Titre : Le XIXe siècle : journal quotidien politique et littéraire / directeur-rédacteur en chef : Gustave Chadeuil
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1885-03-06
Contributeur : Chadeuil, Gustave (1821-1896). Directeur de publication
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Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
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Description : 06 mars 1885 06 mars 1885
Description : 1885/03/06 (A15,N4807). 1885/03/06 (A15,N4807).
Droits : Consultable en ligne
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Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-199
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 09/04/2013
Quinzième année. 'AB - N" 4807
Prix du numéro à Paris 15 centimes — Départements: 20 centimes
Vendredi 6 Mars 1885
JOURNAL RÉPUBLICAIN CONSERVATEUR
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de 2 heures à minuit
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Banque ottomane. 617 50, 616 87, 619 75.
Extérieure 61 5i8, i3[i6.
Lots Turcs. 48 25, 48 12.
Panama 502 50.
PARIS, 5 MARS 1885
La discussion n'est pas finie au sujet
de l'incident de Levallois-Perret. Oui
ou non, est-ce le drapeau rouge, le dra-
peau de la guerre civile et de l'anar-
chie, le drapeau promené déjà aux fu-
nérailles de Jules Vallès que l'on a
exhibé de nouveau en cette occasion?
Non, disent les uns, ce n'était pas le
drapeau rouge ; c'étaient des bannières,
rouges il est vrai, mais n'ayant aucune
signification politique et de plus por-
tant des inscriptions. D'une note adres-
sée aux journaux par le comité du mo-
nument de Levallois-Perret, nous ex-
trayons le passage suivant :
Voici donc la vérité absolue :
Il n'y avait dans le cortège aucun drapeau
rouge anarchiste,«mais bien les bannières
de :
1° La Société la Libre-Pensée de Leval-
lois ;
*° îi0 Le Groupe athée de Clichy et la Ligue
révisionniste.
Ces sociétés, solidaires les unes des au-
tres, avaient sollicité d'être admises dans le
cortège, le sergent-fourrier Mart étant un
ancien membre de l'une d'elles avant son
départ au service militaire.
Les groupes de la Libre-Pensée sont donc
venus avec leurs bannières, qui portaient
chacune l'inscription du nom de la société,
rendre un hommage funèbre qu'ils rendent
à chacun de leurs membres décédés.
Ce ne sont donc pas des emblèmes anar-
chistes ni séditieux, mais bien des signes
de ralliement de sociétés légalement recon-
nues.
Et de son côté la Société la Libre-
Pensée de Levallois-Perret a publié la
protestation suivante:
Le groupe de la Libre Pensée de Levallois-
Perret, par suite de faits regrettables qui se
sont produits à l'inauguration du monu-
ment funéraire érigé à la mémoire d'Henri
Durand et Edouard Mart, morts au Tonkin,
proteste énergiquement contre les notes
erronées qui ont paru dans divers jour-
naux.
Le seul provocateur de l'incident fâcheux
qui a eu lieu n'est autre que M. Paul Dé-
roulède, qui, avec l'aide de ses amis, a voulu,
d'une manière violente, abaisser le drapeau
de la Libre-Pensée sous prétexte de sa cou-
leur rouge, sans se rendre compte de l'ins-
cription portant : « Libre-Pensée de Leval-
lois-Perret. - Liberté, Egalité, Solidarité».
Le groupe proteste également contre cette
fausse qualification d' «anarchiste » qui lui
est attribuée, car il réprouve le désordre et
l'anarchie.
Voilà des déclarations dont nous
sommes heureux de prendre acte.
Nous ne pouvons oublier cependant,
d'autre part, que M. Déroulède, dans
ia lettre au journal le Matin, a déclaré
qu'il avait vu un étendard dont la
flamme était attachée à la hampe, ce
qui indique non pas une bannière, mais
un drapeau. Que si réellement les
libres-penseurs de Levallois-Perret re-
poussent, ainsi qu'ils le disent, toute
solidarité avec les anarchistes ; si l'idée
de patrie leur est chère comme à nous,
nous ne saurions leur donner qu'un
conseil : c'est de changer au plus tôt
la couleur de leur bannière, c'est de
rendre, dans l'avenir, impossible toute
équivoque analogue à celle de diman-
che.
Il ne faut pas qu'ils s'y trompent, en
effet: pour l'opinion, pour l'opinion de
tous les partis, ce ne sont pas les ban-
nières de la libre-pensée qui se sont
fait voir il y a quatre jours, c'est bien
la loque sanglante de la guerre civile
et de l'anarchie, et le parti de l'anar-
chie célèbre et glorifie l'incident comme
un triomphe qui lui appartient. Hier
même, dans un article intitulé : « Les
sans-patrie M, le Cri du Peuple écrivait :
« Le pauvre n'a pas île patrie. Rien
ne lui appartient, ni l'outil que la sueur
fait glisser entre ses doigts, ni le lit où
il dort, la journée faite, son sommeil
écrasé, ni la terre sur laquelle il se
traine en paria. Bon pour le patron, le
propriétaire, le capitaliste, de cultiver
le patriotisme à 5 010..
» La patrie, ce sont les domaines dont
il faut reculer les bornes, c'est le châ-
teau qui réclame un étage de plus, c'est
la caisse qu'il importe de remplir; la
patrie, c'est la rente.
» Cela ne regarde pas le travailleur.
» Las de s'entre-égorger pour le bé-
néfice de quelques-uns, les déshérités
de tous les peuples font alliance.
» C'est pour affirmer cet internatio-
nalisme régénérateur que le drapeau
rouge s'est dressé, dimanche, sur la
tombe de deux obscurs soldats, victi-
mes de la guerre.
» Il était nécessaire, il était indispen-.
sable que sur ce monument funèbre, à
côté des fanions tricolores, notre ori-
flamme fùt là — comme une haute et
sévère protestation. »
Voilà qui est net, on en conviendra ;
et la fin de l'article n'est pas moins si-
gnificative : - -
- « Sans patrie Oh ! nous acceptons,
nous faisons nôtre ce titre qui donne sa
vraie signification au grand mouvement
qui secoue, comme une gigantesque
convulsion, l'Europe en gésine.
» Certes, s'il arrivait que la France
envahie eût besoin de tous ses enfants,
nous verrions qui des déroulédeux ou
de nous seraient les plus lents à pren-
dre le fusil.
» Mais, tant que nul ne nous attaque,
il importe qu'entre les « patriotes » et
nous il y ait, en effet, guerre bien dé-
clarée. « Drapeau contre drapeau » dit
l'un d'eux. Soit. Le vôtre est celui de
la bourgeoisie française, le nôtre est
celui du prolétariat-universel.
» Et, comme la lutte va tout à l'heure
s'ouvrir, comme la bataille va demain
peut-être rugir dans l'air embrasé, le
parti révolutionnaire français convie à
se grouper sous les plis de la même
bannière tous les exploités, tous les op-
primés de toute race, contre les oppres-
seurs et les exploiteurs de toutes na-
tions : Allemands,- Anglais -ou Fran-
çais. »
Ainsi c'est bien la guerre civile qu'on
nous promet à courte échéance, la
guerre contre ce qu'on appelle la bour-
geoisie française, faite avec le drapeau
rouge pour « oriflamme », avec le con-
cours des « opprimes » de toutes les
nations, Allemands, Anglais ou Fran-
çais. Ce n'est pas que nous soyons fort
émus de ces menaces; il y a longtemps
qu'on les fait retentir sans qu'heureu-
sement l'effet suive. Mais si les libres-
penseurs de Levallois-Perret ne sont
pas de cœur avec ces violents, combien
ne sont-ils pas imprudents de paraître
s'associera eux et faire avec eux cause
commune l
CBSLRLRS BlGOT
——————— ——————
SOUSCRIPTION
AU
Monument de M. Edmond About
(Huitième liste)
Le conseil municipal de Paris. 500 »
Une admiratrice du talent de
M. About. 1 »
Oscar Thérin, à Eu. 10 »
Ch. Lahoussay, àRimogne. 5 »
Dr Ginsliniani, directeur de la
santé en Corse. 50 »
Thiry, de Lunéville 5 »
Association des Alsaciens-Lor-
rains du départ. d'Alger. 50 »
Drouhet, ancien gouverneur
de l'Inde.!. 20 »
Henri Drouhet. , 10 »
Grunevald, peintre , 2 »
Fréd. Nifenecker. 20 »
Un lecteur reconnaissant. 10 »
Gaspard Malo, à Rosendaël.. i, 50 »
Smal, à Thiais 20 »
Eugène Pereire. 50 »
Dr F. Moty, à Constantine. 10 9%
Max Radigaet. 20 »
Jean Laffitte, à Fraisnes 10 »
Dr Letourneur, à Granville. 5 »
E. Monteil, cons. municipal.. 20 »
Louis Campi, à Corte. 50 »
Paul Leroy. 20 »
Total. 938 »
Total des listes précédentes.. 12.126 60
13.064 60
I
M. Andrieux est entrain de vider de-
vant le public les dossiers qu'il a em-
portés de la préfecture de police.
