Titre : Le XIXe siècle : journal quotidien politique et littéraire / directeur-rédacteur en chef : Gustave Chadeuil
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1885-01-16
Contributeur : Chadeuil, Gustave (1821-1896). Directeur de publication
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Description : 16 janvier 1885 16 janvier 1885
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Droits : Consultable en ligne
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Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-199
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 09/04/2013
Quinzième année. -.&B- N" 4758
Prix du numéro à Paris; 15 centimes - Départements: 20 centimes
Vendredi 16 Janvier 1885
JOURNAL RÉPUBLICAIN CONSERVATEUR
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Actions Rio. 338 12, 337 50.
PARIS, 15 JANVIER 1885.
L'interpellation de M. Raoul Duval,
discutée hier, n'a donné lieu qu'à un
débat très court. La question a été tout
juste effleurée dans les explications
qu'ont fournies les ministres. M. le pré-
sident du conseil, passant rapidement
sur le désaccord survenu entre lui et le
général Campenon, a déclaré qu'il ne
se proposait point d'autre but que celui
d'assurer l'exécution du traité de Tien-
tsin, ainsi qu'il y a été invité par la
Chambre même (vote de l'ordre du jour
du 27 novembre). M. le ministre de la
guerre a garanti de son côté que la
mobilisation de l'armée continentale ne
serait pas compromise par l'envoi de la
douzaine de mille hommes qui vont
renforcer le corps expéditionnaire du
Tonkin. Il a fait en outre une allusion,
malheureusement trop vague, à un essai
de « petite mobilisation » qu'il paraît
méditer ; un peu plus de précision sur
un si intéressant sujet aurait été bien
désirable. Quoi qu'il en soit, la majorité
de la Chambre (et nous ne le regrettons
pas) a témoigné-une fois de plus que sa
confiance dans le cabinet n'était pas
ébranlée. Pour nous, les assurances
qu'a données M. le général Lewal nous
ont paru de nature à amoindrir les
appréhensions que la retraite du général
Campenon avait fait concevoir. Espé-
rons maintenant un dénouement heu-
reux et relativement rapide. Et puissent
bientôt nos soldats et nos marins faire
honneur aux engagements pris par le
gouvernement de la République 1
fout de suite après l'interpellation, la
Chambre a réglé son ordre du jour. Elle
y a inscrit quatre projets de loi de haute
importance, le projet de relèvement des
tarifs douaniers en première ligne.
Puis, ayant ainsi marqué son désir de
mener promptement à bien les affaires
urgentes, elle a décidé de s'ajourner au
27 janvier. Conclusion certainement
inattendue et capable de dérouter les
logiciens. Mais que voulez-vous? tout
ce que nous dirions là-dessus aujour-
d'hui ne servirait guère. Nous n'ap-
prouvons pas cet aournement, on le
sait de reste ; le voilà voté, nous n'y
pouvons mais. Quand nous aurons ex-
primé le vœu légèrement banal que la
Chambre regagne, à dater du 27 jan-
vier, le temps qu'elle aura perdu jus-
que-là, nous aurons tout dit. Seulement
le temps perdu se retrouve-t-il? Nos
confrères du Temps prennent sur eux
d'insinuer que la Chambre perd plus de
temps lorsqu'elle siège que lorsqu'elle
ne siège pas. Nous ne nous serions pas
permis ce paradoxe épigrammatique, et
nous persistons à placer dans la majo-
rité républicaine plus de confiance.
C'est très sincèrement que nous sommes
fâchés du supplément de congé qu'elle
s'octroie. Et lorsqu'on touchera aux
dernières séances de la législature on1
regrettera, nous le craignons, avec
amertume, la dissipation que l'on aura
faite, au début de la session, de ces pre-
miers jours.,
EUG. LIÉBERT.
LE PARLEMENT
COURRIER DE LA CHAMBRE
Paris, 14 janvier 1885.
Aujourd'hui, l'inconnu s'est déroulé
tel qu'hier nous l'avions prévu de point
en point: l'interpellation d'abord, l'ajour-
nement des séances ensuite.
L'interpellation n'a guère différé de ce
qu'ont été les précédentes interpellations
sur le même sujet; elle a été seulement
plus courte et plus monotone que bien
d'autres.
M. Raoul Duval la développe dans un
style lourd, filandreux, en ayant le tort,
lorsque cette nouvelle phase de la lutte
demande à être circonscrite à quelques
interrogations précises, de se perdre
dans les détails d'antan. C'est un tort
oratoire; mais au point de vue des pro-
chaines clectices sénatoriales, de l'élec-
tion de l'Eure notamment et des intérêts
du compère Albert de Broglie, l'orateur
estime sans doute qu'il lait un coup de
maître en « rafraîchissant » la question
du Tonkin.
