Titre : Le XIXe siècle : journal quotidien politique et littéraire / directeur-rédacteur en chef : Gustave Chadeuil
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1885-02-07
Contributeur : Chadeuil, Gustave (1821-1896). Directeur de publication
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Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
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Description : 07 février 1885 07 février 1885
Description : 1885/02/07 (A15,N4780). 1885/02/07 (A15,N4780).
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k75612342
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-199
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 09/04/2013
Quinzième annee. ::'AB-N° 4780
Prix du numéro à Paris 15 centimes — Départements: 20 centimes
Samedi 7 Février 1885
REDACTION
) S'adresser au Secrétaire de la Rédaction
de 2 heures à minuit
f16. :ru.e Cadet, 16 ,
s Manuscrits non insérés ne seront pas rendus
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JOURNAL RÉPUBLICAIN CONSERYATEUË
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Les Lettres non affranchies seront refuséel"
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Extérieure.,.; 61 iili6, 3i4, 11x16.
PARIS, 1 FÉVRIER 1885
Hier, la Chambre a statué d'urgence
sur le projet de résolution et sur la
proposition de loi qui lui étaient appor-
tés par M. Tony Révillon, au nom du
'groupe de l'Extrême Gauche. Elle a bien
[lait, car, lorsque de semblables ques-
tions sont posées, ce qu'il y a de mieux
01 de les régler promptement.
* Le projet de résolution a été voté ;
rron sait qu'il consistait à prier le gou-
vernement de hâter autant que possible
«'exécution des travaux publics autori-
sés pour 1885. Comme on l'a déjà fait
remarquer ici même, la résolution était
jpeut-être superflue. Mais enfin son vote
]a )entraîne point d'inconvénients sé-
rieux.
i Quant à la proposition de loi, elle
: consistait à répartir un secours de
<25 millions entre les ouvriers des villes
tqui souffrent de la crise industrielle.
(Répartition difficile, pour ne pas dire
impossible, si on voulait y procéder
iéquitablement. Et puis, quand les 25
(millions seraient répartis et dévorés,
p our ainsi dire, en un clin d'œil, qu'ar-
: riverait-il? Quel réel soulagement cette
tistriution d'aumônes apporterait-elle à
lia crise? Et enfin, si l'on accordait
[25 millions aux ouvriers des villes, que
répondrait-on aux ouvriers ruraux, si
ceux-ci réclamaient un secours propor-
tionnel, par l'excellente raison que la
misère sous un toit de chaume n'est
jpas moins douloureuse que dans un
'garni ?
Nous ne saurions rien ajouter, d'ail-
leurs, aux considérations si sages que
notre collaborateur M. Bigot a déjà pré-
sentées sur ce sujet. Et ce sont juste-
ment ces mêmes considérations que
'divers orateurs ont développées devant
la Chambre. Ne s'offraient-elles point
;spontanément, pour ainsi dire, à tous
îles esprits soucieux de vérité, d'équité
, jet de prévoyance ? La Chambre a donc
refusé d'ouvrir ce crédit de 25 millions
pour une œuvre de prétendue charité
qui aurait créé le précédent le plus
dangereux. Si l'on entrait dans cette
,voie, on arriverait peu à peu, et plus
\rapidement qu'on ne croit peut-être, à
inscrire au budget ordinaire de chaque
tannée un crédit toujours grossissant
[pour subvenir aux besoins de tous les
Français qui n'ont point de rentes. Gar
rdons-nous de ce genre de socialisme
(d'Etat 1 Si l'on voulait faire du socia-
lisme d'Etat, il n'y aurait, nous semble-
It-n, à établir qu'une seule institution
[efficace et qui ne sentît point trop l'u-
jtopie ; ce serait l'assurance obligatoire.
[Encore ne répondrions-nous pas trop
'des résultats. x
Quant au crédit demandé par M. Tony
Révillon, si le Trésor public ne redou-
tait point une saignée de 25 millions
[dans cc moment-ci, on aurait pu le vo-
Iter en l'appliquant à un tout autre objet
iqu'à l'objet visé par l'honorable député
1..1l, i , - i-'' ,,
de î'Éiifuche. Nous voudrions
bien, si l'on croyait pouvoir disposer de
25 millions, que Ion s en servît pour
favoriser l'émigration aux colonies
françaises. Voilà une dépense que nous
ne regretterions ni au point de vue
social, ni au point de vue économique,
ni au point de vue politique, car elle
ne serait certes pas improductive.
Hâtons-nous d'ajouter que, malheureu-
sement, il n'en est pas question dans
ce moment-ci. Mais c'est une indication
que nous donnons et que nous donne-
rons sans cesse, dans l'espoir qu'un
jour elle attirera l'attention du législa-
teur.
EUG. LIÉBERT.
nngii» , i.»
SOUSCRIPTION
AU
Monument de M. Edmond About
(Cinquième liste)
Emmanuel Arène. député.t 100 »
Mlle Emilie Arène - 100 »
Poydenot, à Hyères. 50 »
Platiau, à Boulogne-sur-Mer.. 10 »
Marcel Manceau, à Rennes. 10 »
Félix Naquet. 100 »
Chassin, directeur du Hammam 10 »
Dalmbert, caissier - 5 »
Driot, chef du personnel - 2 50
Personnel du Hammam. 2 50
Jules Lemaître. 5 »
Pierre Petit 20 »
A. Ba 5 »
Pecadille. 1 »
P. Grimaud, administrateur de
la Caisse d'épargne de Paris.., > 40 »
Le personnel du XIX0 Siècle.", 100 »
F. Dommartin$• 25 »
F. Dommartin 25 »
E. Sauvage. ^<.y&?y 50 »
Dr Cahen 5 »
Ch. Biaise 3 »
Bischoffsheim, sénateur..100 »
J. Maillard 50 ÏJ
E. Lisbonne.-''>:.::!:' 10 »
De Pompéry.vv.ïv.- 20 »
Jean Le Baron, instituteur, .v 5 »
F. Barrat, conseiller municipal
à Beauvais. 10 »
L. Gérome, membre de l'institut 100 »
..-----
Total..• • Y939 »
Total des 4 premières listes.. 9.257 60
10.196 60
LE PARLEMENT
COURRIER DE LA CHAMBRE
Paris, 5 février 1885.
La séance d'aujourd'hui, nous l'avons
retracée il y a deux mois environ. C'est
sans doute ce qui nous enlève tout en-
train.
La seule différence qui existe entre les
deux journées, c'est qu'alors M. Tony
Révillon se contentait de deux millions,
ce nous semble, à distribuer entre les
ouvriers parisiens et que, cette fois, il en
réclame vingt-cinq à répartir entre les
ouvriers de toutes les villes où le chô-
mage fait des victimes. En outre, à cette
première proposition est annexée une ré-
solution invitant le gouvernement à faire
commencer partout, sans retard, les tra-
vaux pour lesquels des crédits sont votés,
— ce qui dénote d'excellentes intentions,
mais est tout à fail anodin.
Nous ne connaissons pas de sujet qui
prête moins que celui-là aux écarts de la
gaieté. D'autre part, quand il a été traité
une fois, il n'en est pas qui exclue plus
que lui la variété.
Ici, le lamentable tableau de la misère,
avec son cortège d'apitoiements très lé-
gitimes ; là, le prudent raisonnement de
l'homme de gouvernement qui refuse de
verser dans le socialisme d'Etat en sub-
venant à l'existence d'une catégorie de
citoyens.
M. Tony Révillon, le demandeur, tâche
de ne point se laisser entraîner à l'em-
phase;. M. le ministre de l'intérieur se
montre, dans son refus, aussi net, aussi
carré, que par le passé.
L'intérêt de l'ailaire est que le débat
se trouve provoqué par une démarche
quelque peu comminatoire de soi-disant
délégués ouvriers auprès du groupe ce
l'Extrême Gauche. M. Waldeck-Houssean,
en parlementaire avisé, tire avantage
de cette situation et rappelle certains
discours tenus dans l'assemblée qui, le
1er février, a procédé à la réception des
délégués lyonnais : « Ces bourgeois dont
on mettra les tripes au soleil et dont on
forcera les coffres-forts. » Ces Choses-là.
jettent toujours un froid dans une réu-
nion de paletots qui nj sont pas trop
râpés.
