Titre : Le XIXe siècle : journal quotidien politique et littéraire / directeur-rédacteur en chef : Gustave Chadeuil
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1885-03-07
Contributeur : Chadeuil, Gustave (1821-1896). Directeur de publication
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Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
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Description : 07 mars 1885 07 mars 1885
Description : 1885/03/07 (A15,N4808). 1885/03/07 (A15,N4808).
Droits : Consultable en ligne
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Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-199
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 09/04/2013
Quinzième année. —AB N# 480S Prix du numéro à Paris 15 centimes — Départements: 20 centimes Samedi 7 Mars 1885
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PARIS, 6 MARS 1885
On nous permettra de jeter aujour-
d'hui un regard par - dessus l'océan
Atlantique.
Avant-hier, 4 mars, expiraient les
pouvoirs de M. Arthur, le président de
la grande République américaine, et le
nouveau président, M. Cleveland, en-
trait en fonctions.
Depuis la fin de la guerre de séces-
sion, cet événement est le plus impor-
tant qui se soit passé aux Etats-Unis.
Ce n'est rien moins, en effet, qu'une
véritable révolution politique. Jusqu'en
1862, le président n'avait cessé d'ap-
partenir aux Etats du Sud. La nomina-
tion de Lincoln, qui faisait passer le
pouvoir aux mains des Etats du Nord,
du parti républicain, fut le signal de là
guerre civile. Depuis leur victoire dé-
liuitive en 1865, après quelle lutte san-
glante, on le sait, les républicains avaient
touiours conservé l'autorité. Après vingt-
quatre années, ils l'ont enfin perdue, et,
s'ils l'ont perdue, ils ne peuvent s'en
prendre qu'à eux-mêmes, à leurs abus
de pouvoir et aussi à la corruption ad-
ministrative qu'ils ont ou tolérée ou
encouragée. Le tour des démocrates est
venu de prendre leur revanche; c'est
leur candidat qu'ont choisi les délé-
gués des Etats.
Lavenement de M. Cleveland, c'est
un changement complet dans le minis-
tère, dans tout le personnel des servi-
ces publics. Tous les carpets-baggers
républicains n'ont plus qu'à faire leurs
malles ; la seule question est de savoir
s'ils seront ou non remplacés par d'au-
tres carpets-baggers démocrates.
On conçoit quel doit être le dépit du
parti vaincu, combien il lui en doit
coûter d'abandonner tout à la fois les
places et les honneurs. On pouvait se
demander comment se passerait, aux
Etats-Unis, la redoutable journée du
4 mars.
Hé bien! nous savons aujourd'hui,
par le télégraphe, comment elle s'est
passée, c'est-à-dire de la façon la plus
simple et la plus paisible.
Le président dont les pouvoirs expi-
raient, le président qui allait entrer en
fonctions, se sont rendus tous deux au
Capitole de Washington, où l'installa-
tion de M. Cleveland s'est faite selon le
cérémonial usité ; puis l'ancien prési-
dent et le nouveau sont revenus ensem-
ble à la Maison-Blanche et ont vu dé-
filer devant eux les troupes et les so-
ciétés démocratiques. Après quoi M.
Arthur a serré la main -de M. Cleveland
et s'est retiré, et M. Cleveland est en-
tré dans la Maison-Blanche. Rien de
plus — et le gouvernement des Etats-
Unis avait passé des républicains aux
démocrates.
Qu'on imagine chez nous une pareille
transformation : le commandement de la
France passant du parti républicain à la
monarchie ou à l'empire; ce n'est qu'au
prix d'une révolution, et d'une révolu-
tion probablement sanglante, qu'un tel
changement -sa pourrait opérer.'Entre
l'état de choses de la veille et celui du
lendemain, il faudrait traverser plus
qu'une crise, une secousse effroyable.
Et voilà justement ce que la forme ré-.
publicaine rend possible, le jour où
cette forme est acceptée par une nation.
C'est que les changements politiques
s'y accomplissent sans violence. Chaque
parti tour à tour a ses triomphes et
ses défaites : il recouvre le pouvoir par
les fautes de son adversaire, en atten-
dant qu'il le reperde par les siennes. Le
pays prononce et juge, et les partis,
s'ils ne désarment pas, s'inclinent une
fois que le pays a prononcé. M. Cleve-
land a remplacé M. Arthur; son auto-
rité sera respectée etobéie de tous, jus-
qu'au jour d'une nouvelle élection pré-
sidentielle. Alors la lutte recommencera
et ceux qui ont perdu l'autorité par les
moyens légaux au mois de décembre
1884 essaieront, par les mêmes moyens,
de la reconquérir au mois de décem-
bre 1888. < -
CnRLls BlGÔT j
NOUVELLES DE CHINE
N i/hscadre A guzlàff*
Shanghai, 5 mars.
L'amiral Courbet est à Guzlafl. Il or-
ganise la croisière contre les cargaisons de
riz. 1 -
Quelques bâtiments auraient été envoyés
à l'île Steep, du groupe Fishermaa, archipel
des Cilusan.
LES TRANSPORTS
Alger, 5 mars.
Le croiseur auxiliaire le Château-Yquem,
venant de Toulon, est arrivé en rade d'Al-
ger, ayant à bord 104 militaires.
Il repartira aujourd'hui à destination de
Philippeville.
«
4 » *
Port-Saïd, 4 mars.
Le Bien-Hoa, revenant du Tonkin et ren-
trant en France, vient de quitter Port-Saïd.
LISTE DES TUÉS ET BLESSÉS DE LANGSON
Voici l'état nominatif des officiers et sol-
dats tués ou blessés au Tonkin, dans les
journées des 8, 9,11 et 12 février 1885 :
Officiers tués. — MM. Levrard, chef d'esca-
dront d'artillerie de marine ; Bossant, sous-
lieutenant d'infanterie de marine, officier
d'ordonnance du général Brière de l'Isle.
Blessés grièvement. — MM. Bajolle, lieute-
nant au 1er régiment; Péan, sous-lieutenant
de tirailleurs algériens.
Blessés légèrement. — MM. Douchez, lieu-
tenant de la 118 batterie du 12° régiment
d'artillerie; Canin, lieutenant du 111* régi-
ment d'infanterie; Comoy, commandant du
1er tirailleurs algériens; Bigo, capitaine, et
poiro, lieutenant du même corps; Tournot,
commandant des tiraileurs tonkinois.
Hommes de troupe tués. — Campeduc,
François et Munich, soldats du 1er régiment
d'infanterie de marine ; Bruyat, sergent au
4erégiment; Fatallar, sergent; Gambus, ca-
poral ; Blanc, Lévêque, Roys, Boisson, Gi-
*
rard, Loche, Albert, GrusoD, Prouer, soldats
au même régiment ; Lempereur, soldat au
23° de ligne ; Salab, Ben-Ali, Grandjean et
Vacheux, du 2° régiment étranger; un tirail-
leur du 2° régiment tonkinois ; un caporal
et 16 soldats indigènes.
Blessés grièvement. — l°r régiment d'in,
fanterie de marine: MM. Legras, sergent ;
Aulne, Babin, Mangin, Gaubert, Girard,
Welter, Morel, Becquet, Lelvet, Delafosse- et
Beuvin.
Du 36 régiment d'iafanterie de marine :
Nofelles, sergent. cI
Du 4e régiment : Roussaire, caporal ; Fé-
gurier et Brantus, soldats.
Du 1er régiment de tirailleurs algériens :
Dubreuil et Numont, sergents; Batillot et
Couder, caporaux; Evard, Brunet, Cayol,
Tulet, Pauly, Annet et Labourcadp, soldats.
Du 3° régiment, Bouvenot, soldat.
Du 23" de ligne : Cardot et Baude, sol-
dats. - ■*
Du IIIe de ligne : Mivière et Caviggia, ca-
poraux; Melge, Berliat, Colas, Imbert, Pail-
loux, Bourhon, Laslande, Chaisy et Blin, sol-
dats. -
Du 1431: Bertrand, Barthélémy, Rousseau
et Jonc, soldats.
* Du 1er régiment étranger : Gerst, sergent.
major; Hable, caporal; Nenaud et Cherac-
que, soldats.
Du 28 régiment étranger : Fetterer et
Christophe, soldats. ,
t Du 1er chasseurs d'Afrique : Mano et Bar-
rey, chasseurs.
Du 12e d'artillerie : Chamnonois. maréchal
des logis; Saint-Léger, Le Mélinoire et
Clouet, canonniers.
De l'artillerie de marine : Vandaelle, Le-
moine, Guyot, Bataille et Diss, artilleurs.
