Titre : Le XIXe siècle : journal quotidien politique et littéraire / directeur-rédacteur en chef : Gustave Chadeuil
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1885-02-08
Contributeur : Chadeuil, Gustave (1821-1896). Directeur de publication
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Description : 08 février 1885 08 février 1885
Description : 1885/02/08 (A15,N4781). 1885/02/08 (A15,N4781).
Droits : Consultable en ligne
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Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-199
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 09/04/2013
Quinzième année. AB- N° 41St
Prix du numéro à Paris 15 ccotimcs — Départements: 20 centims.
Dimanchs 8 Février 1885
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PARIS, 7 FÉVRIER 1885
Un journal orléaniste de Caen, l'A-
venir du Calvados, publie un cu-
rieux article qui pourrait être intitulé :
« Philippe et sa cour. » Le prétendant
nous est d'abord représenté lui-même
absorbé, dans son château d'Eu, par
les soins d'une correspondance étendue,
« s'occupant des plus petits détails, an-
nulant de sa main la plupart des pièces
qui lui sont soumises, méthodique,
exact, scrupuleux ». Passons mainte-
nant aux personnages investis de fonc-
tions diverses, dont le comte de Paris
s'est entouré. Nous reproduisons ce pas-
sage de la feuille normande :
il a pour secrétaire un ancien avocat gé-
néral à la cour d'Aix, si nous ne nous trom-
pons, M. Camille Dupuy, démissionnaire à
l'occasion des décrets contre les congréga-
tions religieuses. D'autres secrétaires, mais
n'ayant pas tout à fait le même caractère
et ne résidant auprès de lui que les uns
après les autres, et pendant deux ou trois
semaines consécutives seulement, sont at-
tachés à sa personne : M. Emmanuel Bo-
cher, fils du sénateur ; le comte Othenin
d'Haussonville ; M. Auguste Boucher, rédac-
teur au Français ; M. Barthélemy Saint-
Marc Girardin, le comte de Chevigné, le
marquis de Beauvoir, le duc d Audiuret-Pas-
quier, etc. Ce sont, à proprement parler,
des chambellans portant le titre de secré-
taires ; ils font le service d'honneur auprès
du prince et l'aident dans sa correspon-
dance politique.
Le comte de Paris a un bureau de la
presse à Paris. M. Lambert de Sainte-Croix
est à la tête de ce bureau, qui ne compte
que trois employés : M. Auguste Boucher,
ci-dessus nommé; M. Adrien Maggiolo, et le
fils de M. Lambert, Alexandre. Ce bureau
est chargé d'entretenir des relations avec, la
presse parisienne, qui ne le voit guère, et
avec la presse de province; il fournit en
outre à celle-ci, deux correspondances au-
tographlees, l'une rédigée sous ses yeux par
M. Edouard Grimblot, l'autre, sous l'inspi-
ration de MM. Ferdinand Duval et Cornélis
de Witt. Disons enfin qu'il envoie au comte
de Paris les articles de journaux qu'il croit
devoir porter à sa connaissance ; il fait pour
lui le dépouillement de la presse.
Outre ses secrétaires et le bureau, le
comte de Paris a cinq missi dominici ; MM.
Eugène Dufeuille, ancien rédacteur du Fran-
çais; baron de Ravinel, ancien député des
Vosges; Porteu, du Chevallard et Pradel,
anciens préfets de la République, dont deux
au moins ont été préfets républicains.
Ces cinq missi dominici se sont partagé la
France en cinq régions, qu'ils inspectent; et
chacun fait sur sa région son rapport au
prince.
Le représentant officiel du comte de Paris,
le chef du parti monarchiste est M. Bocher.
Presque tous ces noms sont connus.
La plupart sont portés par des orléanis-
tes à la nouvelle mode, c'est-à-dire vio-
lemment tintés de cléricalisme. Quanta
MM. Auguste Boucher, Dufeuille et B.
Saint-Marc Girardin, ce sont d'anciens
rédacteursdu Français, collaboratioirqui
suffit à les caractériser. M. Maggiolo
passait pour le plus fougueux des ré-
dacteurs de Y Union, quand YUnion
existait. M. Grimblot, si nos souvenirs
sont exacts, a quelque temps appartenu
à la presse républicaine de Laon; mais,
soudainement converti, il a ensuite ap-
1 H - ''t; ..;
norte^ atnt iournaux monarchjstes de
province le concours de ses nouvelles
convictions et de son talent. A en ju-
ger par l'esprit qui l'anime, cette pe-
tite cour aurait mieux convenu au feu
ioi Charles X qu'au feu roi Louis-Phi-
lippe. Nous n'en sommes pas étonnés;
il y a beaux jours que le tils du duc
d'Orléans a déchiré le testament de son
père, et la composition de la cour d'Eu
répond exactement à la politique ac-
tuelle de M. le comte de Paris.
11 n'y a là de quoi surprendre per-
sonne. Ce qui ne nous surprend pas
non plus, mais ce qui mérite davantage
de fixer l'attention, c'est l'organisation
que l'Avenir du Calvados nous expose
avec tant de complaisance. Le comte
de Paris ne se contente point de s'en-
tourer à Eu de secrétaires-chambellans
pour l'aider dans sa vaste correspon-
dance ; il entretient, à Paris même, un
bureau de presse, et c'est ce bureau,
sans aucun doute, qui organise, entre
autres besognes, la propagande monar-
chique au moyen des images d'Epinal
et de ces jolis almanachs illustrés d'où
l'on a soigneusement banni, du reste,
l'histoire des 40 millions, la lettre à M.
Elsingre et d'autres documents ou faits
historiques aujourd'hui jugés compro-
mettants pour la bonne cause. Quant à
l'institution des cinq missi dominici
elle est admirable et nous donne une
haute idée du nouveau Charlemagne.
Remarquez enfin le rôle que remplit
l'honorable M. Bocher, représentant
« olhciel » du prince.
Tout ceci pourra fournir un jour d'in-
téressants traits de mœurs politiques à
M. Daudet, si ce fin romancier prépare
quelque pendant aux Rois en exil. Mais,
à un point de vue moins littéraire, il y
aurait lieu de se demander si tout cela
ne constituerait point aussi le crime de
complot contre la sûreté de l'Etat. Re-
marquez qu'il ne s'agit point ici de ce
qu'on appelle un délit d'opinion, délit
qui n'existerait pas à nos yeux, vu qu'il
doit être permis à chacun de penser
tout le bien possible de la monarchie,
tout le mal possible de la République,
et de le dire. Nous ne sommes en pré-
sence de rien de pareil, mais bien d'une
organisation très complète et assez ha-
bile, dont le but avéré est le renverse-
ment de la République au profit de M.
le comte de Paris et de ceux qui conspi-
rent sous sa direction. Cela est-il per-
mis ? cela doit-il être toléré sans que la
justice intervienne ? Si grands amis
que nous soyons de la liberté, nous ne le
croyons pas. Mais qu'est-ce que le gou-
vernement en pense ?
EUG. LIÉBERT.
LE PARLEMENT
COURRIER DU SENAT
Paris, 6 février i885.
Tout s'en va, les plaisirs et les mœurs d'un
autre âge 1
M. de Gavardie n'est plus drôle que par
sa prétention à rester sérieux. Il vous
débite des trois heures de discours avec
suspension de séance au milieu, sans
accrocher le plus pauvre petit rappel à
l'ordre.
Tout s'en va!
La loi sur les récidivistes déplaît à M.
de Gavardie, et plutôt que de l'attaquer
par argumentation juridique, préférant la
déshonorer dans ses origines, il raconte
l'historiette suivante:
Vous vous souvenez que M. Gambettà
fut un soir fort malmené dans une réu-
nion publique électorale à Ménilmon-
tant. En sa mauvaise humeur, il traita
les citoyens électeurs d'ilotes et d'ivro-
gnes, et leur promit d'aller les relancer
jusqu'au fond de leurs repaires !.
if fallait accomplir les menaces du
maître. Un élève s'en est chargé ; comme,
en dehors du Parlement, il est de sa
profession avocat, il n'a pas craint de
bouleverser de fond en comble l'écono-
mie de notre législation pénale.
