Titre : Le XIXe siècle : journal quotidien politique et littéraire / directeur-rédacteur en chef : Gustave Chadeuil
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1885-03-15
Contributeur : Chadeuil, Gustave (1821-1896). Directeur de publication
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Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 15 mars 1885 15 mars 1885
Description : 1885/03/15 (A15,N4816). 1885/03/15 (A15,N4816).
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k7561270x
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-199
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 09/04/2013
Quinzième année. —AB—N° 4816
Prix du numéro à Paris 15 centimes - Départements: 20 centimes
Dimanche 15 Mars i885
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JOURNAL RÉPUBLICAIN CONSERVATEUR
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S'adresser au Secrétaire de la Rédaction
de 2 heures à minuit
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Six mois. 32 )).1
Un an .62 **
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Six mois « S5 n
Un an. 60 1)»
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Les aboanem" partent des 1er et 15 de chaq?) mois
Régisseurs d'annonces : MM. LAGRANGE, CERF et G*
, 6j place de la Bourse, 6
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Mresser les Lettres et Mandats à l'Admlnistratea
16» rue Cadet, 10
'£es, Lettres non affranchies seront refusdd
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Demaiti dimanche 15 mars, nous com-
mencerons la publication d'une « étude 1i
JJ,umaine» :
LE ROMAN DU ROMAK
.Par EDGAR MONTEIL
Bourse de Paris
PETITE BOURSE DU SOIE 1
l\20i0 110 07, 03, 17, 15.
3 Ort) -^. 7.;. 81 97, 82 13, 10.
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Extérieure * 61 7[16, 23132, 11x16.
Egypte.339 37, 342 18, 342 50.
Hongrois 81 Ii4, 9116.
Actions Rio. 285, 284 37,286 25.
Lots Turcs.-.-. 48, 48 37.
PARIS, 14 MARS i885
La Gazette de France trouve que
nous avons mauvaise grâce à nous
plaindre des crimes qui se commettent
de plus en plus nombreux et à deman-
der des mesures énergiques contre les
récidivistes. Ne sommes-nous pas en
effet des libres-penseurs, et le crime
îl'est-il pas la conséquence logique de
la libre-pensée ? Quand les hommes ne
sont plus retenus par les croyances re-
ligieuses, quelles bonnes raisons pour-
raient les empêcher de devenir des vo-
leurs et des assassins?
« Dès lors, écrit-elle, pourquoi se
gêneraient-ils ?
» Pourquoi, lorsqu'ils manquent de
cet argent qui peut leur procurer la
jouissance, seul but de la vie, s'abstien-
draient-ils de l'arracher, même au prix
d'un assassinat, à ceux qui le détien-
nent ? Les docteurs de la libre-pensée
ne craignent pas de répéter journelle-
ment que la liberté humaine est une
chimère, que tous nos actes sont néces-
sités par des causes extérieures, que
les voleurs et les assassins sont irres-
ponsables et que les punir est un
crime.
» Les républicains ne cessent de dé-
biter ces belles choses. De peur que la
religion n'empêche le progrès de leurs
théories, ils l'ont supprimée de l'ensei-
gnement scolaire, ils ont chassé Dieu
de l'école, ils ont jeté les crucifix au
tombereau.
» Ils sont vraiment ridicules et odieux
quand ils viennent aujourd'hui deman-
der des mesures de répression contre
ceux qui font de la libre-pensée la règle
de leur conduite. »
Et la Gazette de France conclut ainsi :
« La force, les supplices, les châti-
ments ne remplaceront jamais les en-
seignements de la religion. C'est une
vérité d'en haut dont la société va se
trouver en mesure de constater la cer-
titude par voie d'expérience. »
La Gazette de France nous permettra
de ne pas discuter sa thèse dévote; nous
nous bornerons .à lui faire observer
qu'elle n'a pas la main heureuse en s'a-
visant de la soulever aujourd'hui.
Parmi les cinq misérables qui ont
pénétré chez Mme Ballerich, il en est
un qui avait été embauché spéciale-
ment pour tuer. Il en est un qui s'est
jeté sur la vieille femme tout d'abord,
qui lui a enfoncé son couteau dans la
gorge, que le jury a condamné à mort.
C'est Gamahut. Or celui-là, précisé-
ment, avait été élevé dans une famille
religieuse; sa @ pieuse tante avait pris
soin de son éducation. Il était entré
dans deux monastères, une première
fois chez les oblats, une seconde chez
les trappistes; rien ne lui a manqué, ni
les préceptes salutaires, ni les bons
exemples. Que pense notre confrère du
résultat, et n'est-il pas tout à fait édi-
fiant?
Si nous avions du goût pour ces sor-
tes de polémiquer, c'est nous tout au
contraire, ce me semble, qui aurions la
partie belle, et nous pourrions nous
faire aisément une arme de la lettre
adressée par l'ex frère Tiburce au révé-
rend père Timothée, — lettre bien au-
thentique, quoi qu'en ait pu dire l'Uni-
vers. - Mais nous n'avons jamais pratiqué
cette façon de discuter et nous ne
commencerons pas aujourd'hui. On
n'est un saint ou un criminel ni parce
qu'on a reçu l'éducation de la foi ni
parce qu'on a reçu celle de la libre-
pensée. Il y a des gredins dans tous les
camps et sous tous les drapeaux; il y a
heureusement sous tous les drapeaux
et dans tous les camps plus d'honnêtes
gens encore, et il nous a toujours paru
que ce qu'ont de mieux à faire les hon-
nêtes gens, c'est de se respecter les uns
les autres.
CHARLBS BIGOT.1
SOUSCRIPTION
AU MONUMENT DE M. ABOUT
Nous déclarons close la souscription
pour le monument d'Edmond About. Si
quelque souscripteur en retard avait
encore quelque somme à envoyer, je
lui serais obligé de l'adresser chez moi,
59, rue de Douai.
FRANCISQUE SARGEY.
L'AFFAIRE DE TUYEN-QUAN
Une nouvelle dépêche du général Brière
de llsle, datée du il mars, nous apporte
des renseignements plus explicites que
la précédente sur les événements de
Tuyen-Quan et deDuoc (la dépêche écrit
Hasmoc).
La lutte a été plus chaude et aussi
plus meurtrière qu'on ne l'avait cru tout
d'abord. Les forces de l'ennemi s'éle-
vaient à 20,000 hommes au moins.
Les Chinois avaient mis en œuvre pour
organiser leur défense tous les moyens
en usage dans les armées modernes. Ils
avaient installé d'immenses fourneaux de
mines en avant des forts d'arrêt qui fer-
maient la route à nos troupes; l'assaut
donné le 2 mars par les tirailleurs algé-
riens a échoué a la suite d'une formidable
explosion qui a dû causer des ravages
parmi nos troupes indigènes, si l'on en
juge par ie nombre d'officiers de cette
arme mis hors de combat. Enfin l'on sait
de source certaine que les Chinois comp-
taient dans leurs rangs un certain nombre
d'officiers anglais et allemands. Il n'axas
tenu aux mesures prises par Lu-Vinh-
Phuoc que l'attaque du général Brière de
l'Isle ne finît par un désastre.
Il n'en a rien été, grâce à l'élan de nos
troupes et à l'habileté de leur chef.
Malheureusement, ce succès si glo-
rieux a été acheté au prix des plus
grands sacrifices.
Du relevé officiel de nos pertes il ré-
sulte que, pendant les deux journées du
2 et dj 3 mars, nous avons eu quatre
cent soixante-trois hommes hors de com- !
bat. La première dépêche du 10 mars
avait accusé le chiffre de cent quatre-
vingt-treize.
A ce sujet, des critiques sévères ont été
adressées au gouvernement, que l'on a
taxé d'optimisme voulu. Je ne sais pas ce
qui en est et ne me charge point de dis-
culper le ministre de la guerre du fait
qu'on lui impute.
Je me demande seulement si, en réa-
lité, le ministre avait un intérêt à dissi-
muler pendant quelques jours la vérité.
Comment aurait-il pu espérer faire le
mystère autour des chiffres exacts, étant
donné que les agences d'informations en-
tretiennent à la suite du corps expédi-
tionnaire des correspondants qui en-
voient tous les jours des dépêches soit à
Londres, soit à Paris ?
Sans supposer des intentions si naïve-
ment machiavéliques au ministre de la
guerre, n'est-il pas plus vraisemblable
d'admettre que la première dépêche du
général Brière de l'Isle a été incomplète
par la raison toute simple qu'à la pre-
mière heure les renseignements fournis
au général en chef étaient incomplets ?