Blessés légèrement. — 123 hommes, dont
9 sous-officiers, 10 caporaux et 104 soldats.
i
LE PARLEMENT
COURRIER DE LA CHAMBRE
Paris, 5 mars 1885.
L'inlerpellation de MM. deJanzé, De-
lattre et consorts « sur les mesures prise s
par le gouvernement pour mettre le per-
sonnel actif des Compagnies de chemins
de fer en état de remplir le rôle qui lui
est assigné par les décrets et règlements
rendus en vue d'assurer l'exécution do
la loi du 13 mars 1875 », serait probable-
ment tort intéressante si elle était traitée
à fond. Mais, en votre âmeetconscience,
croyez-vous qu'il soit possible de discu-
ter publiquement, dans leurs moindres
détails, nos procédés de mobilisation?
Polichinelle lui-même, quand il avait
des secrets, prenait la peine de les con-
ter à l'oreille de chacun ; il ne les criait
pas sur la place publique.
D'après ce court préambule, vous de-
vinez que l'inlerpellation ne pouvait
avoir et n'a eu qu'une bien mince portée.
« Les directeurs des grandes Compa-
gnies sont rebelles aux innovations; le
matériel n'est pas suffisant, le personnel
est trop restreint, même en temps de
paix ; que serait-ce en temps de mobili-
sation ? Les signaux ainsi que le règle-
ment des manœuvres varient suivant les
Compagnies ; il faut établir l'uniformité
de langage et exiger la permutation des
mécaniciens d'un réseau sur l'autre. Le
ministre des Travaux publics n'a pas mis
les Compagnies en demeure de procéder
aux exercices de mobilisation, en ce qui
concerne les sections techniques ; c'est à
la Chambre de l'y inviter. »
Ainsi s'exprime M. de Janzé, excellent
homme d'ailleurs, mais prêt à se porter à
toutes les extrémités lorsqu'il s'agit des
Compagnies de chemins de fer. Depuis
quelques années, M. de Janzé s'est « spé-
cialisé » dans les questions de voie fer-
rée ; ce modéré s'octroie des débauches
de radicalisme sur ce point et joue au
Croquemitaine qui hante les rêves dorés
des hauts barons du railway.
Une conformité de « toquade » l'a rap-
proché de M. Delattre, un gaillard qui
couperait sans hésiter la queue à tous les
chiens de Saint-Deni, si de cette opéra-
tion pouvait résulter pour lui quelque cé-
lébrité.. -
, Onctueux, verbeux, pompeux, M. De-
lattre reprend l'argumentation du co-
pain en l'enjolivant de quelques fleurs de
rhétorique dont' lui seul possède le se-
cret: « Les hautes imprévoyances sont
plus funestes à une nation que les hautes
trahisons. » Quand M. Delattre a lancé
une phrase de ce genre, il fait saillir le
thorax et jette un rapide coup d"œil sur
son abdomen pour voir comment est
I j taillé un véritable homme d'Etat.
Entre les deux, le ministre dela guerre,
dont le rôle consiste à ne pas répondre
aux questions intéressantes et à tournir
les meilleures renseignements sur les
autres. Pour peu que le tout soit débité
à peu près en français, les bravos ne se
font pas attendre. Un ministre de la
guerre est toujours applaudi quand il
dtt : « Nous sommes parés. » Le tait est
que, s'il pensait le contraire et s'il ne
remédiait pas au mal sur l'heure, il se-
rait simplement à fusiller.
Le ministre des travaux publics donne
également quelques détails au point de
vue du matériel, des lignes stratégiques
en construction et des travaux du comité
technique.
Les interpellateurs ne-se tiennent
pas néanmoins pour satisfaits ; il leur
faut des preuves, et M. Madier de Mont-
jau n'admet pas qu'il y ait de secret en
matière de mobilisation.
Sur quoi, la Chambre clôt le débat par
l'ordre du jour pur et simple, à la ma-
jorité de 340 voix contre 78.
Voilà deux heures qu'on aurait pu ga-
gner pour le travail sérieux, en ne les
perdant pas à une discussion sans issue.
Au début de la séance, la Chambre
avait adopté, par 264 voix contre 150,
l'ensemble du projet concernant les cé-
réales.
Et voilà encore à quoi aboutit la ni-
che du scrutin à la tribune. Juste une
heure gaspillée !
Et dire qu'il nous faudra peut-être rat-
traper tout ce temps perdu à l'époque de
la canicule !
# Paul Lafargue
COURRIER DU SENAT
Parce que le Sénat tient aujourd'hui
.une séance d'un quart d'heure, ses nom-
breux ennemis vont insinuer obligeam-
ment qu'il ne fait rien.
C'est tout le contraire qu'il faut dire.
Vous pensez bien qu'il ne s'est pas
réuni pour le simple plaisir d'assurer
notre participation à l'Exposition inter-
nationale d'Anvers. L'Exposition inter-
nationale d'Anvers l'intéresse comme
elle doit, mais ces ouvertures et annu-
lations de crédit, qui n'offraient matière
à aucune discussion, pourraient aussi
bien être votées une autre fois, à la tom-
bée de la nuit, sans avoir les honneurs
d'un ordre du jour tout entier.
Le Sénat a voulu siéger quand même
sous un prétexte, par hâte de travailler
et par zèle du bién public. Son unique
pensée a été de recevoir sans le moindre
délai le dépôt du projet de loi concer-
nant les céréales. Il sait combien cette
question préoccupe, à l'heure actuelle,
les esprits. Son opinion, qui est celle de
tout le monde, est que, dans un sens ou
dans l'autre, une solution doit être don-
née, le plus promptement possible, à
ce problème économique d'où dépend,
dans une large mesure, la prospérité de
notre pays.
L'adoption du droit de 3 francs au
Palais-Bourbon coïncidait précisément
avec l'achèvement du budget général au
Luxembourg. Malgré l'énormité de la be-
sogne abattue en si peu de temps, la ma-
jorité n'a pas admis d'autre répit que le
repos hebdomadaire du mercredi. Elle
bat le fer pendant qu'il est chaud.
Il serait donc injuste de ne pas consi-
dérer cette séance du 5 mars 1885 comme
très honorablement remplie, parce qu'elle
tient toute entière dans une phrase pro-
aoncée par M. Le Royer, après lecture
du procès-verbal :
« J'ai reçu de M. le président de la
» Chambre des députés une proposition
» de loi portant modification du tarit
» général des douanes en ce qui touche
» les céréales. »
Jt
a
Quand la Chambre des députés a dé-
claré l'urgence, le règlement impose au
président l'obligation de;la proposer d'of-
fice an Sénat.
L'urgence est votée sans opposition.
Les bureaux maintenant ont besogne
taillée. Ils n'ont plus: qu'à coudre.
Paul Pellegrdt.
LE PUBLIC 4 PARFOIS TOUT
Oui, quelquefois il a tort dans ses
plaintes. Je suis mieux que personne à
même de m'en apercevoir : la plupart
de ceux qui ont quelque doléance ou
quelque récrimination à présenter s'a-
dressent à moi et me demandent de
m'en faire l'interprète dans le XIX"
Siècle.
Toutes évidemment ne me paraissent
pas justes.
Je ne perds pas mon temps a en mon-
trer l'inanité. Si je garde le silence,
c'est bien un peu pour ne pas découra-
ger la clientèle; c'est aussi, c'est sur-
tout parce que les plaintes de ceux qui
croient avoir eu à souffrir d'un faux
abus ont presque toujours un caractère
très particulier, et qu'elles n'intéresse-
raient guère le grand public.
Mais il s'agit cette fois d'un petit en-
nui dont tout le monde a pu être vic-
time ; et au lieu de s'en prendre à soi-
même, chacun sent un penchant naturel
et invincible à mettre ce qui est le fait
de sa propre négligence au compte de
l'administration.
Voici d'abord la lettre de mon cor-
respondant. Je la laisse telle quelle, avec
son âpreté de renvendication :
Cher monsieur Sarcey,
puisque je vous vois toujours sur la brèche
quand il s'agit de déboulonner un abus for-
tement invétéré, je me permets de vous
en signaler un qui n'est pas mince :
Deux obligations sortent au tirage an-
nuel et doivent être remboursées à 500 francs
ou 1,000 francs pour les deux.
Le propriétaire de ces titres, soit qu'il
n'ait pas eu à sa disposition un moyen de
vérification, soit qu'il n'ait pas aperçu ses
numéros sur la liste, détache ses coupons
comme d'habitude, à l'échéance, et la com-
pagnie du Midi — il faut bien la citer —
continue à les lui payer pendant un an et
même davantage, après quoi elle avise
l'heureux obligataire d'avoir à passer dans
ses bureaux ou de s'y faire représenter pour
recevoir le remboursement.