Nous n'avons guère parlé jusqu'à
présent de cette publication. Nous trou-
vions qu'elle était scandaleuse. C'était
la première fois qu'un haut fonction-
naire , violant avec cette désinvolture
le secret professionnel, étalait devant la
foule des mystères qu'il avait toujours
été de tradition gouvernementale de
garder dans l'ombre des cartons de l'ad-
ministration.
Mais voilà que M. Andrieux a poussé
plus loin encore l'indiscrétion.
Il ne se contente plus de révéler les
histoires où il a été mêlé lui-même ; il
fouille maintenant les cartons de ses
prédécesseurs, et sans dire gare, pour
le plaisir de conter une anecdote plus
ou moins piquante, il déshonore du
même coup et l'un de ses prédéces-
seurs et un homme de lettres qui n'est
plus là pour se défendre; sans parler
de la femme du grand monde qu'il n'a
point nommée, mais qu'il a désignée si
clairement que son nom est aujourd'hui
sur toutes les lèvres.
Où allons-nous si ces moeurs s'im-
plantent définitivement chez nous ? si
tous les secrets d'Etat sont livrés en
proie au public par ceux-là même qui
avaient juré de les garder? si les pré-
fets de police s'amusent à faire métier
et marchandise des rapports de leurs
agents et battent monnaie avec l'hon-
neur des citoyens qu'ils font surveiller?
Tout cela est vilain, très vilain.
M. Andrieux a donné là un fâcheux
exemple ; il est tombé juste au-dessous
de M. Henry d'ideville, qui n'est après
tout qu'une assez inoffensive caillette.
Son livre, s'il paraît, se vendra beau-
coup, je n'en doute pas. Mais quel est
le galant homme qui voudrait l'avoir
signé ?
FRÀNCISQUJS SÀRCBY.
NOUVELLES DE CHINE
AU TONKIN
L§ Temps publie la dépêche suivante :
Hanoï, 3 mars, 5 heures du soir.
Dès que le général de Négrier eut établi
son quartier général à LangSOD, il prit ses
dispositions pour continuer la poursuite de
l'armée chinoise qui, après ses désastres,
s'était rabattue sur la route de That-Ké.
Les impériaux avaient construit à Dong-
Dang, à 15 kilomètres de Langsong, une
série de redoutes étagées qui couvraient la
route de Chine.
Le général de Négrier les attaqua le 24 fé-
vrier. Le combat commença à neuf heures
du matin et, à trois heures, l'ennemi était
en pleine retraite vers That-Ké et Cua-Ai,
en abandonnant une partie de son matériel.
Les forts qui flanquaient la « porte de
Chine » ont été enlevés très brillamment.
On a pris des tentes, des étendards, trois
canons Krupp et trois mitrailleuses avec
caissons et munitions, tout cela en état de
servir.
Un bureau télégraphique est ouvert à
Dong-Song, continuant la ligne qui fonc-
tionne jusqu'à Langson par Phu-Lang et
Bac-Lé.
Le général Brière de l'Isle est arrivé le 28
à Phu-Doan, sur la rivère Claire, marchant
à ta rencontre de l'armée du Yunnan, com-
mandée par Lhu-Vinh-Phuoc en personne.
Le 24, celle-ci a donné un assaut furieux
contre Tuyen-Quan et a été repoussée avec
des Dertes énormes.
DÉPART DE L'ESCADRE
Shanghaï, 3 mars, 4 h. soir.
Le bombardement des forts de l'entrée de
la rivière de Ning-Po a été interrompu. Le
bruit court que l'escadre se dirige au nord.
L'INSTRUCTION PRIMAIRE AU TONKIN
On lit dans l'Officiel :
Le résident général de France à Hué vient
de faire connaître au ministre de la marine
et des colunies que, suivant les recomman-
dations du département, il s'était préoccupé
d'organiser le service de l'instruction pri-
maire.
Il est créé à Hanoï une école française où
sont admis des élèves Internes et externes ;
des écoles de même nature seront établies
successivement à Nam-Dinh et à Haïphong
et dans toutes les grandes villes du Tonkin.
A Hanoi, la construction de l'école est
commencée sans retard, sur un terrain cédé
par les anciennes autorités au pays, et dans
les autres résidences on construira des mai-
sons provisoires, aussi convenables et aussi
confortables que possible. q
Le personnel enseignant est recruté parmi
les professeurs et les maîtres qui sont char-
gés de l'instruction primaire en Cochinchine
et qui sont déjà habitués au climat : il sera
complété au besoin par l'envoi d'un person-
nel mis à la disposition du département de
la marine et des colonies par M. le ministre
de l'instruction publique.
Dès que la pacification du Tonkin sera
terminée, le résident général procédera à la
création d'écoles pour les filles ; en atten-
dant, des salles d'asile sont ouvertes à
Hanoï, à Haïphong et à Nam-Dinh.
Le résident général est également en
pourparlers avec l'évêque jdu Tonkin pour
l'étahlissement, dans chacune des paroisses
de l'intérieur, de petites écoles indigènes
pour la propagation de l'enseignement du
français.
Dernière heure
Shanghaï, 4 mars, 9 h. 40, soir.
On mande de Ning-Po que la flotte fran-
çaise est mouillée sous l'île Deadman.
Deux torpilleurs ont essayé de s'approcher
de Chinhaï, mais un feu violent des China
les en a empêchés.
L'amiral Courbet fait sonder les passes
qui sont entre les iles Yew et Tiger.
———————— Omo
Il paraît que, l'an dernier, M. le mi-
nistre des beaux-arts fiL cadeau à la
ville de Laval d'une jolie statue en mar-
bre blanc, grandeur naturelle, qui avait
été remarquée au Salon. Elle était due
au ciseau de M. Lavigne. Je ne vous
dirai point ce qu'elle valait, ne me sou-
venant pas de l'avoir vue. L'an dernier,
je n'usais pas le peu qui me restait
d'yeux à regarder des statues ou des
tableaux. Il fallait pouvant bien qu'elle
eût quelque mérite pour que le gouver-
nement 1 eût choisie et achetée.
C'était une Psyché.
Cette Psyché naturellement, comme
toutes les Psychés du monde, ne déro-
bait sous aucun voile le trésor de ses
formes divines. C'est le privilège des
statues antiques de se dresser toutes
nues dans les jardins, sur les places
publiques ou dans les musées, sans
éveiller chez les esprits bien faits d'au-
tre idée que celle de la chaste et im-
mortelle beauté.
La municipalité décida que cette œu-
vre d'art serait placée au centre d'une
pelouse des promenades de la ville. On
l'y installa, et tout le monde jugea
qu'elle y était d'un très bel effet déco-
ratif.
Ce fut une petite fête pour la loca-
lité.
Les dévots, sur le premier moment,
s'étaient tus. Peut-être n'avaient-ils
pas jugé prudent de démasquer leurs
batteries trop vite ; ils avaient mieux
aimé laisser la chaleur du premier en-
thousiasme se refroidir d'elle-même.
Mais ils ne tardèrent pas à s'élever
contre l'immoralité de cette femme
toute nue, qui offensait la pudeur bien
connue des gens de Laval. Jamais à La-
val on n'avait encore vu de personne
du sexe se promener ainsi, sans che-
mise, une lampe à la main. Une lampe
pour tout costume, c'était l'abomina-
tion de la démoralisation, c'était la fin
de tout.