De là est née la loi sur les récidivistes.
Eh bien ! malgré les rigueurs insolites
dont elle fait étalage, elle ne servira de
rien. Pour jouir de la sécurité, il faut
avoir un gouvernement fort ; et pour
avoir un gouvernement fort, il faut pos-
séder la monarchie.
C. Q. F. D.:
La vraie discussion ne commence qu'à
l'apparition de M. Schœlcher.
De l'article premier, édictant la reléga-
tion et l'internement des récidivistes, la
commission a fait disparaître entre les
deux lectures, non seulement toute dési-
gnation de lieu, mais jusqu'aux mots de
« colonies et possessions françaises M,
qui lui paraissaient contenir une indica-
tion trop impérative.
M. Schœlcher fait ressortir cette sup-
pression et s'efforce d'en tirer parti pour
mettre au pied du mur le ministre de
l'intérieur, qui, dans ses déclarations
d'hier, manifestait une tendance non
équivoque à user de sa liberté d'option
— laissée intacte par le projet — pour
diriger sur nos possessions d'outre-mer
le courant de cette émigration forcée.
M. Schœlcher emploie toutes les raisons
et tous les prétextes pour détourner des
colonies qu'il aime, cette avalanche d'ef-
fondrilles sociales. C'est la Guyane qui
court apparemment le plus de risques.
Il ne craint pas, pour la sauver, de la dé-
peindre comme un séjour oestilentifil et
mortel; il s'attendrit sur la santé des re-
légués, dont il se soucie, je pense, comme
de nègres blancs 1
Le cri du cœur n'échappe qu'à la fin :
«Les vœux des habitants de la Guyane doi-
ventbien être comptés pour quelque chose!
Ils protestent avec la plus grande indi-
gnation contre une loi qui constitue pour
eux un péril matériel et social et que la
métropole ne saurait édicter sans un
abus monstrueux de sa force ! »
— Ne vous mettez donc pas en peine !
souffle gentiment M. Emile Labiche au
vieil émancipateur des esclaves.
Ce n'est pas pour des prunes que la
commission a tenu soixante séances et
fait une enquête approfondie. Elle est
arrivée à une solution qu'elle juge la
meilleure et qui est la meilleure, parce
qu'elle ne résout rien. -
Ainsi il paraît établi qu un nombre
excessivement restreint de transportés
est susceptible de fonder une famille et
de faire souche d'honnêtes gens.
Qu'a fait la commission ?
Elle a préconisé l'internement.
Il paraît certain, d'autre part, que les
lieux de transportation entrevus n'offrent
pas toutes les chances de fortune et
toutes les conditions de bien-être qu'on se
plait à imaginer.
Qu'a fait la commission ?
Elle a supprimé l'envoi forcé aux colo-
nies.
L'internement est un isolateur qui
supprime tout péril au contact.
L'emballage du récidiviste pour les co-
lonies reste facultatif.
Rien n'oblige le gouvernement à pous-
ser l'expérience à l'extrême. Il pourra
pratiquer l'internement en Algérie, en
Corse, ou même sur le. continent fran-
çais
Vous voyez bien qu'en somme la meil-
leure solution est la solution mixte adop-
tée ar la commission.
!"'tè'"nè' sais si ces consolations ont eu
prise sur la sensibilité de M. Schœlcher.
Mais le rapporteur, M. de Verninac, qui
avait fait un travail colossal et conscien-
cieux, a paru quelque peu déconcerté
d'abord de voir de tels procédés de défense
appliqués au produit de ses veilles.
Il eût mieux aimé, je crois, la neutra-
lité que cette sympathie.
Cependant, avec flegme, il s'est étudié
à rétablir toutes les parties du gros œuvre
que M. Labiche avait malignement ébran-
lées.
M. Waldeck-Rousseau lui a prêté la
main et s'est employé à recaler les soubas-
sements endommagés, avec des piles de
citations et des colonnes de chiffres.
Le ministre de l'intérieur n'admet pas
le système de M. Emile Labiche, parce
que l'internement compris de la sorte
reviendrait à rétablissement de nou-
veaux bagnes. Il compte beaucoup sur la
transportation pour moraliser les récidi-
vistes, et sur les récidivistes pour mettre
en culture la Guyane française. On les
surveillera de façon à ne point donner
d'inquiétudes aux colons libres.
Quant à la question de dépenses, elle
doit être considérée comme secondaire.
La France est encore assez riche pour se
nettoyer.
Le but poursuivi par M. Waldeck-
Rousseau est le rétablissement des mots
« colonies et possessions lrançaises »
dans l'article Dremier.
Il voudrait A se faire forcer la main en
quelque sorte.
Nous verrons s'il y réussit.
La suite de la discussion a été renvoyée
à demain.
PAUL PELLEGRIN.
»
NOUVELLES DE CHI NB
LE DÉPART DU CONTRE-AMIRAL RIEUNIER
Le contre-amiral Rieunier, nommé com-
mandant de l'une des deux divisions de ies-
cadre de Chine, quittera Brest le 18 février
courant, à bord du Turenne.
Ce bâtiment, commandé par le capitaine
de vaisseau Dupuis, portera à son bord une
compagnie de - débarquement.
Ce renfort ne sera point inutile, car les
dernières nouvelles reçues de Formose indi-
quent, à n'en pouvoir douter, que de nom-
breux vides se sont produits dans le petit
corps de troupes mis à la disposition du
vice-amiral Courbet.
Le commandant en chef a même réclamé
l'envoi de renforts qui, très probablement,
lui seront envoyés d'urgence.
LE DROIT DES BELLIGÉRANTS
Le ministre de la marine communique la
note suivante :
« Une dépêche de l'agence Havas, reçue
de Hong-Kong le 5 février, porte un avis
publié dans les journaux français au sujet
du ravitaillement du corps expéditionnaire.
» Au premier abord, cette notification
paraît contraire au droit international et il
semble que les commandants français n'aient
pas le droit d'agir en belligérants puisque
la guerre n'est pas officiellement déclarée.
» Mais les Anglais nous considèrent comme
belligérants, bien que la guerre n'ait pas
été déclarée, puisque, dans une récente
notification, ils nous ont refusé du charbon.
Ils nous considèrent comme en état de guerre
de Singapore jusqu'au nord de la Chine. »
Nous lisions tout dernièrement le
compte rendu d'une Société coopé-
rative de consommation établie à Rou-
baix, qui, après avoir vendu à ses as-
sociés toutes les choses nécessaires à
la vie au-dessous du cours, leur avait
distribué au bout de l'année un joli
bénéfice; Le bénéfice était, si j'ai bonne
mémoire, de quarante pour cent des
achats faits.
Ne nous lassons point de démontrer,
par des exemples probants, cette vérité
qui entrera si malaisément dans la tête
de nos Français, qu'un des plus puis-
sants remèdes à la crise ouvrière est
dans la suppression des gains énormes
prélevés par des intermédiaires de
toute sorte, qui trafiquent entre le
producteur et le consommateur. Cette
suppression ne peut s'obtenir qu'au
moyen de l'association coopérative de
consommation.
Je reçois le compte rendu annuel pré-
senté le 1er janvier 1885 par le conseil
d'administration à l'assemblé générale
de LA BOULANGERIE COOPÉRATIVE fondée à
Blcneau (Yonne), au capital modeste de
2,400 francs.
Bléneau est une assez petite com-
mune, puisqu'elle ne compte que 2,112
habitants, dont 1,400 seulement habi-
tent le centre du bourg ; ajoutez qu'il y
existe quatre boulangeries non coopé-
ratives.
Les opérations de la boulangerie
coopérative sont donc forcément limi-
tées.
Je ne puis ni ne veux entrer dans le
détail de ces opérations que j'ai sous les
yeux. Mais je crois devoir donner quel-
ques-uns des résultats géuéraux, parce
qu'ils seront sans doute pour nos lec-
teurs matière à réflexion.
« Depuis la création de notre Société,
dit le rapporteur de 1884, nous avons
toujours vendu notre pain en moyenne
cinq centimes par kilogramme au-des-
sous des cours établis dans les commu-
nes voisines.