On nous permettra de chercher à dé-
gager dans ce fouillis de phrases banales
ce qu'il importe d'élucider.
Le général Campenon a été remplacé
au ministère de la guerre, pour des mo-
tifs d'ordre extérieur, à cause de la di-
vergence qui existait entre lui et ses
collègues du Cabinet sur l'étendue de
notre action militaire dans l'Extrême-
Orient ; il ne voulait pas assumer la res-
ponsabilité de la direction d'une armée
de 30,000 hommes guerroyant là-bas et
d'une extension des hostilités avec la
Chine. Et cependant, récemment, en re-
fusant de répondre aux questions de M.
Granet, il acceptait les conséquences du
discours du président du conseil deman-
dant quarante-trois millions de plus pour
autoriser toutes les opérations de terre
et de mer, considérées par l'amiral Cour-
bet comme nécessaires et décisives. Que
s'est-il passé, depuis, pour que le géné-
ral Campenon se soit décidé à donner sa
démissioq ? Le gouvernement médite-t-
il une expédition sur un point quelcon-
que de l'empire chinois? Où veut-il
aller ? Quelle est la limite que le général
Campenon fra pas voulu dépasser?
M. Raoul Duval ne saurait nous en
vouloir d'avoir ainsi recousu les loques
de son argumentation, car, ainsi présen-
tée, elle se tient à peu près tout d'une
pièce.
- L'orateur de la Droite a beau déco-
cher force gracieusetés à M. Granet, à
M. Clémenceau, il n'encaisse pas dans sa
tirelire le moindre petit bravo ; à la fin
seulement, un léger ronron approbatif
des onze monarchistes qui composent
aujourd'hui la Droite. Et c'est là un in-
dice caractéristique : quand les tribunes
sont vides, quand les bancs sont dégar-
nis, une interpellation est jugée !
M. Jules Ferry est trop vieux routier
pour se laisser entrainer à entamer
une nouvelle discussion sur les affai-
res du Tonkin. Fort du vote du 27 no-
vembre; qui ordonne « une action vive
et prompte », il explique brièvement que
le gouvernement a dû apporter une mo-
dification au plan de campagne suivi de-
puis quinze mers, et qui consistait :; 11
l'occupation limitée du Tonkin, pour se
préoccuper d'une occupation complète.
L'Extrême Gauche rugit ; mais ne sont-
ce pas ses représ ntants qui, par esprit
d'espièglerie, ont fait insérer dans le
dernier rapport une sorte de vœu mili-
taire échappé à M. Maze et aboutissant à
l'extension des opérations jusqu'aux ré-
gions montagneuses? Du reste, là n'est
pas la question. M. le président du con-
seil nous y ramène :
« C'est alors que le désaccord le plus
loyal s'est produit entre le ministre de
la guerre et nous. Celui ci n'admettait
qu'une tactique au Tonkin: il ne croyait
pas bon que l'occupation s'étendît au
delà du Delta, et, malgré nos prières,
il a voulu se retirer, disant : « Aune poli-
» tique nouvelle, il .faut un homme nou-
» veau. »
Couvrant de fleurs le collaborateur
dont le cabinet s'est séparé avec un pro-
fond regret, M. Jules Ferry profite de
la jonchée pour présenter à la Chambre,
sur un tapis de roses, le collaborateur
nouveau et passer la main au général
Lewal :
« C'est à lui que je laisse le soin de
vous dire s'il y a Incompatibilité entre
la sécurité du territoire national et la
nécessité de défendre au loin les inté-
rêts de la France.»
En sonnflfc; l'engagement n'a guère été
violent jusqu'ici. L'apparition du géné-
ral Lewal est de nature à provoquer une
curiosité silencieuse. On écoute.
Nous avons dépeint, hier, en quelques
traits, l'extérieur très séduisant du nou-
veau ministre de la guerre ; nous ajou-
terons simplement que la voix porte
suffisamment, quoiqu'un peu voilée, et
que le débit, légèrement chantant, n'a
rien de la rudesse dite militaire. Le gé-
néral Lewal est non seulement un excel-
lent ofûcier, mais encore un écrivain
militaire de premier ordre; il passe
même pour être un remarquable confé-
rencier ; nul ne lui a épargné les éloges.
Mais c'est justement la réunion de toutes
ces Qualités, l'adjonction de la dernière
principalement, qui rend l'auditoire dif-
ficile ; l'orateur supporte les conséquen-
ces de sa réputation.
