Titre : Le XIXe siècle : journal quotidien politique et littéraire / directeur-rédacteur en chef : Gustave Chadeuil
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1885-03-03
Contributeur : Chadeuil, Gustave (1821-1896). Directeur de publication
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Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
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Description : 03 mars 1885 03 mars 1885
Description : 1885/03/03 (A15,N4804). 1885/03/03 (A15,N4804).
Droits : Consultable en ligne
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Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-199
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 09/04/2013
otunzième année. -AB-N° 4804
Prix du numéro à Paris 15 centimes — Départements: 20 centimes
Mardi 3 Mars 1885
JOURNAL RÉPIJBLICAIN CONSERVATEUR
REDACTION
S'adresser au Secrétaire de la Rédaction
de 2 heures à minuit
12.8. rue Cadet, 16
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Les Lettres non affranchies seront refus ées
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'4L la librairie 3Petitjean
39, OLD COMPTON STREET (SORO)
ET DANS SES SUCCURSALES
37, Charlotte Street, Fitzroy Square,
«rt fô, Tichborne Street. (Café Monico. M.)
PARIS, 2 MARS i885
I/Exlrêm1f Gauche du Sénat a enfin
Constitué son groupe qui était en forma-
tion depuis quelques semâmes. Cinq
sénateurs le composent. Si l'on trouve
que c'est peu, les membres du groupe
répondront sans doute que les républi-
cains ont commencé par être cinq au
Corps législatif, sous le second Em-
pire î
Le groupe s'est réuni samedi sons la
présidence de M. Schœlcher. Il a décidé
qu'il resterait un groupe fermé; il a
décidé en même temps qu'il ne rédige-
rait pas de programme: -
Le procès-verbal communiqué aux
journaux nous donne deux raisons de
cette détermination. Voici la première:
la réunion estime que la « qualification
d'Extrême Gauche indique d'une ma-
nière suffisante les motifs qui ont dicté
la constitution du groupe ».
Cette raison pour ne - point rédiger de
programme est peut-être insuffisante.
Car à ce compte personne ne ferait ja-
mais de programme. Un titre à lui seul
n'a jamais rien signifié de précis, vu
que chacun lui attribue le sens qu'il
veut. Qu'est-ce que « l'Extrême Gau-
che » de. MM. les sénateurs? Est-ce
celle de M.. Glémenceau? est-ce celle de
M. Henry Maret? est-ce celle de M. Ro-
chefort? est-ce celle de M. Michelin ? Il
y a cent façons d'être de l'Extrême
Gauche. On aura quelque peine à per-
suader aux sceptiques que, si l'Extrême
Gauche du Sénat n'a point formulé de
programme, ce n'est pas parce qu'il
eût été difficile d'en rédiger un sur le-
quel les cinq membres qui le composent
se pussent accorder. Et jque serait-ce
s'ils avaient été là plus de cinq?
Le procès-verbal ajoute une autre
raison. Si l'on n'a pas arrêté de pro-
gramme, c'est « afin de rester libre de
statuer en toute indépendance au fur et
à mesure que les questions se trouve-
ront posées devant le Sénat». A la
bonne heure ! et ce n'est certes pas
nous qui blâmerons des hommes politi-
ques de vouloir réserver leur « indé-
pendance » et de chercher à résoudre
tes questions « au fur et à mesure
qu'elles se trouveront posées ». Mais
est-ce là ce qu'on avait appelé jusqu'ici
la poli tiqué d'Extrême Gauche? Hé!
pas du tout! Au contraire, c'est là de la
',. politique opportuniste au premier chef.
Qui appelait-on jusqu'ici les « radi-
- caux»? Celix qui se vantent de ne jamais
transiger, ceux qui refusent les compro-
mis, ceux qui exigent tout ou rien, ceux
qui s'écrient: «Périsse la République plu-
tôt qu'un principe ! » Qui prétendait-on
flétrir sous le nom de « modérés »? Ceux
nui rappellent aue Paris ne s'est Das
fait en Un jour, qui tiennent compte des
lieux et des circonstances, pour qui
une légère réforme est souvent le pré-
lude nécessaire d'une réforme plus im-
portante, qui attendent beaucoup du
temps, et pour qui la patience est la
première des vertus politiques. Ils esti-
ment que l'on doit diviser les questions,
et ne - pas ajouter à la difficulté de
vaincre tes abus cette difficulté plus
grande encore de les vaincre tous à la
fois, et le vieil apologue en action de
Sertorius et de la queue du cheval est
pour eux toujours bon à méditer.
Voilà les deux écoles de républi-
cains. Voilà ce qui sépare les intransi-
geants des modérés. Or, que font les
1
intransigeants du Sénat? Ils déclarent
précisément qu'ils entendent suivre la
méthode des opportunistes.
On conçoit que les vrais intransi-
geants, les purs, ne soient pas satis-
faits de l'attitude de l'Extrême Gauche,
sénatoriale. Voici comment, à cet égard,
s'exprime la Nation :
« Nous voulons bien admettre que
l'intention des « radicaux » du Sénat
qui se sont obstinément refusés à la
rédaction d'un programme n'a pas été
la simple précaution d'hommes rompus
aux roueries de la politique, et assez
avisés pour prévoir qu'en un jour pro-
chain on pourrait les mettre en con-
tradiction avec les principes auxquels
ils auraient fait une publique et solen-
nelle adhésion. Mais le pays, qui a été
tant de fois trompé, est devenu singu-
lièrement défiant, et il aura grand'peine
à admettre que cette prudente réserve
soit simplement la précaution inutile. »
La Nation s'exprimerait-elle plus
durement si elle avait à juger des répu-
blicains de l'Union, de la Gauche ou
même du Centre gauche? Hélas 1 ce
n'est pas chose facile, même quand on
est Extrême Gauche, d'être suffisam-
ment Extrême Gauche!
CHARLES BIGOT^
nouvelles DE chine
.- -- DEUX ORDRES DU JOUR
Nous trouvons dans l'Avenir du Tonkin du
5 janvier les deux ordres du jour suivants,
dont le texte nous était encore inconnu :
Deux brillants succès pour le corps expé-
ditionnaire ouvrent l'année 1885.
Le 3 janvier, après une marche habile-
ment dérobée aux yeux de l'ennemi, le gé-
néral de Négrier tombait, à quatre heures
du soir, sur un cantonnement de six mille
réguliers et, malgré leur vive résistance,
les mettait, en moins de deux heures, en
pleine déroute, sans que l'obscurité de la
nuit lui permît de poursuivre ce premier
succès. Nos troupes couchaient sur les po-
sitions enlevées.
Le lendemain, avant 1e jour, les Chinois,
au nombre de douze mille, recommençaient
la lutte par un vigoureux retour offensif.
Repoussés, poursuivis, et enfin rejetés sur
Muibop, ils étaient en pleine déroute avant
midi.
Lo centre de résistance de Muibop, dé-
fendu par huit forts solidement organisés,
est entre nos mains, avec deux batteries
Krupp, ainsi que tout le matériel de l'en-
nemi : tentes, vivres, munitions, armes,
étendards. Les cadavres de 600 réguliers
chinois tués ont été abandonnés par les
fuyards.
De notre côté, MM. Verdin, capitaine au
101°, Simoni, lieutenant au même corps ;
Larribe, sous-lieutenant d'infanterie de ma-
rine, sont blessés sans gravité.
Parmi nos braves soldats, J9 tués et 63
blessés.
Au quartier général, à Hanoï, le 5 janvier
1885.
BRIÈRE DE L'ISLE.
Par décret du 3 janvier 1885, le général
commandant le corps expéditionnaire es
nommé général de division.
« Officiers, sous-officiers, marins et soldats,
» Il y a quatre mois, en prenant le com-
mandement du corps expéditionnaire, je
vous affirmais la confiance entière que j'a-
vais en vous. Vous l'avez pleinement justi-
fiée et vous avez grandement contribué à la
récompense dont le gouvernement m'honore
aujourd'hui.
» Je vous en remercie.
» L'année 1885 débute par deux succès
éclatants. Continuons nos efforts et nous
aurons bientôt chassé l'ennemi loin des fron-
tières du Tonkin.
» Au quartier général, à Hanoï, le 5 jan-
vier 1885.
» BRIÈRE DE L'ISLÉ. >V
LES EMPLOYES DES POSTES
Nos lecteurs n'ont pas oublié, sans
deute, un article où je m'étais fait
l'écho des doléances d'un certain nom-
bre d'employés des postes.
Ils exposaient qu'après être entrés
dans l'administration des postes ils
avaient été forcés, pour obéir à la loi du
service militaire, d'abandonner leurs
places ; qu'ils étaient demeurés cinq
ans sous les drapeaux, et qu'à leur li-
bération ils étaient revenus se mettre
à la disposition de M. Cochery et de-
mander, sinon les mêmes postes qu'ils,
avaient quittés, au moins des postes
équivalents ; que si quelques-uns avaient
en effet; la chance d'obtenir tout de
suite une nomination, la plupart étaient
réduits à attendre de longs mois avant
d'être replacés ; que beaucoup même se
fatiguaient de ces atermoiements indé-
finis, et finissaient par renoncer à des
sollicitations inutiles.
