Titre : Le XIXe siècle : journal quotidien politique et littéraire / directeur-rédacteur en chef : Gustave Chadeuil
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1885-03-10
Contributeur : Chadeuil, Gustave (1821-1896). Directeur de publication
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Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
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Description : 10 mars 1885 10 mars 1885
Description : 1885/03/10 (A15,N4811). 1885/03/10 (A15,N4811).
Droits : Consultable en ligne
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Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-199
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 09/04/2013
Quinzième aDne. -AB-N° 481 t Prix du numéro à Paris 15 centimes — Départements: 20 centimes Mardi 10 Mars 1885
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PARIS, 9 MARS 1885
M. Edouard Hervé, directeur du So-
icil, a inventé ce qu'il appelle « la mo-
narchie démocratique ) et comme à
tous les inventeurs son invention lui est
chère. Il veut le rétablissement de la
monarchie traditionnelle en la personne
de M. le comte de Paris : mais il veut
cette monarchie appuyée sur le suffrage
universel et se réclamant de lui.
A quoi les bonapartistes comme M.Ro-
bert Mitchell répondent que la monar-
chie admettant le principe de la souve-
raineté populaire n'est plus la monar-
chie., mais une simple contrefaçon de
l'Empire, tandis que les légitimisles de
la Gazette de France répondent de leur
côté que consentira soumettre au suf-
frage les droits de la monarchie héré-
ditaire, c'est saper le principe même
sur lequel cette monarchie prétend
s'appuyer.
M.Hervé réplique, et il faut bien
avouer que sur le terrain de la discus-
sion pure son argumentation est faible.
De deux choses l'une en effet. Ou la
souveraineté appartient à la nation et
alors il n'est point de droit monarchi-
que héréditaire. Ou un homme est né
le souverain d'un pays de par le seul
fait de sa naissance, et alors comment
faire appel sans contradiction à la sou-
veraineté nationale, qui n'existe pas? il
n'y a pas à échapper aux termes de ce
dilemme. La souveraineté est une et
ne peut pas se trouver en deux endroits
à la fois. Ou la monarchie ou la démo-
cratie, il faut choisir. La « monarchie
démocratique » de M. Hervé fait invo-
lontairement songer à cette formule :
« la monarchie-empire-république » que
proposait certain prophète vers l'an de
grâce 1869.
- M. Hervé raisonne mieux quand il sou-
tient qu'il faut bien aujourd'hui qu'un
gouvernement se soumette à la ratifi-
cation populaire, qu'elle plaise ou non.
Il dit vrai ; mais c'est là justement la
preuve que les temps de la monarchie
sont passés.
« Examinons, écrit-il, les choses dans
la pratique : mettons-nous en face de la
réalité.
» Un gouvernement ne peut s'établir
que de deux manières : par la force ou
par le consentement du pays.
» Veut-on faire la monarchie par la
force ?
» Non.
» Alors il faut la faire par le consen-
tement du pays.
» Veut-on faire la monarchie à coups
de fusil?
» Non.
» Alors il faut la faire à coups de bul-
letins de vote. »
C'est quelque chose de renoncer à
faire la monarchie par la force. Est-il
plus facile de la faire « à coups de bul-
letin » ? Nous en doutons un peu. Mais
voici en tout cas l'inconvénient des bul-
tins : ils peuvent changer avec le temps.
S'ils ont le droit de faire la monarchie,
ils auraient de même le droit de la dé-
faire le jour où elle aurait cessé de
plaire.
M. Hervé — et cela se comprend -
s'empresse de protester contre celte
conclusion :
« S'ensuit-il de là qu'une fois la mo-
narchie établie, on doive la remettre
perpétuellement aux voix?
» Pas le moins du monde.
, » Le jour où un pays revient à la
monarchie, cela prouve qu'il veut la
stabilité.
» Or cette stabilité n'existerait pas
si la monarchie était à chaque moment
remise en question.
» Il serait absurde de mettre aux voix
le gouvernement de la reine Victoria
ou celui de l'empereur François-Joseph.
» Quand le pacte entre la monarchie
et le pays a été déchiré par les événe-
ments, il faut le refaire.
» Quand au contraire ce pacte existe
depuis longtemps, il ne serait pas rai-
sonnable de le mettre en question. »
Conclusion : on consultera le suffrage
universel une fois — pour faire la mo-
narchie. — Le lendemain du jour où il
l'aura faite, il n'aura plus de droits. La
souveraineté aura passé tout entière au
monarque, et après lui elle passera par
héritage à sa postérité. On autorise la
souveraineté nationale à prendre la pa-
role une fois — pour abdiquer.
Il est difficile d'avouer plus claire-
ment que, pour les monarchistes, dé-
mocrates ou non, aussi bien que pour
les impérialistes, la souveraineté natio-
nale ne peut être qu'un mot, et la cé-
rémonie où elle est consultée qu'une
comédie.
CHARLES BIGOT.
—————— -
NOUVELLES DE CHINE
NOUVELLE DÉPÊCHE DU GÉNÉRAL
BRIÈRE DE L'ISLE
Le ministre de la guerre a reçu la dépê-
che suivante du général commandant le
corps expéditionnaire du Tonkin :
« Sontav, 7 mars, midi 30.
»3 mars. Suis arrivé à Tuyen-Quanavec la
tre brigade aujourd'hui, à 4 heures du soir.
» Les Pavillons-Noirs et l'armée du Yun-
nan, fortement étab'is, fermaient un défilé
à flancs inaccessibles. Ils avaient établi des
forts et trois lignes successives de tran-
chées en avant de Duoc.
» Le combat a été très chaud, nos troupes
plus admirables que jamais.
» L'ennemi a levé le siège de Tuyen-Quan
la nuit dernière.
» La garnison a combattu dix-huit jours
après l'ouverture de la première brèche au
corps de place, a soutenu sept assauts et
causé des pertes immenses a 1 ennemi.
» Ce siège doit compter parmi les belles
pages de notre histoire.
» La canonnière la Mitrailleuse a pris une
belle part à la défense.
» Du côté de Langson, le général de Né-
grier a détruit les forts chinois de la fron-
tière avec de grandes quantités de munitions
et de magasins, habillements, etc. Il a fait
sauter la porte de Chine.
» Général BRIÈRE DE L'IsLE.»
————-———- —————————
A LA CONFERENCE MOLE
Les jeunes gens qui s'exercent à
l'art de penser juste et de bien dire
dans cette parlotte, devenue célèbre
sous le nom de conférence Molé, ont
mis tout dernièrement à l'ordre du jour
l'examen de la loi du 29 juillet 1$81,
en vertu de laquelle les œuvres litté-
raires peuvent être poursuivies pour
outrages aux bonnes mœurs.
L'un d'eux, M. Henri Robert, a été
chargé de présenter un rapport sur la
question. 11 a conclu à la suppression
de la loi. Je ne puis mieux faire que de
mettre sous les yeux l'exposé des mo-
tifs qui ouvre son rapport et lui sert de
préface :
Messieurs,
Dans deux affaires identiques (procès Des-
prez — procès Bonnetain), le jury de la
Seine, a prononcé, à huit jours d'intervalle
une coudain nation et un acquittement.
Une aussi regrettable cuiitr&diction mon-
tre l'insufisance du jury en pareille ma-
tière.
Confier la connaissance de ces délits aux
juges correctionnels serait peut-être assurer
une unité de jurisprudence. indispensable,
mais certainement s'exposer à ce que les
littérateurs fussent jugés" avec trop de sé-
vérité.
En théorie, on doit laisser à la littérature
la liberté la plus large. En pratique, la pour-
suite est inutile et dangereuse. Inutile, parce
qu'elle est toujours tardive et que, par con-
séquent, tout le monde a pu lire l'ouvrage :
le mal est déjà fait. Dangereuse, parce que
le procès ne peut que donner un regain de
succès et d'actualité à un livre presque ou-
blié: le mal est aggravé.
En vertu de ces considérations sommaires,
j'ai l'honneur, messieurs, de vous présenter
le projet de loi suivant :
PROJET DE LOI
Article unique
L'article 28 de la loi du 29 juillet 1881 est
abrogé. -
L'article 28, visé par le projet de loi,
est celui qui punit l'outrage aux bon-
nes mœurs, commis dans les œuvres
littéraires, d'un emprisonnement d'un
mois à deux ans, et d'une amende de
16 à 2,000 francs. La connaissance de
ces délits est confiée à la cour d'as-
sises.
Je vois qu'une des raisons qui ont
décidé les jeunes gens de la conférence
Molé à déposer leur projet de loi, c'est
que le jury, dans deux affaires identi-
ques, à huit jours d'intervalle, a pro-
noncé ici un acquittement et là une
condamnation.