» Ainsi, pendant le premier semestre
de 1884, notre Société a vendu le pain
blanc de première qualité 0,29 c. le
kilog. et pendant le second semestre
0,26 c. le kilog. et actuellement 0,25c.
le kilog.
» Depuis l'ouverture de notre bou-
langerie (23 décembre 1873) jusqu'au
31 décembre 1884, nous avons vendu
930,164 kilog. 115 gr.
» Calculons avec une économie mi-
nimum de prix de 0,05 c. par kllog.,
soit une économie totale de 46,508 fr.
20 c. réalisée presque en entier par nos
sociétaires, sans compter ni les dividen-
des de cinq ou six pour cent qu'ils ont
reçus chaque année, ni le bénéfice so-
cial versé au fonds de réserve.
» C'est un résultat économique dont
nous devons tous être fiers. »
Eh oui 1 car ce fonds de réserve va
croissant chaque année. La boulange-
rie coopérative de Bléneau est proprié-
taire de son four, de sa boutique, de
tous ses engins de travail. -
Elle a même une petite somme pour
parera un cas imprévu.
Et ajoutez qu'en cette année 1884
elle a été obligée, car la crise a sévi là
comme ailleurs, à des sacrifices plus
grands qu'en aucun autre exercice.
Elle a donné rigoureusement le pain au
prix de revient.
Un détail m'a amusé dans ce compte
rendu.
Il paraît qu'à Bléneau, comme à Pa-
ris, la population ne veut pas de pain
bis. Il faut que le pain soit parfaitement
blanc. C'est un préjugé bizarre. Car le
pain bis, outre qu'à mon avis il est plus
savoureux, est aussi plus nutritif. Mais
il n'y a pas moyen d'en avoir à Paris
chez aucun boulanger. Les boulangers
vous répondent qu'ils n'en auraient pas
la vente.
La boulangerie coopérative de Blé-
neau a renoncé au pain bis.
Je souhaiterais que ce bon exemple
trouvât des imitateurs. Les boulangers
seraient moiasles bouchers
donc! Oh! ces gueux de bouchers 1 Si
l'on pouvait rabattre leur caquet ! Avoir
la viande à prix de revient ou à peu
peu près, quel rêve 1
Un rêve irréalisable 1 Un rêve im-
possible 1
FRANCISQUE SARCET.
——————— ——————.
M. DU SOMMERARD
M. du Sommerard, directeur du mu-
sée de Cluny, vient de mourir à l'âge
de soixante-sept ans. Il était membre de
l'Institut, vice-président de la Société
des monuments historiques ; depuis trois
années enfin, depuis la mort du baron
Taylor, il présidait l'Association fran-
çaise des artistes.
M. du Sommerard était le fils d'Alexan-
dre du Sommerard, le célèbre collec-
tionneur , le fondateur du musée de
Clunv. C'était le vœu d'Alexandre du
Sommerard que les collections si pa-
tiemment, si laborieusement assemblées,
et nous pourrions ajouter assemblées
avec tant de goût et d'intelligence, fus-
1 sent un jour acquises par 1 Etat. La fa"!"
mille n'était pas assez riche pour en faire
cadeau au pays; mais en 1843, après la
mort d'Alexandre du Sommerard, elle
n'hésita pas à les céder au gouverne-
ment de Louis-Philippe pour une somme
de deux cent mille francs, alors qu'elle
eût pu aisément trouver en Angleterre
un demi-million de ces collections.
Aujourd'hui, c'est à plusieurs millions
qu'elles devraient être estimées.
Chargé en 1843 d'acquérir le musée
de Cluny, M. du Sommerard en a été
le véritable fondateur. Pendant qua-
rante et un ans, il n'a cessé de lui don-
ner tous ses soins, d'y prodiguer son
activité. Il en a fait un musée plein de
richesses de tout genre. Deux chiffres
suffiront à donner la mesure des résul-
tats qui lui sont dus. En décembre
1852, l'inventaire comprenait 2,500 nu-
méros; vingt ans plus tard, quand le
catalogue 'a été refait, il a atteint
10,800 numéros. Bien d'autres musées,
à l'imitation du musée de Cluny, ont été
établis dans d'autres pays, et il en est
d'aussi riches, de plus riches même
peut-être ; mais ici encore c'est la
France qui a donné le bon
En ces dernières années, M. du Somme-
rard avait eu aussi une grande part
dans la fondation du musée du Troca"
déro.
C'était un organisateur en même
temps qu'un amateur éclairé et délicaU
De 1867 à 1878, il fut le commissaire
général de toutes nos Expositions. C'est
iui qui, en 1871, au moment même où
la guerre civile ajoutait chez nous ses
horreurs à l'humiliation de la défaite,
accepta d'aller organiser à Londres l'ex-
position française : avec quel succès;
les journaux d'alors l'ont dit. Ce fut lui
aussi, en 1873, qui à Vienne organisa
notre exposition, qui était si belle, si
brillante, si bien ordonnée, qui prouva
si bien à l'Europe étonnée que la France,
vaincue sur les champs de bataille, avait
gardé avec la supériorité de son goût
l'activité de son - industrie. A côté de
nous, nos vainqueurs firent là médiocre
fignre. C'est à Vienne, alors, que j'eus
l'honneur de connaître personnellement
Feuilleton du XIX* SIÈCLE
Du 8 Février 1885
; —
(18)
LA LUNE ROUSSE
XVII
L'INSTRUCTION
(suite)
- Â quoi donc servirait d'être bracon-
nier si l'on n'était pas à l'affût des nou-
velles, maître Yvon ?. As pas peur !.
c'est un gibier qui ne tient pas de place,
celui-là.
— Oui-dà! fit le père Kéradek, c'est
toujours du braconnage, mon gas.
— bans poudre ni fusil, monsieur le
garde.
7~ Il est de fait que vous devez en sa-
voir long, observa Nicole, depuis le temps
que vous courez le pays.
— Bah! on fait son métier, monsieur
le barbier; m'est avis que dans votre bou-
tique il s'en dégoise pas mal aussi, le
dimanche surtout.
— C'est égal, entre nous, c'est un fichu
métier, reprit le vieux garde, que celui
où l'on risque d'être pendu pour un che-
vreuil ou un sanglier. Pour mon compte,
je ne te veux pas de mal, mon garçon,
mais il m'est arrivé plus d'une fois de
désirer te voir à tous les diables.
— Merci du souhait, père Kéradek. Au
diable ou au bon Dieu, après tout, on n'y
va qu'une lois dans l'autre monde.
Reproduction et traduction interdites sans l'au-
torisation de l'auteur. S'adresser à la librairie
Pentu, Palais-Rnvau.
En attendant, il faut bien que cha-
cun vive comme il peut dans celui-ci. As
pas peur! sll m'advient par-ci par-là
d'avoir quelques vilains moments à pas-
ser, il y en a de bons aussi.
Songez donc ! ne jamais payer de loyer,
ne dépendre de personne, ne porter ni
livrée ni uniforme, ne rien faire de ce
qui vous déplaît, en un mot, être libre,
ça peut bien compter pour quelque
chose ! -", 1- - 1 9 - --.
— tlum ! etre linre. répéta ivon, en
regardant le gendarme assis près du bra-
connier.
— Comment! c'est toi que l'on vient
d'arrêter, Lemarec ? fit le juge qui ren-
trait à ce moment dans la salle.
— Vous le voyez, monsieur Merlet, ré-
pondit le braconnier sans se troubler.
— Ordre du parquet, appuya le gen-
darme qui présenta militairement au
juge un papier plié en quatre.
— Qu'est-ce que je lis? exclama M.
Merlet, en prenant connaissance de la
pièce officielle :
« Lemarec appréhendé comme assassin
de M. le comte. »
Le braconnier fit un soubresaut et
regarda tour à tour les personnes pré-
sentes ; mais il retrouva promptement
son assurance ordinaire.
— Il y a erreur, reprit le juge, puisque
le meurtrier s'est dénoncé lui-même.
- Alors je suis libre? s'écria Lemarec
rayonnant.
— Pas encore, mon ami ; M. le procu-
reur décidera. En attendant sa venue, je
dois procéder à votre interrogatoire.