, En effet, l'administration rembourse le
capital, mais elle retient les coupons payés
indûment.
Stupéfaction du bonhomme, qui dit en
vain : « Permettez ! vous me retenez 30 fr.
pour les coupons que vous m'avez payés ou
que vous me devez depuis le tirage; mais
je vous fais remarquer qu'il convient de me
solder 50 francs pour les intérêts du capital
da 1,000 francs que vous détenez depuis
plus d'un an. » Il a raison, il vons semble ;
aussi, pour toute réponse, l'engage-t-on à
s'adresser aux tribunaux.
Or, quel serait l'homme assez simple pour
entamer un procès dans de semblables con-
ditions?
Il n'y en a pas : bénéfice net pour la Com-
pagnie, 30 francs, sans compter les intérêts
de la prime.
Si pareil cas se renouvelle souvent, et cela
doit être, voilà une petite spéculation bien
peu comment dirai-je? - régulière,
mais qui rapporte beaucoup.
Eh bien ! quels que soient les statuts des
Compagnies de chemins de fer, quelques
clauses justificatives qu'on puisse trouver
dans le cahier des charges, je persiste à
dire que rien ne peut autoriser un procédé
aussi contraire au simple bon sens.
1 N'allez pas croire que cette question ne
concerne que les capitalistes, et que dès lors
I elle tombe dans le domaine des choses peu
intéressantes: non, les valeurs de cheminé
de fer sont aujourd'hui dans toutes les
mains, surtout de la petite épargne, et ce
serait rendre un réel service que de poser
au ministre compétent un petit point d'in-
terrogation touchant cette matière.
Veuillez agréer, monsieur, l'assurance da
mes meilleurs sentiments.
Même histoire m'est arrivée à moi-
même, non avec une Compagnie de
chemins de fer, mais avec la ville de
Paris. Je n'avais pas remarque qu'une ;
de mes obligations était sortie ; on m'a
payé trois fois le coupon et, naturelle-
ment, lorsqu'on s'est aperçu de l'er- -
reur, on a répété les coupons indûment
payés à mou obligation qui, depuis le
jour où elle était déclarée remboursa-
ble en capital, ne pouvait plus porter
d'intérêt.
i J'imagine qu'il n'y a guère de petit
capitaliste qui n'ait été victime de la
même déception. On arrive au guichet
pour toucher son petit arrérage : l'ad-
ministration vous rembourse votre ca-
pital, en le diminuant de deux ou trois
arrérages que l'on avait eu tort de tou-
cher.
Le premier mouvement est de dépit
et de colère.
Mais c'est contre soi-même que l'on'
devrait concevoir du dépit. On devrait
regarder sur les listes des numéros sor
tià, qui paraissent dans les journaux,
qui sont affichées dans les salles d'at-
tente. C'est un travail qui n'est ni long
ni considérable, chacun ne possédant
après tout qu'un petit nombre de titres.
L'administration, elle, paie à bureau
ouvert. On lui passe le coupon, elle
encaisse le montant. Que ne dirait-on
pas de son goût de paperasseries, si à
chaque coupon présenté elle ouvrait
une enquête pour savoir si le coupon
appartient à un numéro sorti?
Vous n'avez, dans toute celte affaire,
à vous plaindre que de vous qui n'a-
vez pas pris les précautions nécessaires,
qui n'avez pas veillé au grain. Pour-
quoi voulez-vous que les autres soient
plus soigneux de vos intérêts que de
vous-mêmes ?
i Votre prétention, mon cher, corres-
pondant, votre prétention de vous faire
payer à cinq pour cent l'intérêt de la
somme que la Compagnie ne vous a pas
rendue au jour marqué est exorbitante
et absurde. -
Cette somme, vous ne l'avez point
prêtée à la Compagnie à un taux de.)
Il n'est point intervenu de convention
entre elle et vous à ce sujet. Elle était
obligée de l'avoir dans sa caisse pour
vous la rendre à première réquisition.
Elle n'a donc pu s'en servir. C'est un
argent que vous lui avez laissé en dé-
pôt, que vous avez oublié sur le bord
de sa table. Vous le réclamez, elle vous
le rend. C'est tout ce qu'il vous est per-
mis d'exiger d'elle.
Supposez une chose : 1
Vous vous présentez au guichet pour
réclamer vos mille francs; et l'employé
vous répond: « Ah 1 dame 1 monsieur,
vos mille francs, vous nous les aviez
laissés, nous les avons mis dans une af-
faire. Mais fi est trop juste que nous
vous soldions les intérêts au taux lé-'
gal. Voilà vos cinquante francs. »
C'est pour le coup que vous vous ré-
crieriez avec indignation :
— Mais, pardon, estimable Compa-
gnie, moi, j'ai besoin de mes mille
francs hic et nunc. Ces mille francs,
je ne vous les ai pas prêtés le moins du »
>%
,
Feuilleton du XIX* SIÈCLE
-Du? Mars 1885
(21)
UNE FOLIE
XIII
r suite -
Quand son exposition se trouva termi-
née, d'un geste il écarta les papiers qu'il
avait consultés ; il écarta en même temps
les menus faits de la question. Il entrait
dans lés considérations qui lui tenaient
le plus au cœur : l'honneur de la France,
le devoir de tout patriote de tenir haut
le drapeau national devant l'Europe, de-
vant le monde. Maurice était comme
porté par la grandeur même de son su-
jet, et son éloquence venait du cœur.
Sans chercher de phrases sonores, em-
ployant un langage fort simple, sobre de
gestes, il avait cependant trouvé ce quel-
que chose qui établit un courant de sym-
pathie entre l'orateur et son auditoire.
On ne songeait plus à discuter, à inter-
rompre : on était sous le charme.
Et là-haut, dans la tribune du centre,
un petit cœur de femme battait bien
fort. Fleurette était comme suspendue
aux lèvres de son mari. Elle n'avait plus
peur; chaque mot la remuait ; elle était
pleinement heureuse, de ce bonheur ex-
quis qui s'oublie dans le triomphe de
l'homme aimé.
- -, Un instinct subtil fit que tout d'un
coup elle jeta un regard rapide à sa voi-
sine. La voix de l'orateur n'arriva plus
que vaguement jusqu'à elle, car elle
resta comme pétrifiée, sentant que la' vie
s en elle. Berthe avait oublié où
elle-était, près de qui elle était assise ;
ses yeux noirs brillaient étrangement
Reproduction Interdite"
es lèvres mobiles trahissaient une émo.
stion extraordinaire. Elle ne bougeait pas,
cette femme qui n'avait jamais appris à
tenir en place, et par moments elle pres-
sait son mouchoir contre sa bouche com-
me pour étouffer un cri.
Alors brusquement la lumière se fit
en Fleurette. Fragment par fragment,
elle reprit toute l'histoire du passé. Elle
se rappela les paroles entendues par ha-
sard ; elle comprit les allusions, les re-
gards, jusque-là inexpliqués. Cettefemme
qu'avait dû épouser Maurice n'était autre
que Berthe : Berthe qui s'était introduite
dans leur intérieur de jeunes mariés,
qui leur avait imposé son amitié, puis son
intimité. Et cette intimité qui était ve-
nue petit à petit, tout naturellement
semblait-il, avait un sens caché, que
"pour la première fois elle entrevoyait.
Berthe n'avait pas cessé d'aimer Mau-
rice, et si elle était entrée violemment
dans leur douce vie à deux, c'était pour
se rapprocher de lui. Et Maurice,
alors? Pourquoi avait-il permis cette
intimité? Etait-ce mensonge que son
indifférence apparente pour Mme Fer-
traysac, mensonge que son amitié pour le
mari de cette feiiime ? Ah! Maurice était
la loyauté même; Maurice ne la trom-
pait pas ; il était son-mari, bien à elle I
< Puis il lui vint une angoisse indes-
criptible. Depuis quelque temps, il s'était
élevé entre eux une sorte de gêne ; la
vie les séparait un peu; Maurice était
très absorbé, et ne lui parlait guère de
ses préoccupations. Cette gêne, si vague
au commencement qu'elle n'avait pas
voulu y croire, avait, depuis des mois,
augmenté petit à petit. Prise de vertige,
elle se cramponnait au rebord de la tri-
bune, machinalement comme elle se
cramponnait encore à son bonheur me-
nacé. Elle se sentait capable, elle si
douce, de haine violente, de vengeances
terribles.