Voici la note que je reçois du mi-
nistère des postes en réponse à cet ar-
ticle :
Les demandes en réintégration formées
par les militaires libérés s'élevaient à 297
au mois d'août dernier.
181 réintégrations sont actuellement faites
et il ne reste que 88 agents à replacer.
Sur ce nombre, la plupart avaient désigné
exclusivement des résidences spéciales dans
lesquelles l'absence de vacances n'a pas per-
mis, jusqu'ici, de les appeler.
La réintégration des militaires libérés était
d'autant plus difficile que 192 emplois occu-
pés par des hommes ont été supprimés dans
les départements et qu'il a fallu, en outre,
faire rentrer dans les cadres le personnel
attaché au service des lignes souterraines
supprimées au i" janvier dernier.
Il- convient de remarquer, d'ailleurs, qu'il
n'y a jamais simultanéité entre la date de
l'appel d'une classe et celle de la reniée de la
classe libérée, et qu'il n'est pas possible de
combler les vides laissés par ceux qui par-
tent au moyen de ceux qui rentrent.
Ainsi, en ce moment encore, où on annonce
le renvoi de 25,000 hommes, il est bien évi-
dent que nous exposerions le service à de
graves difficultés si nous laissions, sans les
combler, les vides qui se produisent, en at-
tendant la rentrée des agents compris dans
les 25,003 hommes à libérer. -
Cette situation, incontestablement très re-
grettable, résulte donc des oi dres donnés par
le ministre de la guerre, et la responsabilité
ne saurait en être imputée, en aucune façon,
au département des postes.
Quoi qu'il en soit, des mesures ont été pri-
ses pour que les dejrnières réintégrations res-
tant à faire soient complètement effectuées
à la fin d'avril au plus tard.,
La réponse de M. le ministre se com-
pose de deux - parties. - -
Dans l'une, il rejette sur les mesures
prises par le ministère de la guerre
l'impossibilité où il se trouve de com-
bler avec les rentrants du service les
vides laissés par la classe qui s'y rend.
Ce serait un détail de dates à régler.
La question, réduite à ces termes, ne
me paraît pas bien intéressante, et il
est inutile d'y insister.
Mais je voudrais appeler l'attention
du public sur l'autre partie de l'orga-
nisation de M. Cochery.
«On m'a, dit-il, supprimé des emplois
dans les départements, » et il donne le
chiffre de ces emplois supprimés : il y
en aurait 192. On a, de plus, été obligé
de faire rentrer dans le eadre du ser-
vice ordinaire le personnel détaché au
service des lignes souterraines, lequel
a été supprimé le 1" janvier dernier.
Le public aura quelque peine à com-
prendre que l'on trouve à faire des sup
pressions d'emploi dans l'administration
des postes et des télégraphes. Tout le
monde sait que, depuis dix ans, la be-
sogne a crû au double et du triple dans
cette administration; comment se fait-il
qu'une demande trois fois plus considé-
rable puisse être menée à bien par un
personnel de moins en moins nom-
breux?
Le personnel des postes et des télé-
graphes est insuffisant. C'est une vérité
qui éclate à tous les yeux.
Je mets en fait qu'il n'y a pas un bu-
reau de Paris où un homme qui a une
lettre chargée à expédier ou à toucher
ne doive perdre sa demi-heure, et quel-
quefois même davantage, à faire queue
au guichet.
Si je n'enregistre plus les plaintes de
ce genre qui m'arrivent, c'est qu'elles
sont trop nombreuses; c'est que, sur
ce point, toute la population est d'ac-
cord. On surmène les employés des pos-
tes, et ils ne peuvent, malgré leur zèle
qui est admirable, suffire à leur tâche
quotidienne.
Que pensez-vous d'un aubergiste qui
dirait à son personnel : « Mes amis, vous
n'étiez que dix pour faire le service de
la maison, et vous y arriviez à grand'-
peine. Je viens de louer l'hôtel à côté ;
il y aura donc trente chambres de plus
à faire par jour. Vous trouvez naturel
en conséquence que je renvoie deux
d'entre vous. Les huit qui resteront
s'en tireront comme ils pourront? »
C'est le raisonnement de M. Cochery.
— Mais ce n'est pas moi, s'écrie le mal-
heureux ministre, c'est la Chambre qui
m'impose ces économies. Je les trouve
très fâcheuses, mais je suis obligé de
les subir.
Point du tout! cher monsieur Co-
chery ! Il faudrait dans ces cas-là mon-
ter gaillardement à la tribune, - vous
n'avez pas votre langue dans votre po-
che, - et dire très nettement à ces mes-
sieurs:
— Mon personnel travaille plus qu au-
cun personnel au monde; il est moins
payé qu'aucun personnel au monde. Il
finira par prendre sa besogne en dé-
goût, et vous serez bien avancés quand
elle sera mal faite 1 Cetera là une belle
et fructueuse économie !
Je ne consens pas aux réductions pro-
posées, et je préviens la Chambre que
si elles sont votées elle ,-devra chercher
un ministre qui lea applique.
Ah! quel succès vous auriez 1 — à la
Chambre d'abord/je le crois, où les pa-
roles nettes imposent, — mais surtout,
mais avant tout, d'un bout de la France
à l'autre, dans tous les bureaux de pos-
tes et de télégraphes.
Quelle belle et bonne réponse à ceux
de vos subordonnés que votre popularité
importune parce qu'ils la croient faite à
leurs dépens 1
FRANCISQUE SARCBÏ.
Ce orléanistes ont parfois de la fantai-
sie. Depuis le jour où leur est venue l'es-
pérance que la coquille de leur préten-
dant. s'ouvrirait pour nous bailler un roi,
ils ne se sentent plus de contentement;
on ne dirait vraiment plus des momies ;
ils se répandent, ils exultent, ils ont des
tressauts d'allégresse à faire craquer les
sous-pieds de leurs redingotes.
Ah 1 les gourmands! l'odeur du fro-
mage les allèche.
Leur grande joie se manifeste spécia-
lement par l'abondance d'écrire. C'est
une neige de petits papiers qui s'abat sur
la France. Et nous ne faisons pas allusion
à ces images d'Epinal que signalait tout
dernièrement notre collaborateur M. Bi-
got. On fait mieux ; on rédige des bro-
chures de propagande méthodique et rai-
sonnée. Les effets 'sont savamment-gra-
dués, l'une complétant -l'autre. Il y en a
de laudatives pour le régime attendu, de
satiriques pour le régime existant.
Parmi ces dernières, il nous a paru in-
téressant de noter une plaquette de trente
pages intitulée : Réflexions et Propos
d'un conservateur sur les budgets de la
République, par Victor du Bled.
Elle est, comme on voit, de circons-
tance.
M. du Bled, sur la couverture, s'inti-
tule docteur en droit, ancien sous-préfet,
membre de la Société des agriculteurs
de France. que sais-je? Les titres et
qualités ne coûtent pas dans le monde
monarchique. Mais, parmi toutes les so-
ciétés où il se déclare affilié, nous serions
fort étonné si ce « conservateur », qui ne
veut pas conserver la République, n'a-
vait jamais côtoyé de près ou de loin la
Société de Jésus. Du moins il en em-
prunte très habilement les procédés, ne
fût-ce - que dans son épigraphe qui re-
produit pompeusement une pretenaue
déclaration de M. Jules Ferry au sujet
des augmentations d'impôt en 1886.
Vingt-cinq démentis ont fait justice de
l'invention. N'importe. Les réactionnai-
res continuent à l'exploiter ; il paraît
que chez eux on prend son bien où on le
trouve, même dans la poche des autres,
car une calomnie — à en croire la sa-
gesse des nations — vaut un vol.
Doncle factumdeM.du Bled débute Dar
imputer au président du conseil cette ab-
surde profession de foi : « Si nous ne pro-
posons pas de nouveaux impôts, c'est
parce que nous entrons dans la période
électorale. » Nous doutons qu'il fasse des
dupes par de si grossiers fLoyens, malgré
sa destination particulière. Le nom de
l'auteur, qui a tous les caractères d'un
( pseudonyme agricole, indique suffisam-
ment que l'œuvre g'dresse « aux simples
habitants de nos campagnes ».
Suivant l'usage en pareil cas, les peti-
tes devinettes n'ont pas été ménagées pour
les distraire. Nous voyons le budget de
la République estimé au poids, au mètre
cube et au mètre carré tour à tour. en or,
en argent et en papier. Tantôt, en pièces
de cent sous, il ne cèderait pas au coup
de collier de vingt-deux mille chevaux ;
tantôt, en écus, — on compte par écus
chez les royalistes, — il formerait une
chaîne assez longue pour taire un brace-
let à la terre; ou encore, sous la figure
de billets empil-és, à mille francs Turf, il
donnerait une colonne plus haute que la
flèche de Saint-Bénigne. Vous connaissez
Saint-Bénigne. à Dijon!