XVIII
RÉVÉLATIONS
Le juge de paix et son greffier ayant
repris leurs places derrière le comptoir de
la grande salle, Yvon, Nicole, Kêradec et
le gendarme se groupèrent autour de la
vaste cheminée.
- Vos noms et prénorr.s? demanda le
juge au braconnier resté debout devant
lui.
— Fabien Lemarec.
— Votre âge?
— Quarante ans.
— Votre domicile?
— Ah! pour ça, c'est partout et nulle
part.
— Ne plaisantez pas, mon garçon.
— Je ne plaisante pas, monsieur le
juge. Je loge tantôt à un bout de la forêt,
tantôt à l'autre, et il m'arrive plus sou-
vent de dormir dans le creux d'un arbre,
à la belle étoile, que dans un lit.
— C'est-à-dire que vous êtes vaga-
bond ?
*— Ou braconnier, si vous préférez.
- L'un vaut l'autre ; mais ce n'est pas
pour ces méfaits que vous avez été arrêté
aujourd'hui. Malgré cela, pendant que
nous sommes sur ce chapitre, contez-moi
donc un peu par quelle suite d'événe-
ments vous avez été réduit Amener cette
vie d'aventure ?
— Bien volontiers, si ça peut vous in-
téresser, monsieur le juge.
En parlant, M. Merlet s'était approché
de la cheminée ; son greffier l'y suivit, et
chacun s'empressa de leur livrer passage.
— bi je vous demande de me conter
votre histoire, reprit le juge, ce n'est pas
pour faire acte de procédure, mon gar-
çon, car je ne vois pas jusqu'à présent
de charge contre vous : mais votre vie me
semble si extraordinaire que je m'inté-
resse à ce qui vous concerne.
— Monsieur le juge est bien bon.
répondit le braconnier embarrassé. S'il
ne s'agissait que de moi. je ne deman-
derais pas mieux que de le satisfaire.
Mais.
— Que crains-tu? Nous ne sommes
plus en séance, observa M. Merlet;
rressieurs, ce n'est qu'une simple cause-
rie autour du feu.
— Pour lors, as pas peur! fit Lema-
rec en s'approchant aussi de la chemi-
née, je profiterai de l'occasion pour vous
raconter certaines choses qui n'ont ja-
mais été bien éclaircies dans le pays.
- Oh r oh! est-ce qu'il s'agirait d'un
crime ? demandaie juge.
- De plusieurs crimes, monsieur Mer-
let.
— Ah ! ah i Alors pourquoi as-tu gardé
si longtemps le silence ?
— C'est que le moment de parler n'é-
tait pas venu.
— Il l'est donc maintenant?
— Peut-être bien, vous jugerez; seule-
ment l'histoire date de loin, et puis elle
sera longue.
- Nous avons bien une heure à nous;
raconte, mon garçon. Ce sera suffisant, je
pense.
— Il y a dix-neuf ans environ, com-
mença Lemarec au milieu d'un silence
que troublait seul le tic-tac monotone du
coucou. J'étais garçon d'écurie à la poste
de la source, à quatre lieues d'ici, de
l'autre côté de la montagne. Un jour,
une jeune dame tout en noir, tenant
deux jeunes enfants par la main, descen-
dit de la diligence de Nantes et vint de-
mander une voiture et des chevaux pour
se rendre au château de Kervanne.
Sur trois postillons, deux étaient ma-
lades, l'autre venait de partir ; la voya-
geuse paraissait pressée d'arriver ; elle
était attendue, disait-elle ; on me pro-
posa de les conduire.
J'avais vingt ans à peine ; j'en parais-
sais seize, mais j étais bien habitue aux
chevaux, cela suffisait.
C'était au mois de décembre, le 2, il
m'en souvient, en 1816. Il n'y avait pas
de neige comme aujourd'hui, mais le
vent était glacial, surtout en gravissant
les côtes, et elles ne manquaient pas ;
seulement la route était plus mauvaise
encore qu'elle ne l'est aujourd'hui.
Arrivés au pont du torrent,une bande
de bohémiens qui campait dans la
forêt nous barre le passage.
Un grand diable que je crois voir en-
core me crie :
— Arrête! ou tu es mort!
Puis il fait descendre la dame en noir,
et comme elle ne lui disait pas où se
trouvait certaine cassette contenant
sans doute les valeurs qu'il convoitait, il
la tua d'un coup de poignard.
Il se disposait à en faire autant des
deux pauvres petits innocents et de moi-
même, lorsque tout à coup la scène
changea.
Un vieillard à barbe blanche apparut.
Sur un signe de lui, les autres bohé-
miens se précipitent sur l'assassin, le gar-
rottent, le maintiennent à grand'peine,
car c'était un colosse.
Toute la bande se réunit alors en con-
seil, l'assassin est condamné à mort, exé-
cuté séance tenante, et son cadavre est
jeté dans le torrent.
Je tremblais comme la feuille, j'étais
plus mort que vif, au pied de l'arbre où
on m'avait attaché.
Le chef s'approcha de moi :
— Toi, me dit-il, tu vas nous suivre;
nous ne te rendrons la liberté qu'au mo-
ment de passer la frontière. Ne cherche
pas à t'échapper,ear tu ne ferais pas vingt
pas sans t'en repentir.
— Tout cela est horrible ! interrompit
le barbier.
— As pas peur!. çan est pas tout en-
core, reprit le braconnier.
— Vous dites que c'était en 1816? re-
marqua le juge devenu songeur.
— Oui, monsieur Merlet, et le deux dé-
cembre ; nous sommes en 1836 : ainsi
donc, hier, il y avait juste vingt ans.
- II y a là un mystère que je crains
d'approfondir. continua le juge de paix
en se parlant à lui-même. A celte épo-
que, le père de monsieur le comte étant
mort dans l'exil, on attendait sa jeune
femme, qu'il avait épousée à l'étranger.
Depuis, on n'en a jamais eu aucune nou-
velle.
— C'est vrai. Je me souviens de tout
cela, appuya Yvon, le veilleur, qui cher-
chait aussi à fixer ses souvenirs.
— Mais le corps de la dame en noir,
qu'en fit-on? demanda M. Merlet. On
ne le jeta pas dans le torrent, je sup-
pose?
- Oh! non, monsieur le juge! Les bo-
hémiens le portèrent dans une sorte de
caverne qui ouvrait sur le précipice, non
loin du pont de bois. Ils en bouchèrent
l'entrée avec un fragment de rocher,
qu'ils recouvrirent de broussailles et
d'épines.
— Près du torrent ? Pourrais-tu recon
naître encore l'endroit?
— Je crois bien, monsieur Merlet; en
dépit des ronces et des framboisiers sau-
vages qui ont poussé depuis parmi les
autres broussailles, as pas peur ! je vous
y conduirai tout droit.
— Quand M. le procureur sera arrivé,
nous lui parlerons de cette découverte
importante.
Mais, dis-moi, reprit le juge après
un silence, tu dois savoir quel était le
mobile de ces bohémiens en arrêtant la
voiture que tu conduisais. Le vol sans
doute ?
— Bien sûr ; mais il devait y avoir
autre chose. On a d'abord trouvé dans
les poches de l'assassin cinquante pièces
d'or. Mais, malgré les magnifiques pro
messes qu'il avait faites à ses compa-
gnons lorsqu'ils fouillèrent le coilre de
la voiture, ils n'y trouvèrent qu'une cas-
sette contenant des papiers de famille
écrits en français. Les valeurs avaient
disparu.
— De qui le misérable tenait-il cet or?
interrogea M. Merlet.
— Quelques instants avant le crime,
reprit Lemarec, les bohémiens se rappe-
lèrent avoir aperçu unhpmmequi, à leur
approche, cherchait à se dérober der-
rière les rochers et les buissons
Il était enveloppé dans un grand man-
teau, mais à son allure et à son parler
ils reconnurent aisément qu'il était jeune
et de noble extraction, — un fils de
quelque respectable famille des châteaux
environnants.
— Le coup aurait donc été fait à riDSli
gation d'un riche personnage ayant un
intérêt puissant à être débarrassé des
voyageurs ?. insinua le juge qui devint
inquiet, préoccupé et sembla ne plus
oser questionner le braconnier.