Alors, subitement, elle se demanda si
tout cela n'avait pas été un cauchemar
horrible. Car Berthe, maintenant que
l'on sentait le discours approcher .d, sa
fin, avait repris son rempÍre sur elle-
1 même. Quand les applaudissements écla-
taient, elle envoyait un beau sourire de
félicitation à sa voisine, sans voir le re-
gard profond que celle-ci lui jetait ; elle se
fit remarquer dans la tribune par ses
allures d'amie triomphante. Fleurette ne
savait que penser; elle avait tant souffert
depuis une demi-heure que sa tête était
comme vide; elle était incapable de ré-
fléchir.
A la sortie, Maurice rejoignit les deux
femmes. Il était encore tout vibrant d'é-
motion, un peu étourdi aussi par les
éloges prodigués par tous, et qui pou-
vaient bien lui faire croire qu'il était
passé grand homme du coup. Ces éloges,
il les retrouvait, exagérés encore, dans
la bouche de Berthe Ferraysac. Ah 1 que
Fleurette eût voulu en ce moment se
trouver seule avec son mari, lui dire
toute sa fierté! Mais devant le flot de pa-
roles, devant l'enthousiasme débordant
de Berthe, son petit mot : « Je suis si
contente!. » dit presque bas, semblait
bien court, bien peu de chose. Et comme
on discutait l'effet produit par une cer-
taine phrase lancée vers la fin, Maurice
vit au regard de sa femme qu'elle ne sa-
vait pas de quoi il s'agissait. Il l'emmena
un peu brusquement, Berthe ayant enfin
pris le bras de son mari.
- Tu n'as donc pas écouté ? dit Mau-
rice qui se sentait horriblement blessé de
cette indifférence. Vraiment Fleurette
exagérait un peu son dédain pour la po-
litique ! -,
La jeune femme hésita un instant.
Comment avouer sa torture de tantôt?
Quelle vraisemblance y avait-il que cette
bavarde qu'ils venaient de quitter, cette
politicienne à l'esprit froid, fût une sen-
timentale ayant au cœur une passion
inavouable? Où avait-elle eu l'esprit?
- Je souffrais, dit-elle enfin, je souf-
frais si cruellement, que toutes mes for-
ces se concentraient dans l'effort que je
faisais ponr n'en rien témoigner.
- Ma pauvre mignonne I. ,,"
A l'instant toute sa tendresse était re-
venue. Il vit en effet que sa femme était
très pâle ; depuis quelque temps, elle
n'allait pas bien, se fatiguait vite,
avait des crises de douleurs nerveuses.
Il lui fallait se soigner sérieusement. II
la gronda doucement d'être restée jus-
qu'au bout dans cette tribune où l'on de-
vait étouffer.
Puis, quand il l'eut ainsi sermonnée, il
ne trouva plus rien à lui dire. Il ne lui
parla plus de la séance, ni des compli-
ments qu'il avait reçus, ni des espérances
que son triomphe avait fait naître dans
le petit cercle d'amis et d'admirateurs
dont il était le « grand homme ». Plu-
sieurs fois elle essaya de lui dire com-
bien elle avait été heureuse, émue ; mais
il écoutait en silence, et elle se taisait
alors, blessée au cœur. Avec Berthe, il
savait bien causer de ces choses-là et
semblait heureux de ses bruyants éloges.
Le succès du jeune orateur retentit
dans tout Paris, dans toute la France ;
son nom était constamment cité dans les
journaux. C'était la notoriété. Maurice
put croire un instant que c'était la for-
tune; la gloire, à courte échéance.
Mais il arriva ce qui arrive souvent en
pareil cas : le silence se fit après le bruit;
d'autres intérêts passionnèrent la foule,
et Maurice Malleville fut vite oublié. On
parlait d'une crise ministérielle pro-
chaine ; la polémique devenait âpre, mau-
vaise, et la tourmente emporta la gloire
éphémère du jeune député, qui en fut
aigri et froissé.
A ce moment, des tracas d'argent vin-
rent ajouter leur ennui, leurs petites
humiliations aux rancunes de l'ambition
déçue. Maurice avait fait des billets ; il
lui fallut emprunter pour les payer.
Fleurette, avec qui il évitait de parler de
ces tracas d'argent, les connaissait pour-
tant, comprenait fort bien la cause de
l'irritation, du silence maussade de son
mari. Elle savait que c'était elle qui lui
avait apporté cette gêne, cette mé-
diocrité de fortune, et elle devenait 4 ce
propos d'une susceptibilité maladive.
Chaque jour la gêne, d'abord légère
comme une brume d'été, se concentrait,
s'épaississait, devenait comme un brouil-
lard froid et lourd qui pénètre et qui
glace.
Enfin l'orage politique, qui grondait
depuis quelque temps déjà, éclata. Le
ministère donna sa démission; combi-
naison après combinaison fut essayée,
rejetée — c'était le ministère introuva-
ble. Il se constitua cependant. Durant
la crise, le nom de Maurice Malleville, si
bien oublié depuis son heure de triom-
phe, se trouva prononcé plus d'une fois
à propos de la politique étrangère. Ce fut
en définitive son parti qui l'emporta.
Quand les noms des nouveaux minis-
tres parurent à l'Officiel, on apprit en
même temps que le ministre des affaires
étrangères s'était adjoint comme sous-
secrétaire d'Etat M. Maurice Malleville.
Quoiqu'il fût un peu jeune, ce choix pa-
rut excellent; on se rappela la netteté
d'exposition, - la force d'argumentation,
les connaissances approfondies qu avait
montrées le jeune orateur. Dans les cri-
tiques violentes adressées aux nouveaux
élus par la presse hostile, le sous-secré-
taire d'Etat aux affaires étrangères fut
traité presque poliment.
Maurice, lui, croyait rêver. Arriver
ainsi, malgré les désavantages de sa po-
sition, c'était le triomphe, un triomphe
qu'il ne devait qu'à lui-même. Il en fut
un peu grisé. Fleurette, qui avait des
idées vagues sur les attributions d'un
sous-secrétaire d'Etat, comprit surtout
une chose : c'est qu'ils vivraient dans un
tourbillon; que l'intimité serait presque
impossible dans ce grand appartement du
ministère ; qu'elle ne verrait plus guère
son mari.
Ce n'était pas le moyen de dissiper la
gêne qui était survenue entre eux ! Ce-
pendant, le voyant si heureux, elle fut
heureuse de ce bonheur qui, du reste,
le rendait plus tendre, plus expansif. II
semblait n'avoir plus rien à reprocher à
sa femme, pas même sa pauvreté, pas
même son père avec qui il se réconcilia'
à peu près. On eût dit qu'il voulait si-
gnaler son avènement par un acte de
magnanimité.
XtV
Maurice Malleville, simple député, avo-
cat sans causes, sous-secrétaire d'Etat, étaient deux per-
sonnages très différents. Les amis qui,
après lui avoir prédit un brillant avenir,
avaient quelque peu oublié ces prédic-
tions pendant près de deux ans, s'en sou-
vinrent très à propos. On vanta les qua-
lités solides de son esprit, sa capacité de
travail ; plus que jamais on voyait en lui
« l'homme de l'a venir M. Mme Darboys
rayonnait et Solange protégea un peu.
moins sa jeune tante et fut plus que ja-
mais expansive et affectueuse.
Maurice cependant n'était pas sans
crainte au sujet de sa femme. Il voulait
recevoir, représenter, et se demanda com-
ment Fleurette se tirerait d'une position
en vue et passablement difficilê. Il en
parla à sa sœur qui lui jeta un regard
où se trouvait une nuance de dédin.
— Mon pauvre Maurice, que les homv
mes d'esprit sont donc bêtes 1 Sois sans
crainte. Tu es le seulparmi nous à dou-
ter de Lucie ; elle ne te fera aucun tort,
c'est moi qui te le dis. Elle ne sera ja-
mais une politicienne et ne trempera en
aucune intrigue pour faire de toi un mi-
nistre avant le temps; mais elle prési-
dera fort bien ta table et ne commettra
aucune bévue. Elle n'est gauche et ti-
mide que devant toi; tu la glaces avec
tes craintes blessantes. Va ! tu as fait une
folie en l'épousant, mais tu en tais une
bien plus fatale encore en ne sachant pas
apprécier ta femme à sa valeur. La pe-
tite sauvage a fait son éducation, sans
grande aide de ta part, j'en conviens. On
la trouve charmante, on lui fait même la
cour, ne t'en déplaise; elle n'a qu'un
tort : elle t'aime trop profondément. —
Une femme est désarmée auprès d'un
homme qu'elle aime ainsi et qui prend
cet amour tout paturellement commq
chose due 1
Tout en se disant que sa sœur si po.
sitive qu'elle fût, n'échappait pas à la
manie féminine de mettre le roman dans
la vie réelle, Maurice se sentit rassuré.
et il avait besoin de l'être. Il était sur-
mené de travail et ne pouvait guè» £
s'occuper de sa femme.