Comment ne l'eussent-ils pas été? Se
figure-t-on que, dans une action qui a
duré trois jours, où il a fallu marcher en
combattant de positions en positions sur
une longueur de huit à dix kilomètres,
où par conséquent on a laissé en route
des morts et des blessés, se figure-t-on,
dis-je, qu'il suffise de quelques heures
pour établir au quartier général d'une
armée en campagne une situation d'ef-
fectif absolument exacte et dénombrer de
façon précise les morts et les blessés ?
Il eût mieux valu ne fournir, aucun
chiffre puisqu'on n'était pas .sûr de leur
exactitude. Voilà tout ce que l'on peut
raisonnablement reprocher au ministre
de la guerre. 1
Quoi qu'il en soit, un fait saute aux
yeux,-et celui-là seul a de l'importance:
— sur un effectif de 5,000 combattants
que comptait la brigade Giovanninelli,
nous avons perdu le dixième environ,
dont trente-cinq officiers. Ces chiffres ont
leur signification. 1
LOUIS HENRIQUB.
ouvelles parlementaires
CHAMBRE DES DÉPUTÉS
Ainsi que nous l'avions annoncé, l'Union
démocratique s'est réunie hier sous la pré-
sidence de M. Develle ; elle a déliDéré sur
la question du scrutin de liste.
Les tendances du groupe sont déjà con-
nues. Tout donne à penser qu'il est disposé
à voter contre la proposition Constant. Il est
non moins certain que la majorité de la
Chambre est acquise, dès à présent, au ré-
tablissement du scrutin de liste.
*
L'honorable M. Reille, qui a déposé son
rapport sur l'organisation de l'armée colo-
niale, compte demander la mise à l'ordre du
jour du projet à la suite du scrutin de
liste.
La commission des finances du Sénat a
entendu M. Rouvier, ministre du commerce,
sur l'augmentation de trois millions votée
récemment pour les primes à la marine
marchande.
Le ministre du commerce a déclaré que,
contrairement aux affirmations qui avaient
été faites à la Chambre des députés par un
membre de l'Extrême Gauche, la loi sur la
marine marchande a produit d'excellents
résultats.
Il résulte, en effet, des statistiques de
1882 à 1883 que la construction et la navi-
gation à vapeur ont augmenté dans des pro-
portions telles que la France est devenue
sous ce rapport supérieure aux Etats-Unis.
«
* *
<
L'ancienne commission du projet de loi
sur les récidivistes s'est réunie hier et a dé-
cidé d'adopter la rédaction votée par le
Sénat.
1 n ministre de l'intérieur commmuniquera
à la commission le rapport de M. Léveîllé,
professeur à la Faculté de droit, qui vient
de rentrer de la Guyane où il avait été en-
voyé en mission. Le rapport a trait à l'ap-
plication de la relégation.
M. LéveiUé conclut à la possibilité d'en-
voyer les récidivistes à la Guyane qui est
très peu peuplée.
• «
La commission de l'armée a discuté hier
la proposition relative à la taxe militaire.
La discussion s'est engagée entre M. Bou-
gues, M. Heille, M. Loustalot et M. Saint-
Romme. Seul, M. Bougues s'est rallié à la
proposition.
M. Loustalot a combattu la taxe en disant
qu'il ne serait pas équitable de soumettre à
un impôt spécial ceux qui sont dispensés du
service militaire Dour infirmités.
M. Ballue, qui avait l'intention de donner
connaissance de son projet, y a renoncé.
Daus ces conditions, la commission n'a pas
cru devoir prendre de décision.
La commission a écarté la proposition de
M. Maxime Lecomte, qui avait pour objet
d'astreindre au service militaire les fils d'é-
trangers.
* »
M. Viette reprendra sa proposition de loi
tendant à assurer aux forestiers et aux doua-
niers la même retraite qu'aux gendarmes.
Cette proposition a été repoussée en 1882 à
une très faible majorité.
L. H.
v
■» ■ —— '■
"";-'' CA ET LA
«
Voioi une plainte qui me paraît fort
juste, et elle intéresse un si grand nom-
bre d'employés que je n'hésite pas à
lui donner place dans le journal.
Lisez la lettre qui suit :
Monsieur, j
Je me pérmets de vous adresser ces li-
gnes pour vous entretenir de l'objet sui-
vant :
Le gouvernement a déposé, après les fêtes
de la Pentecôte de l'année dernière, un pro-
jet de loi portant que les lundis de Pâques
et de la Pentecôte seraient dorénavant con-
sidérés comme jours fériés, ce qui en défi-
nitive ne fait que consacrer un ordre de
choses établi.
Vous savez, tout comme moi, que ces jours
sont considérés comme fériés par tous, que
tous les magasins, Bourses de commerce,
etc., sont fermés. Al étranger, toutes les Bour-
ses chôment également et, en définitive, il
n'v a que nous autres, pauvres employés de
banque, qui soyons astreints à travailler ou,
plutôt, à nous rendre, qui au bureau, qui à
la Bourse, pour tuer le temps d'une façon
quelconque, et tout cela faute d'une loi qui
consacre un ordre de choses établi ; le gou-
vernement ayant fini par se rendre compte
de la chose après des sollicitations qui du-
rent depuis longtemps, a fini par déposer
un projet de loi donnant satisfaction à nos
désirs, et nous voici à la veille des fêtes de
Pàques sans être plus avancés qu'aupara-
vant. Sans vouloir médire de nos députés,
vous reconnaîtrez facilement, j'espère, qu'ils
aiment volontiers les congés, et que depuis
bientôt dix mois ils auraient bien pu trou-
var cinq minutes pour expédier le projet de
loi en question. Je ne crois pas qu'il eût
soulevé beaucoup de discussions politiques
ou autres! !
Etant un de vos lecteurs assidus et sachant
combien vous accueillez alïablement les de-
mandes qui vous paraissent justes, — j'ose
espérer qne la mienne rencontrera votre as-
sentiment. Je vous signale le fait en ques-
tion, espérant que vous voudrez bien,lui
donner place prochainement dans une de
vos chroniques et stimuler un peu l'ardeur
de nos mandataires.
Je vous assure à l'avance de la reconnais-
saissance des employés de banque, mes col-
lègues, intéressés comme moi à une pro-
chaine solution, de la question, et j'ose me
dire, tout particulièrement, votre bien re-
connaissant et dévoué lecteur.
Il me semble, pour moi, qu'il n'y au-
rait pas besoin, en affaire pareille; que
la loi intervînt. La Banque et la Bourse
n'auraient qu'à consacrer, par un règle-
ment, l'usage établi de longue date.
La Banque n'aurait qu'à fermer ses
bureaux et la Bourse ses portes ; per-
sonne, j'imagine, ne réclamerait, puis-
que ces deux lundis sont, depuis tant
d'années, considérés par la population
tout entière comme des jours fériés.
Mais si, en effet, il est besoin d'une
loi, celle-là ne trouvera guère de contra-
dicteurs, et l'on pourrait l'expédier en
dix minutes.
*
* *
Nous avons tenu nos lecteurs au cou-
rant de la discussion qui s'est tout der-
nièrement élevée au conseil municipal
de Paris, sur la question de savoir s'il
faudrait admettre les femmes dans les
hôpitaux en qualité d'internes.
Ce débat donne quelque intérêt aux
renseignements qui suivent et que j'em-
prunte à une feuille spéciale, le Droit
des femmes, de notre ami Léon Ri-
cher :
« C'est à la Faculté de médecine de
Boston que semble revenir l'honneur
'd'avoir accueilli pour la première fois
des élèves féminins. Ceci date de 1848.
» L'université de Zurich a accueilli sa
première élève en 18(54. La Russie a
admis les femmes à l'Ecole de médecine
de Saint-Pétersbourg en 1872.
» En Allemagne, les femmes ne prépa-
rent guère leurs examens de hautes étu-
des que dans des institutions particu-
lières. Cependant un certain nombre de
diplômes leur ont été décernés depuis
quelques années.
» La première femme reçue au doctorat
médical fut Mlle Von Siebold.
» De 1874 à 1879, Leipzig a formé trois
docteurs féminins.
» En Italie, ce n'est qu'en 1864, surl'ini-
tiative de la municipalité de Milan, que
les écoles supérieures ont été instituées,
et jusqu'en 1879 il n'y a eu q'une
femme diplômée, Mlle Giraldi, reçue à
Naples.
»En France, la première bachelière,
Mlle Daubié, fut ceçue en 1861, et la
première femme médecin en 1870. Il y
a des femmes externes des hôpitaux de-
puis deux ans.