M. Laguerre interrompt pour affirmer,
avec son autorité juvénile, que ce sont
là propos d'agents de police. Pourquoi
M. Laguerre ne va-t-il jamais risquer
cette assertion au milieu des « compa-
gnons » amateurs de la salle Lévis ?
Du reste on a pu constater aujourd'hui
à quel point le groupe de l'Extrême Gau-
che est divisé. M. Giémenceau passe pour
en être le grand-prêtre. Il dispose de trois
ou quatre enfants de chœur tout au plus.
Dans les circonstances de ce genre, il
préfère se tenir dans l'ombre et laisse
officier M. Tony Révillon, qui sauve le
fond par la forme attendrie.
De son côté, M. Ballue, un Lyonnais,
dont le caractère indépendant est abso-
lument rebelle à toute espèce de pres-
sion, s'exprime très franchement sur l'al-
lure collectiviste du programme qu'une
délégation « de prétendus ouvriers sans
travail » a transmis à des députés, sur
l'espèce de mise en demeure qui a été
apportée à ceux-ci, sur la façon dont ce
programme est répudié par les membres
des groupes auxquels on s'est adressé.
C'est alors que de vives protestations
s'élèvent à l'Extrême-Gauche. M. ciémen-
ceau s'agite beaucoup, il crie même.
mais il ne parle pas. Qui donc, en som-
me, a osé venir, à la tribune de la Cham-
bre, défendre ce programme ? — Les cris
sont pour le dehors; le silence est pour
le dedans. Et, de la sorte, il y en a pour
tout le monde.
, Ces remarques faites, la discussion ga-
gne certainement à être suivie sur le
compte rendu.
M. le sous-secrétaire d'Etat aux tra-
vaux publics, tout en énumérantles tra-
vaux entrepris, a lancé toutefois cette
observation bonne à retenir : « On
nous reproche en ce moment de ne
pas consacrer assez d'argent aux travaux
publics, et, avant-hier, on trouvait trop
élevé le crédit ouvert pour l'exercice
1885 1 »
M. Brialou, qui est de Lyon, et qui
s'est présenté ou a été représenté comme
candidat ouvrier, ne pouvait se dispen-
ser de prendre la parole. C'est un fantai-
siste, brave homme au fond, qui vou-
drait tout mettre d'accord, et principale-
ment son impuissance avec les exigences
de son comité. Aussi médit-il volontiers
du gouvernement; mais il ne faut pas
que les bonapartistes s'emparent de ses
paroles pour en faire un mauvais usage !
Au baron Dufour, qui tentait de faire le
malin, il a allongé une riposte pas trop
mal tournée : « Si la République ne,
donne pas plus de pain aux ouvriers que
1 Empire, au moins elle ne leur a pas
encore envoyé du plomb. »
Entre nous, ce qui nous parait avoir
été dit de plus sensé, de plus pratique,
émane de M. F. Reymond, un grand in-
dustriel de la Loire. Celui-là estime que
les secours, lorsqu'il y a lieu d'en don-
ner, doivent venir par l'entremise des
municipalités ; mais les secours ne sont
qu'un triste remède. Il n'y a pas. long-
temps, il se rendait au ministère de l'in-
térieur avec les ouvriers stéphanois
à qui l'on allouait 50,000 fr. ; en sortant
de cette entrevue, pourtant à l'allure
bienveillante, affectueuse même, un vieil
ouvrier pleurait de honte, disant : « Nous
aimerions mieux du travail qu'une au-
mône. » Et du travail, on pourrait en
trouver ! ajoute l'orateur énumérant
telles entreprises utiles, telles réformes
nécessaires à mener à bien dans sa ré-
gion.
La fin, vous la devinez bien. L'ur-
gence réclamée pour le crédit de 25 mil-
lions a été écartée par 238 voix contre
125, avec quantité d'abstentions qui ne
donnent pas une haute idée de la force
de caractère de certains.
Quant à 1 invitation adressée au gou-
vernement, en ce qui concerne les tra-
vaux à entreprendre sans retard à l'aide
des crédits déjà ouverts, comme c'était
une superfétation,. elle a été adoptée à
l'unanimité.
Sur quoi, M. de Roys a terminé, sur le
ton véhément, le grand discours qu'il
avait commencé, avant-hier, en faveur
d'une surélévation de cinq francs par hec-
tolitre deblé. Nous attendons encoreune
autre occasion pour traiter le sujet. Pa-
tience! elle ne saurait nous échapper :
il y a cinquante orateurs inscrits pour
traiter la question du blé! La moyenne
étant d'un discours et demi par séance,
faites le compte.
PAUL LAFÀROTE
COURRIER DU SENAT
Cherchez l'anarchiste !
C'est la question du jour.
Les délégués des ouvriers sans travail,
dont l'entrée avait fait tant de bruit au
Palais-Bourbon, se sont introduits au
Luxembourg très discrètement, sous les
espèces de deux modestes visiteurs.
Etant d'invention lyonnaise, ils ont fait
passer leur carte à M. Munie, du Rhône.
M. Munié n'a pas osé descendre seul
dans la fosse aux lions. Il s'est adjoint
M. Tolain, homme de ressource.
Le colloque a eu lieu dans une salle
dite « salle Jeanne Hachette » à cause du
tableau qui la décore.
Et, cependant, par les couloirs, on se
passait le mot d'ordre; on guettait la
sortie pour examiner un peu quelle mine
féroce peuvent avoir .ces mandataires,
dont les mandants ont juré « d'étripailler
le bourgeois » si leurs revendications
sont mal écoutées.
J'avoue que je ne les ai pas vus et que
je ne les ai pas même entendus rugir.
J'étais en séance à suivre patiemment
le travail de démolition entrepris par
M. Bérenger sur la loi des récidivistes.
M. Bérenger n'apporte pas un esprit
plus conciliant à la deuxième délibéra-
tion qu'à la première.
Ses principes ne fléchissent point.
Il se défend de l'accusation portée con-
tre lui d'avoir affiché trop de pitié pour
des êtres pervers. Loin de lui cette fai-
blesse. Le principal reproche qu'il adresse
au projet, c'est d'édicter pour les récidi-
vistes un régime tout à fait exceptionnel,
alors qu'il eût été facile de remédier au
mal par les voies ordinaires. Mais il y
voit encore bien d'autres inconvénients.
D'abord la relégation n'est pas une ag-
gravation ae peine; au contraire, elle
exerce une certaine fascination sur les
habitants des maisons centrales, gens de
large imagination pour la plupart, qui ne
craignent pas la vie d'aventure, rêvent le
grand air, les vastes espaces, l'Océan sans
limite et la liberté ! Ensuite l'application
est tellement épineuse, que la commis-
sion n'a pas osé désigner spécialement
une colonie pour recevoir l'écume de la
métropole, se remettant de ce soin au
gouvernement. Ce n'est pas tout; les frais
n'ont pu être calculés d'avance; on les
évaluait d'abord à une dépense annuelle
de dix millions pendant trois ans. Il a
fallu après enquête, entre les deux déli-
bérations, tripler le chiffre des prévi-
sions, et sans tenir compte encore d'une
nouvelle catégorie d'individus sujette à
la relégation facultative.
On ne sait pas non plus à quoi on em-
ploiera le temps des transportés, ni par
quels moyens de coercition on les forcera
au travail.
Voilà ce que M. Bérenger appelle les
procédés de l'école empirique.
Il propose d'y substituer ceux « de
l'école scientifique », codifiés dans un
contre-projet dont il demande le renvoi
à la commission.
Ce contre-projet consiste à ne pas faire
de la relégation un accessoire hybride
des condamnations correctionnelles, mais
à graduer la peine d'après le nombre des
récidives, en recourant, pour y narvenir,
aux rigueurs du régime cellulaire, le
plus redouté des criminels. La transpor-
tation n'interviendrait en ces conditions
que comme un adoucissement offert aux
condamnés dont la bonne' conduite et le
repentir mériteraient cette faveur.