JEANNE MAIRBT»
(A suivre1 : '- .-
Imm
JOURNAL RÉPUBLICAIN CONSERVATEUR
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S'adresser au Secrétaire de la Rédaction
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Actions Rio, 313 75.
PARIS, 6 MARS 1885
On nous permettra de jeter aujour-
d'hui un regard par - dessus l'océan
Atlantique.
Avant-hier, 4 mars, expiraient les
pouvoirs de M. Arthur, le président de
la grande République américaine, et le
nouveau président, M. Cleveland, en-
trait en fonctions.
Depuis la fin de la guerre de séces-
sion, cet événement est le plus impor-
tant qui se soit passé aux Etats-Unis.
Ce n'est rien moins, en effet, qu'une
véritable révolution politique. Jusqu'en
1862, le président n'avait cessé d'ap-
partenir aux Etats du Sud. La nomina-
tion de Lincoln, qui faisait passer le
pouvoir aux mains des Etats du Nord,
du parti républicain, fut le signal de là
guerre civile. Depuis leur victoire dé-
liuitive en 1865, après quelle lutte san-
glante, on le sait, les républicains avaient
touiours conservé l'autorité. Après vingt-
quatre années, ils l'ont enfin perdue, et,
s'ils l'ont perdue, ils ne peuvent s'en
prendre qu'à eux-mêmes, à leurs abus
de pouvoir et aussi à la corruption ad-
ministrative qu'ils ont ou tolérée ou
encouragée. Le tour des démocrates est
venu de prendre leur revanche; c'est
leur candidat qu'ont choisi les délé-
gués des Etats.
Lavenement de M. Cleveland, c'est
un changement complet dans le minis-
tère, dans tout le personnel des servi-
ces publics. Tous les carpets-baggers
républicains n'ont plus qu'à faire leurs
malles ; la seule question est de savoir
s'ils seront ou non remplacés par d'au-
tres carpets-baggers démocrates.
On conçoit quel doit être le dépit du
parti vaincu, combien il lui en doit
coûter d'abandonner tout à la fois les
places et les honneurs. On pouvait se
demander comment se passerait, aux
Etats-Unis, la redoutable journée du
4 mars.
Hé bien! nous savons aujourd'hui,
par le télégraphe, comment elle s'est
passée, c'est-à-dire de la façon la plus
simple et la plus paisible.
Le président dont les pouvoirs expi-
raient, le président qui allait entrer en
fonctions, se sont rendus tous deux au
Capitole de Washington, où l'installa-
tion de M. Cleveland s'est faite selon le
cérémonial usité ; puis l'ancien prési-
dent et le nouveau sont revenus ensem-
ble à la Maison-Blanche et ont vu dé-
filer devant eux les troupes et les so-
ciétés démocratiques. Après quoi M.
Arthur a serré la main -de M. Cleveland
et s'est retiré, et M. Cleveland est en-
tré dans la Maison-Blanche. Rien de
plus — et le gouvernement des Etats-
Unis avait passé des républicains aux
démocrates.
Qu'on imagine chez nous une pareille
transformation : le commandement de la
France passant du parti républicain à la
monarchie ou à l'empire; ce n'est qu'au
prix d'une révolution, et d'une révolu-
tion probablement sanglante, qu'un tel
changement -sa pourrait opérer.'Entre
l'état de choses de la veille et celui du
lendemain, il faudrait traverser plus
qu'une crise, une secousse effroyable.
Et voilà justement ce que la forme ré-.
publicaine rend possible, le jour où
cette forme est acceptée par une nation.
C'est que les changements politiques
s'y accomplissent sans violence. Chaque
parti tour à tour a ses triomphes et
ses défaites : il recouvre le pouvoir par
les fautes de son adversaire, en atten-
dant qu'il le reperde par les siennes. Le
pays prononce et juge, et les partis,
s'ils ne désarment pas, s'inclinent une
fois que le pays a prononcé. M. Cleve-
land a remplacé M. Arthur; son auto-
rité sera respectée etobéie de tous, jus-
qu'au jour d'une nouvelle élection pré-
sidentielle. Alors la lutte recommencera
et ceux qui ont perdu l'autorité par les
moyens légaux au mois de décembre
1884 essaieront, par les mêmes moyens,
de la reconquérir au mois de décem-
bre 1888. < -
CnRLls BlGÔT j
NOUVELLES DE CHINE
N i/hscadre A guzlàff*
Shanghai, 5 mars.
L'amiral Courbet est à Guzlafl. Il or-
ganise la croisière contre les cargaisons de
riz. 1 -
Quelques bâtiments auraient été envoyés
à l'île Steep, du groupe Fishermaa, archipel
des Cilusan.
LES TRANSPORTS
Alger, 5 mars.
Le croiseur auxiliaire le Château-Yquem,
venant de Toulon, est arrivé en rade d'Al-
ger, ayant à bord 104 militaires.
Il repartira aujourd'hui à destination de
Philippeville.
«
4 » *
Port-Saïd, 4 mars.
Le Bien-Hoa, revenant du Tonkin et ren-
trant en France, vient de quitter Port-Saïd.
LISTE DES TUÉS ET BLESSÉS DE LANGSON
Voici l'état nominatif des officiers et sol-
dats tués ou blessés au Tonkin, dans les
journées des 8, 9,11 et 12 février 1885 :
Officiers tués. — MM. Levrard, chef d'esca-
dront d'artillerie de marine ; Bossant, sous-
lieutenant d'infanterie de marine, officier
d'ordonnance du général Brière de l'Isle.
Blessés grièvement. — MM. Bajolle, lieute-
nant au 1er régiment; Péan, sous-lieutenant
de tirailleurs algériens.
Blessés légèrement. — MM. Douchez, lieu-
tenant de la 118 batterie du 12° régiment
d'artillerie; Canin, lieutenant du 111* régi-
ment d'infanterie; Comoy, commandant du
1er tirailleurs algériens; Bigo, capitaine, et
poiro, lieutenant du même corps; Tournot,
commandant des tiraileurs tonkinois.
Hommes de troupe tués. — Campeduc,
François et Munich, soldats du 1er régiment
d'infanterie de marine ; Bruyat, sergent au
4erégiment; Fatallar, sergent; Gambus, ca-
poral ; Blanc, Lévêque, Roys, Boisson, Gi-
*
rard, Loche, Albert, GrusoD, Prouer, soldats
au même régiment ; Lempereur, soldat au
23° de ligne ; Salab, Ben-Ali, Grandjean et
Vacheux, du 2° régiment étranger; un tirail-
leur du 2° régiment tonkinois ; un caporal
et 16 soldats indigènes.
Blessés grièvement. — l°r régiment d'in,
fanterie de marine: MM. Legras, sergent ;
Aulne, Babin, Mangin, Gaubert, Girard,
Welter, Morel, Becquet, Lelvet, Delafosse- et
Beuvin.
Du 36 régiment d'iafanterie de marine :
Nofelles, sergent. cI
Du 4e régiment : Roussaire, caporal ; Fé-
gurier et Brantus, soldats.
Du 1er régiment de tirailleurs algériens :
Dubreuil et Numont, sergents; Batillot et
Couder, caporaux; Evard, Brunet, Cayol,
Tulet, Pauly, Annet et Labourcadp, soldats.
Du 3° régiment, Bouvenot, soldat.
Du 23" de ligne : Cardot et Baude, sol-
dats. - ■*
Du IIIe de ligne : Mivière et Caviggia, ca-
poraux; Melge, Berliat, Colas, Imbert, Pail-
loux, Bourhon, Laslande, Chaisy et Blin, sol-
dats. -
Du 1431: Bertrand, Barthélémy, Rousseau
et Jonc, soldats.
* Du 1er régiment étranger : Gerst, sergent.
major; Hable, caporal; Nenaud et Cherac-
que, soldats.
Du 28 régiment étranger : Fetterer et
Christophe, soldats. ,
t Du 1er chasseurs d'Afrique : Mano et Bar-
rey, chasseurs.
Du 12e d'artillerie : Chamnonois. maréchal
des logis; Saint-Léger, Le Mélinoire et
Clouet, canonniers.
De l'artillerie de marine : Vandaelle, Le-
moine, Guyot, Bataille et Diss, artilleurs.
Blessés légèrement. — 123 hommes, dont
9 sous-officiers, 10 caporaux et 104 soldats.
i
LE PARLEMENT
COURRIER DE LA CHAMBRE
Paris, 5 mars 1885.
