Titre : Le XIXe siècle : journal quotidien politique et littéraire / directeur-rédacteur en chef : Gustave Chadeuil
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1885-03-13
Contributeur : Chadeuil, Gustave (1821-1896). Directeur de publication
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Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 13 mars 1885 13 mars 1885
Description : 1885/03/13 (A15,N4814). 1885/03/13 (A15,N4814).
Droits : Consultable en ligne
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Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-199
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 09/04/2013
Quinzième année. -AB-N° 4814
Prix du numéro à Paris 15 centimes - Départements: 20 centimes
Vendredi 13 Mars 1885
JOURNAL RÉPUBLICAIN CONSERVATEUR
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MM. les Souscripteurs, dont l'abonne-
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Egypte 340, 337 81.
Hongrois. 81 112, 518, 17i32.
Actions Rio 282 87,283."
Lots Turcs. 48 li4, 48.
PARIS, 12 MARS 1885
Voilà Gamahut condamné à mort, et
j'avoue qu'il faut être un adversaire
bien déterminé de la peine de mort
pour ne pas s'associer au verdict du
jury ; voilà ses complices, Midy et
Bavon, condamnés aux travaux forcés
à perpétuité; Soulier, à dix ans de
travaux forcés et vingt ans de surveil-
lance; Carrey, à six années de réclu-
sion et dix années de surveillance.
La justice humaine a prononcé sur
les auteurs du crime de Grenelle. Mais
ce crime ne doit-il pas inspirer à nos
législateurs quelques réflexions salutai-
res? Ce crime, ce sont de précoces
scélérats qui l'ont commis; sauf un,
tous ont environ vingt ans, et il n'a
été le coup d'essai d'aucun d'eux. Ils
sont des souteneurs et des voleurs; ils
ont fait, dans la débauche et dans le
vol, l'apprentissage de l'assassinat. Le
président de la cour d'assises l'a dit :
en movenne, ils ont déjà subi trois con-
damnations; l'un d'eux en a subi sept.
Tous sont -- des - récidivistes.
Il y a plus de deux années que la loi
sur les récidivistes a été déposée à'la
Chambre et examinée. L'opinion la ré-
clalnait depuis longtemps ; presque
toute la presse l'a soutenue de son ap-
probation, demandant seulement que
l'on fît vite. Il semblait qu'ici tous les
honnêtes gens de tous les partis se dus-
sent mettre aisément d'accord.
L'intérêt social, la sécurité des parti-
culiers, tout se réunissait pour ordon-
ner que l'on chassât de France ceux qui
ne veulent pas y vivre par le travail et
en respectant la toi.
La Chambre ne s'eU pas pressée ; elle
a pris, puis quitté la première délibé-
ration ; puis un long temps d'arrêt s'est
produit. Et cependant chaque session
d'assises compte quelques crimes com-
mis par des récidivistes ; enfin ar-
rive la seconde délibération, enfin elle
s'achève, enfin la loi est votée. Le mi-
nistère la porte au bureau du Luxem-
bourg.
Voici le Sénat saisi à son tour. Il
nomme une commission qui prend son
temps. Le Sénat discute une première
fois, puis, après intervalle, une "se-
eonde. Et. les exploiis des récidivistes
continuaient toujours. Enfin, à son
tour, le Sénat a terminé son œuvre. On
va donc pouvoir enfin débarrasser Paris
des misérables qui l'infestent.
Patience! tout n'est pas fini. Le
Sénat a introduit des modifications dans
la loi. 11 faut qu'elle retourne au Palais-
Bourbon. Elle y est retournée en effet,
et depuis combien de mois déjà? Et de-
puis qu'elle y est retournée nous n'a-
vons plus entendu parler d'elle. Oh!
des questions, des interpellations oiseu-
ses, des déclamations radicales et cléri-
cales, nous en avons eu autant et plus
que nous n'en voulions; mais pour cette
loi, aussi urgente qu'utile, on n'a pas
su trouver le temps. Et quand enfin la
Chambre aura bien voulu mettre la loi
à son ordre du jour et l'examiner, il
faudra sans doute qu'elle retourne une
lois encore au Sénat. En attendant, les
récidivistes continuent leur métier ; ils
volent et ils tuent.
Si nous avions eu la loi sur les récidi-
vistes, comme nous étions en droit de
l'espérer, Mme Ballerich n'eût point été
égorgée, et Norbert Ballerich n'eût point
été tué, et son autre fils Charles ne vien-
drait pas ce matin même s'asseoir sur le
même banc de là cour d'assises, à cette
même place où était assis hier l'assassin
de sa mère.
Quand aurons-nous enfin la loi salu-
taire qui nous a été promise? Est-ce que
la Chambre va terminer ses travaux et
retourner devant les électeurs avant de
nous l'avoir donnée? Est-ce que l'an
prochain tout sera de nouveau à recom-
mencer? Et combien faudra-t-il encore
qu'il y ait de « cornets coupés » avant
que l'on se décide à purger la grande
ville de ses rôdeurs, de ses souteneurs,
de ses bandits, à l'affùt de tout vol à
commettre et de toute vie à prendre.
Comme le dit justement notre con-
frère M. Charles Laurent, dans le Pa-
ris, à qui le tour?
CHARLES BIGOT.
NOUVELLES DE CHINE
LES TROUPES AU TONKIN
Le ministre de la guerre n'a reçu du gé-
néral Brière de l'Isle aucune nouvelle dé-
pêche depuis dimanche 9 mars.
Toute la colonne du général Brière de
l'Isle est concentrée à Tuyen-Quan; elle va
attendre les renforts qui arrivent de France.
Les troupes travaillent activement à remet-
tre en état les fortifications de la place. Des
colonnes mobiles se sont avancées, en re-
montant la rivière, et ont constaté que les
Pavillons-Noirs avaient repassé sur la rive
droite.
LES RENFORTS
Le Cachar et le Cachemire, qui ont quitté
Singapore le lle mars, sous l'escorte du cui-
rassé le Magon, doivent être arrivés à Ilaï-
phong : la dépêche officielle n'est pas en-
core parvenue à Paris. La Burgundia, qui
porte également de la cavalerie, suit de très
près ces deux bâtiments.
UN STEAMER EN DÉTRESSE
Le Temps publie la dépêche suivante de
sen correspondant de Marseille;
Marseille, 11 mars, 10 h. 15 matin.
A la suite d'une adjudication, la Compagnie
des Chargeurs-Réunis va mettre à la dispo-
sition de l'Etat un de ses steamers afin de
remplacer lenantes, actuellement à Obock,
qui est dans l'impossibilité de continuer sa
toute.
LE TÉLÉGRAPHE A LANGSON
Le général Brière de l'Isle télégraphie au
ministre de la guerre qu'un bureau de poste
et télégraphe est ouvert à Langson, et que
la taxe est la même que pour le reste du
Tonkin, c'est-à-dire 9 fr. 75 le mot.
LES POUVOIRS DU GéNÉRAL BRIÈRE DE L'ISLE
L'Avenir du Tonkin du 15 janvier, que
nous venons de recevoir, publie en tête de
ses colonnes l'important document que
voici :
NOTE CIRCULAIRE URGENTE
Le général de division commandant la
corps expéditionnaire communiqua aux au-
torités civiies et militaires du Tonkin le
texte d'un télégramme qui lui est adressé
par M. le ministre de la -marine et des co-
lonies, à la date du 31 décembre 1884 :
(1 Le gouvernement vous donne une auto-
rité absolue sur tout le Tonkin, qui, pen-
dant toute la durée de vos opérations, doit
être considéré comme en état de siège.
L'autorité civile reprendra la plénitude de
son action quand les circonstances le per-
mettront.
» Des instructions dans le même sens sont
envoyées au ministre résident à Hué.
» De nouveaux et importants renforts vous
seront expédiés dans quelques jours.
» Au quartier général, à Hanoï, le 7 jan-
vier 1885.
» BRIÈRE DE L'ISLE. »
Dans le numéro du 25 janvier du même
journai, nous relevons une décision du gé-
néral Brière de l'Isle, datée du 20, portant
diverses nominations ou mutations dans le
personnel civil, lequel dépendait aupara-
vant du résident général à Hué.
A FORMOSE
Pas de dépêche importante de l'amiral
Courbet ; nos croiseurs bloquent étroitement
les côtes de Formose et les ports du Nord ;
ils ont pour instruction de considérer le riz
comme contrebande de guerre.
