Titre : Le XIXe siècle : journal quotidien politique et littéraire / directeur-rédacteur en chef : Gustave Chadeuil
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1885-03-11
Contributeur : Chadeuil, Gustave (1821-1896). Directeur de publication
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Type : texte texte
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Description : 11 mars 1885 11 mars 1885
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Droits : Consultable en ligne
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Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-199
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 09/04/2013
Quinzième année. —AB—N# 4812
Prix du numéro à Paris 15 centimes — Départements: 20 centimes
Mercredi li Mars 1885
LE XIX SIEÏilili
JOURNAL RÉPUBLICAIN CONSERVATEUR
REDACTION
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de 2 heures à minuit
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Six mois 32 »»
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Trois mois. i ft
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Egypte. 345 25, 346 87.
Turc ï ; t 18 50, 65, 60.
PARIS, 10 MARS 1885
Nous savons aujourd'hui ce qu'ont
coûté de sang français les dernières vic-
toires remportées par notre brave ar-
mée du Tonkin. Il était temps que le
général Brière de rlsle arrivât au se-
cours de la petite garnison assiégée dans
Tuyen-Quan. Depuis la fin du mois de
janvier, depuis près de quarante-cinq
jours, cinq cents hommes se défendaient
là contre huit mille assaillants. Ils n'ont
pas eu un moment de défaillance, bien
qu'une brèche eût été o a verte, et que
parmi eux un homme sur trois eût été
atteint; ils ont tenu bon et repoussé
toutes les attaques. C'est en même
temps que nous avons appris et leur
délivrance et les périls qu'ils avaient
courus. Honneur à ces vaillants! et fé-
licitons M. le ministre de la guerre de
n'avoir pas attendu un jour avant de ré-
compenser, par le grade de lieutenant-
colonel, leur digne chef, le comman-
dant Dominé. -
L'affaire a été chaude aussi pour la
brigade Giovanninelli, qui était chargée
de débloquer Tuyen-Quan. Pour enlever
les positions formidables occupées par
les Pavillons-Noirs. il a fallu combattre
deux jours entiers, et aussi sacrifier
bien des vies précieuses. Mais, en dépit
de tous les obstacles, l'avantage nous
est resté. Les Pavillons-Noirs n'oublie-
ront pas la leçon sévère et pour eux si
inattendue qu'ils viennent de recevoir.
Ce qui importe maintenant, c'est que
tant de sacrifices ne soient pas perdus,
et ils ne porteront leurs fruits que si
• nous sommes décidés à pousser énergi-
quement et rapidement les avantages
que nous venons de remporter. Finis-
sons-en avec la Chine d'abord, et quand
les Pavillons-Noirs seront réduits à
eux seuls, quand ils ne seront plus
soutenus par l'Empire du Milieu, nous
aurons bientôt fait de purger le Tonkin
des brigands qui l'infestent. '--
Les récents débats du Parlement alle-
mand et du Parlement anglais viennent
d'apprendre à ceux qui auraient pu
l'ignorer encore ce qu'est la diplomatie
européenne à Fépoque où nous vivons.
11 y a deux ans, M. de Bismarck offrait à
r Angleterre, à propos de l'Egypte., uu
marché quelle a refusé alors et que
peut-être depuis elle s'est bien repentie
d'avoir refusé. M. de Bismarck a ré-
pondu en lui .montrant autant de mau-
vaise volonté qu'il avait montré d'abord
de complaisance. Quels sont les mar-
chés d'hier de M. de Bismarck? Quels
sont ceux d'aujourd'hui? Quels seront
ceux de demain? La seule conclusion à
tirer de toutes ces révélations, c'est
qu'avec les mœurs de « courtage hon-
nête » qui se sont introduites, selon
l'expression du chancelier de fer et sur-
tout grâce à lui, dans la diplomatie, il
n'est plus d'alliance sur laquelle une
nation puisse compter. Un engagement
vaut tout juste pour la minute durant
laquelle il est conclu. La seule garantie
d'indépendance pour une nation, c'est
d'être à toute heure prête à se défendre
contre celui-là même qui lui prodiguait
le- plus les démonstrations d'amitié.
N'oublions pas cette leçon, et rame-
nons, le plus tôt que nous le pourrons,
nos flottes dans nos ports et nos régi-
ments sur notre sol. Ne laissons passe
prolonger dans l'Extrême-Orient une
lutte qui, en un cas de complication
européenne, imprévu mais toujours à
prévoir, pourrait devenir pour nous un
sérieux embarras. Et pour cela il n'est
qu'un moyen, c'est de faire là-bas le
nécessaire, c'est d'aller vite à Pékin,
s'il faut aller à Pékin d'abord pour con-
quérir la paix sur la Chine, pour nous
assurer la possession incontestée du
Tonkin, où le drapeau français a été
planté, où le sang de nos soldats a fait
la terre française. Il est inadmissible
que tant d'efforts et de sacrifices héroï-
ques ne produisent pas un résultat utile
à la patrie, et il importe à notre sécu-
rité que ces lointaines expéditions ne se
prolongent pas.
C'est pourquoi nous ne regrettons
pas cette interpellation de M. Granet
qui doit venir en discussion jeudi pro-
chain. Peu nous importe la pensée qui
a inspiré son auteur et la forme qu'il
a cru devoir lui donner. Elle sera —et
cela seul nous intéresse — pour le mi-
nistère une occasion de faire connaître
ses desseins, pour la Chambre une oc-
casion de manifester son patriotisme,
d'exprimer sa reconnaissance envers les
marins et les soldats qui ont si bien mé-
rité de la France, de leur donner aussi
et le concours moral et l'appui matériel
dont ils ont besoin pour continuer leur
oI!ude lâche et la mener à bien.
CHARLES BIGOT.
l' ■ ——
NOUVELLES DE CHIN"
NOS PERTES A TUYEN-QUAN ET A DUOC
Les pertes du corps expéditionnaire du
Tonkin sont les suivantes :
Garnison de Tuyen-Quan (période du
siège) : 52 tués, dont 2 officiers; 33 blessés,
dont 1 officier.
Première brîgade (journées des 2 et 3
inars près de Tuyen-Quan) : 60 tués, dont 6
officiers; 133 blessés, dont 9 officiers.
La garnison de Tuyen-Quan était exacte -
ment de 592 hommes. En plus des tués et
blessés, dont nous avons donne le nombre,
une centaine d'hommes ont reçu des bles-
sures sans gravité, qui ne les ont pas em-
pêchés de prendre part à la défense jus-
Qu'au dernier moment.
- Somme toute, près du tiers de l'effectif
combattant a été atteint par le feu de l'en-
nemL
FÉLICITATIONS AU CORPS EXPÉDITIONNAIRE
Le gouvernement a envoyé ses félicita-
tions au général Brière de l'Isle.
Il lui a fait savoir que le commandant
Dominé, qui commandait l'héroïque gar-
nison de Tuyen-Quan, va être nommé pro-
chainement lieutenant-colonel.
DÉTAILS SUR L'AFFAIRE DE DUOC
Sontay, 8 mars, 8 h. soir.
Tuyen-Quan était assiégé depuis la fin de
janvier par Lu-Vinh-Phuoc, commandant en-
viron dix mille hommes, tant Pavillons-
Noirs que soldats réguliers. -
Après la prise de Langson, le général
Brière de l'Isle et le colonel Giovanninelli
marchèrent avec la première brigade au se-
cours de la ville. Le 2 mars, ils rencontrèrent
Lu-Vinh-Phuoc qui, à la tête d'environ huit
mille hommes, attendait les troupes fran-
çaises à Duoc dans des positions retranchées
formidables. Il s'est très courageuuement
défendu.
Malgré leur fatigue et l'infériorité du nom-
bre, les troupes françaises, habilement con-
duites, furent merveilleuses d'entrain 6t de
bravoure. Elles combattirent héroïquement
et enlevèrent trois forts défendus par des
mines. Le 3 mars, après un combat aussi
acharné que celui de la veille, elles s'empa-
rèrent des autres forts et mirent l'ennemi
en déroute. On délivra alors les assiégés. La
conduite du commandant Dominé, quia sou-
tenu héroïquement le siège dans Tuyeo-
Quan avec cinq cents hommes, a été admi-
rable.
Les assiégeants chinois éaient commandés
par des Européens. Ils avaient ouvert, mais
vainement, devant la ville plusieurs tran-
chées parallèles et fait saucer une partie des
remparts. *
L'ennemi avait même réussi à faire une
brèche au corps de place. La garnison a
repoussé victorieusement sept assauts suc-
cessifs et infligé à l'ennemi des pertes con-
sidérables.
Le général de Négrier vers Langson - a
poursuivi les Chinois jusqu'à la porte de
Chine ; il a pris deux fort? qui la défendaient,
une batterie de canons-revolvers, une de
canons Krupp et quantité de vivres et de
munitions.
