisanté, menacent de nous
envahir. Au fond, ce n'est pas là un
progrès de la barbarie, mais un progrès
de la démocratie. On admettait bien
que les aristocrates d'autrefois fussent
jaloux de leur honneur au point de bra-
ver, pour le venger, les rois les plus
absolus et les édits les plus rigoureux.
Ce qui était jadis le privilège de quel-
ques-uns tend à devenir le privilège
de tous : le respect de la vie humaine
ne paraît en baisse que parce que le res-
pect de la dignité humaine est en hausse.
S'il y avait eu un jury sous Louis XIV,
il aurait acquitté plus d'un gentil-
homme coupable de violence; l'indul-
gence du jury moderne et du public
contemporain prouve simplement que
nous nous tenons tous pour gentils-
hommés.
Mais, dans le procès Ballerich, ni le
public ni le jury ne raffinaient leur im-
pression. L'accusé était profondément
malheureux ; l'impulsion irrésistible qui
l'avait égaré n'avait rien que de noble
et de louchant: c'était un fils qui se
voyait raillé, qui se voyait outragé dans
son amour pour une mère assassinée.
Tel article qu'un sot prenait pour un
coup d'épingle tombait sur une plaie
vive et jetait le blessé dans une sorte
de délire. Ces mots : « piété filiale», cou-
vrent tout, justifient tout aux yeux de
la foule, qui ne peut pas éprouver plu-
sieurs sentiments à la fois, et nous som-
mes tous de la foule quand l'indigna-
tion ou la pitié nous - émeuvent forte-
ment. «
Ne disons donc pas que ce verdict
est un précédent qui peut mener loin,
ni que la sympathie de l'auditoire pour
l'accusé Ballerich est un signe des
temps. Le jury ne pose pas de princi-
pes : il ne juge que des cas, ou plutôt
des hommes, et il les juge avec le cœur,
avec l'instinct.
Cela ne prouve rien pour l'avenir. Un
acquittement n'est qu'un acquittement;
il n'est pas une règle, ni une autorisa-
tion donnée à des imitateurs possibles.
Malheur à qui spéculerait sur cet exem-
ple ! On n'excuse la violence que quand
on est assuré qu'elle n'avait rien de
calculé. Dans les drames de ce genre,
les doublures d'un héros applaudi ris-
quent fort d'être sifflées, et quelque
chose de plus.
AU TONKIN
Le général de Négrier est à Langsoc.
On a annoncé qu'il avait occupé That-Ké :
il n'en est rien. Un détachement de chas- ,
seurs d'Afrique, envoyé en reconnais
sance, a constaté que la ville était éva-
cuée et que les Chinois avaient passé la
frontière.
La position était devenue mauvaise
pour les réguliers chinois depuis que le
général de Négrier s'était rendu maître
de Dong-Dang et de la porte Chinoise. Te-
nant d'une part la route mandarine au
point où elle bifurque vers Caobang et
Tbat-Ké, d'autre part il menaçait la re-
traite de la garnison de That-Ké.
Les dépêches ne disent pas que le gé-
néral de Négrier soit disposé à occuper
la place.
Peut-être n'est-il pas en force pour dis-
traire de sa brigade les éléments d'une
garnison nouvelle. Cette explication, pour
hypothétique qu'elle soit, a le mérite de
la vraisemblance. Chaque nouvelle vic-
toire remportée par nous au Tonkin a ce
fâcheux résultat de nous aflaiblir, tant par
les pertes subies que par J'éparpillement
nécessaire de nos troupes sur les posi-
tions conquises.
Un journal du soir a annoncé que le
gouvernement se préparait à demander
un crédit de 50 millions et à envoyer un
renfort de 25,000 hommes. Que vaut la
nouvelle ? Je ne saurais le dire. Ce chiffre
est un peu gros. Pourtant il doit y avoir
une part de vérité.
Le gouvernement doit avoir aujour-
d'hui la preuve que les succès sanglants
remportés au Tonkin depuis quelques
semaines sont des victoires coûteuses et
sans lendemain. Les Chinois, battus en
mainte rencontre, se dérobent sans qu'on
puisse achever leur déroute par une
poursuite soutenue.La cavalerie manque;
les moyens de transport faisant défaut,
le ravitaillement devient impossible; de
telle sorte qu'après une victoire gagnée
- et au prix de quels sacrifices! — il
faut s'attarder sur les positions conquis-
ses, faute de troupes fraîches pour re-
commencer le lendemain l'effort de la
veille.
On l'a constaté vingt fois au Tonkin ;
je le rappelais hier à propos de l'affaire
si meurtrière de Kelung, où le colonel
Duchesne, après une bataille de quatre
jours, se trouva pour ainsi dire immobi-
lisé sur place et impuissant à profiter de
sa victoire : il est trop évident qu'avec
les quelques centaines d'hommes valides
qui lui restent, il lui est matériellement
impossible de se lancer sur la route de
Tamsui. Il réclame des renforts- Où les
prendre ? Au Tonkin ? Il n'y faut pas son-
ger. Le commandant du corps expédition-
naire a été obligé de renvoyer à Saigon
les quelques compagnies que la Cochin-
chine lui avait prêtées. Nous savons au
surplus qu'il ne peut déjà plus suffire à
la tâche avec ce qui lui reste de troupes.
Donc, c'est de France qu'il faut tirer
les renforts devenus nécessaires.
Pourquoi tarder davantage? Ce que
l'opinion publique demande avant tout,
c'est qu'on en finisse le plus tôt possible
avec les envois parcimonieux, et qu'on
fasse d'un coup ce qu'il faut pour tou-
cher au but final.
On parle de la possibilité de conclure
la paix à bref délai. Soit; mais cette éven-
tualité sera d'autant plus près de se réa-
liser que nous aurons plus nettement af-
firmé la volonté de pousser les choses
jusqu'au bout.