ALFRED SIRVKIT
iA suivre)
Prix du numéro à Paris 15 ccotimcs — Départements: 20 centims.
Dimanchs 8 Février 1885
REDACTION
S'adresser au Secrétaire de la Rédaction
de 2 heures à minuit
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Ï £$ Manuscrits non insérés ne seront pas rendus
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Actions Rio. 318 12.
PARIS, 7 FÉVRIER 1885
Un journal orléaniste de Caen, l'A-
venir du Calvados, publie un cu-
rieux article qui pourrait être intitulé :
« Philippe et sa cour. » Le prétendant
nous est d'abord représenté lui-même
absorbé, dans son château d'Eu, par
les soins d'une correspondance étendue,
« s'occupant des plus petits détails, an-
nulant de sa main la plupart des pièces
qui lui sont soumises, méthodique,
exact, scrupuleux ». Passons mainte-
nant aux personnages investis de fonc-
tions diverses, dont le comte de Paris
s'est entouré. Nous reproduisons ce pas-
sage de la feuille normande :
il a pour secrétaire un ancien avocat gé-
néral à la cour d'Aix, si nous ne nous trom-
pons, M. Camille Dupuy, démissionnaire à
l'occasion des décrets contre les congréga-
tions religieuses. D'autres secrétaires, mais
n'ayant pas tout à fait le même caractère
et ne résidant auprès de lui que les uns
après les autres, et pendant deux ou trois
semaines consécutives seulement, sont at-
tachés à sa personne : M. Emmanuel Bo-
cher, fils du sénateur ; le comte Othenin
d'Haussonville ; M. Auguste Boucher, rédac-
teur au Français ; M. Barthélemy Saint-
Marc Girardin, le comte de Chevigné, le
marquis de Beauvoir, le duc d Audiuret-Pas-
quier, etc. Ce sont, à proprement parler,
des chambellans portant le titre de secré-
taires ; ils font le service d'honneur auprès
du prince et l'aident dans sa correspon-
dance politique.
Le comte de Paris a un bureau de la
presse à Paris. M. Lambert de Sainte-Croix
est à la tête de ce bureau, qui ne compte
que trois employés : M. Auguste Boucher,
ci-dessus nommé; M. Adrien Maggiolo, et le
fils de M. Lambert, Alexandre. Ce bureau
est chargé d'entretenir des relations avec, la
presse parisienne, qui ne le voit guère, et
avec la presse de province; il fournit en
outre à celle-ci, deux correspondances au-
tographlees, l'une rédigée sous ses yeux par
M. Edouard Grimblot, l'autre, sous l'inspi-
ration de MM. Ferdinand Duval et Cornélis
de Witt. Disons enfin qu'il envoie au comte
de Paris les articles de journaux qu'il croit
devoir porter à sa connaissance ; il fait pour
lui le dépouillement de la presse.
Outre ses secrétaires et le bureau, le
comte de Paris a cinq missi dominici ; MM.
Eugène Dufeuille, ancien rédacteur du Fran-
çais; baron de Ravinel, ancien député des
Vosges; Porteu, du Chevallard et Pradel,
anciens préfets de la République, dont deux
au moins ont été préfets républicains.
Ces cinq missi dominici se sont partagé la
France en cinq régions, qu'ils inspectent; et
chacun fait sur sa région son rapport au
prince.
Le représentant officiel du comte de Paris,
le chef du parti monarchiste est M. Bocher.
Presque tous ces noms sont connus.
La plupart sont portés par des orléanis-
tes à la nouvelle mode, c'est-à-dire vio-
lemment tintés de cléricalisme. Quanta
MM. Auguste Boucher, Dufeuille et B.
Saint-Marc Girardin, ce sont d'anciens
rédacteursdu Français, collaboratioirqui
suffit à les caractériser. M. Maggiolo
passait pour le plus fougueux des ré-
dacteurs de Y Union, quand YUnion
existait. M. Grimblot, si nos souvenirs
sont exacts, a quelque temps appartenu
à la presse républicaine de Laon; mais,
soudainement converti, il a ensuite ap-
1 H - ''t; ..;
norte^ atnt iournaux monarchjstes de
province le concours de ses nouvelles
convictions et de son talent. A en ju-
ger par l'esprit qui l'anime, cette pe-
tite cour aurait mieux convenu au feu
ioi Charles X qu'au feu roi Louis-Phi-
lippe. Nous n'en sommes pas étonnés;
il y a beaux jours que le tils du duc
d'Orléans a déchiré le testament de son
père, et la composition de la cour d'Eu
répond exactement à la politique ac-
tuelle de M. le comte de Paris.
11 n'y a là de quoi surprendre per-
sonne. Ce qui ne nous surprend pas
non plus, mais ce qui mérite davantage
de fixer l'attention, c'est l'organisation
que l'Avenir du Calvados nous expose
avec tant de complaisance. Le comte
de Paris ne se contente point de s'en-
tourer à Eu de secrétaires-chambellans
pour l'aider dans sa vaste correspon-
dance ; il entretient, à Paris même, un
bureau de presse, et c'est ce bureau,
sans aucun doute, qui organise, entre
autres besognes, la propagande monar-
chique au moyen des images d'Epinal
et de ces jolis almanachs illustrés d'où
l'on a soigneusement banni, du reste,
l'histoire des 40 millions, la lettre à M.
Elsingre et d'autres documents ou faits
historiques aujourd'hui jugés compro-
mettants pour la bonne cause. Quant à
l'institution des cinq missi dominici
elle est admirable et nous donne une
haute idée du nouveau Charlemagne.
Remarquez enfin le rôle que remplit
l'honorable M. Bocher, représentant
« olhciel » du prince.
Tout ceci pourra fournir un jour d'in-
téressants traits de mœurs politiques à
M. Daudet, si ce fin romancier prépare
quelque pendant aux Rois en exil. Mais,
à un point de vue moins littéraire, il y
aurait lieu de se demander si tout cela
ne constituerait point aussi le crime de
complot contre la sûreté de l'Etat. Re-
marquez qu'il ne s'agit point ici de ce
qu'on appelle un délit d'opinion, délit
qui n'existerait pas à nos yeux, vu qu'il
doit être permis à chacun de penser
tout le bien possible de la monarchie,
tout le mal possible de la République,
et de le dire. Nous ne sommes en pré-
sence de rien de pareil, mais bien d'une
organisation très complète et assez ha-
bile, dont le but avéré est le renverse-
ment de la République au profit de M.
le comte de Paris et de ceux qui conspi-
rent sous sa direction. Cela est-il per-
mis ? cela doit-il être toléré sans que la
justice intervienne ? Si grands amis
que nous soyons de la liberté, nous ne le
croyons pas. Mais qu'est-ce que le gou-
vernement en pense ?
EUG. LIÉBERT.
LE PARLEMENT
COURRIER DU SENAT
Paris, 6 février i885.
Tout s'en va, les plaisirs et les mœurs d'un
autre âge 1
M. de Gavardie n'est plus drôle que par
sa prétention à rester sérieux. Il vous
débite des trois heures de discours avec
suspension de séance au milieu, sans
accrocher le plus pauvre petit rappel à
l'ordre.
Tout s'en va!
La loi sur les récidivistes déplaît à M.
de Gavardie, et plutôt que de l'attaquer
par argumentation juridique, préférant la
déshonorer dans ses origines, il raconte
l'historiette suivante:
Vous vous souvenez que M. Gambettà
fut un soir fort malmené dans une réu-
nion publique électorale à Ménilmon-
tant. En sa mauvaise humeur, il traita
les citoyens électeurs d'ilotes et d'ivro-
gnes, et leur promit d'aller les relancer
jusqu'au fond de leurs repaires !.
if fallait accomplir les menaces du
maître. Un élève s'en est chargé ; comme,
en dehors du Parlement, il est de sa
profession avocat, il n'a pas craint de
bouleverser de fond en comble l'écono-
mie de notre législation pénale.
De là est née la loi sur les récidivistes.