Cachez ce sein que je ne saurais voir t
Que dis-je? ce sein? II y en avait
bien deux, d'une netteté et d'une élé-
gance rares, histoire sans doute d'hu
milier les Lavalloises. Ah 1 si les Laval-
loises avaient pu montrer les leurs! on
aurait vu si elles aussi!. Mais non,
les femmes de Laval avaient l'habitude
de jeter un voile sur ces indécences.
Une polémique s'engagea. -
Les conseillers municipaux se défen-
dirent d'avoir voulu faire de Laval une
Sodome ou une Gomorrhe. Ils alléguè-
rent, comme Jean Lapin, la coutume et
l'usage. Ils ajoutèrent que ceux de leurs
concitoyens à qui ces seins droits et
nus faisaient venir de coupables pen-
sées n'avaient qu'à ne -pas les regar-
der. Il était facile de passer en baissant
les yeux. Ils n'étaient pas, eux, si ten-
dres à la tentation, et le marbre sur
leurs sens ne faisait point d'impression
semblable. Tout ce qu'on peut dire en
un mot dans une affaire de cette sorte,
car la cause n'est pas nouvelle.
Il sembla que la population leur don-
nait raison, et je crois qu'en effet ils
avaient raison.
Mais la gent dévote ne se tint pas
pour battue.
Elle en voulait à Psyché! Une nuit
[ (c'était la nuit du 25 au 26 février), la
statue tomba renversée de son socle ;
on lui arracha la tête, on brisa une de
ses ailes, et, pour comble de sacrilège,
on mutila un de ces deux seins qui
gonflaient doucement la poitrine de la
jeune immortelle.
On. je me sers à dessein de ce mot
qui ne précise rien. Car on ns sait en-
core la main d'où est parti le coup. On
ne le saura jamais sans doute. Lugete,
veneres cupidinesque ! mais voilà pour
un coup la morale et la pudeur en-
core une fois sauvées !
FRANCISQUE SARCEY
Nouvelles parlementaires
CHAMBRE DES DÉPUTÉS
Deux commissions importantes se sont
réunies hier, la commission du budget et la
commission de l'armée.
Daus la première, l'opinion de la majorité
parait hostile à toutes les modifications pro-
posées par le Sénat au budget ae 1885 ; elle
entend affirmer les droits supérieurs de la
Chambre en matière budgétaire.
Cependant l'Union démocratique incline'
rait à une transaction.
* •
* »
La commission de l'armée, réunie sous la
présidence de M. Mézières, a adopté un
amendement de M. Roques (de Filhol) relatif
à l'article 3 du projet. M. Roques propose de
rédiger l'article ainsi : « Nul ne peut être
exonéré », supprimant ces mots « : à prix
d'argent », qui figuraient dans le premier
texte.
La commission a ensuite examiné la ques-
tion de savoir si les employés de chemins
de fer seraient ou non disponibles en temps
de guerre. Après une courte discussion en-
tre MM. Ballue et Reille, la commission a
décidé qu'elle entendrait le ministre des
travaux publics à ce sujet.
Puis elle a définitivement statué sur la
situation qui sera faite aux instituteurs et
aux membres du clergé paroissial.
Sur la proposition de M. Ballue, elle a
décidé que les uns et les autres seraient
classés comme disponibles jusqu'à l'expira-
tion de leur temps de service dans la ré-
serve, c'est-à-dire jusqu'à l'âge de vingt-
neuf ans révolus, qu'ils n'auraient pas à
répondre aux appels de vingt-huit jours,
mais qu'ils Dourraient être appelés en temps
de guerre. Dans ce cas,ce serait au ministre
de la guerre de les apprêter à un service
correspondant aux aptitudes de chacun.
Dans la pensée de la commission, ce sont
des questions de détail qui seront tranchées
par voie de dispositions réglementaires.
*
* *
Il est possible que la Ch mbre tienne
séance vendredi, exceptionnellement. M. le
président du conseil en fera la demande de-
main. Dans ce cas, la ratification des traités
de Hué et du Cambodge serait mise er
tête de l'ordre du jour.
*
* *
Le président du conseil déposera proba-
blement lundi sur le bureau de la Chambre
le texte du traité international réglant la
question égyptienne.
Il demandera à la Chambre de fixer la
discussion à une date aussi rapprochée que
possible.
L. H
On sait que parmi les crédits rélablh
par le Sénat figure une somme de quel-
ques centaines de mille francs affectée à
l'entretien de la gendarmerie mobile. Li
Chambre avait supprimé ce crédit en to-
talité ; le Sénat demande le rétablisse-
ment de la moitié et le maintien d'un
des deux bataillons qui composent ac-
tuellement la légion mobile.
Comment le Sénat entend-il justifier
cette proposition ? Ce ne peut être que
par des raisons sentimentales, car il n'y
a pas d'arguments bien sérieux à donner
Feuilleton du XIX. SIÈCLB
, - 1
Du 6 Mars 1885,
(20)
UNE FOLIE
4
XIII
Cependant Berthe Ferraysac était main-
tenant une femme à la mode; elle recevait
beaucoup et fort bien. Son mari l'admi-
rait, l'adorait, lui passait toutes ses
fantaisies.
Et pourtant il était facile de voir que
ce mari n'était pas complètement heu-
reux. Un soir qu'il causait avec Fleurette,
pour qui il professait le plus chevaleres-
que dévouement, il dit :
- C'est absurde, n'est-ce pas? quand
on est taille en colosse comme moi, d'a-
voir un petit idéal de la vie tout simple,
bêtement bourgeois, comme dit Berthe.
Mais, voyez-vous, toutes ces fêtes, tout ce
bruit ne sont pas bien mon affaire. Je
rêve le coin du feu. — vous savez, les
pantoufles, les petites causeries à deux,
tous la lumière douce d'une lampe, le
livre qu'on lirait ensemble, la bonne pe-
tite vie très simple, sans bruit, ignorée
des autres. Ah! le bonheur, ce serait
d avoir douze mille livres de rente, pas
à ambition, des enfants, et de vivre dans
un coin perdu de province, où l'on ne
,erait pas maire de sa commune!
- Je ne voÏs pas Berthe dans votre
coin perdu, repondit Fleurette en riant.
Mais on n est jamais content. Vous rêvez
Jeproduçtio interdite.
la pauvreté comme mon mari rêve la
richesse. ;
— Et vous?
— Moi?. Je ne sais. Je crains d'être
aussi une sentimentale. Au fond, le ca-
dre ne me ferait rien; je serais princesse
ou paysanne, pourvu que.
Elle s'arrêta, n'osant dire le fond de
sa pensée. Ferraysac compléta sa phrase,
souriant à demi.
— Pourvu que vous fussiez toujours
sûre d'aimer et d'être aimée. Voilà, chère
madame ! Nous ne sommes ni l'un ni
l'autre dans le mouvement, « dans le
train », comme dit ma femme. C'est
peut-être ce qui fait que j'ai tant de sym-
pathie pour vous, — vous me permettez
de le dire, n'est-ce pas? — ce qui fait
que nous laissons politiquer ces deux
mondains et que nous causons senti-
ment, petites fleurs bleues, rêves de bon-
heur. Avec vous, au moins, je n'ai pas
peur de me laisser voir tel que je suis :
en politique, je suis un radical ; dans la
vie privée, je serais volontiers le plus
abominable des réactionnaires ! Affaire
de contraste. On rêve la simplicité, la vie
obscure, et on devient amoureux fou
d'une mondaine qui veut aussi être une
politicienne, qui enrage de ne pas me
voir un tribun applaudi, — que sais-je ?
un ministre même, peut-être !.
- Pourquoi pas? Elle serait ministre
pour deux.
Ferraysac quitta subitement le ton de
plaisanterie qu'il avait adopté, et Fleu-
rette resta frappée du changement.
— Il y a certaines choses que je ne ferai
jamais, et de cela Berthe m'en veut, mais
je n'y peux rien. J'ai, sur ma conduite
politique des idées aussi arrêtées que
sur l'honneur. Je ne suis « souple»,
c est son mot, que lorsqu'il s'agit de
bagatelles. Il lui plaît de dépenser beau-
coup d'argent, de porter des toilettes
éblouissantes, de donner des fêtes : je la
laisse faire, comme je donnerais volon-
tiers des jouets à mes bébés, si j'en
avais. Tout cela ne compte pas. Mais si
je croyais mon honneur d'homme politi-
que, ou - alouta t-il un peu plus bas,
comme se parlant à lui-même — mon ]
honneur de mari en jeu, on verrait en
moi un autre homme, un homme qu'on
ne connait pas encore. :
Fleurette, toute saisie, jeta un regard
rapide sur un groupe en face d'elle.