Toutes ces comparaisons sont fort in-
génieuses, mais qu'est-ce qu'elles prou-
vent? Les dépenses des peuples sont
comme celles des particuliers ; les riches
en ont plus que les pauvres, et ils n'en
vivent pas plus mal. Qui gagne beaucoup
peut beaucoup, dépenser.
Savez-vous maintenant comment les
quarante millions de victimes composant
le pauvre peuple de France sont arrivées
à supporter des charges publiques qui
briseraient les muscles de 22,000 chevaux
et blesseraient Saint-Bénigne, de Dijon,
dans son orgueil d'église honnêtement
élevée? Nous sommes en proie à trois
vers rongeurs. Il y a d'abord le budget
général, ce pelé, ce galeux d'où nous
vient tout le mal, et qui ne profite à
personne, étant employé seulement à
alimenter les grands4 services de l'Etat,
à entretenir notre flotte et notre armée,
frais de luxe, comme chaoun sait.
Est-ce tout? se demande ingénûment
l'ancien sous-préfet conservateur, qui n'a
pas conservé sa sous-préfecture. Mais il
épond, navré :
Hélas I non ! Deux autres budgets pèsent
encore sur les épaules du pauvre contri-
buable : celui des départements et celui
des communes ; de telle sorte que chaque
citoyen français doit faire face a trois bud-
gets, verser dans trois caisses, engraisser
trois vers rongeurs; et quand il leur à ainsi
donné, en se torturant bien, le meilleur de
sasubstance, de son revenu, de son épargne
et souvent de son capital, il lui faut pour- -
voir à un quatrième budget, celui de la per-
sonne et de la famille, clui du foyer do-
mestique, devenu, lui aussi, plus lourd que
jamais. S'il y a des budgets différents, il n'y
a qu'une seule bourse : celle des contri-
buables.
Il me répugne de risquer un avis de-
vant un homme qui appartient à tant de
sociétés savantes. J'oserai avouer ce-
pendant que M. du Bled me semble faire
ici fausse route. Il croit « les simples
habitants de nos campagnes » plus sim-
ples qu'ils ne sont. Que les nécessités du
budget général leur échappent en maint
détail, je l'admets volontiers : il faut
une vue philosophique assez exercée
pour saisir à distance certaines trans-
formations de la solidarité sociale. Mais
le budget départemental et le budget
communal sont préparés sous leurs
yeux, par des hommes qu'ils ont choisis
entre eux, qui sont leurs voisins et leurs
amis, le conseiller général' de leur can-
ton, les conseillers municipaux de leur
commune. Ils en suivent l'affectation sou
à sou. Ils voient revenir l'argent de
l'impôt sous forme de cailloux pour em-
pierrer leurs chemins, de traverses pour
jeter une passerelle sur le rû, ou de
tuyaux en fonte pour amener la source
de la colline à la fontaine de la grand -
place. j>'
Leur bon sens leur montre l'avantage
à côté du sacrifice. Il s'effarouche à voir
négligé ce côté de la question ; il se ré-
volte à voir mis en ligne de compte, dans
un débat politique, « le budget de la
famille H. En vérité, ces braves gens, la
plupart très heureux d'avoir charge
d'âme, ont lu les Cotites de ma mère
rOye. Eux qui n'ont presque plus de foi
dans la bonne ni dans la mauvaise fée, un
vague instinct les avertit qu'on se moque
de leur simplicité en leur disant que c'est
la faute à M. Jules Ferry s'ils s'aimèrent,'
s'ils se le dirent et s'ils eurent beaucoup
d'enfants.
Prenez garde ! ils ne pardonnent
guère l'abus qu'on fait de leur ingénuité.
Qui veut trop prouver ne prouve rien.
Vos histoires sont d'un autre monde :
personne n-e s'y trompera.
C'est pourquoi nous vous encoura-
geons : continuez, monsieur le conserva-
teur, à paraphraser en votre style la ter-
rible ballade d'Eustache Deschamps :
En une graut fourest et lée
N'ha gaires !que je cheminoye,
Où j'ai mainte beste trouvée ;
Mais en un grand pare. rnardoye,
Ours, lyons et liépal's véoye,
Leups et renars, qui vont disant
Au povre bcstail qui s'effrovo :
« Sa ! de l'argent. Sa 1 de l'argent. *
Cette ménagerie de fauves rugissant
l'appel lugubre, c'était, vous ne l'ignorez
pas, monsieur le conservateur, la hiérar-
chie complète des collecteurs de taille,
qui faisaient suer lepauvre peuple épuisé
pour emplir les coffres royaux aux doux
temps de la monarchie. La peinture de
cette forêt fait froid au dos. C'est là ce
qui vous aura trompé ; vous avez peusé
qu'une clameur d'indignation poussée
contre un régime peut servir contre l'au-
tre. Profonde erreur. Vous n'avez pas
tenu compte d'un assez notable change-
ment. Aujourd'hui, le loup ne répond
plus, quand la brebis demande « mercy ,,;
Jamais pitié de toy n'aroye.
L'ours s'est humanisé; le lion et le
léopard ont la conscience tranquille: c'est
l'honnête homme de percepteur; c'est le
r '\cveur particulier dont les comptes
Teuéiieton du XÏX* SIËCLB
Du 3 Mars 1885
-
- —-r (17) - -
UNE FOLIE
XI
— suite —•
En ce moment, un grand brouhaha dans
les salons à côté annonça que le concert
était fini. La maîtresse de maison be de-
vait à ses invités ; il fallait organiser le
bal.Pendant quelques instants, les jeunes
mariés se trouvèrent seuls.
Fleurette murmura :
— M'aimes-tu, Maurice?
— Si iel'aime, ma femme chérie?.
Comment ne t'aimerais-je pas, dis ?
Et l'imprudent, se baissant vivement,
!mbrassa sans vergogne sa femme qui
rougit.
Quels vilains soupçons avait-elle donc
eus pendant qu'on chantait ?.
On venait chercher des nouvelles de la
jeune femme, qu'on fut tout surpris de
trouver les yeux brillants, toute rose de
bonheur. Solange déclara que si les éva-
nouissements embellissaient tout le mon-
de à ce point-là, elle serait tentée d'en es-
sayer pour sa part; et quand Maurice parla
d'emmener sa femme, on lui prouva
qu'un tel excès de précaution serait ri-
dicule, que Mme Malleville ne s'était ja-
mais si bien portée.
Fleurette, en effet, se sentait complè-
tement remise. Il lui vint une fantaisie.
Elle dit à son mari, un peu bas :
- Pais-moi un plaisir. Je voudrais val-
ser une fois avec toi, puis nous partirons.
- Mais un mari ne danse pas avec 5a
femme !
— Je t'en prie !..,
« , 11 n r
Reprjoduçtioa faterdite.
Il - consentit en souriant,^ comme on
cède aux caprices d'un enfant choyé.
On les remarqua beaucoup. Fleurette,
malgré son inexpérience, valsait à mer-
veille, elle était légère, souple et très
gracieuse dans ses mouvements. Mme
Darboys, en voyant ce couple qui ne se
lassait pas, se pinçait un peu les lèvres.
Fleurette prenait publiquement posses-
sion de son mari, — du monde de son
mari par la même occasion. On ne la
dédaignerait plus, cette étrangère sans le
sou ; on lui trouvait subitement beau-
coup de charme. Maurice était visible-
ment amoureux de sa femme : et cela
n'avait rien de bien étonnant.
Après cette valse, les Malleville ne
partirent pas. Les danseurs s'inscrivi-
rent sur le carnet de Fleurette qui, un
peu étourdie, heureuse de ce commen-
cement de succès, retrouvait toute l'a-
nimation de ses vingt ans et ae deman-
dait pas mieux que de danser encore. De
plus, c'était une occasion de s'affirmer ;
elle ne voulait pas que son mari pût
rougir d'elle.
Ce dont elle ne se rendait pas tout à
fait compte, c'était que la première im-
pression avait été fatale. Maurice l'ai-
mait très tendrement ; mais il était si
bien persuadé qu'elle n'était guère faite
pour briller dans le monde, pour lui être
utile en quoi que ce fût dans sa carrière,
qu'il fallait plus qu'un triomphe de val-
seuse pour détruire cette première im-
presslUU.
Avant son mariage, Maurice avait été
extrêmement recherché dans le monde :
sérieux et travailleur, il avait eu à sè
défendre contre les invitations trop nom-
breuses qui, chaque hiver, pleuvaient
chez lui. Mais il trouvait encore le
moyen de se faire voir assez souvent
dans les salons à la mode, et les femmes,
surtout les mères de famille, n'avaient
pour lui que des sourires et des mots
aimables.