Répondant à M. Bérenger, le ministre
de l'intérieur. commence par faire des
concessions. Mais ne vous y fiez pas 1 Il
ne demande pas mieux que d'introduire
des réformes dans le régime péniten-
tiaire; cela n'e npêche pas d'envoyer le
récidiviste, après un certain nombre de
condamnations, faire un tour aux colo-
nies. L'opinion publique réclame des
mesures énergiques. D'après les statisti-
ques établies au ministère de la justice,
la récidive correctionnelle, par une pro-
gression constante, a presque doublé de
1856 à 1880.
Il y adonc un effort à tenter et-les rap-
ports des directeurs des prisons en té-
moignent — les prisonniers ne se font
pas une telle fête de voyager par-delà les
mer. On leur trouvera de petites colo-
nies où ils seront très sainement instal-
lés, - à condition de ne pas pousser la
sentimentalité jusqu'à l'exagération. —
Un règlement d'administration publique
fixera leur mode d'existence. Que nos
compatriotes d'outre-mer ne s'effrayent
pas du voisinage. « Le régime de la li-
berté ne sera pas, pour les transportés le
régime exclusif M. On leur adjoindra des
hommes d'expérience pour tirer parti de
leur activité et de leurs ressources intel-
lectuelles. II y a l'étoffe d'un admirable
laboureur, voyez-vous, dans un forçat
doublé d'un garde-chiourme. Si la dou-
blure coûte cher, une grande nation ne
peut-elle faire quelques sacrifices pour
le développement de la moralité géné-
rale?
Ainsi plaide le ministre de l'intérieur,
en conseillant au Sénat de réserver pour
des jours meilleurs le contre-projet de
M. Bérenger.
M. Waldeck-Rousseau est dans le vent
de l'opinion, la chose n'est pas contes-
table. Mais M. Bérenger a jeté une digue
solide. Il faut deux épreuves pour déci-
der. -
Le contre-projet de M. Bérenger n'est
pas retenu pour l'examen. Le renvoi à la
commission est repoussé.
Demain le Sénat continuera par la dis-
cussion du projet même.
PAUL PELLEGRLY.
LA PRISE DE KDJkRTOM
-
y
Une grave nouvelle est arrivée hier
de Londres : Khartoum a été pris par
les troupes du mahdi. Bien des fois la
prise de Khartoum avait été annoncée.
On était resté pendant de longues se-
maines sans nouvelles de Gordon, on le
disait prisonnier, on le disait mort ;
mais toujours il s'était trouvé qu'il/
était bien vivant et, quoique toujours
assiégé dans Khartoum, presque libra
de ses mouvements, faisant des sorties
victorieuses, maître du fleuve. On s'é-
tait habitué à croire qu'il était invin-
cible.
Et maintenant moins que jamais on
avait peur pour lui. Une armée anglaise;
nombreuse, vaillante, bien pourvue,
commandée par le plus illustre général
du Royaume-Uni, s'avançait à sa déli-
vrance.
Après une marche longue et péril-
leuse à travers le désert, après des
combats rudes, mais où l'avantage lui
était resté, elle avait atteint les bords
du Nil ; elle avait rencontré des bateaux
envoyés au-devant d'elle par Gordon.
Quelques jours encore et Khartoum al-
lait être débloqué : celui qu'on a ap-
pelé « le roi du Soudan » allait ae
nouveau, semblait-il, recouvrer son em-
pire.
C'est juste à ce moment que le télé-
graphe nous apporte la nouvelle de la
prise de Khartoum par les troupes du
mahii, et la dépêche anglaise semble
avoir le caractère d'une nouvelle offi-
cielle.
Comment les choses se sout-elles
faites? Les détails manquent encore.
On prononce le mot de trahison; mais
comment la trahison, si elle avait à se
produire, s'est-elle produite si tard? Il
parait plus vraisemblable de penser que
les assiégcant, apprenant que l'armée
expéditionnaire, si longtemps annoncée,
approchait enfin, auront voulu devancer
son arrivée en faisant un suprême
effort, et que cette fois ils auront
réussi.
Cet événement est à coup sûr pour
les Anglais d'une extrême gravité. Si
réellement Khartoum est pris et Gor-
don vaincu, l'effet moral sera prodigieux
sur les rebelles dont il va centupler
l'audace ; pour les Anglais, il faudra re-
prendre Khartoum, reconquérir le Sou-
dan et le fleuve. On peut se demander
si l'armée de lord Wolseley, malgré
son énergie, malgré le talent de son
chef, suffira à une tâche si difficile.
L'Angleterre peut voir maintenant plus
que jamais quelle lourde responsabilité
elle a assumée en intervenant dans les
affaires d'Egypte et en tenant à y in-
tervenir seule pour recueillir seule bo<~
le profit. Elle pourra se demander aussi
si elle n'a pas lardé bien longtemps à
secourir Gordon, et si elle n'a pas de ce
chef quelques reproches à se faire.
Quel a été le sort de Gordon? A-t-il
pu s'échapper? A-t-il péri dans la lutte?
Est-il prisonnier? On n'a pas de nou-
velles de Gordon, dit la dépêche; Quoi
qu'il en puisse être, il n'y aura, même
en ce désastre, qu'une voix parmi les
honnêtes gens de tous les pays pour
plaindre et pour admirer ce vaiilant qui
partit avec tant d'intrépidité pour la
plus difficile et la plus téméraire des
entreprises au mois de janvier de l'an
passé; qui depuis le mois de mars était
Feuilleton du XIX* SIÈCLE
..-:: Du 7 Février 1885
(17)
LA LUNE ROUSSE
J
S
XVII
L'INSTRUCTION
- -;
C(suite) J
L'instruction, on le voit, se passait tout
à tait en famille, grâce à la bienveil-
lance habituelle du juge de paix.
: -Rentrez dans votre chambre,ma chère
enfant, continua-t-ii, et tâchez de pren-
dre un peu de repos. Je vous rappellerai
si j'ai besoin de quelque nouveau rensei-
gnement.
La jeune fille gravit alors l'escalier,
soutenue par Yvon.
Comme celui-ci redescendait, le père
Kéradek entrait dans la salle de l'au-
berge.
Occupé depuis quelques jours à chas-
ser dans une forêt assez éloignée, il ne
connaissait que vaguement encore l'acci-
dent arrivé la nuit même à son maître.
Au même instant arrivait aussi le bar-
der Nicole; il revenait du château où
x on avait fait transporter le comte.
reproduction traduction interdites sans l'au.
torisation de raute ur. S'adresser à la librairie
Dentu, Palais-Royal. S ato5ser 4 la Ui'raltl8
.Eh bien, Nicole? inferrogea M.
Merlet.
- Ileui monsieur le juge!. fit avec un
hochement significatif le barbier rebou-
teux, qui se croyait déjà passé à l'état de
célébrité médicale.
- Monsieur le comte serait-il en dan-
ger?
— Impossible de l'affirmer encore.
Le temps perdu ne se rattrape jamais.
Courir du château au village pour pren-
dre ma trousse, recourir ensuite jus-
qu'ici. j'avais beau avoir un bon cheval,
tout cela m'a pris une grande heure.
Enfin j'ai fait ce que j'ai pu, en atten-
dant le premier docteur de la ville. 11
verra toujours que l'on sait poser un ap-
pareil, ajouta-t-il en se rengorgeant.
— Et le meurtrier est-il arrêté? de-
manda vivement le vieux garde.
A cette question aussi inattendue
qu'embarrassante, M. Merlet, le greffier,
Yvon et le barbier se regardèrent, sans
qu'aucun d'eux osât y répondre.
— Ignorez-vous donc, père Kéradek, le
nom de celui qui a fait le coup ? demanda
le veilleur.
- Sans doute. Voici trois jours que
je passe à la poursuite d'une bande de
chevreuils, là-bas, de l'autre côté de la
châtaigneraie, et dame ! je n'ai plus mes
jambes de vingt ans. Je comptais un
peu sur l'aide de Loïc, mais depuis qua-
rante-huit heures il m'a quitté. et je
ne sais.