Berthe, très animée, causait avec Mau-
rice qui écoutait en souriant d'une façon
un peu moqueuse. Il vint à la jeune
femme une sensation de froid au cœur,
qu'elle avait déjà éprouvée plus d'une
fois : mais l'impression ne dura qu'un
instant, lui causant un frisson fugitif.
Puis elle n'y pensa plus, pour le mo-
ment du moins.
On s'amusait un peu dans le monde de
l'intimité des deux jeunes femmes.Il vint
aux oreilles de Fleurette des allusions
qu'elle ne comprenait pas; elle remarqua
dei sourires un peu énigmatiques qui la
troublaient. Berthe la protégeait, l'em-
menait au Bois, lui faisait faire des vi-
sites, lui donnait des conseils sur sa toi-
lette , prêchant volontiers l'économie et
lui indiquant les étoffes à effet et qui ne
coûtaient « presque rien ». Elle était cu-
rieuse comme pas une fille d'Eve, furetait
partout, espérait des confidences, en fai-
sant elle-même, sur sa vie Drivée, pour
en arracher à Fleurette de plus intimes
encore. Mais elle ne réussit guère. Fleu-
rette, tout en restant très douce, dès
qu'il s'agissait de son mari, de leur vie à
deux, devenait , impénétrable. Berthe
l'aurait souvent volontiers battue.
Car cette jeune femme traversait une
crise redoutable. Elle analysait cette
espèce de curiosité inquiète qui s'était
emparée d'elle, ce besoin de se trouver
dans la société de Maurice, que parfois
elle croyait haïr, d'entendre parler de lui
lorsqu'elle ne pouvait le voir ; et comme
elle avait au moins une qualité, le cou-
rage, elle voulait à tout prix savoir ce
qu'il y avait au fond de cette curiosité.
Sa vie lui semblait plate et monotone,
malgré son éclat. Pauvre, pendant sa pre-
mière jeunesse, elle avait été fort délais-
sée, et pendant ces années tristes et
grises elle avait amassé beaucoup de
i rancunes. Puis plusieurs héritages suc-
cessifs l'avaient enrichie. Elle avait battu
toutes ses rivales à coups de millions. Et
après ?. Après, il lui était venu une
lassitude âe ces triomphes trop faciles ;
sa fortune ne l'amusait plus ; la tendresse
de Ferraysac l'énervait. Ce qui l'irritait
plus encore, c'était l'amour profond de
Fleurette pour son mari; c'était de voir
que Maurice — qui restait très indiffé-
rent envers elle — aimait encore cette
Italienne, cette vendeuse d'oranges, cette
ignorante ! Elle ne rêvait plus qu'une
chose : brouiller ces amoureux.
Maurice avait lu son rapport ; la ques-
tion s'était trouvée très importante ; il
devait y avoir une séance palpitante d'in-
térêt, où le jeune rapporteur parlerait,
une de ces séances mouvementées, très
recherchées des mondaines élégantes, en
quête d'émotions. Aussi, ce jour-là, les
tribunes se remplirent-elles très vite ; les
femmes, entassées les unes contre les
autres, causaient, remuaient, envoyaient
un sourire, un bonjour de la main aux
amies dans les autres tributtes, voire
même aux députés qui n'étaient pas en-
core à leurs places et qui les lorgnaient
comme au théâtre.
Il y avait les habituées qu'on retrouvait
à chaque séance importante, qui met-
taient une intention dans la nuance du
chapeau, dans la sévérité ou l'élégance
de la toilette. Il y avait les provinciales
et les étrangères qui venaient nour la
première fois et posaient des questions à
leurs voisines, se faisant montrer les
célébrités du moment. Il faut avouer
que plus d'un député avait un air quelque
peu débraillé. Ces graves faiseurs de
lois s'occupaient plus que de raison des
tribunes et, même après que la séance
fut ouverte promenait leur imperti-
nente curiosité de tribune en tribune ;
se montraient le plus souvent deux jeu-
nes femmes, dont l'une n'était en aucune
façon gênée par cette attention persis-
tante, tandis que l'autre semblait cher-
cher à se dissiminer. On les nommait :
celle-ci était Mme Malleville, dont le mari
allait faire ses débuts. Seulement ceux
qui ne la connaissaient pas de vue pre-
naient sa cmnpagae, Berthe Ferraysac,
gilée,: nerveuse, pour là femme de Mal-
leville, et souriaient de son émotion.
Fleurette, toute pâle, ne bougeait pas,
ne parlait pas.
Elle avait très peur ; le bruit qui con-
tinuait, même après le commencement
de la discussion, lui semblait de mauvais
augure. Elle restait les yeux fixés sur
son mari. Lui. après un rapide regard à
l'endroit où elle, se trouvait, n'avait plus
levé la tête.
Toute ignorante qu'elle fût encore des
choses de la politique, elle savait qu'il
jouait une grosse partie
Un orateur était monté à la tribune, et
on ae l'écoutait même pas. Les huissiers,
de leur voix impassible, disaient à des
intervalles presque réguliers : « Silence,
messieurs, s'il vous plaît ! » Le président
frappait son pupitre à petits coups secs de
son couteau à papier, ou agitait sa son-
nette. Mais, après une minute de de iii-
silence, les conversations reprenaient de
plus belle, jusque dans l'hémicycle, et la
voix aigre du malheureux député n'arri-
vait guère qu'aux sténographes. Cepen-
dant une phrase se fit entendre qui, dé-
plaisant à la majorité, excita un brou-
haha indiseriptible. Des honorables, à
demi vautrés sur leurs bancs, lui criaient
des interruptions violentes, que personne
n'entendait du reste. Des ricanements,
des oh 1 oh ! prenaient des proportions
formidables; et la sonnette allait son
train. Fleurette, tremblante, se pressa
contre Berthe et lui dit :
— Est-ce qu'ils vont se battre?
Berthe se mit à rire.
— Bah 1 ma chère, ce n'est aue l'ou-
verture de l'opéra ; personne ne la prend
au sérieux. Attendez un peu; la séance
vraie n'a pas encore commencé.
Berthe était très au courant des choses
parlementaires; elle avait son opinion
faite sur la question des chemins de fer,
comme sur la valeur personnelle des dé-
putés; elle donnait sur tout, à son amie,
des explications verbeuses. Fleurette
écoutait avec docilité, se sentant i;s
petite fille auprès de cette femme qui
tranchaitainsi.
Soudain, le bruit tomba, et il se fit un
mouvement général d'attenlion" Chacun
comprenait, comme Berthe, que l'ou-
verture était finie, et que les choses sé-
rieuses commençaient. Les députés re-
gagnaient leurs places. « La parole est à
M. Malleville », dit le président, et Fleu-
rette n'osa regarder ce qui allait se pas-
ser. Machinalement ses yeux se fixèrent
sur la grande tapisserie au-dessus de la
tribune .: une copie de l'Ecole d'Athènes.
Il lui sembla que c'était une ironie san-
glante di faire présider les séances
bruyantes d'hommes, aux allures d éco
liers mal élevés ; par ces philosophes aux
gestes graves, par tous ces grands hom
mes immortalisés par le génie de Ra-
phaël.
La runieur avait céssé; la voix nette et
bien posée de Maurice s'éleva; elle tourna
enfin les yeux sur lui. Il était un peu
pâle, mais très calme. La question colo-
niale, Qu'il avait à traiter, d'insignifiante
qu'elle avait été au début, avait pris les
proportions d'un événement. En effet,
c'était toute la politique extérieure qui se
trouvait être en jeu : la grosse question
- de l'influence de la France au dehors. Le
- A -
groupe que représentait Maurice en cette
occasion réclamait une action énergique
et immédiate. Sur Jei bancs de J'Extrême-
Ga jch?, comme sur ceux de li Droite.
l'esprit de parti l'emportait sur le pa-
triotisme, et le projet élait combattu
avec violence.
Tout le commencement du discours de
Maurice était d'une sobriété voulUQ. Il
exposait l'affaire avec une parfaite clarté,
il entrait dans les détails les plus précis.
ne reculait pas devant l'aridité des chif-
fres. Très maître de son sujet, il ne se
déconcertait pas lorsqu'on l'interrom-
pait ; il savait répondre, saisir la balle au
bond, sans perdre jamais le sang-froid;
il forçait l'attention, dominait le bruit.