Tout cela était bien changé: on ne fai-
sait plus guère attention à lui. Une
femme, quand elle se marie, si elle est
jeune etjolie, ne perd rien de son pres-
se, au contraire. Mais son mari I,., Ah !
c'est autre chose ! Il est aussi élégant,
aussi bon valseur, aussi agréable causeur
que par le passé; mais il ne compte plus
il peut aller orner le montant d'une porte;
on n dérangera plus ses méditations.
Telles étaient les réflexions de Maurice
en regardant valser sa femme ; il se mo-
quait de luimême, mais au fond il était
un peu irrité. Toute cette soirée avait
été pour lui pleine de petites humilia-
tions, d'ennuis qu'il ne voulait pas s'a-
vouer.
Sa femme était adorable, la plus ai-
mante, la plus douce des femmes. Elle
n'existait que pour lui ; quand il lui sou-
riait, elle était radieuse ; quand il la né-
gligeait un peu, ce qui arrivait au mi-
lieu de ses tracas et de ses occupations
multiples, elle ne se plaignait jamais,
mais toute joie disparaissait pour elle ;
le soleil était caché, l'ombre et la tris-
tesse grise l'enveloppaient comme d'un
voile. Il se sduvenait alors des rares
jours nuageux qu'il avait connus à Na-
ples, où toute la beauté de ce merveil-
leux pays s'effaçait tout d'un coup.
Il se disait tout celd, mais il se disait
aussi qu'en épousant cette créature ex-
quise, il avait fait un sacrifice énorme.
S'il ne regrettait pas ce sacrifice, il ne
l'oubliait pas non DIUS.
— Seri-ez-vous jaloux, par hasard, ô
chevalier de la triste figure?
Berthe était debout à côté de lui dans
le petit @ salon où il s'était réfugié; une
immense glace sans tain séparait cette
jolie pièce du grand salon où l'on dan-
sait ; il se faisait tard, et ce boudoir était
abandonné. Le sourire de Maurice, un
sourire de mari convaincu du dévoue-
ment absolu de sa femme, répondit à la
question moqueuse de Mme Ferraysac.
De nouveau elle sentit comme une mor-
sure de jalousie inquiète. Ils étaient aga-
çants, cesjeune3 mariés! Elle reprit:
— Vous n'êtes guère aimable ; vous ne
m'avez pas même fait faire un tour de
valse, vous n'avez dansé qu'avec votre
femme. C'est du dernier ridicule.
f - J'ai pourtant voulu faire mon de
voir. J'ai invité une amie de Solange qu J
m'a regardé bien en face et qui m'a ver.
ement répondu: « Oh ! non, par exem-
ple, je ne danse pas avec les hommes
iini. lés, moi h) Elles vont bien, les pen-
sionnaires de notre temps ! Je me suis
senti profondément humilié, et je me
suis sauvé ici, où je médite sur la vanité
des choses humaines. On est extraordi-
nairement fat quand on est célibataire :
je m'imaginais naïvement que je plaisais,
que j'étais charmant, tandis que je n'étais
qu'une espérance ( ¡
- Le fait est que nous avons été abo-
minablement volées, nous autres Pari-
siennes. Et vous méritez de souffrir.
Mais si les jeunes filles vous dédaignent
et si leurs mères vous en veulent, les
jeunes femmes vous restent.
— Ces maudits célibataires vous acca-
parent toutes. Nous, les maris, il ne nous
reste que la politique.
- On pourrait au moins faire une ten-
tative, quitte à ce qu'on vous dise : Cau-
sons au lieu de danser.
r— Causons alors, chère madame. Vous
êtes la charité en personne, vous quittez
vos adorateurs pour consoler un malheu-
reux, un naufragé du monde, — car je
suis cela, vous savez?
— A qui la faute?
Ils se regardèrent tous deux un ins-
tant; ils avaient tout d'un coup quitté le
ton du persiflage. Les préoccunations de
Maurice se montraient à nu, et certes il
n'avait nullement songé à faire de Mme
Ferraysac sa confidente. De son côté, elle
avait mis dans une exclamation faite
presque à voix basse une amertume dont
elle se repentit aussitôt. Ils restèrent un
peu gênés : l'excitation de la musique,
l'odeur capiteuse des fleurs, le rire perlé
ues femmes, la fatigue d'une longue
soirée, tout cela les avait rendus tous
deux moins maîtres de leur parole, de
leurs regards, qu'ils ne l'étaient d'ordi-
naire. Berthe se remit la première.
Est-ce que nous ne sommes pas
tous plus ou moins des naufragés ? Nous
partons joyeusement, toutes voiles au
vent ; nous rêvons la conquête du.monde.
Vient un coup de îuer ; on chavire, on se
raccroche comm3 l'on ut. Au lieu d'a-
voir conquis le monde, où - £ St heureux
de se cramponner, tbut meurtri qu'on
soit, au rochèr où on a été jeté.
Maurice ne put s'empêcher de sourire ;
il promena ses regards sur le luxe des
salons, sur la toilette elles diamants de
cette « naufragée ».
— Permettez-moi de vous faire compli-
ment de votre rocher, au moins.
- Je n'en dis pas de mal, croyez moi !
Je ne fais pas fi de la fortune, j'y crois
au contraire; mais c'est pour moi un
moyen, non un but,, un levier puissant,
indispensable même, et rien de plus. Et
encore je crains bien que ce ne soit, en -
tre mes mains de femme, qu'un instru-
ment inutile.
Elle fit la moue en regardant ses mains
qu'elle avait fort petites.
— Quand on est femme, on peut agir
par les autres. On est député, ministre
- ou plus encore — par procuration.
— C'est ce que je me disais. Mais je ne
me le dis plus. Parlons d'autre chose,
voulez-yous ? Je snis énervée, lasse,
triste même. Cela vous étonne, n'est-ce
pas? Vous vous dites comme les autres :
Cette folle est le rire fait femme ; tant
qu ely| est dans le bruit et le tourbillon,
qu'elle peut danser, entendre des com-
pliments, faire étalage de son luxe, elle
n'en demande pas plus à la vie. Eh bien !
c'est faux 1. Bah! jaî mes nerfs, ce soir;
cela passera. Mais n'avez-vous jamais re-
marqué combien les accès de mélancolie
qui vous prennent au milieu d'une foule,
entre deux rires, sont plus noirs, plus
difficiles à secouer que les longues tris-
tesses solitaires au coin du feu ?
— J'en étais une preuve vivante quand
vous êtes venue, comme une bonne fée,
me rappeler à moi-même.
— Tiens ! moi qui vous croyais tou-
jours heureux, nageant dans le bleu !
Tout le monde ne peut pasvêtre héros de
roman; aussi bien, nous vous admirons
de loin, nous vous envions, nous autres
qui n'avons, pas quitté la terre. Vous êtes
devenu un objet de grande curiosité, un
phénomène qu'on étudie ; comme du
reste on étudie la sirène qui vous a
charmé.
- J'en suis désolé, répliqua Maurice*
froidement. Ma femme et moi nous ne
demandons qu'une chose : c'est qu'on
veuille bien ne pas s'occuper de nous.
— Rassurez-vous. Cela viendra, La cu-
riosité de Paris est vite rassasiée Dès
qu'on aura trouvé quelque autre problè-
me, on ne s'occupera plus de vous : on
s'en occupera peut-être encore moins
que vous ne le voudriez.
- Ce qui veut dire?
- Rien, si vous voulez que nous res-
tions dans les banalités. Beaucoup, ai
vous voulez que je vous parle en aloie.
— J'ai horreur de la banalité. Cepen-
dant je n'ose m'adresser à votre amitié ;
je n'y ai guère de titre.
— Vous croyez ?. Tenez, monsieur Mal-
ville, je vais faire une chose inouïe d'au-
dace. Je vais dire ce que les femmes or-
dinaires cachent avec le plus de soin. Il y
a bien des années que je vous observe ; je
ne suis pas une enfant; je n'ai que trois
ans de moins que vous, et j'ai été femme
de bonne heure; avec toute mon appa-
rente frivolité. Je désirais vous épouser.
Puisque je vous le dis avec celte absolue
franchise, vous ne vous méprendrez pas
sur le sens de mes paroles. J'avais fof en
votre avenir et je rêvais ùe. m'y associer.
Vous voyez que me voilà loin des mièvre-
ries sentimentales qui seraient toutàfait
hors de place ici, car je suis sous le toit
de mon mari et 3 y reçois votr ? femme.
Si je vous parle ainsi, c'est que j'ai hor-
reur des situations équivoques, des allu-
sions embarrassantes. Je ne suis pas une
sentimentale larmoyante, je ne vous parle
parle pas de mon cœur brisé, — il est en
fort bon état, mon cœur. — J'ai fait un
mariage de raison, mais je tiendrai fière-
ment les engagements pris vis-à-vis de
l'honnête homme que j'ai épousé. Je veux
seulement vous prouver que j'ai un peu
le droit de m'intéresser à votre succès;
j'aurais pu,par dépit, devenir votre enne-
mie. J'aime mieux être très simplement
et très loyalement votre amie et l'amie
de votre charmante femme. Est-ce dit ?