» L'université de Londres a été la plus
récalcitrante. Ce n'est que depuis son
vote du 15 janvier 1879 qu'il est permis
aux femmes qui en suivent les divers
cours d'aspirer à tous les diplômes, non
seulement en médecine, mais en arts,
en sciences, en légi.slation.»
Ça marche ! ça marche ! comme disait
jadis Rodin en frottant l'une contre
l'autre ses mains sales.
*
* *
Je me proposais de répondre moi-
même aux réflexions que M. André Le
Breton nous avait présentées sur le fa-
meux chapitre de Montaigne imposé
aux jeunes filles comme livre à étudier
pour l'agrégation.
J'avais déjà fait pressentir, en per-
mettant qu'elles fussent insérées dans
le journal, que je ne les trouvais pas
absolument justes. Mais ce sont là ma-
tières à discussions, et j'estime qu'il y
a profit pour le lecteur à voir le pour
et le contre soutenu tour à tour.
Je viens de recevoir une lettre où
l'un des points traités par M. - André
Le Breton est agréablement relevé.
Vous la lirez avec plaisir:
Paris, 12 mars 1885.
Monsieur le rédacteur,
Il y a vraiment trop de pessimisme dans
l'article que l'un de vos correspondants vient
de faire paraître ce matin dans le XTXa Siè-
cle. Quoi ! tout est perdu, et cela pour un
malheureux chapitre de Montaigne mis aux
mains des. demoiselles! Les voilà, du coup,
perverties, et cette perversion leur vient du
travail même qui doit leur donner le pain
avec la dignité! Halte-là, s'il vous plaît!
Savez-vous, monsieur, q l'en suivant une
humeur aussi farouche et sombre que celle
do M. Le Breton, il faudrait non seulement
prescrire Montaigne, mais tous les auteurs
français jusqu'à Boileau, et cela pour un ou
deux mots capables de blesser nos oreilles
devenues trop délicates au détriment peut-
être de notre cœur? Voyons, qui ne sait que,
jusqu'aux environs de 1668, nos écrivains
ont ignoré ce que nous appelons la pudeur
du style. Boileau lui-même, avant 1668, se
piquait d'appeler un chat un chat et d'user
du mot propre. Il ne s'aperçut qu'à la lon-
gue qu'il fallait proscrire certainesr^expres-
sions; dès lors, il y eut des mots nobles et
d'autres roturiers, à l'imitation des gens.
Ce fut du goût de la cour qu'il s'inspira, et
non plus, comme son maître Malherbe, des
portefaix de la place Saiut-Jean. Molière ré-
sista longtemps encore à la réforme de son
ami, en sorte-que les cocus, les carognes et
autres expressions crues à nos yeux, et qui
ne sont que franches, continuèrent à trouver
un dernier asile dans ses comédies.
Et, monsieur le rédacteur, puisque j'ai
avancé le nom de Molière, j'oserai deman-
der à votre pudibond correspondant ce
qu'il pense du personnage & Henriette. Que
de choses elle sait sur le mariage ! Qui lui
a appris tout cela ? Et Henriette n'a cepeu- t
dant que des clartés de tout. Je crains fort
que de telles clartés n'oflusquent M. Le
Bretoil autant qu'une page de Montaigne.
Cette pudeur du style, qui a assurément
du bon en soi, empêche-t-elle la corrup-
tion? Croyel-vou. monsieur, que notre
langue, qui bravait Vhonnêteté (comme-la
langue latine) jusqu'en 1770, dépravât nos
aïeux? Ils n'y voyaient assurément pas le
mal que nous y apercevons, parce qu'au
fond ils étaient plus honnêtes que nous.
Pour moi, je crains bien que la pudeur du
style ne soit souvent qu'une hypocrisie, un
masque, et que les demoiselles qu'un mot
effaroucherait n'eu sachent déjà trop long;
car, d'où leur viendrait la blessure apparente
du mot si elles ne connaissaient déjà la
chose?
Veuillez, monsieur, agréer mes respec-
tueuses civilités.
J'ajouterai à ces considérations, qui
ont leur prix, que ce chapitre xxv de
Montaigne est un chef-d'œuvre de haute
et ferme raison, d'aimable philosophie
et de style pittoresque.
Mieux vaut, je crois, quand on le met
entre les mains des jeunes filles, en re-
trancher trois ou quatre mots malson-
nants. Mais ces trois ou quatre mots y
fussent-ils restés, ce serait vraiment
dommage que nos jeunes femmes n'ap-
prissent pas à connaître Montaigne, pour
trois ou quatre mots qui déparent ce
morceau délicieux. Et encore, si je me
sers de ce mot déparer, c'est par défé-
rence pour les préjugés de pudibonde-
rie contemporaine. Car ces mots avaient
jadis droit de cité chez les plus honnêtes
gens.
FRANCISQUE SARCEY.
NOUVELLES DE CHINE v
DÉPÊCHE DU GÉNÉRAL BRIÈRE DE L'ISLE.
Le ministre de la guerre a reçu du géné-
ral Brière de l'Isle le télégramme sui-
vant :
Hanoï, 11 mars 1885.
Je reçois votre télégramme du 8 mars. Je
vous remercie au nom du corps expédition-
naire.
Les forces ennemies que nous avons com-
battues, tant à Tuyen-Quan qu'à Haomoc,
s'élevaient au moins à 20,000 hommes : elles
feuilleton du XJX" SIÈCLB
Du 15 Mars 1885
(29)
UNE FOLIE
XVIII
fer suite -d
Maurice eut un cri.
— Notre enfant. et tu ne m'en disais
rien, cruelle! Ah! vois-tu, j'ai été cou-
pable, fou, aveugle, mais je t'aime, je
n'ai jamais cessé de t'aimer. Et l'amour
est si fort, il te sauvera, pourvu que tu
saches pardonner!. Mafemme, ma Fleu-
rette adorée, - dis que tu me pardonnes!
— Je tepardonne, Maurice, je sais bien
que tu m'aimes. j'ai entendu. Seule-
ment il est trop tard ; j'ai trop souffert,
vois-tu, mon bien aimé !
Et pendant ce temps, Berthe regardait,
comprenait. Certes, elle avait été bien
couDable ; mais elle était bien punie
aussi. C'était comme si elle n'existait
plus. En dépit de son amour insensé, en
dépit de sa présence, la réconciliation
suprême avait lieu sous ses yeux. Ce qui
aurait dû séparer à jamais les époux ne
servait qu'à les rapprocher. Elle s'était
hautement déclarée la maîtresse du mari,
et ni le mari ni la femme ne semblaient
même s'en souvenir. Tout était bien fini
pour elle, maintenant. Elle spréparait
à partir, serrant contre sa poitrine sa sor-
tie de bal.
- Ces effusions conjugales, dit-elle,
n ont guère besoin de témoin, j'ima-
gine. J
-
Reproduction interdite.
Elle se dirigeait vers la porte, lors-
qu'elle s'arrêta. On entendait dans l'ap-
partement comme un bruit de dispute.
Epouvantée, Berthe recula, disant d'une
voix étranglée :
— Je suis perdue. c'est mon mari ;
il m'aura suivie.
Toute son audace l'avait abandonnée.
Elle s'était èrue à l'abri de toute décou-
verte, se sentant supérieure à son mari,
convaincue qu'elle déjouerait facilement
ses soupçons. Mais il ne s'agissait plus
de soupçons à présent : il avait la certi-
tude de la trahison, il en avait les preu-
ves. Folle de terreur, elle cherchait une
issue, elle disait :
— Mais sauvez-moi donc, faites-moi
sortir ! Il me tuera !
Fleurette se souleva sur ses coussins
et regarda sa rivale, celle qui l'avait tant
fait souffrir.
- Mettez-vous là, Berthe, à côté de
moi. C'est moi qui vous sauverai. Ma
présence expliquera la vôtre.
Il n'était que temps. Berthe, haletante
encore, s'affaissa sur le fauteuil à côté
de la chaise longue où la malade était
étendue. La porte s'ouvrit violemment.
Ferraysac s'élança vers Maurice qui se
tenait debout.
— Misérable I lui cria-t-il, ma femme
est ici et vous êtes son amant !
Pour toute réponse, Maurice, très maî-
tre de lui, montra les deux femmes. Le
voile de Berthe cachait à moitié &a figure
pâlie.
Ferraysac, dans la demi-obscurité, n'a-
vait d'abord entrevu que la robe claire
de sa femme ; quand il vit que Berthe
n'était pas seule, que Fleurette, évidem-
ment très malade, lui tenait la main, il
recula, ne comprenant plus.