LA LISTE DES BLESSÉS
Le ministre de la guerre a reçu la liste
des officiers tués et blessés dans le combat
de Tuyen-Quan. Elle ne sera publiée que
dans deux ou trois jours.
L'infanterie de marine est tout particuliè-
rement éprouvée. Cinq officiers sont tués,
dont deux capitaines, deux lieutenants et
un sous-lieutenant.
Six autres sont grièvement blessés, dont
deux capitaines et quatre lieutenants.
Enfin cinq sont blessés légèrement, dont
un capitaine, trois lieutenants et un sous-
lieutenant.
C'est donc pour l'infanterie de marine un
total de 16 officiers tués ou blessés, de 24
hommes tués, de 38 blessés grièvement, de
150 blessés légèrement.
Le capitaine d'infanterie de marine M.
Chanu, frère du colonel Chanu, chef du bu-
reau des troupes au ministère de la marine,
est du nombre des blessés grièvement dans
l'affaire de Tuyen-Quan.
LES TROUPES DE COCHINCHINE
Les troupes envoyées au Tonkin par le
gouverneur de la Cochinchine s'élevaient au
chiffre de 1,200 hommes; il ne restait dans
notre colonie que trois compagnies d'infan-
terie de marine; les renforts arrivés de
France ont permis au général Brière de
l'Isle dé renvoyer en Cochinchine 700 hom-
mes d'infanterie de marine.
L'agence Havas nous communique la dé-
pêche suivante, dont le ministère de la ma-
rine n'a pas encore reçu confirmation :
Hong-Kong, 11 mars, 4 h. 20 soir.
Les positions chinoises autour de Kelung
ont été enlevées après une série de combats
qui ont duré cinq'jours.
Les pertes françaises s'élèvent à 40 morts
et 200 blessés.. ,
—————————————— n.
LES ÉTRANGERS
M. Maxime Lecomte, député du Nord,
vient de déposer sur le bureau de la
Chambre un projet de loi, ou, pour
parler de façon plus exacte, un amen-
dement à la loi de recrutement, dont le
but serait d'astreindre au service mili-
taire les étrangers nés sur le sol fran-
çais d'un père né lui-même en France
ou ayant séjourné en France trois ans
au moins avant la naissance de son
fils.
On peut dire que cet amendement
vient à son heure, et qu'il répond à
une des préoccupations les plus légiti-
mes de l'opinion publique.
Tout le monde sait qu'un certain
nombre de nos départements sont, à la
lettre, empoisonnés d'étrangers. Les
Belges et les Allemands envahissent,
grâce à une infiltration lente et conti-
nue, les départements du Nord et de
l'Est; ceux du Midi s'emplissent peu
à peu à l'ouest d'Espagnols, et a lest
d'italiens; l'Algérie est comme un exu-
toire où se déverse le trop-plein de la
nationalité maltaise. Quant à Paris, c'est
là qu'alfluent et se mèlent toutes les na-
tionalités. Nous avons des colonies
d'Italiens, des colonies d'Allemands,
des colonies de Belges; sans parler de
ce monde international du high lire, qui
forme des sociétés bien distinctes d'An-
glais ou d'Américains.
Mais ne parlons pas de ces dernières,
à qui nous ne saurions en vouloir ; car
elles viennent dépenser leur argent chez
nous, et l'un des plus clairs revenus de
la grande ville se tire de la présence de
ces étrangers millionnaires.
Ce qui cause en ce moment de nom-
breuses et légitimes préoccupations,
c'est l'immigration constante de ces
millions d'étrangers qui viennent les
uns après les autres, l'un amenant l'au-
tre, comme dans les exodes de fourmi-
lière, s'établir sur notre territoire, y
chercher du travail, faire concurrence
à nos ouvriers et abaisser le prix de
la main-d'œuvre.
Vous n'ignorez pas que sur certains
points le mal est devenu très aigu ; que
nos ouvriers, exaspérés de la préférence
accordée aux étrangers, se sont répan-
dus en récriminations amères; que des
doléances aux coups de couteau il n'y
a pas très loin, et que cette limite a été
franchie plus d'une fois.
A cette situation je ne vois pas, pour
ma part, de remède efficace. La vérité est
que les ouvriers belges ou italiens, plus
durs à la fatigue en même temps que
plus économes, consentent à faire des
besognes qui répugnent à nos ouvriers;
que, s'ils sont moins intelligents et
moins adroits, ils compensent largement
cete infériorité par une plus grande
assiduité au t avail, par une docilité
qui ne se dément jamais. Je ne vois pas
en vertu de quelle loi on pourrait inter-
dire aux patrons d'user de ces bras qui
viennent s'offrir à eux. Celte concur-
rence peut être gênante et désagréable
pour nos ouvriers. Mais il n'y a pas
moyen de l'empêcher.
Il laut ajouter que dans cette affaire,
comme dans beaucoup d'autres, le pré-
judice causé à quelques-uns se trouve,
dans une large mesure, compensé par
le profit que tous en retirent. Les ou-
vrages qu'exécutent ces étrangers ne
seraient pas faits, si l'on n'avait à sa
disposition que des ouvriers français,
qui se dégoûtent vite des besognes trop
rebutantes. Nos ouvriers, quand ils veu-
lent chasser les étrangers d'un travail
qu'ils se refusent à faire eux-mêmes,
me rappellent le chien légendaire du
jardinier.
Joignez à ces raisons, qui ont déjà
leur poids, que si la France prenait
des mesures contre les étrangers, les
étrangers, par représailles, ne man-
queraient pas d'en prendre contre nas
nationaux. Nous aussi, nous émigrons
volontiers, et nous allons gagner de
l'argent, comme nous pouvons, en Alle-
magne, en Italie ou en Angleterre. Je
n'en veux pour preuve que cette So-
ciété des professeurs français de Lon-
dres, dont je vous entretiens quelque-
fois. Croyez-vous que, si nous soumet-
tions à des taxes particulières un ouvrier
anglais travaillant en France, le gou-
vernement anglais ne frapperait pas à
l'instant d'une capitation spéciale nos
professeurs, nos cuisiniers, nos mo-
distes? Coup pour coup, c'est la loi.
A ssi les plaintes des travailleurs
français, quand elles se formulent con-
tre la concurrence des ouvriers étran-
gers, ne sauraient-elles être accueillies
sans une exirême réserve.
Est-ce une raison pour ne rien faire?
La plupart de ces étrangers, qui vien-
nent ainsi chez nous, attirés par la
beauté du climat, la facilité des rela-
tions, la douceur des mœurs et l'abon-
dance du travail, s'y établissent à de-
meure et y fondent une famille. Ils y
ont des enfants, et des enfants qui,
naturellement, suivent le statut de leur
père.
Que dit notre loi française ?
L'étranger né en France d'un père
qui lui-même y est né sera réputé
Français. Mais il lui est loisible de re-
fuser le bénéfice de l'assimilation, et il
peut se réclamer de sa qualité d'étran-
ger, s'il le préfère.
C'est ce qu'il fait, vous le pensez
bien, la veille du tirage au sort, pour
- échapper - aux - obligations - du - service -
militaire.
Qu'arrive-t-il ?
C'est que voilà des gens qui jouis-
sent de tous les avantages que la France
procure à ses enfants, et qui échappent
à la plus lourde des charges qu'elle
leur impose. Il y a plus : supposez que
la guerre éclate entre les deux pays.
Tous ces jeunes gens que nous aurons
recueillis, élevés, nourris, que nous au-
rons choyés imprudemment comme de
vrais Français, seront rappelés tout aus-
sitôt par leur patrie véritable, et porte-
ront gaillardement les firmes contre
nous. C'est chez nous qu'ils auront
appris à être des hommes et à manier
les armes ; c'est sur nous qu'ils tire-
ront des coups de fusil.
Cette abomination est-elle admissi-
ble?
Il paraît que, dans certains départe-
ments limitrophes, c'est par milliers
que l'on compte les familles où, de père
en fils, depuis plusieurs générations,
les enfants vivent à la française et de-
meurent Belges, Italiens ou Allemands,
enchantés d'échapper au service mili-
taire.
Cela ne peut pas durer !
Nos lois sur la naturalisation partent
de cette idée, qui est fort noble assuré-
ment, que le titre cfe Français est un
des biens les plus enviables et les plus
précieux qu'il y ait au monde, qu'il ne
faut pas le donner à la légère, mais
qu'il faut au contraire en rendre l'accès
difficile.