Louis HENRIQUB.
.—————
NOUVELLES DE CHINE
LES FORTS DE CHIN-HAI
Londres, 14 mars.
On télégraphie de Shanghaï au Standard
de ce matin ;
« Les Français bombardent Chin-Haï.
» Ils ont réussi à détruire un des forts
chinois.
» Les opérations continuent. »
*
M *
Nous recevons d'autre part la dépêche
suivante :
Shanghaï, 14 mars, 9 h. 27 matin.
Le fort Siao-Kung a été détruit à Chin-Ilaï.
L'amiral Courbet se prépare à attaquer
Mao-Pao-Shan.
ÉVACUATION DE THAT-KÉ
Le général Brlère de l'Isle télégraphie au
ministre de la guerre, en date d'Hanoï, 12
mars :
« Notre position en avant de Langson me-
naçant les communications des Chinois, ils
ont dû abandonner That-Ké et se retirer en
Chine. »
Il convient d'ajouter que la ville n'est pas
occupée par nos troupes. Une reconnais-
sance a constaté que les Chinois l'avaient
évacué
LA. CONTREBANDE DB GUERRÏT
Londres, 14 mars.
L'agent du Lloyd à Shanghai télégraphia
le 13 mars :
« Le Gleenroy, le steamer qui a été visité
par un navire de guerre français, est retenu
à Gaitzlaff, parce que sa cargaison se com-
pose en partie de plomb. »
Une nouvelle dépêche nous apprend que
le Gleenroy a été relAché, mais la contre-
bande de guerre a été saisie.
LES DISPOSITIONS DE LA CHINE
On écrit de Tientsin, le 19 janvier, au Cou,.,
rier de Shangahï : .-
Il ne s'est pas produit de changement vi-
sible ici ni à Pékin. Toutes les autorités
consultées par le gouvernement se pronon-
cent pour la guerre, et la population des
dix-huit provinces approuve à l'unanimité
cette décision.
-. L'ALLIANCE DU JAPO
Le Celesiial Empire de Shanghaï publie
a la date du 4 février les lignes suivantes :
Les Japonais brûlent de se battre. Ils ont
une armée exercée à l'européenne et une
flotte construite en Europe, et ils montrent
la plus grande confiance dans l'une et l'au-
tre. Ils pensent qu'on les a traités honteuse-
ment en Corée. Les journaux japonais sonf
très bel iqueux ; il règne une grande activitt
dans les arsenaux, et il y a un grand nom.
bre d'engagements volontaires. Si l'on en
croit la presse japonaise, il faut s'attendre à
voir annoncer l'alliance avec la France et la
guerre contre la Chine.
—————— -
RAPPORTS OFFICIELS
DES GÉNÉRAUX BRIÈRE DE L'ISLE ET DE NÉGRIER*
Le Journal officiel d'hier a publié deux
rapports importants sur les opérations
militaires au Tonkin.
Ces deux documents sont très déve-
loppés; nous ne pouvons pas les repro-
duire ; nous nous contenterons de les
analyser et d'en citer les passages cssen,
tiels.
Le premier rapport a trait aux opéras
tions qui ont été effectuées du 6 décembre
au 15 janvier dans la haute vallée dp
Lochnan.
Dès le 7 décembre, les Chinois se mon*
traient en nombre aux environs de nos
frontières de Chu et menaçaient de près
le marché à'Ha-Ho.
Dans la nuit du 14 au 15 décembre, un
combat très vif s'engageait aux abords de
ce village.
Le rapport retrace en ces termes lep
péripéties de ce combat:
Trois compagnies et demie avaient étâ
mises en mouvement pour protéger le mar-
ché et empêcher le ravitaillement des trou-
pes chinoises; deux d'entre elles, l'une de
la légion étrangère (capitaine Gravereau),
l'autre du IIIe de ligne (capitaine Verdier),
avaient été dirigées sur Kep-Ha; d'autre
part, une autre compagnie de légion et un
peloton de tirailleurs tonkinois, sous le com-
mandement du capitaine Bolgert, devaient,
de Giap-Thuong, surveiller la route de Ha-
Ho à Dong-Sung.
Cette dernière colonne se heurtait con-
tre un nombreux corps chinois venu de
Dong-Sung. Un combat très vif et vigoureu-
sement conduit par le capitaine Bolgert s'est
engagé, et l'ennemi a été repoussé par une
brusque attaque à la baïonnette. Mais la
petite colonne, menacée par de nouvelles
forees accourant de Ha-Ho, se retirait sur
Giap-Ha où elle s'établissait sur une forte
position défensive.
Au bruit de cet engagement, le capitaïnt.
Gravereau s'était vivement porté vers la co-
lonne Bolgert. Il prenait position sur le flant
gauche d'une colonne chinoise marchant de
Ha-Ho vers Giap-Thuong. Cette menace con-
tribuait à dégager le capitaine-Bolgert, mais
des bois au sud de Ha-Ho débouchaient
bientôt des partis considérables qui débor-
daient le flanc droit et attaquaient les der-
rières de la compagnie Gravereau ; cette
dernière était réduite à se faire jour à la
baïonnette.
Mais les secours accourant de Kep-Ha
et de Chu déterminèrent la retraite de l'en-
nemi, n'ayant pu enlever de Ha-Ho aucun
approvisionnement. » -
A quelques jours de là, des masses
compactes de Chinoisétaient signalées vers
Maï-Io au débouché est-nord-est de la
plaine de Chu. Le but évident de l'en-
nemi était de' prendre l'offensive pour
empêcher la concentration de la colonne
expéditionnaire qui s'apprêtait à marche!
sur Langson.
Il y avait de sérieux dangers à rester
sur la défensive devant les mouvements
des Chinois qui se montraient de plus en
plus agressifs. Il convenait en outre de ne
pas laisser les mandarins chinois pren-
dre contact avec les autorités annamites.