- Madame Malleville, vous. vous
ici?
Fleurette lui souriait très doucement.
— Oui, me voici de retour. J'ai une
confession à vous faire, un enfantillage
dont je me repens puisqu'il vous a causé
une émotion pénible. Vous êtes si com-
plètement mon ami, vous me l'avez si
souvent prouvé, que je peux vous avouer
ce que je n'avouerais pas à un autre. Il y
avait une brouille entre mon mari et
moi, un malentendu. J'ai beaucoup ré-
fléchi pendant mon exil là-bas; j'ai com-
pris que j'étais en faute, et je suis reve-
nue pour le lui dire, pour me faire
pardonner mes susceptibilités d'enfant
gâtée. Mais au dernier moment j'ai pris
peur, une peur de femme malade; je n'ai
pas voulu me trouver seule avec lui.
Alors j'ai pensé à Berthe qui nous aime
bien tous deux; j'ai voulu l'avoir avec
moi. C'était un enfantillage, n'est-ce
pas?. Je lui ai envoyé un message.
- ,— Pardonnez-moi, madame. Comment
avez-vous su où se trouvait ma femme ?
Ferraysac, quoique ébranlé, ne croyait
pas à cette histoire ; mais son respect
pour cette pauvre femme, outragée comme
il était outragé, et qui protégeait ainsi
sa rivale, grandit encore.
Mais très simplement. Pour tuer le
temps en route, j'avais ouvert un jour-
nal; j'ai appris ainsi qu'il y avait bal
chez une amie intime de Berthe ; je n'ai
pas hésité, et mon billet a trouvé votre
femme tout de suite. Seulement je lui
recommandais un peu de mystère. —
Vous comprenez que je ne désirais pas
mettre tout le monde dans le secret de
mes affaires intimes ; elle a donc pris un
fiacre au lieu de se faire conduire ici
dans sa voiture. Vous êtes arrivé, vous
avez découvert que votre femme n'était
plus au bal tandis que sa voiture atten-
dait ; vous vous êtes informé, vous avez
suivi sa tracs, — et vous voilà. C'est moi
qui suis cause de toutes vos angoisses :
pardonnez-moi, mon ami. -
Avec un sourire adorable, elle lui ten-
dit la main qu'il baisa respectueusement.
Il ne lui dit pas un mot; mais, sur son
visage d'honnête homme, elle vit qu'il
n'était pas sa dupe. Alors elle changea
subitement d'expression, elle l'attira
plus près d'elle, le regarda jusqu'au fond
des yeux et lui dit :
— Je crois que je suis mourante. On
ne doute pas des paroles, des mourants,
n'est-ce pas ?
U vit qu'elle était horriblement pâle,
qu'elle semblait souffrir beaucoup. Il
baissa la tête ; il était vaincu. „
Redressant sa haute taille, il se
tourna alors vers sa femme qui tressail-
lit au son de cette voix impérieuse qu'elle
semblait entendre pour. la première fois.
— Berthe, nous allons partir. Dites
adieu à votre amie que, malheureuse-
ment, vous ne pourrez pas revoir de long-
temps peut-être. Nous quittons Paris de-
main.
Berthe se redressa vivement. L'impu-
nité lui rendait son audace.
— Je ne veux pas quitter Paris.
— Je regrette, ma chère amie, de ne
pouvoir céder à ce caprice comme j'ai
cédé jusqu'à présent à tant d'autres.
Mais des affaires importantes m'appellent
en province, auprès de ma mère toujours
très malade, et qui ne peut se passer de
ma présence. Je tiens à ne pas partir
seul cette fois; vous m'accompagnerez.
La vie très simple qu'on mène chez nous
vous sera saine de toutes les façons. Si
Mme Malleville a réfléchi, j'ai réfléchi
aussi, et très sérieusement. Je ne suis
décidément pas fait pour cette exis-
tence mondaine que vous adorez. Je
vous ai longtemps laissé la direction de
toutes choses, je me suis conformé à
vos fantaisies. Nous allons, si vous le
voulez bien, changer de rôle.
— Plutôt mourir 1
— A votre gré, ma chère. Résignez-
vous, ou bien je serai forcé bien malgré
moi, de contrôler le récit de Mme Malle-
ville, que je désire pourtant croire d'un
bout à l'autre. Il me faudra voir le bil-
let qu'elle vous a fait remettre, interro-
ger son messager, et cette enquête me
serait pénible autant qu'elle vous serait
peut être désavantageuse.
Berthe, furieuse, froissait dans ses
mains son mouchoir de dentelle, blanche
de colère, n'osant rien répondre. Son
mari fit deux pas vers elle, et d'une voix
terrible lui dit :
— Comprenez-vous enfin, madame, ou
faut-il parler plus clairement encore?
Vous vous êtes jouée de moi ; vous avez
cru en m'épousant faire de moi votre
chose. Ma fortune vous semblait bon-
ne à prendre,, vous en avez usé' et
abusé. Mon nom vous a servi pour me-
ner des intrigues politiques ; puis, ce
nom, vous n'avez pas hésité à le salir ;
vous vous êtes compromise, perdue de
réputation. Eh bien ! c'en est assez! Tout
va changer, c'est moi qui vous le dis.
Vous serez ma femme, ni plus ni moins.
Je vous ai aimée, follement ; cela aussi
est fini, on n'aime pas ce qu'on méprise.
Mais je tiens à garder le secret de ce qui
s'est passé. Vous partirez avec moi, vous
resterez avec moi. Lorsque nous revien-
drons à Paris, si jamais nous y revenons,
c'est moi qui règlerai la manière dont
nous vivrons. Comprenez-vous, mainte-
nant?
Il la regarda bien eu face ; elle voulut
le braver, le mettre au défi. Puis l'éclat
du regard de ce mari outragé qui pardon-
nait, mais qui était résolu à n'avoir plus
à pardonner, résolu aussi à faire expier,
lui fit enfin baisser les yeux ; elle était
domptée. Sanglotant de rage impuissante.
et sans se retourner vers ses « chers
amis», elle partit en courant.
Ferreysac se retourna, lui. Sans re-
garder Maurice, il s'inclina profondément
devant sa femme, disant
— Elle ne vous fera plus souffrir, ma-
dame, je vous le jurel
Alors il disparut, lui aussi.
Maurice, seul enfin avec sa femme, se
mit devant elle à deux genoux, et la con-
templa avec vénération, avec une ten-
dresse infinie.
Fleurette, d'un geste câlin, lui passa
les mains sur le visage, comme pour ef-
facer, pour écarter les tristesses, les sou-
venirs.
- Voilà — le vilain passé est fini. Tout
est oublié. Je t'aime, mon cher mari, je
t'aime. Seulement, vois-tu, le bonheur
vient trop tard.
Et brisée par toutes ces émotions, par
l'effort inouï qu'elle avait fait pendant J
cetté scène pénible, elle s'évanouit de
nouveau.
Fleurette se trompait pourtant. Le
bonheur n'était pas venu trop tard.
Soignée par sun mari qui ne vivait
plus que pour elle, pour qui le monde
finissait aù seuil de la porte de la ma-
lade/la jeune femme ne succomba pas.
Maurice lui soufflait de sa vie, la berçait
de ses paroles d'amour, l'entourait de sa
tendresse, où il entrait du repentir, de
l'espoir aussi. Au milieu de ses sout-
frances,Fleurettte futheureuse, d'un bon-
heur exquis. Et, comme l'avait dit Mau-
rice, l'amour fut le plus fort.
Un jour il reçut dans ses bras le fils qui
leur était né, et la mère, pâle et épuisée,
trouvait encore la force de leur sourire
à tous deux. La vie lui revint, elle était
sauvée.
Maurice Malleville est maintenant un
avocat très occupé, presque célèbre. Il
ne se croit plus destiné à être l'homme
indispensable, mais il s'intéresse tou-
jours aux choses de la politique et il est
resté très patriote. Heureux entre sa
femme, plus belle que jamais, très admi-
rée, très respectée surtout, et ses enfants,
qui grandissent, sa plus grande ambition
est de trouver un mois de vacances à
passer dans la villa de Naples. Il n'est
pas assez riche pour la réparer et n'y
tient guère. Il aime les allées, plus sau-
vages que jamais, où il se perd avec sa
Fleurette, comme au temps de leurs
fiançailles ; il lui murmure à l'oreille :
— Je t'aimais bien alors, ma chère
femme ; je t'aime mille fois plus aujour-
d'hui.