Soucieux de se poser uniquement en
soldat, tout à fait en dehors de la politi-
que, il use d'une franchise qui, dans sa
bouche, devient de la rusticité : « Je n'ai
pas désiré le portefeuille du général Gam-
penon ; si j'avais voulu être ministre, il
y a longtemps que je le serais. » On rit,
on rit encore à plusieurs reprises, et cette
gaieté enlève à l'orateur, * qui voudrait
s'ouvrir loyalement à la Chambre, la plé-
nitude de ses moyens. --
En définitive, le général Lewal, qui a
étr) le collaborateur du général Campe-
non, tient à proclamer bien haut qu'entre
les deux directions, celle d'hier et celle
d'aujourd'hui, il n'y a qu'une nuance :
« Une crainte existait au sujet de la mo-
bilisation, que certains prétendent com-
promise. Moi, qui y ai contribué plus
que personne ; moi, dont le rêve a été
constamment de la rendre parfaite, je
vous réponds qu'elle n'est pas compro-
mise 1 »
Il laisse du reste entendre qu'il pré-
sentera, pour obvier aux inconvénients
constatés, un projet de « petite mobili-
sation », et il descend de la tribune sur
ce dilemme : « Ou la retraite ou l'action.
Vous ne voulez pas de la retraite. L'ac-
tion l »
Cette péroraison d'une énergique conci-
sion prouve que le général Lewal est en
état de fournir des passes oratoires plus
brillantes que celle d'aujourd'hui.
Pour le reste de l'interpellation, pre-
nez n'importe quelle fin de séanca sur le
rjonkhi et mettez-la à la suite de ce qui
précède; vous aurez exactement ce qui
s'est passé, car il se passe régulière-
ment la même chose.
« Nous ne sommes pas plus avancés
maintenant qu'avant les déclarations des
ministres !. Si nous ne connaissons
pas la vérité, c'est que la majorité n'aura
pas voulu la connaître!! Et c'est ainsi
qu'on envoie sacrifier au loin les enfants
de la France !!! Il faut que le pays sache
cela, qu'il le sache, le sache!!!! »
M. Raoul Duval lance les premières ti-
rades, en tâchant de retrouver sa verve
des jours passés ; mais la jeunesse ou la
conviction fait défaut, — l'une des deux,
qu'on choisisse. Puis M. Lockroy lui suc-
cède, sautillant comme un rouge-gorge
qui aurait çhaussé des semelles en caout-
chouc et poussant des cris d'orfraie. Le
président du conseil, qui est blasé sur ce
genre de manifestations, attend avec
calme que le cours en soit tari ; et, les
ordres du jour motivés une fois déposés,
il demande imperturbablement l'ordre du
jour pur et simple.
C'est ce qui est voté par 294 voix contre
234. -
Eh bien, maintenant, allons-nous-en !
Hélas ! il nous faut encore subir les pé-
ripéties d'un simulacre.
La Chambre se met en devoir de fixer
son ordre du jour, — vous savez, ce fa-
jmeux ordre du jour qu'on modifie perpé-
tuellement dès qu'on l'a arrêté,
Au bout d'une demi heure de défilé à
la tribune, quand dix-sept propositions,
qui ont fait victorieusement le coup de
poing, se pavanent au feuilleton, le pré-
sident, d'un petit air entendu, insinue
que l'ordre du jour lui paraît sutfisam-
ment chargé et invite la Chambre à fixer
la date de la prochaine séance.
— Demain!
-Le 271
— Le 29 !
Les cris s'entrecroisent.
Ecartée la date du 29, par 263 voix con-
tre 237. Mais la date du 27 triomphe à la
majorité de 256 voix contre 210.
Il se trouvera peut-être des intelligen-
ces assez peu ouvertes pour s'étonner de
la différence des suffrages entre deux da-
tes aussi rapprochées. Suivez bien le
raisonnement : le 25, élections sénatoria-
les ; dans la journée du 26, on arrive
à Paris ; le 27, on reprend le travail
législatif. Si, au contraire, on ne sié-
geait que le 29, il serait à craindre
que les méchantes langues de la province
ne dissent en parlant de leurs députés :
« Ces flâneurs-là ont encoré perdu quatre
jours !»
Et voilà pourquoi l'anomalie apparente
du dernier vote n'a même pas surpris
ceux qui, comme nous, savent à quel
point les petites causes régissent les plus
grosses décisions de la Chambre.