Eh bien ! malgré les rigueurs insolites
dont elle fait étalage, elle ne servira de
rien. Pour jouir de la sécurité, il faut
avoir un gouvernement fort ; et pour
avoir un gouvernement fort, il faut pos-
séder la monarchie.
C. Q. F. D.:
La vraie discussion ne commence qu'à
l'apparition de M. Schœlcher.
De l'article premier, édictant la reléga-
tion et l'internement des récidivistes, la
commission a fait disparaître entre les
deux lectures, non seulement toute dési-
gnation de lieu, mais jusqu'aux mots de
« colonies et possessions françaises M,
qui lui paraissaient contenir une indica-
tion trop impérative.
M. Schœlcher fait ressortir cette sup-
pression et s'efforce d'en tirer parti pour
mettre au pied du mur le ministre de
l'intérieur, qui, dans ses déclarations
d'hier, manifestait une tendance non
équivoque à user de sa liberté d'option
— laissée intacte par le projet — pour
diriger sur nos possessions d'outre-mer
le courant de cette émigration forcée.
M. Schœlcher emploie toutes les raisons
et tous les prétextes pour détourner des
colonies qu'il aime, cette avalanche d'ef-
fondrilles sociales. C'est la Guyane qui
court apparemment le plus de risques.
Il ne craint pas, pour la sauver, de la dé-
peindre comme un séjour oestilentifil et
mortel; il s'attendrit sur la santé des re-
légués, dont il se soucie, je pense, comme
de nègres blancs 1
Le cri du cœur n'échappe qu'à la fin :
«Les vœux des habitants de la Guyane doi-
ventbien être comptés pour quelque chose!
Ils protestent avec la plus grande indi-
gnation contre une loi qui constitue pour
eux un péril matériel et social et que la
métropole ne saurait édicter sans un
abus monstrueux de sa force ! »
— Ne vous mettez donc pas en peine !
souffle gentiment M. Emile Labiche au
vieil émancipateur des esclaves.
Ce n'est pas pour des prunes que la
commission a tenu soixante séances et
fait une enquête approfondie. Elle est
arrivée à une solution qu'elle juge la
meilleure et qui est la meilleure, parce
qu'elle ne résout rien. -
Ainsi il paraît établi qu un nombre
excessivement restreint de transportés
est susceptible de fonder une famille et
de faire souche d'honnêtes gens.
Qu'a fait la commission ?
Elle a préconisé l'internement.
Il paraît certain, d'autre part, que les
lieux de transportation entrevus n'offrent
pas toutes les chances de fortune et
toutes les conditions de bien-être qu'on se
plait à imaginer.
Qu'a fait la commission ?
Elle a supprimé l'envoi forcé aux colo-
nies.
L'internement est un isolateur qui
supprime tout péril au contact.
L'emballage du récidiviste pour les co-
lonies reste facultatif.
Rien n'oblige le gouvernement à pous-
ser l'expérience à l'extrême. Il pourra
pratiquer l'internement en Algérie, en
Corse, ou même sur le. continent fran-
çais
Vous voyez bien qu'en somme la meil-
leure solution est la solution mixte adop-
tée ar la commission.
!"'tè'"nè' sais si ces consolations ont eu
prise sur la sensibilité de M. Schœlcher.
Mais le rapporteur, M. de Verninac, qui
avait fait un travail colossal et conscien-
cieux, a paru quelque peu déconcerté
d'abord de voir de tels procédés de défense
appliqués au produit de ses veilles.
Il eût mieux aimé, je crois, la neutra-
lité que cette sympathie.
Cependant, avec flegme, il s'est étudié
à rétablir toutes les parties du gros œuvre
que M. Labiche avait malignement ébran-
lées.
M. Waldeck-Rousseau lui a prêté la
main et s'est employé à recaler les soubas-
sements endommagés, avec des piles de
citations et des colonnes de chiffres.
Le ministre de l'intérieur n'admet pas
le système de M. Emile Labiche, parce
que l'internement compris de la sorte
reviendrait à rétablissement de nou-
veaux bagnes. Il compte beaucoup sur la
transportation pour moraliser les récidi-
vistes, et sur les récidivistes pour mettre
en culture la Guyane française. On les
surveillera de façon à ne point donner
d'inquiétudes aux colons libres.
Quant à la question de dépenses, elle
doit être considérée comme secondaire.
La France est encore assez riche pour se
nettoyer.
Le but poursuivi par M. Waldeck-
Rousseau est le rétablissement des mots
« colonies et possessions lrançaises »
dans l'article Dremier.
Il voudrait A se faire forcer la main en
quelque sorte.
Nous verrons s'il y réussit.
La suite de la discussion a été renvoyée
à demain.
PAUL PELLEGRIN.
»
NOUVELLES DE CHI NB
LE DÉPART DU CONTRE-AMIRAL RIEUNIER
Le contre-amiral Rieunier, nommé com-
mandant de l'une des deux divisions de ies-
cadre de Chine, quittera Brest le 18 février
courant, à bord du Turenne.
Ce bâtiment, commandé par le capitaine
de vaisseau Dupuis, portera à son bord une
compagnie de - débarquement.
Ce renfort ne sera point inutile, car les
dernières nouvelles reçues de Formose indi-
quent, à n'en pouvoir douter, que de nom-
breux vides se sont produits dans le petit
corps de troupes mis à la disposition du
vice-amiral Courbet.
Le commandant en chef a même réclamé
l'envoi de renforts qui, très probablement,
lui seront envoyés d'urgence.
LE DROIT DES BELLIGÉRANTS
Le ministre de la marine communique la
note suivante :
« Une dépêche de l'agence Havas, reçue
de Hong-Kong le 5 février, porte un avis
publié dans les journaux français au sujet
du ravitaillement du corps expéditionnaire.
» Au premier abord, cette notification
paraît contraire au droit international et il
semble que les commandants français n'aient
pas le droit d'agir en belligérants puisque
la guerre n'est pas officiellement déclarée.
» Mais les Anglais nous considèrent comme
belligérants, bien que la guerre n'ait pas
été déclarée, puisque, dans une récente
notification, ils nous ont refusé du charbon.
Ils nous considèrent comme en état de guerre
de Singapore jusqu'au nord de la Chine. »
Nous lisions tout dernièrement le
compte rendu d'une Société coopé-
rative de consommation établie à Rou-
baix, qui, après avoir vendu à ses as-
sociés toutes les choses nécessaires à
la vie au-dessous du cours, leur avait
distribué au bout de l'année un joli
bénéfice; Le bénéfice était, si j'ai bonne
mémoire, de quarante pour cent des
achats faits.
Ne nous lassons point de démontrer,
par des exemples probants, cette vérité
qui entrera si malaisément dans la tête
de nos Français, qu'un des plus puis-
sants remèdes à la crise ouvrière est
dans la suppression des gains énormes
prélevés par des intermédiaires de
toute sorte, qui trafiquent entre le
producteur et le consommateur. Cette
suppression ne peut s'obtenir qu'au
moyen de l'association coopérative de
consommation.
Je reçois le compte rendu annuel pré-
senté le 1er janvier 1885 par le conseil
d'administration à l'assemblé générale
de LA BOULANGERIE COOPÉRATIVE fondée à
Blcneau (Yonne), au capital modeste de
2,400 francs.
Bléneau est une assez petite com-
mune, puisqu'elle ne compte que 2,112
habitants, dont 1,400 seulement habi-
tent le centre du bourg ; ajoutez qu'il y
existe quatre boulangeries non coopé-
ratives.
Les opérations de la boulangerie
coopérative sont donc forcément limi-
tées.
Je ne puis ni ne veux entrer dans le
détail de ces opérations que j'ai sous les
yeux. Mais je crois devoir donner quel-
ques-uns des résultats géuéraux, parce
qu'ils seront sans doute pour nos lec-
teurs matière à réflexion.
« Depuis la création de notre Société,
dit le rapporteur de 1884, nous avons
toujours vendu notre pain en moyenne
cinq centimes par kilogramme au-des-
sous des cours établis dans les commu-
nes voisines.
» Ainsi, pendant le premier semestre
de 1884, notre Société a vendu le pain
blanc de première qualité 0,29 c. le
kilog. et pendant le second semestre
0,26 c. le kilog. et actuellement 0,25c.
le kilog.