— Vous voulez, dit la loi, appartenir
à la grande nation ? Méritez d'abord
cette faveur ; elle ne s'accorde qu'après
un long noviciat et après de nombreu-
ses démarches.
Tout cela est admirable en théorie.
Mais voilà des farceurs qui non seule-
ment ne se soucient pas d'appartenir à
la grande nation, mais qui fuient même
cet honneur comme la peste.
C'est que l'honneur en question ne va
pas sans charges, et ces charges, ils en
ont peur. En attendant, ils jouissent de
tous les avantages que confère le privi-
lège de la nationalité française.
Vous êtes Français de domicile, d'ha-
bitudes, de goûts, de travail; soyez-le
jusqu'au bout. Vous avez adopté la Fran-
ce ; elle - vous le rend, mes amis; elle
vous adopte a son tour; faites vos cinq
ans de service. Et si vous ne voulez pas
vous enrôler sous le drapeau tricolore,
retournez dans votre pays, qui vo JS ré-
clame. On ne saurait servir à la fois
Et le Dieu d Israël et le dieu de Baalf
Je ne sais si l'amendement proposé
par M. Maxime Lecomte résoudra tou-
tes les difficultés. Mais il est certain
qu'il y a quelque chose à faire.
FRANCISQUE SARCEY.
———————- -———————
Nouvelles parlementaires
CHAMBRE DES DÉPUTÉS
La commission du budget a entendu hier
le ministre de la guerre, au sujpt dcs cré-
dits relatifs aux aumôniers militaires, cré-
dits qui ont été rétablis Dar le Sénat.
- - 1
• •
L'article additionnel au budget et qui a
trait à l'impôt sur le papier a donné lieu à
des plaintes très vives dans les pays de pro
duction.
Les marchrnds de papier de Paris, Lyon
Marseille, Toulouse et Grenoble ont nommé
des délégués qui ont eu une entrevue hier
au Palais-Bourbon avec les députés de leurs
régions.
Ils désirent obtenir du gouvernement cer-
tains tempéraments dans l'application de la
circulaire interprétatlv» de la loi.
11 est question d'une interpellation que
M. Ballue sera chargé de défendre.
*
L'Union démocratique se réunira vendredi
pour discuter la question du scrutin de
liste. Le groupe se montre très hostile à
cette réforme.
Le président, M. Jules Develle, compte
soumettre à ses collègues une statistique
d'où il résulte que le rétablissement du
scrutin de liste ferait perdre vingt déparie-
ments entiers au parti républicain.
L'Union républicaine est également con-
voquée pour vendredi.
» a
La commission qui s'occupe des ports
maritimes et des voies navigables a en-
tendu hier les délégués de la municipalité
havraise, qui étaient accompagnés des dé-
légués de la chambre de commerce du Ha-
vre et du préfet de la Seine-Inférieure.
«
» *
Le rapport de M. le baron Reille sur tar.
mée coloniale sera distribué aujourd'hui à
la Chambre.
On pense que la discussion du projet de
loi pourra venir après le scrutin de liste.
• »
La commission de l'armée n'a pas tenu
séance hier; elle devait discuter sur la taxe
militaire.
1
Feuilleton du XIX• SIÈCLE
Du 13 Mars 1885
*
(27)
t
UNE FOLIE
XVII
fe- suite —:
Elle repassait dans son esprit tout ce
qui était venu se mettre entre le bonheur
et elle. Alors elle se jugeait elle-même
très sévèrement, elle se trouvait coupa-
ble, se souvenait du soir où elle avait re-
poussé son mari, où elle lui avait crié
qu'elle ne l'aimait plus : elle ne com-
prenait plus sa violence. Sans tous les
événements qui, depuis, s'étaient précipi-
tés, elle aurait certes répondu à l'appel
muet qu'elle avait cru lire plus d'une
fois dans les yeux tristes de son mari.
Mais la mort subite, mystérieuse, de son
père l'avait encore éloignée de lui. Com-
ment avait-elle pu songer un instant à
le rendre en quelque sorte responsable
de cette mort? Enfin, bien des souve-
nirs à demi effacés lui revinrent, des
mots de son père à l'égard des hommes
trahis par la fortune et qui se survi-
vent. Elle n'osait aller plus avant dans
ces souvenirs, car ils étaient mêlés à
d'autres presque plus pénibles encore,—
des regards de mépris lancés au mar-
quis par des joueurs malheurenx, des
allusions voilées au succès qui, depuis
quelques mois, paraissait lui être par
trop fidèle.
Fleurette détournait vite ses pensées,
avec un petit frisson involontaire.
Maurice lui écrivait, et elle répondait
< assez exactement. D'abord les lettres, de
part et d'autre, étaient courtes, insigni-
fiantes. Puis Maurice quijusque-là, avait
a.- ";,.::-#, - 11
Beproduçtjon interdite»
si peu causé avec sa femme, l'avait mise
si mal au courant de ses affaires, se
laissa aller à des confidences, parla
d'une crise probable qui pourrait bien
mettre à bas le ministère ; il ne semblait
pas avoir, à l'idée de quitter les affaires,
le chagrin qu'un an auparavant il en eût
certainement ressenti. La lassitude était
venue. Il s'était élancé dans la vie, per-
suadé que sa destinée était de changer
le train des choses, de ramener son pays
à l'état idéal où la justice primerait tout,
où les misérables coalitions d'intérêts
et de mesquines ambitions tomberaient
sous le souffle puissant du patriotisme.
Il avait été à même de voir que des hom-
mes, plus grands que lui, mieux doués et
aussi honnêtes, s'étaient épuisés sans
succès. Dans ce monde, mêlé de bien et
de mal, il faut se contenter de faire son
devoir, et ne pas se leurrer du fol espoir
de le changer en une heureuse Arcadie.
Maurice avait, non-êM,lls peine, appris cette
leçon; il s'était entm persuadé qu'il n'y a
pas d'hommes providentiels. Mais en re-
vanche il y a des hommes utiles, dé-
voués, travailleurs, qui sont l'honneur,
comme la force d'un pays: ce qui est déjà
auelaue chose.
Ces causeries devenaient chaque se-
mairie plus longues, plus intimes. Tout
naturellement Maurice en vint à parler
de leurs affaires personnelles ; la gêne
n'était plus à craindre, la petite fortune
avait prospéré, et il se sentait destiné à
réussir plus tard comme avocat ; pendant
son séjour aux affaires, il s'était fait la
réputation d'un homme sérieux. Enfin
un jour il dit à sa femme, dans une petite
phrase très courte, qu'il s'était entendu
avec l'homme d'affaires de Naples, et que
la villa leur resterait. C'était peut être
une folie, mais, dans la vie, la folie n'est-
elle pas parfois la sagesse même ?.
Ce jour-là Fleurette pleura de loie.
Dans cette correspondance, d'abord froide
et gênée, ils avaient appris à se mieux
connaître, à s'apprécier. Ils ne se disaient
pas encore: « Je t'aime », mais ch se li-
sait entre toutes les lignes. Maurice sem-
blait avoir oublié leur brouille, ne par-
lait DIUS de séparation possible, promet-
-.--- .- - -
tait toujours de partir pour Naples dès
que la crise ministérielle aurait pris fin.
Puis ce bonheur, dont Fleurette n'avait
pas été sûre, eUe ne pouvait plus, depuis
longtemps déjà, en douter. Avec sa ma-
ternité viendrait l'oubli de tout froisse-
ment, de tout chagrin. Elle n'en avait
toujours rien dit à son mari; elle n'en
dirait rien encore; mais elle irait brave-
ment le trouver au lieu de l'attendre. A
la villa, elle avait retrouvé la santé de
l'esprit aussi bien que du corps. Le cha-
grin violent de la mort de son père s'était
changé en un attendrissement mêlé de
pitié; sa jalousie de Berthe lui semblait
une chose monstrueuse, dont elle rou-
gissait. S'il aimait une autre femme,
est-ce que Maurice, dans ses lettres, lais-
serait deviner sa tendresse, son amour
qui se réveillait enfin? Ce n'était pas pos-
sible! Il n'y avait entre eux qu'un malen-
tendu facile à dissiper. Elle rentrerait
tout simplement chez elle, elle repren-
drait sa place qu'elle n'aurait peut-être ja-
mais dû quitter; ils se regarderaient bien
eb face, et liraient dans les yeux l'un de
l'autre un aveu qu'ils n'auraient même
pas besoin de murmurer. Et tout alors
serait bien.
