Titre : Le XIXe siècle : journal quotidien politique et littéraire / directeur-rédacteur en chef : Gustave Chadeuil
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1885-03-08
Contributeur : Chadeuil, Gustave (1821-1896). Directeur de publication
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Type : texte texte
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Description : 08 mars 1885 08 mars 1885
Description : 1885/03/08 (A15,N4809). 1885/03/08 (A15,N4809).
Droits : Consultable en ligne
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Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-199
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 09/04/2013
Quinzième année.— ÀB—N*4809 Prix du numéro à Paris 15 centimes - Départements: 20 centimes Dimanche 8 Mars iS8$
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Egypte 341 25,341 87, 341 25.
Baruque ottomane. 611 87, 61125, 61437.
Extérieure. 61 9[16, 3[4,
Lots Turçs. 47 50.
PARIS, 7 MARS 1885
Tous les ans, depuis que la Constitu-
tion de 1875 nous régit; la discusssion
du budget a suivi la même marche : la
Chambre votait la série des chapitres,
le Sénat en modifiait quelques-uns ; la
Chambre, saisie à nouveau, admettait
certaines modifications, en repoussait
d'autres, et le Sénat acceptait à son
tour les chiffres ainsi revisés. C'est le
système de la cote mal taillée. Il a du
bon puisqu'il a permis aux deux sec-
tions du pouvoir législatif de vivre à
peu près en bonne intelligence et aux
rouages administratifs de fonctionner
sans encombre.
Cette année, les choses ont l'air de
se présenter différemment: l'opinion
qui a prévalu dans la commission du
budget est que le Sénat a le droit de
provoquer sur tel ou tel point une se-
conde délibération de la Chambre, en
manifestant son désir par un rétablis-
sement de crédit, mais que, ce droit
de remontrance épuisé, les décidons
de la Chambre deviennent définitives.
Certains députés mêmes poussent la
jalousie de leurs prérogatives financiè-
res jusqu'à vouloir accueillir toutes les
modifications du Sénat par la question
préalable. Etrange façon de souhaiter
la bienvenue au nouveau Sénat répu-
blicain !
L'Extrême-Gauche et la Gauche radi-
cale tiennent pour le rejet en bloc;
l'Union républicaine s'associe, en grande
partie, aux résolutions de la commis-
sion du budget; l'Union démocratique
se prononce pour l'acceptation de la
plupart des crédits rétablis par le Sénat.
Le conflit est donc imminent et, à poin-
ter les forces numériques, l'issue en
est fort douteuse, l'absence de deux
douzaines d'amis du Cabinet qui ont été
promus sénateurs se faisant cruelle-
ment senlir à la Chambre.
Ce conflit eût pu trouver sa solution
naturelle cet été à Versailles ; mais, en
vertu de* cet adage « qu'à chaque jour
suffit sa peine », il parut plus prudent
de ne pas trop exiger d'une concorde
aussi fragile que celle du Congrès. La
question était donc réservée pour la fin
de l'année. Ces fins de décembre, quels
services elles nous ont rendus ! L'heure
de la promulgation du budget allait
sonner, il fallait s'entendre, sous peine
de mal commencer l'année; un petit
effort de part et d'autre, et le budget
se trouvait arriver à temps, comme ces
voyageurs qui se donnent perpétuelle-
ment l'émotion de croire qu'ils manquent
le train. En décembre 1884, les choses
ne se passèrent pas ainsi. Y eut-il ma-
lice ou simple coup du sort? Peut-être
crainte du mauvais effet d'un différend
à vider à la veille des éleqjiens sénato-
riales ? Toujours est-il qu'on franchit la
date protectrice, qu'on abaissa la bar-
rière où étaient acculées d'ordinaire les
mauvaises volontés et qu'on vota une
sorte de trimestre provisoire, sans se
rendre bien compte qu'il n'y a que le 1
premier douzième qui coûte. -
Aujourd'hui, en dehors de l'accord,
les hypothèses ne sont pas nombreuses
à envisager. Il en est deux, en pré-
sence de l'obstination de l'une et l'autre
assemblée :
Ou le gouvernemènt tranchant lui-
même en faveur de la Chambre, comme
paraît l'y inciter la commission du bud-
get, une question de droits financiers
que le Congrès n'a pas osé aborder ;
Ou la continuation de l'expédient
des douzièmes provisoires, avec recours
à la dissolution, quand la nouvelle loi
électorale n'est pas encore discutée.
La brutalité même de ces deux hypo-
thèses impose l'accord. Nous sommes
de ceux qui pensent qu'en principe le
Sénat doit avoir simplement le droit de
remontrance, parce qu'il est investi du
droit de dissolution, parce que la Cham-
bre des députés a la responsabilité de la
gestion de l'argent des contribuables,
parce que deux assemblées ne sauraient
coexister si leurs pouvoirs n'étaient pas
pondérés dans une mesure à peu près
juste. Mais nous sommes de ceux qui
croient qu'on assoira la République
sur des bases inébranlables à force de
concessions réciproques, qu'il serait la-
mentable de préluder à des élections
législatives par une bataille entre élus
républicains, et que d'ailleurs, si notre
Constitution donne lieu à des litiges, ce
n'est pas avant, c'est après la consulta-
tion du pays qu'il est bon de les tran-
cher.
PAUL LAFARGUE.
L'ancien parti bonapartiste essaye de
ressouder ses tronçons épars. Victoriens
et jérômistes, qui ne tiennent pas beau-
coup de place dans la politique contem-
poraine, se seront aperçus sans doute
que leurs grandes agitations et leurs vi-
rulentes querelles commençaient à re-
mettre dans les mémoires ces vers où
Victor Hugo nous montre :
L'inflniment petit monslrueux et féroce,
Et, dans la gout!e d'eau, les guerres du volvoce
Avec le vibrion.
Ils ont renoncé, provisoirement au
moins, à leurs haines farouches, et, à la
fin d'un banquet, nous assure le Matin,
M. Paul de Cassagnac ayaut fait appel à
la conciliation, M. Robert Mitchell,
« ému », est tombé dans ses bras.
L'orateur, il est juste de le faire obser-
ver, avait dit : « Les idées ne séparent
qu'en dehors de la table et du salon. »
Nous saurons bientôt si les amitiés ré-
sistent en dehors de ces lieux privilégiés.
Quoi qu'il en soit, M. Robert Mitcaell
profite de la trêve pour faire un tantinet
de philosophie historique, et sous la
forme la plus gracieuse, au milieu des
compliments les plus flatteurs, il n'est
pas fâché de river doucement leur clou
aux royalistes de toutes nuances, qui,
eux, sont restés divisés, — les incorrigi-
bles ! — ne s'étant sans doute rencontrés
ni sur le tapis d'un salon ni autour d'une
table où se succédaient le grand-xérès,
le pontet-canet et le clos-vougeot 1870.
Les conseils de M. Robert Mitytiell ne,
sont point à dédaigner, sè'S aperçue sont
ingénieux ; il les donne sous forme de
lettre adressée au directeur de la Patrie,
et ce journal les publie sous un titre qui
ne serait pas trop maigre pour une bro-
chure.
Voici le titre : DROIT DIVIN ET DROIT DU
PEUPLE.
Voici le morceau :
Mon cher ami,
Les royalistes sont en querelle. Hélas !
c'est le sort commun, et la guerre civile est
dans tous les partis; la querelle est d'ail-
leurs courtoise, comme il convient entre
gens de bonne compagnie ; M. Hervé
souhaite que l'on se transforme, et la Ga-
zette de France ne s'en soucie point.
J'estime avec vous que la logique est du
côté de la Gazette de France. Certes, M. Hervé
n'est pas embarrassé pour défendre sa thèse,
c'est un homme de ressource et aussi de
progrès; il a vécu fort près d i suffrage uni-
versel et d'instinct sait ce qu'il lui faut dire
pour se le concilier.
Mais sa raison l'entraîne et ses sentiments
le retiennent : 11 tend les bras à l'avenir et
retourne la tête pour caresser du regard
d'anciens et estimables amis ; tiraillé en
sens contraires par ses aspirations et ses
souvenirs, il piétine sur place en dépit
d'une ardeur sans seconde, et ne saurait
avancer.
Il lui plairait d'accorder ses préférences,
avouées et ses tendresses secrètes, et ce
démocrate royaliste 3'emplAÑaiii8 plus slopc-
rement du monde à .marier le grand Turc
avec la République de Venise. La tentative
est honorable, mais la. Gazette de France la
juge vaine, et n'a point tort.
En France, il est des gens qui représen-
tent des idées et que l'on ne pourra, quoi
qu'on fasse, déposséder de ce privilège.
Le chef de la Maison de France est l'in-
carnation vivante du droit héréditaire, su-
périeur à la volonté nationale. Politique-
ment, il descend du roi de France, et point
du roi des Français ; il est Philippe VII et non
Louis-Philippe II.