— C'est peut-être parce que la seconde
conquête n'a pas été aussi facile que la
première. - Ce qui n'empêche pas, mon
bien-aimé, qu'en m'épousant tu as fait
une folie.
- Ahl l'heureuse folie! Et combien
pins sage que toutes les sagesses mon-
daines 1
FIN
JSANNB MAIRIU.
Prix du numéro à Paris 15 centimes - Départements: 20 centimes
Dimanche 15 Mars i885
~s~ ,
JOURNAL RÉPUBLICAIN CONSERVATEUR
.- REDACTION
S'adresser au Secrétaire de la Rédaction
de 2 heures à minuit
.1 G. j rue GadLet, 1Q
Manuscrits non insérés ne seront pas rendua
ABONNEMENTS --
DÉPARTEMENTS
STrois mois *6 »W
Six mois. 32 )).1
Un an .62 **
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Mresser les Lettres et Mandats à l'Admlnistratea
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Demaiti dimanche 15 mars, nous com-
mencerons la publication d'une « étude 1i
JJ,umaine» :
LE ROMAN DU ROMAK
.Par EDGAR MONTEIL
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l\20i0 110 07, 03, 17, 15.
3 Ort) -^. 7.;. 81 97, 82 13, 10.
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Egypte.339 37, 342 18, 342 50.
Hongrois 81 Ii4, 9116.
Actions Rio. 285, 284 37,286 25.
Lots Turcs.-.-. 48, 48 37.
PARIS, 14 MARS i885
La Gazette de France trouve que
nous avons mauvaise grâce à nous
plaindre des crimes qui se commettent
de plus en plus nombreux et à deman-
der des mesures énergiques contre les
récidivistes. Ne sommes-nous pas en
effet des libres-penseurs, et le crime
îl'est-il pas la conséquence logique de
la libre-pensée ? Quand les hommes ne
sont plus retenus par les croyances re-
ligieuses, quelles bonnes raisons pour-
raient les empêcher de devenir des vo-
leurs et des assassins?
« Dès lors, écrit-elle, pourquoi se
gêneraient-ils ?
» Pourquoi, lorsqu'ils manquent de
cet argent qui peut leur procurer la
jouissance, seul but de la vie, s'abstien-
draient-ils de l'arracher, même au prix
d'un assassinat, à ceux qui le détien-
nent ? Les docteurs de la libre-pensée
ne craignent pas de répéter journelle-
ment que la liberté humaine est une
chimère, que tous nos actes sont néces-
sités par des causes extérieures, que
les voleurs et les assassins sont irres-
ponsables et que les punir est un
crime.
» Les républicains ne cessent de dé-
biter ces belles choses. De peur que la
religion n'empêche le progrès de leurs
théories, ils l'ont supprimée de l'ensei-
gnement scolaire, ils ont chassé Dieu
de l'école, ils ont jeté les crucifix au
tombereau.
» Ils sont vraiment ridicules et odieux
quand ils viennent aujourd'hui deman-
der des mesures de répression contre
ceux qui font de la libre-pensée la règle
de leur conduite. »
Et la Gazette de France conclut ainsi :
« La force, les supplices, les châti-
ments ne remplaceront jamais les en-
seignements de la religion. C'est une
vérité d'en haut dont la société va se
trouver en mesure de constater la cer-
titude par voie d'expérience. »
La Gazette de France nous permettra
de ne pas discuter sa thèse dévote; nous
nous bornerons .à lui faire observer
qu'elle n'a pas la main heureuse en s'a-
visant de la soulever aujourd'hui.
Parmi les cinq misérables qui ont
pénétré chez Mme Ballerich, il en est
un qui avait été embauché spéciale-
ment pour tuer. Il en est un qui s'est
jeté sur la vieille femme tout d'abord,
qui lui a enfoncé son couteau dans la
gorge, que le jury a condamné à mort.
C'est Gamahut. Or celui-là, précisé-
ment, avait été élevé dans une famille
religieuse; sa @ pieuse tante avait pris
soin de son éducation. Il était entré
dans deux monastères, une première
fois chez les oblats, une seconde chez
les trappistes; rien ne lui a manqué, ni
les préceptes salutaires, ni les bons
exemples. Que pense notre confrère du
résultat, et n'est-il pas tout à fait édi-
fiant?
Si nous avions du goût pour ces sor-
tes de polémiquer, c'est nous tout au
contraire, ce me semble, qui aurions la
partie belle, et nous pourrions nous
faire aisément une arme de la lettre
adressée par l'ex frère Tiburce au révé-
rend père Timothée, — lettre bien au-
thentique, quoi qu'en ait pu dire l'Uni-
vers. - Mais nous n'avons jamais pratiqué
cette façon de discuter et nous ne
commencerons pas aujourd'hui. On
n'est un saint ou un criminel ni parce
qu'on a reçu l'éducation de la foi ni
parce qu'on a reçu celle de la libre-
pensée. Il y a des gredins dans tous les
camps et sous tous les drapeaux; il y a
heureusement sous tous les drapeaux
et dans tous les camps plus d'honnêtes
gens encore, et il nous a toujours paru
que ce qu'ont de mieux à faire les hon-
nêtes gens, c'est de se respecter les uns
les autres.
CHARLBS BIGOT.1
SOUSCRIPTION
AU MONUMENT DE M. ABOUT
Nous déclarons close la souscription
pour le monument d'Edmond About. Si
quelque souscripteur en retard avait
encore quelque somme à envoyer, je
lui serais obligé de l'adresser chez moi,
59, rue de Douai.
FRANCISQUE SARGEY.
L'AFFAIRE DE TUYEN-QUAN
Une nouvelle dépêche du général Brière
de llsle, datée du il mars, nous apporte
des renseignements plus explicites que
la précédente sur les événements de
Tuyen-Quan et deDuoc (la dépêche écrit
Hasmoc).
La lutte a été plus chaude et aussi
plus meurtrière qu'on ne l'avait cru tout
d'abord. Les forces de l'ennemi s'éle-
vaient à 20,000 hommes au moins.
Les Chinois avaient mis en œuvre pour
organiser leur défense tous les moyens
en usage dans les armées modernes. Ils
avaient installé d'immenses fourneaux de
mines en avant des forts d'arrêt qui fer-
maient la route à nos troupes; l'assaut
donné le 2 mars par les tirailleurs algé-
riens a échoué a la suite d'une formidable
explosion qui a dû causer des ravages
parmi nos troupes indigènes, si l'on en
juge par ie nombre d'officiers de cette
arme mis hors de combat. Enfin l'on sait
de source certaine que les Chinois comp-
taient dans leurs rangs un certain nombre
d'officiers anglais et allemands. Il n'axas
tenu aux mesures prises par Lu-Vinh-
Phuoc que l'attaque du général Brière de
l'Isle ne finît par un désastre.
Il n'en a rien été, grâce à l'élan de nos
troupes et à l'habileté de leur chef.
Malheureusement, ce succès si glo-
rieux a été acheté au prix des plus
grands sacrifices.
Du relevé officiel de nos pertes il ré-
sulte que, pendant les deux journées du
2 et dj 3 mars, nous avons eu quatre
cent soixante-trois hommes hors de com- !
bat. La première dépêche du 10 mars
avait accusé le chiffre de cent quatre-
vingt-treize.
A ce sujet, des critiques sévères ont été
adressées au gouvernement, que l'on a
taxé d'optimisme voulu. Je ne sais pas ce
qui en est et ne me charge point de dis-
culper le ministre de la guerre du fait
qu'on lui impute.
Je me demande seulement si, en réa-
lité, le ministre avait un intérêt à dissi-
muler pendant quelques jours la vérité.
Comment aurait-il pu espérer faire le
mystère autour des chiffres exacts, étant
donné que les agences d'informations en-
tretiennent à la suite du corps expédi-
tionnaire des correspondants qui en-
voient tous les jours des dépêches soit à
Londres, soit à Paris ?
Sans supposer des intentions si naïve-
ment machiavéliques au ministre de la
guerre, n'est-il pas plus vraisemblable
d'admettre que la première dépêche du
général Brière de l'Isle a été incomplète
par la raison toute simple qu'à la pre-
mière heure les renseignements fournis
au général en chef étaient incomplets ?
Comment ne l'eussent-ils pas été? Se
figure-t-on que, dans une action qui a
duré trois jours, où il a fallu marcher en
combattant de positions en positions sur
une longueur de huit à dix kilomètres,
où par conséquent on a laissé en route
des morts et des blessés, se figure-t-on,
dis-je, qu'il suffise de quelques heures
pour établir au quartier général d'une
armée en campagne une situation d'ef-
fectif absolument exacte et dénombrer de
façon précise les morts et les blessés ?