» Depuis l'ouverture de notre bou-
langerie (23 décembre 1873) jusqu'au
31 décembre 1884, nous avons vendu
930,164 kilog. 115 gr.
» Calculons avec une économie mi-
nimum de prix de 0,05 c. par kllog.,
soit une économie totale de 46,508 fr.
20 c. réalisée presque en entier par nos
sociétaires, sans compter ni les dividen-
des de cinq ou six pour cent qu'ils ont
reçus chaque année, ni le bénéfice so-
cial versé au fonds de réserve.
» C'est un résultat économique dont
nous devons tous être fiers. »
Eh oui 1 car ce fonds de réserve va
croissant chaque année. La boulange-
rie coopérative de Bléneau est proprié-
taire de son four, de sa boutique, de
tous ses engins de travail. -
Elle a même une petite somme pour
parera un cas imprévu.
Et ajoutez qu'en cette année 1884
elle a été obligée, car la crise a sévi là
comme ailleurs, à des sacrifices plus
grands qu'en aucun autre exercice.
Elle a donné rigoureusement le pain au
prix de revient.
Un détail m'a amusé dans ce compte
rendu.
Il paraît qu'à Bléneau, comme à Pa-
ris, la population ne veut pas de pain
bis. Il faut que le pain soit parfaitement
blanc. C'est un préjugé bizarre. Car le
pain bis, outre qu'à mon avis il est plus
savoureux, est aussi plus nutritif. Mais
il n'y a pas moyen d'en avoir à Paris
chez aucun boulanger. Les boulangers
vous répondent qu'ils n'en auraient pas
la vente.
La boulangerie coopérative de Blé-
neau a renoncé au pain bis.
Je souhaiterais que ce bon exemple
trouvât des imitateurs. Les boulangers
seraient moiasles bouchers
donc! Oh! ces gueux de bouchers 1 Si
l'on pouvait rabattre leur caquet ! Avoir
la viande à prix de revient ou à peu
peu près, quel rêve 1
Un rêve irréalisable 1 Un rêve im-
possible 1
FRANCISQUE SARCET.
——————— ——————.
M. DU SOMMERARD
M. du Sommerard, directeur du mu-
sée de Cluny, vient de mourir à l'âge
de soixante-sept ans. Il était membre de
l'Institut, vice-président de la Société
des monuments historiques ; depuis trois
années enfin, depuis la mort du baron
Taylor, il présidait l'Association fran-
çaise des artistes.
M. du Sommerard était le fils d'Alexan-
dre du Sommerard, le célèbre collec-
tionneur , le fondateur du musée de
Clunv. C'était le vœu d'Alexandre du
Sommerard que les collections si pa-
tiemment, si laborieusement assemblées,
et nous pourrions ajouter assemblées
avec tant de goût et d'intelligence, fus-
1 sent un jour acquises par 1 Etat. La fa"!"
mille n'était pas assez riche pour en faire
cadeau au pays; mais en 1843, après la
mort d'Alexandre du Sommerard, elle
n'hésita pas à les céder au gouverne-
ment de Louis-Philippe pour une somme
de deux cent mille francs, alors qu'elle
eût pu aisément trouver en Angleterre
un demi-million de ces collections.
Aujourd'hui, c'est à plusieurs millions
qu'elles devraient être estimées.
Chargé en 1843 d'acquérir le musée
de Cluny, M. du Sommerard en a été
le véritable fondateur. Pendant qua-
rante et un ans, il n'a cessé de lui don-
ner tous ses soins, d'y prodiguer son
activité. Il en a fait un musée plein de
richesses de tout genre. Deux chiffres
suffiront à donner la mesure des résul-
tats qui lui sont dus. En décembre
1852, l'inventaire comprenait 2,500 nu-
méros; vingt ans plus tard, quand le
catalogue 'a été refait, il a atteint
10,800 numéros. Bien d'autres musées,
à l'imitation du musée de Cluny, ont été
établis dans d'autres pays, et il en est
d'aussi riches, de plus riches même
peut-être ; mais ici encore c'est la
France qui a donné le bon
En ces dernières années, M. du Somme-
rard avait eu aussi une grande part
dans la fondation du musée du Troca"
déro.
C'était un organisateur en même
temps qu'un amateur éclairé et délicaU
De 1867 à 1878, il fut le commissaire
général de toutes nos Expositions. C'est
iui qui, en 1871, au moment même où
la guerre civile ajoutait chez nous ses
horreurs à l'humiliation de la défaite,
accepta d'aller organiser à Londres l'ex-
position française : avec quel succès;
les journaux d'alors l'ont dit. Ce fut lui
aussi, en 1873, qui à Vienne organisa
notre exposition, qui était si belle, si
brillante, si bien ordonnée, qui prouva
si bien à l'Europe étonnée que la France,
vaincue sur les champs de bataille, avait
gardé avec la supériorité de son goût
l'activité de son - industrie. A côté de
nous, nos vainqueurs firent là médiocre
fignre. C'est à Vienne, alors, que j'eus
l'honneur de connaître personnellement
Feuilleton du XIX* SIÈCLE
Du 8 Février 1885
; —
(18)
LA LUNE ROUSSE
XVII
L'INSTRUCTION
(suite)
- Â quoi donc servirait d'être bracon-
nier si l'on n'était pas à l'affût des nou-
velles, maître Yvon ?. As pas peur !.
c'est un gibier qui ne tient pas de place,
celui-là.
— Oui-dà! fit le père Kéradek, c'est
toujours du braconnage, mon gas.
— bans poudre ni fusil, monsieur le
garde.
7~ Il est de fait que vous devez en sa-
voir long, observa Nicole, depuis le temps
que vous courez le pays.
— Bah! on fait son métier, monsieur
le barbier; m'est avis que dans votre bou-
tique il s'en dégoise pas mal aussi, le
dimanche surtout.
— C'est égal, entre nous, c'est un fichu
métier, reprit le vieux garde, que celui
où l'on risque d'être pendu pour un che-
vreuil ou un sanglier. Pour mon compte,
je ne te veux pas de mal, mon garçon,
mais il m'est arrivé plus d'une fois de
désirer te voir à tous les diables.
— Merci du souhait, père Kéradek. Au
diable ou au bon Dieu, après tout, on n'y
va qu'une lois dans l'autre monde.
Reproduction et traduction interdites sans l'au-
torisation de l'auteur. S'adresser à la librairie
Pentu, Palais-Rnvau.
En attendant, il faut bien que cha-
cun vive comme il peut dans celui-ci. As
pas peur! sll m'advient par-ci par-là
d'avoir quelques vilains moments à pas-
ser, il y en a de bons aussi.
Songez donc ! ne jamais payer de loyer,
ne dépendre de personne, ne porter ni
livrée ni uniforme, ne rien faire de ce
qui vous déplaît, en un mot, être libre,
ça peut bien compter pour quelque
chose ! -", 1- - 1 9 - --.
— tlum ! etre linre. répéta ivon, en
regardant le gendarme assis près du bra-
connier.
— Comment! c'est toi que l'on vient
d'arrêter, Lemarec ? fit le juge qui ren-
trait à ce moment dans la salle.
— Vous le voyez, monsieur Merlet, ré-
pondit le braconnier sans se troubler.
— Ordre du parquet, appuya le gen-
darme qui présenta militairement au
juge un papier plié en quatre.
— Qu'est-ce que je lis? exclama M.
Merlet, en prenant connaissance de la
pièce officielle :
« Lemarec appréhendé comme assassin
de M. le comte. »
Le braconnier fit un soubresaut et
regarda tour à tour les personnes pré-
sentes ; mais il retrouva promptement
son assurance ordinaire.
— Il y a erreur, reprit le juge, puisque
le meurtrier s'est dénoncé lui-même.
- Alors je suis libre? s'écria Lemarec
rayonnant.
— Pas encore, mon ami ; M. le procu-
reur décidera. En attendant sa venue, je
dois procéder à votre interrogatoire.