Ce qui nous a paru nuisible à la bonne
administration de la justice, ajoutent ils
dans leur rapport, c'est l'extrême mobilité
du jury. Le juré a un tempérament de pa-
risienne nerveuse et impressionnable. Il faut
l'émouvoir et le flatter avec une délicatesse
infinie. Si l'on se résout à cet artifice, on est
sûr du succès.
Tout dépend ici du système de défense de
l'accusé. S'il traite le jury comme un vieil-
lard dont on supporte toutes les fantaisies,
dont ou admire toutes les paroles, — pour
être certain d'en conserver l'héritage — oh 1
alors il n'a rien à craindre ! Les deux pro-
cès qui ont donné l'idée de ce projet de loi
sont une preuve irréfutable à l'appui de
cette opinion. M. Desprez a contesté avec
arrogance la compétence du jury; M. Bon-
netain, au contraire, s'est fait humble et
caressant. Conclusions prévues : une con-
damnation pour l'un ; un acquittement pour
l'autre.
Ces messieurs ne se sont pas aperçus
qu'en parlant de la sorte ils n'allaient
à rien moins qu'à renverser et à dé-
truire l'institution du jury elle-même.
Ce n'est pas seulement quand le jury
a des ouvrages pornographiques à ju-
ger qu'il est nerveux et impressionna-
ble comme une jolie femme. Il porte ce
même tempérament dans toutes les
causes. Toujours il aime que l'on ca-
resse son amour-propre, que l'on flatte
ses préjugés ou ses manies ; toujours il
se regimbe si l'on s'avise de le pren-
dre à rebrousse-poils ; et bien souvent
un malheureux accusé a payé de la pri-
son ou du bagne la sottise ou l'imperti-
nence de son avocat.
Est-ce une raison suffisante pour sup-
primer le jury?
Remarquez bien que si l'on a institué
le jury, c'est précisément afin d'avoir
pour juges, au lieu de magistrats sévè-
rement attachés au texte de la loi et
inaccessibles à toute considération de
sentiment, de bons bourgeois cherchant
ïa vérité aux sim >Ies lumières du bon
sens et cédant aux influences très di-
verses venues les unes du dehors, et
les autres nées du tond de leur propre
cœur.
C'est là le caractère propre du jury,
qu'il ne se laisse guère conduire qu'au
sens individuel et à l'impression du
moment.
11 est donc variable par essence.
Se plaindre qu'il le soit, c'est se
plaindre qu'il soit ce qu'il doit être :
car on ne l'a institué que parce qu'il
est seul capable de s'écarter du point
fixe, qui est la loi,' pour tenir compte
du sentiment, qui change sans cesse.
Ces jeunes gens s'étonnent et se plai-
gnent qu'à huit jours de distance, dans
deux affaires- d'outrages aux bonnes
mœurs commises par la voie du livre,
affaires identiques, disent-ils, le jury
ait prononcé ici un acquittement et là
une condamnation.
On dirait vraiment que c'est la pre-
mière fois qu'un pareil phénomène se
produit I Mais rien n'est plus fréquent
que ces contradictions, et dans des
procès d'une autre importance que ceux
qui avaient été intentés à MM. Bonne-
tain et Desprez. Deux filles jettent du
vitriol au nez de leurs amants: l'une
est acquittée, l'autre en a pour trois
ans de détention. Où tel parricide est
condamné à mort, tel autre, dont le
crime est tout aussi avéré, béuéficie de
circonstances atténuantes, à moins
même qu'il ne soit renvoyé absous.
Il n'y a qu'heur et malheur en ce
monde: Mais, avec ses rigueurs parfois
bizarres ou ses indulgences inexplica-
bles, le jury n'en est pas moins une
institution très bienfaisante et très utile:
on en peut souhaiter la réforme, mais
personne ne songe à le supprimer.
Je dirais volontiers que le jury est
une chose excellente, mais que les jurés
sont souvent des nigauds ; comme M.
Prudhomme prétendait qu'il faut res-
pecter les arts et mépriser les artistes.
La vérité est qu'en effet je ne crois
pas que le jury, tel qu'il est composé
aujourd'hui, soit très capable de résou-
dre les questions qui lui sont proposées,
lorsqu'on lui défère des ouvrages obscè-
nes ou pornographiques. Ces questions
sont très délicates, et exigent pour être
tranchées des esprits rompus au ma-
niement de l'analyse psychologique.
Je pense qu'on pourrait l'améliorer
aisément, en n'inscrivant sur les listes
de jury que des hommes qui eussent
reçu un certain degré d'éducation, et
surtout en instituant des jurys particu-
liers pour certaines catégories d'affaires
qui seraient déterminées par la loi.
Mais, sous prétexte que le jury peut
se tromper, abroger la loi qui'autorise
les poursuites conîre tel ou tel délit,
c'est imiter l'exemple de Girardin qui
supprimait l'adultère en supprimant le
mariage lui-même.
Son raisonnement était des plus sim-
ples. Il n'y aurait jamais d'adultères
s'il n'y avait pas de gens mariés. Re-
tranchons le mariage légal de notre ci-
vilisation, nous en aurons parjeeia même
enlevé l'adultère.
Et, de même, le jury commet des er-
reurs quand on lui donne des écrivains
à juger. La façon la plus simple de lui
supprimer toute possibilité d'erreur,
c'est de lui enlever toute possibilité de
juger. Il n'y a qu'à ne pas poursuivre
les écrivains coupables d'outrages aux
bonnes mœurs : le jury ne pourra plus
se tromper, par l'excellente raison
qu'on ne le consultera plus jamais.
Et cependant il est bien difficile de
laisser la justice absolument désarmée
devant certaines publications où l'inten-
tion comme l'exécution est évidemment
pornographique.
Tenez ! justement, je recevais ce ma-
tin d'une librairie belge un volume
que je ne veux pas nommer, de peur*
de lui faire une réclame. Tout en le
coupant, j'en ai lu au hasard quelques
bouts de chapitre. C'est l'histoire d'une
fille dans une maison de filles; toutes
ses sensations y sont décrites avec une
complaisance extraordinaire ; tout ce
qu'il y a de plus vil dans ces mœurs
ordurières est exposé dans un détail
d'un cynisme écœurant. Tout cela sous
couleurs de naturalisme.
Le naturalisme, pour certaines gens,
n'est qu'un prétexte à dire de grosses
cochonneries, et une excuse à les avoir
dites.
J'ignore s'il vaut la peine de pour-
suivre ce volume, et je craindrais qu'un
procès ne lui fût une réclame très re-
tentissante et très fructueuse.
Mais, ma foi ! si le cœur en disait au
parquet, je ne vois pas pourquoi il n'y
aurait pas dans l'arsenal de notre légis-
lation un texte de loi qui autorisât ces
poursuites.
Je ne trouverais aucun inconvénient
à ce qu'au moyen d'une forte amende
on fît rendre gorge et à l'éditeur et à
l'écrivain.
C'est une spéculation qu'ils ont faite,
et une spéculation honteuse. Qui les
plaindrait si de cette spéculation ils
ne gardaient que la honte, après avoir
restitué l'argent?
FRANCISQUE SARCEV.
————————————
CHINE ET TONKIN
Une nouvelle dépêche du général
Brière de l'Isle est parvenue hier au mi-
nistère de la guerre. Elle est plus expli-
cite que la première et permet de recons-
tituer à peu près le combat qui a mis fin
au siège de Tuyen-Quan. On sait main-
tenant de source certaine que les Pavil-
lons-Noirs et l'armée du Yunnan ont op-
posé une résistance des plus sérieuses.
Ils étaient établis solidement à Duoc,
dans un défilé où ils avaient accumulé
les moyens de défense, des forts en terre,
trois lignes successives de tranchées.
Duoc est situé à trois kilomètres en
avant de Tuyen-Quan. C'est une très
forte position que commande l'un des
passages les plus difficiles de la rivière
Claire.
Depuis plusieurs mois, le général en
chef en avait compris l'importance, d'a-
près les rapports du colonel Duchesne et
à la suite de'la campagne vigoureuse en-
treprise par cet officier au mois de no-
vembre dernier.
Duoc avait été occupé quelques jours
par une compagnie d'infanterie de ma-
rine. Mais l'effectif du corps expédition-
naire n'avait pas permis de renforcer
cette petite garnison.