JSANNE MAIRBT
fA suivre) *
Prix du numéro à Paris 15 centimes — Départements: 20 centimes
Vendredi 6 Mars 1885
JOURNAL RÉPUBLICAIN CONSERVATEUR
REDACTION
S'adresser au Secrétaire de la Rédaction
de 2 heures à minuit
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Six mois. 32 »»
Un an. 62 #*
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Panama 502 50.
PARIS, 5 MARS 1885
La discussion n'est pas finie au sujet
de l'incident de Levallois-Perret. Oui
ou non, est-ce le drapeau rouge, le dra-
peau de la guerre civile et de l'anar-
chie, le drapeau promené déjà aux fu-
nérailles de Jules Vallès que l'on a
exhibé de nouveau en cette occasion?
Non, disent les uns, ce n'était pas le
drapeau rouge ; c'étaient des bannières,
rouges il est vrai, mais n'ayant aucune
signification politique et de plus por-
tant des inscriptions. D'une note adres-
sée aux journaux par le comité du mo-
nument de Levallois-Perret, nous ex-
trayons le passage suivant :
Voici donc la vérité absolue :
Il n'y avait dans le cortège aucun drapeau
rouge anarchiste,«mais bien les bannières
de :
1° La Société la Libre-Pensée de Leval-
lois ;
*° îi0 Le Groupe athée de Clichy et la Ligue
révisionniste.
Ces sociétés, solidaires les unes des au-
tres, avaient sollicité d'être admises dans le
cortège, le sergent-fourrier Mart étant un
ancien membre de l'une d'elles avant son
départ au service militaire.
Les groupes de la Libre-Pensée sont donc
venus avec leurs bannières, qui portaient
chacune l'inscription du nom de la société,
rendre un hommage funèbre qu'ils rendent
à chacun de leurs membres décédés.
Ce ne sont donc pas des emblèmes anar-
chistes ni séditieux, mais bien des signes
de ralliement de sociétés légalement recon-
nues.
Et de son côté la Société la Libre-
Pensée de Levallois-Perret a publié la
protestation suivante:
Le groupe de la Libre Pensée de Levallois-
Perret, par suite de faits regrettables qui se
sont produits à l'inauguration du monu-
ment funéraire érigé à la mémoire d'Henri
Durand et Edouard Mart, morts au Tonkin,
proteste énergiquement contre les notes
erronées qui ont paru dans divers jour-
naux.
Le seul provocateur de l'incident fâcheux
qui a eu lieu n'est autre que M. Paul Dé-
roulède, qui, avec l'aide de ses amis, a voulu,
d'une manière violente, abaisser le drapeau
de la Libre-Pensée sous prétexte de sa cou-
leur rouge, sans se rendre compte de l'ins-
cription portant : « Libre-Pensée de Leval-
lois-Perret. - Liberté, Egalité, Solidarité».
Le groupe proteste également contre cette
fausse qualification d' «anarchiste » qui lui
est attribuée, car il réprouve le désordre et
l'anarchie.
Voilà des déclarations dont nous
sommes heureux de prendre acte.
Nous ne pouvons oublier cependant,
d'autre part, que M. Déroulède, dans
ia lettre au journal le Matin, a déclaré
qu'il avait vu un étendard dont la
flamme était attachée à la hampe, ce
qui indique non pas une bannière, mais
un drapeau. Que si réellement les
libres-penseurs de Levallois-Perret re-
poussent, ainsi qu'ils le disent, toute
solidarité avec les anarchistes ; si l'idée
de patrie leur est chère comme à nous,
nous ne saurions leur donner qu'un
conseil : c'est de changer au plus tôt
la couleur de leur bannière, c'est de
rendre, dans l'avenir, impossible toute
équivoque analogue à celle de diman-
che.
Il ne faut pas qu'ils s'y trompent, en
effet: pour l'opinion, pour l'opinion de
tous les partis, ce ne sont pas les ban-
nières de la libre-pensée qui se sont
fait voir il y a quatre jours, c'est bien
la loque sanglante de la guerre civile
et de l'anarchie, et le parti de l'anar-
chie célèbre et glorifie l'incident comme
un triomphe qui lui appartient. Hier
même, dans un article intitulé : « Les
sans-patrie M, le Cri du Peuple écrivait :
« Le pauvre n'a pas île patrie. Rien
ne lui appartient, ni l'outil que la sueur
fait glisser entre ses doigts, ni le lit où
il dort, la journée faite, son sommeil
écrasé, ni la terre sur laquelle il se
traine en paria. Bon pour le patron, le
propriétaire, le capitaliste, de cultiver
le patriotisme à 5 010..
» La patrie, ce sont les domaines dont
il faut reculer les bornes, c'est le châ-
teau qui réclame un étage de plus, c'est
la caisse qu'il importe de remplir; la
patrie, c'est la rente.
» Cela ne regarde pas le travailleur.
» Las de s'entre-égorger pour le bé-
néfice de quelques-uns, les déshérités
de tous les peuples font alliance.
» C'est pour affirmer cet internatio-
nalisme régénérateur que le drapeau
rouge s'est dressé, dimanche, sur la
tombe de deux obscurs soldats, victi-
mes de la guerre.
» Il était nécessaire, il était indispen-.
sable que sur ce monument funèbre, à
côté des fanions tricolores, notre ori-
flamme fùt là — comme une haute et
sévère protestation. »
Voilà qui est net, on en conviendra ;
et la fin de l'article n'est pas moins si-
gnificative : - -
- « Sans patrie Oh ! nous acceptons,
nous faisons nôtre ce titre qui donne sa
vraie signification au grand mouvement
qui secoue, comme une gigantesque
convulsion, l'Europe en gésine.
» Certes, s'il arrivait que la France
envahie eût besoin de tous ses enfants,
nous verrions qui des déroulédeux ou
de nous seraient les plus lents à pren-
dre le fusil.
» Mais, tant que nul ne nous attaque,
il importe qu'entre les « patriotes » et
nous il y ait, en effet, guerre bien dé-
clarée. « Drapeau contre drapeau » dit
l'un d'eux. Soit. Le vôtre est celui de
la bourgeoisie française, le nôtre est
celui du prolétariat-universel.
» Et, comme la lutte va tout à l'heure
s'ouvrir, comme la bataille va demain
peut-être rugir dans l'air embrasé, le
parti révolutionnaire français convie à
se grouper sous les plis de la même
bannière tous les exploités, tous les op-
primés de toute race, contre les oppres-
seurs et les exploiteurs de toutes na-
tions : Allemands,- Anglais -ou Fran-
çais. »
Ainsi c'est bien la guerre civile qu'on
nous promet à courte échéance, la
guerre contre ce qu'on appelle la bour-
geoisie française, faite avec le drapeau
rouge pour « oriflamme », avec le con-
cours des « opprimes » de toutes les
nations, Allemands, Anglais ou Fran-
çais. Ce n'est pas que nous soyons fort
émus de ces menaces; il y a longtemps
qu'on les fait retentir sans qu'heureu-
sement l'effet suive. Mais si les libres-
penseurs de Levallois-Perret ne sont
pas de cœur avec ces violents, combien
ne sont-ils pas imprudents de paraître
s'associera eux et faire avec eux cause
commune l
CBSLRLRS BlGOT
——————— ——————
SOUSCRIPTION
AU
Monument de M. Edmond About
(Huitième liste)
Le conseil municipal de Paris. 500 »
Une admiratrice du talent de
M. About. 1 »
Oscar Thérin, à Eu. 10 »
Ch. Lahoussay, àRimogne. 5 »
Dr Ginsliniani, directeur de la
santé en Corse. 50 »
Thiry, de Lunéville 5 »
Association des Alsaciens-Lor-
rains du départ. d'Alger. 50 »
Drouhet, ancien gouverneur
de l'Inde.!. 20 »
Henri Drouhet. , 10 »
Grunevald, peintre , 2 »
Fréd. Nifenecker. 20 »
Un lecteur reconnaissant. 10 »
Gaspard Malo, à Rosendaël.. i, 50 »
Smal, à Thiais 20 »
Eugène Pereire. 50 »
Dr F. Moty, à Constantine. 10 9%
Max Radigaet. 20 »
Jean Laffitte, à Fraisnes 10 »
Dr Letourneur, à Granville. 5 »
E. Monteil, cons. municipal.. 20 »
Louis Campi, à Corte. 50 »
Paul Leroy. 20 »
Total. 938 »
Total des listes précédentes.. 12.126 60
13.064 60
I
M. Andrieux est entrain de vider de-
vant le public les dossiers qu'il a em-
portés de la préfecture de police.