- Loic !. répéta Nicole ; ne cherchez
plus ce qu'il est devenu. Malheureuse-
ment toutes les préventions sont contre
lui.
— Contre Loïc?. C'est impossible 1.
Qui donc l'accuse ?
- Lui-même s'est constitué prison-
nier.
- C'est impossible! vous dis-je." Je
sais bien que le gaillard n'a pas froid aux
yeux; et qu'il ne céderait le pas à per-
sonne, même au roi, lorsqu'il est dans
son droit. Mais il est incapable d'une
lâcheté.
Pourquoi aurait-il assassiné le comte?
- Oui, pourquoi ? demanda le juge.
— Ce n'est certes pas pour le voler.
affirma Kéradek.
— Pourtant, si les bijoux du châtelain
étaient intacts, sa bourse a disparu, on
ignore comment, reprit M. Merlet. Mais
votre fils avait un autre mobile, vous de-
vez le connaître. Une haine, peut-être ?
Parlez, père Alain, ne craignez pas.
—>Dame ! monsieur le juge, je ne pour-
rais point vous dire que le gars aimait
beaucoup notre maître, avoua naïvement
le vieux garde. Ces jeunes gens, vous le
savez, ça ne comprend plus le respect,
le dévouement comme nous autres. Mal-
gré cela, il a fallu qu'il fût poussé joli-
ment à bout. et si M. le comte n'avait
pas menacé le premier.
— Il ne l'eût pas frappé, je comprends;
en ceci votre déposition est conforme à
celle de l'accusé.
Vous avez dit aussi que, n'ayant pas
revu Loïc, vous ne pouviez justifier de
l'emploi de son temps pendant les deux
jours et les deux nuits qui viennent de
s'écouler.
- Je l'ai dit et c'est la vérité, mon-
sieur le juge.
- Merci, père Kéradek, voilà tout ee
que je désirais savoir pour l'instant. Yvon,
appela M. Merlet, prévenez le témoin
Randonneau qu'il ait à reparaître.
Et lorsque ce dernier rentra avec l'air
d'nn homme qui subit une corvée :
— Randonneau, raprit le juge, vous
avez dit dans votre première déposition
que le crime avait été commis à minuit;
vous devez vous être trompé.
— Pour cela, répondit l'aubergiste d'un
ton d'indifférence, il pouvait bien être
plus près d'une heure que de minuit.
Vous savez, je n'avais pas ma montre à
la main, et je n'ai pas songé à regarder
au coucou.
— Je vous engage à répondre d'une fa-
çon plus précise, répliqua le juge; quand
on verbalise, il importe que tout soit re-
laté avec la plus grande exactitude. Nous
devons nous entourer de tous les rensei-
gnements susceptibles de dissiper l'obscu-
rité de certains faits. ,-
t J'ai remarqué déjà dans votre déposi-
tion plusieurs contradictions que je ne
m'explique pas. Je vous préviens que M.
le procureur, lorsqu'il vous interrogera,
ne vous passera rien.
— C'est bon. Je lui répondrai ce que
je vous ai déjà dit.
Tout en rappelant l'aubergiste à l'or-
dre, M. Merlet avait ouvert, machinale-
ment en apparence, le tiroir du comp-
toir. Il eut l'air tout surpris en y aperce-
vant une bourse de soie noire assez ron-
delette.
— Hé ! hé ! fit-il en la prenant dans sa
main, vous avez là une jolie bourse. et
pleine d'or.
Randonneau, qui se tenait à une dis-
tance respectueuse, - n'avait pas vu ce
mouvement; mais il s'avança aussitôt,
la main tendue, pour reprendre la
bourse.
— Pas si près donc. arrière ! fit le
veilleur en le forçant à reculer.
— Je vous savais à votre aise, conti-
nua le juge d'un ton où perçait l'ironie,
mais je n'aurais pas supposé que tant
d'argent dormît chez vous dans un tiroir
que le premier venu peut ouvrir.
— C'est la bourse du comte. je la re-
connais. murmura le barbier Nicole
en se penchant vers l'oreille du juge, qui
lui répondit par un coup d'œil signifi-
catif,
L'aubergiste était évidemment décon-
tenancé ; pour cacher son trouble, il es-
saya de prendre la chose gaiement et il
repartit :
— Dame ! monsieur Merlet, il faut bien
se garder une poire pour la soif.
— Belle poire, J'en conviens ; mais elle
n'était guère en sûreté.
- Vous savez, monsieur le juge, dans
le commerce, il vous vient des affaires à
régler. des paiements à faire. on doit
se trouver prêt. -
.1 — L'ordre est une belle chose; c'est
égal, la somme me paraît ronde. Cela
prouve que le métier est bon. Combien
avez-vous mis de temps, hein? pour
amasser ce maprot là9 J
— Oh 1 bien des mois et bien des jours,
allez!.
Puis, avec une certaine impatience, il
reprit :
— Mais tout cela n'est point en cause ;
ce sont mes affaires, monsieur Merlet. Si
nous revenions à la question ?
— J'y suis en plein, maître Randon-
neau, répondit le juge qui ajouta sur un
ton plus sévère :
-Et,pourpreuve,le vous somme de me
dire comment il se fait qu'une bourse
pleine d'or, appartenant à M. le comte,
se trouve en votre possession ?
L'aubergiste pâlit et garda le silence.
— Quand je vous disais que Loïc n'était
pas un voleur !. souffla le père Kéradek
à l'oreille du barbier.
— Voyons, répondez ! fit le juge sèche-
ment.
— Pourquoi ne m'accusez-vous pas
aussi d'avoir commis l'assassinat? répli-
qua Randonneau d'une voix mal assurée.
— Vous ne répondez pas à ma ques-
tion.
— Qu'on demande à M. le comte, et
l'on verra que cet argent est bien à
moi.
— Malgré votre assertion, insista le
juge, il pèse tant de charges sur vous,
que je me vois forcé de vous traiter non
plus en témoin, mais en accusé, et de
vous faire garder provisoirement à vue
dans votre chambre, avec défense de
communiquer avec personne. - -
— Moi, un accusé 1 exclama l'aubergiste
consterné. Je vous jure, monsieur le
juge, que je suis innocentl. Vous me
connaissez depuis longtemps. Vous sa-
vez.
— Monsieur Randonneau, j'accomplis
mon devoir. interrompit le - fonction-
naire avec une dignité froide.
Au même instant, on entendit au de-
hors le bruit métallique de deux crosses
de fusil qui résonnèrent sur le seuil de la
porte.
Yvon courut ouvrir et deux gendarmes
entrèrent, amenant un nouveau prison-
M. Merlet, qui avait quitté le comptoir
où il siégeait, fit signe à l'un des gen-
darmes de s'emparer de Randonneau. Et
tous trois quittèrent la salle de l'auberge.
L'autre gendarme était entré, précédé
de sa capture.
— Tiens! s'écria le barbier surpris;
c'est Fabien Lemarec.
— Une bonne prise, barbier, à ce qu'il
paraît, dit le gendarme.
— En fait de bonne prise, repartit Ni-
cole, c'est le braconnier qui va nous en
donner une; il a toujours du tabac de
première qualité.
— Volontiers, répondit Lemarec.
Et se tournant vers le gendarme il
ajouta :
— Avec la permission de l'autorité ?
— J'obtempère, fit le gendarme sans
se départir de sa gravité.
Le braconnier tira alors de sa poche
une vieille tabatière en écorce de bouleau,
dite à queue de rat, à cause de la forme
de la petite lanière de cuir qui servait à
enlever le couvercle..
Il la présenta d'abord au gendarme,
qui y puisa une large prise et la renifla
avec volupté.
Nicole, Yvon, le grefuer et même le
vieux Kéradek l'imitèrent, et bientôt un
quintuple et formidable éternuement ré-
sonna et fit trembler jusqu'aux vitres de
la salle.
— Dites donc, Lemarec, demanda en-
suite Yvon, est-ce comme accusé que vous
êtes arrêté ?
— Je l'ignore, ma foi 1 répondit le bra-
connier. Monsieur et son camarade, pour-
suivit-il en désignant le gendarme, m'ont
rencontré au milieu de la forêt; ils m'ont
prié poliment de les suivre et je les ai
suivis, parce que je me doutais bien un
peu dans quel endroit ils me condui-
saient.