XVIII
RÉVÉLATIONS
Le juge de paix et son greffier ayant
repris leurs places derrière le comptoir de
la grande salle, Yvon, Nicole, Kêradec et
le gendarme se groupèrent autour de la
vaste cheminée.
- Vos noms et prénorr.s? demanda le
juge au braconnier resté debout devant
lui.
— Fabien Lemarec.
— Votre âge?
— Quarante ans.
— Votre domicile?
— Ah! pour ça, c'est partout et nulle
part.
— Ne plaisantez pas, mon garçon.
— Je ne plaisante pas, monsieur le
juge. Je loge tantôt à un bout de la forêt,
tantôt à l'autre, et il m'arrive plus sou-
vent de dormir dans le creux d'un arbre,
à la belle étoile, que dans un lit.
— C'est-à-dire que vous êtes vaga-
bond ?
*— Ou braconnier, si vous préférez.
- L'un vaut l'autre ; mais ce n'est pas
pour ces méfaits que vous avez été arrêté
aujourd'hui. Malgré cela, pendant que
nous sommes sur ce chapitre, contez-moi
donc un peu par quelle suite d'événe-
ments vous avez été réduit Amener cette
vie d'aventure ?
— Bien volontiers, si ça peut vous in-
téresser, monsieur le juge.
En parlant, M. Merlet s'était approché
de la cheminée ; son greffier l'y suivit, et
chacun s'empressa de leur livrer passage.
— bi je vous demande de me conter
votre histoire, reprit le juge, ce n'est pas
pour faire acte de procédure, mon gar-
çon, car je ne vois pas jusqu'à présent
de charge contre vous : mais votre vie me
semble si extraordinaire que je m'inté-
resse à ce qui vous concerne.
— Monsieur le juge est bien bon.
répondit le braconnier embarrassé. S'il
ne s'agissait que de moi. je ne deman-
derais pas mieux que de le satisfaire.
Mais.
— Que crains-tu? Nous ne sommes
plus en séance, observa M. Merlet;
rressieurs, ce n'est qu'une simple cause-
rie autour du feu.
— Pour lors, as pas peur! fit Lema-
rec en s'approchant aussi de la chemi-
née, je profiterai de l'occasion pour vous
raconter certaines choses qui n'ont ja-
mais été bien éclaircies dans le pays.
- Oh r oh! est-ce qu'il s'agirait d'un
crime ? demandaie juge.
- De plusieurs crimes, monsieur Mer-
let.
— Ah ! ah i Alors pourquoi as-tu gardé
si longtemps le silence ?
— C'est que le moment de parler n'é-
tait pas venu.
— Il l'est donc maintenant?
— Peut-être bien, vous jugerez; seule-
ment l'histoire date de loin, et puis elle
sera longue.
- Nous avons bien une heure à nous;
raconte, mon garçon. Ce sera suffisant, je
pense.
— Il y a dix-neuf ans environ, com-
mença Lemarec au milieu d'un silence
que troublait seul le tic-tac monotone du
coucou. J'étais garçon d'écurie à la poste
de la source, à quatre lieues d'ici, de
l'autre côté de la montagne. Un jour,
une jeune dame tout en noir, tenant
deux jeunes enfants par la main, descen-
dit de la diligence de Nantes et vint de-
mander une voiture et des chevaux pour
se rendre au château de Kervanne.
Sur trois postillons, deux étaient ma-
lades, l'autre venait de partir ; la voya-
geuse paraissait pressée d'arriver ; elle
était attendue, disait-elle ; on me pro-
posa de les conduire.
J'avais vingt ans à peine ; j'en parais-
sais seize, mais j étais bien habitue aux
chevaux, cela suffisait.
C'était au mois de décembre, le 2, il
m'en souvient, en 1816. Il n'y avait pas
de neige comme aujourd'hui, mais le
vent était glacial, surtout en gravissant
les côtes, et elles ne manquaient pas ;
seulement la route était plus mauvaise
encore qu'elle ne l'est aujourd'hui.
Arrivés au pont du torrent,une bande
de bohémiens qui campait dans la
forêt nous barre le passage.
Un grand diable que je crois voir en-
core me crie :
— Arrête! ou tu es mort!
Puis il fait descendre la dame en noir,
et comme elle ne lui disait pas où se
trouvait certaine cassette contenant
sans doute les valeurs qu'il convoitait, il
la tua d'un coup de poignard.
Il se disposait à en faire autant des
deux pauvres petits innocents et de moi-
même, lorsque tout à coup la scène
changea.
Un vieillard à barbe blanche apparut.
Sur un signe de lui, les autres bohé-
miens se précipitent sur l'assassin, le gar-
rottent, le maintiennent à grand'peine,
car c'était un colosse.
Toute la bande se réunit alors en con-
seil, l'assassin est condamné à mort, exé-
cuté séance tenante, et son cadavre est
jeté dans le torrent.
Je tremblais comme la feuille, j'étais
plus mort que vif, au pied de l'arbre où
on m'avait attaché.
Le chef s'approcha de moi :
— Toi, me dit-il, tu vas nous suivre;
nous ne te rendrons la liberté qu'au mo-
ment de passer la frontière. Ne cherche
pas à t'échapper,ear tu ne ferais pas vingt
pas sans t'en repentir.
— Tout cela est horrible ! interrompit
le barbier.
— As pas peur!. çan est pas tout en-
core, reprit le braconnier.
— Vous dites que c'était en 1816? re-
marqua le juge devenu songeur.
— Oui, monsieur Merlet, et le deux dé-
cembre ; nous sommes en 1836 : ainsi
donc, hier, il y avait juste vingt ans.
- II y a là un mystère que je crains
d'approfondir. continua le juge de paix
en se parlant à lui-même. A celte épo-
que, le père de monsieur le comte étant
mort dans l'exil, on attendait sa jeune
femme, qu'il avait épousée à l'étranger.
Depuis, on n'en a jamais eu aucune nou-
velle.
— C'est vrai. Je me souviens de tout
cela, appuya Yvon, le veilleur, qui cher-
chait aussi à fixer ses souvenirs.
— Mais le corps de la dame en noir,
qu'en fit-on? demanda M. Merlet. On
ne le jeta pas dans le torrent, je sup-
pose?
- Oh! non, monsieur le juge! Les bo-
hémiens le portèrent dans une sorte de
caverne qui ouvrait sur le précipice, non
loin du pont de bois. Ils en bouchèrent
l'entrée avec un fragment de rocher,
qu'ils recouvrirent de broussailles et
d'épines.
— Près du torrent ? Pourrais-tu recon
naître encore l'endroit?
— Je crois bien, monsieur Merlet; en
dépit des ronces et des framboisiers sau-
vages qui ont poussé depuis parmi les
autres broussailles, as pas peur ! je vous
y conduirai tout droit.
— Quand M. le procureur sera arrivé,
nous lui parlerons de cette découverte
importante.
Mais, dis-moi, reprit le juge après
un silence, tu dois savoir quel était le
mobile de ces bohémiens en arrêtant la
voiture que tu conduisais. Le vol sans
doute ?
— Bien sûr ; mais il devait y avoir
autre chose. On a d'abord trouvé dans
les poches de l'assassin cinquante pièces
d'or. Mais, malgré les magnifiques pro
messes qu'il avait faites à ses compa-
gnons lorsqu'ils fouillèrent le coilre de
la voiture, ils n'y trouvèrent qu'une cas-
sette contenant des papiers de famille
écrits en français. Les valeurs avaient
disparu.
— De qui le misérable tenait-il cet or?
interrogea M. Merlet.
— Quelques instants avant le crime,
reprit Lemarec, les bohémiens se rappe-
lèrent avoir aperçu unhpmmequi, à leur
approche, cherchait à se dérober der-
rière les rochers et les buissons
Il était enveloppé dans un grand man-
teau, mais à son allure et à son parler
ils reconnurent aisément qu'il était jeune
et de noble extraction, — un fils de
quelque respectable famille des châteaux
environnants.
— Le coup aurait donc été fait à riDSli
gation d'un riche personnage ayant un
intérêt puissant à être débarrassé des
voyageurs ?. insinua le juge qui devint
inquiet, préoccupé et sembla ne plus
oser questionner le braconnier.
ALFRED SIRVKIT
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