Le général de Négrier reçut l'ordre de
marcher en avant.
Le second rapport inséré au Journal
officiel contient le récit de cette opération
quia duré quatre jours, du 3 au 6 jan-
vier.
Le général de Négrier disposait de
cinq bataillons, d'une batterie et" de deux
sections d'artillerie de montagne.
Le 3 janvier, il quittait Chu laissant le
poste sous la garde de deux compagnies
et demie de la légion étrangère, qui de-
vaient opérer une diversion pendant la
marche en avant du général de Négrier.
La route de Chu à An-Chau, longue-
ment décrite dans le rapport, était com-
plètement barrée par trois torts consti-
tuant le front de défense, par une longue
ligne de tranchées-abris précédée d'a-
batis; à l'est, par une ligne de quatre
forts, et enfin, au centre de la ligne, par
un fortin construit au pied d'une colline-
Cet ensemble de défenses ccustuuait le
camp retranché de Nui-Bop.
Le front d'attaque était armé d'une
batterie de canons Krupp et les forts de
l'est d'une seconde batterie de six pièces
Krupp.
Attaquer de front ce camp retranché
n'était ni sans danger ni sans difficul-
tés. Le général de Négrier résolut de les
tourner. Pendant que les troupes de Chu,
sous les ordres du lieutenant-colonel
Donnier, faisaient une démonstration sur
la route de Chu à An-Chau, il remontait
avec toutes ses forces la rive gauche du
Lochnan par un sentier de montagne, se
dirigeant sur Phong-Cot. Malheureuse-
ment, cette ruse de guerre ne réussit
JOURNAL RÉPUBLICAIN CONSERVATEUR
REDACTION
S'adresser au Secrétaire de la Rédaction
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Les représentants des actionnaires du
XIX8 Siècle m'ont demandé de diriger
la rédaction du journal dont j'ai été,
- pendant plusieurs années et jusqu'en
ces derniers temps, le collaborateur
quotidien.
J'ai accepté ce grand honneur et cette
lourde tâche, heureux de retrouver les
lecteurs et les abonnés qui avaient bien
voulu me témoigner souvent leurs sym-
pathies pour mes efforts.
La tâche est d'autant plus lourde
que des circonstances, sur lesquelles
je ne reviendrai que si on nous y force,
m'ont contraint à l'accepter brusque-
ment, et sans certains concours qui
l'eussent allégée.
Le journal, avec la plus grande ra-
pidité possible, sera complété par d'heu-
reuses et nouvelles collaborations, mo-
difié dans sa forme qui ne répondait
plus aux besoins du jour, augmenté de
rubriques nouvelles qui mettront notre
chère et ancienne clientèle au courant
de tout ce qui peut intéresser le lec-
teur, qu'il lise seul le journal ou qu'il
le lise en famille.
Nous avons, ici, l'habitude de nous
expliquer très franchement sur nos pro-
jets. Le journal que sera le XIX* Siècle
de ddmain essaiera de tenir le milieu,
en étant aussi complet que les uns et
que les autres, entre les journaux poli-
tiques et les journaux plus particuliè-
rement parisiens.
Sa règle de conduite absolue est qu'un
journal doit être fait pour plaire à qui
le lit plus que pour servir à qui l'écrit.
Et, pour cela, il doit avoir, avec la cu-
riosité de toutes les choses de l'esprit,
une indépendance absolue vis-à-vis de
tous les hommes.
Rien n'est changé à la ligne politi-
que du journal, qui reste fidèle à son ti-
tre de journal « républicain conserva-
teur ».
Nous revenons à la conduite politi-
que qui a fait la fortune du XIXe Siècle,
en revenant à une politique de conci-
liation chère à tous les bons républi-
cains, passionnés pour les idées, sans
haines pour les hommes qui diffèrent
d'opinion avec nous.
Un journal a deux façons, également
nécessaires, d'être indépendant:
Il doit être indépendant des hommes
au pouvoir ;
Il doit être indépendant pour ainsi dire
de lui-même, en l'étant de tout intérêt
prticulier, detouterancune personnelle,
de toute ambition autre que celle d'ins-
truire, de convaincre ses lecteurs et
aussi, pourquoi ne pas l'avouer? de les
charmer et de les amuser.
C'est tout le programme de notre
journal.
- HENRY FOUQUIER.
Bourso de Paris
PETITE BOURSE DU SOIR"
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4' lîËC'0 110 15,17,15.
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Egypt 341 56,342 50.
Hongrois. 81 9ilô.
Actions Rio. 288.
Nous commencerons demain la pu-
blication du nouveau feuilleton: le
Roman du Roman, par M. EDGAR
MONTEIL.
BULLETIN
Hier, la Chambre a abordé la ques-
tion du relèvement des droits sur les
bestiaux, projet soutenu par le gouver-
nement et combattu par la commission.
M. Méline, ministre de l'agriculture, a
prononcé à ce sujet un long et impor-
tant discours. La suite de la discussion
a été renvoyée à lundi.
En réponse à M. Richards, qui a de-
mandé au premier ministre si la décla-
ration du traité de Paris de 1856 ne four-
nirait pas l'occasion d'invoquer les bons
offices d'une puissance amie pour
régler le différend anglo-russe., M.
Gladstone a répondu que la question
de la frontière afghane peut être consi-
dérée sous deux faces bien différentes.