JBAHNE FTUAIFF*
(A suivre)
Prix du numéro à Paris 15 centimes — Départements: 20 centimes
Mardi 3 Mars 1885
JOURNAL RÉPIJBLICAIN CONSERVATEUR
REDACTION
S'adresser au Secrétaire de la Rédaction
de 2 heures à minuit
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Six mois 3® M>>
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Les Lettres non affranchies seront refus ées
1 -1 VENTE A LONDRES
'4L la librairie 3Petitjean
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ET DANS SES SUCCURSALES
37, Charlotte Street, Fitzroy Square,
«rt fô, Tichborne Street. (Café Monico. M.)
PARIS, 2 MARS i885
I/Exlrêm1f Gauche du Sénat a enfin
Constitué son groupe qui était en forma-
tion depuis quelques semâmes. Cinq
sénateurs le composent. Si l'on trouve
que c'est peu, les membres du groupe
répondront sans doute que les républi-
cains ont commencé par être cinq au
Corps législatif, sous le second Em-
pire î
Le groupe s'est réuni samedi sons la
présidence de M. Schœlcher. Il a décidé
qu'il resterait un groupe fermé; il a
décidé en même temps qu'il ne rédige-
rait pas de programme: -
Le procès-verbal communiqué aux
journaux nous donne deux raisons de
cette détermination. Voici la première:
la réunion estime que la « qualification
d'Extrême Gauche indique d'une ma-
nière suffisante les motifs qui ont dicté
la constitution du groupe ».
Cette raison pour ne - point rédiger de
programme est peut-être insuffisante.
Car à ce compte personne ne ferait ja-
mais de programme. Un titre à lui seul
n'a jamais rien signifié de précis, vu
que chacun lui attribue le sens qu'il
veut. Qu'est-ce que « l'Extrême Gau-
che » de. MM. les sénateurs? Est-ce
celle de M.. Glémenceau? est-ce celle de
M. Henry Maret? est-ce celle de M. Ro-
chefort? est-ce celle de M. Michelin ? Il
y a cent façons d'être de l'Extrême
Gauche. On aura quelque peine à per-
suader aux sceptiques que, si l'Extrême
Gauche du Sénat n'a point formulé de
programme, ce n'est pas parce qu'il
eût été difficile d'en rédiger un sur le-
quel les cinq membres qui le composent
se pussent accorder. Et jque serait-ce
s'ils avaient été là plus de cinq?
Le procès-verbal ajoute une autre
raison. Si l'on n'a pas arrêté de pro-
gramme, c'est « afin de rester libre de
statuer en toute indépendance au fur et
à mesure que les questions se trouve-
ront posées devant le Sénat». A la
bonne heure ! et ce n'est certes pas
nous qui blâmerons des hommes politi-
ques de vouloir réserver leur « indé-
pendance » et de chercher à résoudre
tes questions « au fur et à mesure
qu'elles se trouveront posées ». Mais
est-ce là ce qu'on avait appelé jusqu'ici
la poli tiqué d'Extrême Gauche? Hé!
pas du tout! Au contraire, c'est là de la
',. politique opportuniste au premier chef.
Qui appelait-on jusqu'ici les « radi-
- caux»? Celix qui se vantent de ne jamais
transiger, ceux qui refusent les compro-
mis, ceux qui exigent tout ou rien, ceux
qui s'écrient: «Périsse la République plu-
tôt qu'un principe ! » Qui prétendait-on
flétrir sous le nom de « modérés »? Ceux
nui rappellent aue Paris ne s'est Das
fait en Un jour, qui tiennent compte des
lieux et des circonstances, pour qui
une légère réforme est souvent le pré-
lude nécessaire d'une réforme plus im-
portante, qui attendent beaucoup du
temps, et pour qui la patience est la
première des vertus politiques. Ils esti-
ment que l'on doit diviser les questions,
et ne - pas ajouter à la difficulté de
vaincre tes abus cette difficulté plus
grande encore de les vaincre tous à la
fois, et le vieil apologue en action de
Sertorius et de la queue du cheval est
pour eux toujours bon à méditer.
Voilà les deux écoles de républi-
cains. Voilà ce qui sépare les intransi-
geants des modérés. Or, que font les
1
intransigeants du Sénat? Ils déclarent
précisément qu'ils entendent suivre la
méthode des opportunistes.
On conçoit que les vrais intransi-
geants, les purs, ne soient pas satis-
faits de l'attitude de l'Extrême Gauche,
sénatoriale. Voici comment, à cet égard,
s'exprime la Nation :
« Nous voulons bien admettre que
l'intention des « radicaux » du Sénat
qui se sont obstinément refusés à la
rédaction d'un programme n'a pas été
la simple précaution d'hommes rompus
aux roueries de la politique, et assez
avisés pour prévoir qu'en un jour pro-
chain on pourrait les mettre en con-
tradiction avec les principes auxquels
ils auraient fait une publique et solen-
nelle adhésion. Mais le pays, qui a été
tant de fois trompé, est devenu singu-
lièrement défiant, et il aura grand'peine
à admettre que cette prudente réserve
soit simplement la précaution inutile. »
La Nation s'exprimerait-elle plus
durement si elle avait à juger des répu-
blicains de l'Union, de la Gauche ou
même du Centre gauche? Hélas 1 ce
n'est pas chose facile, même quand on
est Extrême Gauche, d'être suffisam-
ment Extrême Gauche!
CHARLES BIGOT^
nouvelles DE chine
.- -- DEUX ORDRES DU JOUR
Nous trouvons dans l'Avenir du Tonkin du
5 janvier les deux ordres du jour suivants,
dont le texte nous était encore inconnu :
Deux brillants succès pour le corps expé-
ditionnaire ouvrent l'année 1885.
Le 3 janvier, après une marche habile-
ment dérobée aux yeux de l'ennemi, le gé-
néral de Négrier tombait, à quatre heures
du soir, sur un cantonnement de six mille
réguliers et, malgré leur vive résistance,
les mettait, en moins de deux heures, en
pleine déroute, sans que l'obscurité de la
nuit lui permît de poursuivre ce premier
succès. Nos troupes couchaient sur les po-
sitions enlevées.
Le lendemain, avant 1e jour, les Chinois,
au nombre de douze mille, recommençaient
la lutte par un vigoureux retour offensif.
Repoussés, poursuivis, et enfin rejetés sur
Muibop, ils étaient en pleine déroute avant
midi.
Lo centre de résistance de Muibop, dé-
fendu par huit forts solidement organisés,
est entre nos mains, avec deux batteries
Krupp, ainsi que tout le matériel de l'en-
nemi : tentes, vivres, munitions, armes,
étendards. Les cadavres de 600 réguliers
chinois tués ont été abandonnés par les
fuyards.
De notre côté, MM. Verdin, capitaine au
101°, Simoni, lieutenant au même corps ;
Larribe, sous-lieutenant d'infanterie de ma-
rine, sont blessés sans gravité.
Parmi nos braves soldats, J9 tués et 63
blessés.
Au quartier général, à Hanoï, le 5 janvier
1885.
BRIÈRE DE L'ISLE.
Par décret du 3 janvier 1885, le général
commandant le corps expéditionnaire es
nommé général de division.
« Officiers, sous-officiers, marins et soldats,
» Il y a quatre mois, en prenant le com-
mandement du corps expéditionnaire, je
vous affirmais la confiance entière que j'a-
vais en vous. Vous l'avez pleinement justi-
fiée et vous avez grandement contribué à la
récompense dont le gouvernement m'honore
aujourd'hui.
» Je vous en remercie.
» L'année 1885 débute par deux succès
éclatants. Continuons nos efforts et nous
aurons bientôt chassé l'ennemi loin des fron-
tières du Tonkin.
» Au quartier général, à Hanoï, le 5 jan-
vier 1885.
» BRIÈRE DE L'ISLÉ. >V
LES EMPLOYES DES POSTES
Nos lecteurs n'ont pas oublié, sans
deute, un article où je m'étais fait
l'écho des doléances d'un certain nom-
bre d'employés des postes.
Ils exposaient qu'après être entrés
dans l'administration des postes ils
avaient été forcés, pour obéir à la loi du
service militaire, d'abandonner leurs
places ; qu'ils étaient demeurés cinq
ans sous les drapeaux, et qu'à leur li-
bération ils étaient revenus se mettre
à la disposition de M. Cochery et de-
mander, sinon les mêmes postes qu'ils,
avaient quittés, au moins des postes
équivalents ; que si quelques-uns avaient
en effet; la chance d'obtenir tout de
suite une nomination, la plupart étaient
réduits à attendre de longs mois avant
d'être replacés ; que beaucoup même se
fatiguaient de ces atermoiements indé-
finis, et finissaient par renoncer à des
sollicitations inutiles.
