Titre : Le XIXe siècle : journal quotidien politique et littéraire / directeur-rédacteur en chef : Gustave Chadeuil
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1885-03-12
Contributeur : Chadeuil, Gustave (1821-1896). Directeur de publication
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Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
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Description : 12 mars 1885 12 mars 1885
Description : 1885/03/12 (A15,N4813). 1885/03/12 (A15,N4813).
Droits : Consultable en ligne
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Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-199
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 09/04/2013
Quinzième année. AB—N°4813 Prix du numéro à Paris 15 centimes - Départements: 20 centimes Jeudi 12 Mars 1885
JOUMAL RÉPUBLICAIN CONSERVATEUR I _J.
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S'adresser au Secrétaire de la Rédaction
de 2 heures à minuit
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'Les Manuscrits non insérés ne seront pas rendus
ABONNEMENTS ,
DÉPARTEMENTS - .-
Trois mois « 6 »»
Six mois. 32 »»
Un an. 62 w"
PARIS -
Trois mois. 13 t.
Six mois. 25 i»
Un an. EO »
Supplément pr l'Etranger (Europe) 1 fr. par trimestre
Les aboimemts partent des 1er et 15 de chaQY mois
Régisseurs d'annonces : MM. LAGRANGE. CERF et C*
6, place de la Bourse, 6
1 - ADMINISTRATION
Adresser les Lettres et Mandats à rAdministrateœ
16» rixe Cadet, lti
Les Lettres non affranchies seront refusées
EN VENTE A LONDRES
• A la librairie JPetrtjeaja
^39, OLD COMPTON STREET (SOHOJ
ET DANS SES SUCCURSALES j
37, Charlotte Street, Fitzroy Square,
ft ?, Tichborne Street. (Café Monico. 2&1
MM. les Souscripteurs, dont l'abonne-
ment expire le 15 mars, sont priés
de le renouveler avant le" 13 courant, s'ils
ne veulent éprouver aucun retard dans
l'envoi du ournal..-
Bourse clo Paris
t - -
'PETITE BOURSE DU SOIR
3 OlO 82 36, 32, 33.
4 Ii2 0i0 IIO 22, 17, 18.
Turc 18 50, 55.
Banque ottomane. 615, 613 75, 615.
Extérieure. 61 7[8, 31\32, 15il6.
Egypte 345, 345 31.
Hongrois 82 5116, 1x4'.
Actions Rio 305, 303, 305.
Lots Turcs. 49 25, 49 12 1[2, 50 37.
PARIS, 11 MARS 1885
C'est l'habitude de l'opposition d'a-
-voir toujours quelques reproches à
adresser au gouvernement ; mais, de
tous les reproches, le moins attendu
c'est bien celui qu'a formulé hier le
Français. On eût cru qu'il eût appris
avec joie le nouveau succès remporté
par nos armes au Tonkin ; il n'y trouve
qu'une occasion de critique nouvelle, et
sa critique, la voici : on ne nous a
pas fait - savoir que Tuyen-Quan était
assiégé, que cinq cents des nôtres y
étaient menacés par deux mille Pavil-'
Ions-Noirs.
- « Le gouvernement, écrit-il, connais-
sait le danger que courait l'héroïque
garnison de TuyenrQaan, mais il avait
tenu ses dépêches secrètes alors qu'on
pouvait tous les jours recevoir la nou-
velle d'une épouvantable catastrophe.
Un pareil fait nous donne la mesure de
sa sincérité.» Elle Français ajoute en-
core : « C' tte dissimulation est (j'au-
tant plus odieuse qu'elle ne pouvait
avoir d'autre résultat que de laisser
ignorer en partie leseftorts, les sacri-
fices et l'admirable courage dont nos
troupes ont fait preuve. » -
Vous les aviez ignorés quelque temps,
ces sacrifices et cet admirable courage,
ô Francais! mais vous les connaissez
mainLenant. Que vous faut-il de plus ?
Pour satisfaire le Français, il faudrait
probablement que chaque jour le gou-
vernement le tînt au courant de tous
les détails des opérations de la guerre,
non seulement de celles qui sont ac-
mais encore ,de celles qui se
préparent. Sa curiosité palt d'un bon
naturel ; malheureusement ce n'est pas
ainsi que se fait là guerre depuis qu'on
la fait, c'est-à-dire depuis fort long-
temps, et, sans remonter jusqu'au capi-
taine qui disait qu'il brûlerait sa che-
mise si elle connaissait ses desseins,
les généraux ont toujours attaché quel-
que importance aux secrets des opéra-
tions. t:.
Non, bon Ffançais, on ne vous a pas
tout dit jour .par jour de la guerre du
Tonkin et- on ne vous dira pas tout da-
vantage à lavenir. Il suffit qu'on ne
vous dérobe jamais la connaissance d'un
événement accompli. Le général Brière
de l'Isle savait que Tuycn-Quan était
assiégé ; c'est tout ce qui importait: Il
savait aussi qu'il pouvait compter sur
l'énergie de la petite troupe de la gar-
nison et sur l'intelligence, de son chef.
Il a pris ses dispositions • en consé-
quence. -
Sans doute il a jugé que pour la
bonne conduite et le succès des opéra-
tions il fallait d'abord marcher sur
Langson, se débarrasser des réguliers
chinois qui, par cette route, envahis-
saient le Tonkin; il a rassemblé toutes
ses forces; il a marché sur Langson, il
s'en est emparé après d'héroïques com-
bats. C'est alors q e, laissant le géné-
ral de Négrier po isser de ce côté jus-
qu'à la porte de Chine, il a ramené en
arrière une partie de ses troupes. Où
allait-il? Je conviens qu'il ne l'a pas
fait savoir au monde entier par le télé-
graphe. Mais vous en êtes instruit
maintenant. Après avoir montré les
pantalons rouges aux réguliers chi-
nois, il allait les faire voir aux Pavil-
lons-Noirs. Il avait calculé que la gar-
nison de Tuyen-Quan tiendrait bon
jusqu'au jour où il pourrait venir la dé-
livrer; et son calcul s'est trouvé juste.
Le plan combiné par le chef militaire
s'est heureusement exécuté et dans tou-
tes ses parties.
Que le Français soit sincère et il
avouera que ce qu'il a regretté, ç'a été
de ne pas savoir la lutte que soutenait
la petite garnison de Tuyen-Quan à
temps pour pouvoir l'exploiter contre
le ministère et la République. Ah! s'il
l'eût su, comme il l'eut exploité 1 Quand
le général Brière marchait sur Langson,
il n'eût pas manqué d'écrire : « Mar-
cher sur Langson au lieu d'aller déli-
vrer notre garnison de Tuyen-Quan,
quelle faute ! ou plutôt quel crime ! »
Quand il eût appris nos victoires de
Langson, il n'eût pas manqué de s'é-
crier : « Oui, Langson est pris! mais
qui sait si en ce moment notre garnison
de Tuyen-Qdan, abandonnée, n'a pas été
massacrée déjà?» Et chaque jour on
eût entendu ces questions : « Le gou-
vernement a-t-il des nouvelles de Tuyen-
Quan? ou les C!iche-i-il? Tuyen-Quan
n'est-il pas tombé au pouvoir des Pa-
viHons-Noirs? » Et chaque jour ç'eût été
quelque prédiction sinistre et eflrayante.
Le Français n'a pu jouer en cette oc-
casion le rôle de Jérémie pour lequel il
a tant de propension : c'est de cela
qu'il est inconsolable.
CBARLBS BiGM
NOUVELLES DE CHINE
r - ..-.
RAPPORT DU RÉSIDENT GÉNÉRAL AU TONKIN
Le ministre de la marine a fait insérer au
Journal officiel un nouveau rapport sur le
Tonkin, qu'il vient de recevoir de M. Le-
maire, résident général de France à Hué.
Après un résumé de l'organisation admi-
nistrative et quelques mots sur les produc-
tions des province de-l'Annam, le résident
général donne les renseignements qui sui-
vent sur les routes commerciale vers la
Chine méridionale : <
« Le fleuve Rouge offrira difficilement,
même sous la protection du pavillon fran-
çais, une route commerciale directe vers
l'Asie centrale, les provinces de Yunnan, du
Thibet et du Se-Tchuen. »
» Le fleuve Rouge, en effet, n'est pas na-
vigable en tout temps; à l'époque des inon-
dations, c'est un immense et impétueux tor-
rent. D; ns la saison sèche, l'eau manque
au-dessus de Hong-Hoa.