La France doit être fière de ses vaillantes
troupes.
VISITE DES NEUTRES
Londres, 9 mars.
D'après une dépêche de Hong-Kong au
Standard, les Chinois se prépareraient à re-
prendre l'offensive au Tonkin.
Le même journal apprend de Shanghaï
que plusieurs steamers anglais et américains
allant à Tiontsin auraient été arrêtés par
les Français. Cette nouvelle aurait causé à
Shanghaï une grande sensation.
LE PARLEMENT
COURRIER DE LA CHAMBRE
Paris, 9 mars 1885.
Chacun s'attend à ce que sera la
séance : une parlotte de professeurs de
doctrines, un cours de droit constitu-
tionnel, quelque chose comme une ré-
duction de Congrès, — et de Congrès en
temps de pluie. Le côté piquant de l'af-
faire est de voir le cabinet, qui doit être
fort désireux de ne se livrer à aucune in-
terprétation de la Constitution, obligé
d'intervenir pour déclarer catégorique-
ment que telle ou telle interpréta-
tion ne saurait avoir son approbation.
Et le côté Intéressant consiste dans l'atti-
tude de la Droite, dont le jeu antiminis-
tériel (puisqu'elle a pour objectif cons-
tant de pousser au gâchis gouvernemen-
tal) se trouve en contradiction avec le jeu
de sa politique générale (puisqu'il s'agit,
en l'espèc3, de repousser en bloc le réta-
blissement de crédits afférents au budget
des Cultes).
La Droite a déposé, dès avant la séance,
un paquet d'amendements réclamant le
.rétablissement desdits crédits; ce peut
être là une façon de biseauter le vote.
Attendons.
Mais ne faisons pas languir le lecteur.
Comme il serait fastidieux de noter
dans leurs moindres détails les disserta-
tions de ce genre, disons immédiate-
ment que trois thèses sont tour à tour
développées.
La thèse du rejet en bloc, sans examen
d'aucune sorte, soutenue par M. Allain-
Targé. Logiquement, elle devrait s'appe-
ler la thèse de la question préalable ;
mais, comme l'a avoué M. Allain-Targé
dans une interruption : « Mieux vaut se
servir de formules courtoises. »
Elle s'appuie sur cette argumentation :
« Les députés ont seuls le droit d'initia-
tive budgétaire ; la question ne se serait
même jamais posée si, en 1876, M. Jules
Simon n'avait entrainé la Chambre à des
concessions de la nature de celles que
propose le rapport actuel ; avant la réu-
nion du Congrès, la Chambre avait pris
b résolution de maintenir intactes ses
"prérogatives financières ; voici l'heure
venue de tenir sa résolution. La commis-
sion, sur vingt-deux crédits rétablis, en a
choisi deux tout petits qu'elle admet ;
c'est une manière de masquer sous la mi-
sère de la somme l'énormité de l'aban-
don. »
Ajoutons que l'orateur ne se prive pas
de décocher à M. Jules Roche des épi-
grammes et qu'il est applaudi vigoureu-
sement par l'drême Gauche, — nous
aurons tout dit.
Une dernière observation toutefois. M.
Allain Targé a débuté par cet exorde :
« On s'exagère les difficultés, l'i ipor-
tance du conflit, pour parler le langage
courant. En fait, la Chambre a toute la-
titude de prendre la solution qui lui con-
vient ; il est très certain que le Sénat,
républicain comme nous l'avons mainte-
nant, pourra réserver ses prérogatives,
ses prétentions, mais ne nous acculera
pas à un conflit qui serait inquiétant pour
la République. » Ne trouvez-vous pas
qu'il y a quelque chose de naïf, d'ingnnu,
dans cette façon oratoire de dire qu'on a
bien autrement confiance dans la sagesse
du Sénat que dans la prudence de la
Chambre ?
Théorie n° 2. — C'est celle de M. Jules
Roche, rapporteur général.
« A l'inverse de ce qu'a prétendu M.
AlTiin-Targô, il n'y a pas d'innovation
dans le système de la commission, en-
core moins d'usurpation financière tolé-
rée de la part du Sénat ; il a toujours été
admis qu'on pouvait accepter une irré-
gularité de forme, pourvu que la doc-
trine ne fût pas compromise. Or, si la
commission a sanctionné deux petits ré-
tablissements de crédits, elle a inséré
dans son rapport qu'à la seconde délibé-
ration s'attache ce caractère que « la Cham-
bre n'a plus à délibérer, quoi qu'il ar-
rive ».
M. le rapporteur général provoque
quelques rumeurs, mais d'applaudisse-
ments, point. Un satisfecit cependant à
M. J. Roche pour ce coup droit allongé
à l'adversaire : « M. Allain-Targé a fait
partie de nombre de commissions de
budget : comment n'a-t-il jamais songé
à faire prévaloir la méthode qu'il préco -
nise aujourd'hui? »
Théorie n° 3. — M. Ribot l'expose avec
cette éloquence chaude, parfois non dé-
nuée d'amertume, qui caractérise sun
talent. Cette fois encore, M. Jules Roche
et sa casuistique servent de pelote aux
épigrammes.
Quant à la théorie, la voici en quelques
lignes : « Il n'y a qu'une solution logi-
que : subordonner une Chambre à l'au-
tre. Mais cette solution est si peu prati-
que dans une dualité de pouvoirs légis-
latifs, qu'on n'a jamais osé l'aborder.
Toutes les combinaisons cherchées ont
été reconnues inacceptables. Et alors il
ne reste plus qu'à laisser les deux Cham-
bres poursuivre les négociations, si labo-
rieuses qu'elles puissent être, jusqu'au
jour de l'accord, parce que c'est là le fond
même du régime parlementaire et de
notre Constitution. »
M. Ribot rencontre un chaud appui au
centre. Mais, en somme, la séance man-
que de vivacité; ce n'est même pas un as-
saut d'armes auquel nous assistons : tout
ce monde-là « tire le mur » avec plus ou
moins d'élégance.
On ne constate guère un peu d'anima-
tion qu'au moment où M. Floquet provo-
que le cabinet à saisir un fleuret.
« Le discours de M. Ribot appelle né-
cessairement une réponse du gouverne-
ment, puisque M. le président du conseil
s'est attaché jadis à démontrer qu'il ne
saurait y avoir égalité de droits pour les
deux Chambres. Donc, rien qu'un mot,
et je cède immédiatement la place au re-
présentant du gouvernement. Au be-
soin, j'accepterais la théorie de M. Jules
Roche, à la condition que le gouverne-
ment l'accepte aussi pleinement, c'est-à-
dire qu'il considère la vote de la Chambre
comme sans appel, sans cassation, et que
le budget, en sortant d'ici, aille tout droit
à l'Imprimerie nationale. Aux gestes
de M. le président du conseil, je vois
qu'il parait peu disposé à agir de la sorte.
Au moins portera-t-il au Sénat la doctrine
contenue dans le rapport de M. Jules
Roche?»
Le monologue est assez gai; il a un
succès de fou-rire.
Il amène la théorie ne 4, celle du pré-
sident du conseil. Maie celle-là n'est pas
d'une clarté éblouissante : la doctrine
« du dernier mot alternatif » accordé à
l'une et à l'autre Chambre n'est pas bien
saisie, et, comme toujours, rExlrême-
Gauche et la Droite profitent de l'occa-
sion pour égayer le discours ministériel.
La vérité est que M. Jules Ferry a fait
tous ses efforts, en juillet dernier, pour
arriver à faire fixer, d'une façon nette
et claire, l'interprétation de l'article 8 de
la Constitution. Il a échoué dans ses né-
gociations. Actuellement il est convaincu
que la formule est à peu près impossi-
file à trouver, et qu'il faut se contenter
d'établir une jurisprudence basée sur
l'idée de conciliation.
En ce qui concerne le rôle du gouver-
nement, la réponse est catégorique : « Il
est des questions que des hommes qui
connaissent la constitution de leur pays
ne devraient pas poser: le gouvernement
ne se reconnaît pas le droit de pro nul-
quer le budget sans la sanction des deux
Chambres. Nous nous trouverions donc,
si l'accord n'intervenait .pas, dans la né-
cessité très pénible, très affligeante, de
vous demander,des douzièmes provisoi-
res. »
La péroraison, très enlevée, très chauf-
fée, comme sait les préparer M. Jules
Ferry en pareille occurrence, est tout à
la fois un appel à la concorde entre ré-
publicains et une menace de conflit, avec
ses conséquences, à la veille d'élections
législatives.