Voici la note que je reçois du mi-
nistère des postes en réponse à cet ar-
ticle :
Les demandes en réintégration formées
par les militaires libérés s'élevaient à 297
au mois d'août dernier.
181 réintégrations sont actuellement faites
et il ne reste que 88 agents à replacer.
Sur ce nombre, la plupart avaient désigné
exclusivement des résidences spéciales dans
lesquelles l'absence de vacances n'a pas per-
mis, jusqu'ici, de les appeler.
La réintégration des militaires libérés était
d'autant plus difficile que 192 emplois occu-
pés par des hommes ont été supprimés dans
les départements et qu'il a fallu, en outre,
faire rentrer dans les cadres le personnel
attaché au service des lignes souterraines
supprimées au i" janvier dernier.
Il- convient de remarquer, d'ailleurs, qu'il
n'y a jamais simultanéité entre la date de
l'appel d'une classe et celle de la reniée de la
classe libérée, et qu'il n'est pas possible de
combler les vides laissés par ceux qui par-
tent au moyen de ceux qui rentrent.
Ainsi, en ce moment encore, où on annonce
le renvoi de 25,000 hommes, il est bien évi-
dent que nous exposerions le service à de
graves difficultés si nous laissions, sans les
combler, les vides qui se produisent, en at-
tendant la rentrée des agents compris dans
les 25,003 hommes à libérer. -
Cette situation, incontestablement très re-
grettable, résulte donc des oi dres donnés par
le ministre de la guerre, et la responsabilité
ne saurait en être imputée, en aucune façon,
au département des postes.
Quoi qu'il en soit, des mesures ont été pri-
ses pour que les dejrnières réintégrations res-
tant à faire soient complètement effectuées
à la fin d'avril au plus tard.,
La réponse de M. le ministre se com-
pose de deux - parties. - -
Dans l'une, il rejette sur les mesures
prises par le ministère de la guerre
l'impossibilité où il se trouve de com-
bler avec les rentrants du service les
vides laissés par la classe qui s'y rend.
Ce serait un détail de dates à régler.
La question, réduite à ces termes, ne
me paraît pas bien intéressante, et il
est inutile d'y insister.
Mais je voudrais appeler l'attention
du public sur l'autre partie de l'orga-
nisation de M. Cochery.
«On m'a, dit-il, supprimé des emplois
dans les départements, » et il donne le
chiffre de ces emplois supprimés : il y
en aurait 192. On a, de plus, été obligé
de faire rentrer dans le eadre du ser-
vice ordinaire le personnel détaché au
service des lignes souterraines, lequel
a été supprimé le 1" janvier dernier.
Le public aura quelque peine à com-
prendre que l'on trouve à faire des sup
pressions d'emploi dans l'administration
des postes et des télégraphes. Tout le
monde sait que, depuis dix ans, la be-
sogne a crû au double et du triple dans
cette administration; comment se fait-il
qu'une demande trois fois plus considé-
rable puisse être menée à bien par un
personnel de moins en moins nom-
breux?
Le personnel des postes et des télé-
graphes est insuffisant. C'est une vérité
qui éclate à tous les yeux.
Je mets en fait qu'il n'y a pas un bu-
reau de Paris où un homme qui a une
lettre chargée à expédier ou à toucher
ne doive perdre sa demi-heure, et quel-
quefois même davantage, à faire queue
au guichet.
Si je n'enregistre plus les plaintes de
ce genre qui m'arrivent, c'est qu'elles
sont trop nombreuses; c'est que, sur
ce point, toute la population est d'ac-
cord. On surmène les employés des pos-
tes, et ils ne peuvent, malgré leur zèle
qui est admirable, suffire à leur tâche
quotidienne.
Que pensez-vous d'un aubergiste qui
dirait à son personnel : « Mes amis, vous
n'étiez que dix pour faire le service de
la maison, et vous y arriviez à grand'-
peine. Je viens de louer l'hôtel à côté ;
il y aura donc trente chambres de plus
à faire par jour. Vous trouvez naturel
en conséquence que je renvoie deux
d'entre vous. Les huit qui resteront
s'en tireront comme ils pourront? »
C'est le raisonnement de M. Cochery.
— Mais ce n'est pas moi, s'écrie le mal-
heureux ministre, c'est la Chambre qui
m'impose ces économies. Je les trouve
très fâcheuses, mais je suis obligé de
les subir.
Point du tout! cher monsieur Co-
chery ! Il faudrait dans ces cas-là mon-
ter gaillardement à la tribune, - vous
n'avez pas votre langue dans votre po-
che, - et dire très nettement à ces mes-
sieurs:
— Mon personnel travaille plus qu au-
cun personnel au monde; il est moins
payé qu'aucun personnel au monde. Il
finira par prendre sa besogne en dé-
goût, et vous serez bien avancés quand
elle sera mal faite 1 Cetera là une belle
et fructueuse économie !
Je ne consens pas aux réductions pro-
posées, et je préviens la Chambre que
si elles sont votées elle ,-devra chercher
un ministre qui lea applique.
Ah! quel succès vous auriez 1 — à la
Chambre d'abord/je le crois, où les pa-
roles nettes imposent, — mais surtout,
mais avant tout, d'un bout de la France
à l'autre, dans tous les bureaux de pos-
tes et de télégraphes.
Quelle belle et bonne réponse à ceux
de vos subordonnés que votre popularité
importune parce qu'ils la croient faite à
leurs dépens 1
FRANCISQUE SARCBÏ.
Ce orléanistes ont parfois de la fantai-
sie. Depuis le jour où leur est venue l'es-
pérance que la coquille de leur préten-
dant. s'ouvrirait pour nous bailler un roi,
ils ne se sentent plus de contentement;
on ne dirait vraiment plus des momies ;
ils se répandent, ils exultent, ils ont des
tressauts d'allégresse à faire craquer les
sous-pieds de leurs redingotes.
Ah 1 les gourmands! l'odeur du fro-
mage les allèche.
Leur grande joie se manifeste spécia-
lement par l'abondance d'écrire. C'est
une neige de petits papiers qui s'abat sur
la France. Et nous ne faisons pas allusion
à ces images d'Epinal que signalait tout
dernièrement notre collaborateur M. Bi-
got. On fait mieux ; on rédige des bro-
chures de propagande méthodique et rai-
sonnée. Les effets 'sont savamment-gra-
dués, l'une complétant -l'autre. Il y en a
de laudatives pour le régime attendu, de
satiriques pour le régime existant.
Parmi ces dernières, il nous a paru in-
téressant de noter une plaquette de trente
pages intitulée : Réflexions et Propos
d'un conservateur sur les budgets de la
République, par Victor du Bled.
Elle est, comme on voit, de circons-
tance.
M. du Bled, sur la couverture, s'inti-
tule docteur en droit, ancien sous-préfet,
membre de la Société des agriculteurs
de France. que sais-je? Les titres et
qualités ne coûtent pas dans le monde
monarchique. Mais, parmi toutes les so-
ciétés où il se déclare affilié, nous serions
fort étonné si ce « conservateur », qui ne
veut pas conserver la République, n'a-
vait jamais côtoyé de près ou de loin la
Société de Jésus. Du moins il en em-
prunte très habilement les procédés, ne
fût-ce - que dans son épigraphe qui re-
produit pompeusement une pretenaue
déclaration de M. Jules Ferry au sujet
des augmentations d'impôt en 1886.
Vingt-cinq démentis ont fait justice de
l'invention. N'importe. Les réactionnai-
res continuent à l'exploiter ; il paraît
que chez eux on prend son bien où on le
trouve, même dans la poche des autres,
car une calomnie — à en croire la sa-
gesse des nations — vaut un vol.
Doncle factumdeM.du Bled débute Dar
imputer au président du conseil cette ab-
surde profession de foi : « Si nous ne pro-
posons pas de nouveaux impôts, c'est
parce que nous entrons dans la période
électorale. » Nous doutons qu'il fasse des
dupes par de si grossiers fLoyens, malgré
sa destination particulière. Le nom de
l'auteur, qui a tous les caractères d'un
( pseudonyme agricole, indique suffisam-
ment que l'œuvre g'dresse « aux simples
habitants de nos campagnes ».
Suivant l'usage en pareil cas, les peti-
tes devinettes n'ont pas été ménagées pour
les distraire. Nous voyons le budget de
la République estimé au poids, au mètre
cube et au mètre carré tour à tour. en or,
en argent et en papier. Tantôt, en pièces
de cent sous, il ne cèderait pas au coup
de collier de vingt-deux mille chevaux ;
tantôt, en écus, — on compte par écus
chez les royalistes, — il formerait une
chaîne assez longue pour taire un brace-
let à la terre; ou encore, sous la figure
de billets empil-és, à mille francs Turf, il
donnerait une colonne plus haute que la
flèche de Saint-Bénigne. Vous connaissez
Saint-Bénigne. à Dijon!