» La voie qui offrirait immédiatement tous
les éléments nécessaires au commerce in-
ternational et à l'industriè européenne, en
même temps qu'elle donnerait à la France
un puissant moyen d'action, de civilisation
et d'autorité dans toute l'Asie, consisterait
dans la construction d'un chemin de fer qui
aurait un point du littoral de la baie d' Al
long ou de Tien-Yen (province de Quang-
Yen) comme tête de ligne, remonterait la
vallée du Tarn sur une partie de son étendue
pour venir franchir le Thaï-Binh aux « Sept-
Pagodes.» (embouchure dans ce fleuve
du canal Song-Chi ou. des Ranidés), d'où elle.
enverrait vers Lang-Son un embranchement
qui franchirait la frontière de Chine aux
« Portes-de-Fer » pour s'étendre daus le
Quang-Si. A peu de distance des « Se.pt-Pa-
godes », cette voie principale enverrait un
autre embranchement vers HanoL
» Continuait sa direction N.-O., e le re-
monterait d'atwrd la vallée de Thaï-Binti en
desservant TTïaï-Nguyen et s'engagerait en-
suite sur les hauts plateaux de cette pro-
vince et de celle de Cao Bang, ville appelée
probablement à un grand avenir par l'ex-
ploitation des mines d'or des lacs Ba-Bé.
Les cours d'eau qu'elle rencontrera ensuite
jusqtt'à son arrivée à Laokaï ne semblent
pas avoir d'importance.
» De Laokaï, que je suppose n'être pas si
éloigné de Hanoï ainsi que les cartes l'indi-
quent, elle suivrait la vallée du fleuve Rouge-
jusqu'à Mang-IIao, qu'elle devra quitter en
prenant une direction nord à travers le
Yunnan, desservant sur son passage les im-
portantes et très anciennes mines d'étain de
Koui-Kieou, pour arriverjenfin à la capitale,
Yunnan-Sen, qui serait la tête de * ligne
nord.
» De Yunnan-Sen, deux branches seraient
encore possibles, l'une vers le N.-E. jusqu'à
la capitale du Se-Tchuen, l'autre versl'O.
jusqu'à Taly-Fou et au delà vers le N.-O.
dans le Thibet. »
Le rapport donne une série de renseigne-
ments géographiques sur les différents
cours d'eau, îles et rades du Tonkin et se
termine par un aperçu de la situation éco-
nomique :
« L'annonce de l'ouvertu re du port de
Haïphong à l'exportation des riz, à partir du
1er décembre 1884, a produit dans le com-
merce du Tonkia une satisfaction générale
dans tous le pays et un mouvement inac-
coutumé. A Haïphong , l'on craint que le
matériel de transport ne soit pas assez con-
sidérable dans les commencements, mais il
pourra se constituer très vite.
» La sortie des riz fera reuaitre l'activité
dans les villes et donnera aux cultivateurs
qui font en ce moment la récolte au dixième
mois (tin novembre et commencement de
décembre) la tranquillité si désirée.
» La récolte du riz est belle dans tout le
Delta, ainsi que sur les points qui n'ont pas
été troublés.
» La moisson du dixième mois est presque
terminée.
» On s'occupe aussi de la création à Hanoï
d'une banqua d'escompte qui représente-
rait au Tonkin la « Hong-Kong and Shanghaï
» Banking Co. » --
» Plusieurs autres maisons françaises et
chinoises semblent prendre des dispositions
pour profiter sur une vaste échelle de la
période de l'exportation des riz et cherchent
à s'entendre avec les Annamites pour faire
leurs achats.
» Jusqu'à présent, les immigrants euro-
péens ne sont arrivés qu'en nombre assez
restreint ftar chaque courrier ou chaque
transport. 11 est matériellement impossible
de trouver à Haïphong, à leur débarque-
ment, un local pour les loger, même pour
quelques jours seulement.
» De prétendus colons de la première heure
et d'anciens agents es douanes ont depuis
longtemps déjà, avant l'arrivée du corps
expéditionnaire, ce qui était permis sous le
régime annamite, accaparé les terrains non
inondés de la ville sur lesquels ils ne cons-
truisent pas, attendant le moment de les
vendre à des prix exorbitants. Il en est de
même à Hanoï, où de mauvais terrains hu-
mides, sans constructions ni remblais, sont
cotés cinq et dix fois leur valeur réelle.
» Ces terrains augmentent encore de va-
leur par suite du courant d'immigration an-
noncé. :
» Quoi qu'il en soit, l'administration civile
française peut déjà loger à Hanoï soixante-
dix à quatre-vingts immigrants nécessiteux
dans des maisons confisquées sur des re-
beiles par l'autorité annamite locale et mi-
ses par elles à la disposition de l'adminis-
tration française pour en êfereusagère indé-
finiment.
» Le mouvement d'immigration ou d'émi-
gration des Chinois n'est pas sensible. »
Particularité à noter. Il y a à Hanoï une
tendance de la part des indigènes à s'ha-
biller à l'européenne, surtout parmi ceux
qui servent de domestiques ou d'employés
chez les Européens.
LE PARLEMENT
COURRIER DE riA CHAMBRB
Paris, 10 mars 1885.
La Chambre a donc à statuer sur
vingt-deux rétablissements de crédits
effectués par le Sénat dans le budget de
1885. Le total, en espèces, frise quatre
millions.
La doctrine du rejet en bloc étant
écartée, il reste en présence : les propo-
sitions de la commission, qui admet deux
rétablissements (60,000 francs en tout,
ponant sur les cours d'appel et les tri-
bunaux de première instance), et les
chiffres du Sénat, appuyés parle gouver-
nement, mollement eu ce qui conc.erne
certains, avec une extrême énergie en ce
qui concerne les autres. On voit que l'é-
cart esta-sez considérable.
En ajoutant que, parmi ces vingt-deux
rétablissements de crédits, onze sont af-
férents au service des cultes, nous au-
rons nettement dessiné la topographie du
terrain de l'action.
Quant aux évolutions diverses, elles ne
méritent qu'une description d'ensemble.
En effet, toutes les marches et contre-
marches qui ont été exécutées il y a trois
mois sont exécutées derechef, et les mê-
mes arguments-projecliles sont échangés,
quelque peu ternis par le temps.
D'une part, la Droite qui ne laisse pas
échapper une .occasion de placer une ti-
rade ampoulée en faveur de la religion et
égrène à la tribune toutes ses médiocri-
tés oratoires, manœuvrant de façon à
rendre la tâche du ministre des cultes
plus difficile encore, s'il est possible ;
de l'autre, le rapporteur général qui,
d'un ton. sec, s'oppose à toute modifi-
cation dans les chiffres de la commission.
M. Martin-Feuillée, il faut en convenir,
fait son devoir jusqu'au bout. Constam-
ment battu, il n'hésite pas cependant à
gravir, à chaque nouveau chapitre, le
calvaire de la tribune. L'Extrême Gauche
lui administre des coups de trique, et la
Droite lui tend une éponge imbibée de
vinaigre. Plaignons ce martyr minis-
tériel.
Toutefois M. le garde des sceaux a vu
sa constance couronnée de succès.
Tous les rétablissements de crédits
avaient été écartés, sauf les deux que la
commission proposait; les scrutins suc-
cédaient aux scrutins et les rejets aux
rejets, l'affaire tournait mal. lorsqu'au
chapitre « allocations aux chanoines »,
un chapitre important s'il vous plaît, car
il s'agit d'une somme de 1,157,000 francs,
totalement biffée par la Chambre et ins-
crite par le Sénat, la fortune s'est tout à
coup déclarée en faveur de M. Martin-
Feuillée.
un vain M. Jules.Roche tire de leur
étui ses tirades les plus flamboyantes
sur la France moderne et les richesses
entassées par le haut clergé ; en vain M.
de Mun fait vibrer les. plus ronflants ton-
nerres de sa petite excommunication ;
tous deux réunis ne peuvent parvenir à
horripiler suffisamment l'auditoire, et,
après pointage, un crédit de 1,100.000 fr.
est accepté par 226 voix contre 221.
Remarquez qu'il y a là un écart de
57,000 francs avec le chiffre rétabli par le
Sénat. C'est qu'en effet M. Martin-Feuil-
lée ne remporte la victoire qu'en décla-
rant la suppression immédiate des cha-
noines -détestable, antilégale, inhumaine,
mais en se ralliant à la suppression fu-
ture par voie d'extinction.
Le gouvernement espérait très proba-
blement encore un autre succès sur le
chapitre des « bourses des séminaires
catholiques ». Cette foi-s, MM. Jules Ro-
che et de Mun, coalisés contre lui, le se-
cond réclamant 600,000 francs et le pre-
mier zéro, sont arrivés à faire repousser
les pauvres 305,000 francs du Sénat et du
ministère par 260 voix contre 212.
Mais le vote précédent n'en subsiste
pas moins. Et, à notre sens, il modifie
grandement la situation de la Chambre
vis à-vis du Sénat, car il prouve que celle-
là, résistant aux sollicitations extrêmes,
ne demande qu'à entrer en accommode-
ment avec celui ci.