Tâchons de résumer nos impressions :
le gouvernement repousse énergique-
ment la théorie de M. Allain-Targé, il
n'accepte pas celle de M. Jules Roche et
il ne veut pas avoir l'air de se rallier à
celle de M. Ribot.
i
, Voyant les choses tourner de la sorte,
le plus malin d'entre les bonapartistes,
M. Jolibois, s'élance. Il faut le voir
manœuvrer, avec l'astuce du renard qui
se Couline dans le fourré, sous les me-
nues branches !
Certes, ses amis et lui tiennent beau.
coup au vote des crédits conteslés, puis-
qu'ils sont affectés aux besoins du culte.
M. Jolibois prend un air ému.) Mais (ici
M. Jolibois passe à l'air noble, majes-
tueux) il y a une question plus haute :
on conteste à la Chambre des députés, à
la Chambre issue du suffrage universel,
sa souveraineté financière (à ce moment,
M. Jolibois. s'applique l'air n° 3, l'air il-
luminé) ; les principes sont engagés !
Et, d'un petit ton sceptique et persi-
fleur, M. Jolibois conclut: « En consé-
quence, nous voterons pour le rejet en
bloc. »
Cette manœuvre-là, nous l'attendions.
Elle était indiquée. Seulement elle jette
le désarroi dans les rangs de la Droite,
car les royalistes trouvent la farce un
peu raide. De ce côté de la salle, les col-
loques se poursuivent animés, très vifs.
Il nous semble que les royalistes s'abs-
tiennent pour la plupart, tandis que les
bonapartistes votent bleu.
Entre nous, le's coups de ce genre ne
valent quelque chose qu'à la condition de
réussir. Or 302 voix contre 192 repous-
sent le système du rejet en bloc.
La réaction en est pour sa palinodie.
Peut-être même la manœuvre aura-t-elle
des conséquences plus graves. On va
passer à la discussion des amendements.
Qui dit que la majorité républicaine du
Sénat, imitant la désinvolture avec la-
quelle la Droite sacrifie à la politique
« les m irtyra de la religion », ne se mon-
trera pas maintenant fort coulante sur
la suppression définitive de certains cré-
dits?—Tu l'auras voulu, Georges Dan-
din 1
PAUL LAFARGUE.
o
CA ET LA
Qui l'eût dit, que ce serait dans la
corporation des avocats que j'aurais à
signaler un jour un acte de fanatique
intolérance ?
Rien n'est pourtant plus vrai. Ecou-
tez cette histoire qu'une personne en
qui j'ai toute confiance me garantit ab-
solument exacte.
i Ces jours derniers mourait à Vesoul
un vieux républicain de la veille et
même de l'avant-veille, M. Louis Par-
rot, avocat, ancien procureur de la Ré-
publique après le 4 Septembre et -
notez ce dernier point, s'il vous plaît .;..
ancien bâtonnier.
1 M. Parrot avait cru de son honneur
de témoigner, jusque par delà la mort,
de sa fidélité aux convictions pour les-
quelles il avait toute sa vie combattu. Il
avait ordonné que ses obsèques fussent
purement civiles, et sa iamille, ou du
moins une partie de sa famille, avait
tenu à ce que les dernières volontés
de leur parent fussent respectées de
tous et que l'on s'y conformât.
M.Parrot fut donc enterré mardi der-
nier, sans que le clergé de la paroisse
eût été appelé à prêter son concours à
la cérémonie.
C'était le premier enterrement civil
que l'on eût encore vu à Vesoul. La
ville est très républicaine et libre-pen-
seuse ; c'est dire qu'une foule nom-
breuse se fit un devoir de suivre avec
sympathie le cercueil du défunt.
Dans cette foule qui se pressait der.}
rière te char, on remarquait le préfet, les
principaux f" onctionnaires de la ville,
les membres du tribunal civil et du
parquet, au grand complet, ainsi que
tous les avoués, le maire et ses ad-
joints, le conseil municipal, etc., etc
Mais savez-vous qui manquait a ces
obsèques d'un ancien bâtonnier? Un
représentant de l'ordre des avocats.
il paraît que le conseil de l'ordre s'é-
tait réuni @ pour agiter la question de
savoir si l'ordre des avocats serait offi-
ciellement représenté à cette cérémo-
nie. Il avait été décidé, à la suite d'une
longue délibération, que, les obsèques
étant purement civiles, l'ordre tout en-'
tier devait officiellement s'abstenir d'y
paraître'.
Oserai-je dire que c'est là un très
fâcheux précédent ?
Le défunt avait appartenu à l'ordre
des avocats; il lui avait fait honneur,'
puisqu'il avait été élu, bâtonnier. Au
temps où il était bâtonnier, et par consé-
quent chef de l'ordre, il professait sur
la religion catholique les mêmes opi-
nions et les mêmes sentiments dont il
avait témoigné à l'heure de sa mort.
Les avocats en avaient pris leur parti,
se disant sans doute que l'on peut être
un fort honnête homme et un avocat
très considéré, tout en restant un dé-
terminé libre-penseur.
Feuilleton du XIX* SIÊCLB 1
* Du U Mars 1885 i
:—: i
- (25)
UNE FOLIE
xv
r— suite —
Presque avec violence, il l'attira de
nouveau vers lui et la regarda dans les
yeux. Malgré sa colère de mari bravé,
jamais peut-être il n'avait été plus amou-
reux qu'en ce moment. Mais Fleurette
n'était plus maîtresse d'elle-même. Elle
brava son regard : elle ne voulait plus
de cet amour d'occasion qui l'avilissait
à ses propres yeux. Elle lui dit d une
voix rauque:
- Je ne vous aime pas, je ne vous
aime plus!
il recula, la regardant encore. Cela lui
semblait t impossible. L'idée que Fleurette
pourrait un jour ne Das l'aimer ne
lui était jamais venue à l'esprit. Elle l'a-
vait si bien accoutumé à une tendresse
enveloppante, à un dévouement sans
bornes, cela lui semblait si bien dû que,
sans cet amour-là. une partie même de'
sa vie était atteinte.
Pourquoi, si elle avait souffert, ne lui
en avait-elle rien dit? Elle ne lui avait
jamais adressé un seul reproche, et il
s'était habitué à en prendre à son aise
avec elle. Aussi sa conscience n'était pas
bien rassurée; au milieu même de sa
colère, il savait que dans les accusations
passionnées de Fleurette il y avait beau-
coup de vérité. Mais pourquoi ces repro-
ches avaient-ils éclaté ainsi tout d'un
coup, furieusement. Etait- elle donc ja-
louse de Bethe Ferraysac? Ces ques
tions lui venaient tumultuèusement, sans
qu'il y pût repondl'e; il était fasciné par
TReprodcctïoa îaleniUe,
le regard étrange de sa femme. Cepen-
dant son amour-propre était encore plus
blessé que son amour ; il n'attendit que
deux secondes avant de dire très froide-
ment :
-C'est très bien. le ne suispas homme à
exiger l'amour : il se donne, il se reprend
aussi. Seulement, comme je pense que
vous ne tenez pas plus que moi à mettre
tout le monde dans nos secrets, vous au-
rez la bonté d'agir comme par le passé.
Nos différends ne regardent que nous
deux; nous continuerons pour les autres
d'être ce que nous avons toujours été :
le modèle des époux. Plus tard, s'il vous
répugne trop de vivre sous le même toit
que votre mari, nous aviserons; jus-
qu'alors, je vous traiterai avec tout le
respect et tous les égards qui vous sont
dus; veuillez, de votre côté, ne rien
changer à votre façon d'être. Mon pacte
voussemble-t-il acceptable?
Fleurette inclina la tête, et Maurice,
la saluant froidement, quitta le boudoir.
La pauvre enfant resta sans mouve-
ment. Qu'avait-elle fait? Déjà elle n'y
comprenait plus rien; elle avait été com-
me transportée par une violence terrible
au delà de sa volonté. Et c'était fini, cette
fois, bien fini 1 L'amour de son mari, qui
semblait sur le point de se réveiller, elle
l'avait tué. C'est que cet amour-là, ce ca-
price d'homme, l'humiliait: elle voulait
être sa femme dans toute l'acception du
mot, vivre de sa vie, serrée contre lui,
sans secrets, sans réticences, le cœur. ou-
vert. Et au lieu de lui expliquer cela, de
lui faire comprendre qu'elle souffrait
cruellement de ne pas être aimée ainsi,
elle lui avait crié qu'elle ne l'aimait
pas.
Mais ilreviendrait. Il devait compren-
dre qu'elle avait eu un moment de folie,
et que ce qu'elle lui disait ainsi n'était
pas, ne pouvait pas être vrai ! Le temps
passait pourtant, et il ner revenait pas.
Elle attendit des heures, toujours dans la
même attitude. Enfin le désespoir la Drit.
Elle se laissa tonber à terre et étouffa
ses sanglots contre des CQussins.
- Ce n'est pas vrai, mon Men-aimé!