— Comment cela? questionna Yvon à
son tour. Vous saviez donc déjà la nou-
velle du crime ?
ALFRED SmVJtN.
(A suivre)
Prix du numéro à Paris 15 centimes — Départements: 20 centimes
Samedi 7 Février 1885
REDACTION
) S'adresser au Secrétaire de la Rédaction
de 2 heures à minuit
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s Manuscrits non insérés ne seront pas rendus
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Egypte.u. '!. 345, 346 25, 3i5.
Lots Turcs £ 7 25.
Extérieure.,.; 61 iili6, 3i4, 11x16.
PARIS, 1 FÉVRIER 1885
Hier, la Chambre a statué d'urgence
sur le projet de résolution et sur la
proposition de loi qui lui étaient appor-
tés par M. Tony Révillon, au nom du
'groupe de l'Extrême Gauche. Elle a bien
[lait, car, lorsque de semblables ques-
tions sont posées, ce qu'il y a de mieux
01 de les régler promptement.
* Le projet de résolution a été voté ;
rron sait qu'il consistait à prier le gou-
vernement de hâter autant que possible
«'exécution des travaux publics autori-
sés pour 1885. Comme on l'a déjà fait
remarquer ici même, la résolution était
jpeut-être superflue. Mais enfin son vote
]a )entraîne point d'inconvénients sé-
rieux.
i Quant à la proposition de loi, elle
: consistait à répartir un secours de
<25 millions entre les ouvriers des villes
tqui souffrent de la crise industrielle.
(Répartition difficile, pour ne pas dire
impossible, si on voulait y procéder
iéquitablement. Et puis, quand les 25
(millions seraient répartis et dévorés,
p our ainsi dire, en un clin d'œil, qu'ar-
: riverait-il? Quel réel soulagement cette
tistriution d'aumônes apporterait-elle à
lia crise? Et enfin, si l'on accordait
[25 millions aux ouvriers des villes, que
répondrait-on aux ouvriers ruraux, si
ceux-ci réclamaient un secours propor-
tionnel, par l'excellente raison que la
misère sous un toit de chaume n'est
jpas moins douloureuse que dans un
'garni ?
Nous ne saurions rien ajouter, d'ail-
leurs, aux considérations si sages que
notre collaborateur M. Bigot a déjà pré-
sentées sur ce sujet. Et ce sont juste-
ment ces mêmes considérations que
'divers orateurs ont développées devant
la Chambre. Ne s'offraient-elles point
;spontanément, pour ainsi dire, à tous
îles esprits soucieux de vérité, d'équité
, jet de prévoyance ? La Chambre a donc
refusé d'ouvrir ce crédit de 25 millions
pour une œuvre de prétendue charité
qui aurait créé le précédent le plus
dangereux. Si l'on entrait dans cette
,voie, on arriverait peu à peu, et plus
\rapidement qu'on ne croit peut-être, à
inscrire au budget ordinaire de chaque
tannée un crédit toujours grossissant
[pour subvenir aux besoins de tous les
Français qui n'ont point de rentes. Gar
rdons-nous de ce genre de socialisme
(d'Etat 1 Si l'on voulait faire du socia-
lisme d'Etat, il n'y aurait, nous semble-
It-n, à établir qu'une seule institution
[efficace et qui ne sentît point trop l'u-
jtopie ; ce serait l'assurance obligatoire.
[Encore ne répondrions-nous pas trop
'des résultats. x
Quant au crédit demandé par M. Tony
Révillon, si le Trésor public ne redou-
tait point une saignée de 25 millions
[dans cc moment-ci, on aurait pu le vo-
Iter en l'appliquant à un tout autre objet
iqu'à l'objet visé par l'honorable député
1..1l, i , - i-'' ,,
de î'Éiifuche. Nous voudrions
bien, si l'on croyait pouvoir disposer de
25 millions, que Ion s en servît pour
favoriser l'émigration aux colonies
françaises. Voilà une dépense que nous
ne regretterions ni au point de vue
social, ni au point de vue économique,
ni au point de vue politique, car elle
ne serait certes pas improductive.
Hâtons-nous d'ajouter que, malheureu-
sement, il n'en est pas question dans
ce moment-ci. Mais c'est une indication
que nous donnons et que nous donne-
rons sans cesse, dans l'espoir qu'un
jour elle attirera l'attention du législa-
teur.
EUG. LIÉBERT.
nngii» , i.»
SOUSCRIPTION
AU
Monument de M. Edmond About
(Cinquième liste)
Emmanuel Arène. député.t 100 »
Mlle Emilie Arène - 100 »
Poydenot, à Hyères. 50 »
Platiau, à Boulogne-sur-Mer.. 10 »
Marcel Manceau, à Rennes. 10 »
Félix Naquet. 100 »
Chassin, directeur du Hammam 10 »
Dalmbert, caissier - 5 »
Driot, chef du personnel - 2 50
Personnel du Hammam. 2 50
Jules Lemaître. 5 »
Pierre Petit 20 »
A. Ba 5 »
Pecadille. 1 »
P. Grimaud, administrateur de
la Caisse d'épargne de Paris.., > 40 »
Le personnel du XIX0 Siècle.", 100 »
F. Dommartin$• 25 »
F. Dommartin 25 »
E. Sauvage. ^<.y&?y 50 »
Dr Cahen 5 »
Ch. Biaise 3 »
Bischoffsheim, sénateur..100 »
J. Maillard 50 ÏJ
E. Lisbonne.-''>:.::!:' 10 »
De Pompéry.vv.ïv.- 20 »
Jean Le Baron, instituteur, .v 5 »
F. Barrat, conseiller municipal
à Beauvais. 10 »
L. Gérome, membre de l'institut 100 »
..-----
Total..• • Y939 »
Total des 4 premières listes.. 9.257 60
10.196 60
LE PARLEMENT
COURRIER DE LA CHAMBRE
Paris, 5 février 1885.
La séance d'aujourd'hui, nous l'avons
retracée il y a deux mois environ. C'est
sans doute ce qui nous enlève tout en-
train.
La seule différence qui existe entre les
deux journées, c'est qu'alors M. Tony
Révillon se contentait de deux millions,
ce nous semble, à distribuer entre les
ouvriers parisiens et que, cette fois, il en
réclame vingt-cinq à répartir entre les
ouvriers de toutes les villes où le chô-
mage fait des victimes. En outre, à cette
première proposition est annexée une ré-
solution invitant le gouvernement à faire
commencer partout, sans retard, les tra-
vaux pour lesquels des crédits sont votés,
— ce qui dénote d'excellentes intentions,
mais est tout à fail anodin.
Nous ne connaissons pas de sujet qui
prête moins que celui-là aux écarts de la
gaieté. D'autre part, quand il a été traité
une fois, il n'en est pas qui exclue plus
que lui la variété.
Ici, le lamentable tableau de la misère,
avec son cortège d'apitoiements très lé-
gitimes ; là, le prudent raisonnement de
l'homme de gouvernement qui refuse de
verser dans le socialisme d'Etat en sub-
venant à l'existence d'une catégorie de
citoyens.
M. Tony Révillon, le demandeur, tâche
de ne point se laisser entraîner à l'em-
phase;. M. le ministre de l'intérieur se
montre, dans son refus, aussi net, aussi
carré, que par le passé.
L'intérêt de l'ailaire est que le débat
se trouve provoqué par une démarche
quelque peu comminatoire de soi-disant
délégués ouvriers auprès du groupe ce
l'Extrême Gauche. M. Waldeck-Houssean,
en parlementaire avisé, tire avantage
de cette situation et rappelle certains
discours tenus dans l'assemblée qui, le
1er février, a procédé à la réception des
délégués lyonnais : « Ces bourgeois dont
on mettra les tripes au soleil et dont on
forcera les coffres-forts. » Ces Choses-là.
jettent toujours un froid dans une réu-
nion de paletots qui nj sont pas trop
râpés.