Il reste encore neuf rétablissements de
crédits à examiner; un scrutin à la tri-
bnne a démontré qu'on n'était plus en
nombre pour voter. Hautement, nous
blâmons cette fuite générale ; mais, tout
bas, nous l'excusons. Si vous saviez quel
agacement finissent par procurer aux
moins nerveux ces discoure qu'on pour-
rait réciter en même temps que l'ora-
teur? Enfin, l'an prochain, ça paraîtra
peut-être plus nouveau, à cause du re-
nouvellement de la masse!
PAUL LAFARGUE.
DOIT-ON PRÊTER LES LIVRES 1
La Faculté des lettres de Poitiers
publie, depuis trois années déjà, une
manière de revue qu'elle intitule mo-
destement : Bulletin mensuel, où les
processeurs rendent compte de leurs
travaux, proposent des réformes, émet-
tent des vœux ou des plaintes, suivent
en un mot le train de la vie universi-
taire daHS la région de FOjcst. J ignore
si d'autres Facultés se sont donné, à
l'exemple de la Faculté de Poitiers, un
moniteur spécial. Je ne connais, pour
moi, que celui-là; il est fort bien fait,
toujours intéressant et fécond en vues
personnelles et originales.
Ces messieurs, parlant de ce qu'ils
connaissent bien, de ce qui leur tient
plus spécialement au cœur, et en par-
iant à des lecteurs qui sont, comme
nOJS disons ici, du bâtiment, ne cher-
chent pas à les éblouir par de vagues
et brillantes généralités ; ils répudient
les phrases creuses et les polémiques
vaines; ils traitent en gens pratiques
des questions particulières et sérieuses.
Il y a toujours profit et plaisir à les lire.
Je n'y manque jamais.
Dans le dernier numéro, M. Jules
Flammermont touche un point qui m'a
paru bien délicat, et si je porte le débat
devant le grand public, c'est qu'il me
paraît avoir quelque intérêt, non pas
seulement pour les universitaires, mais
pour tous ceux qui travaillent.
On compare souvent la production
des universités allemandes de province
avec celle des Facultés françaises, et ii
est de mode de dire" que toutes nos Fa-
cultés de province réunies produisent,
année moyenne, moins de travaux scien-
tifiques qu'une seule des universités
d'Allemagne et non - (les plus grandes,
celle de Bonn par exemple. M. Jules
Flammermont convient de bonne grâce
Que le reproche est iuste.
Et, naturellement, il recherche les
causes de cette infériorité.
Il en trouve plusieurs qui tiennent
à l'organisation même de nos Facultés,
et. dont par conséquent je ne dirai rien.
Mais il en est une qu'il regarde comme
la plus grave de toutes.
- En Allemagne, les bibliothèques uni-
versitaires sont très riches par elles-
mêmes; elles ne suffiraient pourtant
point aux exigences des recherches
qu'impose aux travailleurs la science
moderne. Mais, de plus, les grandes
bibliothèques de la capitale ou des uni-
versités extrêmement riches prêtent aux
professeurs d'université, partout où ils
se trouvent, les livres, les manuscrits
ou imprimés dont ils ont besoin. C'est
ce qui explique qu'à Inspruck, à Lam-
berg ou même à Czernowitz, comme à
Marbourg ou à Rostock, on puisse tra-
vailler presque aussi facilement qu'à
Vienne, à Berlin ou à Munich. Car il
n'est pas rare qu'un professeur d'uni-
versité dans une petite ville ait chez
lui, en prêt, trois ou quatre cents vo-
lumes, manuscrits ou imprimés appar-
tenant aux grandes bibliothèques et
aux archives d'Allemagne.
En France, au contraire, ni la biblio-
thèque nationale, ni les bibliothèques
de l'Arsenal, Mazarine ou de Sainte-
Geneviève, ni même celle de l'Univer-
sité ne prêtent de livres en dehors de
Paris. La Bibliothèque nationale prête
parfois des manuscrits en province ou
à l'étranger. Mais il y a de nombreux
ses exceptions, plus ou moins justi-
fiées.
Ainsi le règlement permet de prêter
un manuscrit extrêmement précieux ;
mais il interdit de laisser sortir un vo-
lume, même sans valeur, s'il contient
quelques lettres autographes insigni-
fiantes. En outre, les formalités du prêt
hors Paris sont telles que dans la pra-
tique elles en restreignent beaucoup
J'utilité. Il faut passer par l'int: i-mé-
diaire des préfets et du ministre de
l'instruction publique, ce qui demande
souvent un ou deux mois, tandis qu'en
Allemagne il suffit qu'un professeur
d'université ou tout autre savant connu
écrive directement à une bibliothèque
pour recevoir deux ou trois jours après,
par la poste, les livres et les manuscrits
qu'il a demandés.
C'est là que M. Jules Fiammermont
voit la première et grande cause de
l'infériorité de nos Facultés de province.
Elles n'ont pas les outils nécessaires à
la besogne que l'on attend d'elles ; il
n'y a pas de laborieux ouvriers sans
outils.
Ce n'est pas une question bien facile
à résoudre que celle de savoir si les
grandes bibliothèques doivent prêter des
livres au dehors. Instinctivement, on
sent une certaine défiance. Le fameux
distique remonte à la mémoire :
Tel e t le triste sort de tout livre prêté ;
Souvent il est perdu, toujours il est gâté.
Le British. Muséum a tranché, lui, la
question dans l'autre sens. Un règle-
ment absolu interdit de laisser jamais
rien sortir en dehors de l'établissement,
pas même le livre le moins précieux.
On conte qu'un jour, en faisant visiter
à un Français illustre le magnifique
établissement dont il était alors di-
recteur, Panizzi vantait beaucoup les
avantages de la suppression absolue du
prêt.
- Mais pardon 1 lui dit notre com..,
patriote, si la reine vous faisait prier
de lui envoyer un livre, que feriez-
vous?
— Oh ! répondit en souriant Panizzi),
ce sont là de ces difficultés que notre
respect pour la reine nous interdit de
prévoir.
Un des grands arguments des adver-
saires du prêt, c'est l'inceniie de la bi-
bliothèque de Mommsen, où périrent
quantité de précieux volumes, impri-
més et manuscrits, appartenant aux
grandes bibliothèques d'Allemagne et
d' E -,, voie.
Feuilleton du JUX. SIÈCLS
Du 12 Mars 1885
(26) !
!
UNE FOLIE
V
XVI 1
"-suite-
Fleurette, accoutumée aux heures du
marquis, sourit doucement, et, sans se
presser, monta l'escalier.
Il y eut quelques moments d'attente;
on cessa de parler pour mieux écouter.
Solange, prenant une poignée de sable,
la lança contre les vitres, et on admira
son adresse un peu garçonnière.
Tout d'un coup un cri déchirant reten-
tit. On se regarda, n'osant bouger tout
d abord. Maurice cependant,qui avait re-
connu la voix de sa femme, s'élança, et
les autres, effarés, pâles, le suivirent.
Dans la chambre assombrie par les ri-
deaux baissés, il ne distingua d'abord
qu'un homme endormi, puis il vit la robe
blanche de sa femme; elle s'était jetée sur
le lit et sanglotait.
— Fleurette ! dit-il en la prenant dans
ses bras; c'était la première fois depuis
bien longtemps qu'il la nommait ainsi.
— Mon père est mort, - il est mort, en-
tendez-vous? Qui l'a tué ?.
Il cherchait à l'apaiser, il lui parlait
doucement, avec de petites caresses pres-
que tiniides, mais il n'arrivait pas à la
calmar..
La chambre était maintenant pleine de
monae; parles fenêtres grandes ouyer-
Beproûuçtioa interdite.;
tes, le soleil entrait joyeusement et éclai
rait la figure du mort, calme, presque
souriante. Personne n'osait parler, et
dans le silence lugubre on n'entendait
que les sanglots de Fleurette.
Mme Darboys la première retrouva
son sang-froid ; une lettre inachevée se
trouvait sur le pupitre ; elle la prit vive-
ment et la parcourut. C'était une cause-
rie très gaie, en français ; il s'y trouvait
une description de la vie au cMteau, des
tableaux vivants, mêlés de quelques pe-
tileslépigrammes, sans grande méchan-
ceté du reste ; cela finissait ainsi :
« Il est une heure du matin. Que les
vachères sont donc heureuses de dormir
toute la sainte nuit ! Il faut pourtant que
je trouve un peu de repos au fond de
mon flacon d'opium. —Si ma fille savait
à quel prix j'achète mon sommeil !. Je
suis même arrivé à prendre de fortes
doses sans que cela m'incommode, — et
demain ton vieil ami doit être le jeune
cavalur de femmes charmantes. Il y en a
une ou deux, mon cher. Mais sois
sans crainte ; le beau-père d'un sous se-
crétaire d'Etat doit quelque chose à la
moralité rigide du-parti républicain ! Si
tu l'entendais, le sous-secrétaire d'Etat,
prononcer ces mots. il en a plein la bou-
che ; chaque lettre est une majuscule.