Je t'aime, Maurice je t'aime, mon war1$
plus quejamais.-Tu n'entends donc pas?
A la fin, lasse, sans espoir maintenant,
elle se traîna jusqu'à sa chambre, tra-
versant la maison silencieuse et endor-
mie.
Maurice, en quittant sa femme, furieux
etsombre, se heurta presque contre Mme
Ferraysac qui se préparait à descendre ;
évidemment son pied allait mieux, car
elle ne boitait plus du tout.
- Eh bien! beau ténébreux, quel air
tragique avez-vous là? Dites 1 L'explica-
tion conjugale a donc été orageuse ? Con-
tez-moi cela.
Maurice, sans répondre, l'attira sous la
lampe du long couloir où ils se trouvaient,
et laregarda ; elle ne soutint pas ce re-
gard. Alors, brutalement, il la prit dans
ses bras et posa ses lèvres brûlantes sur
les lèvres fraîches de la jeune femme.
Rerthe ploya, souple et féline, sous
cette caresse furieuse. Elle le regardait
maintenant, et il crut entendre comme
dans un soupir ce mot : « Enfin !. ».
XVI
Au milieu de cette grande maisonnée,
de ces gens, dont l'unique occupation
était de se divertir, de la jeunesse qui
ébauchait de petits romans innocents,
tout à côté de Fleurette qui souffrait en
silence, l'intrigue banale et honteuse sui-
vait son cours. Berthe, qui eûtdonnéson
âme pour une sensation nouvelle, se jeta
à corps perdu dans ce qu'elle croyait être
la passion. Elle devint d'une jalousie fé-
roce : sa haine pour son ancienne amie
ne se déguisait plus. Lorsqu'elle surpre-
nait chez son amant un souvenir attristé
du passé, une attention délicate pour sa
femme qu'il trompait, sa colère devenait
terrible ; Maurice la sentait capable alors
dé se perdre afin de le perdre avec elle.
II maudissait cette minute de folie pro-
voquée par le dépit. Il se jugeait et se
méprisait : mais il était trop tard.
Ferraysac était revenu. La maladie de
sa mère; une de ces maladies lentes,mais
qui ne pardonnent pas, était entrée dans
une période de calme, et il avait pu la
quitter. Sa préoccupation, sa tristesse évi-
dente contrastaient avec la gaieté fébrile
de Berthe; on les observait tout deux avec
curiosité. Parfois Fleurette et Ferraysac se
rencontraient dans les grandes pièces
obscurcies et désertes. Tous deux avaient
l'air de chercher quelque chose ; ils se
troublaient visiblement ; puis bientôt se.
mettaient à causer de chQses indifférentes,
très amicalement cependant : ils se com-
prenaient, et éprouvaient l'un pour l'autre
une vague compassion.
La société était maintenant au grand
complet : chaque jour c'était quelque
nouvelle fête organisée par le beau mar-
quis: ce qu. ne l'empêchait pas de faire
de petites fugues à Paris de temps à autre.
Maurice, lui aussi, s'absentait fréquem-
ment. Un soir il revint l'air sombre, et
moins maître de lui qu'il ne l'était d'or-
dinaire, mais. on n'y fit pas grande atten-
tion. Le marquis avaitpassé toute la jour-
née au château, très affairé, préparant
des tableaux vivants. On improvisait des
costumes, et avec son tact et sa belle hu-
meur le marquis trouvait moyen de met-
tre tout le monde d'accord; de contenter
toutes les femmes ; de persuader à cha-
cune que le rôle qui lui incombait était le
plus important.
Maurice, dès qu'il le put, s'approcha de
son beau-père et lui dit bas :
— J'ai à vous parler — tout de suite.
Mais le moyen d'arracher le marquis à
ces dames ! Maurice, malgré lui, dut res-
ter dans le cercle bruyant, donner son
avis, proposer des sujets. Les yeux de
Fleurette étaient-fixés sur lui, et ces
yeux-là lui faisaient mal.
Enfin, au.moment du dîner, le marquis
se dégagea et alla s'accouder à la fenêtre
où son gendre l'attendait. On eùt dit un
bout de causerie amicale, très courte du
reste.
— Me voici : qu'est-ce ?
— Monsieur le marquis, je pense qu'un
voyage vous serait nécessaire ; vous avez
mauvaise mine depuis quelque temps.
Croyez-moi, l'air de France ne vous vaut
rien.
— Ce qui veut dire ?
— Ce qui veut dire, monsieur que
vous avez été pris hier trichant au jeu.
Excusez la crudité de mon langage; je
n'ai pas le temps de chercher des péri-
phrases. On consent à étouffer l'affaire
pourvu que vos. dupes recouvrent ies
sommes perdues. Je ne tiens pas à avoir
un beau-père poursuivi comme escroc :
je paierai. Seulement, partez, partez de
suite! Je le veux!
— Vous n'y pensez pas, mon cher Mau-
rice. Et les tableaux vivants? Vous ne
vous imaginez pas la rage de toutes ces
femmes honnêtes de s'exhiber en public !
Et, sans moi, la chose serait manquée.
Maurice regarda son beau-père bien en
face, et le marquis soutint ce regard sans
broncher. Il avait cependant pâli légère-
ment.
— Je crois que vous ne comprenez pas
bien, monsieur. Vous êtes pourtanthom-
me d'esprit. Je ne m'attendais pas à être
forcé de souligner.
— Vous avez raison, mon cher. Je suis
homme d'esprit, et je comprends très
bien. La partie est perdue. Basta! on
retaillera un petit bac dans la salle à
côté, voilà tout !
r- Pas à côté, monsieur le marquis,
pas à côté 1
— Façon de dire, tout cela, monsieur
le sous-secrétaire d'Etat. Ce que vous
voulez me/faire comprendre, c'est qu'à
Paris mon jour est fini. La dernière
orange est sucée : c'est grand dommage !
Mais Paris n'est pas la seule grande
ville sur notre globe.
— Vous êtes signalé partout, dans tous
les grands cercles du monde, — du
monde entier, entendez-vous? Partout
vous trouverez la porte fermée.
— Diable 1 voilà bien du tapage pour
une bagatelle ! Mais c'est le fait des pe-
tites gens d'être rancuniers; je ne leur
en veux pas, on ne se refait pas à sou-
hait. Et, puisque ces petites gens tien-
nent à leur argent, veuillez leur remet-
tre ce portefeuille de ma part; mes gains
d'hier y sont intacts. Vous n'aurez pas
à ouvrir votre bourse, mon cher gendre.
- Et vos frais de voyage ?
- Vous y tenez donc beaucoup, à ce
voyage ? N'ayez cure. Tout est arrangé
depuis longtemps: mes frais de voyage;
I •. •'
d'arrivée, de séjour, tout cela est prêt..
Si nous nous mettions à table ? J'ai une
faim de loup. Fleurette nous observe; il
ne faut pas qu'elle se doute que la com-
munication que vous venez de me faire a
la moindre importance. A propos, mon
cher, votre femme est triste. La négli-
geriez-vous, par hasard? Prenez-garde i
les consolateurs ne manquent jamais à
une jolie femme délaissée.
La soirée fut la plus gaie du monde.
Jamais le marquis ne s'était montré aussi
galant, aussi charmeur. Les tableaux
étaient très réussis ; pas une femme ne
savait, comme lui, chiffonner une étoffe,
faire valoir la blancheur de la peau, l'é-
clat des yeux, le velouté des joues. Une
lumière bien disposée, des couleurs ad-
mirablement combinées, mettaient en
relief la beauté et la jeunesse, et don-
naient du piquant même à la laideur.
On se sépara très tard et à regret. Le
lendemain, on devait faire une grande ex-
cursion dans les bois, diner sur l'herbe
et danser jusqu'à la nuit au son d'un vio-
lon de village.
— Vous avez besoin de repos, mesda-
mes ; gageons que je serai levé le pre-
mier !. Nous partons à neuf heures, on
laissera les retardataires à la maison.
C'est du dévouement tout pur de ma part.
car je dora si mal la nuit que je suis
obligé de me rattraper le matin.
Il s'esquiva. Jamais il n'avait semble
si gai, si jeune. Maurice le suivit des
yeux; il n'y comprenait rien.
Le lendemain matin, le beau marquis
ne fut pas le premier levé ; toute la jeu-
nesse en riait. On déjeuna lestement;
les voitures, Chargées de paniers, étaient
rangées devant le pefi\?n ; les impatients
prenaient déjà place.
— Comment! c'est le marquis 2ui est
le retardataire? Mais nous allons le)algegr
à la maison! s'écria Solange de sa voix
vibrante, parlant exprès sous la fenêtre
encore fermée. Lucie, ma chère petite
tante, si tu allais voir un peu ce que fait
ton paresseux de père?
JEANNE MAIRET.