Qu'il le veuille ou non, les traditions de
sa race déterminent son rôle; et s'il lui plai-
sait de s'en écarter, il deviendrait, à l'imita-
tion de son bisaïeul, un citoyen aspirant au
pouvoir et n'invoquant au profit de son am-
bition que ses seuls mérites et les services
qu'il a pu rendre.
Or le comte de Paris n'est pas un compéti-
teurau trône : il est le roi, commel'était avant
lui le comte de Chambord, et il ne peut sou-
mettre sa personne et son titre à ce grand
concours où le prix est au plus populaire,
et qui a nom plébiscite.
Si les fautes que le pouvoir accumule pro-
voquaient une réaction supérieure à l'action
même ; si cette réaction s'étendait à la dé-
mocratie et la confondait avec la Républi-
que dans un même discrédit, le comte de
Paris apparaîtrait comme une solution né-
cessaire avec son droit intact et ses tradi-
tions réparatrices.
Mais si le pays, fatigué de l'impuissance
parlementaire, revendique le pouvoir cons-
tituant, reclame son intervention directe
dans le règlement des ses destinées, alors
c'est un Napoléon qui s'impose, comme le
représentant, jusqu'à présent unique, du
droit populaire.
Le droit divin ne fat, à proprement par-
ler, que le droit du plus fort : la conquête
l'établissait. Dieu donnait la victoire et par
là même conférait le droit.
Ce droit, nous l'avons vu de nos jours se
constituer en Allemagne par l'annexion du
Hanovre, de Nassau, de l'Alsace et de la Lor-
raine.
Nous avons vu, d'autre part, se constituer
en Italie une monarchie de droit populaire,
par les plébiscites de Tosoane, de Na-
ples, etc., etc.
La conquête et le plébiscite, voilà l'origine
des deux droits. Les Bourbons sont les re-
présentants du premier, et les Napoléons du
second.
C'est Dieu qui donne la couronne royale,
c'est le peuple qui confère le diadème impé-
t~aO..
Assurément le comte de PaTis ne se dis-
simule pas les difficultés du rôle que lui
trace l'hictoirfl. C'est, nous dit-on, un prince
éclairé, que l'exil a mûri et qui ne se défend
pas contre l'invasion des idées modernes ;
on affirme qu'au fond il est demeuré le pe-
tit-fils de Lonis-Philiope, et que parfois il
relit, en cachette , le testament du duc d'Or-
léans; mais la royauté a son renom, que nul
ne peut modifier ou diminuer, et le comte
de Paris, quoi qu'il fasse, quoi qu'il dise, sera
toujours, aux yeux du pays, l'héritier du roi
qui octroya la Charte et le successeur du roi
qui la retira motu projwio.
Il lui faudrait s'expliquer, ce qu'il ne peut
faire, et nul, hormis ceux qui le connaissent,
n'ajouterait foi à ses déclarations.
Les Napoléons, au contraire, n'ayant d'au-
tre droit que celui qu'ils tiennent de la vo-
lonté nationale, n'ayant d'autre origine que
la Révolution française et le coup d'Etat qui
a rétabli le suffrage universel mutilé par la
loi du 31 mai, n'ont pas à se faire connaître.
Leur nom signifie plébiscite, et les deux
termes se confondent à ce point qu'aujour-
d'hui même l'appel au peuple est considéré
par les docteurs de la République comme
une doctrine séditieuse. Il se paut toutefois
que, le comte de Paris renonçant à régner,
« parce que Bourbon », entrât franchement
dans la lice et inclinât son droit personnel
devant la souveraineté nationale, ce dont
nous serions aises.
Il lui faudrait dans'ca cas se faire con-
naître et mener la prochaine bataille à la
tête de ses troupes, à moins qu'il ne prété-
rit, ce qui serait plus sage, ajourner toute
Ç neadication» s'inspirer du péril commun
pour travailler à la commune défense, et se
dire :
La patrie est en danger; je suis de ceux
qui la veulent secourir, sans préoccupa-
tion personnelle. Après la victoire, le peu-
ple récompensera le plus digne. »
ROBERT MITCHELL.
Ah ! comme on voit bien que cette
consultation est donnée au lendemain
d'une réconciliation, un jour où la vie
apparaît en rose. Ce n'est pas à table
cependant, « entre gens de bonne compa-
gnie», que l'ancien député de la Gironde
a appris la manière de cracher au plat
porr en dégoûter les autres.
& D'où vient qu'il le fait si délibérément ?
Si le comte de Paris est tel qu'il nous
le montre, « un prince éclairé, que l'exil
a mûri et qui ne se défend pas contre
l'invasion des idées modernes », le dé-
goût de prétendre au trône lui viendra
sans doute des raisons indiquées par M.
Robert Mitchell. Mais il en prendra pré-
texte pour rester tranquillement chez lui
et vivre comme ses oncles, en bon bour-
geois, haussant les épaules quand des ma-
lins trop malins lui diront : « Montez sur
les tréteaux avec nous, monseigneur ;
vous tiendrez l'emploi de Scaramouche
ou du Pasquin, à votre choix, selon que
vous aimez mieux les coups de bâton ou
les coups de pied quelque part ; et quand
le public sera suffisamment allumé,
soyez tranquille : si votre grandeur vous
interdit de passer entre les banquettes,
c'est nous oui ferons la quête ».
- PAUL PELLEGROT.
NOUVELLES DE CHIN.
Au ministère de la guerre , on est depuis
quelques jours sans nouvelles du général
Brière de l'Isle. On ne s'explique pas ce si-
lence; mais le général Lewal attend à cha-
que instant une dépêche contenant des dé-
tails sur la suite des opérations à Tuyen-
Quan.
L'amiral Courbet est toujours devant Ning-
Po.
**
M. Julien Viaud (Pierra LWi)" lieutenant
de vaisseau, qui avait ét6 mis en disponibi-
lité pour la publication d'articles sur le dé-
but de la campagne du Tonkin. est envoyé
à la disposition de M. le vice-amiral com-
mandant en chef de l'escadre.
Il s'embarquera sur le Mytho, partant. de
Toulon le 20 mars.
ft *
» *
Shanghaï, 6 mars, 6 h. 10 soir.
Le gouvernement anglais a notifié qu'il
refusait de reconnaître le riz comme contre-
bande de guerre.
«
Londres, 6 mars.
Une dépêche de Hong-Kong, du 6 mars,
publiée dans les journaux anglais, constate
que la flotte française est en observation de-
vant Ning-Po.
■ M —————m
L'Exposition Eugène Delacroix
Il n'y a plus de lances à rompre en
faveur d'Eugène Delacroix. Ce nom est
entré dans la gloire,. Il rayonne, il a
même fait pâlir les noms de tous les
autres peintres du siècle.
On a raconté mille fois les longues
luttes soutenues par Eugène Delacroix
contre l'école académique, contre les
jurys, contre les injustices de la criti-
que ou du public : s'il eut de bonne
heure quelques partisans enthousias-
tes , aucun novateur certes n'eut à
subir plus d'avanies et ne fut l'objet
de plus de sottes injures. J'admire
chez lui son dédain du succès, son
indifférence à la mode et à ses fa-
veurs, son indomptable énergie à
lutter jusqu'au bout malgré tant de
causes de découragement. Mais ce
que j'admire surtout ; c'est cette con-
viction profonde, où il entrait autant
de passion de son art que d'orgueil, qui
durant quarante ans le soutint. Ce fut
elle qui lui donna l'énergie, la ténacité,
et avec elles l'indifférence et le dédain.
Il marcha seul, mais ferme et fier, bien
résolu à ne faire que ce qu'il voyait,
à n'acheter les applaudissements au
prix d'aucune lâche concession, con-
vaincu que c'était lui qui avait raison et
que l'avenir le vengerait du présent. Il
n'était pas mesquinement ambitieux ; il
ne voulait ni la renommée, ni la fortune,
ni les honneurs ; il voulait la gloire. Il
travaillait pour la postérité.
La revanche commença pour lui à
l'Exposition universelle de 1855. On vit
là réunies une quinzaine de ses toiles
importantes; les adversaires eux-mêmes
turent bien obligés de reconnaître que
Delacroix était quelqu'un, un vrai pein-
tre, un maître. Quant à l'Exposition qui
suivit, au lendemain de la mort de l'ar-
tiste durant les vacances de 1864, elle
prit les proportions d'une apothéose.
Je me souviens encore de cette Ex-
position, dans les salles aujourd'hui
fermées du boulevard des Italiens, des
cris d'étonnement et d'admiration de la
foule devant les Croisés à Constantino-
ple, la Barque de don Juan, la Médée,
l devant cent œuvres de toute taille, si
diverses par les sujets, éclatantes de
couleur, d'où se dégageait une si in-
Iens3 poésie. Autant on avait vu, quel-
ques années auparavant, leurs Exposi-
tions posthumes faire de tort à Delaro-
che, à Ary Schefter, autant la sienne
grandit Delacroix.