Allons, bonsoir! »
La plume était restée auprès de l'en-
crier encore ouvert. Tout, dans la cham-
bre, était disposé pour un réveil matinal:
des vêtements clairs, de coupe anglaise,
étalés sur une chaise. Il y avait même dans
ces préparatifs un peu trop d'ordre voulu,
pensa Maurice, mais il n'en dit rien. Il
était tout occupé à consoler sa femme ;
il la souleva et la conduisit à sa cham-
bre ; il donna l'ordre qu'on la mît au lit
et qu'on l'empêchât de rentrer dans la
chambre du mort.
XVII
! Le mot de suicide ne fut pas prononcé ;
comme le marquis l'avait dit, c'était « un
accident tout au plus ». Mais cet acci-
dent était lugubre; le château se vida dès
le lendemain. Les Ferraysae seulsrestè.
rent jusqu'après l'enterrement qui se fit
très simplement à l'église du vinage.,
Quelques insinuations perfides paru-
rent dans les journaux de l'opposition ;
une indiscrétion de cercle se chuchota
d'oreille en oreille, mais bientôt l'affaire
tomba. Ceux qui, de loin en loin, y firent
encore allusion trouvèrent que Malle-
ville avait une « rude chance » d'être
ainsi délivré d'un beau-père, soupçonné
d'être plus que joueur, et dont Mme Dar-
boys avait dit dans les commencements :
« Cet Italien n'est qu'un Grec ». Ce mar-
quis décavé était compromettant en dia-
ble. Au grand étonnement de Maurice,
il ne laissait pas de grosses deltes."
Et lafille de ce joueur déconsidéré pleu-
rait en se posant des questions terribles,
auxquélles elle n'osait répandre. Son
deuil était sombre et sauvage ; elle na
voulait voir personne, pas même son
mari. Lorsqu'il s'approchait d'elle, ses
yeux l'interrogeaient; une fois elle lui
dit :
—De quoi parliez-vous à la fenêtre avec
mon père, le soir qui a précédé sa mort?
Maurice chercha àluidonnerle change,
mais il mentait mal, et elle se détourna
en disant : t
— Maintenant je suis seule au monde,
toute seule.
Mme Darboys observait sa belle-sœur
et comprit que, dans son cas, il y avait
plus que le chagrin naturel de la mort
d'un père comme le marquis. Lucie était
malheureuse, jalouse peut-être. Le ma-
nège de Berthe Ferraysac donnait à pen-
ser, et Mme Darboys commençait à se
consoler de ne pas l'avoir eue comme
belle-sœur.
Peu de jours après la mort du marquis,
Mme Darboys dit brusquement à son
frère :
— Sais-tu ce que tu devrais faire? Em-
mène Lucie à Naples. J'ai assez maudit
celte villa dans le temps, mais mainte-
nant c'est moi qui te le dis, l'air natal
lui fera du bien ; elle est plus malade
encore d'esprit que de-corps.
♦
Revoir Naples avec elle, retrouver dans
les allées du jardin fa paix, le bonheur
exquis d'aimer et d'être aimé, sans
crainte, sans témoins. Ah ! qu'il aurait
vite raison de sa froideur, de ses révol-
tes, au milieu des fleurs folles qui lui
auraient parlé de leurs fiançailles, de
leurs amours ! Berlhe, qui était présente,
lut tout cela dans ses regards, lut aussi
cette chose qui la rendait à demi folle,
c'est que jamais Maurice n'avait plus
aimé sa femme qu'en ce moment et, ja-
louse, furieuse, elle lui fit une scène
atroce. Il la savait capable de tout. Il
n'osait plus partir.
Ce fut Fleurette qui trancha la ques-
tion.
— Laissez-moi partir tout de suite, et
seule. Maurice, ne peut quitter le minis-
tère; dès qu'il le pourra, il viendra me
chercher. Mais je ne peux pas attendre :
j'ai besoin de revoir mon pays, d'enten-
dre la vieille Lisa me parler notre pa-
tois, de me perdre dans mon jardin, puis-
qu'il n'est pas encore vendu, de respirer
l'air de la mer.
Et elle fut tout de suite prête ; on di-
sait qu'elle allait arranger les affaires de
la succession.
— Vous m'écrirez, n'est-ce pas, Lucie?
dit Maurice en la conduisant à la gare.
Il lui semblait que le masque allait en-
fin tomber du visage de sa femme ; elle
était très émue.
— Y tenez-vous beaucoup? La sépa-
ration s'accomplit le plus naturellement
du monde.
Maurice eut une envie folle de laisser
derrière lui et ses ambitions, et son tra-
vail, et surtout Be.rthe,avec ses colères et
ses menaces. Il lui dit d'une voix cares-
sante
Veux-tu que Je parte avec toi ? f
— Pour que vous le regrettiez à la pre-
mière station ?
Malgré le ton de raillerie, il comprit
que le cœur de sa femme était encore
plein dé lui. Cependant il ne partit pas.
— La sép.a..ratiÕil ne serapa^ longue, jje
vous le jure ; et.je tians à tos lettres.
- r.ai:.scz-mol' pleare fi" n&re libre-
ment; laissez-moi tâcher d'oublier les
soupçons qui me poursuivent malgré
moi; qui malgré moi vous associent à
cette mort subite, inexpliquée, - qui a
tout l'air d'un suicide.
- Vous serez donc toujours injuste,
ma pauvre Lucie? Vous nous faites soui-
'trir tous les deux bien inutilement.
Fleurette se retourna brusquement et
dit d'une voix rauque :
— Jurez-moi que vous ne voyez dans
cette mort qu'un accident, que vous n'en
savez pas plus long que moi, que les
autres ! Vous voyez bien que vous ne le
pouvez pas? Adieu.
Et elle monta brusquement en wagon.
Mais elle entendit cependant, au mom, nt
où le train s'ébranlait, comme réponse à
son adieu, un « Au revoir. » Alors elle
se prit à pleurer tout doucement.
Elle ne trouva rien de changé à la
villa, où l'automne, superbe, flamboyait.
La vi-eille Lisa regarda venir à elle sa
jeune maîtresse, seule et toute pâle sous
ses voiles de deuil ; puis elle la prit dans
ses bras, comme au temps de son en-
fance solitaire, et la berça avec des mots
de nourrice. Pour elle. Fleurette était
toujours lenfant, la « piccola >\ ;
— Dis moi, carina, ce n'est pas vrai,
n'est-ce pas? que la villa soit à vendre;
ce n'est pas possible ! Dans les temps de
détresse, — et nous en avons connu, —
le signor marchese pourtant ne parlait
de la vendre que pour nous faire peur.
Quand l'agent, l'homme de Naples, vient
ici, sonne en maître, amène des étran-
gers, des Anglais, des Anglaises, avec
leurs voiles verts, il me semble que j'au-
rais le droit de l'étrangler ! Quand ils s'en
vont, je fais de mon mieux pour-effacer
la irace de leurs pas ; la présence des hé-
rétiques souille le jardin, empoisonne
l'air. Dis, Fior di Mare, dis, ce n'est pas
vrai ?
— Hélas ! ma Lisa, hélas !.
Que lui dire, que répondre lorsqu'elle
se lamentait, quand elle jurait qu'on
vendrait en même temps sa vieille peau
lannée, que ses os blanchiraient dans
quelque coin ignoré du jardin où elle
avait été jeune, où elle avait vieilli ;
qu'il était dur de vivre quand il serait
plus simple de mourir?
Fleurette passait les longues heures de
la journée à rechercher dans le bois d'o-
rangers, parmi les rochers sauvages,
dans les grottes désertes, - quoi? Elle
ne savait trop. Etait-ce le souvenir de
son amour, était-ce le souvenir de sa
jeunesse, où, ne connaissant encore ni le
bonheur ni la souffrance, elle vivait dans
l'attente de quelque chose qui devait ar-
river, qui devait rompre la monotonie
douce de sa vie isolée? Mais lorsqu'elle
cherchait à redevenir ce qu'elle avait été,
à oublier les événements récents, elle
n'y parvenait pas. Elle était bien femme;
elle avait aimé, elle avait souffert; et le
souvenir de l'amour ne s'efface pas com-
me s'effacent les marques sur le sable, à
la marée montante.