(A suivre)
Prix du numéro à Paris 15 centimes — Départements: 20 centimes
Mercredi li Mars 1885
LE XIX SIEÏilili
JOURNAL RÉPUBLICAIN CONSERVATEUR
REDACTION
S'adresser au Secrétaire de la Rédaction
de 2 heures à minuit
!28. M-Xxga Cadet, 16
'[AsManuscrits non insérés ns seront pas rendus
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Trois mois t « »»
Six mois 32 »»
'Un an. C& )
PARIS 1
Trois mois. i ft
Six mois.;
Un an. 60 J»»
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Les aboanem18 partent des ter et 15 de chaçpn mGis\
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S.S. ru© Cadet, 16
les Lettres, non affranchies seront refusëei
1 EN VENTE A LONDRES
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Egypte. 345 25, 346 87.
Turc ï ; t 18 50, 65, 60.
PARIS, 10 MARS 1885
Nous savons aujourd'hui ce qu'ont
coûté de sang français les dernières vic-
toires remportées par notre brave ar-
mée du Tonkin. Il était temps que le
général Brière de rlsle arrivât au se-
cours de la petite garnison assiégée dans
Tuyen-Quan. Depuis la fin du mois de
janvier, depuis près de quarante-cinq
jours, cinq cents hommes se défendaient
là contre huit mille assaillants. Ils n'ont
pas eu un moment de défaillance, bien
qu'une brèche eût été o a verte, et que
parmi eux un homme sur trois eût été
atteint; ils ont tenu bon et repoussé
toutes les attaques. C'est en même
temps que nous avons appris et leur
délivrance et les périls qu'ils avaient
courus. Honneur à ces vaillants! et fé-
licitons M. le ministre de la guerre de
n'avoir pas attendu un jour avant de ré-
compenser, par le grade de lieutenant-
colonel, leur digne chef, le comman-
dant Dominé. -
L'affaire a été chaude aussi pour la
brigade Giovanninelli, qui était chargée
de débloquer Tuyen-Quan. Pour enlever
les positions formidables occupées par
les Pavillons-Noirs. il a fallu combattre
deux jours entiers, et aussi sacrifier
bien des vies précieuses. Mais, en dépit
de tous les obstacles, l'avantage nous
est resté. Les Pavillons-Noirs n'oublie-
ront pas la leçon sévère et pour eux si
inattendue qu'ils viennent de recevoir.
Ce qui importe maintenant, c'est que
tant de sacrifices ne soient pas perdus,
et ils ne porteront leurs fruits que si
• nous sommes décidés à pousser énergi-
quement et rapidement les avantages
que nous venons de remporter. Finis-
sons-en avec la Chine d'abord, et quand
les Pavillons-Noirs seront réduits à
eux seuls, quand ils ne seront plus
soutenus par l'Empire du Milieu, nous
aurons bientôt fait de purger le Tonkin
des brigands qui l'infestent. '--
Les récents débats du Parlement alle-
mand et du Parlement anglais viennent
d'apprendre à ceux qui auraient pu
l'ignorer encore ce qu'est la diplomatie
européenne à Fépoque où nous vivons.
11 y a deux ans, M. de Bismarck offrait à
r Angleterre, à propos de l'Egypte., uu
marché quelle a refusé alors et que
peut-être depuis elle s'est bien repentie
d'avoir refusé. M. de Bismarck a ré-
pondu en lui .montrant autant de mau-
vaise volonté qu'il avait montré d'abord
de complaisance. Quels sont les mar-
chés d'hier de M. de Bismarck? Quels
sont ceux d'aujourd'hui? Quels seront
ceux de demain? La seule conclusion à
tirer de toutes ces révélations, c'est
qu'avec les mœurs de « courtage hon-
nête » qui se sont introduites, selon
l'expression du chancelier de fer et sur-
tout grâce à lui, dans la diplomatie, il
n'est plus d'alliance sur laquelle une
nation puisse compter. Un engagement
vaut tout juste pour la minute durant
laquelle il est conclu. La seule garantie
d'indépendance pour une nation, c'est
d'être à toute heure prête à se défendre
contre celui-là même qui lui prodiguait
le- plus les démonstrations d'amitié.
N'oublions pas cette leçon, et rame-
nons, le plus tôt que nous le pourrons,
nos flottes dans nos ports et nos régi-
ments sur notre sol. Ne laissons passe
prolonger dans l'Extrême-Orient une
lutte qui, en un cas de complication
européenne, imprévu mais toujours à
prévoir, pourrait devenir pour nous un
sérieux embarras. Et pour cela il n'est
qu'un moyen, c'est de faire là-bas le
nécessaire, c'est d'aller vite à Pékin,
s'il faut aller à Pékin d'abord pour con-
quérir la paix sur la Chine, pour nous
assurer la possession incontestée du
Tonkin, où le drapeau français a été
planté, où le sang de nos soldats a fait
la terre française. Il est inadmissible
que tant d'efforts et de sacrifices héroï-
ques ne produisent pas un résultat utile
à la patrie, et il importe à notre sécu-
rité que ces lointaines expéditions ne se
prolongent pas.
C'est pourquoi nous ne regrettons
pas cette interpellation de M. Granet
qui doit venir en discussion jeudi pro-
chain. Peu nous importe la pensée qui
a inspiré son auteur et la forme qu'il
a cru devoir lui donner. Elle sera —et
cela seul nous intéresse — pour le mi-
nistère une occasion de faire connaître
ses desseins, pour la Chambre une oc-
casion de manifester son patriotisme,
d'exprimer sa reconnaissance envers les
marins et les soldats qui ont si bien mé-
rité de la France, de leur donner aussi
et le concours moral et l'appui matériel
dont ils ont besoin pour continuer leur
oI!ude lâche et la mener à bien.
CHARLES BIGOT.
l' ■ ——
NOUVELLES DE CHIN"
NOS PERTES A TUYEN-QUAN ET A DUOC
Les pertes du corps expéditionnaire du
Tonkin sont les suivantes :
Garnison de Tuyen-Quan (période du
siège) : 52 tués, dont 2 officiers; 33 blessés,
dont 1 officier.
Première brîgade (journées des 2 et 3
inars près de Tuyen-Quan) : 60 tués, dont 6
officiers; 133 blessés, dont 9 officiers.
La garnison de Tuyen-Quan était exacte -
ment de 592 hommes. En plus des tués et
blessés, dont nous avons donne le nombre,
une centaine d'hommes ont reçu des bles-
sures sans gravité, qui ne les ont pas em-
pêchés de prendre part à la défense jus-
Qu'au dernier moment.
- Somme toute, près du tiers de l'effectif
combattant a été atteint par le feu de l'en-
nemL
FÉLICITATIONS AU CORPS EXPÉDITIONNAIRE
Le gouvernement a envoyé ses félicita-
tions au général Brière de l'Isle.
Il lui a fait savoir que le commandant
Dominé, qui commandait l'héroïque gar-
nison de Tuyen-Quan, va être nommé pro-
chainement lieutenant-colonel.
DÉTAILS SUR L'AFFAIRE DE DUOC
Sontay, 8 mars, 8 h. soir.
Tuyen-Quan était assiégé depuis la fin de
janvier par Lu-Vinh-Phuoc, commandant en-
viron dix mille hommes, tant Pavillons-
Noirs que soldats réguliers. -
Après la prise de Langson, le général
Brière de l'Isle et le colonel Giovanninelli
marchèrent avec la première brigade au se-
cours de la ville. Le 2 mars, ils rencontrèrent
Lu-Vinh-Phuoc qui, à la tête d'environ huit
mille hommes, attendait les troupes fran-
çaises à Duoc dans des positions retranchées
formidables. Il s'est très courageuuement
défendu.
Malgré leur fatigue et l'infériorité du nom-
bre, les troupes françaises, habilement con-
duites, furent merveilleuses d'entrain 6t de
bravoure. Elles combattirent héroïquement
et enlevèrent trois forts défendus par des
mines. Le 3 mars, après un combat aussi
acharné que celui de la veille, elles s'empa-
rèrent des autres forts et mirent l'ennemi
en déroute. On délivra alors les assiégés. La
conduite du commandant Dominé, quia sou-
tenu héroïquement le siège dans Tuyeo-
Quan avec cinq cents hommes, a été admi-
rable.
Les assiégeants chinois éaient commandés
par des Européens. Ils avaient ouvert, mais
vainement, devant la ville plusieurs tran-
chées parallèles et fait saucer une partie des
remparts. *
L'ennemi avait même réussi à faire une
brèche au corps de place. La garnison a
repoussé victorieusement sept assauts suc-
cessifs et infligé à l'ennemi des pertes con-
sidérables.
Le général de Négrier vers Langson - a
poursuivi les Chinois jusqu'à la porte de
Chine ; il a pris deux fort? qui la défendaient,
une batterie de canons-revolvers, une de
canons Krupp et quantité de vivres et de
munitions.