Fleurette, une fois sa résolution prise,
courut à la vieille maison délabrée, qui
lui parut belle comme un palais de
prince : elle lui appartenait à tout jamais.
Lisa fut à demi étouffée de ses caresses.
— Tu ne verras plus d'Anglaises aux
voiles verts fouler nos allées, arracher nos
fleurs. Tu resteras ici toujours, et chaque
année tu nous recevras, non plus moi
toute seule, mais nous deux. nous trois,
entends-tu ? Tu apprendras à notre en-
fant à parler notre chère langue que
Maurice ne détestera plus. Embrasse-moi,
Lisa, dis-moi adieu, et quand nous re-
viendrons tu embrasseras mon fils. - Ce
sera un garçon, tu me l'as prédit, - et tu
es un peu sorcière, à ce que je crois!
Il n'y avait pas à la retenir. Lisa qui
l'avait vue si pâle, si triste à son arrivée,
qui s'était inquiétée de son air de femme
délaissée, fut presque heureuse de la voir
partir. Elle se contenta de lui faire mille
recommandations pour elle-même, pour
le «bambino» surtout; et de ses mains
tremblantes elle fit la malle que Beppo
porta le jour même à la gare.
Fleurette sentit à peine la fatigue du
voyage. Elle entrevoyait déjà l'arrivée.
Mais par une coquetterie de femme ai-
mante elle voulait se faire belle, ne pas
débarquer au ministère avec la poussière
il
de la route sur ses vêtements noirs. Elle
irait à l'hôtel, s'habillerait, et alors, sans
bruit, — car elle avait toujours sa clef, —
elle entrerait, elle serait chez elle; ce
mot lui causait une telle joie qu'elle le
répétait sans cesse. Il serait un peu tard,
mais elle savait que Maurice aimait à
travailler le soir, quand il était bien sûr
de ne pas être dérangé; qu'il serait dans
son cabinet de travail, où fa lampe sur le
bureau jetterait une lumière douce.
Tout cela, elle en jouissait d'avance ;
elle était délicieusement émue en son-
geant à cette rentrée au bercail, à cette
réconciliation suprême. Elle se jurait de
ne plus jamais se faire de chagrins ima-
ginaires, de parler à cœur ouvert dès
qu'elle aurait quelque chose à dire à son
mari. Jamais elle ne l'avait tant aimé, et
la route lui semblait terriblement longue;
le rapide marchait avec une lenteur qui
la désespérait.
XVIII
Maurice, comme dans la visioa amou-
reuse de Fleurette, était assis à son bu-
reau ; une seule lampe éclairait le cabi-
net de travail, assez vaste, et laissait tous
les coins dans l'obscurité.
Maurice était très absorbé, et cependant
il ne songeait nullement aux affaires du
ministère. - La - dernière - lettre de sa femme
était ouverte devant lui. Il ne doutait
plus de son amour, quoique pas un mot
de cette lettre ne lui en parlât; il lui sem-
blait la connaître comm il ne l'avait ja-
mais connue ; l'estimer surtout comme
il ne l'avait jamais estimée. Dans ses let-
tres, si réservées qu'elles fussent. la jeune
femme se montrait ce qu'elle était deve-
nue : mûrie par la vie, capable de rai-
sonnement et de prévoyance, comprenant
à demi-mot, écrivant avec une grande
simplicité, avec un charme tout particu-
lier. Ce détail avait frappé Maurice : cette
étrangère écrivait le français avec une
grande pureté ; elle avait appris la lan-
gue comme beaucoup d'autres choses, a
l'insu de son mari qui n'avait, voulu voir
ni ses efforts ni ses progrès.
Et, dans le silence et le, recueillement
de son cabinet, le mari se demandait
comment cela avait été possible ; par quel
aveuglement, quelle aberration d'esprit
il avait méconnu sa femme, qu'il n'avait
jamais au fond eessé d'aimer, pour tom-
ber aux .mains de cette autre femme
qu'il n'avait pas aimée une heure, et qui
maintenant se dressait menaçante entre
lui et le bonheur qu'il rêvait de recon-
quérir ! Il fuyait Berthe, et depuis son
retour à Paris il ne l'avait guère vue
que par hasard ; mais il ne pouvait se
fllatter d'être libre encore. Malgré la sur-
veillance jalouse de son mari, elle arri-
vait à lui écrire, lui jurait qu'il la pous-
serait à quelque éclat terrible s'il ne
trouvait un prétexte de rendez-vous. La
passion de cette femme, avivée par la
haine de sa rivale, était exaspérée en-
core par les obstacles qu'elle rencon-
trait.
Maurice repoussa avec impatience cette
image qui l'importunait. Il voulait être
tout à sa femme, ne penser qu'à elle,
lui annoncer que dans quelques jours
il espérait aller la trouver. Il rêvait d'ar-
river en barque jusqu'aux rochers, de se
glisser par l'entrée secrète, de la sur-
prendre dans le bois d'orangers, appuyée
contre un arbre. Il était de nouveau
l'amoureux — il l'adorait, il jurait de
s'en faire aimer comme par le passé !
Seulement il lui avouerait tout, aupara-
vant; si elle lui pardonnait, ce serait en
connaissance de cause ; il ne voulait plus
de secrets, plus de malentendus, il vou-
lait lui faire lire dans son cœur, persuadé
qu'elle saurait, au milieu de ses erreurs,
découvrir que l'amour ne s'était ja:nais
éteint en lui. Sa plume courait sur le
papier; la confession devait arriver peu
de jours avant lui-même.
« Maintenant vous savez tout, Lu-
cie, ajoutait-il après avoir très simple-
ment raconté ce qui s'était passé ; vous
me voyez tel que je suis, et cependant
j'ai encore quelque chose à ajouter.
» Lorsque, dans votre colère vous vous
êtes écriée : «Savez-vous pourquoi vous
avez menti à toutes vos promesses, pour-
quoi vous avez méconnu l'amour si pro-
fond, si naïf que je vous avais voué ? Je
vais vous le dire, c'est parce que j'étais
1auvre.» quand j'ai entendu ces mots, je
me suis révolté. Depuis, ils me poursui-
vent ; j'ai fini par me demander si, en
effet, cela avait pu être ; je me suis exa-
miné, interrogé en toute sincérité, — et
j'ai reconnu que vous aviez peut-êtrp dit
vrai. Seulement, ce sentiment n'avait
pas été conscient, je ne l'avais jamais
formulé; il existait pourtant. On ne se
défait pas d'un coup des préjugés de
toute une vie: Autour de moi je n'avais
guère vu faire que des mariages inté-
ressés ; moi-même je m'attendais à faire
comme les autres : j'étais très ambi-
tieux et j'avais de mes destinées une
très haute opinion. Si je vous dis
tout cela, Lucie, c'est que je ne suis plus
le même. Je vous aimais bien lorsque j'ai
gagné votre cœur, lorsque j'ai lu votre
secret dans vos beaux yeux, lorsque,
femme enfin, je vous entendis murmu-
rer : «Je t'aime !» Ma passion était sincère,
et j'aimais ma - folie — car déjà je l'aope-
lais ainsi - et ] étais fier de lui tout sa-
crifier : mais j'avais conscience du sacri-
fice. Maintenant, ce n'est plus ainsi que
je vous aime, que je t'aime, ma femme
adorée. Durant notre triste séparation,
j'ai beaucoup réfléchi, j'ai cherché à me
connaître moi-même, j'ai examiné cette
passion qui se réveillait au fond de mon
cœur. Voici ce que j'ai trouvé'à côté de
ctte passion : - un immense respect
pour celle que j'aime et un désir profond
de réparer le mal que je lui ai fait. C'est
à deux genoux que je voudrais te dire :
Je t'aime, ma chère femme, oublie le
passé, aie foi en l'avenir; laisse-moi t'em*
porter dans mes bras d'où personne ne
t'arrachera jamais ! Avec ton amour, je
serai fort; les épreuves supportées avec
ton aide seront bénies. Tout C3 que je
désirais, je ne le désire plus ; ma seule
ambition, c'est d'entendre deux mots de
pardon de ta bouche adorée ; l'avenir
sera joyeux si tu m'aimes, odieux si lu
ne m'aimes plus. Tout ce qui n'est p'as toi
me fait horreur, — et, lorsque je pense
que j'ai pu croire un instant à ce simu-
lacre de passion que je déteste, je rougis
de honte et de remords. Advienne que
pourra, je suis ton mari, Fleurette, et je
ne veux être que cela : mais cela je le
veux être, ma femme chérie, je le veux
avec une passion qui fait que je ne vois
plus clair. mes yeux sont troubles, je
crois que je pleure. »
JEAN~S MAIRET.