Il lui venait cependant, de cette nature
qu'elle aimait, un grand apaisement. Les
petites choses qui l'avaient froissée, les
soupçons terribles qui l'avaient mordue
au cœur, la jalousie inquiète qui guettait
sans cesse, — tout cela peu à peu s'éloi-
gnait d'elle, très lentement pourtant,
laissant à ce cœur endolori chaque jour
un peu plus de calme ; un peu d'espoir
aussi.
Ce qui était certain, c'est que tout main-
tenant lui parlait de Maurice. Elle revi-
vait sans cesse l'ancienne histoire, et ce-
lui qu'elle avait toujours devant les yeux,
ce n'était pas le mari préoccupé, c'était.
l'amoureux passionné et tendre. A
l'heure où d'ordinaire il arrivait dans le
bois d'orangers pour la surprendre, fur-
tivement elle se glissait à son coin favori.
Adossée à un arbre, elle le guettait, et le
cœur lui battait ; -il lui semblait entendre
le léger bruit d'un pas d'homme sur le
gazon court et dru, et elle rougissait de
bonheur. Pnis, l'illusion passée, elle se
mettait à pleurer son beau rêve perdu.
JEANNE MAIRET.
(A suivre)
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Extérieure. 61 7[8, 31\32, 15il6.
Egypte 345, 345 31.
Hongrois 82 5116, 1x4'.
Actions Rio 305, 303, 305.
Lots Turcs. 49 25, 49 12 1[2, 50 37.
PARIS, 11 MARS 1885
C'est l'habitude de l'opposition d'a-
-voir toujours quelques reproches à
adresser au gouvernement ; mais, de
tous les reproches, le moins attendu
c'est bien celui qu'a formulé hier le
Français. On eût cru qu'il eût appris
avec joie le nouveau succès remporté
par nos armes au Tonkin ; il n'y trouve
qu'une occasion de critique nouvelle, et
sa critique, la voici : on ne nous a
pas fait - savoir que Tuyen-Quan était
assiégé, que cinq cents des nôtres y
étaient menacés par deux mille Pavil-'
Ions-Noirs.
- « Le gouvernement, écrit-il, connais-
sait le danger que courait l'héroïque
garnison de TuyenrQaan, mais il avait
tenu ses dépêches secrètes alors qu'on
pouvait tous les jours recevoir la nou-
velle d'une épouvantable catastrophe.
Un pareil fait nous donne la mesure de
sa sincérité.» Elle Français ajoute en-
core : « C' tte dissimulation est (j'au-
tant plus odieuse qu'elle ne pouvait
avoir d'autre résultat que de laisser
ignorer en partie leseftorts, les sacri-
fices et l'admirable courage dont nos
troupes ont fait preuve. » -
Vous les aviez ignorés quelque temps,
ces sacrifices et cet admirable courage,
ô Francais! mais vous les connaissez
mainLenant. Que vous faut-il de plus ?
Pour satisfaire le Français, il faudrait
probablement que chaque jour le gou-
vernement le tînt au courant de tous
les détails des opérations de la guerre,
non seulement de celles qui sont ac-
mais encore ,de celles qui se
préparent. Sa curiosité palt d'un bon
naturel ; malheureusement ce n'est pas
ainsi que se fait là guerre depuis qu'on
la fait, c'est-à-dire depuis fort long-
temps, et, sans remonter jusqu'au capi-
taine qui disait qu'il brûlerait sa che-
mise si elle connaissait ses desseins,
les généraux ont toujours attaché quel-
que importance aux secrets des opéra-
tions. t:.
Non, bon Ffançais, on ne vous a pas
tout dit jour .par jour de la guerre du
Tonkin et- on ne vous dira pas tout da-
vantage à lavenir. Il suffit qu'on ne
vous dérobe jamais la connaissance d'un
événement accompli. Le général Brière
de l'Isle savait que Tuycn-Quan était
assiégé ; c'est tout ce qui importait: Il
savait aussi qu'il pouvait compter sur
l'énergie de la petite troupe de la gar-
nison et sur l'intelligence, de son chef.
Il a pris ses dispositions • en consé-
quence. -
Sans doute il a jugé que pour la
bonne conduite et le succès des opéra-
tions il fallait d'abord marcher sur
Langson, se débarrasser des réguliers
chinois qui, par cette route, envahis-
saient le Tonkin; il a rassemblé toutes
ses forces; il a marché sur Langson, il
s'en est emparé après d'héroïques com-
bats. C'est alors q e, laissant le géné-
ral de Négrier po isser de ce côté jus-
qu'à la porte de Chine, il a ramené en
arrière une partie de ses troupes. Où
allait-il? Je conviens qu'il ne l'a pas
fait savoir au monde entier par le télé-
graphe. Mais vous en êtes instruit
maintenant. Après avoir montré les
pantalons rouges aux réguliers chi-
nois, il allait les faire voir aux Pavil-
lons-Noirs. Il avait calculé que la gar-
nison de Tuyen-Quan tiendrait bon
jusqu'au jour où il pourrait venir la dé-
livrer; et son calcul s'est trouvé juste.
Le plan combiné par le chef militaire
s'est heureusement exécuté et dans tou-
tes ses parties.
Que le Français soit sincère et il
avouera que ce qu'il a regretté, ç'a été
de ne pas savoir la lutte que soutenait
la petite garnison de Tuyen-Quan à
temps pour pouvoir l'exploiter contre
le ministère et la République. Ah! s'il
l'eût su, comme il l'eut exploité 1 Quand
le général Brière marchait sur Langson,
il n'eût pas manqué d'écrire : « Mar-
cher sur Langson au lieu d'aller déli-
vrer notre garnison de Tuyen-Quan,
quelle faute ! ou plutôt quel crime ! »
Quand il eût appris nos victoires de
Langson, il n'eût pas manqué de s'é-
crier : « Oui, Langson est pris! mais
qui sait si en ce moment notre garnison
de Tuyen-Qdan, abandonnée, n'a pas été
massacrée déjà?» Et chaque jour on
eût entendu ces questions : « Le gou-
vernement a-t-il des nouvelles de Tuyen-
Quan? ou les C!iche-i-il? Tuyen-Quan
n'est-il pas tombé au pouvoir des Pa-
viHons-Noirs? » Et chaque jour ç'eût été
quelque prédiction sinistre et eflrayante.
Le Français n'a pu jouer en cette oc-
casion le rôle de Jérémie pour lequel il
a tant de propension : c'est de cela
qu'il est inconsolable.
CBARLBS BiGM
NOUVELLES DE CHINE
r - ..-.
RAPPORT DU RÉSIDENT GÉNÉRAL AU TONKIN
Le ministre de la marine a fait insérer au
Journal officiel un nouveau rapport sur le
Tonkin, qu'il vient de recevoir de M. Le-
maire, résident général de France à Hué.
Après un résumé de l'organisation admi-
nistrative et quelques mots sur les produc-
tions des province de-l'Annam, le résident
général donne les renseignements qui sui-
vent sur les routes commerciale vers la
Chine méridionale : <
« Le fleuve Rouge offrira difficilement,
même sous la protection du pavillon fran-
çais, une route commerciale directe vers
l'Asie centrale, les provinces de Yunnan, du
Thibet et du Se-Tchuen. »
» Le fleuve Rouge, en effet, n'est pas na-
vigable en tout temps; à l'époque des inon-
dations, c'est un immense et impétueux tor-
rent. D; ns la saison sèche, l'eau manque
au-dessus de Hong-Hoa.
» La voie qui offrirait immédiatement tous
les éléments nécessaires au commerce in-
ternational et à l'industriè européenne, en
même temps qu'elle donnerait à la France
un puissant moyen d'action, de civilisation
et d'autorité dans toute l'Asie, consisterait
dans la construction d'un chemin de fer qui
aurait un point du littoral de la baie d' Al
long ou de Tien-Yen (province de Quang-
Yen) comme tête de ligne, remonterait la
vallée du Tarn sur une partie de son étendue
pour venir franchir le Thaï-Binh aux « Sept-
Pagodes.» (embouchure dans ce fleuve
du canal Song-Chi ou. des Ranidés), d'où elle.
enverrait vers Lang-Son un embranchement
qui franchirait la frontière de Chine aux
« Portes-de-Fer » pour s'étendre daus le
Quang-Si. A peu de distance des « Se.pt-Pa-
godes », cette voie principale enverrait un
autre embranchement vers HanoL
» Continuait sa direction N.-O., e le re-
monterait d'atwrd la vallée de Thaï-Binti en
desservant TTïaï-Nguyen et s'engagerait en-
suite sur les hauts plateaux de cette pro-
vince et de celle de Cao Bang, ville appelée
probablement à un grand avenir par l'ex-
ploitation des mines d'or des lacs Ba-Bé.