Les Pavillons-Noirs, d'autre part, mul-
tipliaient leurs efforts tant sur Duoc que
sur Tuyen-Quan. Dans l'impossibilité où
l'on était de leur tenir tête sur les deux
points à la fois, il avait fallu abandonner
Duoc, et la compagnie d'infanterie de
marine avait reçu l'ordre de rentreI" à
Tuyen-Quan. C'est précisément là qu'a eu
lieu le principal effort de la défense or-
ganisée par Lu-Vinh-Pbuoc. Il n'a pas
fallu moins de deux jours pour venir à
bout de la résistance de l'ennemi.
L'action engagée le 2 mars au malin
par la brigade Giovaiinineili n'a pris il n
que le 3 à quatre heures de l'après-midi.
Les Chinois ont été mis en déroute
complète avec des pertes considérables.
Le général Brière de l'Isle ne les évalue
pas et reste muet aussi sur les nôtres. Il
est malheureusement trop certain que
les deux journées des 2 et 3 mars ont été
des plus meurtrières.
Tuyen-Quan est maintenant déblo-
quée. Depuis dix-huit jours la première
brèche était ouverte dans le cjrps de
place et la garnison avait eu à repous-
ser sept assauts successifs.
Le siège de Tuyen-Qu:a est le plus
bel épisode de la campagne du Tonkin et
le général Brière de l'Isle a pu dire avec
un accent de vérité auquel on ne se
trompe pas que « ce siège doit compter
parmi les belles pages de notre histoire ».
Le commandant Dominé, qui, avec un
petit bataillon, a tenu tête pendant des
mois à l'armée du Yunnaa, est un très
jeune officier ; il a à peine trente ans.
L'opinion publique apprendrait avec
satisfaction que le ministre de la guerre
a déjà récompensé cO,l:me ils le méri-
taient les vaillants défenseurs dans la
personne de leur chef.
Soyons justes pour le ministre de la
marine : en pareille circonstance, il au-
rait déjà répondu à la dépêche iiu géné-
ral Brière de l'Isle par un décret nom-
mant le commandant Dominé au grade
de lieutenant-colond.
D'après le télégramme qui nous ap-
porte la nouvelle du beau suc -ès de
Tuyen-Quan, le général Brière de l'Isle
aurait rétrogradé vers SOBtay.
On suptos ; que son intention est de
lancer une colunne vers Titan-Qua-), qui
se trouve à vingl-dnq kilonaètrjs à l'ouest
de Phu-Duoe, sur le fleuve Ilouge.
Il est fort possible en elfet que les Pa-
villons-Noirs se soient ralliés autour de
ce poste qu'ils ont occupé dès les pre-
miers jours de l'invasion da rronkin par
les troupes du Yunnan. En tous les cas,
la positron a une grande importance
puisque c'est par là que Lu-Vinh PhUoc
a reçu ses rentorts et ses approvisionne-
ments depuis le commencement de la
campagne. Tout donne à penser que le
général Brière de l'Isle, élargissant son
cercle d'action, voudra s'établir à Tuyen-
Quan — qui eomplète la défense de la
rivière Glaire et ferme un débouché du
fleuve Rouge — pendant que le général
de Négrier, poursuivant sa marche au
nord de Langson tient les portics de la
frontière chinoise sur le SOllg-Ki-KQllg.
C'est-à-dire qu'à l'heure actuelle les
positions que nons occupens forment un
demi-cercle qui s'ouvre à Bong-Hoa sur la
rivière Noire, passe à Tuyen-Quan sur
la rivière Claire et conpe la frontière de
Chine au dessus de Langson. En dehors
de ce cercle nous sommes à Sontay et à
Hanoï, sur le fleuve Rouge, à Bac-Ninh)
au-dessus du canal des Rapides, à Thaï-
Nguyen, sur le Song-CI.) à Kep et à
Bac-Lé, sur le Song-Tuoag, à Chu, dans
la vallée du Lochnam, maîtres de nos
communications avec Langson à l'est,
avec Nam-Dinh sur le Day, à l'ouest.
Enfin les deux armées d'invasion du
Kuang-Si et du Yunnan sont en pleine
déroute.
En deux mots, notre situation est
devenue tout à fait bonne, et s'il n'est
pas permis de dire que la Daciucation du
Tonkin central et méridional est achevée,
du moins la résis! ancë des réguliers et
des irréguliers est brisée et les velléités
belliqueuses de la cour de Pékin peut-
être lassées.
- Louis HENRIQUB
Feuilleton du XIxo SIÈCLR
Du iO Mars 1885
(24)
UNE FOLIE
xv
— suite —
Fleurette qui avait espéré un peu de
repos pendant l'été/qui avait rêvé cruel-
ques semaines au moins, de solitude à
deux, retrouva aux « Ombrages » la vie
de Paris, mais plus enfiévrée et plus
folle. Son mari, sous prétexte de travail,
avait choisi une petite chambre aussi
loin que possible du bruit et du mouve-
ment. Il s'y enfermait souvent. Parfois
aussi il allait à Paris et y passait plu-
sieurs jours. Il en serait donc toujours
ainsi ? Cependant, si on avait dit à Mau-
rice qu'il négligeait sa femme, il en eût
été bien surpris. Il avait pour elle des
attentions charmantes, lui rapportait des
petits cadeaux de Paris, la grondait dou-
cement de ses joues pâles, et la suppliait
de se soigner, de ne pas trop se fatiguer
dans les parties où Solange mettait sa
verve endiablée.
Fleurette ne demandait pas mieux que
de prétexter sa santé, un peu frêle en ce
moment, Dour se dérober aux cavalcades,
aux bals improvises, aux pics-nicc;
mais, sans se l'avouer à elle-même peut-
être, ce qu'elle évitait plus encore que la
fatigue, c'était la société de Berthe, qui
trônait au milieu de lajeunesse, qui jouait
presque à la maîtresse de maison. Le
marquis et elle étaient les boute-en-train
de la société. Son mari, à peine arrivé
chez les Darboys, avait été appelé par
dépêche auprès de sa mère malade.
Berthe, qui n'aimait pas les gens malades,
était restée auprès de ses amis.
Beproduction interdite..
Un jour on organisa une grande partie
pour aller visiter les ruines de Port-
Royal, situées assez loin de la maison.
Toute la société — on n'était pas très
nombreux en ce moment - devait passer
la nuit dans un château du voisinage
pour ne revenir que le lendemain. Mau-
rice s'excusa : il était forcé d'aller au mi-
nistère ; il conseilla à sa femme de rester
tranquillement à la maison et lui dit :
— Je reviendrai souper avec vous Lu-
cie, un peu lard, en tête-à-tête, voulez-
vous ? Il y a longtemps que cela ne nous
est arrivé !
Si elle le voulait 1. L'après-midi, quand
elle vit partir toute la bande joyeuse, elle
était si heureuse qu'elle avait envie de
chanter. Pourquoi donc avait-elle souf-
fert, pourquoi avait-elle douté? Mau-
rice l'aimait ; dans son baiser d'adieu, il
y avait plus que de l'affection paisible, il
y avait de la passion. Ah I elle aurait le
courage de lui raconter ses souffrances
passées, des souffrances imaginaires dont
elle rougissait déjà. Une explication bien
franche, bien loyale, mettrait fin à ce ma-
lentendu qui, elle ne savait trop comment,
s'était élevé entre eux. Elle lui dirait que,
si elle avait eu parfois le ml du pays, si
elle avait rêvé de revoir sa chère villa, il
pouvait d'un mot effacer toutes ses tris-
tesses.
Elle avait de plus un secret à lui con-
fier, une espéunce encore incertaine,
mais qui se confirmait pourtant, et la
remplissait d'une joie étrange.
Pour mieux savourer le bonheur en-
trevu, elle s'enfonça dans le parc un peu
sauvage qu'elle aimait. Ce n'était pas la
merveilleuse nature du Midi, mais les
eaux vives, les vieux arbres où nichaient
des milliers d'oiseaux étaient pour Fleu-
rette comme un souvenir lointain, un
écho affaibli de ce qu'elle avait connu et
aimé. Elle resta longtemps dans le parc,
heureuse, songeant déjà au retour de
Maurice, à la douce soirée d'intimité où
ils seraient heureux seuls, et causeraient
la main dans la main.
La soirée venait tout doucement, ame-
nant la fraîcheur; déjà les oiseaux cher-
chaient leur perchoir de la nuit. Maurice
ne pouvait tarder maintenant. Lentement,
elle se dirigea vers la maison.
Il y avait de la lumière au petit salon,
et lorsqu'elle s'en approcha Fleurette
entendit un léger bruit de voix: surprise,
elle s'arrêta au seuil. Maurice causait
avec Berthe Ferraysac. Celle-ci, aperce-
vrant Fleurette, se leva en boitant légè-
rement.