De ce jour, on ne contesta, pms son
génie. Les amateurs se disputèrent ses
peintures et ses dessins ; on vit tel ta-
bleau vendu à lui seul plus cher que
n'avaient rapporté à l'artiste vivant
celles de ses œuvres qui avaient trouvé
des acheteurs.
La génération nouvelle s'est élevée
dans le respect, dans l'admiration quasi-
religieuse du nom de Delacroix. Plu-
sieurs des œuvres du maître sont à leur
place au musée du Louvre ; d'autres
décorent le Palais-Bourbon ou cette
chapelle de Saint-Sulpice où elles sont
hélas ! si mal éclairées. Les Parisiens les
connaissent. Mais combien d'autres sont
dispersées dans nos musées de province
ou dans des galeries particulières 1 11
était à souhaiter qu'une occasion fût
offerte à ceux qui les avaient vues déjà
de les revoir, à ceux qui ne les connais-
saient pas de les voir et de les voir
réunies, s'expliquant et se complétant
l'une l'autre, permettant de suivre en
m^me temps l'unité et l'évolution de,
même temps l'unité et l'évolution de
l'un des talents les plus originaux, les
plus souples et les plus oompréhensifs
qui furent jamais.
C'est le-service que viennent de rendre
à tous les amis de l'art, à tous les amis
de la gloire française, ceux qui ont or-
ganisé l'exposition du quai Malaquais.
Il s'en faut qu'elle soit complète; et
comment, en effet, le serait-elle? Mais
telle qu'elle est, avec ses trois cents
numéros, elle atteint bien le but que se
sont proposé ceux qui l'ont provoquée.
Il n'y a pas besoin de montrer le che-
min au public. Il le trouvera de lui-
même. Le nom de Delacroix est à lui
seul un appel plus puissant que toutes
les recommandations de la critique. On
trouvera là, pour citer quelques noms
seulement, l'Entrée des croisés à Cons-
tantinople, les Convulsionnaires de
Tanger, la Médée, le Calvaire, les Ti-
gres, YEvêque de Liège ; ces deux pro-
diges de la couleur, le Giaour et le
Pacha et le Combat du Giaour et du
Paelta, et -aussi ces peintures et ces
dessins de fauves qui comptent parmi
les plus extraordinaires ouvrages de
cet artiste quona accusé de ne savoir
pas dessiner. -
L'exposition de Delacroix est ouverLe:
Je ne veux rien dire de plus aujour-
d'hui. J'entreprendrai dans quelques
jours une autre tâche. On avait com-
mencé par condamner Delacroix au
lieu de le juger. Il me semble que de-
puis vingt ans, par une inévitable réac-
tion, on l'a plus admiré qu'on ne l'a
jugé. On a mis toutes ses œuvres pres-
que sur le même plan, prétendant trou-
ver sur toutes la griffe du génie. Il
m'a paru que l'heure de l'équitable pos-
térité était enfin venue. Delacroix fut
de ceux qui cherchent toujours : ceux-là
seuls trouvent, mais ils ne trouvent pas
toujours. Il a eu des défaillances, il a
commis des erreurs : il est inutile
Feuilleton du XIX* SIRCLB
Du 8 Mars 1885
(22) -
UNE FOLIE
xiv
suite —;
L'entr&e en possession du grand loge-"
ment officiel et froid du ministère avait
été l'occasion d'un changement complet
de vie. Le sous-secrétaire d'Etat avait
ses appartements et sa femme les siens ;
elle reçevait beaucoup de monde et il
fallait que son mari pût recevoir de son
côté, rentrer, sortir à toutes les heures.
Souvent on ne se rencontrait qu'à table,
et encore y avait-il presque toujours
quelque invité. L'intimité des jeunes
époux avait à peu près disparu. Maurice,
un peu grisé par sa nouvelle importance,
ne s'en apercevait guère ; Fleurette,
très fière, en souffrait silencieusement.
Elle avait en plus des soucis d'un autre
genre. Elle lança des invitations, présida
de grands dîners, se montra même,
grâce aux conseils de sa belle-sœur fort
convenable maitresse de maison ; mais
pour toutes les dépenses qu'entraînait
ce genre de vie, l'argent manquait. Sou-
vent, tout en suivant quelque conversa-
tion banale, pendant que son coupé at-
tendait à la porte, Mme Malleville se de-
mandait avec angoisse comment elle
nouerait les deux bouts de son budget
trop court ; et, vêtue de soie, elle ne
trouvait parfois pas cent sous pour une
charité qui lui tenait au cœur. Dans les
cas diliciles, elle aimait encore mieux
s'adresser à Mme Darboys qu'à son mari,
et Mme Darboys l'approuvait.
L'affection du marquis de Castellano,
pour sa fille s'était réveillée avec une ar-
deur singulière. Le petit appartement de
la rue de Rennes n'avait pas été à son
gollt, et l'attitude hostile de son gendre
suffisait pour expliquer la rareté de ses
Ylstes. Au ministère, au contraire, il
était chez lui. Avec son tact de grand
seigneur qui n'aime pas les scènes, il
évitait de se trouver avec Maurice et sa-
ïteproûuçtioa Interdit^
vait choisir ses heures. Mais si le sous-
secrétaire d'Etat ne voyait pas souvent
son beau-père, il en entendait beaucoup
parler. Il savait que, plus que Fleurette
elle-même, il faisait les honneurs de son
salon ; que toutes les femmes raffolaient
de ce « cher marquis »; que, grâce à lui,
les visites se prolongeaient et qu'on s'a-
musait beaucoup. Il était de plus en plus
à la mode. Mme Darboys ne l'aimait
guère, mais son mari en avait fait son
ami intime, et Solange se laissait faire, en
riant, la cour par ce viveur, dont le cœur,
disait-il, n'avait toujours que vingt ans.
A vrai dire, il faisait la cour à toutes les
femmes, s'arrêtant toujours juste à te:nps.
Quand il avait causé sentiment avec une
jolie mondaine, il s'en allait au cercle
avec le mari, bras dessus bras dessous;
et tout le monde s'en trouvait bien — lui
surtout.
Et quoique Fleurette fût sans grandes
illusions sur les sentiments de son père,
il lui était très nécessaire ; sans lui, elle
se fût trouvée bien seule. Très souvent
Maurice ne pouvait l'accompagner dans les
soirées où il tenait cependant à ce qu'elle
fît au moins une apparition; et alors le
marquis, toujours frais, dispos, souriant,
lui servait de chaperon. Puis elle avait
un plaisir exquis à parler italien, avec les
intonations traînantes et câlines de Na-
pies. Chaque mot lui réchauffait le cœurl
lui apportait comme un rayon de soleil,
— et parfois, au beau milieu d'une
phrase, elle s'arrêtait, reprise de ce ter-
rible mal du pays dont elle s'était crue
guérie.
Maurice, au contraire, lorsque les sons
de cette langue étrangère frappaient son
oreille, se sentait ennuyé, mécontent. Il
aurait voulu faire oublier que sa femme
n'était pas Française, comme il cherchait
à l'oublier lui-même. La manie qu'elle
avait de parler italien lui semblait toute
voisine de cette autre fantaisie qu'elle
avait eue jadis, lorsqu'elle attirait chez
eux toute une bande de petits vauriens
avec leurs harpes délabrées et leurs tam-'
bours de basque. Il s'était débarrassé de
ces compatriotes compromettants en
donnant des ordres sévères au concierge,
et il regrettait sincèrement de ne pou-
voir en agir de même avec son beau-
père. Une allusion perfide, dans un jour-
nal qui l'attaquait volontiers, au jeu
effréné d'un grand seigneur touchant de
près à un ministère républicain et aus-
l tère, détermina une explosion.
- VIi jsoir de grand bal, le beau marquis
arriva avant que sa fille se fût habillée.
Il fit demander à son gendre de le rece-
voir; Maurice, surpris et agacé, hésita un
instant, mais ne put refuser sa porte.
Il s'attendait à une demande d'argent et.
prit une figure de circonstance.
Le marquis n'eut pas l'air de s'aperce-
voir que l'accueil fût glacial ; il donna
bon gré mal gré une poignée de main
à son « cher Maurice », et, choisissant
avec soin un cigare dans une botte ou-
verte, s'installa dans le meilleur fauteuil
et se mit complètement à son aise. Mau-
rice, debout, appuyé à la cheminée, le
regardait faire, et ne pouvait s'empêcher
d'admirer ce sans-gêne, si naturel, si gra-
cieux, qu'il était difficile de s'en fâcher.