(A suivre). JEAMB MAIRET*
Prix du numéro à Paris 15 centimes - Départements: 20 centimes
Vendredi 13 Mars 1885
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Hongrois. 81 112, 518, 17i32.
Actions Rio 282 87,283."
Lots Turcs. 48 li4, 48.
PARIS, 12 MARS 1885
Voilà Gamahut condamné à mort, et
j'avoue qu'il faut être un adversaire
bien déterminé de la peine de mort
pour ne pas s'associer au verdict du
jury ; voilà ses complices, Midy et
Bavon, condamnés aux travaux forcés
à perpétuité; Soulier, à dix ans de
travaux forcés et vingt ans de surveil-
lance; Carrey, à six années de réclu-
sion et dix années de surveillance.
La justice humaine a prononcé sur
les auteurs du crime de Grenelle. Mais
ce crime ne doit-il pas inspirer à nos
législateurs quelques réflexions salutai-
res? Ce crime, ce sont de précoces
scélérats qui l'ont commis; sauf un,
tous ont environ vingt ans, et il n'a
été le coup d'essai d'aucun d'eux. Ils
sont des souteneurs et des voleurs; ils
ont fait, dans la débauche et dans le
vol, l'apprentissage de l'assassinat. Le
président de la cour d'assises l'a dit :
en movenne, ils ont déjà subi trois con-
damnations; l'un d'eux en a subi sept.
Tous sont -- des - récidivistes.
Il y a plus de deux années que la loi
sur les récidivistes a été déposée à'la
Chambre et examinée. L'opinion la ré-
clalnait depuis longtemps ; presque
toute la presse l'a soutenue de son ap-
probation, demandant seulement que
l'on fît vite. Il semblait qu'ici tous les
honnêtes gens de tous les partis se dus-
sent mettre aisément d'accord.
L'intérêt social, la sécurité des parti-
culiers, tout se réunissait pour ordon-
ner que l'on chassât de France ceux qui
ne veulent pas y vivre par le travail et
en respectant la toi.
La Chambre ne s'eU pas pressée ; elle
a pris, puis quitté la première délibé-
ration ; puis un long temps d'arrêt s'est
produit. Et cependant chaque session
d'assises compte quelques crimes com-
mis par des récidivistes ; enfin ar-
rive la seconde délibération, enfin elle
s'achève, enfin la loi est votée. Le mi-
nistère la porte au bureau du Luxem-
bourg.
Voici le Sénat saisi à son tour. Il
nomme une commission qui prend son
temps. Le Sénat discute une première
fois, puis, après intervalle, une "se-
eonde. Et. les exploiis des récidivistes
continuaient toujours. Enfin, à son
tour, le Sénat a terminé son œuvre. On
va donc pouvoir enfin débarrasser Paris
des misérables qui l'infestent.
Patience! tout n'est pas fini. Le
Sénat a introduit des modifications dans
la loi. 11 faut qu'elle retourne au Palais-
Bourbon. Elle y est retournée en effet,
et depuis combien de mois déjà? Et de-
puis qu'elle y est retournée nous n'a-
vons plus entendu parler d'elle. Oh!
des questions, des interpellations oiseu-
ses, des déclamations radicales et cléri-
cales, nous en avons eu autant et plus
que nous n'en voulions; mais pour cette
loi, aussi urgente qu'utile, on n'a pas
su trouver le temps. Et quand enfin la
Chambre aura bien voulu mettre la loi
à son ordre du jour et l'examiner, il
faudra sans doute qu'elle retourne une
lois encore au Sénat. En attendant, les
récidivistes continuent leur métier ; ils
volent et ils tuent.
Si nous avions eu la loi sur les récidi-
vistes, comme nous étions en droit de
l'espérer, Mme Ballerich n'eût point été
égorgée, et Norbert Ballerich n'eût point
été tué, et son autre fils Charles ne vien-
drait pas ce matin même s'asseoir sur le
même banc de là cour d'assises, à cette
même place où était assis hier l'assassin
de sa mère.
Quand aurons-nous enfin la loi salu-
taire qui nous a été promise? Est-ce que
la Chambre va terminer ses travaux et
retourner devant les électeurs avant de
nous l'avoir donnée? Est-ce que l'an
prochain tout sera de nouveau à recom-
mencer? Et combien faudra-t-il encore
qu'il y ait de « cornets coupés » avant
que l'on se décide à purger la grande
ville de ses rôdeurs, de ses souteneurs,
de ses bandits, à l'affùt de tout vol à
commettre et de toute vie à prendre.
Comme le dit justement notre con-
frère M. Charles Laurent, dans le Pa-
ris, à qui le tour?
CHARLES BIGOT.
NOUVELLES DE CHINE
LES TROUPES AU TONKIN
Le ministre de la guerre n'a reçu du gé-
néral Brière de l'Isle aucune nouvelle dé-
pêche depuis dimanche 9 mars.
Toute la colonne du général Brière de
l'Isle est concentrée à Tuyen-Quan; elle va
attendre les renforts qui arrivent de France.
Les troupes travaillent activement à remet-
tre en état les fortifications de la place. Des
colonnes mobiles se sont avancées, en re-
montant la rivière, et ont constaté que les
Pavillons-Noirs avaient repassé sur la rive
droite.
LES RENFORTS
Le Cachar et le Cachemire, qui ont quitté
Singapore le lle mars, sous l'escorte du cui-
rassé le Magon, doivent être arrivés à Ilaï-
phong : la dépêche officielle n'est pas en-
core parvenue à Paris. La Burgundia, qui
porte également de la cavalerie, suit de très
près ces deux bâtiments.
UN STEAMER EN DÉTRESSE
Le Temps publie la dépêche suivante de
sen correspondant de Marseille;
Marseille, 11 mars, 10 h. 15 matin.
A la suite d'une adjudication, la Compagnie
des Chargeurs-Réunis va mettre à la dispo-
sition de l'Etat un de ses steamers afin de
remplacer lenantes, actuellement à Obock,
qui est dans l'impossibilité de continuer sa
toute.
LE TÉLÉGRAPHE A LANGSON
Le général Brière de l'Isle télégraphie au
ministre de la guerre qu'un bureau de poste
et télégraphe est ouvert à Langson, et que
la taxe est la même que pour le reste du
Tonkin, c'est-à-dire 9 fr. 75 le mot.
LES POUVOIRS DU GéNÉRAL BRIÈRE DE L'ISLE
L'Avenir du Tonkin du 15 janvier, que
nous venons de recevoir, publie en tête de
ses colonnes l'important document que
voici :
NOTE CIRCULAIRE URGENTE
Le général de division commandant la
corps expéditionnaire communiqua aux au-
torités civiies et militaires du Tonkin le
texte d'un télégramme qui lui est adressé
par M. le ministre de la -marine et des co-
lonies, à la date du 31 décembre 1884 :
(1 Le gouvernement vous donne une auto-
rité absolue sur tout le Tonkin, qui, pen-
dant toute la durée de vos opérations, doit
être considéré comme en état de siège.
L'autorité civile reprendra la plénitude de
son action quand les circonstances le per-
mettront.
» Des instructions dans le même sens sont
envoyées au ministre résident à Hué.
» De nouveaux et importants renforts vous
seront expédiés dans quelques jours.
» Au quartier général, à Hanoï, le 7 jan-
vier 1885.
» BRIÈRE DE L'ISLE. »
Dans le numéro du 25 janvier du même
journai, nous relevons une décision du gé-
néral Brière de l'Isle, datée du 20, portant
diverses nominations ou mutations dans le
personnel civil, lequel dépendait aupara-
vant du résident général à Hué.
A FORMOSE
Pas de dépêche importante de l'amiral
Courbet ; nos croiseurs bloquent étroitement
les côtes de Formose et les ports du Nord ;
ils ont pour instruction de considérer le riz
comme contrebande de guerre.
LA LISTE DES BLESSÉS
Le ministre de la guerre a reçu la liste
des officiers tués et blessés dans le combat
de Tuyen-Quan. Elle ne sera publiée que
dans deux ou trois jours.
L'infanterie de marine est tout particuliè-
rement éprouvée. Cinq officiers sont tués,
dont deux capitaines, deux lieutenants et
un sous-lieutenant.