L'inlerpellation de MM. deJanzé, De-
lattre et consorts « sur les mesures prise s
par le gouvernement pour mettre le per-
sonnel actif des Compagnies de chemins
de fer en état de remplir le rôle qui lui
est assigné par les décrets et règlements
rendus en vue d'assurer l'exécution do
la loi du 13 mars 1875 », serait probable-
ment tort intéressante si elle était traitée
à fond. Mais, en votre âmeetconscience,
croyez-vous qu'il soit possible de discu-
ter publiquement, dans leurs moindres
détails, nos procédés de mobilisation?
Polichinelle lui-même, quand il avait
des secrets, prenait la peine de les con-
ter à l'oreille de chacun ; il ne les criait
pas sur la place publique.
D'après ce court préambule, vous de-
vinez que l'inlerpellation ne pouvait
avoir et n'a eu qu'une bien mince portée.
« Les directeurs des grandes Compa-
gnies sont rebelles aux innovations; le
matériel n'est pas suffisant, le personnel
est trop restreint, même en temps de
paix ; que serait-ce en temps de mobili-
sation ? Les signaux ainsi que le règle-
ment des manœuvres varient suivant les
Compagnies ; il faut établir l'uniformité
de langage et exiger la permutation des
mécaniciens d'un réseau sur l'autre. Le
ministre des Travaux publics n'a pas mis
les Compagnies en demeure de procéder
aux exercices de mobilisation, en ce qui
concerne les sections techniques ; c'est à
la Chambre de l'y inviter. »
Ainsi s'exprime M. de Janzé, excellent
homme d'ailleurs, mais prêt à se porter à
toutes les extrémités lorsqu'il s'agit des
Compagnies de chemins de fer. Depuis
quelques années, M. de Janzé s'est « spé-
cialisé » dans les questions de voie fer-
rée ; ce modéré s'octroie des débauches
de radicalisme sur ce point et joue au
Croquemitaine qui hante les rêves dorés
des hauts barons du railway.
Une conformité de « toquade » l'a rap-
proché de M. Delattre, un gaillard qui
couperait sans hésiter la queue à tous les
chiens de Saint-Deni, si de cette opéra-
tion pouvait résulter pour lui quelque cé-
lébrité.. -
, Onctueux, verbeux, pompeux, M. De-
lattre reprend l'argumentation du co-
pain en l'enjolivant de quelques fleurs de
rhétorique dont' lui seul possède le se-
cret: « Les hautes imprévoyances sont
plus funestes à une nation que les hautes
trahisons. » Quand M. Delattre a lancé
une phrase de ce genre, il fait saillir le
thorax et jette un rapide coup d"œil sur
son abdomen pour voir comment est
I j taillé un véritable homme d'Etat.
Entre les deux, le ministre dela guerre,
dont le rôle consiste à ne pas répondre
aux questions intéressantes et à tournir
les meilleures renseignements sur les
autres. Pour peu que le tout soit débité
à peu près en français, les bravos ne se
font pas attendre. Un ministre de la
guerre est toujours applaudi quand il
dtt : « Nous sommes parés. » Le tait est
que, s'il pensait le contraire et s'il ne
remédiait pas au mal sur l'heure, il se-
rait simplement à fusiller.
Le ministre des travaux publics donne
également quelques détails au point de
vue du matériel, des lignes stratégiques
en construction et des travaux du comité
technique.
Les interpellateurs ne-se tiennent
pas néanmoins pour satisfaits ; il leur
faut des preuves, et M. Madier de Mont-
jau n'admet pas qu'il y ait de secret en
matière de mobilisation.
Sur quoi, la Chambre clôt le débat par
l'ordre du jour pur et simple, à la ma-
jorité de 340 voix contre 78.
Voilà deux heures qu'on aurait pu ga-
gner pour le travail sérieux, en ne les
perdant pas à une discussion sans issue.
Au début de la séance, la Chambre
avait adopté, par 264 voix contre 150,
l'ensemble du projet concernant les cé-
réales.
Et voilà encore à quoi aboutit la ni-
che du scrutin à la tribune. Juste une
heure gaspillée !
Et dire qu'il nous faudra peut-être rat-
traper tout ce temps perdu à l'époque de
la canicule !
# Paul Lafargue
COURRIER DU SENAT
Parce que le Sénat tient aujourd'hui
.une séance d'un quart d'heure, ses nom-
breux ennemis vont insinuer obligeam-
ment qu'il ne fait rien.
C'est tout le contraire qu'il faut dire.
Vous pensez bien qu'il ne s'est pas
réuni pour le simple plaisir d'assurer
notre participation à l'Exposition inter-
nationale d'Anvers. L'Exposition inter-
nationale d'Anvers l'intéresse comme
elle doit, mais ces ouvertures et annu-
lations de crédit, qui n'offraient matière
à aucune discussion, pourraient aussi
bien être votées une autre fois, à la tom-
bée de la nuit, sans avoir les honneurs
d'un ordre du jour tout entier.
Le Sénat a voulu siéger quand même
sous un prétexte, par hâte de travailler
et par zèle du bién public. Son unique
pensée a été de recevoir sans le moindre
délai le dépôt du projet de loi concer-
nant les céréales. Il sait combien cette
question préoccupe, à l'heure actuelle,
les esprits. Son opinion, qui est celle de
tout le monde, est que, dans un sens ou
dans l'autre, une solution doit être don-
née, le plus promptement possible, à
ce problème économique d'où dépend,
dans une large mesure, la prospérité de
notre pays.
L'adoption du droit de 3 francs au
Palais-Bourbon coïncidait précisément
avec l'achèvement du budget général au
Luxembourg. Malgré l'énormité de la be-
sogne abattue en si peu de temps, la ma-
jorité n'a pas admis d'autre répit que le
repos hebdomadaire du mercredi. Elle
bat le fer pendant qu'il est chaud.
Il serait donc injuste de ne pas consi-
dérer cette séance du 5 mars 1885 comme
très honorablement remplie, parce qu'elle
tient toute entière dans une phrase pro-
aoncée par M. Le Royer, après lecture
du procès-verbal :
« J'ai reçu de M. le président de la
» Chambre des députés une proposition
» de loi portant modification du tarit
» général des douanes en ce qui touche
» les céréales. »
Jt
a
Quand la Chambre des députés a dé-
claré l'urgence, le règlement impose au
président l'obligation de;la proposer d'of-
fice an Sénat.
L'urgence est votée sans opposition.
Les bureaux maintenant ont besogne
taillée. Ils n'ont plus: qu'à coudre.
Paul Pellegrdt.
LE PUBLIC 4 PARFOIS TOUT
Oui, quelquefois il a tort dans ses
plaintes. Je suis mieux que personne à
même de m'en apercevoir : la plupart
de ceux qui ont quelque doléance ou
quelque récrimination à présenter s'a-
dressent à moi et me demandent de
m'en faire l'interprète dans le XIX"
Siècle.
Toutes évidemment ne me paraissent
pas justes.
Je ne perds pas mon temps a en mon-
trer l'inanité. Si je garde le silence,
c'est bien un peu pour ne pas découra-
ger la clientèle; c'est aussi, c'est sur-
tout parce que les plaintes de ceux qui
croient avoir eu à souffrir d'un faux
abus ont presque toujours un caractère
très particulier, et qu'elles n'intéresse-
raient guère le grand public.
Mais il s'agit cette fois d'un petit en-
nui dont tout le monde a pu être vic-
time ; et au lieu de s'en prendre à soi-
même, chacun sent un penchant naturel
et invincible à mettre ce qui est le fait
de sa propre négligence au compte de
l'administration.
Voici d'abord la lettre de mon cor-
respondant. Je la laisse telle quelle, avec
son âpreté de renvendication :
Cher monsieur Sarcey,
puisque je vous vois toujours sur la brèche
quand il s'agit de déboulonner un abus for-
tement invétéré, je me permets de vous
en signaler un qui n'est pas mince :
Deux obligations sortent au tirage an-
nuel et doivent être remboursées à 500 francs
ou 1,000 francs pour les deux.
Le propriétaire de ces titres, soit qu'il
n'ait pas eu à sa disposition un moyen de
vérification, soit qu'il n'ait pas aperçu ses
numéros sur la liste, détache ses coupons
comme d'habitude, à l'échéance, et la com-
pagnie du Midi — il faut bien la citer —
continue à les lui payer pendant un an et
même davantage, après quoi elle avise
l'heureux obligataire d'avoir à passer dans
ses bureaux ou de s'y faire représenter pour
recevoir le remboursement.
, En effet, l'administration rembourse le
capital, mais elle retient les coupons payés
indûment.