Un peu plus, et c'était le marquis qui
donnait audience. Tout en allumant son
cigare, il causait de bagatelles sans s'in-
quiéter des réponses courtes et sèches de
son gendre. Il paraissait à peine plus âgé
que lui; svelte, élégant, bien pris dans
son habit irréprochable, la figure repo-
sée et souriante, on comprenait qu'il fût
encore capable de faire des passions.
Maurice se vit un instant dans le miroir
et se trouva négligé dans sa mise, l'air
fatigué, les traits tirés: le travail sans
relâche laisse des traces implacables, et
Gertes il travaillait plus que de raison.
— Je pense, monsieur, dit enfin Mau-
rice dont la patience n'était pas la vertu
dominante, que ce n'est pas pour me
parler du bal de ce soir que vous m'avez
fait abandonner un travail très pressé et
qui me réclame.
— Vous avez parfaitement raison, mon
cher Maurice. Vous êtes un homme trop
sérieux pour tenir aux futilités. Votre
génération ne sait pas sourire ; la nôtre
avait pris toute la gaieté disponible, il
n'en est rien resté pour la vôtre, — ce
qui est grand dommage. Vous êtes
pressé? Venons au fait. La chose dont
j'ai à vous entretenir vous regarde, vous
et votre femme, tout particulièrement.
Il s'agit de la villa.
— Ah !
Maurice n'était pas encourageant ; il
restait sur la défensive.
— Mon intention a toujours été de la
donner- à ma fille; Si l'acte n'a pas été
rédigé, si le contrat de mariage manque,
c'est que toutes ces paperasses, aux-
quelles du reste je ne comprends rien,
coûtent un argent fou. Je ne sais com-
ment cela se fait, mais l'argent comptant
me fait toujours défaut I
Maurice, de nouveau,examina son beau-
père du bout de ses bottines vernies à -la
fleur blanche de s'a boutonnière.
— J'en sais quelque chose, monsieur
le marquis.
— Bah ! mon cher, vous n'avez pas en-
core oublié cette petite affaire du 'trous-
seau? Mais vous voilà soulagé; ce repro-
che vous démangeait la gorge, il est sorti ;
n'en parlons plus. Du reste, je ne vous
en veux pas. Vous êtes en veine de fran-
chise, moi de même ; mais je suis aussi
en veine de bonne humeur, ce qui n'est
pas votre cas. Continuons, si vous le
voulez bien.
- Mon Dieu, monsieur, puisque vous
m'y autorisez, je continuerai. Je n'ai, du
reste, qu'un mot à vous dire: vous êtes
galant homme, vous me comprendrez
sans que j'insiste. Lorsque nous habi-
tions un modeste appartement, vous
aviez fort bien compris que votre dignité
s'essoufflait à monter nos quatre étages,
— et vous aviez parfaitement raison. La
situation reste la môme, je vous assure.
Nous avons béau habiter un ministère,
nous ne sommes que de petites gens,
bourgeois et bourgeoises ; votre fille elle-
même est descendue au rang de rotu-
rière. Votre condescendance nous ho-
nore sans doute, mais elle nous compro-
met : un titre sonne mal dans nos salons,
surtout lorsque ce même titre est pro-
noncé à haute voix dans des salles de jeu,
et que l'écho s'en entend même dans les
journaux du boulevard.
— On ne saurait mieux dire: « Monsieur
mon beau-père, voilà la porte; je grille de
vous l'ouvrir et de la refermer après
vous à double tour. » Vous oubliez, mon
cher ami, que votre femme, toute rotu-
rière qu'elle soit, est ma fille, et que je
l'aime.
— D'une affection bien intermittente,
avouez-le, et qui fait un peu sourire les
sceptiques.
Comme vous. Eh bien! vous avez
tort ; j'aime ma fille, quoi que vous en
pensiez, et je ne consens nullement à
être séparé d'elle. D'autant plus que sans
moi elle serait bien isolée, la pauvre en-
fant, soit dit en passant et sans repro-
che. Mais peut-être me croirez-vous plus
facilement lorque je vous avouerai qu'en
venant embrasser ma Fleurette j'y trouve
aussi mon compte.
— Vous ne me verrez plus sceptique,
monsieur. Daignerez-vous me dire de
quelle façon? On ne joue pas dans le
salon de ma femme.
— Non, et c'est peut-être un tort. Mais
on s'y trouve avec des gens, très aimables,
ma foi ! quoique roturiers, qui jouent
ailleurs. Voyez-vous, mon cher Maurice,
avant d'avoir eu le bonheur de vous ren-
eontrer, le bonheur plus grand encore
de vous donner ma fille, j'avais déjà
habité Paris de longues années. J'ai
fréquenté des mondes divers; je les
ai considérés comme autant de belles
oranges qui me faisaient penser à celles
de notre villa, juteuses, douces au
goût, et je les ai sucées les unes après
les autres. Une orange sucée, cela ne
sert plus, on la jette et on passe à une
autre. Or, je suis gourmand, moi, et les
oranges ne poussent pas indéfiniment
dans ce climat froid. Il en restait une
intacte : grâce à vous, je l'ai cueillie. Ce
monde républicain que je ne connaissais
pas, que je semblais destiné à ne pas
connaître, vous m'y avez fait entrer.
bien malgré vous, mais cela n'importe
pas. J'ai vu tout de suite le parti que j'en
pouvais tirer, et une mésalliance ne m'a
pas fait peur. J'ai trouvé ce que je cher-
chais : des gens enrichis, des élégants
de pacotille, des vaniteux, fiers de dire
« mon ami le marquis », des femmes
frivoles, — il y en a jusque dans votre
parti austère, - heureuses de me donner
la meilleure place à leur table, et for-
çant leurs maris à m'ouvrir, sinon leur
cœur, au moins leur bourse. Mes calculs
ne m'ont pas trompé : l'orange est savou-
reuse.
- Et quand elle sera sucée, elle aussi ?
- Eh ! mon cher ne songeons qu'au
présent, qui est agréable. Ce que l'ave-
nir me réserve, je l'ignore ; mais soyez
sûr que le marquis de Casellano ne traî-
nera pas une existence misérable, et
ne sera jamais à charge, même à son
gendre. On trouve toujours, quand on
veut, un moyen de sortir, en saluant poli-
ment.
— Un suicide, en effet, serait le digne
terme d'une vie de joueur.
— Un suicide ? Où allez-vous pêcher
de ces vilains mots ? Un accident, tout
au plus. Mais les idées tristes troublent
la digestion, et si jeous ai demandé un
moment d'entretien, ce n'était pas avec
la pensée de parler de ma mort, qui est
encore, je l'espère, fort éloignée. Je re-
viens donc à mon désir de donner à ma
fille ma villa de Naples, - une jolie dot,
ma toi !
— Votre bonté m'accable et m'étonne.
- Elle vous étonnera moins peut-être
lorsque je vous aueai dit que je ne me
sens aucune aptitude pour les affaires, et
que la possession de la villa où vous
avez si bien conduit votre petit roman,
votre barque si vous aimez mieux, en-
traine certaines combinaisons. Je m'y
perds, je l'avoue.
— Ces combinaisons s'appellent ?
— En langue vulgaire, des hypothè-
ques.
— Je m'y attendais. Et ces hypothè-
ques montent à la somme de ?.
— Je ne sais au juste ; il y a des arrié-
rés d'intérêts, je crois. Enfin avec cent et
quelques mille francs peut-être.
Maurice éclata de rire. Il n'avait pas
vu que Fleurette se tenait sur le seuil de
la porte.
— Vraiment, monsieur le marquis,
vous êtes un homme d'esprit. Vous avez
trouvé commode une fois déjà de me
faire cadeau de vos dettes; vous conti-
nuez la série ; toutes sans doute y passe-
ront.
— Ah ! s'il ne dépendait que de moi !
Mais vous exagérez. Si la villa était un
peu mise en ordre, elle doublerait de va-
leur. Si on la vend à présent, dans l'état
où elle se trouve, la vente couvriraà
peine les frais. C'est à vous à décider.
— Vendez-la, parbleu ! Où voulez-vous
que je trouve cent et quelques mille
francs ?
- Eh. bien, mon cher, on la vendrai
— Vendre la villa, ma villa ! Là où je
suis née, où ma mère est morte, où Mau-
rice m'a aimée. Vendre la villa! Ah 1
non ! je ne le veux pas, je ne le veux pas!
Fleurette, en toilette dabal, était au-
près des deux hommes, très pâle, les yeux
sombres.
— Voyons, ma mignonne, est-ce ma
faute ? J'ai offert à ton mari de lui aban-
donner tons mes droits, pouvais-je faire
plus?
— Cette façon de faire des cadeaux est
admirable en effet. C'est de la générosité
ou je ne m'y connais pas !