On peut en effet faire porter le débat
sur l'accord intervenu récemment entre
l'Angleterre et la Russie pour la déli-
mitation de cette frontière, ou sur la
marche en avant des forces russes. Sur
le premier point, a déclaré M. Glads-
tone, 1 Angleterre et la Russie ne sont
pas arrivées encore à une entente dé-
finitive. L'affaire est en cours par les
voies diplomatiques, et il est au moins
inutile d'émettre une. opinion sur la so-
lution qui prévaudra. Sur le second
point, M. Gladstone a annoncé qu'il a
été convenu entre les cabinets de Lon-
dres et de Saint-Pétersbourg que le
statu quo serait respecté. Il convient
de remarquer que ce n'est pas du slatu
(jw ante qu'il s'agit. La Russie reste
n)a,ti*esse des tei-fltoli-es -occupés par
eue. M. Gladstone a ajouté, en réponse
a une question de sir Stafford Norlh-
cote, que cet accord n'avait pas «le
caractere d'un instrument formel » et
qu il durera « autant qu'il y aura lieu»).
Le premier ministre admet donc la prise
de possession par la Russie des terri-
toires contestés, mais en refusant de
se prononcer sur le fond même du dé-
baf, c'est-à-dire la légitimité de-cette
occupation.
Le Daily News croit savoir d'autre
part que, dans le conseil de cabinet tenu
hier, la question des armements mili-
taires nécessités par la marche en
avant des Russes en Asie a été lon-
guement examinée. D'après le Stan-
dard, lord Duflerin aurait reçu l'ordre
de se tenir prêt à toute éventualité.
Le Times annonce de son côté, que le
gouvernement anglais a reçu du cabi-
net de Saint-Pétersbourg de nouvelles
assurances pacifiques. Mais la presse
anglaise ne paraît pas ajouter foi à ces
démonstrations diplomatiques de la
Russie.
Les Anglais en sont encore à cher-
cher quels sont, en Egypte, leurs alliés
ou leurs ennemis. Une dépêche d'Alexan-
drie nous annonce que Zebehr-Pacha a
été arrêté aujourd'hui, en vertu d'ordres
émanant de l'autorité militaire anglaise.
Zebehr a été conduit à bord de l'aviso
Iris, qui est prêt à prendre la mer.
Le gouvernement mexicain prend
les mesures que rendent nécessaires les
prétentions du général Barrios à la dic-
tature sur les Etats de l'Amérique cen-
trale.
QUESTION DU JOUR
La Guerre ou la Paix?
Un grand émoi, depuis quelques jours,
a régné dans les esprits. On aurait pu
répéter, avec le poète :
Dans les fourreaux frémit l'acier.
Le vent qui souffle sort, ô guerre !
Des naseaux de ton noir coursier 1
Les hommes d'affaires, les politiques
et les philosophes ont également res-
senti une immense inquiétude à la pen-
sée du choc qui pouvait se produire,
dans l'Asie centrale, entre l'Angleterre
et la Russie, entre « la baleine et l'élé-
phant » , comme on l'a dit de façon.
pittoresque.
Pendant quatre jours, les avant-pos-
tes russes et les avant-postes afghans,
en présence sur les limites contestées
de FAfghanistan et de la Tartane, que
les cartes de géographie sont seules à
appeler encore la Tàïtarie indépendante,
ont été si près qJle la guerre pou-
vait éclater par le moindre hasard. Car,
derrière les Afghans, se trouvaient les
Anglais et les soldats de l'armée des
Indes.
Une accalmie s'est produite et, au
Parlement, M. Gladstone a pu rassurer
les négociants de la Cité, tandis que la
presse russe abandonnait toute crainte
de voir la Baltique bloquée. Cette ac-
calmie est due, en apparence, à l'inter-
vention personnelle de l'empereur Guil-
laume, qui a écrit au czar, son neveu,
une lettre dont l'existence ne paraît
plus être douteuse.
En réalité, Russes et Anglais s'ar-
rêtent, effrayés, les uns et les autres,
des conséquences d'une guerre dont nul
ne pourrait prévoir la fin.
M. Gladstone qui, en sa qualité
d'Anglais et d'homme pieux, paye vo-
lontiers les gens en eau bénite, a re-
mercié M. de Bismarck en appelant les
bénédictions du ciel sur les entreprises
coloniales des Allemands. Il a prédit de
beaux jours au commerce des bibles de
Leipzick, et nous n'en avons nulle ja-
lousie.
Mais le choc, ajourné, ne manquera
pas de se produire.
Obéissant à une loi mystérieuse, le
monde européen retourne vers les pays
d'où il a pris son essor. Anglais et
Russes sont en présence sur ce pla-
teau du Haut-Iran, d'où ils sont des-
cendus jadis.
Les Européens, en face les uns des
autres dans les mondes anciens qui
sont à conquérir et à renouveler, se
touchent presque et se menacent, sem-
blables à ces enfants qui se défient,
une paille sur l'épaule, et ne portent
pas le premier coup tant que la paille
n'est pas touchée.
Voici déjà qu'on assure que M. Glads-
tone ne veut que gagner du temps,
opérer sa retraite du Soudan, et que,
tandis que le lion britannique paraît
assez piteusement rentrer ses griffes, il
les laisse simplement repousser ou les
aiguise.
Quoi qu'il en soit des événements
immédiats, que la paix soit menacée à
brève échéance ou qu'elle soit assurée
pour quelque temps, il est certain dès à
présent pour tous les observateurs que
la guerre sortira un jour de l'extension
coloniale, devenue une nécesssité pour
les peuples de l'Europe.
La sagesse suprême, pour les Euro-
péens, serait de procéder pacifiquement
à un partage du monde, en tenant
compte des droits historiques de chà-
que peuple, et, surtout, de ce qu'on
pourrait appeler les droits géographi-
ques, c'est-à-dire les convenances de
voisinage.
J Avec ce partage, un grand syndicat
ae défense pourrait être formé contre
le monde musulman, qui a derrière lui
sa gloire d'hier, et contre le monde de
la race jaune, qui rêve peut-être d'une
gloire future à acquérir.