Nous n'avons guère parlé jusqu'à
présent de cette publication. Nous trou-
vions qu'elle était scandaleuse. C'était
la première fois qu'un haut fonction-
naire , violant avec cette désinvolture
le secret professionnel, étalait devant la
foule des mystères qu'il avait toujours
été de tradition gouvernementale de
garder dans l'ombre des cartons de l'ad-
ministration.
Mais voilà que M. Andrieux a poussé
plus loin encore l'indiscrétion.
Il ne se contente plus de révéler les
histoires où il a été mêlé lui-même ; il
fouille maintenant les cartons de ses
prédécesseurs, et sans dire gare, pour
le plaisir de conter une anecdote plus
ou moins piquante, il déshonore du
même coup et l'un de ses prédéces-
seurs et un homme de lettres qui n'est
plus là pour se défendre; sans parler
de la femme du grand monde qu'il n'a
point nommée, mais qu'il a désignée si
clairement que son nom est aujourd'hui
sur toutes les lèvres.
Où allons-nous si ces moeurs s'im-
plantent définitivement chez nous ? si
tous les secrets d'Etat sont livrés en
proie au public par ceux-là même qui
avaient juré de les garder? si les pré-
fets de police s'amusent à faire métier
et marchandise des rapports de leurs
agents et battent monnaie avec l'hon-
neur des citoyens qu'ils font surveiller?
Tout cela est vilain, très vilain.
M. Andrieux a donné là un fâcheux
exemple ; il est tombé juste au-dessous
de M. Henry d'ideville, qui n'est après
tout qu'une assez inoffensive caillette.
Son livre, s'il paraît, se vendra beau-
coup, je n'en doute pas. Mais quel est
le galant homme qui voudrait l'avoir
signé ?
FRÀNCISQUJS SÀRCBY.
NOUVELLES DE CHINE
AU TONKIN
L§ Temps publie la dépêche suivante :
Hanoï, 3 mars, 5 heures du soir.
Dès que le général de Négrier eut établi
son quartier général à LangSOD, il prit ses
dispositions pour continuer la poursuite de
l'armée chinoise qui, après ses désastres,
s'était rabattue sur la route de That-Ké.
Les impériaux avaient construit à Dong-
Dang, à 15 kilomètres de Langsong, une
série de redoutes étagées qui couvraient la
route de Chine.
Le général de Négrier les attaqua le 24 fé-
vrier. Le combat commença à neuf heures
du matin et, à trois heures, l'ennemi était
en pleine retraite vers That-Ké et Cua-Ai,
en abandonnant une partie de son matériel.
Les forts qui flanquaient la « porte de
Chine » ont été enlevés très brillamment.
On a pris des tentes, des étendards, trois
canons Krupp et trois mitrailleuses avec
caissons et munitions, tout cela en état de
servir.
Un bureau télégraphique est ouvert à
Dong-Song, continuant la ligne qui fonc-
tionne jusqu'à Langson par Phu-Lang et
Bac-Lé.
Le général Brière de l'Isle est arrivé le 28
à Phu-Doan, sur la rivère Claire, marchant
à ta rencontre de l'armée du Yunnan, com-
mandée par Lhu-Vinh-Phuoc en personne.
Le 24, celle-ci a donné un assaut furieux
contre Tuyen-Quan et a été repoussée avec
des Dertes énormes.
DÉPART DE L'ESCADRE
Shanghaï, 3 mars, 4 h. soir.
Le bombardement des forts de l'entrée de
la rivière de Ning-Po a été interrompu. Le
bruit court que l'escadre se dirige au nord.
L'INSTRUCTION PRIMAIRE AU TONKIN
On lit dans l'Officiel :
Le résident général de France à Hué vient
de faire connaître au ministre de la marine
et des colunies que, suivant les recomman-
dations du département, il s'était préoccupé
d'organiser le service de l'instruction pri-
maire.
Il est créé à Hanoï une école française où
sont admis des élèves Internes et externes ;
des écoles de même nature seront établies
successivement à Nam-Dinh et à Haïphong
et dans toutes les grandes villes du Tonkin.
A Hanoi, la construction de l'école est
commencée sans retard, sur un terrain cédé
par les anciennes autorités au pays, et dans
les autres résidences on construira des mai-
sons provisoires, aussi convenables et aussi
confortables que possible. q
Le personnel enseignant est recruté parmi
les professeurs et les maîtres qui sont char-
gés de l'instruction primaire en Cochinchine
et qui sont déjà habitués au climat : il sera
complété au besoin par l'envoi d'un person-
nel mis à la disposition du département de
la marine et des colonies par M. le ministre
de l'instruction publique.
Dès que la pacification du Tonkin sera
terminée, le résident général procédera à la
création d'écoles pour les filles ; en atten-
dant, des salles d'asile sont ouvertes à
Hanoï, à Haïphong et à Nam-Dinh.
Le résident général est également en
pourparlers avec l'évêque jdu Tonkin pour
l'étahlissement, dans chacune des paroisses
de l'intérieur, de petites écoles indigènes
pour la propagation de l'enseignement du
français.
Dernière heure
Shanghaï, 4 mars, 9 h. 40, soir.
On mande de Ning-Po que la flotte fran-
çaise est mouillée sous l'île Deadman.
Deux torpilleurs ont essayé de s'approcher
de Chinhaï, mais un feu violent des China
les en a empêchés.
L'amiral Courbet fait sonder les passes
qui sont entre les iles Yew et Tiger.
———————— Omo
Il paraît que, l'an dernier, M. le mi-
nistre des beaux-arts fiL cadeau à la
ville de Laval d'une jolie statue en mar-
bre blanc, grandeur naturelle, qui avait
été remarquée au Salon. Elle était due
au ciseau de M. Lavigne. Je ne vous
dirai point ce qu'elle valait, ne me sou-
venant pas de l'avoir vue. L'an dernier,
je n'usais pas le peu qui me restait
d'yeux à regarder des statues ou des
tableaux. Il fallait pouvant bien qu'elle
eût quelque mérite pour que le gouver-
nement 1 eût choisie et achetée.
C'était une Psyché.
Cette Psyché naturellement, comme
toutes les Psychés du monde, ne déro-
bait sous aucun voile le trésor de ses
formes divines. C'est le privilège des
statues antiques de se dresser toutes
nues dans les jardins, sur les places
publiques ou dans les musées, sans
éveiller chez les esprits bien faits d'au-
tre idée que celle de la chaste et im-
mortelle beauté.
La municipalité décida que cette œu-
vre d'art serait placée au centre d'une
pelouse des promenades de la ville. On
l'y installa, et tout le monde jugea
qu'elle y était d'un très bel effet déco-
ratif.
Ce fut une petite fête pour la loca-
lité.
Les dévots, sur le premier moment,
s'étaient tus. Peut-être n'avaient-ils
pas jugé prudent de démasquer leurs
batteries trop vite ; ils avaient mieux
aimé laisser la chaleur du premier en-
thousiasme se refroidir d'elle-même.
Mais ils ne tardèrent pas à s'élever
contre l'immoralité de cette femme
toute nue, qui offensait la pudeur bien
connue des gens de Laval. Jamais à La-
val on n'avait encore vu de personne
du sexe se promener ainsi, sans che-
mise, une lampe à la main. Une lampe
pour tout costume, c'était l'abomina-
tion de la démoralisation, c'était la fin
de tout.
Cachez ce sein que je ne saurais voir t
Que dis-je? ce sein? II y en avait
bien deux, d'une netteté et d'une élé-
gance rares, histoire sans doute d'hu
milier les Lavalloises. Ah 1 si les Laval-
loises avaient pu montrer les leurs! on
aurait vu si elles aussi!. Mais non,
les femmes de Laval avaient l'habitude
de jeter un voile sur ces indécences.