La France doit être fière de ses vaillantes
troupes.
VISITE DES NEUTRES
Londres, 9 mars.
D'après une dépêche de Hong-Kong au
Standard, les Chinois se prépareraient à re-
prendre l'offensive au Tonkin.
Le même journal apprend de Shanghaï
que plusieurs steamers anglais et américains
allant à Tiontsin auraient été arrêtés par
les Français. Cette nouvelle aurait causé à
Shanghaï une grande sensation.
LE PARLEMENT
COURRIER DE LA CHAMBRE
Paris, 9 mars 1885.
Chacun s'attend à ce que sera la
séance : une parlotte de professeurs de
doctrines, un cours de droit constitu-
tionnel, quelque chose comme une ré-
duction de Congrès, — et de Congrès en
temps de pluie. Le côté piquant de l'af-
faire est de voir le cabinet, qui doit être
fort désireux de ne se livrer à aucune in-
terprétation de la Constitution, obligé
d'intervenir pour déclarer catégorique-
ment que telle ou telle interpréta-
tion ne saurait avoir son approbation.
Et le côté Intéressant consiste dans l'atti-
tude de la Droite, dont le jeu antiminis-
tériel (puisqu'elle a pour objectif cons-
tant de pousser au gâchis gouvernemen-
tal) se trouve en contradiction avec le jeu
de sa politique générale (puisqu'il s'agit,
en l'espèc3, de repousser en bloc le réta-
blissement de crédits afférents au budget
des Cultes).
La Droite a déposé, dès avant la séance,
un paquet d'amendements réclamant le
.rétablissement desdits crédits; ce peut
être là une façon de biseauter le vote.
Attendons.
Mais ne faisons pas languir le lecteur.
Comme il serait fastidieux de noter
dans leurs moindres détails les disserta-
tions de ce genre, disons immédiate-
ment que trois thèses sont tour à tour
développées.
La thèse du rejet en bloc, sans examen
d'aucune sorte, soutenue par M. Allain-
Targé. Logiquement, elle devrait s'appe-
ler la thèse de la question préalable ;
mais, comme l'a avoué M. Allain-Targé
dans une interruption : « Mieux vaut se
servir de formules courtoises. »
Elle s'appuie sur cette argumentation :
« Les députés ont seuls le droit d'initia-
tive budgétaire ; la question ne se serait
même jamais posée si, en 1876, M. Jules
Simon n'avait entrainé la Chambre à des
concessions de la nature de celles que
propose le rapport actuel ; avant la réu-
nion du Congrès, la Chambre avait pris
b résolution de maintenir intactes ses
"prérogatives financières ; voici l'heure
venue de tenir sa résolution. La commis-
sion, sur vingt-deux crédits rétablis, en a
choisi deux tout petits qu'elle admet ;
c'est une manière de masquer sous la mi-
sère de la somme l'énormité de l'aban-
don. »
Ajoutons que l'orateur ne se prive pas
de décocher à M. Jules Roche des épi-
grammes et qu'il est applaudi vigoureu-
sement par l'drême Gauche, — nous
aurons tout dit.
Une dernière observation toutefois. M.
Allain Targé a débuté par cet exorde :
« On s'exagère les difficultés, l'i ipor-
tance du conflit, pour parler le langage
courant. En fait, la Chambre a toute la-
titude de prendre la solution qui lui con-
vient ; il est très certain que le Sénat,
républicain comme nous l'avons mainte-
nant, pourra réserver ses prérogatives,
ses prétentions, mais ne nous acculera
pas à un conflit qui serait inquiétant pour
la République. » Ne trouvez-vous pas
qu'il y a quelque chose de naïf, d'ingnnu,
dans cette façon oratoire de dire qu'on a
bien autrement confiance dans la sagesse
du Sénat que dans la prudence de la
Chambre ?
Théorie n° 2. — C'est celle de M. Jules
Roche, rapporteur général.
« A l'inverse de ce qu'a prétendu M.
AlTiin-Targô, il n'y a pas d'innovation
dans le système de la commission, en-
core moins d'usurpation financière tolé-
rée de la part du Sénat ; il a toujours été
admis qu'on pouvait accepter une irré-
gularité de forme, pourvu que la doc-
trine ne fût pas compromise. Or, si la
commission a sanctionné deux petits ré-
tablissements de crédits, elle a inséré
dans son rapport qu'à la seconde délibé-
ration s'attache ce caractère que « la Cham-
bre n'a plus à délibérer, quoi qu'il ar-
rive ».
M. le rapporteur général provoque
quelques rumeurs, mais d'applaudisse-
ments, point. Un satisfecit cependant à
M. J. Roche pour ce coup droit allongé
à l'adversaire : « M. Allain-Targé a fait
partie de nombre de commissions de
budget : comment n'a-t-il jamais songé
à faire prévaloir la méthode qu'il préco -
nise aujourd'hui? »
Théorie n° 3. — M. Ribot l'expose avec
cette éloquence chaude, parfois non dé-
nuée d'amertume, qui caractérise sun
talent. Cette fois encore, M. Jules Roche
et sa casuistique servent de pelote aux
épigrammes.
Quant à la théorie, la voici en quelques
lignes : « Il n'y a qu'une solution logi-
que : subordonner une Chambre à l'au-
tre. Mais cette solution est si peu prati-
que dans une dualité de pouvoirs légis-
latifs, qu'on n'a jamais osé l'aborder.
Toutes les combinaisons cherchées ont
été reconnues inacceptables. Et alors il
ne reste plus qu'à laisser les deux Cham-
bres poursuivre les négociations, si labo-
rieuses qu'elles puissent être, jusqu'au
jour de l'accord, parce que c'est là le fond
même du régime parlementaire et de
notre Constitution. »
M. Ribot rencontre un chaud appui au
centre. Mais, en somme, la séance man-
que de vivacité; ce n'est même pas un as-
saut d'armes auquel nous assistons : tout
ce monde-là « tire le mur » avec plus ou
moins d'élégance.
On ne constate guère un peu d'anima-
tion qu'au moment où M. Floquet provo-
que le cabinet à saisir un fleuret.
« Le discours de M. Ribot appelle né-
cessairement une réponse du gouverne-
ment, puisque M. le président du conseil
s'est attaché jadis à démontrer qu'il ne
saurait y avoir égalité de droits pour les
deux Chambres. Donc, rien qu'un mot,
et je cède immédiatement la place au re-
présentant du gouvernement. Au be-
soin, j'accepterais la théorie de M. Jules
Roche, à la condition que le gouverne-
ment l'accepte aussi pleinement, c'est-à-
dire qu'il considère la vote de la Chambre
comme sans appel, sans cassation, et que
le budget, en sortant d'ici, aille tout droit
à l'Imprimerie nationale. Aux gestes
de M. le président du conseil, je vois
qu'il parait peu disposé à agir de la sorte.
Au moins portera-t-il au Sénat la doctrine
contenue dans le rapport de M. Jules
Roche?»
Le monologue est assez gai; il a un
succès de fou-rire.
Il amène la théorie ne 4, celle du pré-
sident du conseil. Maie celle-là n'est pas
d'une clarté éblouissante : la doctrine
« du dernier mot alternatif » accordé à
l'une et à l'autre Chambre n'est pas bien
saisie, et, comme toujours, rExlrême-
Gauche et la Droite profitent de l'occa-
sion pour égayer le discours ministériel.
La vérité est que M. Jules Ferry a fait
tous ses efforts, en juillet dernier, pour
arriver à faire fixer, d'une façon nette
et claire, l'interprétation de l'article 8 de
la Constitution. Il a échoué dans ses né-
gociations. Actuellement il est convaincu
que la formule est à peu près impossi-
file à trouver, et qu'il faut se contenter
d'établir une jurisprudence basée sur
l'idée de conciliation.
En ce qui concerne le rôle du gouver-
nement, la réponse est catégorique : « Il
est des questions que des hommes qui
connaissent la constitution de leur pays
ne devraient pas poser: le gouvernement
ne se reconnaît pas le droit de pro nul-
quer le budget sans la sanction des deux
Chambres. Nous nous trouverions donc,
si l'accord n'intervenait .pas, dans la né-
cessité très pénible, très affligeante, de
vous demander,des douzièmes provisoi-
res. »
La péroraison, très enlevée, très chauf-
fée, comme sait les préparer M. Jules
Ferry en pareille occurrence, est tout à
la fois un appel à la concorde entre ré-
publicains et une menace de conflit, avec
ses conséquences, à la veille d'élections
législatives.