— Où étiez-vous donc, ma chérie? Nous
vous avons cherchée partout. Suis-je
assez maladroite ! Figurez-vous qu'en des-
cendant du breack je me suis tourné le
pied. Oh! ce ne sera rien, mais cela suf-
fisait pous mettre fin à toute idée de lon-
gue course. On voulait me reconduire,
mais cela, je ne l'ai pas permis ; le do-
mestique m'a ramenée, tout bonnement.
Et voilà que M. Malleville, impatient de
son tête-à-tête sans doute, est revenu
plus tôt qu'il ne l'avait prévu ; nous nous
sommes rencontrés à la porte. Où étiéz-
vous donc?. Je me sauve, je vais me
faire frictionner, et dans une demi-heure
je vous demanderai une place à votre
petit souper. -Je ne sais pourquoi, mais
j'ai une faim !. A tout à l'heure 1
Fleurette ne trouva pas un mot de ré-
ponse. Voilà donc à quoi aboutissait son
rêve ! Elle avait imaginé que Maurice,
comme elle, avait désiré ce tête-à-tête,
mais elle s'était trompée. Il n'était plus
un amoureux : il était un mari tout bon-
nement ; il lui plaisait d'avoir près de lui
une femme, toujours prête à l'aimer,
prête à s'effacer aussi. Il avait mieux à
faire que de s'occuper d'elle et de ses
fantaisies sentimentales 1 Il était revenu
plus tôt qu'il ne l'avait prévu, et au lieu
de la chercher, au lieu de s'inquiéter
d'elle, de désirer sa présence, il avait
préféré une longue causerie avec cette
Berthe qui se disait son amie et qu'elle
détestait, cette Berthe qui aimait Mau-
rice, elle en était bien sûre maintenant.
Elle avait pris le premier prétexte venu,
une entorse imaginaire — pour inter-
rompre un tête-à-tête qu'elle craignait,
comme elle craignait tout rapprochement
entre eux. Fleurette n'accusa pas son
mari ; elle savait Lien que s'il avait, de-
vancé l'heure de son retour, Berthe, n'y
était pour rien; mais il s'était laissé
accaparer par elle sans chercher à se dé-
gager. Ils causaient tous deux avec ani-
mation: — de quoi ? Et la colère grondait
en elle, menaçant de lui faire faire ou
dire quelque folie dont plus tard elle se
repentirait. Le souvenir de toutes les
humiliations subies en silence depuis
son mariage, des piqûres d'amour-pro-
pre, des illusions tombées une à une
comme les pétales d'une rose qui se fane,
— tout cela lui revint à l'esprit, pêle-
mêle. tumultueusement., et ce fut à
grand'oeine qu'elle se tut.
Cependant,, après un moment de si-
lence, elle se crut maîtresse d'elle-même.
Adossée à la cheminée remplie de gran-
des fougères et d'herbes qui sentaient
bon, elle suivit des yeux Berthe qui s'é-
loignait, puis se tourna vers son mari en-
core assis.
— Je vous ai dérangés au beau milieu
d'une conversation fort intéressante, ce
me semble. De quoi parliez-vous?
— De ce que vous dédaignez, ma chère
Lucie, de politique.
Maurice avait répondu cela négligem-
ment, mais quelque chose dans l'attitude
de sa femme le frappa.
En ce moment, elle était singulière-
ment belle. Elle apportait du bois, dans
ses vêtements, dans toute sa personne,
quelque chose de la. fralcheur, de la sen-
teur des arbres, du gazon foulé. Elle avait
dû passer sous le grand rosier qui
grimpait le long de la maison., car ses
cheveux noirs étaient étoilés de pétales
d'un blanc rosé. Il se leva et s'approcha
d'elle ; il vit qu'elle était très pâle. que
ses yeux bleus semblaient noirs. Il l'a-
vait vue ainsi le jour du mariage, sau-
vage, révoltée ; mais alors il l'aimait fol-
lement, et l'amour avait eu vite raison
de la révolte. Et maintenant, que se
passait-il dans ce cœur qu'il croyait si
bien connallre ? Elle parlait, mais ce
qu il écoutait plus encore que les paroles,
c'était le son de la voix, qu'il lui sem-
blait entendre pour la première fois.
: —Vous me repro 'h z de ne rien com-
prendre à la poli tinue, a la vie réelle, à
vos 1l1tCl'c:s lie toutl; sorte ; d'être res-
tée petite fille et romanesque. D'abord,
qu'en savez-vous ? Avez-vous bien pré-
sentes à la mémoire les dernières occa-
sions où vous avez cherché à me faire con-
naître ce monde où tout d'un coup je me
suis trouvée transportée, où, si je n'a-
vais eu que vous pour guide, je serais
encore une étrangère ? Vous croyez donc
que j'ai des yeux pour ne pas voir et une
intelligence pour ne m'en pas servir ?
Vous avez tort, je vous assure ; mais
quand cela serait, à qui la faute, je
vous pjie ? C'était à vous à m'initier à
votre vie et à vos ambitions. Vous m'a-
viez juré de me prendre par la main, de
me conduire doucement dans les che-
mins nouveaux qui s'ouvraient devant
moi. Comment avez-vous tenu ce ser-
ment ? Et cependant la tâche n'eût pas
été difficile, puisque, mêm3 sans votre
aide, je comprènds bien des choses que
vous croyez être pour moi des mystères.
La nature m'a faite aussi intelligente
qu'une Berthe Ferraysac. Mais vous
n'avez pas voulu le croire, parce que vo-
tte amour-propre a souffert par moi ;
parce que, d'instinct, je n'ai pas tout de-
viné du premier coup ; parce que vous
vous attendiez à ce que votre femme eût,
dès le début, un succès éclatant qui
justifiât votre choix, — votre folie plu-
tôt : et comme ce succès, elle ne l'a
pas eu, votre vanité ne lui a jamais par-
donné.
— Vous êtes bien injuste, Lucie.
— Moi ? Oh ! pas du tout ! Je vous con-
nais si bien que dès les premiers jours j'ai
suivi vos raisonnements.
— Et quels sont ces raisonnements, s'il
vous plaît?
Elle hésita un instant, craignant de
prononcer des paroles peut-être décisi-
ves. Maurice profita de cette hésitation.
Il y avait dans cette explosion inattendue
une colère d'enfant à apaiser. Il lui prit
la tête entre ses deux mains et la força à
le regarder.
— Moi aussi j'ai quelque chose à vous
dire, inadame.. c'est que vous êtes belle;
c'est que je t'aime,entends-tu ? je t'aime!
Il voulut l'embra-ser. Fleurette eut un
mouvement de révolte furieuse ; elle se
dégagea.brusquement, el. halelan le, ou-
bliant toute prudence, elle s'écria :
— Non! non! jamais* enUndez-vous,
jamais! Vous méprisez votre femme,
vous l'insultez pir vos froideurs, par
votre vie que vous séparez de la sienne:
et un jour, par hasard, parce que vous
êtes jeune et que vous la trouvez jolie,
vous vous souvenez qu'elle est à vous,
votre chose, votre bien, qu'elle vous ap-
partient, pour amuser une heure de votre
vie, quitte à être de nouveau délaissée..
— Prenez garde, Lucie 1
Maurice lui tenait les poignets si forte-
ment qu'ils gardèrent l'empreinte de ses
doigts ; mais Fleurette, emportée par la
colère, ne sentait même pas la douleur.
Elle voulait tout dire maintenant.
— Et savez-vous pourquoi vous n é
méprisez, pourquoi vous avez menti à
toutes vos promesses, pourquoi vous avez
méconnu l'a nour si profond et si tendre
que je vous avais voué, l'amour né là-bas
dans la villa que vous mettez aux enchè-
res ? Je vais vous le dire : c'est parce que
j'étais pauvre. Osez le nier! Si j'avais eu
la fortune de Berthe Ferraysac, vous
m'eussiez découvert toutes les qualités :
l'intelligence, le charme. que sais-je
encore? Mais j'étais pauvre, et dans votre
monde la pauvreté est le crime impar-
donnable, la tache qui ne s'efface pas. C'est
parce que j'étais pauvre que vous vous
disiez à chaque épreuve, à chaque souf-
france : «Elle me doit bien cela; sans moi,
elle ne serait rien! » Osez dire que je mp
trompe !
— Ce que je vous dis, ma chère amie,
c'est que vous êtes folle. Je ne sais en
réalité de quels chigrins imaginaires
vous vous plaignez ; j'ai la prétention
d'avoir toujours o été un m ri sans repro-
che. Mais, s'il vous plaît de faire de ma
maison un enfer, je ne vous réponds pas de
l'avenir. Ce que je sais, c'est que vous
êtes ma femme, tandis que vous semblez
disposée à l'oublier.