Maurice était très nerveux, il avait
horreur des scènes, Mais le cri de Fleu-
rette lui avait fait mal ; elle y avait mis
tant de passion, tant de douleur, qu'il
était forcé de se raidir pour résister.
Elle prit ses deux mains et le força
la regarder.
JEÀNXE MiSH,
(A suivre)
JOUMAL RÉPUBLICAIN CONSERVATEUR
REDACTION
S'adresser au Secrétaire de la Rédaetioll.
de S heures à minuit
llO, rue Cadet, lis
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Egypte 341 25,341 87, 341 25.
Baruque ottomane. 611 87, 61125, 61437.
Extérieure. 61 9[16, 3[4,
Lots Turçs. 47 50.
PARIS, 7 MARS 1885
Tous les ans, depuis que la Constitu-
tion de 1875 nous régit; la discusssion
du budget a suivi la même marche : la
Chambre votait la série des chapitres,
le Sénat en modifiait quelques-uns ; la
Chambre, saisie à nouveau, admettait
certaines modifications, en repoussait
d'autres, et le Sénat acceptait à son
tour les chiffres ainsi revisés. C'est le
système de la cote mal taillée. Il a du
bon puisqu'il a permis aux deux sec-
tions du pouvoir législatif de vivre à
peu près en bonne intelligence et aux
rouages administratifs de fonctionner
sans encombre.
Cette année, les choses ont l'air de
se présenter différemment: l'opinion
qui a prévalu dans la commission du
budget est que le Sénat a le droit de
provoquer sur tel ou tel point une se-
conde délibération de la Chambre, en
manifestant son désir par un rétablis-
sement de crédit, mais que, ce droit
de remontrance épuisé, les décidons
de la Chambre deviennent définitives.
Certains députés mêmes poussent la
jalousie de leurs prérogatives financiè-
res jusqu'à vouloir accueillir toutes les
modifications du Sénat par la question
préalable. Etrange façon de souhaiter
la bienvenue au nouveau Sénat répu-
blicain !
L'Extrême-Gauche et la Gauche radi-
cale tiennent pour le rejet en bloc;
l'Union républicaine s'associe, en grande
partie, aux résolutions de la commis-
sion du budget; l'Union démocratique
se prononce pour l'acceptation de la
plupart des crédits rétablis par le Sénat.
Le conflit est donc imminent et, à poin-
ter les forces numériques, l'issue en
est fort douteuse, l'absence de deux
douzaines d'amis du Cabinet qui ont été
promus sénateurs se faisant cruelle-
ment senlir à la Chambre.
Ce conflit eût pu trouver sa solution
naturelle cet été à Versailles ; mais, en
vertu de* cet adage « qu'à chaque jour
suffit sa peine », il parut plus prudent
de ne pas trop exiger d'une concorde
aussi fragile que celle du Congrès. La
question était donc réservée pour la fin
de l'année. Ces fins de décembre, quels
services elles nous ont rendus ! L'heure
de la promulgation du budget allait
sonner, il fallait s'entendre, sous peine
de mal commencer l'année; un petit
effort de part et d'autre, et le budget
se trouvait arriver à temps, comme ces
voyageurs qui se donnent perpétuelle-
ment l'émotion de croire qu'ils manquent
le train. En décembre 1884, les choses
ne se passèrent pas ainsi. Y eut-il ma-
lice ou simple coup du sort? Peut-être
crainte du mauvais effet d'un différend
à vider à la veille des éleqjiens sénato-
riales ? Toujours est-il qu'on franchit la
date protectrice, qu'on abaissa la bar-
rière où étaient acculées d'ordinaire les
mauvaises volontés et qu'on vota une
sorte de trimestre provisoire, sans se
rendre bien compte qu'il n'y a que le 1
premier douzième qui coûte. -
Aujourd'hui, en dehors de l'accord,
les hypothèses ne sont pas nombreuses
à envisager. Il en est deux, en pré-
sence de l'obstination de l'une et l'autre
assemblée :
Ou le gouvernemènt tranchant lui-
même en faveur de la Chambre, comme
paraît l'y inciter la commission du bud-
get, une question de droits financiers
que le Congrès n'a pas osé aborder ;
Ou la continuation de l'expédient
des douzièmes provisoires, avec recours
à la dissolution, quand la nouvelle loi
électorale n'est pas encore discutée.
La brutalité même de ces deux hypo-
thèses impose l'accord. Nous sommes
de ceux qui pensent qu'en principe le
Sénat doit avoir simplement le droit de
remontrance, parce qu'il est investi du
droit de dissolution, parce que la Cham-
bre des députés a la responsabilité de la
gestion de l'argent des contribuables,
parce que deux assemblées ne sauraient
coexister si leurs pouvoirs n'étaient pas
pondérés dans une mesure à peu près
juste. Mais nous sommes de ceux qui
croient qu'on assoira la République
sur des bases inébranlables à force de
concessions réciproques, qu'il serait la-
mentable de préluder à des élections
législatives par une bataille entre élus
républicains, et que d'ailleurs, si notre
Constitution donne lieu à des litiges, ce
n'est pas avant, c'est après la consulta-
tion du pays qu'il est bon de les tran-
cher.
PAUL LAFARGUE.
L'ancien parti bonapartiste essaye de
ressouder ses tronçons épars. Victoriens
et jérômistes, qui ne tiennent pas beau-
coup de place dans la politique contem-
poraine, se seront aperçus sans doute
que leurs grandes agitations et leurs vi-
rulentes querelles commençaient à re-
mettre dans les mémoires ces vers où
Victor Hugo nous montre :
L'inflniment petit monslrueux et féroce,
Et, dans la gout!e d'eau, les guerres du volvoce
Avec le vibrion.
Ils ont renoncé, provisoirement au
moins, à leurs haines farouches, et, à la
fin d'un banquet, nous assure le Matin,
M. Paul de Cassagnac ayaut fait appel à
la conciliation, M. Robert Mitchell,
« ému », est tombé dans ses bras.
L'orateur, il est juste de le faire obser-
ver, avait dit : « Les idées ne séparent
qu'en dehors de la table et du salon. »
Nous saurons bientôt si les amitiés ré-
sistent en dehors de ces lieux privilégiés.
Quoi qu'il en soit, M. Robert Mitcaell
profite de la trêve pour faire un tantinet
de philosophie historique, et sous la
forme la plus gracieuse, au milieu des
compliments les plus flatteurs, il n'est
pas fâché de river doucement leur clou
aux royalistes de toutes nuances, qui,
eux, sont restés divisés, — les incorrigi-
bles ! — ne s'étant sans doute rencontrés
ni sur le tapis d'un salon ni autour d'une
table où se succédaient le grand-xérès,
le pontet-canet et le clos-vougeot 1870.
Les conseils de M. Robert Mitytiell ne,
sont point à dédaigner, sè'S aperçue sont
ingénieux ; il les donne sous forme de
lettre adressée au directeur de la Patrie,
et ce journal les publie sous un titre qui
ne serait pas trop maigre pour une bro-
chure.
Voici le titre : DROIT DIVIN ET DROIT DU
PEUPLE.
Voici le morceau :
Mon cher ami,
Les royalistes sont en querelle. Hélas !
c'est le sort commun, et la guerre civile est
dans tous les partis; la querelle est d'ail-
leurs courtoise, comme il convient entre
gens de bonne compagnie ; M. Hervé
souhaite que l'on se transforme, et la Ga-
zette de France ne s'en soucie point.
J'estime avec vous que la logique est du
côté de la Gazette de France. Certes, M. Hervé
n'est pas embarrassé pour défendre sa thèse,
c'est un homme de ressource et aussi de
progrès; il a vécu fort près d i suffrage uni-
versel et d'instinct sait ce qu'il lui faut dire
pour se le concilier.
Mais sa raison l'entraîne et ses sentiments
le retiennent : 11 tend les bras à l'avenir et
retourne la tête pour caresser du regard
d'anciens et estimables amis ; tiraillé en
sens contraires par ses aspirations et ses
souvenirs, il piétine sur place en dépit
d'une ardeur sans seconde, et ne saurait
avancer.
Il lui plairait d'accorder ses préférences,
avouées et ses tendresses secrètes, et ce
démocrate royaliste 3'emplAÑaiii8 plus slopc-
rement du monde à .marier le grand Turc
avec la République de Venise. La tentative
est honorable, mais la. Gazette de France la
juge vaine, et n'a point tort.
En France, il est des gens qui représen-
tent des idées et que l'on ne pourra, quoi
qu'on fasse, déposséder de ce privilège.
Le chef de la Maison de France est l'in-
carnation vivante du droit héréditaire, su-
périeur à la volonté nationale. Politique-
ment, il descend du roi de France, et point
du roi des Français ; il est Philippe VII et non
Louis-Philippe II.