Stupéfaction du bonhomme, qui dit en
vain : « Permettez ! vous me retenez 30 fr.
pour les coupons que vous m'avez payés ou
que vous me devez depuis le tirage; mais
je vous fais remarquer qu'il convient de me
solder 50 francs pour les intérêts du capital
da 1,000 francs que vous détenez depuis
plus d'un an. » Il a raison, il vons semble ;
aussi, pour toute réponse, l'engage-t-on à
s'adresser aux tribunaux.
Or, quel serait l'homme assez simple pour
entamer un procès dans de semblables con-
ditions?
Il n'y en a pas : bénéfice net pour la Com-
pagnie, 30 francs, sans compter les intérêts
de la prime.
Si pareil cas se renouvelle souvent, et cela
doit être, voilà une petite spéculation bien
peu comment dirai-je? - régulière,
mais qui rapporte beaucoup.
Eh bien ! quels que soient les statuts des
Compagnies de chemins de fer, quelques
clauses justificatives qu'on puisse trouver
dans le cahier des charges, je persiste à
dire que rien ne peut autoriser un procédé
aussi contraire au simple bon sens.
1 N'allez pas croire que cette question ne
concerne que les capitalistes, et que dès lors
I elle tombe dans le domaine des choses peu
intéressantes: non, les valeurs de cheminé
de fer sont aujourd'hui dans toutes les
mains, surtout de la petite épargne, et ce
serait rendre un réel service que de poser
au ministre compétent un petit point d'in-
terrogation touchant cette matière.
Veuillez agréer, monsieur, l'assurance da
mes meilleurs sentiments.
Même histoire m'est arrivée à moi-
même, non avec une Compagnie de
chemins de fer, mais avec la ville de
Paris. Je n'avais pas remarque qu'une ;
de mes obligations était sortie ; on m'a
payé trois fois le coupon et, naturelle-
ment, lorsqu'on s'est aperçu de l'er- -
reur, on a répété les coupons indûment
payés à mou obligation qui, depuis le
jour où elle était déclarée remboursa-
ble en capital, ne pouvait plus porter
d'intérêt.
i J'imagine qu'il n'y a guère de petit
capitaliste qui n'ait été victime de la
même déception. On arrive au guichet
pour toucher son petit arrérage : l'ad-
ministration vous rembourse votre ca-
pital, en le diminuant de deux ou trois
arrérages que l'on avait eu tort de tou-
cher.
Le premier mouvement est de dépit
et de colère.
Mais c'est contre soi-même que l'on'
devrait concevoir du dépit. On devrait
regarder sur les listes des numéros sor
tià, qui paraissent dans les journaux,
qui sont affichées dans les salles d'at-
tente. C'est un travail qui n'est ni long
ni considérable, chacun ne possédant
après tout qu'un petit nombre de titres.
L'administration, elle, paie à bureau
ouvert. On lui passe le coupon, elle
encaisse le montant. Que ne dirait-on
pas de son goût de paperasseries, si à
chaque coupon présenté elle ouvrait
une enquête pour savoir si le coupon
appartient à un numéro sorti?
Vous n'avez, dans toute celte affaire,
à vous plaindre que de vous qui n'a-
vez pas pris les précautions nécessaires,
qui n'avez pas veillé au grain. Pour-
quoi voulez-vous que les autres soient
plus soigneux de vos intérêts que de
vous-mêmes ?
i Votre prétention, mon cher, corres-
pondant, votre prétention de vous faire
payer à cinq pour cent l'intérêt de la
somme que la Compagnie ne vous a pas
rendue au jour marqué est exorbitante
et absurde. -
Cette somme, vous ne l'avez point
prêtée à la Compagnie à un taux de.)
Il n'est point intervenu de convention
entre elle et vous à ce sujet. Elle était
obligée de l'avoir dans sa caisse pour
vous la rendre à première réquisition.
Elle n'a donc pu s'en servir. C'est un
argent que vous lui avez laissé en dé-
pôt, que vous avez oublié sur le bord
de sa table. Vous le réclamez, elle vous
le rend. C'est tout ce qu'il vous est per-
mis d'exiger d'elle.
Supposez une chose : 1
Vous vous présentez au guichet pour
réclamer vos mille francs; et l'employé
vous répond: « Ah 1 dame 1 monsieur,
vos mille francs, vous nous les aviez
laissés, nous les avons mis dans une af-
faire. Mais fi est trop juste que nous
vous soldions les intérêts au taux lé-'
gal. Voilà vos cinquante francs. »
C'est pour le coup que vous vous ré-
crieriez avec indignation :
— Mais, pardon, estimable Compa-
gnie, moi, j'ai besoin de mes mille
francs hic et nunc. Ces mille francs,
je ne vous les ai pas prêtés le moins du »
>%
,
Feuilleton du XIX* SIÈCLE
-Du? Mars 1885
(21)
UNE FOLIE
XIII
r suite -
Quand son exposition se trouva termi-
née, d'un geste il écarta les papiers qu'il
avait consultés ; il écarta en même temps
les menus faits de la question. Il entrait
dans lés considérations qui lui tenaient
le plus au cœur : l'honneur de la France,
le devoir de tout patriote de tenir haut
le drapeau national devant l'Europe, de-
vant le monde. Maurice était comme
porté par la grandeur même de son su-
jet, et son éloquence venait du cœur.
Sans chercher de phrases sonores, em-
ployant un langage fort simple, sobre de
gestes, il avait cependant trouvé ce quel-
que chose qui établit un courant de sym-
pathie entre l'orateur et son auditoire.
On ne songeait plus à discuter, à inter-
rompre : on était sous le charme.
Et là-haut, dans la tribune du centre,
un petit cœur de femme battait bien
fort. Fleurette était comme suspendue
aux lèvres de son mari. Elle n'avait plus
peur; chaque mot la remuait ; elle était
pleinement heureuse, de ce bonheur ex-
quis qui s'oublie dans le triomphe de
l'homme aimé.
- -, Un instinct subtil fit que tout d'un
coup elle jeta un regard rapide à sa voi-
sine. La voix de l'orateur n'arriva plus
que vaguement jusqu'à elle, car elle
resta comme pétrifiée, sentant que la' vie
s en elle. Berthe avait oublié où
elle-était, près de qui elle était assise ;
ses yeux noirs brillaient étrangement
Reproduction Interdite"
es lèvres mobiles trahissaient une émo.
stion extraordinaire. Elle ne bougeait pas,
cette femme qui n'avait jamais appris à
tenir en place, et par moments elle pres-
sait son mouchoir contre sa bouche com-
me pour étouffer un cri.
Alors brusquement la lumière se fit
en Fleurette. Fragment par fragment,
elle reprit toute l'histoire du passé. Elle
se rappela les paroles entendues par ha-
sard ; elle comprit les allusions, les re-
gards, jusque-là inexpliqués. Cettefemme
qu'avait dû épouser Maurice n'était autre
que Berthe : Berthe qui s'était introduite
dans leur intérieur de jeunes mariés,
qui leur avait imposé son amitié, puis son
intimité. Et cette intimité qui était ve-
nue petit à petit, tout naturellement
semblait-il, avait un sens caché, que
"pour la première fois elle entrevoyait.
Berthe n'avait pas cessé d'aimer Mau-
rice, et si elle était entrée violemment
dans leur douce vie à deux, c'était pour
se rapprocher de lui. Et Maurice,
alors? Pourquoi avait-il permis cette
intimité? Etait-ce mensonge que son
indifférence apparente pour Mme Fer-
traysac, mensonge que son amitié pour le
mari de cette feiiime ? Ah! Maurice était
la loyauté même; Maurice ne la trom-
pait pas ; il était son-mari, bien à elle I
< Puis il lui vint une angoisse indes-
criptible. Depuis quelque temps, il s'était
élevé entre eux une sorte de gêne ; la
vie les séparait un peu; Maurice était
très absorbé, et ne lui parlait guère de
ses préoccupations. Cette gêne, si vague
au commencement qu'elle n'avait pas
voulu y croire, avait, depuis des mois,
augmenté petit à petit. Prise de vertige,
elle se cramponnait au rebord de la tri-
bune, machinalement comme elle se
cramponnait encore à son bonheur me-
nacé. Elle se sentait capable, elle si
douce, de haine violente, de vengeances
terribles.
Alors, subitement, elle se demanda si
tout cela n'avait pas été un cauchemar
horrible. Car Berthe, maintenant que
l'on sentait le discours approcher .d, sa
fin, avait repris son rempÍre sur elle-
1 même. Quand les applaudissements écla-
taient, elle envoyait un beau sourire de
félicitation à sa voisine, sans voir le re-
gard profond que celle-ci lui jetait ; elle se
fit remarquer dans la tribune par ses
allures d'amie triomphante. Fleurette ne
savait que penser; elle avait tant souffert
depuis une demi-heure que sa tête était
comme vide; elle était incapable de ré-
fléchir.