JEAN53 MAIRE?
fA suivre)
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S'adresser au Secrétaire de la Rédaction
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àt J5, Tichborne Street. (.Café Monieo. 2d.)
PARIS, 9 MARS 1885
M. Edouard Hervé, directeur du So-
icil, a inventé ce qu'il appelle « la mo-
narchie démocratique ) et comme à
tous les inventeurs son invention lui est
chère. Il veut le rétablissement de la
monarchie traditionnelle en la personne
de M. le comte de Paris : mais il veut
cette monarchie appuyée sur le suffrage
universel et se réclamant de lui.
A quoi les bonapartistes comme M.Ro-
bert Mitchell répondent que la monar-
chie admettant le principe de la souve-
raineté populaire n'est plus la monar-
chie., mais une simple contrefaçon de
l'Empire, tandis que les légitimisles de
la Gazette de France répondent de leur
côté que consentira soumettre au suf-
frage les droits de la monarchie héré-
ditaire, c'est saper le principe même
sur lequel cette monarchie prétend
s'appuyer.
M.Hervé réplique, et il faut bien
avouer que sur le terrain de la discus-
sion pure son argumentation est faible.
De deux choses l'une en effet. Ou la
souveraineté appartient à la nation et
alors il n'est point de droit monarchi-
que héréditaire. Ou un homme est né
le souverain d'un pays de par le seul
fait de sa naissance, et alors comment
faire appel sans contradiction à la sou-
veraineté nationale, qui n'existe pas? il
n'y a pas à échapper aux termes de ce
dilemme. La souveraineté est une et
ne peut pas se trouver en deux endroits
à la fois. Ou la monarchie ou la démo-
cratie, il faut choisir. La « monarchie
démocratique » de M. Hervé fait invo-
lontairement songer à cette formule :
« la monarchie-empire-république » que
proposait certain prophète vers l'an de
grâce 1869.
- M. Hervé raisonne mieux quand il sou-
tient qu'il faut bien aujourd'hui qu'un
gouvernement se soumette à la ratifi-
cation populaire, qu'elle plaise ou non.
Il dit vrai ; mais c'est là justement la
preuve que les temps de la monarchie
sont passés.
« Examinons, écrit-il, les choses dans
la pratique : mettons-nous en face de la
réalité.
» Un gouvernement ne peut s'établir
que de deux manières : par la force ou
par le consentement du pays.
» Veut-on faire la monarchie par la
force ?
» Non.
» Alors il faut la faire par le consen-
tement du pays.
» Veut-on faire la monarchie à coups
de fusil?
» Non.
» Alors il faut la faire à coups de bul-
letins de vote. »
C'est quelque chose de renoncer à
faire la monarchie par la force. Est-il
plus facile de la faire « à coups de bul-
letin » ? Nous en doutons un peu. Mais
voici en tout cas l'inconvénient des bul-
tins : ils peuvent changer avec le temps.
S'ils ont le droit de faire la monarchie,
ils auraient de même le droit de la dé-
faire le jour où elle aurait cessé de
plaire.
M. Hervé — et cela se comprend -
s'empresse de protester contre celte
conclusion :
« S'ensuit-il de là qu'une fois la mo-
narchie établie, on doive la remettre
perpétuellement aux voix?
» Pas le moins du monde.
, » Le jour où un pays revient à la
monarchie, cela prouve qu'il veut la
stabilité.
» Or cette stabilité n'existerait pas
si la monarchie était à chaque moment
remise en question.
» Il serait absurde de mettre aux voix
le gouvernement de la reine Victoria
ou celui de l'empereur François-Joseph.
» Quand le pacte entre la monarchie
et le pays a été déchiré par les événe-
ments, il faut le refaire.
» Quand au contraire ce pacte existe
depuis longtemps, il ne serait pas rai-
sonnable de le mettre en question. »
Conclusion : on consultera le suffrage
universel une fois — pour faire la mo-
narchie. — Le lendemain du jour où il
l'aura faite, il n'aura plus de droits. La
souveraineté aura passé tout entière au
monarque, et après lui elle passera par
héritage à sa postérité. On autorise la
souveraineté nationale à prendre la pa-
role une fois — pour abdiquer.
Il est difficile d'avouer plus claire-
ment que, pour les monarchistes, dé-
mocrates ou non, aussi bien que pour
les impérialistes, la souveraineté natio-
nale ne peut être qu'un mot, et la cé-
rémonie où elle est consultée qu'une
comédie.
CHARLES BIGOT.
—————— -
NOUVELLES DE CHINE
NOUVELLE DÉPÊCHE DU GÉNÉRAL
BRIÈRE DE L'ISLE
Le ministre de la guerre a reçu la dépê-
che suivante du général commandant le
corps expéditionnaire du Tonkin :
« Sontav, 7 mars, midi 30.
»3 mars. Suis arrivé à Tuyen-Quanavec la
tre brigade aujourd'hui, à 4 heures du soir.
» Les Pavillons-Noirs et l'armée du Yun-
nan, fortement étab'is, fermaient un défilé
à flancs inaccessibles. Ils avaient établi des
forts et trois lignes successives de tran-
chées en avant de Duoc.
» Le combat a été très chaud, nos troupes
plus admirables que jamais.
» L'ennemi a levé le siège de Tuyen-Quan
la nuit dernière.
» La garnison a combattu dix-huit jours
après l'ouverture de la première brèche au
corps de place, a soutenu sept assauts et
causé des pertes immenses a 1 ennemi.
» Ce siège doit compter parmi les belles
pages de notre histoire.
» La canonnière la Mitrailleuse a pris une
belle part à la défense.
» Du côté de Langson, le général de Né-
grier a détruit les forts chinois de la fron-
tière avec de grandes quantités de munitions
et de magasins, habillements, etc. Il a fait
sauter la porte de Chine.
» Général BRIÈRE DE L'IsLE.»
————-———- —————————
A LA CONFERENCE MOLE
Les jeunes gens qui s'exercent à
l'art de penser juste et de bien dire
dans cette parlotte, devenue célèbre
sous le nom de conférence Molé, ont
mis tout dernièrement à l'ordre du jour
l'examen de la loi du 29 juillet 1$81,
en vertu de laquelle les œuvres litté-
raires peuvent être poursuivies pour
outrages aux bonnes mœurs.
L'un d'eux, M. Henri Robert, a été
chargé de présenter un rapport sur la
question. 11 a conclu à la suppression
de la loi. Je ne puis mieux faire que de
mettre sous les yeux l'exposé des mo-
tifs qui ouvre son rapport et lui sert de
préface :
Messieurs,
Dans deux affaires identiques (procès Des-
prez — procès Bonnetain), le jury de la
Seine, a prononcé, à huit jours d'intervalle
une coudain nation et un acquittement.
Une aussi regrettable cuiitr&diction mon-
tre l'insufisance du jury en pareille ma-
tière.
Confier la connaissance de ces délits aux
juges correctionnels serait peut-être assurer
une unité de jurisprudence. indispensable,
mais certainement s'exposer à ce que les
littérateurs fussent jugés" avec trop de sé-
vérité.
En théorie, on doit laisser à la littérature
la liberté la plus large. En pratique, la pour-
suite est inutile et dangereuse. Inutile, parce
qu'elle est toujours tardive et que, par con-
séquent, tout le monde a pu lire l'ouvrage :
le mal est déjà fait. Dangereuse, parce que
le procès ne peut que donner un regain de
succès et d'actualité à un livre presque ou-
blié: le mal est aggravé.
En vertu de ces considérations sommaires,
j'ai l'honneur, messieurs, de vous présenter
le projet de loi suivant :
PROJET DE LOI
Article unique
L'article 28 de la loi du 29 juillet 1881 est
abrogé. -
L'article 28, visé par le projet de loi,
est celui qui punit l'outrage aux bon-
nes mœurs, commis dans les œuvres
littéraires, d'un emprisonnement d'un
mois à deux ans, et d'une amende de
16 à 2,000 francs. La connaissance de
ces délits est confiée à la cour d'as-
sises.
Je vois qu'une des raisons qui ont
décidé les jeunes gens de la conférence
Molé à déposer leur projet de loi, c'est
que le jury, dans deux affaires identi-
ques, à huit jours d'intervalle, a pro-
noncé ici un acquittement et là une
condamnation.