Mais cette politique idéale n'est pas
de celles que les diplomates compren-
nent et pratiquent. II y a donc lieu de
croire que la politique d'équilibre, rom-
pue en Europe parla, faute des grandes
puissances, se rompra de même dans
la politique coloniale, et que la force
des armes interviendra au loin. Crainte
ou espérance pour nous, selon le bien
ou le mal que la guerre pourra nous
apporter.
A l'heure présente, dans le? conflits
qui se préparent pour un avenir plus
ou moins long, nous n'avons pas à in-
tervenir.
Mais ce qui vient de se pisser entre
Londres et Berlin, entre Londres et
Saint-Pétersbourg, doit être un avertis-
sement.
Le problème à résoudre pour nous est
d'entrer dans le mouvement indispen-
sable de l'extension colotiale, de pren-
dre une position politiqae et militaire
qui nous donne le droit d'être écoutés
en telles questions, et .de terminer ce-
pendant cette besogne avec assez de
promptitude pour que nos forces restent
sous notre main. L'énergie aujourd'hui
est la première règle que dicte la pru-
dence patriotique. 0
HBNRY FOUQUIER.
Tout ce que la France contient d'anar-
chistes — et si peu qu'il y en ait, c'est
encore trop — va pousser aiwbeaux cris :
Antoine Rieffel, gérant d'un journal in-
titulé Terre et Liberté, disparu aujour-
d'hui, poursuivi pour avoir publié des
menaces de mort contre les jurés et les
magistrats ayant siégé dans l'affaire de la
salle Lévis, a été condamné hier à deux
ans de prison, 200 francs d'amende et
cinq ans de surveillance.
Quoi qu'en disent les anarchistes, la li-
berté de la presse n'est nullement mise
en question dans le cas présent.
Il faut considérer qu'au contraire la
cour, en condamnant Rieffel, est restée
dans la pure tradition de la Révolution,
puisqu'elle défendait le jury institué en
93 et placé, dans l'esprit du législateur,
au-dessus de toute menace, de toute in-
jure et de toute attaque.
Ne doit-on pas, si l'on tient pour un
progrès d'être jugé par ses pairs, com-
mencer par les respecter ?
■11^» ii——11
M. Philippoteaux, vice-président de la
Chambre, a ouvert hier la séance de la
Chambre par le petit discours d'usage
lorsqu'un'de ses membres est décédé.
M. Gatineau en était l'objet.
« Les commencements de M. Gatineau,
dit M. Pniiippoteaux, furent difficiles, et
c'est au prix de grands efforts qu'il con-
quit sa situation au barreau.
» Entré dans la vie politique, il s'y fit
remarquer par la constance de son opi-
nion républicaine, par son excellent cœur;
qui ne fit jamais défaut à ses coreligion-
naires politiques, et par la franchise et la
lovauté de son caractère. »
C'est « joyeuseté» qui est le mot pro-
pre.
Me Gatineau réalisa en effet le typé
complet de l'homme de franche allure,
au mot vif, tranchant, un peu vert. Nos
pères adoraient cela. Le goût nous en est
un peu resté.
C'est Me Gatineau qui, défendant un
jour treize marchands de volailles accu-
sés de vol, s'écria:
— Messieurs, sur mes treize clients, il
y a douze hommes de l'honnêteté des-
quels je réponds.
Le treizième accusé était une femme.
C'était un gros moyen, soit, mais c'en
était un.
Jamais le « gros mot » pour rire ne
manq aâ Me Gatineau.
Dans un accès de belle humeur, c'est
Gatineau qui lança cette apostrophe de-
meurée célèbre, à l'adresse d'un de ses
confrères, majestueux et redondant :
« Vous voyez Jupiter, M0 X. enveloppé
de flanelle, lançant du haut de l'Olympe
ses flèches en papier mâché. »
En une autre rencontre, il plaidait pour
la famille d'un client décédé à la suite
d'un traitement douteux : « Un duel 1.
on nous demande un duel ! Soit: j'aime
mieux avoir un tel docteur pour adver-
saire sur le terrain. que pour me soi-
gner ! »
Allez donc résister à ces accès de gros
rire 1 Personne n'y résistait. Pas même
les électeurs d'Eure-et-Loir qui n'étaient
pas fàchés d'avoir ce Bourguignon dans
leur jeu pourfaire croire que leur Diccolo
valait du chambertin. -
————
A monsieur Arthur Meyer, directeur
du Gaulois.
Paris, 14 mars 1885.
Mon cher confrère,
Sous ce titre : Histoire d'un journal répu-
blicain sous la troisième République, vous
publiez, dans le Gaulois d'hier, un article
que je ne puis laisser sans réponse.
Votre rédacteur, M. Jean Sincère, qui est
certainement sincère, si ce mot veut dire
« de bonne foi », mais qui est aussi Jean,
si ce prénom indique une âme crédule, ra-
conte, à sa façon, l'histoire du XIXe Siècle
depuis le mois de novembre dernier.
Il y a, dans ce récit dramatisé, quelques
faits exacts et d'autres, plus nombreux et
plus importants, qui ne le sont pas.
Je ne parlerai que de ce qui me touche.
Votre rédacteur dit nettement que ma ren-
trée au XIX,, Siècle est le résultat d'une
« conspiration » à laquelle le ministère se
serait mêlé.
Après mon honorable ami M. Guichard, et
pour la seconde fois, — veuillez, mon cher
confrère, le remarquer, — j'oppose à cette
insinuation, ou à cette assertion, le plus
formel démenti. Je reviens au journal, que
j'ai dû quitter il y a trois mois, dans des
conditions d'indépendance absolue, qui sont
dans le désir des administrateurs comme
dans le mien. Ceux qui diraient le contraire
auraient le choix d'être des calomniateurs,
des nigauds ou des gens mal informés.