Qu'il le veuille ou non, les traditions de
sa race déterminent son rôle; et s'il lui plai-
sait de s'en écarter, il deviendrait, à l'imita-
tion de son bisaïeul, un citoyen aspirant au
pouvoir et n'invoquant au profit de son am-
bition que ses seuls mérites et les services
qu'il a pu rendre.
Or le comte de Paris n'est pas un compéti-
teurau trône : il est le roi, commel'était avant
lui le comte de Chambord, et il ne peut sou-
mettre sa personne et son titre à ce grand
concours où le prix est au plus populaire,
et qui a nom plébiscite.
Si les fautes que le pouvoir accumule pro-
voquaient une réaction supérieure à l'action
même ; si cette réaction s'étendait à la dé-
mocratie et la confondait avec la Républi-
que dans un même discrédit, le comte de
Paris apparaîtrait comme une solution né-
cessaire avec son droit intact et ses tradi-
tions réparatrices.
Mais si le pays, fatigué de l'impuissance
parlementaire, revendique le pouvoir cons-
tituant, reclame son intervention directe
dans le règlement des ses destinées, alors
c'est un Napoléon qui s'impose, comme le
représentant, jusqu'à présent unique, du
droit populaire.
Le droit divin ne fat, à proprement par-
ler, que le droit du plus fort : la conquête
l'établissait. Dieu donnait la victoire et par
là même conférait le droit.
Ce droit, nous l'avons vu de nos jours se
constituer en Allemagne par l'annexion du
Hanovre, de Nassau, de l'Alsace et de la Lor-
raine.
Nous avons vu, d'autre part, se constituer
en Italie une monarchie de droit populaire,
par les plébiscites de Tosoane, de Na-
ples, etc., etc.
La conquête et le plébiscite, voilà l'origine
des deux droits. Les Bourbons sont les re-
présentants du premier, et les Napoléons du
second.
C'est Dieu qui donne la couronne royale,
c'est le peuple qui confère le diadème impé-
t~aO..
Assurément le comte de PaTis ne se dis-
simule pas les difficultés du rôle que lui
trace l'hictoirfl. C'est, nous dit-on, un prince
éclairé, que l'exil a mûri et qui ne se défend
pas contre l'invasion des idées modernes ;
on affirme qu'au fond il est demeuré le pe-
tit-fils de Lonis-Philiope, et que parfois il
relit, en cachette , le testament du duc d'Or-
léans; mais la royauté a son renom, que nul
ne peut modifier ou diminuer, et le comte
de Paris, quoi qu'il fasse, quoi qu'il dise, sera
toujours, aux yeux du pays, l'héritier du roi
qui octroya la Charte et le successeur du roi
qui la retira motu projwio.
Il lui faudrait s'expliquer, ce qu'il ne peut
faire, et nul, hormis ceux qui le connaissent,
n'ajouterait foi à ses déclarations.
Les Napoléons, au contraire, n'ayant d'au-
tre droit que celui qu'ils tiennent de la vo-
lonté nationale, n'ayant d'autre origine que
la Révolution française et le coup d'Etat qui
a rétabli le suffrage universel mutilé par la
loi du 31 mai, n'ont pas à se faire connaître.
Leur nom signifie plébiscite, et les deux
termes se confondent à ce point qu'aujour-
d'hui même l'appel au peuple est considéré
par les docteurs de la République comme
une doctrine séditieuse. Il se paut toutefois
que, le comte de Paris renonçant à régner,
« parce que Bourbon », entrât franchement
dans la lice et inclinât son droit personnel
devant la souveraineté nationale, ce dont
nous serions aises.
Il lui faudrait dans'ca cas se faire con-
naître et mener la prochaine bataille à la
tête de ses troupes, à moins qu'il ne prété-
rit, ce qui serait plus sage, ajourner toute
Ç neadication» s'inspirer du péril commun
pour travailler à la commune défense, et se
dire :
La patrie est en danger; je suis de ceux
qui la veulent secourir, sans préoccupa-
tion personnelle. Après la victoire, le peu-
ple récompensera le plus digne. »
ROBERT MITCHELL.
Ah ! comme on voit bien que cette
consultation est donnée au lendemain
d'une réconciliation, un jour où la vie
apparaît en rose. Ce n'est pas à table
cependant, « entre gens de bonne compa-
gnie», que l'ancien député de la Gironde
a appris la manière de cracher au plat
porr en dégoûter les autres.
& D'où vient qu'il le fait si délibérément ?
Si le comte de Paris est tel qu'il nous
le montre, « un prince éclairé, que l'exil
a mûri et qui ne se défend pas contre
l'invasion des idées modernes », le dé-
goût de prétendre au trône lui viendra
sans doute des raisons indiquées par M.
Robert Mitchell. Mais il en prendra pré-
texte pour rester tranquillement chez lui
et vivre comme ses oncles, en bon bour-
geois, haussant les épaules quand des ma-
lins trop malins lui diront : « Montez sur
les tréteaux avec nous, monseigneur ;
vous tiendrez l'emploi de Scaramouche
ou du Pasquin, à votre choix, selon que
vous aimez mieux les coups de bâton ou
les coups de pied quelque part ; et quand
le public sera suffisamment allumé,
soyez tranquille : si votre grandeur vous
interdit de passer entre les banquettes,
c'est nous oui ferons la quête ».
- PAUL PELLEGROT.
NOUVELLES DE CHIN.
Au ministère de la guerre , on est depuis
quelques jours sans nouvelles du général
Brière de l'Isle. On ne s'explique pas ce si-
lence; mais le général Lewal attend à cha-
que instant une dépêche contenant des dé-
tails sur la suite des opérations à Tuyen-
Quan.
L'amiral Courbet est toujours devant Ning-
Po.
**
M. Julien Viaud (Pierra LWi)" lieutenant
de vaisseau, qui avait ét6 mis en disponibi-
lité pour la publication d'articles sur le dé-
but de la campagne du Tonkin. est envoyé
à la disposition de M. le vice-amiral com-
mandant en chef de l'escadre.
Il s'embarquera sur le Mytho, partant. de
Toulon le 20 mars.
ft *
» *
Shanghaï, 6 mars, 6 h. 10 soir.
Le gouvernement anglais a notifié qu'il
refusait de reconnaître le riz comme contre-
bande de guerre.
«
Londres, 6 mars.
Une dépêche de Hong-Kong, du 6 mars,
publiée dans les journaux anglais, constate
que la flotte française est en observation de-
vant Ning-Po.
■ M —————m
L'Exposition Eugène Delacroix
Il n'y a plus de lances à rompre en
faveur d'Eugène Delacroix. Ce nom est
entré dans la gloire,. Il rayonne, il a
même fait pâlir les noms de tous les
autres peintres du siècle.
On a raconté mille fois les longues
luttes soutenues par Eugène Delacroix
contre l'école académique, contre les
jurys, contre les injustices de la criti-
que ou du public : s'il eut de bonne
heure quelques partisans enthousias-
tes , aucun novateur certes n'eut à
subir plus d'avanies et ne fut l'objet
de plus de sottes injures. J'admire
chez lui son dédain du succès, son
indifférence à la mode et à ses fa-
veurs, son indomptable énergie à
lutter jusqu'au bout malgré tant de
causes de découragement. Mais ce
que j'admire surtout ; c'est cette con-
viction profonde, où il entrait autant
de passion de son art que d'orgueil, qui
durant quarante ans le soutint. Ce fut
elle qui lui donna l'énergie, la ténacité,
et avec elles l'indifférence et le dédain.
Il marcha seul, mais ferme et fier, bien
résolu à ne faire que ce qu'il voyait,
à n'acheter les applaudissements au
prix d'aucune lâche concession, con-
vaincu que c'était lui qui avait raison et
que l'avenir le vengerait du présent. Il
n'était pas mesquinement ambitieux ; il
ne voulait ni la renommée, ni la fortune,
ni les honneurs ; il voulait la gloire. Il
travaillait pour la postérité.
La revanche commença pour lui à
l'Exposition universelle de 1855. On vit
là réunies une quinzaine de ses toiles
importantes; les adversaires eux-mêmes
turent bien obligés de reconnaître que
Delacroix était quelqu'un, un vrai pein-
tre, un maître. Quant à l'Exposition qui
suivit, au lendemain de la mort de l'ar-
tiste durant les vacances de 1864, elle
prit les proportions d'une apothéose.
Je me souviens encore de cette Ex-
position, dans les salles aujourd'hui
fermées du boulevard des Italiens, des
cris d'étonnement et d'admiration de la
foule devant les Croisés à Constantino-
ple, la Barque de don Juan, la Médée,
l devant cent œuvres de toute taille, si
diverses par les sujets, éclatantes de
couleur, d'où se dégageait une si in-
Iens3 poésie. Autant on avait vu, quel-
ques années auparavant, leurs Exposi-
tions posthumes faire de tort à Delaro-
che, à Ary Schefter, autant la sienne
grandit Delacroix.