Ce qui nous a paru nuisible à la bonne
administration de la justice, ajoutent ils
dans leur rapport, c'est l'extrême mobilité
du jury. Le juré a un tempérament de pa-
risienne nerveuse et impressionnable. Il faut
l'émouvoir et le flatter avec une délicatesse
infinie. Si l'on se résout à cet artifice, on est
sûr du succès.
Tout dépend ici du système de défense de
l'accusé. S'il traite le jury comme un vieil-
lard dont on supporte toutes les fantaisies,
dont ou admire toutes les paroles, — pour
être certain d'en conserver l'héritage — oh 1
alors il n'a rien à craindre ! Les deux pro-
cès qui ont donné l'idée de ce projet de loi
sont une preuve irréfutable à l'appui de
cette opinion. M. Desprez a contesté avec
arrogance la compétence du jury; M. Bon-
netain, au contraire, s'est fait humble et
caressant. Conclusions prévues : une con-
damnation pour l'un ; un acquittement pour
l'autre.
Ces messieurs ne se sont pas aperçus
qu'en parlant de la sorte ils n'allaient
à rien moins qu'à renverser et à dé-
truire l'institution du jury elle-même.
Ce n'est pas seulement quand le jury
a des ouvrages pornographiques à ju-
ger qu'il est nerveux et impressionna-
ble comme une jolie femme. Il porte ce
même tempérament dans toutes les
causes. Toujours il aime que l'on ca-
resse son amour-propre, que l'on flatte
ses préjugés ou ses manies ; toujours il
se regimbe si l'on s'avise de le pren-
dre à rebrousse-poils ; et bien souvent
un malheureux accusé a payé de la pri-
son ou du bagne la sottise ou l'imperti-
nence de son avocat.
Est-ce une raison suffisante pour sup-
primer le jury?
Remarquez bien que si l'on a institué
le jury, c'est précisément afin d'avoir
pour juges, au lieu de magistrats sévè-
rement attachés au texte de la loi et
inaccessibles à toute considération de
sentiment, de bons bourgeois cherchant
ïa vérité aux sim >Ies lumières du bon
sens et cédant aux influences très di-
verses venues les unes du dehors, et
les autres nées du tond de leur propre
cœur.
C'est là le caractère propre du jury,
qu'il ne se laisse guère conduire qu'au
sens individuel et à l'impression du
moment.
11 est donc variable par essence.
Se plaindre qu'il le soit, c'est se
plaindre qu'il soit ce qu'il doit être :
car on ne l'a institué que parce qu'il
est seul capable de s'écarter du point
fixe, qui est la loi,' pour tenir compte
du sentiment, qui change sans cesse.
Ces jeunes gens s'étonnent et se plai-
gnent qu'à huit jours de distance, dans
deux affaires- d'outrages aux bonnes
mœurs commises par la voie du livre,
affaires identiques, disent-ils, le jury
ait prononcé ici un acquittement et là
une condamnation.
On dirait vraiment que c'est la pre-
mière fois qu'un pareil phénomène se
produit I Mais rien n'est plus fréquent
que ces contradictions, et dans des
procès d'une autre importance que ceux
qui avaient été intentés à MM. Bonne-
tain et Desprez. Deux filles jettent du
vitriol au nez de leurs amants: l'une
est acquittée, l'autre en a pour trois
ans de détention. Où tel parricide est
condamné à mort, tel autre, dont le
crime est tout aussi avéré, béuéficie de
circonstances atténuantes, à moins
même qu'il ne soit renvoyé absous.
Il n'y a qu'heur et malheur en ce
monde: Mais, avec ses rigueurs parfois
bizarres ou ses indulgences inexplica-
bles, le jury n'en est pas moins une
institution très bienfaisante et très utile:
on en peut souhaiter la réforme, mais
personne ne songe à le supprimer.
Je dirais volontiers que le jury est
une chose excellente, mais que les jurés
sont souvent des nigauds ; comme M.
Prudhomme prétendait qu'il faut res-
pecter les arts et mépriser les artistes.
La vérité est qu'en effet je ne crois
pas que le jury, tel qu'il est composé
aujourd'hui, soit très capable de résou-
dre les questions qui lui sont proposées,
lorsqu'on lui défère des ouvrages obscè-
nes ou pornographiques. Ces questions
sont très délicates, et exigent pour être
tranchées des esprits rompus au ma-
niement de l'analyse psychologique.
Je pense qu'on pourrait l'améliorer
aisément, en n'inscrivant sur les listes
de jury que des hommes qui eussent
reçu un certain degré d'éducation, et
surtout en instituant des jurys particu-
liers pour certaines catégories d'affaires
qui seraient déterminées par la loi.
Mais, sous prétexte que le jury peut
se tromper, abroger la loi qui'autorise
les poursuites conîre tel ou tel délit,
c'est imiter l'exemple de Girardin qui
supprimait l'adultère en supprimant le
mariage lui-même.
Son raisonnement était des plus sim-
ples. Il n'y aurait jamais d'adultères
s'il n'y avait pas de gens mariés. Re-
tranchons le mariage légal de notre ci-
vilisation, nous en aurons parjeeia même
enlevé l'adultère.
Et, de même, le jury commet des er-
reurs quand on lui donne des écrivains
à juger. La façon la plus simple de lui
supprimer toute possibilité d'erreur,
c'est de lui enlever toute possibilité de
juger. Il n'y a qu'à ne pas poursuivre
les écrivains coupables d'outrages aux
bonnes mœurs : le jury ne pourra plus
se tromper, par l'excellente raison
qu'on ne le consultera plus jamais.
Et cependant il est bien difficile de
laisser la justice absolument désarmée
devant certaines publications où l'inten-
tion comme l'exécution est évidemment
pornographique.
Tenez ! justement, je recevais ce ma-
tin d'une librairie belge un volume
que je ne veux pas nommer, de peur*
de lui faire une réclame. Tout en le
coupant, j'en ai lu au hasard quelques
bouts de chapitre. C'est l'histoire d'une
fille dans une maison de filles; toutes
ses sensations y sont décrites avec une
complaisance extraordinaire ; tout ce
qu'il y a de plus vil dans ces mœurs
ordurières est exposé dans un détail
d'un cynisme écœurant. Tout cela sous
couleurs de naturalisme.
Le naturalisme, pour certaines gens,
n'est qu'un prétexte à dire de grosses
cochonneries, et une excuse à les avoir
dites.
J'ignore s'il vaut la peine de pour-
suivre ce volume, et je craindrais qu'un
procès ne lui fût une réclame très re-
tentissante et très fructueuse.
Mais, ma foi ! si le cœur en disait au
parquet, je ne vois pas pourquoi il n'y
aurait pas dans l'arsenal de notre légis-
lation un texte de loi qui autorisât ces
poursuites.
Je ne trouverais aucun inconvénient
à ce qu'au moyen d'une forte amende
on fît rendre gorge et à l'éditeur et à
l'écrivain.
C'est une spéculation qu'ils ont faite,
et une spéculation honteuse. Qui les
plaindrait si de cette spéculation ils
ne gardaient que la honte, après avoir
restitué l'argent?
FRANCISQUE SARCEV.
————————————
CHINE ET TONKIN
Une nouvelle dépêche du général
Brière de l'Isle est parvenue hier au mi-
nistère de la guerre. Elle est plus expli-
cite que la première et permet de recons-
tituer à peu près le combat qui a mis fin
au siège de Tuyen-Quan. On sait main-
tenant de source certaine que les Pavil-
lons-Noirs et l'armée du Yunnan ont op-
posé une résistance des plus sérieuses.
Ils étaient établis solidement à Duoc,
dans un défilé où ils avaient accumulé
les moyens de défense, des forts en terre,
trois lignes successives de tranchées.
Duoc est situé à trois kilomètres en
avant de Tuyen-Quan. C'est une très
forte position que commande l'un des
passages les plus difficiles de la rivière
Claire.
Depuis plusieurs mois, le général en
chef en avait compris l'importance, d'a-
près les rapports du colonel Duchesne et
à la suite de'la campagne vigoureuse en-
treprise par cet officier au mois de no-
vembre dernier.
Duoc avait été occupé quelques jours
par une compagnie d'infanterie de ma-
rine. Mais l'effectif du corps expédition-
naire n'avait pas permis de renforcer
cette petite garnison.
Les Pavillons-Noirs, d'autre part, mul-
tipliaient leurs efforts tant sur Duoc que
sur Tuyen-Quan. Dans l'impossibilité où
l'on était de leur tenir tête sur les deux
points à la fois, il avait fallu abandonner
Duoc, et la compagnie d'infanterie de
marine avait reçu l'ordre de rentreI" à
Tuyen-Quan. C'est précisément là qu'a eu
lieu le principal effort de la défense or-
ganisée par Lu-Vinh-Pbuoc. Il n'a pas
fallu moins de deux jours pour venir à
bout de la résistance de l'ennemi.