M. Laguerre interrompt pour affirmer,
avec son autorité juvénile, que ce sont
là propos d'agents de police. Pourquoi
M. Laguerre ne va-t-il jamais risquer
cette assertion au milieu des « compa-
gnons » amateurs de la salle Lévis ?
Du reste on a pu constater aujourd'hui
à quel point le groupe de l'Extrême Gau-
che est divisé. M. Giémenceau passe pour
en être le grand-prêtre. Il dispose de trois
ou quatre enfants de chœur tout au plus.
Dans les circonstances de ce genre, il
préfère se tenir dans l'ombre et laisse
officier M. Tony Révillon, qui sauve le
fond par la forme attendrie.
De son côté, M. Ballue, un Lyonnais,
dont le caractère indépendant est abso-
lument rebelle à toute espèce de pres-
sion, s'exprime très franchement sur l'al-
lure collectiviste du programme qu'une
délégation « de prétendus ouvriers sans
travail » a transmis à des députés, sur
l'espèce de mise en demeure qui a été
apportée à ceux-ci, sur la façon dont ce
programme est répudié par les membres
des groupes auxquels on s'est adressé.
C'est alors que de vives protestations
s'élèvent à l'Extrême-Gauche. M. ciémen-
ceau s'agite beaucoup, il crie même.
mais il ne parle pas. Qui donc, en som-
me, a osé venir, à la tribune de la Cham-
bre, défendre ce programme ? — Les cris
sont pour le dehors; le silence est pour
le dedans. Et, de la sorte, il y en a pour
tout le monde.
, Ces remarques faites, la discussion ga-
gne certainement à être suivie sur le
compte rendu.
M. le sous-secrétaire d'Etat aux tra-
vaux publics, tout en énumérantles tra-
vaux entrepris, a lancé toutefois cette
observation bonne à retenir : « On
nous reproche en ce moment de ne
pas consacrer assez d'argent aux travaux
publics, et, avant-hier, on trouvait trop
élevé le crédit ouvert pour l'exercice
1885 1 »
M. Brialou, qui est de Lyon, et qui
s'est présenté ou a été représenté comme
candidat ouvrier, ne pouvait se dispen-
ser de prendre la parole. C'est un fantai-
siste, brave homme au fond, qui vou-
drait tout mettre d'accord, et principale-
ment son impuissance avec les exigences
de son comité. Aussi médit-il volontiers
du gouvernement; mais il ne faut pas
que les bonapartistes s'emparent de ses
paroles pour en faire un mauvais usage !
Au baron Dufour, qui tentait de faire le
malin, il a allongé une riposte pas trop
mal tournée : « Si la République ne,
donne pas plus de pain aux ouvriers que
1 Empire, au moins elle ne leur a pas
encore envoyé du plomb. »
Entre nous, ce qui nous parait avoir
été dit de plus sensé, de plus pratique,
émane de M. F. Reymond, un grand in-
dustriel de la Loire. Celui-là estime que
les secours, lorsqu'il y a lieu d'en don-
ner, doivent venir par l'entremise des
municipalités ; mais les secours ne sont
qu'un triste remède. Il n'y a pas. long-
temps, il se rendait au ministère de l'in-
térieur avec les ouvriers stéphanois
à qui l'on allouait 50,000 fr. ; en sortant
de cette entrevue, pourtant à l'allure
bienveillante, affectueuse même, un vieil
ouvrier pleurait de honte, disant : « Nous
aimerions mieux du travail qu'une au-
mône. » Et du travail, on pourrait en
trouver ! ajoute l'orateur énumérant
telles entreprises utiles, telles réformes
nécessaires à mener à bien dans sa ré-
gion.
La fin, vous la devinez bien. L'ur-
gence réclamée pour le crédit de 25 mil-
lions a été écartée par 238 voix contre
125, avec quantité d'abstentions qui ne
donnent pas une haute idée de la force
de caractère de certains.
Quant à 1 invitation adressée au gou-
vernement, en ce qui concerne les tra-
vaux à entreprendre sans retard à l'aide
des crédits déjà ouverts, comme c'était
une superfétation,. elle a été adoptée à
l'unanimité.
Sur quoi, M. de Roys a terminé, sur le
ton véhément, le grand discours qu'il
avait commencé, avant-hier, en faveur
d'une surélévation de cinq francs par hec-
tolitre deblé. Nous attendons encoreune
autre occasion pour traiter le sujet. Pa-
tience! elle ne saurait nous échapper :
il y a cinquante orateurs inscrits pour
traiter la question du blé! La moyenne
étant d'un discours et demi par séance,
faites le compte.
PAUL LAFÀROTE
COURRIER DU SENAT
Cherchez l'anarchiste !
C'est la question du jour.
Les délégués des ouvriers sans travail,
dont l'entrée avait fait tant de bruit au
Palais-Bourbon, se sont introduits au
Luxembourg très discrètement, sous les
espèces de deux modestes visiteurs.
Etant d'invention lyonnaise, ils ont fait
passer leur carte à M. Munie, du Rhône.
M. Munié n'a pas osé descendre seul
dans la fosse aux lions. Il s'est adjoint
M. Tolain, homme de ressource.
Le colloque a eu lieu dans une salle
dite « salle Jeanne Hachette » à cause du
tableau qui la décore.
Et, cependant, par les couloirs, on se
passait le mot d'ordre; on guettait la
sortie pour examiner un peu quelle mine
féroce peuvent avoir .ces mandataires,
dont les mandants ont juré « d'étripailler
le bourgeois » si leurs revendications
sont mal écoutées.
J'avoue que je ne les ai pas vus et que
je ne les ai pas même entendus rugir.
J'étais en séance à suivre patiemment
le travail de démolition entrepris par
M. Bérenger sur la loi des récidivistes.
M. Bérenger n'apporte pas un esprit
plus conciliant à la deuxième délibéra-
tion qu'à la première.
Ses principes ne fléchissent point.
Il se défend de l'accusation portée con-
tre lui d'avoir affiché trop de pitié pour
des êtres pervers. Loin de lui cette fai-
blesse. Le principal reproche qu'il adresse
au projet, c'est d'édicter pour les récidi-
vistes un régime tout à fait exceptionnel,
alors qu'il eût été facile de remédier au
mal par les voies ordinaires. Mais il y
voit encore bien d'autres inconvénients.
D'abord la relégation n'est pas une ag-
gravation ae peine; au contraire, elle
exerce une certaine fascination sur les
habitants des maisons centrales, gens de
large imagination pour la plupart, qui ne
craignent pas la vie d'aventure, rêvent le
grand air, les vastes espaces, l'Océan sans
limite et la liberté ! Ensuite l'application
est tellement épineuse, que la commis-
sion n'a pas osé désigner spécialement
une colonie pour recevoir l'écume de la
métropole, se remettant de ce soin au
gouvernement. Ce n'est pas tout; les frais
n'ont pu être calculés d'avance; on les
évaluait d'abord à une dépense annuelle
de dix millions pendant trois ans. Il a
fallu après enquête, entre les deux déli-
bérations, tripler le chiffre des prévi-
sions, et sans tenir compte encore d'une
nouvelle catégorie d'individus sujette à
la relégation facultative.
On ne sait pas non plus à quoi on em-
ploiera le temps des transportés, ni par
quels moyens de coercition on les forcera
au travail.
Voilà ce que M. Bérenger appelle les
procédés de l'école empirique.
Il propose d'y substituer ceux « de
l'école scientifique », codifiés dans un
contre-projet dont il demande le renvoi
à la commission.
Ce contre-projet consiste à ne pas faire
de la relégation un accessoire hybride
des condamnations correctionnelles, mais
à graduer la peine d'après le nombre des
récidives, en recourant, pour y narvenir,
aux rigueurs du régime cellulaire, le
plus redouté des criminels. La transpor-
tation n'interviendrait en ces conditions
que comme un adoucissement offert aux
condamnés dont la bonne' conduite et le
repentir mériteraient cette faveur.