De ce jour, on ne contesta, pms son
génie. Les amateurs se disputèrent ses
peintures et ses dessins ; on vit tel ta-
bleau vendu à lui seul plus cher que
n'avaient rapporté à l'artiste vivant
celles de ses œuvres qui avaient trouvé
des acheteurs.
La génération nouvelle s'est élevée
dans le respect, dans l'admiration quasi-
religieuse du nom de Delacroix. Plu-
sieurs des œuvres du maître sont à leur
place au musée du Louvre ; d'autres
décorent le Palais-Bourbon ou cette
chapelle de Saint-Sulpice où elles sont
hélas ! si mal éclairées. Les Parisiens les
connaissent. Mais combien d'autres sont
dispersées dans nos musées de province
ou dans des galeries particulières 1 11
était à souhaiter qu'une occasion fût
offerte à ceux qui les avaient vues déjà
de les revoir, à ceux qui ne les connais-
saient pas de les voir et de les voir
réunies, s'expliquant et se complétant
l'une l'autre, permettant de suivre en
m^me temps l'unité et l'évolution de,
même temps l'unité et l'évolution de
l'un des talents les plus originaux, les
plus souples et les plus oompréhensifs
qui furent jamais.
C'est le-service que viennent de rendre
à tous les amis de l'art, à tous les amis
de la gloire française, ceux qui ont or-
ganisé l'exposition du quai Malaquais.
Il s'en faut qu'elle soit complète; et
comment, en effet, le serait-elle? Mais
telle qu'elle est, avec ses trois cents
numéros, elle atteint bien le but que se
sont proposé ceux qui l'ont provoquée.
Il n'y a pas besoin de montrer le che-
min au public. Il le trouvera de lui-
même. Le nom de Delacroix est à lui
seul un appel plus puissant que toutes
les recommandations de la critique. On
trouvera là, pour citer quelques noms
seulement, l'Entrée des croisés à Cons-
tantinople, les Convulsionnaires de
Tanger, la Médée, le Calvaire, les Ti-
gres, YEvêque de Liège ; ces deux pro-
diges de la couleur, le Giaour et le
Pacha et le Combat du Giaour et du
Paelta, et -aussi ces peintures et ces
dessins de fauves qui comptent parmi
les plus extraordinaires ouvrages de
cet artiste quona accusé de ne savoir
pas dessiner. -
L'exposition de Delacroix est ouverLe:
Je ne veux rien dire de plus aujour-
d'hui. J'entreprendrai dans quelques
jours une autre tâche. On avait com-
mencé par condamner Delacroix au
lieu de le juger. Il me semble que de-
puis vingt ans, par une inévitable réac-
tion, on l'a plus admiré qu'on ne l'a
jugé. On a mis toutes ses œuvres pres-
que sur le même plan, prétendant trou-
ver sur toutes la griffe du génie. Il
m'a paru que l'heure de l'équitable pos-
térité était enfin venue. Delacroix fut
de ceux qui cherchent toujours : ceux-là
seuls trouvent, mais ils ne trouvent pas
toujours. Il a eu des défaillances, il a
commis des erreurs : il est inutile
Feuilleton du XIX* SIRCLB
Du 8 Mars 1885
(22) -
UNE FOLIE
xiv
suite —;
L'entr&e en possession du grand loge-"
ment officiel et froid du ministère avait
été l'occasion d'un changement complet
de vie. Le sous-secrétaire d'Etat avait
ses appartements et sa femme les siens ;
elle reçevait beaucoup de monde et il
fallait que son mari pût recevoir de son
côté, rentrer, sortir à toutes les heures.
Souvent on ne se rencontrait qu'à table,
et encore y avait-il presque toujours
quelque invité. L'intimité des jeunes
époux avait à peu près disparu. Maurice,
un peu grisé par sa nouvelle importance,
ne s'en apercevait guère ; Fleurette,
très fière, en souffrait silencieusement.
Elle avait en plus des soucis d'un autre
genre. Elle lança des invitations, présida
de grands dîners, se montra même,
grâce aux conseils de sa belle-sœur fort
convenable maitresse de maison ; mais
pour toutes les dépenses qu'entraînait
ce genre de vie, l'argent manquait. Sou-
vent, tout en suivant quelque conversa-
tion banale, pendant que son coupé at-
tendait à la porte, Mme Malleville se de-
mandait avec angoisse comment elle
nouerait les deux bouts de son budget
trop court ; et, vêtue de soie, elle ne
trouvait parfois pas cent sous pour une
charité qui lui tenait au cœur. Dans les
cas diliciles, elle aimait encore mieux
s'adresser à Mme Darboys qu'à son mari,
et Mme Darboys l'approuvait.
L'affection du marquis de Castellano,
pour sa fille s'était réveillée avec une ar-
deur singulière. Le petit appartement de
la rue de Rennes n'avait pas été à son
gollt, et l'attitude hostile de son gendre
suffisait pour expliquer la rareté de ses
Ylstes. Au ministère, au contraire, il
était chez lui. Avec son tact de grand
seigneur qui n'aime pas les scènes, il
évitait de se trouver avec Maurice et sa-
ïteproûuçtioa Interdit^
vait choisir ses heures. Mais si le sous-
secrétaire d'Etat ne voyait pas souvent
son beau-père, il en entendait beaucoup
parler. Il savait que, plus que Fleurette
elle-même, il faisait les honneurs de son
salon ; que toutes les femmes raffolaient
de ce « cher marquis »; que, grâce à lui,
les visites se prolongeaient et qu'on s'a-
musait beaucoup. Il était de plus en plus
à la mode. Mme Darboys ne l'aimait
guère, mais son mari en avait fait son
ami intime, et Solange se laissait faire, en
riant, la cour par ce viveur, dont le cœur,
disait-il, n'avait toujours que vingt ans.
A vrai dire, il faisait la cour à toutes les
femmes, s'arrêtant toujours juste à te:nps.
Quand il avait causé sentiment avec une
jolie mondaine, il s'en allait au cercle
avec le mari, bras dessus bras dessous;
et tout le monde s'en trouvait bien — lui
surtout.
Et quoique Fleurette fût sans grandes
illusions sur les sentiments de son père,
il lui était très nécessaire ; sans lui, elle
se fût trouvée bien seule. Très souvent
Maurice ne pouvait l'accompagner dans les
soirées où il tenait cependant à ce qu'elle
fît au moins une apparition; et alors le
marquis, toujours frais, dispos, souriant,
lui servait de chaperon. Puis elle avait
un plaisir exquis à parler italien, avec les
intonations traînantes et câlines de Na-
pies. Chaque mot lui réchauffait le cœurl
lui apportait comme un rayon de soleil,
— et parfois, au beau milieu d'une
phrase, elle s'arrêtait, reprise de ce ter-
rible mal du pays dont elle s'était crue
guérie.
Maurice, au contraire, lorsque les sons
de cette langue étrangère frappaient son
oreille, se sentait ennuyé, mécontent. Il
aurait voulu faire oublier que sa femme
n'était pas Française, comme il cherchait
à l'oublier lui-même. La manie qu'elle
avait de parler italien lui semblait toute
voisine de cette autre fantaisie qu'elle
avait eue jadis, lorsqu'elle attirait chez
eux toute une bande de petits vauriens
avec leurs harpes délabrées et leurs tam-'
bours de basque. Il s'était débarrassé de
ces compatriotes compromettants en
donnant des ordres sévères au concierge,
et il regrettait sincèrement de ne pou-
voir en agir de même avec son beau-
père. Une allusion perfide, dans un jour-
nal qui l'attaquait volontiers, au jeu
effréné d'un grand seigneur touchant de
près à un ministère républicain et aus-
l tère, détermina une explosion.
- VIi jsoir de grand bal, le beau marquis
arriva avant que sa fille se fût habillée.
Il fit demander à son gendre de le rece-
voir; Maurice, surpris et agacé, hésita un
instant, mais ne put refuser sa porte.
Il s'attendait à une demande d'argent et.
prit une figure de circonstance.
Le marquis n'eut pas l'air de s'aperce-
voir que l'accueil fût glacial ; il donna
bon gré mal gré une poignée de main
à son « cher Maurice », et, choisissant
avec soin un cigare dans une botte ou-
verte, s'installa dans le meilleur fauteuil
et se mit complètement à son aise. Mau-
rice, debout, appuyé à la cheminée, le
regardait faire, et ne pouvait s'empêcher
d'admirer ce sans-gêne, si naturel, si gra-
cieux, qu'il était difficile de s'en fâcher.
Un peu plus, et c'était le marquis qui
donnait audience. Tout en allumant son
cigare, il causait de bagatelles sans s'in-
quiéter des réponses courtes et sèches de
son gendre. Il paraissait à peine plus âgé
que lui; svelte, élégant, bien pris dans
son habit irréprochable, la figure repo-
sée et souriante, on comprenait qu'il fût
encore capable de faire des passions.