Les cours d'eau qu'elle rencontrera ensuite
jusqtt'à son arrivée à Laokaï ne semblent
pas avoir d'importance.
» De Laokaï, que je suppose n'être pas si
éloigné de Hanoï ainsi que les cartes l'indi-
quent, elle suivrait la vallée du fleuve Rouge-
jusqu'à Mang-IIao, qu'elle devra quitter en
prenant une direction nord à travers le
Yunnan, desservant sur son passage les im-
portantes et très anciennes mines d'étain de
Koui-Kieou, pour arriverjenfin à la capitale,
Yunnan-Sen, qui serait la tête de * ligne
nord.
» De Yunnan-Sen, deux branches seraient
encore possibles, l'une vers le N.-E. jusqu'à
la capitale du Se-Tchuen, l'autre versl'O.
jusqu'à Taly-Fou et au delà vers le N.-O.
dans le Thibet. »
Le rapport donne une série de renseigne-
ments géographiques sur les différents
cours d'eau, îles et rades du Tonkin et se
termine par un aperçu de la situation éco-
nomique :
« L'annonce de l'ouvertu re du port de
Haïphong à l'exportation des riz, à partir du
1er décembre 1884, a produit dans le com-
merce du Tonkia une satisfaction générale
dans tous le pays et un mouvement inac-
coutumé. A Haïphong , l'on craint que le
matériel de transport ne soit pas assez con-
sidérable dans les commencements, mais il
pourra se constituer très vite.
» La sortie des riz fera reuaitre l'activité
dans les villes et donnera aux cultivateurs
qui font en ce moment la récolte au dixième
mois (tin novembre et commencement de
décembre) la tranquillité si désirée.
» La récolte du riz est belle dans tout le
Delta, ainsi que sur les points qui n'ont pas
été troublés.
» La moisson du dixième mois est presque
terminée.
» On s'occupe aussi de la création à Hanoï
d'une banqua d'escompte qui représente-
rait au Tonkin la « Hong-Kong and Shanghaï
» Banking Co. » --
» Plusieurs autres maisons françaises et
chinoises semblent prendre des dispositions
pour profiter sur une vaste échelle de la
période de l'exportation des riz et cherchent
à s'entendre avec les Annamites pour faire
leurs achats.
» Jusqu'à présent, les immigrants euro-
péens ne sont arrivés qu'en nombre assez
restreint ftar chaque courrier ou chaque
transport. 11 est matériellement impossible
de trouver à Haïphong, à leur débarque-
ment, un local pour les loger, même pour
quelques jours seulement.
» De prétendus colons de la première heure
et d'anciens agents es douanes ont depuis
longtemps déjà, avant l'arrivée du corps
expéditionnaire, ce qui était permis sous le
régime annamite, accaparé les terrains non
inondés de la ville sur lesquels ils ne cons-
truisent pas, attendant le moment de les
vendre à des prix exorbitants. Il en est de
même à Hanoï, où de mauvais terrains hu-
mides, sans constructions ni remblais, sont
cotés cinq et dix fois leur valeur réelle.
» Ces terrains augmentent encore de va-
leur par suite du courant d'immigration an-
noncé. :
» Quoi qu'il en soit, l'administration civile
française peut déjà loger à Hanoï soixante-
dix à quatre-vingts immigrants nécessiteux
dans des maisons confisquées sur des re-
beiles par l'autorité annamite locale et mi-
ses par elles à la disposition de l'adminis-
tration française pour en êfereusagère indé-
finiment.
» Le mouvement d'immigration ou d'émi-
gration des Chinois n'est pas sensible. »
Particularité à noter. Il y a à Hanoï une
tendance de la part des indigènes à s'ha-
biller à l'européenne, surtout parmi ceux
qui servent de domestiques ou d'employés
chez les Européens.
LE PARLEMENT
COURRIER DE riA CHAMBRB
Paris, 10 mars 1885.
La Chambre a donc à statuer sur
vingt-deux rétablissements de crédits
effectués par le Sénat dans le budget de
1885. Le total, en espèces, frise quatre
millions.
La doctrine du rejet en bloc étant
écartée, il reste en présence : les propo-
sitions de la commission, qui admet deux
rétablissements (60,000 francs en tout,
ponant sur les cours d'appel et les tri-
bunaux de première instance), et les
chiffres du Sénat, appuyés parle gouver-
nement, mollement eu ce qui conc.erne
certains, avec une extrême énergie en ce
qui concerne les autres. On voit que l'é-
cart esta-sez considérable.
En ajoutant que, parmi ces vingt-deux
rétablissements de crédits, onze sont af-
férents au service des cultes, nous au-
rons nettement dessiné la topographie du
terrain de l'action.
Quant aux évolutions diverses, elles ne
méritent qu'une description d'ensemble.
En effet, toutes les marches et contre-
marches qui ont été exécutées il y a trois
mois sont exécutées derechef, et les mê-
mes arguments-projecliles sont échangés,
quelque peu ternis par le temps.
D'une part, la Droite qui ne laisse pas
échapper une .occasion de placer une ti-
rade ampoulée en faveur de la religion et
égrène à la tribune toutes ses médiocri-
tés oratoires, manœuvrant de façon à
rendre la tâche du ministre des cultes
plus difficile encore, s'il est possible ;
de l'autre, le rapporteur général qui,
d'un ton. sec, s'oppose à toute modifi-
cation dans les chiffres de la commission.
M. Martin-Feuillée, il faut en convenir,
fait son devoir jusqu'au bout. Constam-
ment battu, il n'hésite pas cependant à
gravir, à chaque nouveau chapitre, le
calvaire de la tribune. L'Extrême Gauche
lui administre des coups de trique, et la
Droite lui tend une éponge imbibée de
vinaigre. Plaignons ce martyr minis-
tériel.
Toutefois M. le garde des sceaux a vu
sa constance couronnée de succès.
Tous les rétablissements de crédits
avaient été écartés, sauf les deux que la
commission proposait; les scrutins suc-
cédaient aux scrutins et les rejets aux
rejets, l'affaire tournait mal. lorsqu'au
chapitre « allocations aux chanoines »,
un chapitre important s'il vous plaît, car
il s'agit d'une somme de 1,157,000 francs,
totalement biffée par la Chambre et ins-
crite par le Sénat, la fortune s'est tout à
coup déclarée en faveur de M. Martin-
Feuillée.
un vain M. Jules.Roche tire de leur
étui ses tirades les plus flamboyantes
sur la France moderne et les richesses
entassées par le haut clergé ; en vain M.
de Mun fait vibrer les. plus ronflants ton-
nerres de sa petite excommunication ;
tous deux réunis ne peuvent parvenir à
horripiler suffisamment l'auditoire, et,
après pointage, un crédit de 1,100.000 fr.
est accepté par 226 voix contre 221.
Remarquez qu'il y a là un écart de
57,000 francs avec le chiffre rétabli par le
Sénat. C'est qu'en effet M. Martin-Feuil-
lée ne remporte la victoire qu'en décla-
rant la suppression immédiate des cha-
noines -détestable, antilégale, inhumaine,
mais en se ralliant à la suppression fu-
ture par voie d'extinction.
Le gouvernement espérait très proba-
blement encore un autre succès sur le
chapitre des « bourses des séminaires
catholiques ». Cette foi-s, MM. Jules Ro-
che et de Mun, coalisés contre lui, le se-
cond réclamant 600,000 francs et le pre-
mier zéro, sont arrivés à faire repousser
les pauvres 305,000 francs du Sénat et du
ministère par 260 voix contre 212.
Mais le vote précédent n'en subsiste
pas moins. Et, à notre sens, il modifie
grandement la situation de la Chambre
vis à-vis du Sénat, car il prouve que celle-
là, résistant aux sollicitations extrêmes,
ne demande qu'à entrer en accommode-
ment avec celui ci.
Il reste encore neuf rétablissements de
crédits à examiner; un scrutin à la tri-
bnne a démontré qu'on n'était plus en
nombre pour voter. Hautement, nous
blâmons cette fuite générale ; mais, tout
bas, nous l'excusons. Si vous saviez quel
agacement finissent par procurer aux
moins nerveux ces discoure qu'on pour-
rait réciter en même temps que l'ora-
teur? Enfin, l'an prochain, ça paraîtra
peut-être plus nouveau, à cause du re-
nouvellement de la masse!
PAUL LAFARGUE.
DOIT-ON PRÊTER LES LIVRES 1
La Faculté des lettres de Poitiers
publie, depuis trois années déjà, une
manière de revue qu'elle intitule mo-
destement : Bulletin mensuel, où les
processeurs rendent compte de leurs
travaux, proposent des réformes, émet-
tent des vœux ou des plaintes, suivent
en un mot le train de la vie universi-
taire daHS la région de FOjcst. J ignore
si d'autres Facultés se sont donné, à
l'exemple de la Faculté de Poitiers, un
moniteur spécial. Je ne connais, pour
moi, que celui-là; il est fort bien fait,
toujours intéressant et fécond en vues
personnelles et originales.