Je ne doute pas que votre estimable colla-
borateur ne choisisse cette dernière qua-
Iité, ce qui me permet de lui répondre en
l'assurant, ainsi que vous, de mes meilleurs
sentiments de confraternité.
H. FOUQUlKB.
P. S. — Vous m'excuserez de publier
cette lettre en même temps que je vous
l'adresse. Mais il y a urgence pour moi à
rétablir la vérité.
H. F.
LA MORALE nu VERDICT
Il est intéressant de faire quelques
réflexions sur le procès Ballerich. Ce
n'est pas que l'issue en fût douteuse.
L'un des deux frères mort, on ne pou-
vait pas condamner l'autre ; on ne pou-
vait pas frapper l'accusé entre deux
tombes. Quel qu'eût été son égare-
ment, ce double deuil le rendait pour
ainsi dire inviolable à la justice hu-
maine. Aussi le public n'a-t-il pas
ressenti, au spectacle ou à la lecture
de ces débats, l'anxiété poignante que
fait éprouver un drame dont le héros
peut-être succombera. Pourtant l'audi-
toire de la cour d'assises s'est pas-
sionné, comme si la partie pouvait
être perdue ; il a manifesté sa passion,
en dépit du respect et de la crainte
qu'inspire le prétoire, en dépit des obr
jurgations d'un président qu'on souhai-
tait d'autant plus de ne pas offenser que
son attitude se montrait en communion
avec le sentiment général.
-Le secret de cette sympathie n'est
pas difficile à trouver. La conscience
publique ne juge pas tant les actes que
les mobiles. Au premier bruit de l'as-
saut donné aux bureaux du Cri du
Peuple, on avait été un peu partagé.
Ces deux fils atteints dans leur plus
chère affection, exaspérés par une plai-
santerie sinistre, touchaient par l'excès
même de leur égarement ; mais aussi on
s'indignait de voir deux magistrats, dé-
positaires de l'autorité légale et d'une
portion de la force publique, gardiens
at itrés des lois et de la paix, venger
leur inj ure l'épée à la main, le revolver
au poing. Tandis que les uns ne consi-
déraient que la coupable violence de
deux fonctionnaires de la police, les
autres excusaient tout en faveur d'une
colère si naturelle, et les discussions
allaient grand train.
L'accord s'est fait peu à peu : à l'heure
du procès, il n'y avait plus qu'une voix.
Même la partie civile demandait l'ac-
quittement, non seulement pour rejeter
la responsabilité de l'agression sur les
chefs et sur l'institution de la police,
mais pour ne pas froisser l'opinion, pour
ne pas rencontrer un courant irrésis-
tible d'indulgence et d'attendrissement.
Le jury n'a guère délibéré ; le verdict
était dans l'atmosphère de la salle et sur
toutes les lèvres avant de sortir de la
bouche qui devait le prononcer. La cause
était jugée d'avance.
Peut-être un misanthrope dirait-il que
nous devenons bien prompts à excuser
les toupside force, à transporter dans
la vie la morale du théâtre et du roman.
Cet appréciateur sévère et quinteux
des mœurs du temps rasssemblerait en
faisceau tous les épisodes sanglants,
tous les faits-divers mélodramatiques
de la saison ou de l'année, et il en con-
clurait que les Français de cette fin de
siècle ne demandent qu'à retourner à la
barbarie qui a précédé le règne des lois,
que nous nous mettons à l'école de la
Corse, et qu'un nouveau Mérimée pour-
rait sans invraisemblance refaire Co-
lomba en remplaçant le maquis par le
boulevard. 11 prétendrait que nous ne
contestons à la société le droit d'infliger
la peine de mort que pour en investir
les individus, ou du moins tout honnête
homme, toute femme honnête cruelle-
ment trahie, et qu'enfin, clans cette sym-
pathie si aisément accordée à qui fait
parler la poudre, il y a un peu de l'ins-
tinct belliqueux et parfois féroce qui se
tapit au fond du cœur humain.
Ce misanthrope aurait tort, au moins
dans le cas dont il s'agit. Sans doute on
peut, à l'occasion de certains procès,
nous accuser de faire bon marché des
articles du Code qui protègent même
la vie des gredins. Sans doute il semble
que les mœurs américaines, dont nous
avons tant plaisanté, menacent de nous
envahir. Au fond, ce n'est pas là un
progrès de la barbarie, mais un progrès
de la démocratie. On admettait bien
que les aristocrates d'autrefois fussent
jaloux de leur honneur au point de bra-
ver, pour le venger, les rois les plus
absolus et les édits les plus rigoureux.
Ce qui était jadis le privilège de quel-
ques-uns tend à devenir le privilège
de tous : le respect de la vie humaine
ne paraît en baisse que parce que le res-
pect de la dignité humaine est en hausse.
S'il y avait eu un jury sous Louis XIV,
il aurait acquitté plus d'un gentil-
homme coupable de violence; l'indul-
gence du jury moderne et du public
contemporain prouve simplement que
nous nous tenons tous pour gentils-
hommés.
Mais, dans le procès Ballerich, ni le
public ni le jury ne raffinaient leur im-
pression. L'accusé était profondément
malheureux ; l'impulsion irrésistible qui
l'avait égaré n'avait rien que de noble
et de louchant: c'était un fils qui se
voyait raillé, qui se voyait outragé dans
son amour pour une mère assassinée.
Tel article qu'un sot prenait pour un
coup d'épingle tombait sur une plaie
vive et jetait le blessé dans une sorte
de délire. Ces mots : « piété filiale», cou-
vrent tout, justifient tout aux yeux de
la foule, qui ne peut pas éprouver plu-
sieurs sentiments à la fois, et nous som-
mes tous de la foule quand l'indigna-
tion ou la pitié nous - émeuvent forte-
ment. «
Ne disons donc pas que ce verdict
est un précédent qui peut mener loin,
ni que la sympathie de l'auditoire pour
l'accusé Ballerich est un signe des
temps. Le jury ne pose pas de princi-
pes : il ne juge que des cas, ou plutôt
des hommes, et il les juge avec le cœur,
avec l'instinct.