Tâchons de résumer nos impressions :
le gouvernement repousse énergique-
ment la théorie de M. Allain-Targé, il
n'accepte pas celle de M. Jules Roche et
il ne veut pas avoir l'air de se rallier à
celle de M. Ribot.
i
, Voyant les choses tourner de la sorte,
le plus malin d'entre les bonapartistes,
M. Jolibois, s'élance. Il faut le voir
manœuvrer, avec l'astuce du renard qui
se Couline dans le fourré, sous les me-
nues branches !
Certes, ses amis et lui tiennent beau.
coup au vote des crédits conteslés, puis-
qu'ils sont affectés aux besoins du culte.
M. Jolibois prend un air ému.) Mais (ici
M. Jolibois passe à l'air noble, majes-
tueux) il y a une question plus haute :
on conteste à la Chambre des députés, à
la Chambre issue du suffrage universel,
sa souveraineté financière (à ce moment,
M. Jolibois. s'applique l'air n° 3, l'air il-
luminé) ; les principes sont engagés !
Et, d'un petit ton sceptique et persi-
fleur, M. Jolibois conclut: « En consé-
quence, nous voterons pour le rejet en
bloc. »
Cette manœuvre-là, nous l'attendions.
Elle était indiquée. Seulement elle jette
le désarroi dans les rangs de la Droite,
car les royalistes trouvent la farce un
peu raide. De ce côté de la salle, les col-
loques se poursuivent animés, très vifs.
Il nous semble que les royalistes s'abs-
tiennent pour la plupart, tandis que les
bonapartistes votent bleu.
Entre nous, le's coups de ce genre ne
valent quelque chose qu'à la condition de
réussir. Or 302 voix contre 192 repous-
sent le système du rejet en bloc.
La réaction en est pour sa palinodie.
Peut-être même la manœuvre aura-t-elle
des conséquences plus graves. On va
passer à la discussion des amendements.
Qui dit que la majorité républicaine du
Sénat, imitant la désinvolture avec la-
quelle la Droite sacrifie à la politique
« les m irtyra de la religion », ne se mon-
trera pas maintenant fort coulante sur
la suppression définitive de certains cré-
dits?—Tu l'auras voulu, Georges Dan-
din 1
PAUL LAFARGUE.
o
CA ET LA
Qui l'eût dit, que ce serait dans la
corporation des avocats que j'aurais à
signaler un jour un acte de fanatique
intolérance ?
Rien n'est pourtant plus vrai. Ecou-
tez cette histoire qu'une personne en
qui j'ai toute confiance me garantit ab-
solument exacte.
i Ces jours derniers mourait à Vesoul
un vieux républicain de la veille et
même de l'avant-veille, M. Louis Par-
rot, avocat, ancien procureur de la Ré-
publique après le 4 Septembre et -
notez ce dernier point, s'il vous plaît .;..
ancien bâtonnier.
1 M. Parrot avait cru de son honneur
de témoigner, jusque par delà la mort,
de sa fidélité aux convictions pour les-
quelles il avait toute sa vie combattu. Il
avait ordonné que ses obsèques fussent
purement civiles, et sa iamille, ou du
moins une partie de sa famille, avait
tenu à ce que les dernières volontés
de leur parent fussent respectées de
tous et que l'on s'y conformât.
M.Parrot fut donc enterré mardi der-
nier, sans que le clergé de la paroisse
eût été appelé à prêter son concours à
la cérémonie.
C'était le premier enterrement civil
que l'on eût encore vu à Vesoul. La
ville est très républicaine et libre-pen-
seuse ; c'est dire qu'une foule nom-
breuse se fit un devoir de suivre avec
sympathie le cercueil du défunt.
Dans cette foule qui se pressait der.}
rière te char, on remarquait le préfet, les
principaux f" onctionnaires de la ville,
les membres du tribunal civil et du
parquet, au grand complet, ainsi que
tous les avoués, le maire et ses ad-
joints, le conseil municipal, etc., etc
Mais savez-vous qui manquait a ces
obsèques d'un ancien bâtonnier? Un
représentant de l'ordre des avocats.
il paraît que le conseil de l'ordre s'é-
tait réuni @ pour agiter la question de
savoir si l'ordre des avocats serait offi-
ciellement représenté à cette cérémo-
nie. Il avait été décidé, à la suite d'une
longue délibération, que, les obsèques
étant purement civiles, l'ordre tout en-'
tier devait officiellement s'abstenir d'y
paraître'.
Oserai-je dire que c'est là un très
fâcheux précédent ?
Le défunt avait appartenu à l'ordre
des avocats; il lui avait fait honneur,'
puisqu'il avait été élu, bâtonnier. Au
temps où il était bâtonnier, et par consé-
quent chef de l'ordre, il professait sur
la religion catholique les mêmes opi-
nions et les mêmes sentiments dont il
avait témoigné à l'heure de sa mort.
Les avocats en avaient pris leur parti,
se disant sans doute que l'on peut être
un fort honnête homme et un avocat
très considéré, tout en restant un dé-
terminé libre-penseur.
Feuilleton du XIX* SIÊCLB 1
* Du U Mars 1885 i
:—: i
- (25)
UNE FOLIE
xv
r— suite —
Presque avec violence, il l'attira de
nouveau vers lui et la regarda dans les
yeux. Malgré sa colère de mari bravé,
jamais peut-être il n'avait été plus amou-
reux qu'en ce moment. Mais Fleurette
n'était plus maîtresse d'elle-même. Elle
brava son regard : elle ne voulait plus
de cet amour d'occasion qui l'avilissait
à ses propres yeux. Elle lui dit d une
voix rauque:
- Je ne vous aime pas, je ne vous
aime plus!
il recula, la regardant encore. Cela lui
semblait t impossible. L'idée que Fleurette
pourrait un jour ne Das l'aimer ne
lui était jamais venue à l'esprit. Elle l'a-
vait si bien accoutumé à une tendresse
enveloppante, à un dévouement sans
bornes, cela lui semblait si bien dû que,
sans cet amour-là. une partie même de'
sa vie était atteinte.
Pourquoi, si elle avait souffert, ne lui
en avait-elle rien dit? Elle ne lui avait
jamais adressé un seul reproche, et il
s'était habitué à en prendre à son aise
avec elle. Aussi sa conscience n'était pas
bien rassurée; au milieu même de sa
colère, il savait que dans les accusations
passionnées de Fleurette il y avait beau-
coup de vérité. Mais pourquoi ces repro-
ches avaient-ils éclaté ainsi tout d'un
coup, furieusement. Etait- elle donc ja-
louse de Bethe Ferraysac? Ces ques
tions lui venaient tumultuèusement, sans
qu'il y pût repondl'e; il était fasciné par
TReprodcctïoa îaleniUe,
le regard étrange de sa femme. Cepen-
dant son amour-propre était encore plus
blessé que son amour ; il n'attendit que
deux secondes avant de dire très froide-
ment :
-C'est très bien. le ne suispas homme à
exiger l'amour : il se donne, il se reprend
aussi. Seulement, comme je pense que
vous ne tenez pas plus que moi à mettre
tout le monde dans nos secrets, vous au-
rez la bonté d'agir comme par le passé.
Nos différends ne regardent que nous
deux; nous continuerons pour les autres
d'être ce que nous avons toujours été :
le modèle des époux. Plus tard, s'il vous
répugne trop de vivre sous le même toit
que votre mari, nous aviserons; jus-
qu'alors, je vous traiterai avec tout le
respect et tous les égards qui vous sont
dus; veuillez, de votre côté, ne rien
changer à votre façon d'être. Mon pacte
voussemble-t-il acceptable?
Fleurette inclina la tête, et Maurice,
la saluant froidement, quitta le boudoir.
La pauvre enfant resta sans mouve-
ment. Qu'avait-elle fait? Déjà elle n'y
comprenait plus rien; elle avait été com-
me transportée par une violence terrible
au delà de sa volonté. Et c'était fini, cette
fois, bien fini 1 L'amour de son mari, qui
semblait sur le point de se réveiller, elle
l'avait tué. C'est que cet amour-là, ce ca-
price d'homme, l'humiliait: elle voulait
être sa femme dans toute l'acception du
mot, vivre de sa vie, serrée contre lui,
sans secrets, sans réticences, le cœur. ou-
vert. Et au lieu de lui expliquer cela, de
lui faire comprendre qu'elle souffrait
cruellement de ne pas être aimée ainsi,
elle lui avait crié qu'elle ne l'aimait
pas.
Mais ilreviendrait. Il devait compren-
dre qu'elle avait eu un moment de folie,
et que ce qu'elle lui disait ainsi n'était
pas, ne pouvait pas être vrai ! Le temps
passait pourtant, et il ner revenait pas.
Elle attendit des heures, toujours dans la
même attitude. Enfin le désespoir la Drit.
Elle se laissa tonber à terre et étouffa
ses sanglots contre des CQussins.
- Ce n'est pas vrai, mon Men-aimé!