Répondant à M. Bérenger, le ministre
de l'intérieur. commence par faire des
concessions. Mais ne vous y fiez pas 1 Il
ne demande pas mieux que d'introduire
des réformes dans le régime péniten-
tiaire; cela n'e npêche pas d'envoyer le
récidiviste, après un certain nombre de
condamnations, faire un tour aux colo-
nies. L'opinion publique réclame des
mesures énergiques. D'après les statisti-
ques établies au ministère de la justice,
la récidive correctionnelle, par une pro-
gression constante, a presque doublé de
1856 à 1880.
Il y adonc un effort à tenter et-les rap-
ports des directeurs des prisons en té-
moignent — les prisonniers ne se font
pas une telle fête de voyager par-delà les
mer. On leur trouvera de petites colo-
nies où ils seront très sainement instal-
lés, - à condition de ne pas pousser la
sentimentalité jusqu'à l'exagération. —
Un règlement d'administration publique
fixera leur mode d'existence. Que nos
compatriotes d'outre-mer ne s'effrayent
pas du voisinage. « Le régime de la li-
berté ne sera pas, pour les transportés le
régime exclusif M. On leur adjoindra des
hommes d'expérience pour tirer parti de
leur activité et de leurs ressources intel-
lectuelles. II y a l'étoffe d'un admirable
laboureur, voyez-vous, dans un forçat
doublé d'un garde-chiourme. Si la dou-
blure coûte cher, une grande nation ne
peut-elle faire quelques sacrifices pour
le développement de la moralité géné-
rale?
Ainsi plaide le ministre de l'intérieur,
en conseillant au Sénat de réserver pour
des jours meilleurs le contre-projet de
M. Bérenger.
M. Waldeck-Rousseau est dans le vent
de l'opinion, la chose n'est pas contes-
table. Mais M. Bérenger a jeté une digue
solide. Il faut deux épreuves pour déci-
der. -
Le contre-projet de M. Bérenger n'est
pas retenu pour l'examen. Le renvoi à la
commission est repoussé.
Demain le Sénat continuera par la dis-
cussion du projet même.
PAUL PELLEGRLY.
LA PRISE DE KDJkRTOM
-
y
Une grave nouvelle est arrivée hier
de Londres : Khartoum a été pris par
les troupes du mahdi. Bien des fois la
prise de Khartoum avait été annoncée.
On était resté pendant de longues se-
maines sans nouvelles de Gordon, on le
disait prisonnier, on le disait mort ;
mais toujours il s'était trouvé qu'il/
était bien vivant et, quoique toujours
assiégé dans Khartoum, presque libra
de ses mouvements, faisant des sorties
victorieuses, maître du fleuve. On s'é-
tait habitué à croire qu'il était invin-
cible.
Et maintenant moins que jamais on
avait peur pour lui. Une armée anglaise;
nombreuse, vaillante, bien pourvue,
commandée par le plus illustre général
du Royaume-Uni, s'avançait à sa déli-
vrance.
Après une marche longue et péril-
leuse à travers le désert, après des
combats rudes, mais où l'avantage lui
était resté, elle avait atteint les bords
du Nil ; elle avait rencontré des bateaux
envoyés au-devant d'elle par Gordon.
Quelques jours encore et Khartoum al-
lait être débloqué : celui qu'on a ap-
pelé « le roi du Soudan » allait ae
nouveau, semblait-il, recouvrer son em-
pire.
C'est juste à ce moment que le télé-
graphe nous apporte la nouvelle de la
prise de Khartoum par les troupes du
mahii, et la dépêche anglaise semble
avoir le caractère d'une nouvelle offi-
cielle.
Comment les choses se sout-elles
faites? Les détails manquent encore.
On prononce le mot de trahison; mais
comment la trahison, si elle avait à se
produire, s'est-elle produite si tard? Il
parait plus vraisemblable de penser que
les assiégcant, apprenant que l'armée
expéditionnaire, si longtemps annoncée,
approchait enfin, auront voulu devancer
son arrivée en faisant un suprême
effort, et que cette fois ils auront
réussi.
Cet événement est à coup sûr pour
les Anglais d'une extrême gravité. Si
réellement Khartoum est pris et Gor-
don vaincu, l'effet moral sera prodigieux
sur les rebelles dont il va centupler
l'audace ; pour les Anglais, il faudra re-
prendre Khartoum, reconquérir le Sou-
dan et le fleuve. On peut se demander
si l'armée de lord Wolseley, malgré
son énergie, malgré le talent de son
chef, suffira à une tâche si difficile.
L'Angleterre peut voir maintenant plus
que jamais quelle lourde responsabilité
elle a assumée en intervenant dans les
affaires d'Egypte et en tenant à y in-
tervenir seule pour recueillir seule bo<~
le profit. Elle pourra se demander aussi
si elle n'a pas lardé bien longtemps à
secourir Gordon, et si elle n'a pas de ce
chef quelques reproches à se faire.
Quel a été le sort de Gordon? A-t-il
pu s'échapper? A-t-il péri dans la lutte?
Est-il prisonnier? On n'a pas de nou-
velles de Gordon, dit la dépêche; Quoi
qu'il en puisse être, il n'y aura, même
en ce désastre, qu'une voix parmi les
honnêtes gens de tous les pays pour
plaindre et pour admirer ce vaiilant qui
partit avec tant d'intrépidité pour la
plus difficile et la plus téméraire des
entreprises au mois de janvier de l'an
passé; qui depuis le mois de mars était
Feuilleton du XIX* SIÈCLE
..-:: Du 7 Février 1885
(17)
LA LUNE ROUSSE
J
S
XVII
L'INSTRUCTION
- -;
C(suite) J
L'instruction, on le voit, se passait tout
à tait en famille, grâce à la bienveil-
lance habituelle du juge de paix.
: -Rentrez dans votre chambre,ma chère
enfant, continua-t-ii, et tâchez de pren-
dre un peu de repos. Je vous rappellerai
si j'ai besoin de quelque nouveau rensei-
gnement.
La jeune fille gravit alors l'escalier,
soutenue par Yvon.
Comme celui-ci redescendait, le père
Kéradek entrait dans la salle de l'au-
berge.
Occupé depuis quelques jours à chas-
ser dans une forêt assez éloignée, il ne
connaissait que vaguement encore l'acci-
dent arrivé la nuit même à son maître.
Au même instant arrivait aussi le bar-
der Nicole; il revenait du château où
x on avait fait transporter le comte.
reproduction traduction interdites sans l'au.
torisation de raute ur. S'adresser à la librairie
Dentu, Palais-Royal. S ato5ser 4 la Ui'raltl8
.Eh bien, Nicole? inferrogea M.
Merlet.
- Ileui monsieur le juge!. fit avec un
hochement significatif le barbier rebou-
teux, qui se croyait déjà passé à l'état de
célébrité médicale.
- Monsieur le comte serait-il en dan-
ger?
— Impossible de l'affirmer encore.
Le temps perdu ne se rattrape jamais.
Courir du château au village pour pren-
dre ma trousse, recourir ensuite jus-
qu'ici. j'avais beau avoir un bon cheval,
tout cela m'a pris une grande heure.
Enfin j'ai fait ce que j'ai pu, en atten-
dant le premier docteur de la ville. 11
verra toujours que l'on sait poser un ap-
pareil, ajouta-t-il en se rengorgeant.
— Et le meurtrier est-il arrêté? de-
manda vivement le vieux garde.
A cette question aussi inattendue
qu'embarrassante, M. Merlet, le greffier,
Yvon et le barbier se regardèrent, sans
qu'aucun d'eux osât y répondre.
— Ignorez-vous donc, père Kéradek, le
nom de celui qui a fait le coup ? demanda
le veilleur.
- Sans doute. Voici trois jours que
je passe à la poursuite d'une bande de
chevreuils, là-bas, de l'autre côté de la
châtaigneraie, et dame ! je n'ai plus mes
jambes de vingt ans. Je comptais un
peu sur l'aide de Loïc, mais depuis qua-
rante-huit heures il m'a quitté. et je
ne sais.
- Loic !. répéta Nicole ; ne cherchez
plus ce qu'il est devenu. Malheureuse-
ment toutes les préventions sont contre
lui.
— Contre Loïc?. C'est impossible 1.
Qui donc l'accuse ?
- Lui-même s'est constitué prison-
nier.