Il eût mieux valu ne fournir, aucun
chiffre puisqu'on n'était pas .sûr de leur
exactitude. Voilà tout ce que l'on peut
raisonnablement reprocher au ministre
de la guerre. 1
Quoi qu'il en soit, un fait saute aux
yeux,-et celui-là seul a de l'importance:
— sur un effectif de 5,000 combattants
que comptait la brigade Giovanninelli,
nous avons perdu le dixième environ,
dont trente-cinq officiers. Ces chiffres ont
leur signification. 1
LOUIS HENRIQUB.
ouvelles parlementaires
CHAMBRE DES DÉPUTÉS
Ainsi que nous l'avions annoncé, l'Union
démocratique s'est réunie hier sous la pré-
sidence de M. Develle ; elle a déliDéré sur
la question du scrutin de liste.
Les tendances du groupe sont déjà con-
nues. Tout donne à penser qu'il est disposé
à voter contre la proposition Constant. Il est
non moins certain que la majorité de la
Chambre est acquise, dès à présent, au ré-
tablissement du scrutin de liste.
*
L'honorable M. Reille, qui a déposé son
rapport sur l'organisation de l'armée colo-
niale, compte demander la mise à l'ordre du
jour du projet à la suite du scrutin de
liste.
La commission des finances du Sénat a
entendu M. Rouvier, ministre du commerce,
sur l'augmentation de trois millions votée
récemment pour les primes à la marine
marchande.
Le ministre du commerce a déclaré que,
contrairement aux affirmations qui avaient
été faites à la Chambre des députés par un
membre de l'Extrême Gauche, la loi sur la
marine marchande a produit d'excellents
résultats.
Il résulte, en effet, des statistiques de
1882 à 1883 que la construction et la navi-
gation à vapeur ont augmenté dans des pro-
portions telles que la France est devenue
sous ce rapport supérieure aux Etats-Unis.
«
* *
<
L'ancienne commission du projet de loi
sur les récidivistes s'est réunie hier et a dé-
cidé d'adopter la rédaction votée par le
Sénat.
1 n ministre de l'intérieur commmuniquera
à la commission le rapport de M. Léveîllé,
professeur à la Faculté de droit, qui vient
de rentrer de la Guyane où il avait été en-
voyé en mission. Le rapport a trait à l'ap-
plication de la relégation.
M. LéveiUé conclut à la possibilité d'en-
voyer les récidivistes à la Guyane qui est
très peu peuplée.
• «
La commission de l'armée a discuté hier
la proposition relative à la taxe militaire.
La discussion s'est engagée entre M. Bou-
gues, M. Heille, M. Loustalot et M. Saint-
Romme. Seul, M. Bougues s'est rallié à la
proposition.
M. Loustalot a combattu la taxe en disant
qu'il ne serait pas équitable de soumettre à
un impôt spécial ceux qui sont dispensés du
service militaire Dour infirmités.
M. Ballue, qui avait l'intention de donner
connaissance de son projet, y a renoncé.
Daus ces conditions, la commission n'a pas
cru devoir prendre de décision.
La commission a écarté la proposition de
M. Maxime Lecomte, qui avait pour objet
d'astreindre au service militaire les fils d'é-
trangers.
* »
M. Viette reprendra sa proposition de loi
tendant à assurer aux forestiers et aux doua-
niers la même retraite qu'aux gendarmes.
Cette proposition a été repoussée en 1882 à
une très faible majorité.
L. H.
v
■» ■ —— '■
"";-'' CA ET LA
«
Voioi une plainte qui me paraît fort
juste, et elle intéresse un si grand nom-
bre d'employés que je n'hésite pas à
lui donner place dans le journal.
Lisez la lettre qui suit :
Monsieur, j
Je me pérmets de vous adresser ces li-
gnes pour vous entretenir de l'objet sui-
vant :
Le gouvernement a déposé, après les fêtes
de la Pentecôte de l'année dernière, un pro-
jet de loi portant que les lundis de Pâques
et de la Pentecôte seraient dorénavant con-
sidérés comme jours fériés, ce qui en défi-
nitive ne fait que consacrer un ordre de
choses établi.
Vous savez, tout comme moi, que ces jours
sont considérés comme fériés par tous, que
tous les magasins, Bourses de commerce,
etc., sont fermés. Al étranger, toutes les Bour-
ses chôment également et, en définitive, il
n'v a que nous autres, pauvres employés de
banque, qui soyons astreints à travailler ou,
plutôt, à nous rendre, qui au bureau, qui à
la Bourse, pour tuer le temps d'une façon
quelconque, et tout cela faute d'une loi qui
consacre un ordre de choses établi ; le gou-
vernement ayant fini par se rendre compte
de la chose après des sollicitations qui du-
rent depuis longtemps, a fini par déposer
un projet de loi donnant satisfaction à nos
désirs, et nous voici à la veille des fêtes de
Pàques sans être plus avancés qu'aupara-
vant. Sans vouloir médire de nos députés,
vous reconnaîtrez facilement, j'espère, qu'ils
aiment volontiers les congés, et que depuis
bientôt dix mois ils auraient bien pu trou-
var cinq minutes pour expédier le projet de
loi en question. Je ne crois pas qu'il eût
soulevé beaucoup de discussions politiques
ou autres! !
Etant un de vos lecteurs assidus et sachant
combien vous accueillez alïablement les de-
mandes qui vous paraissent justes, — j'ose
espérer qne la mienne rencontrera votre as-
sentiment. Je vous signale le fait en ques-
tion, espérant que vous voudrez bien,lui
donner place prochainement dans une de
vos chroniques et stimuler un peu l'ardeur
de nos mandataires.
Je vous assure à l'avance de la reconnais-
saissance des employés de banque, mes col-
lègues, intéressés comme moi à une pro-
chaine solution, de la question, et j'ose me
dire, tout particulièrement, votre bien re-
connaissant et dévoué lecteur.
Il me semble, pour moi, qu'il n'y au-
rait pas besoin, en affaire pareille; que
la loi intervînt. La Banque et la Bourse
n'auraient qu'à consacrer, par un règle-
ment, l'usage établi de longue date.
La Banque n'aurait qu'à fermer ses
bureaux et la Bourse ses portes ; per-
sonne, j'imagine, ne réclamerait, puis-
que ces deux lundis sont, depuis tant
d'années, considérés par la population
tout entière comme des jours fériés.
Mais si, en effet, il est besoin d'une
loi, celle-là ne trouvera guère de contra-
dicteurs, et l'on pourrait l'expédier en
dix minutes.
*
* *
Nous avons tenu nos lecteurs au cou-
rant de la discussion qui s'est tout der-
nièrement élevée au conseil municipal
de Paris, sur la question de savoir s'il
faudrait admettre les femmes dans les
hôpitaux en qualité d'internes.
Ce débat donne quelque intérêt aux
renseignements qui suivent et que j'em-
prunte à une feuille spéciale, le Droit
des femmes, de notre ami Léon Ri-
cher :
« C'est à la Faculté de médecine de
Boston que semble revenir l'honneur
'd'avoir accueilli pour la première fois
des élèves féminins. Ceci date de 1848.
» L'université de Zurich a accueilli sa
première élève en 18(54. La Russie a
admis les femmes à l'Ecole de médecine
de Saint-Pétersbourg en 1872.
» En Allemagne, les femmes ne prépa-
rent guère leurs examens de hautes étu-
des que dans des institutions particu-
lières. Cependant un certain nombre de
diplômes leur ont été décernés depuis
quelques années.
» La première femme reçue au doctorat
médical fut Mlle Von Siebold.
» De 1874 à 1879, Leipzig a formé trois
docteurs féminins.
» En Italie, ce n'est qu'en 1864, surl'ini-
tiative de la municipalité de Milan, que
les écoles supérieures ont été instituées,
et jusqu'en 1879 il n'y a eu q'une
femme diplômée, Mlle Giraldi, reçue à
Naples.
»En France, la première bachelière,
Mlle Daubié, fut ceçue en 1861, et la
première femme médecin en 1870. Il y
a des femmes externes des hôpitaux de-
puis deux ans.
» L'université de Londres a été la plus
récalcitrante. Ce n'est que depuis son
vote du 15 janvier 1879 qu'il est permis
aux femmes qui en suivent les divers
cours d'aspirer à tous les diplômes, non
seulement en médecine, mais en arts,
en sciences, en légi.slation.»