Je t'aime, Maurice je t'aime, mon war1$
plus quejamais.-Tu n'entends donc pas?
A la fin, lasse, sans espoir maintenant,
elle se traîna jusqu'à sa chambre, tra-
versant la maison silencieuse et endor-
mie.
Maurice, en quittant sa femme, furieux
etsombre, se heurta presque contre Mme
Ferraysac qui se préparait à descendre ;
évidemment son pied allait mieux, car
elle ne boitait plus du tout.
- Eh bien! beau ténébreux, quel air
tragique avez-vous là? Dites 1 L'explica-
tion conjugale a donc été orageuse ? Con-
tez-moi cela.
Maurice, sans répondre, l'attira sous la
lampe du long couloir où ils se trouvaient,
et laregarda ; elle ne soutint pas ce re-
gard. Alors, brutalement, il la prit dans
ses bras et posa ses lèvres brûlantes sur
les lèvres fraîches de la jeune femme.
Rerthe ploya, souple et féline, sous
cette caresse furieuse. Elle le regardait
maintenant, et il crut entendre comme
dans un soupir ce mot : « Enfin !. ».
XVI
Au milieu de cette grande maisonnée,
de ces gens, dont l'unique occupation
était de se divertir, de la jeunesse qui
ébauchait de petits romans innocents,
tout à côté de Fleurette qui souffrait en
silence, l'intrigue banale et honteuse sui-
vait son cours. Berthe, qui eûtdonnéson
âme pour une sensation nouvelle, se jeta
à corps perdu dans ce qu'elle croyait être
la passion. Elle devint d'une jalousie fé-
roce : sa haine pour son ancienne amie
ne se déguisait plus. Lorsqu'elle surpre-
nait chez son amant un souvenir attristé
du passé, une attention délicate pour sa
femme qu'il trompait, sa colère devenait
terrible ; Maurice la sentait capable alors
dé se perdre afin de le perdre avec elle.
II maudissait cette minute de folie pro-
voquée par le dépit. Il se jugeait et se
méprisait : mais il était trop tard.
Ferraysac était revenu. La maladie de
sa mère; une de ces maladies lentes,mais
qui ne pardonnent pas, était entrée dans
une période de calme, et il avait pu la
quitter. Sa préoccupation, sa tristesse évi-
dente contrastaient avec la gaieté fébrile
de Berthe; on les observait tout deux avec
curiosité. Parfois Fleurette et Ferraysac se
rencontraient dans les grandes pièces
obscurcies et désertes. Tous deux avaient
l'air de chercher quelque chose ; ils se
troublaient visiblement ; puis bientôt se.
mettaient à causer de chQses indifférentes,
très amicalement cependant : ils se com-
prenaient, et éprouvaient l'un pour l'autre
une vague compassion.
La société était maintenant au grand
complet : chaque jour c'était quelque
nouvelle fête organisée par le beau mar-
quis: ce qu. ne l'empêchait pas de faire
de petites fugues à Paris de temps à autre.
Maurice, lui aussi, s'absentait fréquem-
ment. Un soir il revint l'air sombre, et
moins maître de lui qu'il ne l'était d'or-
dinaire, mais. on n'y fit pas grande atten-
tion. Le marquis avaitpassé toute la jour-
née au château, très affairé, préparant
des tableaux vivants. On improvisait des
costumes, et avec son tact et sa belle hu-
meur le marquis trouvait moyen de met-
tre tout le monde d'accord; de contenter
toutes les femmes ; de persuader à cha-
cune que le rôle qui lui incombait était le
plus important.
Maurice, dès qu'il le put, s'approcha de
son beau-père et lui dit bas :
— J'ai à vous parler — tout de suite.
Mais le moyen d'arracher le marquis à
ces dames ! Maurice, malgré lui, dut res-
ter dans le cercle bruyant, donner son
avis, proposer des sujets. Les yeux de
Fleurette étaient-fixés sur lui, et ces
yeux-là lui faisaient mal.
Enfin, au.moment du dîner, le marquis
se dégagea et alla s'accouder à la fenêtre
où son gendre l'attendait. On eùt dit un
bout de causerie amicale, très courte du
reste.
— Me voici : qu'est-ce ?
— Monsieur le marquis, je pense qu'un
voyage vous serait nécessaire ; vous avez
mauvaise mine depuis quelque temps.
Croyez-moi, l'air de France ne vous vaut
rien.
— Ce qui veut dire ?
— Ce qui veut dire, monsieur que
vous avez été pris hier trichant au jeu.
Excusez la crudité de mon langage; je
n'ai pas le temps de chercher des péri-
phrases. On consent à étouffer l'affaire
pourvu que vos. dupes recouvrent ies
sommes perdues. Je ne tiens pas à avoir
un beau-père poursuivi comme escroc :
je paierai. Seulement, partez, partez de
suite! Je le veux!
— Vous n'y pensez pas, mon cher Mau-
rice. Et les tableaux vivants? Vous ne
vous imaginez pas la rage de toutes ces
femmes honnêtes de s'exhiber en public !
Et, sans moi, la chose serait manquée.
Maurice regarda son beau-père bien en
face, et le marquis soutint ce regard sans
broncher. Il avait cependant pâli légère-
ment.
— Je crois que vous ne comprenez pas
bien, monsieur. Vous êtes pourtanthom-
me d'esprit. Je ne m'attendais pas à être
forcé de souligner.
— Vous avez raison, mon cher. Je suis
homme d'esprit, et je comprends très
bien. La partie est perdue. Basta! on
retaillera un petit bac dans la salle à
côté, voilà tout !
r- Pas à côté, monsieur le marquis,
pas à côté 1
— Façon de dire, tout cela, monsieur
le sous-secrétaire d'Etat. Ce que vous
voulez me/faire comprendre, c'est qu'à
Paris mon jour est fini. La dernière
orange est sucée : c'est grand dommage !
Mais Paris n'est pas la seule grande
ville sur notre globe.
— Vous êtes signalé partout, dans tous
les grands cercles du monde, — du
monde entier, entendez-vous? Partout
vous trouverez la porte fermée.
— Diable 1 voilà bien du tapage pour
une bagatelle ! Mais c'est le fait des pe-
tites gens d'être rancuniers; je ne leur
en veux pas, on ne se refait pas à sou-
hait. Et, puisque ces petites gens tien-
nent à leur argent, veuillez leur remet-
tre ce portefeuille de ma part; mes gains
d'hier y sont intacts. Vous n'aurez pas
à ouvrir votre bourse, mon cher gendre.
- Et vos frais de voyage ?
- Vous y tenez donc beaucoup, à ce
voyage ? N'ayez cure. Tout est arrangé
depuis longtemps: mes frais de voyage;
I •. •'
d'arrivée, de séjour, tout cela est prêt..
Si nous nous mettions à table ? J'ai une
faim de loup. Fleurette nous observe; il
ne faut pas qu'elle se doute que la com-
munication que vous venez de me faire a
la moindre importance. A propos, mon
cher, votre femme est triste. La négli-
geriez-vous, par hasard? Prenez-garde i
les consolateurs ne manquent jamais à
une jolie femme délaissée.
La soirée fut la plus gaie du monde.
Jamais le marquis ne s'était montré aussi
galant, aussi charmeur. Les tableaux
étaient très réussis ; pas une femme ne
savait, comme lui, chiffonner une étoffe,
faire valoir la blancheur de la peau, l'é-
clat des yeux, le velouté des joues. Une
lumière bien disposée, des couleurs ad-
mirablement combinées, mettaient en
relief la beauté et la jeunesse, et don-
naient du piquant même à la laideur.
On se sépara très tard et à regret. Le
lendemain, on devait faire une grande ex-
cursion dans les bois, diner sur l'herbe
et danser jusqu'à la nuit au son d'un vio-
lon de village.
— Vous avez besoin de repos, mesda-
mes ; gageons que je serai levé le pre-
mier !. Nous partons à neuf heures, on
laissera les retardataires à la maison.
C'est du dévouement tout pur de ma part.
car je dora si mal la nuit que je suis
obligé de me rattraper le matin.
Il s'esquiva. Jamais il n'avait semble
si gai, si jeune. Maurice le suivit des
yeux; il n'y comprenait rien.
Le lendemain matin, le beau marquis
ne fut pas le premier levé ; toute la jeu-
nesse en riait. On déjeuna lestement;
les voitures, Chargées de paniers, étaient
rangées devant le pefi\?n ; les impatients
prenaient déjà place.
— Comment! c'est le marquis 2ui est
le retardataire? Mais nous allons le)algegr
à la maison! s'écria Solange de sa voix
vibrante, parlant exprès sous la fenêtre
encore fermée. Lucie, ma chère petite
tante, si tu allais voir un peu ce que fait
ton paresseux de père?
JEANNE MAIRET.
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