Six autres sont grièvement blessés, dont
deux capitaines et quatre lieutenants.
Enfin cinq sont blessés légèrement, dont
un capitaine, trois lieutenants et un sous-
lieutenant.
C'est donc pour l'infanterie de marine un
total de 16 officiers tués ou blessés, de 24
hommes tués, de 38 blessés grièvement, de
150 blessés légèrement.
Le capitaine d'infanterie de marine M.
Chanu, frère du colonel Chanu, chef du bu-
reau des troupes au ministère de la marine,
est du nombre des blessés grièvement dans
l'affaire de Tuyen-Quan.
LES TROUPES DE COCHINCHINE
Les troupes envoyées au Tonkin par le
gouverneur de la Cochinchine s'élevaient au
chiffre de 1,200 hommes; il ne restait dans
notre colonie que trois compagnies d'infan-
terie de marine; les renforts arrivés de
France ont permis au général Brière de
l'Isle dé renvoyer en Cochinchine 700 hom-
mes d'infanterie de marine.
L'agence Havas nous communique la dé-
pêche suivante, dont le ministère de la ma-
rine n'a pas encore reçu confirmation :
Hong-Kong, 11 mars, 4 h. 20 soir.
Les positions chinoises autour de Kelung
ont été enlevées après une série de combats
qui ont duré cinq'jours.
Les pertes françaises s'élèvent à 40 morts
et 200 blessés.. ,
—————————————— n.
LES ÉTRANGERS
M. Maxime Lecomte, député du Nord,
vient de déposer sur le bureau de la
Chambre un projet de loi, ou, pour
parler de façon plus exacte, un amen-
dement à la loi de recrutement, dont le
but serait d'astreindre au service mili-
taire les étrangers nés sur le sol fran-
çais d'un père né lui-même en France
ou ayant séjourné en France trois ans
au moins avant la naissance de son
fils.
On peut dire que cet amendement
vient à son heure, et qu'il répond à
une des préoccupations les plus légiti-
mes de l'opinion publique.
Tout le monde sait qu'un certain
nombre de nos départements sont, à la
lettre, empoisonnés d'étrangers. Les
Belges et les Allemands envahissent,
grâce à une infiltration lente et conti-
nue, les départements du Nord et de
l'Est; ceux du Midi s'emplissent peu
à peu à l'ouest d'Espagnols, et a lest
d'italiens; l'Algérie est comme un exu-
toire où se déverse le trop-plein de la
nationalité maltaise. Quant à Paris, c'est
là qu'alfluent et se mèlent toutes les na-
tionalités. Nous avons des colonies
d'Italiens, des colonies d'Allemands,
des colonies de Belges; sans parler de
ce monde international du high lire, qui
forme des sociétés bien distinctes d'An-
glais ou d'Américains.
Mais ne parlons pas de ces dernières,
à qui nous ne saurions en vouloir ; car
elles viennent dépenser leur argent chez
nous, et l'un des plus clairs revenus de
la grande ville se tire de la présence de
ces étrangers millionnaires.
Ce qui cause en ce moment de nom-
breuses et légitimes préoccupations,
c'est l'immigration constante de ces
millions d'étrangers qui viennent les
uns après les autres, l'un amenant l'au-
tre, comme dans les exodes de fourmi-
lière, s'établir sur notre territoire, y
chercher du travail, faire concurrence
à nos ouvriers et abaisser le prix de
la main-d'œuvre.
Vous n'ignorez pas que sur certains
points le mal est devenu très aigu ; que
nos ouvriers, exaspérés de la préférence
accordée aux étrangers, se sont répan-
dus en récriminations amères; que des
doléances aux coups de couteau il n'y
a pas très loin, et que cette limite a été
franchie plus d'une fois.
A cette situation je ne vois pas, pour
ma part, de remède efficace. La vérité est
que les ouvriers belges ou italiens, plus
durs à la fatigue en même temps que
plus économes, consentent à faire des
besognes qui répugnent à nos ouvriers;
que, s'ils sont moins intelligents et
moins adroits, ils compensent largement
cete infériorité par une plus grande
assiduité au t avail, par une docilité
qui ne se dément jamais. Je ne vois pas
en vertu de quelle loi on pourrait inter-
dire aux patrons d'user de ces bras qui
viennent s'offrir à eux. Celte concur-
rence peut être gênante et désagréable
pour nos ouvriers. Mais il n'y a pas
moyen de l'empêcher.
Il laut ajouter que dans cette affaire,
comme dans beaucoup d'autres, le pré-
judice causé à quelques-uns se trouve,
dans une large mesure, compensé par
le profit que tous en retirent. Les ou-
vrages qu'exécutent ces étrangers ne
seraient pas faits, si l'on n'avait à sa
disposition que des ouvriers français,
qui se dégoûtent vite des besognes trop
rebutantes. Nos ouvriers, quand ils veu-
lent chasser les étrangers d'un travail
qu'ils se refusent à faire eux-mêmes,
me rappellent le chien légendaire du
jardinier.
Joignez à ces raisons, qui ont déjà
leur poids, que si la France prenait
des mesures contre les étrangers, les
étrangers, par représailles, ne man-
queraient pas d'en prendre contre nas
nationaux. Nous aussi, nous émigrons
volontiers, et nous allons gagner de
l'argent, comme nous pouvons, en Alle-
magne, en Italie ou en Angleterre. Je
n'en veux pour preuve que cette So-
ciété des professeurs français de Lon-
dres, dont je vous entretiens quelque-
fois. Croyez-vous que, si nous soumet-
tions à des taxes particulières un ouvrier
anglais travaillant en France, le gou-
vernement anglais ne frapperait pas à
l'instant d'une capitation spéciale nos
professeurs, nos cuisiniers, nos mo-
distes? Coup pour coup, c'est la loi.
A ssi les plaintes des travailleurs
français, quand elles se formulent con-
tre la concurrence des ouvriers étran-
gers, ne sauraient-elles être accueillies
sans une exirême réserve.
Est-ce une raison pour ne rien faire?
La plupart de ces étrangers, qui vien-
nent ainsi chez nous, attirés par la
beauté du climat, la facilité des rela-
tions, la douceur des mœurs et l'abon-
dance du travail, s'y établissent à de-
meure et y fondent une famille. Ils y
ont des enfants, et des enfants qui,
naturellement, suivent le statut de leur
père.
Que dit notre loi française ?
L'étranger né en France d'un père
qui lui-même y est né sera réputé
Français. Mais il lui est loisible de re-
fuser le bénéfice de l'assimilation, et il
peut se réclamer de sa qualité d'étran-
ger, s'il le préfère.
C'est ce qu'il fait, vous le pensez
bien, la veille du tirage au sort, pour
- échapper - aux - obligations - du - service -
militaire.
Qu'arrive-t-il ?
C'est que voilà des gens qui jouis-
sent de tous les avantages que la France
procure à ses enfants, et qui échappent
à la plus lourde des charges qu'elle
leur impose. Il y a plus : supposez que
la guerre éclate entre les deux pays.
Tous ces jeunes gens que nous aurons
recueillis, élevés, nourris, que nous au-
rons choyés imprudemment comme de
vrais Français, seront rappelés tout aus-
sitôt par leur patrie véritable, et porte-
ront gaillardement les firmes contre
nous. C'est chez nous qu'ils auront
appris à être des hommes et à manier
les armes ; c'est sur nous qu'ils tire-
ront des coups de fusil.
Cette abomination est-elle admissi-
ble?
Il paraît que, dans certains départe-
ments limitrophes, c'est par milliers
que l'on compte les familles où, de père
en fils, depuis plusieurs générations,
les enfants vivent à la française et de-
meurent Belges, Italiens ou Allemands,
enchantés d'échapper au service mili-
taire.
Cela ne peut pas durer !
Nos lois sur la naturalisation partent
de cette idée, qui est fort noble assuré-
ment, que le titre cfe Français est un
des biens les plus enviables et les plus
précieux qu'il y ait au monde, qu'il ne
faut pas le donner à la légère, mais
qu'il faut au contraire en rendre l'accès
difficile.
— Vous voulez, dit la loi, appartenir
à la grande nation ? Méritez d'abord
cette faveur ; elle ne s'accorde qu'après
un long noviciat et après de nombreu-
ses démarches.
Tout cela est admirable en théorie.
Mais voilà des farceurs qui non seule-
ment ne se soucient pas d'appartenir à
la grande nation, mais qui fuient même
cet honneur comme la peste.