L'action engagée le 2 mars au malin
par la brigade Giovaiinineili n'a pris il n
que le 3 à quatre heures de l'après-midi.
Les Chinois ont été mis en déroute
complète avec des pertes considérables.
Le général Brière de l'Isle ne les évalue
pas et reste muet aussi sur les nôtres. Il
est malheureusement trop certain que
les deux journées des 2 et 3 mars ont été
des plus meurtrières.
Tuyen-Quan est maintenant déblo-
quée. Depuis dix-huit jours la première
brèche était ouverte dans le cjrps de
place et la garnison avait eu à repous-
ser sept assauts successifs.
Le siège de Tuyen-Qu:a est le plus
bel épisode de la campagne du Tonkin et
le général Brière de l'Isle a pu dire avec
un accent de vérité auquel on ne se
trompe pas que « ce siège doit compter
parmi les belles pages de notre histoire ».
Le commandant Dominé, qui, avec un
petit bataillon, a tenu tête pendant des
mois à l'armée du Yunnaa, est un très
jeune officier ; il a à peine trente ans.
L'opinion publique apprendrait avec
satisfaction que le ministre de la guerre
a déjà récompensé cO,l:me ils le méri-
taient les vaillants défenseurs dans la
personne de leur chef.
Soyons justes pour le ministre de la
marine : en pareille circonstance, il au-
rait déjà répondu à la dépêche iiu géné-
ral Brière de l'Isle par un décret nom-
mant le commandant Dominé au grade
de lieutenant-colond.
D'après le télégramme qui nous ap-
porte la nouvelle du beau suc -ès de
Tuyen-Quan, le général Brière de l'Isle
aurait rétrogradé vers SOBtay.
On suptos ; que son intention est de
lancer une colunne vers Titan-Qua-), qui
se trouve à vingl-dnq kilonaètrjs à l'ouest
de Phu-Duoe, sur le fleuve Ilouge.
Il est fort possible en elfet que les Pa-
villons-Noirs se soient ralliés autour de
ce poste qu'ils ont occupé dès les pre-
miers jours de l'invasion da rronkin par
les troupes du Yunnan. En tous les cas,
la positron a une grande importance
puisque c'est par là que Lu-Vinh PhUoc
a reçu ses rentorts et ses approvisionne-
ments depuis le commencement de la
campagne. Tout donne à penser que le
général Brière de l'Isle, élargissant son
cercle d'action, voudra s'établir à Tuyen-
Quan — qui eomplète la défense de la
rivière Glaire et ferme un débouché du
fleuve Rouge — pendant que le général
de Négrier, poursuivant sa marche au
nord de Langson tient les portics de la
frontière chinoise sur le SOllg-Ki-KQllg.
C'est-à-dire qu'à l'heure actuelle les
positions que nons occupens forment un
demi-cercle qui s'ouvre à Bong-Hoa sur la
rivière Noire, passe à Tuyen-Quan sur
la rivière Claire et conpe la frontière de
Chine au dessus de Langson. En dehors
de ce cercle nous sommes à Sontay et à
Hanoï, sur le fleuve Rouge, à Bac-Ninh)
au-dessus du canal des Rapides, à Thaï-
Nguyen, sur le Song-CI.) à Kep et à
Bac-Lé, sur le Song-Tuoag, à Chu, dans
la vallée du Lochnam, maîtres de nos
communications avec Langson à l'est,
avec Nam-Dinh sur le Day, à l'ouest.
Enfin les deux armées d'invasion du
Kuang-Si et du Yunnan sont en pleine
déroute.
En deux mots, notre situation est
devenue tout à fait bonne, et s'il n'est
pas permis de dire que la Daciucation du
Tonkin central et méridional est achevée,
du moins la résis! ancë des réguliers et
des irréguliers est brisée et les velléités
belliqueuses de la cour de Pékin peut-
être lassées.
- Louis HENRIQUB
Feuilleton du XIxo SIÈCLR
Du iO Mars 1885
(24)
UNE FOLIE
xv
— suite —
Fleurette qui avait espéré un peu de
repos pendant l'été/qui avait rêvé cruel-
ques semaines au moins, de solitude à
deux, retrouva aux « Ombrages » la vie
de Paris, mais plus enfiévrée et plus
folle. Son mari, sous prétexte de travail,
avait choisi une petite chambre aussi
loin que possible du bruit et du mouve-
ment. Il s'y enfermait souvent. Parfois
aussi il allait à Paris et y passait plu-
sieurs jours. Il en serait donc toujours
ainsi ? Cependant, si on avait dit à Mau-
rice qu'il négligeait sa femme, il en eût
été bien surpris. Il avait pour elle des
attentions charmantes, lui rapportait des
petits cadeaux de Paris, la grondait dou-
cement de ses joues pâles, et la suppliait
de se soigner, de ne pas trop se fatiguer
dans les parties où Solange mettait sa
verve endiablée.
Fleurette ne demandait pas mieux que
de prétexter sa santé, un peu frêle en ce
moment, Dour se dérober aux cavalcades,
aux bals improvises, aux pics-nicc;
mais, sans se l'avouer à elle-même peut-
être, ce qu'elle évitait plus encore que la
fatigue, c'était la société de Berthe, qui
trônait au milieu de lajeunesse, qui jouait
presque à la maîtresse de maison. Le
marquis et elle étaient les boute-en-train
de la société. Son mari, à peine arrivé
chez les Darboys, avait été appelé par
dépêche auprès de sa mère malade.
Berthe, qui n'aimait pas les gens malades,
était restée auprès de ses amis.
Beproduction interdite..
Un jour on organisa une grande partie
pour aller visiter les ruines de Port-
Royal, situées assez loin de la maison.
Toute la société — on n'était pas très
nombreux en ce moment - devait passer
la nuit dans un château du voisinage
pour ne revenir que le lendemain. Mau-
rice s'excusa : il était forcé d'aller au mi-
nistère ; il conseilla à sa femme de rester
tranquillement à la maison et lui dit :
— Je reviendrai souper avec vous Lu-
cie, un peu lard, en tête-à-tête, voulez-
vous ? Il y a longtemps que cela ne nous
est arrivé !
Si elle le voulait 1. L'après-midi, quand
elle vit partir toute la bande joyeuse, elle
était si heureuse qu'elle avait envie de
chanter. Pourquoi donc avait-elle souf-
fert, pourquoi avait-elle douté? Mau-
rice l'aimait ; dans son baiser d'adieu, il
y avait plus que de l'affection paisible, il
y avait de la passion. Ah I elle aurait le
courage de lui raconter ses souffrances
passées, des souffrances imaginaires dont
elle rougissait déjà. Une explication bien
franche, bien loyale, mettrait fin à ce ma-
lentendu qui, elle ne savait trop comment,
s'était élevé entre eux. Elle lui dirait que,
si elle avait eu parfois le ml du pays, si
elle avait rêvé de revoir sa chère villa, il
pouvait d'un mot effacer toutes ses tris-
tesses.
Elle avait de plus un secret à lui con-
fier, une espéunce encore incertaine,
mais qui se confirmait pourtant, et la
remplissait d'une joie étrange.
Pour mieux savourer le bonheur en-
trevu, elle s'enfonça dans le parc un peu
sauvage qu'elle aimait. Ce n'était pas la
merveilleuse nature du Midi, mais les
eaux vives, les vieux arbres où nichaient
des milliers d'oiseaux étaient pour Fleu-
rette comme un souvenir lointain, un
écho affaibli de ce qu'elle avait connu et
aimé. Elle resta longtemps dans le parc,
heureuse, songeant déjà au retour de
Maurice, à la douce soirée d'intimité où
ils seraient heureux seuls, et causeraient
la main dans la main.
La soirée venait tout doucement, ame-
nant la fraîcheur; déjà les oiseaux cher-
chaient leur perchoir de la nuit. Maurice
ne pouvait tarder maintenant. Lentement,
elle se dirigea vers la maison.
Il y avait de la lumière au petit salon,
et lorsqu'elle s'en approcha Fleurette
entendit un léger bruit de voix: surprise,
elle s'arrêta au seuil. Maurice causait
avec Berthe Ferraysac. Celle-ci, aperce-
vrant Fleurette, se leva en boitant légè-
rement.