- C'est impossible! vous dis-je." Je
sais bien que le gaillard n'a pas froid aux
yeux; et qu'il ne céderait le pas à per-
sonne, même au roi, lorsqu'il est dans
son droit. Mais il est incapable d'une
lâcheté.
Pourquoi aurait-il assassiné le comte?
- Oui, pourquoi ? demanda le juge.
— Ce n'est certes pas pour le voler.
affirma Kéradek.
— Pourtant, si les bijoux du châtelain
étaient intacts, sa bourse a disparu, on
ignore comment, reprit M. Merlet. Mais
votre fils avait un autre mobile, vous de-
vez le connaître. Une haine, peut-être ?
Parlez, père Alain, ne craignez pas.
—>Dame ! monsieur le juge, je ne pour-
rais point vous dire que le gars aimait
beaucoup notre maître, avoua naïvement
le vieux garde. Ces jeunes gens, vous le
savez, ça ne comprend plus le respect,
le dévouement comme nous autres. Mal-
gré cela, il a fallu qu'il fût poussé joli-
ment à bout. et si M. le comte n'avait
pas menacé le premier.
— Il ne l'eût pas frappé, je comprends;
en ceci votre déposition est conforme à
celle de l'accusé.
Vous avez dit aussi que, n'ayant pas
revu Loïc, vous ne pouviez justifier de
l'emploi de son temps pendant les deux
jours et les deux nuits qui viennent de
s'écouler.
- Je l'ai dit et c'est la vérité, mon-
sieur le juge.
- Merci, père Kéradek, voilà tout ee
que je désirais savoir pour l'instant. Yvon,
appela M. Merlet, prévenez le témoin
Randonneau qu'il ait à reparaître.
Et lorsque ce dernier rentra avec l'air
d'nn homme qui subit une corvée :
— Randonneau, raprit le juge, vous
avez dit dans votre première déposition
que le crime avait été commis à minuit;
vous devez vous être trompé.
— Pour cela, répondit l'aubergiste d'un
ton d'indifférence, il pouvait bien être
plus près d'une heure que de minuit.
Vous savez, je n'avais pas ma montre à
la main, et je n'ai pas songé à regarder
au coucou.
— Je vous engage à répondre d'une fa-
çon plus précise, répliqua le juge; quand
on verbalise, il importe que tout soit re-
laté avec la plus grande exactitude. Nous
devons nous entourer de tous les rensei-
gnements susceptibles de dissiper l'obscu-
rité de certains faits. ,-
t J'ai remarqué déjà dans votre déposi-
tion plusieurs contradictions que je ne
m'explique pas. Je vous préviens que M.
le procureur, lorsqu'il vous interrogera,
ne vous passera rien.
— C'est bon. Je lui répondrai ce que
je vous ai déjà dit.
Tout en rappelant l'aubergiste à l'or-
dre, M. Merlet avait ouvert, machinale-
ment en apparence, le tiroir du comp-
toir. Il eut l'air tout surpris en y aperce-
vant une bourse de soie noire assez ron-
delette.
— Hé ! hé ! fit-il en la prenant dans sa
main, vous avez là une jolie bourse. et
pleine d'or.
Randonneau, qui se tenait à une dis-
tance respectueuse, - n'avait pas vu ce
mouvement; mais il s'avança aussitôt,
la main tendue, pour reprendre la
bourse.
— Pas si près donc. arrière ! fit le
veilleur en le forçant à reculer.
— Je vous savais à votre aise, conti-
nua le juge d'un ton où perçait l'ironie,
mais je n'aurais pas supposé que tant
d'argent dormît chez vous dans un tiroir
que le premier venu peut ouvrir.
— C'est la bourse du comte. je la re-
connais. murmura le barbier Nicole
en se penchant vers l'oreille du juge, qui
lui répondit par un coup d'œil signifi-
catif,
L'aubergiste était évidemment décon-
tenancé ; pour cacher son trouble, il es-
saya de prendre la chose gaiement et il
repartit :
— Dame ! monsieur Merlet, il faut bien
se garder une poire pour la soif.
— Belle poire, J'en conviens ; mais elle
n'était guère en sûreté.
- Vous savez, monsieur le juge, dans
le commerce, il vous vient des affaires à
régler. des paiements à faire. on doit
se trouver prêt. -
.1 — L'ordre est une belle chose; c'est
égal, la somme me paraît ronde. Cela
prouve que le métier est bon. Combien
avez-vous mis de temps, hein? pour
amasser ce maprot là9 J
— Oh 1 bien des mois et bien des jours,
allez!.
Puis, avec une certaine impatience, il
reprit :
— Mais tout cela n'est point en cause ;
ce sont mes affaires, monsieur Merlet. Si
nous revenions à la question ?
— J'y suis en plein, maître Randon-
neau, répondit le juge qui ajouta sur un
ton plus sévère :
-Et,pourpreuve,le vous somme de me
dire comment il se fait qu'une bourse
pleine d'or, appartenant à M. le comte,
se trouve en votre possession ?
L'aubergiste pâlit et garda le silence.
— Quand je vous disais que Loïc n'était
pas un voleur !. souffla le père Kéradek
à l'oreille du barbier.
— Voyons, répondez ! fit le juge sèche-
ment.
— Pourquoi ne m'accusez-vous pas
aussi d'avoir commis l'assassinat? répli-
qua Randonneau d'une voix mal assurée.
— Vous ne répondez pas à ma ques-
tion.
— Qu'on demande à M. le comte, et
l'on verra que cet argent est bien à
moi.
— Malgré votre assertion, insista le
juge, il pèse tant de charges sur vous,
que je me vois forcé de vous traiter non
plus en témoin, mais en accusé, et de
vous faire garder provisoirement à vue
dans votre chambre, avec défense de
communiquer avec personne. - -
— Moi, un accusé 1 exclama l'aubergiste
consterné. Je vous jure, monsieur le
juge, que je suis innocentl. Vous me
connaissez depuis longtemps. Vous sa-
vez.
— Monsieur Randonneau, j'accomplis
mon devoir. interrompit le - fonction-
naire avec une dignité froide.
Au même instant, on entendit au de-
hors le bruit métallique de deux crosses
de fusil qui résonnèrent sur le seuil de la
porte.
Yvon courut ouvrir et deux gendarmes
entrèrent, amenant un nouveau prison-
M. Merlet, qui avait quitté le comptoir
où il siégeait, fit signe à l'un des gen-
darmes de s'emparer de Randonneau. Et
tous trois quittèrent la salle de l'auberge.
L'autre gendarme était entré, précédé
de sa capture.
— Tiens! s'écria le barbier surpris;
c'est Fabien Lemarec.
— Une bonne prise, barbier, à ce qu'il
paraît, dit le gendarme.
— En fait de bonne prise, repartit Ni-
cole, c'est le braconnier qui va nous en
donner une; il a toujours du tabac de
première qualité.
— Volontiers, répondit Lemarec.
Et se tournant vers le gendarme il
ajouta :
— Avec la permission de l'autorité ?
— J'obtempère, fit le gendarme sans
se départir de sa gravité.
Le braconnier tira alors de sa poche
une vieille tabatière en écorce de bouleau,
dite à queue de rat, à cause de la forme
de la petite lanière de cuir qui servait à
enlever le couvercle..
Il la présenta d'abord au gendarme,
qui y puisa une large prise et la renifla
avec volupté.
Nicole, Yvon, le grefuer et même le
vieux Kéradek l'imitèrent, et bientôt un
quintuple et formidable éternuement ré-
sonna et fit trembler jusqu'aux vitres de
la salle.
— Dites donc, Lemarec, demanda en-
suite Yvon, est-ce comme accusé que vous
êtes arrêté ?
— Je l'ignore, ma foi 1 répondit le bra-
connier. Monsieur et son camarade, pour-
suivit-il en désignant le gendarme, m'ont
rencontré au milieu de la forêt; ils m'ont
prié poliment de les suivre et je les ai
suivis, parce que je me doutais bien un
peu dans quel endroit ils me condui-
saient.
— Comment cela? questionna Yvon à
son tour. Vous saviez donc déjà la nou-
velle du crime ?
ALFRED SmVJtN.
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