C'est que l'honneur en question ne va
pas sans charges, et ces charges, ils en
ont peur. En attendant, ils jouissent de
tous les avantages que confère le privi-
lège de la nationalité française.
Vous êtes Français de domicile, d'ha-
bitudes, de goûts, de travail; soyez-le
jusqu'au bout. Vous avez adopté la Fran-
ce ; elle - vous le rend, mes amis; elle
vous adopte a son tour; faites vos cinq
ans de service. Et si vous ne voulez pas
vous enrôler sous le drapeau tricolore,
retournez dans votre pays, qui vo JS ré-
clame. On ne saurait servir à la fois
Et le Dieu d Israël et le dieu de Baalf
Je ne sais si l'amendement proposé
par M. Maxime Lecomte résoudra tou-
tes les difficultés. Mais il est certain
qu'il y a quelque chose à faire.
FRANCISQUE SARCEY.
———————- -———————
Nouvelles parlementaires
CHAMBRE DES DÉPUTÉS
La commission du budget a entendu hier
le ministre de la guerre, au sujpt dcs cré-
dits relatifs aux aumôniers militaires, cré-
dits qui ont été rétablis Dar le Sénat.
- - 1
• •
L'article additionnel au budget et qui a
trait à l'impôt sur le papier a donné lieu à
des plaintes très vives dans les pays de pro
duction.
Les marchrnds de papier de Paris, Lyon
Marseille, Toulouse et Grenoble ont nommé
des délégués qui ont eu une entrevue hier
au Palais-Bourbon avec les députés de leurs
régions.
Ils désirent obtenir du gouvernement cer-
tains tempéraments dans l'application de la
circulaire interprétatlv» de la loi.
11 est question d'une interpellation que
M. Ballue sera chargé de défendre.
*
L'Union démocratique se réunira vendredi
pour discuter la question du scrutin de
liste. Le groupe se montre très hostile à
cette réforme.
Le président, M. Jules Develle, compte
soumettre à ses collègues une statistique
d'où il résulte que le rétablissement du
scrutin de liste ferait perdre vingt déparie-
ments entiers au parti républicain.
L'Union républicaine est également con-
voquée pour vendredi.
» a
La commission qui s'occupe des ports
maritimes et des voies navigables a en-
tendu hier les délégués de la municipalité
havraise, qui étaient accompagnés des dé-
légués de la chambre de commerce du Ha-
vre et du préfet de la Seine-Inférieure.
«
» *
Le rapport de M. le baron Reille sur tar.
mée coloniale sera distribué aujourd'hui à
la Chambre.
On pense que la discussion du projet de
loi pourra venir après le scrutin de liste.
• »
La commission de l'armée n'a pas tenu
séance hier; elle devait discuter sur la taxe
militaire.
1
Feuilleton du XIX• SIÈCLE
Du 13 Mars 1885
*
(27)
t
UNE FOLIE
XVII
fe- suite —:
Elle repassait dans son esprit tout ce
qui était venu se mettre entre le bonheur
et elle. Alors elle se jugeait elle-même
très sévèrement, elle se trouvait coupa-
ble, se souvenait du soir où elle avait re-
poussé son mari, où elle lui avait crié
qu'elle ne l'aimait plus : elle ne com-
prenait plus sa violence. Sans tous les
événements qui, depuis, s'étaient précipi-
tés, elle aurait certes répondu à l'appel
muet qu'elle avait cru lire plus d'une
fois dans les yeux tristes de son mari.
Mais la mort subite, mystérieuse, de son
père l'avait encore éloignée de lui. Com-
ment avait-elle pu songer un instant à
le rendre en quelque sorte responsable
de cette mort? Enfin, bien des souve-
nirs à demi effacés lui revinrent, des
mots de son père à l'égard des hommes
trahis par la fortune et qui se survi-
vent. Elle n'osait aller plus avant dans
ces souvenirs, car ils étaient mêlés à
d'autres presque plus pénibles encore,—
des regards de mépris lancés au mar-
quis par des joueurs malheurenx, des
allusions voilées au succès qui, depuis
quelques mois, paraissait lui être par
trop fidèle.
Fleurette détournait vite ses pensées,
avec un petit frisson involontaire.
Maurice lui écrivait, et elle répondait
< assez exactement. D'abord les lettres, de
part et d'autre, étaient courtes, insigni-
fiantes. Puis Maurice quijusque-là, avait
a.- ";,.::-#, - 11
Beproduçtjon interdite»
si peu causé avec sa femme, l'avait mise
si mal au courant de ses affaires, se
laissa aller à des confidences, parla
d'une crise probable qui pourrait bien
mettre à bas le ministère ; il ne semblait
pas avoir, à l'idée de quitter les affaires,
le chagrin qu'un an auparavant il en eût
certainement ressenti. La lassitude était
venue. Il s'était élancé dans la vie, per-
suadé que sa destinée était de changer
le train des choses, de ramener son pays
à l'état idéal où la justice primerait tout,
où les misérables coalitions d'intérêts
et de mesquines ambitions tomberaient
sous le souffle puissant du patriotisme.
Il avait été à même de voir que des hom-
mes, plus grands que lui, mieux doués et
aussi honnêtes, s'étaient épuisés sans
succès. Dans ce monde, mêlé de bien et
de mal, il faut se contenter de faire son
devoir, et ne pas se leurrer du fol espoir
de le changer en une heureuse Arcadie.
Maurice avait, non-êM,lls peine, appris cette
leçon; il s'était entm persuadé qu'il n'y a
pas d'hommes providentiels. Mais en re-
vanche il y a des hommes utiles, dé-
voués, travailleurs, qui sont l'honneur,
comme la force d'un pays: ce qui est déjà
auelaue chose.
Ces causeries devenaient chaque se-
mairie plus longues, plus intimes. Tout
naturellement Maurice en vint à parler
de leurs affaires personnelles ; la gêne
n'était plus à craindre, la petite fortune
avait prospéré, et il se sentait destiné à
réussir plus tard comme avocat ; pendant
son séjour aux affaires, il s'était fait la
réputation d'un homme sérieux. Enfin
un jour il dit à sa femme, dans une petite
phrase très courte, qu'il s'était entendu
avec l'homme d'affaires de Naples, et que
la villa leur resterait. C'était peut être
une folie, mais, dans la vie, la folie n'est-
elle pas parfois la sagesse même ?.
Ce jour-là Fleurette pleura de loie.
Dans cette correspondance, d'abord froide
et gênée, ils avaient appris à se mieux
connaître, à s'apprécier. Ils ne se disaient
pas encore: « Je t'aime », mais ch se li-
sait entre toutes les lignes. Maurice sem-
blait avoir oublié leur brouille, ne par-
lait DIUS de séparation possible, promet-
-.--- .- - -
tait toujours de partir pour Naples dès
que la crise ministérielle aurait pris fin.
Puis ce bonheur, dont Fleurette n'avait
pas été sûre, eUe ne pouvait plus, depuis
longtemps déjà, en douter. Avec sa ma-
ternité viendrait l'oubli de tout froisse-
ment, de tout chagrin. Elle n'en avait
toujours rien dit à son mari; elle n'en
dirait rien encore; mais elle irait brave-
ment le trouver au lieu de l'attendre. A
la villa, elle avait retrouvé la santé de
l'esprit aussi bien que du corps. Le cha-
grin violent de la mort de son père s'était
changé en un attendrissement mêlé de
pitié; sa jalousie de Berthe lui semblait
une chose monstrueuse, dont elle rou-
gissait. S'il aimait une autre femme,
est-ce que Maurice, dans ses lettres, lais-
serait deviner sa tendresse, son amour
qui se réveillait enfin? Ce n'était pas pos-
sible! Il n'y avait entre eux qu'un malen-
tendu facile à dissiper. Elle rentrerait
tout simplement chez elle, elle repren-
drait sa place qu'elle n'aurait peut-être ja-
mais dû quitter; ils se regarderaient bien
eb face, et liraient dans les yeux l'un de
l'autre un aveu qu'ils n'auraient même
pas besoin de murmurer. Et tout alors
serait bien.
Fleurette, une fois sa résolution prise,
courut à la vieille maison délabrée, qui
lui parut belle comme un palais de
prince : elle lui appartenait à tout jamais.
Lisa fut à demi étouffée de ses caresses.