Une polémique s'engagea. -
Les conseillers municipaux se défen-
dirent d'avoir voulu faire de Laval une
Sodome ou une Gomorrhe. Ils alléguè-
rent, comme Jean Lapin, la coutume et
l'usage. Ils ajoutèrent que ceux de leurs
concitoyens à qui ces seins droits et
nus faisaient venir de coupables pen-
sées n'avaient qu'à ne -pas les regar-
der. Il était facile de passer en baissant
les yeux. Ils n'étaient pas, eux, si ten-
dres à la tentation, et le marbre sur
leurs sens ne faisait point d'impression
semblable. Tout ce qu'on peut dire en
un mot dans une affaire de cette sorte,
car la cause n'est pas nouvelle.
Il sembla que la population leur don-
nait raison, et je crois qu'en effet ils
avaient raison.
Mais la gent dévote ne se tint pas
pour battue.
Elle en voulait à Psyché! Une nuit
[ (c'était la nuit du 25 au 26 février), la
statue tomba renversée de son socle ;
on lui arracha la tête, on brisa une de
ses ailes, et, pour comble de sacrilège,
on mutila un de ces deux seins qui
gonflaient doucement la poitrine de la
jeune immortelle.
On. je me sers à dessein de ce mot
qui ne précise rien. Car on ns sait en-
core la main d'où est parti le coup. On
ne le saura jamais sans doute. Lugete,
veneres cupidinesque ! mais voilà pour
un coup la morale et la pudeur en-
core une fois sauvées !
FRANCISQUE SARCEY
Nouvelles parlementaires
CHAMBRE DES DÉPUTÉS
Deux commissions importantes se sont
réunies hier, la commission du budget et la
commission de l'armée.
Daus la première, l'opinion de la majorité
parait hostile à toutes les modifications pro-
posées par le Sénat au budget ae 1885 ; elle
entend affirmer les droits supérieurs de la
Chambre en matière budgétaire.
Cependant l'Union démocratique incline'
rait à une transaction.
* •
* »
La commission de l'armée, réunie sous la
présidence de M. Mézières, a adopté un
amendement de M. Roques (de Filhol) relatif
à l'article 3 du projet. M. Roques propose de
rédiger l'article ainsi : « Nul ne peut être
exonéré », supprimant ces mots « : à prix
d'argent », qui figuraient dans le premier
texte.
La commission a ensuite examiné la ques-
tion de savoir si les employés de chemins
de fer seraient ou non disponibles en temps
de guerre. Après une courte discussion en-
tre MM. Ballue et Reille, la commission a
décidé qu'elle entendrait le ministre des
travaux publics à ce sujet.
Puis elle a définitivement statué sur la
situation qui sera faite aux instituteurs et
aux membres du clergé paroissial.
Sur la proposition de M. Ballue, elle a
décidé que les uns et les autres seraient
classés comme disponibles jusqu'à l'expira-
tion de leur temps de service dans la ré-
serve, c'est-à-dire jusqu'à l'âge de vingt-
neuf ans révolus, qu'ils n'auraient pas à
répondre aux appels de vingt-huit jours,
mais qu'ils Dourraient être appelés en temps
de guerre. Dans ce cas,ce serait au ministre
de la guerre de les apprêter à un service
correspondant aux aptitudes de chacun.
Dans la pensée de la commission, ce sont
des questions de détail qui seront tranchées
par voie de dispositions réglementaires.
*
* *
Il est possible que la Ch mbre tienne
séance vendredi, exceptionnellement. M. le
président du conseil en fera la demande de-
main. Dans ce cas, la ratification des traités
de Hué et du Cambodge serait mise er
tête de l'ordre du jour.
*
* *
Le président du conseil déposera proba-
blement lundi sur le bureau de la Chambre
le texte du traité international réglant la
question égyptienne.
Il demandera à la Chambre de fixer la
discussion à une date aussi rapprochée que
possible.
L. H
On sait que parmi les crédits rélablh
par le Sénat figure une somme de quel-
ques centaines de mille francs affectée à
l'entretien de la gendarmerie mobile. Li
Chambre avait supprimé ce crédit en to-
talité ; le Sénat demande le rétablisse-
ment de la moitié et le maintien d'un
des deux bataillons qui composent ac-
tuellement la légion mobile.
Comment le Sénat entend-il justifier
cette proposition ? Ce ne peut être que
par des raisons sentimentales, car il n'y
a pas d'arguments bien sérieux à donner
Feuilleton du XIX. SIÈCLB
, - 1
Du 6 Mars 1885,
(20)
UNE FOLIE
4
XIII
Cependant Berthe Ferraysac était main-
tenant une femme à la mode; elle recevait
beaucoup et fort bien. Son mari l'admi-
rait, l'adorait, lui passait toutes ses
fantaisies.
Et pourtant il était facile de voir que
ce mari n'était pas complètement heu-
reux. Un soir qu'il causait avec Fleurette,
pour qui il professait le plus chevaleres-
que dévouement, il dit :
- C'est absurde, n'est-ce pas? quand
on est taille en colosse comme moi, d'a-
voir un petit idéal de la vie tout simple,
bêtement bourgeois, comme dit Berthe.
Mais, voyez-vous, toutes ces fêtes, tout ce
bruit ne sont pas bien mon affaire. Je
rêve le coin du feu. — vous savez, les
pantoufles, les petites causeries à deux,
tous la lumière douce d'une lampe, le
livre qu'on lirait ensemble, la bonne pe-
tite vie très simple, sans bruit, ignorée
des autres. Ah! le bonheur, ce serait
d avoir douze mille livres de rente, pas
à ambition, des enfants, et de vivre dans
un coin perdu de province, où l'on ne
,erait pas maire de sa commune!
- Je ne voÏs pas Berthe dans votre
coin perdu, repondit Fleurette en riant.
Mais on n est jamais content. Vous rêvez
Jeproduçtio interdite.
la pauvreté comme mon mari rêve la
richesse. ;
— Et vous?
— Moi?. Je ne sais. Je crains d'être
aussi une sentimentale. Au fond, le ca-
dre ne me ferait rien; je serais princesse
ou paysanne, pourvu que.
Elle s'arrêta, n'osant dire le fond de
sa pensée. Ferraysac compléta sa phrase,
souriant à demi.
— Pourvu que vous fussiez toujours
sûre d'aimer et d'être aimée. Voilà, chère
madame ! Nous ne sommes ni l'un ni
l'autre dans le mouvement, « dans le
train », comme dit ma femme. C'est
peut-être ce qui fait que j'ai tant de sym-
pathie pour vous, — vous me permettez
de le dire, n'est-ce pas? — ce qui fait
que nous laissons politiquer ces deux
mondains et que nous causons senti-
ment, petites fleurs bleues, rêves de bon-
heur. Avec vous, au moins, je n'ai pas
peur de me laisser voir tel que je suis :
en politique, je suis un radical ; dans la
vie privée, je serais volontiers le plus
abominable des réactionnaires ! Affaire
de contraste. On rêve la simplicité, la vie
obscure, et on devient amoureux fou
d'une mondaine qui veut aussi être une
politicienne, qui enrage de ne pas me
voir un tribun applaudi, — que sais-je ?
un ministre même, peut-être !.
- Pourquoi pas? Elle serait ministre
pour deux.
Ferraysac quitta subitement le ton de
plaisanterie qu'il avait adopté, et Fleu-
rette resta frappée du changement.
— Il y a certaines choses que je ne ferai
jamais, et de cela Berthe m'en veut, mais
je n'y peux rien. J'ai, sur ma conduite
politique des idées aussi arrêtées que
sur l'honneur. Je ne suis « souple»,
c est son mot, que lorsqu'il s'agit de
bagatelles. Il lui plaît de dépenser beau-
coup d'argent, de porter des toilettes
éblouissantes, de donner des fêtes : je la
laisse faire, comme je donnerais volon-
tiers des jouets à mes bébés, si j'en
avais. Tout cela ne compte pas. Mais si
je croyais mon honneur d'homme politi-
que, ou - alouta t-il un peu plus bas,
comme se parlant à lui-même — mon ]
honneur de mari en jeu, on verrait en
moi un autre homme, un homme qu'on
ne connait pas encore. :
Fleurette, toute saisie, jeta un regard
rapide sur un groupe en face d'elle.