Cela ne prouve rien pour l'avenir. Un
acquittement n'est qu'un acquittement;
il n'est pas une règle, ni une autorisa-
tion donnée à des imitateurs possibles.
Malheur à qui spéculerait sur cet exem-
ple ! On n'excuse la violence que quand
on est assuré qu'elle n'avait rien de
calculé. Dans les drames de ce genre,
les doublures d'un héros applaudi ris-
quent fort d'être sifflées, et quelque
chose de plus.
AU TONKIN
Le général de Négrier est à Langsoc.
On a annoncé qu'il avait occupé That-Ké :
il n'en est rien. Un détachement de chas- ,
seurs d'Afrique, envoyé en reconnais
sance, a constaté que la ville était éva-
cuée et que les Chinois avaient passé la
frontière.
La position était devenue mauvaise
pour les réguliers chinois depuis que le
général de Négrier s'était rendu maître
de Dong-Dang et de la porte Chinoise. Te-
nant d'une part la route mandarine au
point où elle bifurque vers Caobang et
Tbat-Ké, d'autre part il menaçait la re-
traite de la garnison de That-Ké.
Les dépêches ne disent pas que le gé-
néral de Négrier soit disposé à occuper
la place.
Peut-être n'est-il pas en force pour dis-
traire de sa brigade les éléments d'une
garnison nouvelle. Cette explication, pour
hypothétique qu'elle soit, a le mérite de
la vraisemblance. Chaque nouvelle vic-
toire remportée par nous au Tonkin a ce
fâcheux résultat de nous aflaiblir, tant par
les pertes subies que par J'éparpillement
nécessaire de nos troupes sur les posi-
tions conquises.
Un journal du soir a annoncé que le
gouvernement se préparait à demander
un crédit de 50 millions et à envoyer un
renfort de 25,000 hommes. Que vaut la
nouvelle ? Je ne saurais le dire. Ce chiffre
est un peu gros. Pourtant il doit y avoir
une part de vérité.
Le gouvernement doit avoir aujour-
d'hui la preuve que les succès sanglants
remportés au Tonkin depuis quelques
semaines sont des victoires coûteuses et
sans lendemain. Les Chinois, battus en
mainte rencontre, se dérobent sans qu'on
puisse achever leur déroute par une
poursuite soutenue.La cavalerie manque;
les moyens de transport faisant défaut,
le ravitaillement devient impossible; de
telle sorte qu'après une victoire gagnée
- et au prix de quels sacrifices! — il
faut s'attarder sur les positions conquis-
ses, faute de troupes fraîches pour re-
commencer le lendemain l'effort de la
veille.
On l'a constaté vingt fois au Tonkin ;
je le rappelais hier à propos de l'affaire
si meurtrière de Kelung, où le colonel
Duchesne, après une bataille de quatre
jours, se trouva pour ainsi dire immobi-
lisé sur place et impuissant à profiter de
sa victoire : il est trop évident qu'avec
les quelques centaines d'hommes valides
qui lui restent, il lui est matériellement
impossible de se lancer sur la route de
Tamsui. Il réclame des renforts- Où les
prendre ? Au Tonkin ? Il n'y faut pas son-
ger. Le commandant du corps expédition-
naire a été obligé de renvoyer à Saigon
les quelques compagnies que la Cochin-
chine lui avait prêtées. Nous savons au
surplus qu'il ne peut déjà plus suffire à
la tâche avec ce qui lui reste de troupes.
Donc, c'est de France qu'il faut tirer
les renforts devenus nécessaires.
Pourquoi tarder davantage? Ce que
l'opinion publique demande avant tout,
c'est qu'on en finisse le plus tôt possible
avec les envois parcimonieux, et qu'on
fasse d'un coup ce qu'il faut pour tou-
cher au but final.
On parle de la possibilité de conclure
la paix à bref délai. Soit; mais cette éven-
tualité sera d'autant plus près de se réa-
liser que nous aurons plus nettement af-
firmé la volonté de pousser les choses
jusqu'au bout.
Louis HENRIQUB.
.—————
NOUVELLES DE CHINE
LES FORTS DE CHIN-HAI
Londres, 14 mars.
On télégraphie de Shanghaï au Standard
de ce matin ;
« Les Français bombardent Chin-Haï.
» Ils ont réussi à détruire un des forts
chinois.
» Les opérations continuent. »
*
M *
Nous recevons d'autre part la dépêche
suivante :
Shanghaï, 14 mars, 9 h. 27 matin.
Le fort Siao-Kung a été détruit à Chin-Ilaï.
L'amiral Courbet se prépare à attaquer
Mao-Pao-Shan.
ÉVACUATION DE THAT-KÉ
Le général Brlère de l'Isle télégraphie au
ministre de la guerre, en date d'Hanoï, 12
mars :
« Notre position en avant de Langson me-
naçant les communications des Chinois, ils
ont dû abandonner That-Ké et se retirer en
Chine. »
Il convient d'ajouter que la ville n'est pas
occupée par nos troupes. Une reconnais-
sance a constaté que les Chinois l'avaient
évacué
LA. CONTREBANDE DB GUERRÏT
Londres, 14 mars.
L'agent du Lloyd à Shanghai télégraphia
le 13 mars :
« Le Gleenroy, le steamer qui a été visité
par un navire de guerre français, est retenu
à Gaitzlaff, parce que sa cargaison se com-
pose en partie de plomb. »
Une nouvelle dépêche nous apprend que
le Gleenroy a été relAché, mais la contre-
bande de guerre a été saisie.