Toutes ces comparaisons sont fort in-
génieuses, mais qu'est-ce qu'elles prou-
vent? Les dépenses des peuples sont
comme celles des particuliers ; les riches
en ont plus que les pauvres, et ils n'en
vivent pas plus mal. Qui gagne beaucoup
peut beaucoup, dépenser.
Savez-vous maintenant comment les
quarante millions de victimes composant
le pauvre peuple de France sont arrivées
à supporter des charges publiques qui
briseraient les muscles de 22,000 chevaux
et blesseraient Saint-Bénigne, de Dijon,
dans son orgueil d'église honnêtement
élevée? Nous sommes en proie à trois
vers rongeurs. Il y a d'abord le budget
général, ce pelé, ce galeux d'où nous
vient tout le mal, et qui ne profite à
personne, étant employé seulement à
alimenter les grands4 services de l'Etat,
à entretenir notre flotte et notre armée,
frais de luxe, comme chaoun sait.
Est-ce tout? se demande ingénûment
l'ancien sous-préfet conservateur, qui n'a
pas conservé sa sous-préfecture. Mais il
épond, navré :
Hélas I non ! Deux autres budgets pèsent
encore sur les épaules du pauvre contri-
buable : celui des départements et celui
des communes ; de telle sorte que chaque
citoyen français doit faire face a trois bud-
gets, verser dans trois caisses, engraisser
trois vers rongeurs; et quand il leur à ainsi
donné, en se torturant bien, le meilleur de
sasubstance, de son revenu, de son épargne
et souvent de son capital, il lui faut pour- -
voir à un quatrième budget, celui de la per-
sonne et de la famille, clui du foyer do-
mestique, devenu, lui aussi, plus lourd que
jamais. S'il y a des budgets différents, il n'y
a qu'une seule bourse : celle des contri-
buables.
Il me répugne de risquer un avis de-
vant un homme qui appartient à tant de
sociétés savantes. J'oserai avouer ce-
pendant que M. du Bled me semble faire
ici fausse route. Il croit « les simples
habitants de nos campagnes » plus sim-
ples qu'ils ne sont. Que les nécessités du
budget général leur échappent en maint
détail, je l'admets volontiers : il faut
une vue philosophique assez exercée
pour saisir à distance certaines trans-
formations de la solidarité sociale. Mais
le budget départemental et le budget
communal sont préparés sous leurs
yeux, par des hommes qu'ils ont choisis
entre eux, qui sont leurs voisins et leurs
amis, le conseiller général' de leur can-
ton, les conseillers municipaux de leur
commune. Ils en suivent l'affectation sou
à sou. Ils voient revenir l'argent de
l'impôt sous forme de cailloux pour em-
pierrer leurs chemins, de traverses pour
jeter une passerelle sur le rû, ou de
tuyaux en fonte pour amener la source
de la colline à la fontaine de la grand -
place. j>'
Leur bon sens leur montre l'avantage
à côté du sacrifice. Il s'effarouche à voir
négligé ce côté de la question ; il se ré-
volte à voir mis en ligne de compte, dans
un débat politique, « le budget de la
famille H. En vérité, ces braves gens, la
plupart très heureux d'avoir charge
d'âme, ont lu les Cotites de ma mère
rOye. Eux qui n'ont presque plus de foi
dans la bonne ni dans la mauvaise fée, un
vague instinct les avertit qu'on se moque
de leur simplicité en leur disant que c'est
la faute à M. Jules Ferry s'ils s'aimèrent,'
s'ils se le dirent et s'ils eurent beaucoup
d'enfants.
Prenez garde ! ils ne pardonnent
guère l'abus qu'on fait de leur ingénuité.
Qui veut trop prouver ne prouve rien.
Vos histoires sont d'un autre monde :
personne n-e s'y trompera.
C'est pourquoi nous vous encoura-
geons : continuez, monsieur le conserva-
teur, à paraphraser en votre style la ter-
rible ballade d'Eustache Deschamps :
En une graut fourest et lée
N'ha gaires !que je cheminoye,
Où j'ai mainte beste trouvée ;
Mais en un grand pare. rnardoye,
Ours, lyons et liépal's véoye,
Leups et renars, qui vont disant
Au povre bcstail qui s'effrovo :
« Sa ! de l'argent. Sa 1 de l'argent. *
Cette ménagerie de fauves rugissant
l'appel lugubre, c'était, vous ne l'ignorez
pas, monsieur le conservateur, la hiérar-
chie complète des collecteurs de taille,
qui faisaient suer lepauvre peuple épuisé
pour emplir les coffres royaux aux doux
temps de la monarchie. La peinture de
cette forêt fait froid au dos. C'est là ce
qui vous aura trompé ; vous avez peusé
qu'une clameur d'indignation poussée
contre un régime peut servir contre l'au-
tre. Profonde erreur. Vous n'avez pas
tenu compte d'un assez notable change-
ment. Aujourd'hui, le loup ne répond
plus, quand la brebis demande « mercy ,,;
Jamais pitié de toy n'aroye.
L'ours s'est humanisé; le lion et le
léopard ont la conscience tranquille: c'est
l'honnête homme de percepteur; c'est le
r '\cveur particulier dont les comptes
Teuéiieton du XÏX* SIËCLB
Du 3 Mars 1885
-
- —-r (17) - -
UNE FOLIE
XI
— suite —•
En ce moment, un grand brouhaha dans
les salons à côté annonça que le concert
était fini. La maîtresse de maison be de-
vait à ses invités ; il fallait organiser le
bal.Pendant quelques instants, les jeunes
mariés se trouvèrent seuls.
Fleurette murmura :
— M'aimes-tu, Maurice?
— Si iel'aime, ma femme chérie?.
Comment ne t'aimerais-je pas, dis ?
Et l'imprudent, se baissant vivement,
!mbrassa sans vergogne sa femme qui
rougit.
Quels vilains soupçons avait-elle donc
eus pendant qu'on chantait ?.
On venait chercher des nouvelles de la
jeune femme, qu'on fut tout surpris de
trouver les yeux brillants, toute rose de
bonheur. Solange déclara que si les éva-
nouissements embellissaient tout le mon-
de à ce point-là, elle serait tentée d'en es-
sayer pour sa part; et quand Maurice parla
d'emmener sa femme, on lui prouva
qu'un tel excès de précaution serait ri-
dicule, que Mme Malleville ne s'était ja-
mais si bien portée.
Fleurette, en effet, se sentait complè-
tement remise. Il lui vint une fantaisie.
Elle dit à son mari, un peu bas :
- Pais-moi un plaisir. Je voudrais val-
ser une fois avec toi, puis nous partirons.
- Mais un mari ne danse pas avec 5a
femme !
— Je t'en prie !..,
« , 11 n r
Reprjoduçtioa faterdite.
Il - consentit en souriant,^ comme on
cède aux caprices d'un enfant choyé.
On les remarqua beaucoup. Fleurette,
malgré son inexpérience, valsait à mer-
veille, elle était légère, souple et très
gracieuse dans ses mouvements. Mme
Darboys, en voyant ce couple qui ne se
lassait pas, se pinçait un peu les lèvres.
Fleurette prenait publiquement posses-
sion de son mari, — du monde de son
mari par la même occasion. On ne la
dédaignerait plus, cette étrangère sans le
sou ; on lui trouvait subitement beau-
coup de charme. Maurice était visible-
ment amoureux de sa femme : et cela
n'avait rien de bien étonnant.
Après cette valse, les Malleville ne
partirent pas. Les danseurs s'inscrivi-
rent sur le carnet de Fleurette qui, un
peu étourdie, heureuse de ce commen-
cement de succès, retrouvait toute l'a-
nimation de ses vingt ans et ae deman-
dait pas mieux que de danser encore. De
plus, c'était une occasion de s'affirmer ;
elle ne voulait pas que son mari pût
rougir d'elle.
Ce dont elle ne se rendait pas tout à
fait compte, c'était que la première im-
pression avait été fatale. Maurice l'ai-
mait très tendrement ; mais il était si
bien persuadé qu'elle n'était guère faite
pour briller dans le monde, pour lui être
utile en quoi que ce fût dans sa carrière,
qu'il fallait plus qu'un triomphe de val-
seuse pour détruire cette première im-
presslUU.
Avant son mariage, Maurice avait été
extrêmement recherché dans le monde :
sérieux et travailleur, il avait eu à sè
défendre contre les invitations trop nom-
breuses qui, chaque hiver, pleuvaient
chez lui. Mais il trouvait encore le
moyen de se faire voir assez souvent
dans les salons à la mode, et les femmes,
surtout les mères de famille, n'avaient
pour lui que des sourires et des mots
aimables.
Tout cela était bien changé: on ne fai-
sait plus guère attention à lui. Une
femme, quand elle se marie, si elle est
jeune etjolie, ne perd rien de son pres-
se, au contraire. Mais son mari I,., Ah !
c'est autre chose ! Il est aussi élégant,
aussi bon valseur, aussi agréable causeur
que par le passé; mais il ne compte plus
il peut aller orner le montant d'une porte;
on n dérangera plus ses méditations.