Ces messieurs, parlant de ce qu'ils
connaissent bien, de ce qui leur tient
plus spécialement au cœur, et en par-
iant à des lecteurs qui sont, comme
nOJS disons ici, du bâtiment, ne cher-
chent pas à les éblouir par de vagues
et brillantes généralités ; ils répudient
les phrases creuses et les polémiques
vaines; ils traitent en gens pratiques
des questions particulières et sérieuses.
Il y a toujours profit et plaisir à les lire.
Je n'y manque jamais.
Dans le dernier numéro, M. Jules
Flammermont touche un point qui m'a
paru bien délicat, et si je porte le débat
devant le grand public, c'est qu'il me
paraît avoir quelque intérêt, non pas
seulement pour les universitaires, mais
pour tous ceux qui travaillent.
On compare souvent la production
des universités allemandes de province
avec celle des Facultés françaises, et ii
est de mode de dire" que toutes nos Fa-
cultés de province réunies produisent,
année moyenne, moins de travaux scien-
tifiques qu'une seule des universités
d'Allemagne et non - (les plus grandes,
celle de Bonn par exemple. M. Jules
Flammermont convient de bonne grâce
Que le reproche est iuste.
Et, naturellement, il recherche les
causes de cette infériorité.
Il en trouve plusieurs qui tiennent
à l'organisation même de nos Facultés,
et. dont par conséquent je ne dirai rien.
Mais il en est une qu'il regarde comme
la plus grave de toutes.
- En Allemagne, les bibliothèques uni-
versitaires sont très riches par elles-
mêmes; elles ne suffiraient pourtant
point aux exigences des recherches
qu'impose aux travailleurs la science
moderne. Mais, de plus, les grandes
bibliothèques de la capitale ou des uni-
versités extrêmement riches prêtent aux
professeurs d'université, partout où ils
se trouvent, les livres, les manuscrits
ou imprimés dont ils ont besoin. C'est
ce qui explique qu'à Inspruck, à Lam-
berg ou même à Czernowitz, comme à
Marbourg ou à Rostock, on puisse tra-
vailler presque aussi facilement qu'à
Vienne, à Berlin ou à Munich. Car il
n'est pas rare qu'un professeur d'uni-
versité dans une petite ville ait chez
lui, en prêt, trois ou quatre cents vo-
lumes, manuscrits ou imprimés appar-
tenant aux grandes bibliothèques et
aux archives d'Allemagne.
En France, au contraire, ni la biblio-
thèque nationale, ni les bibliothèques
de l'Arsenal, Mazarine ou de Sainte-
Geneviève, ni même celle de l'Univer-
sité ne prêtent de livres en dehors de
Paris. La Bibliothèque nationale prête
parfois des manuscrits en province ou
à l'étranger. Mais il y a de nombreux
ses exceptions, plus ou moins justi-
fiées.
Ainsi le règlement permet de prêter
un manuscrit extrêmement précieux ;
mais il interdit de laisser sortir un vo-
lume, même sans valeur, s'il contient
quelques lettres autographes insigni-
fiantes. En outre, les formalités du prêt
hors Paris sont telles que dans la pra-
tique elles en restreignent beaucoup
J'utilité. Il faut passer par l'int: i-mé-
diaire des préfets et du ministre de
l'instruction publique, ce qui demande
souvent un ou deux mois, tandis qu'en
Allemagne il suffit qu'un professeur
d'université ou tout autre savant connu
écrive directement à une bibliothèque
pour recevoir deux ou trois jours après,
par la poste, les livres et les manuscrits
qu'il a demandés.
C'est là que M. Jules Fiammermont
voit la première et grande cause de
l'infériorité de nos Facultés de province.
Elles n'ont pas les outils nécessaires à
la besogne que l'on attend d'elles ; il
n'y a pas de laborieux ouvriers sans
outils.
Ce n'est pas une question bien facile
à résoudre que celle de savoir si les
grandes bibliothèques doivent prêter des
livres au dehors. Instinctivement, on
sent une certaine défiance. Le fameux
distique remonte à la mémoire :
Tel e t le triste sort de tout livre prêté ;
Souvent il est perdu, toujours il est gâté.
Le British. Muséum a tranché, lui, la
question dans l'autre sens. Un règle-
ment absolu interdit de laisser jamais
rien sortir en dehors de l'établissement,
pas même le livre le moins précieux.
On conte qu'un jour, en faisant visiter
à un Français illustre le magnifique
établissement dont il était alors di-
recteur, Panizzi vantait beaucoup les
avantages de la suppression absolue du
prêt.
- Mais pardon 1 lui dit notre com..,
patriote, si la reine vous faisait prier
de lui envoyer un livre, que feriez-
vous?
— Oh ! répondit en souriant Panizzi),
ce sont là de ces difficultés que notre
respect pour la reine nous interdit de
prévoir.
Un des grands arguments des adver-
saires du prêt, c'est l'inceniie de la bi-
bliothèque de Mommsen, où périrent
quantité de précieux volumes, impri-
més et manuscrits, appartenant aux
grandes bibliothèques d'Allemagne et
d' E -,, voie.
Feuilleton du JUX. SIÈCLS
Du 12 Mars 1885
(26) !
!
UNE FOLIE
V
XVI 1
"-suite-
Fleurette, accoutumée aux heures du
marquis, sourit doucement, et, sans se
presser, monta l'escalier.
Il y eut quelques moments d'attente;
on cessa de parler pour mieux écouter.
Solange, prenant une poignée de sable,
la lança contre les vitres, et on admira
son adresse un peu garçonnière.
Tout d'un coup un cri déchirant reten-
tit. On se regarda, n'osant bouger tout
d abord. Maurice cependant,qui avait re-
connu la voix de sa femme, s'élança, et
les autres, effarés, pâles, le suivirent.
Dans la chambre assombrie par les ri-
deaux baissés, il ne distingua d'abord
qu'un homme endormi, puis il vit la robe
blanche de sa femme; elle s'était jetée sur
le lit et sanglotait.
— Fleurette ! dit-il en la prenant dans
ses bras; c'était la première fois depuis
bien longtemps qu'il la nommait ainsi.
— Mon père est mort, - il est mort, en-
tendez-vous? Qui l'a tué ?.
Il cherchait à l'apaiser, il lui parlait
doucement, avec de petites caresses pres-
que tiniides, mais il n'arrivait pas à la
calmar..
La chambre était maintenant pleine de
monae; parles fenêtres grandes ouyer-
Beproûuçtioa interdite.;
tes, le soleil entrait joyeusement et éclai
rait la figure du mort, calme, presque
souriante. Personne n'osait parler, et
dans le silence lugubre on n'entendait
que les sanglots de Fleurette.
Mme Darboys la première retrouva
son sang-froid ; une lettre inachevée se
trouvait sur le pupitre ; elle la prit vive-
ment et la parcourut. C'était une cause-
rie très gaie, en français ; il s'y trouvait
une description de la vie au cMteau, des
tableaux vivants, mêlés de quelques pe-
tileslépigrammes, sans grande méchan-
ceté du reste ; cela finissait ainsi :
« Il est une heure du matin. Que les
vachères sont donc heureuses de dormir
toute la sainte nuit ! Il faut pourtant que
je trouve un peu de repos au fond de
mon flacon d'opium. —Si ma fille savait
à quel prix j'achète mon sommeil !. Je
suis même arrivé à prendre de fortes
doses sans que cela m'incommode, — et
demain ton vieil ami doit être le jeune
cavalur de femmes charmantes. Il y en a
une ou deux, mon cher. Mais sois
sans crainte ; le beau-père d'un sous se-
crétaire d'Etat doit quelque chose à la
moralité rigide du-parti républicain ! Si
tu l'entendais, le sous-secrétaire d'Etat,
prononcer ces mots. il en a plein la bou-
che ; chaque lettre est une majuscule.
Allons, bonsoir! »
La plume était restée auprès de l'en-
crier encore ouvert. Tout, dans la cham-
bre, était disposé pour un réveil matinal:
des vêtements clairs, de coupe anglaise,
étalés sur une chaise. Il y avait même dans
ces préparatifs un peu trop d'ordre voulu,
pensa Maurice, mais il n'en dit rien. Il
était tout occupé à consoler sa femme ;
il la souleva et la conduisit à sa cham-
bre ; il donna l'ordre qu'on la mît au lit
et qu'on l'empêchât de rentrer dans la
chambre du mort.