Berthe, très animée, causait avec Mau-
rice qui écoutait en souriant d'une façon
un peu moqueuse. Il vint à la jeune
femme une sensation de froid au cœur,
qu'elle avait déjà éprouvée plus d'une
fois : mais l'impression ne dura qu'un
instant, lui causant un frisson fugitif.
Puis elle n'y pensa plus, pour le mo-
ment du moins.
On s'amusait un peu dans le monde de
l'intimité des deux jeunes femmes.Il vint
aux oreilles de Fleurette des allusions
qu'elle ne comprenait pas; elle remarqua
dei sourires un peu énigmatiques qui la
troublaient. Berthe la protégeait, l'em-
menait au Bois, lui faisait faire des vi-
sites, lui donnait des conseils sur sa toi-
lette , prêchant volontiers l'économie et
lui indiquant les étoffes à effet et qui ne
coûtaient « presque rien ». Elle était cu-
rieuse comme pas une fille d'Eve, furetait
partout, espérait des confidences, en fai-
sant elle-même, sur sa vie Drivée, pour
en arracher à Fleurette de plus intimes
encore. Mais elle ne réussit guère. Fleu-
rette, tout en restant très douce, dès
qu'il s'agissait de son mari, de leur vie à
deux, devenait , impénétrable. Berthe
l'aurait souvent volontiers battue.
Car cette jeune femme traversait une
crise redoutable. Elle analysait cette
espèce de curiosité inquiète qui s'était
emparée d'elle, ce besoin de se trouver
dans la société de Maurice, que parfois
elle croyait haïr, d'entendre parler de lui
lorsqu'elle ne pouvait le voir ; et comme
elle avait au moins une qualité, le cou-
rage, elle voulait à tout prix savoir ce
qu'il y avait au fond de cette curiosité.
Sa vie lui semblait plate et monotone,
malgré son éclat. Pauvre, pendant sa pre-
mière jeunesse, elle avait été fort délais-
sée, et pendant ces années tristes et
grises elle avait amassé beaucoup de
i rancunes. Puis plusieurs héritages suc-
cessifs l'avaient enrichie. Elle avait battu
toutes ses rivales à coups de millions. Et
après ?. Après, il lui était venu une
lassitude âe ces triomphes trop faciles ;
sa fortune ne l'amusait plus ; la tendresse
de Ferraysac l'énervait. Ce qui l'irritait
plus encore, c'était l'amour profond de
Fleurette pour son mari; c'était de voir
que Maurice — qui restait très indiffé-
rent envers elle — aimait encore cette
Italienne, cette vendeuse d'oranges, cette
ignorante ! Elle ne rêvait plus qu'une
chose : brouiller ces amoureux.
Maurice avait lu son rapport ; la ques-
tion s'était trouvée très importante ; il
devait y avoir une séance palpitante d'in-
térêt, où le jeune rapporteur parlerait,
une de ces séances mouvementées, très
recherchées des mondaines élégantes, en
quête d'émotions. Aussi, ce jour-là, les
tribunes se remplirent-elles très vite ; les
femmes, entassées les unes contre les
autres, causaient, remuaient, envoyaient
un sourire, un bonjour de la main aux
amies dans les autres tributtes, voire
même aux députés qui n'étaient pas en-
core à leurs places et qui les lorgnaient
comme au théâtre.
Il y avait les habituées qu'on retrouvait
à chaque séance importante, qui met-
taient une intention dans la nuance du
chapeau, dans la sévérité ou l'élégance
de la toilette. Il y avait les provinciales
et les étrangères qui venaient nour la
première fois et posaient des questions à
leurs voisines, se faisant montrer les
célébrités du moment. Il faut avouer
que plus d'un député avait un air quelque
peu débraillé. Ces graves faiseurs de
lois s'occupaient plus que de raison des
tribunes et, même après que la séance
fut ouverte promenait leur imperti-
nente curiosité de tribune en tribune ;
se montraient le plus souvent deux jeu-
nes femmes, dont l'une n'était en aucune
façon gênée par cette attention persis-
tante, tandis que l'autre semblait cher-
cher à se dissiminer. On les nommait :
celle-ci était Mme Malleville, dont le mari
allait faire ses débuts. Seulement ceux
qui ne la connaissaient pas de vue pre-
naient sa cmnpagae, Berthe Ferraysac,
gilée,: nerveuse, pour là femme de Mal-
leville, et souriaient de son émotion.
Fleurette, toute pâle, ne bougeait pas,
ne parlait pas.
Elle avait très peur ; le bruit qui con-
tinuait, même après le commencement
de la discussion, lui semblait de mauvais
augure. Elle restait les yeux fixés sur
son mari. Lui. après un rapide regard à
l'endroit où elle, se trouvait, n'avait plus
levé la tête.
Toute ignorante qu'elle fût encore des
choses de la politique, elle savait qu'il
jouait une grosse partie
Un orateur était monté à la tribune, et
on ae l'écoutait même pas. Les huissiers,
de leur voix impassible, disaient à des
intervalles presque réguliers : « Silence,
messieurs, s'il vous plaît ! » Le président
frappait son pupitre à petits coups secs de
son couteau à papier, ou agitait sa son-
nette. Mais, après une minute de de iii-
silence, les conversations reprenaient de
plus belle, jusque dans l'hémicycle, et la
voix aigre du malheureux député n'arri-
vait guère qu'aux sténographes. Cepen-
dant une phrase se fit entendre qui, dé-
plaisant à la majorité, excita un brou-
haha indiseriptible. Des honorables, à
demi vautrés sur leurs bancs, lui criaient
des interruptions violentes, que personne
n'entendait du reste. Des ricanements,
des oh 1 oh ! prenaient des proportions
formidables; et la sonnette allait son
train. Fleurette, tremblante, se pressa
contre Berthe et lui dit :
— Est-ce qu'ils vont se battre?
Berthe se mit à rire.
— Bah 1 ma chère, ce n'est aue l'ou-
verture de l'opéra ; personne ne la prend
au sérieux. Attendez un peu; la séance
vraie n'a pas encore commencé.
Berthe était très au courant des choses
parlementaires; elle avait son opinion
faite sur la question des chemins de fer,
comme sur la valeur personnelle des dé-
putés; elle donnait sur tout, à son amie,
des explications verbeuses. Fleurette
écoutait avec docilité, se sentant i;s
petite fille auprès de cette femme qui
tranchaitainsi.
Soudain, le bruit tomba, et il se fit un
mouvement général d'attenlion" Chacun
comprenait, comme Berthe, que l'ou-
verture était finie, et que les choses sé-
rieuses commençaient. Les députés re-
gagnaient leurs places. « La parole est à
M. Malleville », dit le président, et Fleu-
rette n'osa regarder ce qui allait se pas-
ser. Machinalement ses yeux se fixèrent
sur la grande tapisserie au-dessus de la
tribune .: une copie de l'Ecole d'Athènes.
Il lui sembla que c'était une ironie san-
glante di faire présider les séances
bruyantes d'hommes, aux allures d éco
liers mal élevés ; par ces philosophes aux
gestes graves, par tous ces grands hom
mes immortalisés par le génie de Ra-
phaël.
La runieur avait céssé; la voix nette et
bien posée de Maurice s'éleva; elle tourna
enfin les yeux sur lui. Il était un peu
pâle, mais très calme. La question colo-
niale, Qu'il avait à traiter, d'insignifiante
qu'elle avait été au début, avait pris les
proportions d'un événement. En effet,
c'était toute la politique extérieure qui se
trouvait être en jeu : la grosse question
- de l'influence de la France au dehors. Le
- A -
groupe que représentait Maurice en cette
occasion réclamait une action énergique
et immédiate. Sur Jei bancs de J'Extrême-
Ga jch?, comme sur ceux de li Droite.
l'esprit de parti l'emportait sur le pa-
triotisme, et le projet élait combattu
avec violence.
Tout le commencement du discours de
Maurice était d'une sobriété voulUQ. Il
exposait l'affaire avec une parfaite clarté,
il entrait dans les détails les plus précis.
ne reculait pas devant l'aridité des chif-
fres. Très maître de son sujet, il ne se
déconcertait pas lorsqu'on l'interrom-
pait ; il savait répondre, saisir la balle au
bond, sans perdre jamais le sang-froid;
il forçait l'attention, dominait le bruit.
JSANNE MAIRBT
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