— Tu ne verras plus d'Anglaises aux
voiles verts fouler nos allées, arracher nos
fleurs. Tu resteras ici toujours, et chaque
année tu nous recevras, non plus moi
toute seule, mais nous deux. nous trois,
entends-tu ? Tu apprendras à notre en-
fant à parler notre chère langue que
Maurice ne détestera plus. Embrasse-moi,
Lisa, dis-moi adieu, et quand nous re-
viendrons tu embrasseras mon fils. - Ce
sera un garçon, tu me l'as prédit, - et tu
es un peu sorcière, à ce que je crois!
Il n'y avait pas à la retenir. Lisa qui
l'avait vue si pâle, si triste à son arrivée,
qui s'était inquiétée de son air de femme
délaissée, fut presque heureuse de la voir
partir. Elle se contenta de lui faire mille
recommandations pour elle-même, pour
le «bambino» surtout; et de ses mains
tremblantes elle fit la malle que Beppo
porta le jour même à la gare.
Fleurette sentit à peine la fatigue du
voyage. Elle entrevoyait déjà l'arrivée.
Mais par une coquetterie de femme ai-
mante elle voulait se faire belle, ne pas
débarquer au ministère avec la poussière
il
de la route sur ses vêtements noirs. Elle
irait à l'hôtel, s'habillerait, et alors, sans
bruit, — car elle avait toujours sa clef, —
elle entrerait, elle serait chez elle; ce
mot lui causait une telle joie qu'elle le
répétait sans cesse. Il serait un peu tard,
mais elle savait que Maurice aimait à
travailler le soir, quand il était bien sûr
de ne pas être dérangé; qu'il serait dans
son cabinet de travail, où fa lampe sur le
bureau jetterait une lumière douce.
Tout cela, elle en jouissait d'avance ;
elle était délicieusement émue en son-
geant à cette rentrée au bercail, à cette
réconciliation suprême. Elle se jurait de
ne plus jamais se faire de chagrins ima-
ginaires, de parler à cœur ouvert dès
qu'elle aurait quelque chose à dire à son
mari. Jamais elle ne l'avait tant aimé, et
la route lui semblait terriblement longue;
le rapide marchait avec une lenteur qui
la désespérait.
XVIII
Maurice, comme dans la visioa amou-
reuse de Fleurette, était assis à son bu-
reau ; une seule lampe éclairait le cabi-
net de travail, assez vaste, et laissait tous
les coins dans l'obscurité.
Maurice était très absorbé, et cependant
il ne songeait nullement aux affaires du
ministère. - La - dernière - lettre de sa femme
était ouverte devant lui. Il ne doutait
plus de son amour, quoique pas un mot
de cette lettre ne lui en parlât; il lui sem-
blait la connaître comm il ne l'avait ja-
mais connue ; l'estimer surtout comme
il ne l'avait jamais estimée. Dans ses let-
tres, si réservées qu'elles fussent. la jeune
femme se montrait ce qu'elle était deve-
nue : mûrie par la vie, capable de rai-
sonnement et de prévoyance, comprenant
à demi-mot, écrivant avec une grande
simplicité, avec un charme tout particu-
lier. Ce détail avait frappé Maurice : cette
étrangère écrivait le français avec une
grande pureté ; elle avait appris la lan-
gue comme beaucoup d'autres choses, a
l'insu de son mari qui n'avait, voulu voir
ni ses efforts ni ses progrès.
Et, dans le silence et le, recueillement
de son cabinet, le mari se demandait
comment cela avait été possible ; par quel
aveuglement, quelle aberration d'esprit
il avait méconnu sa femme, qu'il n'avait
jamais au fond eessé d'aimer, pour tom-
ber aux .mains de cette autre femme
qu'il n'avait pas aimée une heure, et qui
maintenant se dressait menaçante entre
lui et le bonheur qu'il rêvait de recon-
quérir ! Il fuyait Berthe, et depuis son
retour à Paris il ne l'avait guère vue
que par hasard ; mais il ne pouvait se
fllatter d'être libre encore. Malgré la sur-
veillance jalouse de son mari, elle arri-
vait à lui écrire, lui jurait qu'il la pous-
serait à quelque éclat terrible s'il ne
trouvait un prétexte de rendez-vous. La
passion de cette femme, avivée par la
haine de sa rivale, était exaspérée en-
core par les obstacles qu'elle rencon-
trait.
Maurice repoussa avec impatience cette
image qui l'importunait. Il voulait être
tout à sa femme, ne penser qu'à elle,
lui annoncer que dans quelques jours
il espérait aller la trouver. Il rêvait d'ar-
river en barque jusqu'aux rochers, de se
glisser par l'entrée secrète, de la sur-
prendre dans le bois d'orangers, appuyée
contre un arbre. Il était de nouveau
l'amoureux — il l'adorait, il jurait de
s'en faire aimer comme par le passé !
Seulement il lui avouerait tout, aupara-
vant; si elle lui pardonnait, ce serait en
connaissance de cause ; il ne voulait plus
de secrets, plus de malentendus, il vou-
lait lui faire lire dans son cœur, persuadé
qu'elle saurait, au milieu de ses erreurs,
découvrir que l'amour ne s'était ja:nais
éteint en lui. Sa plume courait sur le
papier; la confession devait arriver peu
de jours avant lui-même.
« Maintenant vous savez tout, Lu-
cie, ajoutait-il après avoir très simple-
ment raconté ce qui s'était passé ; vous
me voyez tel que je suis, et cependant
j'ai encore quelque chose à ajouter.
» Lorsque, dans votre colère vous vous
êtes écriée : «Savez-vous pourquoi vous
avez menti à toutes vos promesses, pour-
quoi vous avez méconnu l'amour si pro-
fond, si naïf que je vous avais voué ? Je
vais vous le dire, c'est parce que j'étais
1auvre.» quand j'ai entendu ces mots, je
me suis révolté. Depuis, ils me poursui-
vent ; j'ai fini par me demander si, en
effet, cela avait pu être ; je me suis exa-
miné, interrogé en toute sincérité, — et
j'ai reconnu que vous aviez peut-êtrp dit
vrai. Seulement, ce sentiment n'avait
pas été conscient, je ne l'avais jamais
formulé; il existait pourtant. On ne se
défait pas d'un coup des préjugés de
toute une vie: Autour de moi je n'avais
guère vu faire que des mariages inté-
ressés ; moi-même je m'attendais à faire
comme les autres : j'étais très ambi-
tieux et j'avais de mes destinées une
très haute opinion. Si je vous dis
tout cela, Lucie, c'est que je ne suis plus
le même. Je vous aimais bien lorsque j'ai
gagné votre cœur, lorsque j'ai lu votre
secret dans vos beaux yeux, lorsque,
femme enfin, je vous entendis murmu-
rer : «Je t'aime !» Ma passion était sincère,
et j'aimais ma - folie — car déjà je l'aope-
lais ainsi - et ] étais fier de lui tout sa-
crifier : mais j'avais conscience du sacri-
fice. Maintenant, ce n'est plus ainsi que
je vous aime, que je t'aime, ma femme
adorée. Durant notre triste séparation,
j'ai beaucoup réfléchi, j'ai cherché à me
connaître moi-même, j'ai examiné cette
passion qui se réveillait au fond de mon
cœur. Voici ce que j'ai trouvé'à côté de
ctte passion : - un immense respect
pour celle que j'aime et un désir profond
de réparer le mal que je lui ai fait. C'est
à deux genoux que je voudrais te dire :
Je t'aime, ma chère femme, oublie le
passé, aie foi en l'avenir; laisse-moi t'em*
porter dans mes bras d'où personne ne
t'arrachera jamais ! Avec ton amour, je
serai fort; les épreuves supportées avec
ton aide seront bénies. Tout C3 que je
désirais, je ne le désire plus ; ma seule
ambition, c'est d'entendre deux mots de
pardon de ta bouche adorée ; l'avenir
sera joyeux si tu m'aimes, odieux si lu
ne m'aimes plus. Tout ce qui n'est p'as toi
me fait horreur, — et, lorsque je pense
que j'ai pu croire un instant à ce simu-
lacre de passion que je déteste, je rougis
de honte et de remords. Advienne que
pourra, je suis ton mari, Fleurette, et je
ne veux être que cela : mais cela je le
veux être, ma femme chérie, je le veux
avec une passion qui fait que je ne vois
plus clair. mes yeux sont troubles, je
crois que je pleure. »
JEAN~S MAIRET.
(A suivre). JEAMB MAIRET*
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