A la sortie, Maurice rejoignit les deux
femmes. Il était encore tout vibrant d'é-
motion, un peu étourdi aussi par les
éloges prodigués par tous, et qui pou-
vaient bien lui faire croire qu'il était
passé grand homme du coup. Ces éloges,
il les retrouvait, exagérés encore, dans
la bouche de Berthe Ferraysac. Ah 1 que
Fleurette eût voulu en ce moment se
trouver seule avec son mari, lui dire
toute sa fierté! Mais devant le flot de pa-
roles, devant l'enthousiasme débordant
de Berthe, son petit mot : « Je suis si
contente!. » dit presque bas, semblait
bien court, bien peu de chose. Et comme
on discutait l'effet produit par une cer-
taine phrase lancée vers la fin, Maurice
vit au regard de sa femme qu'elle ne sa-
vait pas de quoi il s'agissait. Il l'emmena
un peu brusquement, Berthe ayant enfin
pris le bras de son mari.
- Tu n'as donc pas écouté ? dit Mau-
rice qui se sentait horriblement blessé de
cette indifférence. Vraiment Fleurette
exagérait un peu son dédain pour la po-
litique ! -,
La jeune femme hésita un instant.
Comment avouer sa torture de tantôt?
Quelle vraisemblance y avait-il que cette
bavarde qu'ils venaient de quitter, cette
politicienne à l'esprit froid, fût une sen-
timentale ayant au cœur une passion
inavouable? Où avait-elle eu l'esprit?
- Je souffrais, dit-elle enfin, je souf-
frais si cruellement, que toutes mes for-
ces se concentraient dans l'effort que je
faisais ponr n'en rien témoigner.
- Ma pauvre mignonne I. ,,"
A l'instant toute sa tendresse était re-
venue. Il vit en effet que sa femme était
très pâle ; depuis quelque temps, elle
n'allait pas bien, se fatiguait vite,
avait des crises de douleurs nerveuses.
Il lui fallait se soigner sérieusement. II
la gronda doucement d'être restée jus-
qu'au bout dans cette tribune où l'on de-
vait étouffer.
Puis, quand il l'eut ainsi sermonnée, il
ne trouva plus rien à lui dire. Il ne lui
parla plus de la séance, ni des compli-
ments qu'il avait reçus, ni des espérances
que son triomphe avait fait naître dans
le petit cercle d'amis et d'admirateurs
dont il était le « grand homme ». Plu-
sieurs fois elle essaya de lui dire com-
bien elle avait été heureuse, émue ; mais
il écoutait en silence, et elle se taisait
alors, blessée au cœur. Avec Berthe, il
savait bien causer de ces choses-là et
semblait heureux de ses bruyants éloges.
Le succès du jeune orateur retentit
dans tout Paris, dans toute la France ;
son nom était constamment cité dans les
journaux. C'était la notoriété. Maurice
put croire un instant que c'était la for-
tune; la gloire, à courte échéance.
Mais il arriva ce qui arrive souvent en
pareil cas : le silence se fit après le bruit;
d'autres intérêts passionnèrent la foule,
et Maurice Malleville fut vite oublié. On
parlait d'une crise ministérielle pro-
chaine ; la polémique devenait âpre, mau-
vaise, et la tourmente emporta la gloire
éphémère du jeune député, qui en fut
aigri et froissé.
A ce moment, des tracas d'argent vin-
rent ajouter leur ennui, leurs petites
humiliations aux rancunes de l'ambition
déçue. Maurice avait fait des billets ; il
lui fallut emprunter pour les payer.
Fleurette, avec qui il évitait de parler de
ces tracas d'argent, les connaissait pour-
tant, comprenait fort bien la cause de
l'irritation, du silence maussade de son
mari. Elle savait que c'était elle qui lui
avait apporté cette gêne, cette mé-
diocrité de fortune, et elle devenait 4 ce
propos d'une susceptibilité maladive.
Chaque jour la gêne, d'abord légère
comme une brume d'été, se concentrait,
s'épaississait, devenait comme un brouil-
lard froid et lourd qui pénètre et qui
glace.
Enfin l'orage politique, qui grondait
depuis quelque temps déjà, éclata. Le
ministère donna sa démission; combi-
naison après combinaison fut essayée,
rejetée — c'était le ministère introuva-
ble. Il se constitua cependant. Durant
la crise, le nom de Maurice Malleville, si
bien oublié depuis son heure de triom-
phe, se trouva prononcé plus d'une fois
à propos de la politique étrangère. Ce fut
en définitive son parti qui l'emporta.
Quand les noms des nouveaux minis-
tres parurent à l'Officiel, on apprit en
même temps que le ministre des affaires
étrangères s'était adjoint comme sous-
secrétaire d'Etat M. Maurice Malleville.
Quoiqu'il fût un peu jeune, ce choix pa-
rut excellent; on se rappela la netteté
d'exposition, - la force d'argumentation,
les connaissances approfondies qu avait
montrées le jeune orateur. Dans les cri-
tiques violentes adressées aux nouveaux
élus par la presse hostile, le sous-secré-
taire d'Etat aux affaires étrangères fut
traité presque poliment.
Maurice, lui, croyait rêver. Arriver
ainsi, malgré les désavantages de sa po-
sition, c'était le triomphe, un triomphe
qu'il ne devait qu'à lui-même. Il en fut
un peu grisé. Fleurette, qui avait des
idées vagues sur les attributions d'un
sous-secrétaire d'Etat, comprit surtout
une chose : c'est qu'ils vivraient dans un
tourbillon; que l'intimité serait presque
impossible dans ce grand appartement du
ministère ; qu'elle ne verrait plus guère
son mari.
Ce n'était pas le moyen de dissiper la
gêne qui était survenue entre eux ! Ce-
pendant, le voyant si heureux, elle fut
heureuse de ce bonheur qui, du reste,
le rendait plus tendre, plus expansif. II
semblait n'avoir plus rien à reprocher à
sa femme, pas même sa pauvreté, pas
même son père avec qui il se réconcilia'
à peu près. On eût dit qu'il voulait si-
gnaler son avènement par un acte de
magnanimité.
XtV
Maurice Malleville, simple député, avo-
cat sans causes,
sonnages très différents. Les amis qui,
après lui avoir prédit un brillant avenir,
avaient quelque peu oublié ces prédic-
tions pendant près de deux ans, s'en sou-
vinrent très à propos. On vanta les qua-
lités solides de son esprit, sa capacité de
travail ; plus que jamais on voyait en lui
« l'homme de l'a venir M. Mme Darboys
rayonnait et Solange protégea un peu.
moins sa jeune tante et fut plus que ja-
mais expansive et affectueuse.
Maurice cependant n'était pas sans
crainte au sujet de sa femme. Il voulait
recevoir, représenter, et se demanda com-
ment Fleurette se tirerait d'une position
en vue et passablement difficilê. Il en
parla à sa sœur qui lui jeta un regard
où se trouvait une nuance de dédin.
— Mon pauvre Maurice, que les homv
mes d'esprit sont donc bêtes 1 Sois sans
crainte. Tu es le seulparmi nous à dou-
ter de Lucie ; elle ne te fera aucun tort,
c'est moi qui te le dis. Elle ne sera ja-
mais une politicienne et ne trempera en
aucune intrigue pour faire de toi un mi-
nistre avant le temps; mais elle prési-
dera fort bien ta table et ne commettra
aucune bévue. Elle n'est gauche et ti-
mide que devant toi; tu la glaces avec
tes craintes blessantes. Va ! tu as fait une
folie en l'épousant, mais tu en tais une
bien plus fatale encore en ne sachant pas
apprécier ta femme à sa valeur. La pe-
tite sauvage a fait son éducation, sans
grande aide de ta part, j'en conviens. On
la trouve charmante, on lui fait même la
cour, ne t'en déplaise; elle n'a qu'un
tort : elle t'aime trop profondément. —
Une femme est désarmée auprès d'un
homme qu'elle aime ainsi et qui prend
cet amour tout paturellement commq
chose due 1
Tout en se disant que sa sœur si po.
sitive qu'elle fût, n'échappait pas à la
manie féminine de mettre le roman dans
la vie réelle, Maurice se sentit rassuré.
et il avait besoin de l'être. Il était sur-
mené de travail et ne pouvait guè» £
s'occuper de sa femme.
JEANNE MAIRBT»
(A suivre1 : '- .-
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