Maurice se vit un instant dans le miroir
et se trouva négligé dans sa mise, l'air
fatigué, les traits tirés: le travail sans
relâche laisse des traces implacables, et
Gertes il travaillait plus que de raison.
— Je pense, monsieur, dit enfin Mau-
rice dont la patience n'était pas la vertu
dominante, que ce n'est pas pour me
parler du bal de ce soir que vous m'avez
fait abandonner un travail très pressé et
qui me réclame.
— Vous avez parfaitement raison, mon
cher Maurice. Vous êtes un homme trop
sérieux pour tenir aux futilités. Votre
génération ne sait pas sourire ; la nôtre
avait pris toute la gaieté disponible, il
n'en est rien resté pour la vôtre, — ce
qui est grand dommage. Vous êtes
pressé? Venons au fait. La chose dont
j'ai à vous entretenir vous regarde, vous
et votre femme, tout particulièrement.
Il s'agit de la villa.
— Ah !
Maurice n'était pas encourageant ; il
restait sur la défensive.
— Mon intention a toujours été de la
donner- à ma fille; Si l'acte n'a pas été
rédigé, si le contrat de mariage manque,
c'est que toutes ces paperasses, aux-
quelles du reste je ne comprends rien,
coûtent un argent fou. Je ne sais com-
ment cela se fait, mais l'argent comptant
me fait toujours défaut I
Maurice, de nouveau,examina son beau-
père du bout de ses bottines vernies à -la
fleur blanche de s'a boutonnière.
— J'en sais quelque chose, monsieur
le marquis.
— Bah ! mon cher, vous n'avez pas en-
core oublié cette petite affaire du 'trous-
seau? Mais vous voilà soulagé; ce repro-
che vous démangeait la gorge, il est sorti ;
n'en parlons plus. Du reste, je ne vous
en veux pas. Vous êtes en veine de fran-
chise, moi de même ; mais je suis aussi
en veine de bonne humeur, ce qui n'est
pas votre cas. Continuons, si vous le
voulez bien.
- Mon Dieu, monsieur, puisque vous
m'y autorisez, je continuerai. Je n'ai, du
reste, qu'un mot à vous dire: vous êtes
galant homme, vous me comprendrez
sans que j'insiste. Lorsque nous habi-
tions un modeste appartement, vous
aviez fort bien compris que votre dignité
s'essoufflait à monter nos quatre étages,
— et vous aviez parfaitement raison. La
situation reste la môme, je vous assure.
Nous avons béau habiter un ministère,
nous ne sommes que de petites gens,
bourgeois et bourgeoises ; votre fille elle-
même est descendue au rang de rotu-
rière. Votre condescendance nous ho-
nore sans doute, mais elle nous compro-
met : un titre sonne mal dans nos salons,
surtout lorsque ce même titre est pro-
noncé à haute voix dans des salles de jeu,
et que l'écho s'en entend même dans les
journaux du boulevard.
— On ne saurait mieux dire: « Monsieur
mon beau-père, voilà la porte; je grille de
vous l'ouvrir et de la refermer après
vous à double tour. » Vous oubliez, mon
cher ami, que votre femme, toute rotu-
rière qu'elle soit, est ma fille, et que je
l'aime.
— D'une affection bien intermittente,
avouez-le, et qui fait un peu sourire les
sceptiques.
Comme vous. Eh bien! vous avez
tort ; j'aime ma fille, quoi que vous en
pensiez, et je ne consens nullement à
être séparé d'elle. D'autant plus que sans
moi elle serait bien isolée, la pauvre en-
fant, soit dit en passant et sans repro-
che. Mais peut-être me croirez-vous plus
facilement lorque je vous avouerai qu'en
venant embrasser ma Fleurette j'y trouve
aussi mon compte.
— Vous ne me verrez plus sceptique,
monsieur. Daignerez-vous me dire de
quelle façon? On ne joue pas dans le
salon de ma femme.
— Non, et c'est peut-être un tort. Mais
on s'y trouve avec des gens, très aimables,
ma foi ! quoique roturiers, qui jouent
ailleurs. Voyez-vous, mon cher Maurice,
avant d'avoir eu le bonheur de vous ren-
eontrer, le bonheur plus grand encore
de vous donner ma fille, j'avais déjà
habité Paris de longues années. J'ai
fréquenté des mondes divers; je les
ai considérés comme autant de belles
oranges qui me faisaient penser à celles
de notre villa, juteuses, douces au
goût, et je les ai sucées les unes après
les autres. Une orange sucée, cela ne
sert plus, on la jette et on passe à une
autre. Or, je suis gourmand, moi, et les
oranges ne poussent pas indéfiniment
dans ce climat froid. Il en restait une
intacte : grâce à vous, je l'ai cueillie. Ce
monde républicain que je ne connaissais
pas, que je semblais destiné à ne pas
connaître, vous m'y avez fait entrer.
bien malgré vous, mais cela n'importe
pas. J'ai vu tout de suite le parti que j'en
pouvais tirer, et une mésalliance ne m'a
pas fait peur. J'ai trouvé ce que je cher-
chais : des gens enrichis, des élégants
de pacotille, des vaniteux, fiers de dire
« mon ami le marquis », des femmes
frivoles, — il y en a jusque dans votre
parti austère, - heureuses de me donner
la meilleure place à leur table, et for-
çant leurs maris à m'ouvrir, sinon leur
cœur, au moins leur bourse. Mes calculs
ne m'ont pas trompé : l'orange est savou-
reuse.
- Et quand elle sera sucée, elle aussi ?
- Eh ! mon cher ne songeons qu'au
présent, qui est agréable. Ce que l'ave-
nir me réserve, je l'ignore ; mais soyez
sûr que le marquis de Casellano ne traî-
nera pas une existence misérable, et
ne sera jamais à charge, même à son
gendre. On trouve toujours, quand on
veut, un moyen de sortir, en saluant poli-
ment.
— Un suicide, en effet, serait le digne
terme d'une vie de joueur.
— Un suicide ? Où allez-vous pêcher
de ces vilains mots ? Un accident, tout
au plus. Mais les idées tristes troublent
la digestion, et si jeous ai demandé un
moment d'entretien, ce n'était pas avec
la pensée de parler de ma mort, qui est
encore, je l'espère, fort éloignée. Je re-
viens donc à mon désir de donner à ma
fille ma villa de Naples, - une jolie dot,
ma toi !
— Votre bonté m'accable et m'étonne.
- Elle vous étonnera moins peut-être
lorsque je vous aueai dit que je ne me
sens aucune aptitude pour les affaires, et
que la possession de la villa où vous
avez si bien conduit votre petit roman,
votre barque si vous aimez mieux, en-
traine certaines combinaisons. Je m'y
perds, je l'avoue.
— Ces combinaisons s'appellent ?
— En langue vulgaire, des hypothè-
ques.
— Je m'y attendais. Et ces hypothè-
ques montent à la somme de ?.
— Je ne sais au juste ; il y a des arrié-
rés d'intérêts, je crois. Enfin avec cent et
quelques mille francs peut-être.
Maurice éclata de rire. Il n'avait pas
vu que Fleurette se tenait sur le seuil de
la porte.
— Vraiment, monsieur le marquis,
vous êtes un homme d'esprit. Vous avez
trouvé commode une fois déjà de me
faire cadeau de vos dettes; vous conti-
nuez la série ; toutes sans doute y passe-
ront.
— Ah ! s'il ne dépendait que de moi !
Mais vous exagérez. Si la villa était un
peu mise en ordre, elle doublerait de va-
leur. Si on la vend à présent, dans l'état
où elle se trouve, la vente couvriraà
peine les frais. C'est à vous à décider.
— Vendez-la, parbleu ! Où voulez-vous
que je trouve cent et quelques mille
francs ?
- Eh. bien, mon cher, on la vendrai
— Vendre la villa, ma villa ! Là où je
suis née, où ma mère est morte, où Mau-
rice m'a aimée. Vendre la villa! Ah 1
non ! je ne le veux pas, je ne le veux pas!
Fleurette, en toilette dabal, était au-
près des deux hommes, très pâle, les yeux
sombres.
— Voyons, ma mignonne, est-ce ma
faute ? J'ai offert à ton mari de lui aban-
donner tons mes droits, pouvais-je faire
plus?
— Cette façon de faire des cadeaux est
admirable en effet. C'est de la générosité
ou je ne m'y connais pas !
Maurice était très nerveux, il avait
horreur des scènes, Mais le cri de Fleu-
rette lui avait fait mal ; elle y avait mis
tant de passion, tant de douleur, qu'il
était forcé de se raidir pour résister.
Elle prit ses deux mains et le força
la regarder.
JEÀNXE MiSH,
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