Ça marche ! ça marche ! comme disait
jadis Rodin en frottant l'une contre
l'autre ses mains sales.
*
* *
Je me proposais de répondre moi-
même aux réflexions que M. André Le
Breton nous avait présentées sur le fa-
meux chapitre de Montaigne imposé
aux jeunes filles comme livre à étudier
pour l'agrégation.
J'avais déjà fait pressentir, en per-
mettant qu'elles fussent insérées dans
le journal, que je ne les trouvais pas
absolument justes. Mais ce sont là ma-
tières à discussions, et j'estime qu'il y
a profit pour le lecteur à voir le pour
et le contre soutenu tour à tour.
Je viens de recevoir une lettre où
l'un des points traités par M. - André
Le Breton est agréablement relevé.
Vous la lirez avec plaisir:
Paris, 12 mars 1885.
Monsieur le rédacteur,
Il y a vraiment trop de pessimisme dans
l'article que l'un de vos correspondants vient
de faire paraître ce matin dans le XTXa Siè-
cle. Quoi ! tout est perdu, et cela pour un
malheureux chapitre de Montaigne mis aux
mains des. demoiselles! Les voilà, du coup,
perverties, et cette perversion leur vient du
travail même qui doit leur donner le pain
avec la dignité! Halte-là, s'il vous plaît!
Savez-vous, monsieur, q l'en suivant une
humeur aussi farouche et sombre que celle
do M. Le Breton, il faudrait non seulement
prescrire Montaigne, mais tous les auteurs
français jusqu'à Boileau, et cela pour un ou
deux mots capables de blesser nos oreilles
devenues trop délicates au détriment peut-
être de notre cœur? Voyons, qui ne sait que,
jusqu'aux environs de 1668, nos écrivains
ont ignoré ce que nous appelons la pudeur
du style. Boileau lui-même, avant 1668, se
piquait d'appeler un chat un chat et d'user
du mot propre. Il ne s'aperçut qu'à la lon-
gue qu'il fallait proscrire certainesr^expres-
sions; dès lors, il y eut des mots nobles et
d'autres roturiers, à l'imitation des gens.
Ce fut du goût de la cour qu'il s'inspira, et
non plus, comme son maître Malherbe, des
portefaix de la place Saiut-Jean. Molière ré-
sista longtemps encore à la réforme de son
ami, en sorte-que les cocus, les carognes et
autres expressions crues à nos yeux, et qui
ne sont que franches, continuèrent à trouver
un dernier asile dans ses comédies.
Et, monsieur le rédacteur, puisque j'ai
avancé le nom de Molière, j'oserai deman-
der à votre pudibond correspondant ce
qu'il pense du personnage & Henriette. Que
de choses elle sait sur le mariage ! Qui lui
a appris tout cela ? Et Henriette n'a cepeu- t
dant que des clartés de tout. Je crains fort
que de telles clartés n'oflusquent M. Le
Bretoil autant qu'une page de Montaigne.
Cette pudeur du style, qui a assurément
du bon en soi, empêche-t-elle la corrup-
tion? Croyel-vou. monsieur, que notre
langue, qui bravait Vhonnêteté (comme-la
langue latine) jusqu'en 1770, dépravât nos
aïeux? Ils n'y voyaient assurément pas le
mal que nous y apercevons, parce qu'au
fond ils étaient plus honnêtes que nous.
Pour moi, je crains bien que la pudeur du
style ne soit souvent qu'une hypocrisie, un
masque, et que les demoiselles qu'un mot
effaroucherait n'eu sachent déjà trop long;
car, d'où leur viendrait la blessure apparente
du mot si elles ne connaissaient déjà la
chose?
Veuillez, monsieur, agréer mes respec-
tueuses civilités.
J'ajouterai à ces considérations, qui
ont leur prix, que ce chapitre xxv de
Montaigne est un chef-d'œuvre de haute
et ferme raison, d'aimable philosophie
et de style pittoresque.
Mieux vaut, je crois, quand on le met
entre les mains des jeunes filles, en re-
trancher trois ou quatre mots malson-
nants. Mais ces trois ou quatre mots y
fussent-ils restés, ce serait vraiment
dommage que nos jeunes femmes n'ap-
prissent pas à connaître Montaigne, pour
trois ou quatre mots qui déparent ce
morceau délicieux. Et encore, si je me
sers de ce mot déparer, c'est par défé-
rence pour les préjugés de pudibonde-
rie contemporaine. Car ces mots avaient
jadis droit de cité chez les plus honnêtes
gens.
FRANCISQUE SARCEY.
NOUVELLES DE CHINE v
DÉPÊCHE DU GÉNÉRAL BRIÈRE DE L'ISLE.
Le ministre de la guerre a reçu du géné-
ral Brière de l'Isle le télégramme sui-
vant :
Hanoï, 11 mars 1885.
Je reçois votre télégramme du 8 mars. Je
vous remercie au nom du corps expédition-
naire.
Les forces ennemies que nous avons com-
battues, tant à Tuyen-Quan qu'à Haomoc,
s'élevaient au moins à 20,000 hommes : elles
feuilleton du XJX" SIÈCLB
Du 15 Mars 1885
(29)
UNE FOLIE
XVIII
fer suite -d
Maurice eut un cri.
— Notre enfant. et tu ne m'en disais
rien, cruelle! Ah! vois-tu, j'ai été cou-
pable, fou, aveugle, mais je t'aime, je
n'ai jamais cessé de t'aimer. Et l'amour
est si fort, il te sauvera, pourvu que tu
saches pardonner!. Mafemme, ma Fleu-
rette adorée, - dis que tu me pardonnes!
— Je tepardonne, Maurice, je sais bien
que tu m'aimes. j'ai entendu. Seule-
ment il est trop tard ; j'ai trop souffert,
vois-tu, mon bien aimé !
Et pendant ce temps, Berthe regardait,
comprenait. Certes, elle avait été bien
couDable ; mais elle était bien punie
aussi. C'était comme si elle n'existait
plus. En dépit de son amour insensé, en
dépit de sa présence, la réconciliation
suprême avait lieu sous ses yeux. Ce qui
aurait dû séparer à jamais les époux ne
servait qu'à les rapprocher. Elle s'était
hautement déclarée la maîtresse du mari,
et ni le mari ni la femme ne semblaient
même s'en souvenir. Tout était bien fini
pour elle, maintenant. Elle spréparait
à partir, serrant contre sa poitrine sa sor-
tie de bal.
- Ces effusions conjugales, dit-elle,
n ont guère besoin de témoin, j'ima-
gine. J
-
Reproduction interdite.
Elle se dirigeait vers la porte, lors-
qu'elle s'arrêta. On entendait dans l'ap-
partement comme un bruit de dispute.
Epouvantée, Berthe recula, disant d'une
voix étranglée :
— Je suis perdue. c'est mon mari ;
il m'aura suivie.
Toute son audace l'avait abandonnée.
Elle s'était èrue à l'abri de toute décou-
verte, se sentant supérieure à son mari,
convaincue qu'elle déjouerait facilement
ses soupçons. Mais il ne s'agissait plus
de soupçons à présent : il avait la certi-
tude de la trahison, il en avait les preu-
ves. Folle de terreur, elle cherchait une
issue, elle disait :
— Mais sauvez-moi donc, faites-moi
sortir ! Il me tuera !
Fleurette se souleva sur ses coussins
et regarda sa rivale, celle qui l'avait tant
fait souffrir.
- Mettez-vous là, Berthe, à côté de
moi. C'est moi qui vous sauverai. Ma
présence expliquera la vôtre.
Il n'était que temps. Berthe, haletante
encore, s'affaissa sur le fauteuil à côté
de la chaise longue où la malade était
étendue. La porte s'ouvrit violemment.
Ferraysac s'élança vers Maurice qui se
tenait debout.
— Misérable I lui cria-t-il, ma femme
est ici et vous êtes son amant !
Pour toute réponse, Maurice, très maî-
tre de lui, montra les deux femmes. Le
voile de Berthe cachait à moitié &a figure
pâlie.
Ferraysac, dans la demi-obscurité, n'a-
vait d'abord entrevu que la robe claire
de sa femme ; quand il vit que Berthe
n'était pas seule, que Fleurette, évidem-
ment très malade, lui tenait la main, il
recula, ne comprenant plus.
- Madame Malleville, vous. vous
ici?
Fleurette lui souriait très doucement.