Telles étaient les réflexions de Maurice
en regardant valser sa femme ; il se mo-
quait de luimême, mais au fond il était
un peu irrité. Toute cette soirée avait
été pour lui pleine de petites humilia-
tions, d'ennuis qu'il ne voulait pas s'a-
vouer.
Sa femme était adorable, la plus ai-
mante, la plus douce des femmes. Elle
n'existait que pour lui ; quand il lui sou-
riait, elle était radieuse ; quand il la né-
gligeait un peu, ce qui arrivait au mi-
lieu de ses tracas et de ses occupations
multiples, elle ne se plaignait jamais,
mais toute joie disparaissait pour elle ;
le soleil était caché, l'ombre et la tris-
tesse grise l'enveloppaient comme d'un
voile. Il se sduvenait alors des rares
jours nuageux qu'il avait connus à Na-
ples, où toute la beauté de ce merveil-
leux pays s'effaçait tout d'un coup.
Il se disait tout celd, mais il se disait
aussi qu'en épousant cette créature ex-
quise, il avait fait un sacrifice énorme.
S'il ne regrettait pas ce sacrifice, il ne
l'oubliait pas non DIUS.
— Seri-ez-vous jaloux, par hasard, ô
chevalier de la triste figure?
Berthe était debout à côté de lui dans
le petit @ salon où il s'était réfugié; une
immense glace sans tain séparait cette
jolie pièce du grand salon où l'on dan-
sait ; il se faisait tard, et ce boudoir était
abandonné. Le sourire de Maurice, un
sourire de mari convaincu du dévoue-
ment absolu de sa femme, répondit à la
question moqueuse de Mme Ferraysac.
De nouveau elle sentit comme une mor-
sure de jalousie inquiète. Ils étaient aga-
çants, cesjeune3 mariés! Elle reprit:
— Vous n'êtes guère aimable ; vous ne
m'avez pas même fait faire un tour de
valse, vous n'avez dansé qu'avec votre
femme. C'est du dernier ridicule.
f - J'ai pourtant voulu faire mon de
voir. J'ai invité une amie de Solange qu J
m'a regardé bien en face et qui m'a ver.
ement répondu: « Oh ! non, par exem-
ple, je ne danse pas avec les hommes
iini. lés, moi h) Elles vont bien, les pen-
sionnaires de notre temps ! Je me suis
senti profondément humilié, et je me
suis sauvé ici, où je médite sur la vanité
des choses humaines. On est extraordi-
nairement fat quand on est célibataire :
je m'imaginais naïvement que je plaisais,
que j'étais charmant, tandis que je n'étais
qu'une espérance ( ¡
- Le fait est que nous avons été abo-
minablement volées, nous autres Pari-
siennes. Et vous méritez de souffrir.
Mais si les jeunes filles vous dédaignent
et si leurs mères vous en veulent, les
jeunes femmes vous restent.
— Ces maudits célibataires vous acca-
parent toutes. Nous, les maris, il ne nous
reste que la politique.
- On pourrait au moins faire une ten-
tative, quitte à ce qu'on vous dise : Cau-
sons au lieu de danser.
r— Causons alors, chère madame. Vous
êtes la charité en personne, vous quittez
vos adorateurs pour consoler un malheu-
reux, un naufragé du monde, — car je
suis cela, vous savez?
— A qui la faute?
Ils se regardèrent tous deux un ins-
tant; ils avaient tout d'un coup quitté le
ton du persiflage. Les préoccunations de
Maurice se montraient à nu, et certes il
n'avait nullement songé à faire de Mme
Ferraysac sa confidente. De son côté, elle
avait mis dans une exclamation faite
presque à voix basse une amertume dont
elle se repentit aussitôt. Ils restèrent un
peu gênés : l'excitation de la musique,
l'odeur capiteuse des fleurs, le rire perlé
ues femmes, la fatigue d'une longue
soirée, tout cela les avait rendus tous
deux moins maîtres de leur parole, de
leurs regards, qu'ils ne l'étaient d'ordi-
naire. Berthe se remit la première.
Est-ce que nous ne sommes pas
tous plus ou moins des naufragés ? Nous
partons joyeusement, toutes voiles au
vent ; nous rêvons la conquête du.monde.
Vient un coup de îuer ; on chavire, on se
raccroche comm3 l'on ut. Au lieu d'a-
voir conquis le monde, où - £ St heureux
de se cramponner, tbut meurtri qu'on
soit, au rochèr où on a été jeté.
Maurice ne put s'empêcher de sourire ;
il promena ses regards sur le luxe des
salons, sur la toilette elles diamants de
cette « naufragée ».
— Permettez-moi de vous faire compli-
ment de votre rocher, au moins.
- Je n'en dis pas de mal, croyez moi !
Je ne fais pas fi de la fortune, j'y crois
au contraire; mais c'est pour moi un
moyen, non un but,, un levier puissant,
indispensable même, et rien de plus. Et
encore je crains bien que ce ne soit, en -
tre mes mains de femme, qu'un instru-
ment inutile.
Elle fit la moue en regardant ses mains
qu'elle avait fort petites.
— Quand on est femme, on peut agir
par les autres. On est député, ministre
- ou plus encore — par procuration.
— C'est ce que je me disais. Mais je ne
me le dis plus. Parlons d'autre chose,
voulez-yous ? Je snis énervée, lasse,
triste même. Cela vous étonne, n'est-ce
pas? Vous vous dites comme les autres :
Cette folle est le rire fait femme ; tant
qu ely| est dans le bruit et le tourbillon,
qu'elle peut danser, entendre des com-
pliments, faire étalage de son luxe, elle
n'en demande pas plus à la vie. Eh bien !
c'est faux 1. Bah! jaî mes nerfs, ce soir;
cela passera. Mais n'avez-vous jamais re-
marqué combien les accès de mélancolie
qui vous prennent au milieu d'une foule,
entre deux rires, sont plus noirs, plus
difficiles à secouer que les longues tris-
tesses solitaires au coin du feu ?
— J'en étais une preuve vivante quand
vous êtes venue, comme une bonne fée,
me rappeler à moi-même.
— Tiens ! moi qui vous croyais tou-
jours heureux, nageant dans le bleu !
Tout le monde ne peut pasvêtre héros de
roman; aussi bien, nous vous admirons
de loin, nous vous envions, nous autres
qui n'avons, pas quitté la terre. Vous êtes
devenu un objet de grande curiosité, un
phénomène qu'on étudie ; comme du
reste on étudie la sirène qui vous a
charmé.
- J'en suis désolé, répliqua Maurice*
froidement. Ma femme et moi nous ne
demandons qu'une chose : c'est qu'on
veuille bien ne pas s'occuper de nous.
— Rassurez-vous. Cela viendra, La cu-
riosité de Paris est vite rassasiée Dès
qu'on aura trouvé quelque autre problè-
me, on ne s'occupera plus de vous : on
s'en occupera peut-être encore moins
que vous ne le voudriez.
- Ce qui veut dire?
- Rien, si vous voulez que nous res-
tions dans les banalités. Beaucoup, ai
vous voulez que je vous parle en aloie.
— J'ai horreur de la banalité. Cepen-
dant je n'ose m'adresser à votre amitié ;
je n'y ai guère de titre.
— Vous croyez ?. Tenez, monsieur Mal-
ville, je vais faire une chose inouïe d'au-
dace. Je vais dire ce que les femmes or-
dinaires cachent avec le plus de soin. Il y
a bien des années que je vous observe ; je
ne suis pas une enfant; je n'ai que trois
ans de moins que vous, et j'ai été femme
de bonne heure; avec toute mon appa-
rente frivolité. Je désirais vous épouser.
Puisque je vous le dis avec celte absolue
franchise, vous ne vous méprendrez pas
sur le sens de mes paroles. J'avais fof en
votre avenir et je rêvais ùe. m'y associer.
Vous voyez que me voilà loin des mièvre-
ries sentimentales qui seraient toutàfait
hors de place ici, car je suis sous le toit
de mon mari et 3 y reçois votr ? femme.
Si je vous parle ainsi, c'est que j'ai hor-
reur des situations équivoques, des allu-
sions embarrassantes. Je ne suis pas une
sentimentale larmoyante, je ne vous parle
parle pas de mon cœur brisé, — il est en
fort bon état, mon cœur. — J'ai fait un
mariage de raison, mais je tiendrai fière-
ment les engagements pris vis-à-vis de
l'honnête homme que j'ai épousé. Je veux
seulement vous prouver que j'ai un peu
le droit de m'intéresser à votre succès;
j'aurais pu,par dépit, devenir votre enne-
mie. J'aime mieux être très simplement
et très loyalement votre amie et l'amie
de votre charmante femme. Est-ce dit ?
JBAHNE FTUAIFF*
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