LES DISPOSITIONS DE LA CHINE
On écrit de Tientsin, le 19 janvier, au Cou,.,
rier de Shangahï : .-
Il ne s'est pas produit de changement vi-
sible ici ni à Pékin. Toutes les autorités
consultées par le gouvernement se pronon-
cent pour la guerre, et la population des
dix-huit provinces approuve à l'unanimité
cette décision.
-. L'ALLIANCE DU JAPO
Le Celesiial Empire de Shanghaï publie
a la date du 4 février les lignes suivantes :
Les Japonais brûlent de se battre. Ils ont
une armée exercée à l'européenne et une
flotte construite en Europe, et ils montrent
la plus grande confiance dans l'une et l'au-
tre. Ils pensent qu'on les a traités honteuse-
ment en Corée. Les journaux japonais sonf
très bel iqueux ; il règne une grande activitt
dans les arsenaux, et il y a un grand nom.
bre d'engagements volontaires. Si l'on en
croit la presse japonaise, il faut s'attendre à
voir annoncer l'alliance avec la France et la
guerre contre la Chine.
—————— -
RAPPORTS OFFICIELS
DES GÉNÉRAUX BRIÈRE DE L'ISLE ET DE NÉGRIER*
Le Journal officiel d'hier a publié deux
rapports importants sur les opérations
militaires au Tonkin.
Ces deux documents sont très déve-
loppés; nous ne pouvons pas les repro-
duire ; nous nous contenterons de les
analyser et d'en citer les passages cssen,
tiels.
Le premier rapport a trait aux opéras
tions qui ont été effectuées du 6 décembre
au 15 janvier dans la haute vallée dp
Lochnan.
Dès le 7 décembre, les Chinois se mon*
traient en nombre aux environs de nos
frontières de Chu et menaçaient de près
le marché à'Ha-Ho.
Dans la nuit du 14 au 15 décembre, un
combat très vif s'engageait aux abords de
ce village.
Le rapport retrace en ces termes lep
péripéties de ce combat:
Trois compagnies et demie avaient étâ
mises en mouvement pour protéger le mar-
ché et empêcher le ravitaillement des trou-
pes chinoises; deux d'entre elles, l'une de
la légion étrangère (capitaine Gravereau),
l'autre du IIIe de ligne (capitaine Verdier),
avaient été dirigées sur Kep-Ha; d'autre
part, une autre compagnie de légion et un
peloton de tirailleurs tonkinois, sous le com-
mandement du capitaine Bolgert, devaient,
de Giap-Thuong, surveiller la route de Ha-
Ho à Dong-Sung.
Cette dernière colonne se heurtait con-
tre un nombreux corps chinois venu de
Dong-Sung. Un combat très vif et vigoureu-
sement conduit par le capitaine Bolgert s'est
engagé, et l'ennemi a été repoussé par une
brusque attaque à la baïonnette. Mais la
petite colonne, menacée par de nouvelles
forees accourant de Ha-Ho, se retirait sur
Giap-Ha où elle s'établissait sur une forte
position défensive.
Au bruit de cet engagement, le capitaïnt.
Gravereau s'était vivement porté vers la co-
lonne Bolgert. Il prenait position sur le flant
gauche d'une colonne chinoise marchant de
Ha-Ho vers Giap-Thuong. Cette menace con-
tribuait à dégager le capitaine-Bolgert, mais
des bois au sud de Ha-Ho débouchaient
bientôt des partis considérables qui débor-
daient le flanc droit et attaquaient les der-
rières de la compagnie Gravereau ; cette
dernière était réduite à se faire jour à la
baïonnette.
Mais les secours accourant de Kep-Ha
et de Chu déterminèrent la retraite de l'en-
nemi, n'ayant pu enlever de Ha-Ho aucun
approvisionnement. » -
A quelques jours de là, des masses
compactes de Chinoisétaient signalées vers
Maï-Io au débouché est-nord-est de la
plaine de Chu. Le but évident de l'en-
nemi était de' prendre l'offensive pour
empêcher la concentration de la colonne
expéditionnaire qui s'apprêtait à marche!
sur Langson.
Il y avait de sérieux dangers à rester
sur la défensive devant les mouvements
des Chinois qui se montraient de plus en
plus agressifs. Il convenait en outre de ne
pas laisser les mandarins chinois pren-
dre contact avec les autorités annamites.
Le général de Négrier reçut l'ordre de
marcher en avant.
Le second rapport inséré au Journal
officiel contient le récit de cette opération
quia duré quatre jours, du 3 au 6 jan-
vier.
Le général de Négrier disposait de
cinq bataillons, d'une batterie et" de deux
sections d'artillerie de montagne.
Le 3 janvier, il quittait Chu laissant le
poste sous la garde de deux compagnies
et demie de la légion étrangère, qui de-
vaient opérer une diversion pendant la
marche en avant du général de Négrier.
La route de Chu à An-Chau, longue-
ment décrite dans le rapport, était com-
plètement barrée par trois torts consti-
tuant le front de défense, par une longue
ligne de tranchées-abris précédée d'a-
batis; à l'est, par une ligne de quatre
forts, et enfin, au centre de la ligne, par
un fortin construit au pied d'une colline-
Cet ensemble de défenses ccustuuait le
camp retranché de Nui-Bop.
Le front d'attaque était armé d'une
batterie de canons Krupp et les forts de
l'est d'une seconde batterie de six pièces
Krupp.
Attaquer de front ce camp retranché
n'était ni sans danger ni sans difficul-
tés. Le général de Négrier résolut de les
tourner. Pendant que les troupes de Chu,
sous les ordres du lieutenant-colonel
Donnier, faisaient une démonstration sur
la route de Chu à An-Chau, il remontait
avec toutes ses forces la rive gauche du
Lochnan par un sentier de montagne, se
dirigeant sur Phong-Cot. Malheureuse-
ment, cette ruse de guerre ne réussit
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