— Oui, me voici de retour. J'ai une
confession à vous faire, un enfantillage
dont je me repens puisqu'il vous a causé
une émotion pénible. Vous êtes si com-
plètement mon ami, vous me l'avez si
souvent prouvé, que je peux vous avouer
ce que je n'avouerais pas à un autre. Il y
avait une brouille entre mon mari et
moi, un malentendu. J'ai beaucoup ré-
fléchi pendant mon exil là-bas; j'ai com-
pris que j'étais en faute, et je suis reve-
nue pour le lui dire, pour me faire
pardonner mes susceptibilités d'enfant
gâtée. Mais au dernier moment j'ai pris
peur, une peur de femme malade; je n'ai
pas voulu me trouver seule avec lui.
Alors j'ai pensé à Berthe qui nous aime
bien tous deux; j'ai voulu l'avoir avec
moi. C'était un enfantillage, n'est-ce
pas?. Je lui ai envoyé un message.
- ,— Pardonnez-moi, madame. Comment
avez-vous su où se trouvait ma femme ?
Ferraysac, quoique ébranlé, ne croyait
pas à cette histoire ; mais son respect
pour cette pauvre femme, outragée comme
il était outragé, et qui protégeait ainsi
sa rivale, grandit encore.
Mais très simplement. Pour tuer le
temps en route, j'avais ouvert un jour-
nal; j'ai appris ainsi qu'il y avait bal
chez une amie intime de Berthe ; je n'ai
pas hésité, et mon billet a trouvé votre
femme tout de suite. Seulement je lui
recommandais un peu de mystère. —
Vous comprenez que je ne désirais pas
mettre tout le monde dans le secret de
mes affaires intimes ; elle a donc pris un
fiacre au lieu de se faire conduire ici
dans sa voiture. Vous êtes arrivé, vous
avez découvert que votre femme n'était
plus au bal tandis que sa voiture atten-
dait ; vous vous êtes informé, vous avez
suivi sa tracs, — et vous voilà. C'est moi
qui suis cause de toutes vos angoisses :
pardonnez-moi, mon ami. -
Avec un sourire adorable, elle lui ten-
dit la main qu'il baisa respectueusement.
Il ne lui dit pas un mot; mais, sur son
visage d'honnête homme, elle vit qu'il
n'était pas sa dupe. Alors elle changea
subitement d'expression, elle l'attira
plus près d'elle, le regarda jusqu'au fond
des yeux et lui dit :
— Je crois que je suis mourante. On
ne doute pas des paroles, des mourants,
n'est-ce pas ?
U vit qu'elle était horriblement pâle,
qu'elle semblait souffrir beaucoup. Il
baissa la tête ; il était vaincu. „
Redressant sa haute taille, il se
tourna alors vers sa femme qui tressail-
lit au son de cette voix impérieuse qu'elle
semblait entendre pour. la première fois.
— Berthe, nous allons partir. Dites
adieu à votre amie que, malheureuse-
ment, vous ne pourrez pas revoir de long-
temps peut-être. Nous quittons Paris de-
main.
Berthe se redressa vivement. L'impu-
nité lui rendait son audace.
— Je ne veux pas quitter Paris.
— Je regrette, ma chère amie, de ne
pouvoir céder à ce caprice comme j'ai
cédé jusqu'à présent à tant d'autres.
Mais des affaires importantes m'appellent
en province, auprès de ma mère toujours
très malade, et qui ne peut se passer de
ma présence. Je tiens à ne pas partir
seul cette fois; vous m'accompagnerez.
La vie très simple qu'on mène chez nous
vous sera saine de toutes les façons. Si
Mme Malleville a réfléchi, j'ai réfléchi
aussi, et très sérieusement. Je ne suis
décidément pas fait pour cette exis-
tence mondaine que vous adorez. Je
vous ai longtemps laissé la direction de
toutes choses, je me suis conformé à
vos fantaisies. Nous allons, si vous le
voulez bien, changer de rôle.
— Plutôt mourir 1
— A votre gré, ma chère. Résignez-
vous, ou bien je serai forcé bien malgré
moi, de contrôler le récit de Mme Malle-
ville, que je désire pourtant croire d'un
bout à l'autre. Il me faudra voir le bil-
let qu'elle vous a fait remettre, interro-
ger son messager, et cette enquête me
serait pénible autant qu'elle vous serait
peut être désavantageuse.
Berthe, furieuse, froissait dans ses
mains son mouchoir de dentelle, blanche
de colère, n'osant rien répondre. Son
mari fit deux pas vers elle, et d'une voix
terrible lui dit :
— Comprenez-vous enfin, madame, ou
faut-il parler plus clairement encore?
Vous vous êtes jouée de moi ; vous avez
cru en m'épousant faire de moi votre
chose. Ma fortune vous semblait bon-
ne à prendre,, vous en avez usé' et
abusé. Mon nom vous a servi pour me-
ner des intrigues politiques ; puis, ce
nom, vous n'avez pas hésité à le salir ;
vous vous êtes compromise, perdue de
réputation. Eh bien ! c'en est assez! Tout
va changer, c'est moi qui vous le dis.
Vous serez ma femme, ni plus ni moins.
Je vous ai aimée, follement ; cela aussi
est fini, on n'aime pas ce qu'on méprise.
Mais je tiens à garder le secret de ce qui
s'est passé. Vous partirez avec moi, vous
resterez avec moi. Lorsque nous revien-
drons à Paris, si jamais nous y revenons,
c'est moi qui règlerai la manière dont
nous vivrons. Comprenez-vous, mainte-
nant?
Il la regarda bien eu face ; elle voulut
le braver, le mettre au défi. Puis l'éclat
du regard de ce mari outragé qui pardon-
nait, mais qui était résolu à n'avoir plus
à pardonner, résolu aussi à faire expier,
lui fit enfin baisser les yeux ; elle était
domptée. Sanglotant de rage impuissante.
et sans se retourner vers ses « chers
amis», elle partit en courant.
Ferreysac se retourna, lui. Sans re-
garder Maurice, il s'inclina profondément
devant sa femme, disant
— Elle ne vous fera plus souffrir, ma-
dame, je vous le jurel
Alors il disparut, lui aussi.
Maurice, seul enfin avec sa femme, se
mit devant elle à deux genoux, et la con-
templa avec vénération, avec une ten-
dresse infinie.
Fleurette, d'un geste câlin, lui passa
les mains sur le visage, comme pour ef-
facer, pour écarter les tristesses, les sou-
venirs.
- Voilà — le vilain passé est fini. Tout
est oublié. Je t'aime, mon cher mari, je
t'aime. Seulement, vois-tu, le bonheur
vient trop tard.
Et brisée par toutes ces émotions, par
l'effort inouï qu'elle avait fait pendant J
cetté scène pénible, elle s'évanouit de
nouveau.
Fleurette se trompait pourtant. Le
bonheur n'était pas venu trop tard.
Soignée par sun mari qui ne vivait
plus que pour elle, pour qui le monde
finissait aù seuil de la porte de la ma-
lade/la jeune femme ne succomba pas.
Maurice lui soufflait de sa vie, la berçait
de ses paroles d'amour, l'entourait de sa
tendresse, où il entrait du repentir, de
l'espoir aussi. Au milieu de ses sout-
frances,Fleurettte futheureuse, d'un bon-
heur exquis. Et, comme l'avait dit Mau-
rice, l'amour fut le plus fort.
Un jour il reçut dans ses bras le fils qui
leur était né, et la mère, pâle et épuisée,
trouvait encore la force de leur sourire
à tous deux. La vie lui revint, elle était
sauvée.
Maurice Malleville est maintenant un
avocat très occupé, presque célèbre. Il
ne se croit plus destiné à être l'homme
indispensable, mais il s'intéresse tou-
jours aux choses de la politique et il est
resté très patriote. Heureux entre sa
femme, plus belle que jamais, très admi-
rée, très respectée surtout, et ses enfants,
qui grandissent, sa plus grande ambition
est de trouver un mois de vacances à
passer dans la villa de Naples. Il n'est
pas assez riche pour la réparer et n'y
tient guère. Il aime les allées, plus sau-
vages que jamais, où il se perd avec sa
Fleurette, comme au temps de leurs
fiançailles ; il lui murmure à l'oreille :
— Je t'aimais bien alors, ma chère
femme ; je t'aime mille fois plus aujour-
d'hui.
— C'est peut-être parce que la seconde
conquête n'a pas été aussi facile que la
première. - Ce qui n'empêche pas, mon
bien-aimé, qu'en m'épousant tu as fait
une folie.
- Ahl l'heureuse folie! Et combien
pins sage que toutes les sagesses mon-
daines 1
FIN
JSANNB MAIRIU.
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