XVII
! Le mot de suicide ne fut pas prononcé ;
comme le marquis l'avait dit, c'était « un
accident tout au plus ». Mais cet acci-
dent était lugubre; le château se vida dès
le lendemain. Les Ferraysae seulsrestè.
rent jusqu'après l'enterrement qui se fit
très simplement à l'église du vinage.,
Quelques insinuations perfides paru-
rent dans les journaux de l'opposition ;
une indiscrétion de cercle se chuchota
d'oreille en oreille, mais bientôt l'affaire
tomba. Ceux qui, de loin en loin, y firent
encore allusion trouvèrent que Malle-
ville avait une « rude chance » d'être
ainsi délivré d'un beau-père, soupçonné
d'être plus que joueur, et dont Mme Dar-
boys avait dit dans les commencements :
« Cet Italien n'est qu'un Grec ». Ce mar-
quis décavé était compromettant en dia-
ble. Au grand étonnement de Maurice,
il ne laissait pas de grosses deltes."
Et lafille de ce joueur déconsidéré pleu-
rait en se posant des questions terribles,
auxquélles elle n'osait répandre. Son
deuil était sombre et sauvage ; elle na
voulait voir personne, pas même son
mari. Lorsqu'il s'approchait d'elle, ses
yeux l'interrogeaient; une fois elle lui
dit :
—De quoi parliez-vous à la fenêtre avec
mon père, le soir qui a précédé sa mort?
Maurice chercha àluidonnerle change,
mais il mentait mal, et elle se détourna
en disant : t
— Maintenant je suis seule au monde,
toute seule.
Mme Darboys observait sa belle-sœur
et comprit que, dans son cas, il y avait
plus que le chagrin naturel de la mort
d'un père comme le marquis. Lucie était
malheureuse, jalouse peut-être. Le ma-
nège de Berthe Ferraysac donnait à pen-
ser, et Mme Darboys commençait à se
consoler de ne pas l'avoir eue comme
belle-sœur.
Peu de jours après la mort du marquis,
Mme Darboys dit brusquement à son
frère :
— Sais-tu ce que tu devrais faire? Em-
mène Lucie à Naples. J'ai assez maudit
celte villa dans le temps, mais mainte-
nant c'est moi qui te le dis, l'air natal
lui fera du bien ; elle est plus malade
encore d'esprit que de-corps.
♦
Revoir Naples avec elle, retrouver dans
les allées du jardin fa paix, le bonheur
exquis d'aimer et d'être aimé, sans
crainte, sans témoins. Ah ! qu'il aurait
vite raison de sa froideur, de ses révol-
tes, au milieu des fleurs folles qui lui
auraient parlé de leurs fiançailles, de
leurs amours ! Berlhe, qui était présente,
lut tout cela dans ses regards, lut aussi
cette chose qui la rendait à demi folle,
c'est que jamais Maurice n'avait plus
aimé sa femme qu'en ce moment et, ja-
louse, furieuse, elle lui fit une scène
atroce. Il la savait capable de tout. Il
n'osait plus partir.
Ce fut Fleurette qui trancha la ques-
tion.
— Laissez-moi partir tout de suite, et
seule. Maurice, ne peut quitter le minis-
tère; dès qu'il le pourra, il viendra me
chercher. Mais je ne peux pas attendre :
j'ai besoin de revoir mon pays, d'enten-
dre la vieille Lisa me parler notre pa-
tois, de me perdre dans mon jardin, puis-
qu'il n'est pas encore vendu, de respirer
l'air de la mer.
Et elle fut tout de suite prête ; on di-
sait qu'elle allait arranger les affaires de
la succession.
— Vous m'écrirez, n'est-ce pas, Lucie?
dit Maurice en la conduisant à la gare.
Il lui semblait que le masque allait en-
fin tomber du visage de sa femme ; elle
était très émue.
— Y tenez-vous beaucoup? La sépa-
ration s'accomplit le plus naturellement
du monde.
Maurice eut une envie folle de laisser
derrière lui et ses ambitions, et son tra-
vail, et surtout Be.rthe,avec ses colères et
ses menaces. Il lui dit d'une voix cares-
sante
Veux-tu que Je parte avec toi ? f
— Pour que vous le regrettiez à la pre-
mière station ?
Malgré le ton de raillerie, il comprit
que le cœur de sa femme était encore
plein dé lui. Cependant il ne partit pas.
— La sép.a..ratiÕil ne serapa^ longue, jje
vous le jure ; et.je tians à tos lettres.
- r.ai:.scz-mol' pleare fi" n&re libre-
ment; laissez-moi tâcher d'oublier les
soupçons qui me poursuivent malgré
moi; qui malgré moi vous associent à
cette mort subite, inexpliquée, - qui a
tout l'air d'un suicide.
- Vous serez donc toujours injuste,
ma pauvre Lucie? Vous nous faites soui-
'trir tous les deux bien inutilement.
Fleurette se retourna brusquement et
dit d'une voix rauque :
— Jurez-moi que vous ne voyez dans
cette mort qu'un accident, que vous n'en
savez pas plus long que moi, que les
autres ! Vous voyez bien que vous ne le
pouvez pas? Adieu.
Et elle monta brusquement en wagon.
Mais elle entendit cependant, au mom, nt
où le train s'ébranlait, comme réponse à
son adieu, un « Au revoir. » Alors elle
se prit à pleurer tout doucement.
Elle ne trouva rien de changé à la
villa, où l'automne, superbe, flamboyait.
La vi-eille Lisa regarda venir à elle sa
jeune maîtresse, seule et toute pâle sous
ses voiles de deuil ; puis elle la prit dans
ses bras, comme au temps de son en-
fance solitaire, et la berça avec des mots
de nourrice. Pour elle. Fleurette était
toujours lenfant, la « piccola >\ ;
— Dis moi, carina, ce n'est pas vrai,
n'est-ce pas? que la villa soit à vendre;
ce n'est pas possible ! Dans les temps de
détresse, — et nous en avons connu, —
le signor marchese pourtant ne parlait
de la vendre que pour nous faire peur.
Quand l'agent, l'homme de Naples, vient
ici, sonne en maître, amène des étran-
gers, des Anglais, des Anglaises, avec
leurs voiles verts, il me semble que j'au-
rais le droit de l'étrangler ! Quand ils s'en
vont, je fais de mon mieux pour-effacer
la irace de leurs pas ; la présence des hé-
rétiques souille le jardin, empoisonne
l'air. Dis, Fior di Mare, dis, ce n'est pas
vrai ?
— Hélas ! ma Lisa, hélas !.
Que lui dire, que répondre lorsqu'elle
se lamentait, quand elle jurait qu'on
vendrait en même temps sa vieille peau
lannée, que ses os blanchiraient dans
quelque coin ignoré du jardin où elle
avait été jeune, où elle avait vieilli ;
qu'il était dur de vivre quand il serait
plus simple de mourir?
Fleurette passait les longues heures de
la journée à rechercher dans le bois d'o-
rangers, parmi les rochers sauvages,
dans les grottes désertes, - quoi? Elle
ne savait trop. Etait-ce le souvenir de
son amour, était-ce le souvenir de sa
jeunesse, où, ne connaissant encore ni le
bonheur ni la souffrance, elle vivait dans
l'attente de quelque chose qui devait ar-
river, qui devait rompre la monotonie
douce de sa vie isolée? Mais lorsqu'elle
cherchait à redevenir ce qu'elle avait été,
à oublier les événements récents, elle
n'y parvenait pas. Elle était bien femme;
elle avait aimé, elle avait souffert; et le
souvenir de l'amour ne s'efface pas com-
me s'effacent les marques sur le sable, à
la marée montante.
Il lui venait cependant, de cette nature
qu'elle aimait, un grand apaisement. Les
petites choses qui l'avaient froissée, les
soupçons terribles qui l'avaient mordue
au cœur, la jalousie inquiète qui guettait
sans cesse, — tout cela peu à peu s'éloi-
gnait d'elle, très lentement pourtant,
laissant à ce cœur endolori chaque jour
un peu plus de calme ; un peu d'espoir
aussi.
Ce qui était certain, c'est que tout main-
tenant lui parlait de Maurice. Elle revi-
vait sans cesse l'ancienne histoire, et ce-
lui qu'elle avait toujours devant les yeux,
ce n'était pas le mari préoccupé, c'était.
l'amoureux passionné et tendre. A
l'heure où d'ordinaire il arrivait dans le
bois d'orangers pour la surprendre, fur-
tivement elle se glissait à son coin favori.
Adossée à un arbre, elle le guettait, et le
cœur lui battait ; -il lui semblait entendre
le léger bruit d'un pas d'homme sur le
gazon court et dru, et elle rougissait de
bonheur. Pnis, l'illusion passée, elle se
mettait à pleurer son beau rêve perdu.
JEANNE MAIRET.
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