— Où étiez-vous donc, ma chérie? Nous
vous avons cherchée partout. Suis-je
assez maladroite ! Figurez-vous qu'en des-
cendant du breack je me suis tourné le
pied. Oh! ce ne sera rien, mais cela suf-
fisait pous mettre fin à toute idée de lon-
gue course. On voulait me reconduire,
mais cela, je ne l'ai pas permis ; le do-
mestique m'a ramenée, tout bonnement.
Et voilà que M. Malleville, impatient de
son tête-à-tête sans doute, est revenu
plus tôt qu'il ne l'avait prévu ; nous nous
sommes rencontrés à la porte. Où étiéz-
vous donc?. Je me sauve, je vais me
faire frictionner, et dans une demi-heure
je vous demanderai une place à votre
petit souper. -Je ne sais pourquoi, mais
j'ai une faim !. A tout à l'heure 1
Fleurette ne trouva pas un mot de ré-
ponse. Voilà donc à quoi aboutissait son
rêve ! Elle avait imaginé que Maurice,
comme elle, avait désiré ce tête-à-tête,
mais elle s'était trompée. Il n'était plus
un amoureux : il était un mari tout bon-
nement ; il lui plaisait d'avoir près de lui
une femme, toujours prête à l'aimer,
prête à s'effacer aussi. Il avait mieux à
faire que de s'occuper d'elle et de ses
fantaisies sentimentales 1 Il était revenu
plus tôt qu'il ne l'avait prévu, et au lieu
de la chercher, au lieu de s'inquiéter
d'elle, de désirer sa présence, il avait
préféré une longue causerie avec cette
Berthe qui se disait son amie et qu'elle
détestait, cette Berthe qui aimait Mau-
rice, elle en était bien sûre maintenant.
Elle avait pris le premier prétexte venu,
une entorse imaginaire — pour inter-
rompre un tête-à-tête qu'elle craignait,
comme elle craignait tout rapprochement
entre eux. Fleurette n'accusa pas son
mari ; elle savait Lien que s'il avait, de-
vancé l'heure de son retour, Berthe, n'y
était pour rien; mais il s'était laissé
accaparer par elle sans chercher à se dé-
gager. Ils causaient tous deux avec ani-
mation: — de quoi ? Et la colère grondait
en elle, menaçant de lui faire faire ou
dire quelque folie dont plus tard elle se
repentirait. Le souvenir de toutes les
humiliations subies en silence depuis
son mariage, des piqûres d'amour-pro-
pre, des illusions tombées une à une
comme les pétales d'une rose qui se fane,
— tout cela lui revint à l'esprit, pêle-
mêle. tumultueusement., et ce fut à
grand'oeine qu'elle se tut.
Cependant,, après un moment de si-
lence, elle se crut maîtresse d'elle-même.
Adossée à la cheminée remplie de gran-
des fougères et d'herbes qui sentaient
bon, elle suivit des yeux Berthe qui s'é-
loignait, puis se tourna vers son mari en-
core assis.
— Je vous ai dérangés au beau milieu
d'une conversation fort intéressante, ce
me semble. De quoi parliez-vous?
— De ce que vous dédaignez, ma chère
Lucie, de politique.
Maurice avait répondu cela négligem-
ment, mais quelque chose dans l'attitude
de sa femme le frappa.
En ce moment, elle était singulière-
ment belle. Elle apportait du bois, dans
ses vêtements, dans toute sa personne,
quelque chose de la. fralcheur, de la sen-
teur des arbres, du gazon foulé. Elle avait
dû passer sous le grand rosier qui
grimpait le long de la maison., car ses
cheveux noirs étaient étoilés de pétales
d'un blanc rosé. Il se leva et s'approcha
d'elle ; il vit qu'elle était très pâle. que
ses yeux bleus semblaient noirs. Il l'a-
vait vue ainsi le jour du mariage, sau-
vage, révoltée ; mais alors il l'aimait fol-
lement, et l'amour avait eu vite raison
de la révolte. Et maintenant, que se
passait-il dans ce cœur qu'il croyait si
bien connallre ? Elle parlait, mais ce
qu il écoutait plus encore que les paroles,
c'était le son de la voix, qu'il lui sem-
blait entendre pour la première fois.
: —Vous me repro 'h z de ne rien com-
prendre à la poli tinue, a la vie réelle, à
vos 1l1tCl'c:s lie toutl; sorte ; d'être res-
tée petite fille et romanesque. D'abord,
qu'en savez-vous ? Avez-vous bien pré-
sentes à la mémoire les dernières occa-
sions où vous avez cherché à me faire con-
naître ce monde où tout d'un coup je me
suis trouvée transportée, où, si je n'a-
vais eu que vous pour guide, je serais
encore une étrangère ? Vous croyez donc
que j'ai des yeux pour ne pas voir et une
intelligence pour ne m'en pas servir ?
Vous avez tort, je vous assure ; mais
quand cela serait, à qui la faute, je
vous pjie ? C'était à vous à m'initier à
votre vie et à vos ambitions. Vous m'a-
viez juré de me prendre par la main, de
me conduire doucement dans les che-
mins nouveaux qui s'ouvraient devant
moi. Comment avez-vous tenu ce ser-
ment ? Et cependant la tâche n'eût pas
été difficile, puisque, mêm3 sans votre
aide, je comprènds bien des choses que
vous croyez être pour moi des mystères.
La nature m'a faite aussi intelligente
qu'une Berthe Ferraysac. Mais vous
n'avez pas voulu le croire, parce que vo-
tte amour-propre a souffert par moi ;
parce que, d'instinct, je n'ai pas tout de-
viné du premier coup ; parce que vous
vous attendiez à ce que votre femme eût,
dès le début, un succès éclatant qui
justifiât votre choix, — votre folie plu-
tôt : et comme ce succès, elle ne l'a
pas eu, votre vanité ne lui a jamais par-
donné.
— Vous êtes bien injuste, Lucie.
— Moi ? Oh ! pas du tout ! Je vous con-
nais si bien que dès les premiers jours j'ai
suivi vos raisonnements.
— Et quels sont ces raisonnements, s'il
vous plaît?
Elle hésita un instant, craignant de
prononcer des paroles peut-être décisi-
ves. Maurice profita de cette hésitation.
Il y avait dans cette explosion inattendue
une colère d'enfant à apaiser. Il lui prit
la tête entre ses deux mains et la força à
le regarder.
— Moi aussi j'ai quelque chose à vous
dire, inadame.. c'est que vous êtes belle;
c'est que je t'aime,entends-tu ? je t'aime!
Il voulut l'embra-ser. Fleurette eut un
mouvement de révolte furieuse ; elle se
dégagea.brusquement, el. halelan le, ou-
bliant toute prudence, elle s'écria :
— Non! non! jamais* enUndez-vous,
jamais! Vous méprisez votre femme,
vous l'insultez pir vos froideurs, par
votre vie que vous séparez de la sienne:
et un jour, par hasard, parce que vous
êtes jeune et que vous la trouvez jolie,
vous vous souvenez qu'elle est à vous,
votre chose, votre bien, qu'elle vous ap-
partient, pour amuser une heure de votre
vie, quitte à être de nouveau délaissée..
— Prenez garde, Lucie 1
Maurice lui tenait les poignets si forte-
ment qu'ils gardèrent l'empreinte de ses
doigts ; mais Fleurette, emportée par la
colère, ne sentait même pas la douleur.
Elle voulait tout dire maintenant.
— Et savez-vous pourquoi vous n é
méprisez, pourquoi vous avez menti à
toutes vos promesses, pourquoi vous avez
méconnu l'a nour si profond et si tendre
que je vous avais voué, l'amour né là-bas
dans la villa que vous mettez aux enchè-
res ? Je vais vous le dire : c'est parce que
j'étais pauvre. Osez le nier! Si j'avais eu
la fortune de Berthe Ferraysac, vous
m'eussiez découvert toutes les qualités :
l'intelligence, le charme. que sais-je
encore? Mais j'étais pauvre, et dans votre
monde la pauvreté est le crime impar-
donnable, la tache qui ne s'efface pas. C'est
parce que j'étais pauvre que vous vous
disiez à chaque épreuve, à chaque souf-
france : «Elle me doit bien cela; sans moi,
elle ne serait rien! » Osez dire que je mp
trompe !
— Ce que je vous dis, ma chère amie,
c'est que vous êtes folle. Je ne sais en
réalité de quels chigrins imaginaires
vous vous plaignez ; j'ai la prétention
d'avoir toujours o été un m ri sans repro-
che. Mais, s'il vous plaît de faire de ma
maison un enfer, je ne vous réponds pas de
l'avenir. Ce que je sais, c'est que vous
êtes ma femme, tandis que vous semblez
disposée à l'oublier.
JEAN53 MAIRE?
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