PAUL LAFARGUE-
MlMMUMÂTOIilAli
La commission d'électeurs et de dé-
légués sénatoriaux chargée d'élaborer
un programme pour l'élection du 25 jan-
vier dans le département de la Seine,
s'est réunie mardi soir à l'Hôtel de
Ville, sous la présidence de M. Schœl-
èher, et une seule séance lui a suffi pour
rédiger le programme qu'elle était char-
gée d'élaborer..
Voici les neuf articles auxquels elle
s'est arrêtée :
I. — Revision intégrale de la Constitution
par une Assemblée constituante élue par le
suffrage universel.
H. — Suppression du Sénat.
m. — Subordination absolue de l'exécu-
tif au législatif.
IV. - Séparation des Eglises et de l'Etat.
V. - Protestation contre la politique d'à- j
ventures et de conquête.
VI. — Magistrature élue. — Extension du
jury au correctionnel et au civil.
VII. — Retour du département de la Seine
au droit commun. — Séparation du conseil
général de la Seine et du conseil municipal
de Paris. — Décentralisation départemen-
tale. — Autonomie comm nale.
VIII. — Réforme égalitaire de noire ré-
gime économique et social.
IX. — L'élu rendra compte de son mandat !
tous les ans.
La Justice fait remarquer qu'au cours
de la discussion une autre proposition
encore avait été faite : réduction du ser-
vice obligatoire, dont la durée serait
égale pour tous. Elle suppose qu'au mo-
ment de passer au vote, la proposition
a été oubliée, mais qu'elle sera reprise
dans les réunions. En ajoutant cette
proposition, nous voici donc en face
d'un programme en dix articles, ni plus
ni moins que le Décalogue de Moïse.
Beaucoup de ces articles ne sont pas
nouveaux pour nous. C'est le groupe
autonomiste qui avait obtenu la majorité
lorsqu'il s'était agi de désigner les mem-
bres de la commission. fi ne pouvait
donc laisser échapper cette occasion de
formuler une fois de plus ce qu'il ap-
pelie ses revendications.
Nous savions qu'illicnt absolument à
l'élection d'une Assemblée constituante
pour reviser la Constitution et la revi-
ser « intégralement»; nous savions que
c'est là le premier dogme de son Credo;
nous ne saurions lui en vouloir d'avoir
accordé à cet article la place d'hon-
neur. Mais ce que nous savons aussi,
c'est que la France en a assez de la re-
vision, et qu'elle n'a nul désir de voir
se renouveler les scènes du Congrès de
1884. Elle estime et avec raison qu'il
y a des choses plus utiles à sa prospé-
rité que les discussions oiseuses sur la
forme du gouvernement, et qu'un pro-
priétaire sage ne démolit pas sa mai-
son, eut-elle quelques petits inconvé-
nients, pour s'aller loger à l'hôtel de la
Belle Etoile.
Nous savions que la suppression du
Sénat était une doctrine chère aux au-
tonomistes comme aux radicaux; nous
eussions été surpris de ne pas leur en-
tendre répéter une fois de plus : «. Sus
au Sénat! M mais nous savons aussi que
le pays, qui sait bien à quels entraîne-
ments toute Chambre unique est sujette,
trouve fort bon qu'il y ait- deux Cham-
bres et non pas une seule. Il se dit
même qu'avec les brusques réactions
dont le suffrage universel n'est pas in-
capable, telle circonstance se pourrait
présenter où le Sénat fùt l'ancre de sa-
lut de la République. Le Sénat n'est
point menacé, et si l'élu de Paris vient
au palais du Luxembourg proposer à
ses collègues d'imiter le sacrifice de
Cunius, il le pourra faire même sans
péril, fût-ce pour lui. Il émargera pai-
siblement, jusqu'au terme de son man-
dat, au budget de ce Sénat qu'il a,ira
reçu pour mission de détruire.
L'article 3 aurait eu besoin de quel-
ques éclaircissements; mais le pro-
gramme, d'un bout à l'autre, est fort
sobre en fait d'éclaircissements. Qu'en-
tend-on par « la subordination absolue
de l'exécutif au législatif»? Nos minis-
tres sont responsables; oa n'en voit
point qui ait gardé son portefeuille après
qu'un vote de la Chambre avait con-
damné sa politique ou ses actes. Si l'on
veut quelque chose de plus, ce serait
probablement que la Chambre gouver-
nât à l'aide de comités, à la façon de la
Convention. Est-ce bien cela que de-
mande la commission? Si c'est cela,
nous répondrons que l'expérience a été
faite et que le pays n'a nul désir de la
renouveler.
Là séparation de l'Eglise et de l'Etat,
l'autonomie de la commune, le fameux
retour de Paris au droit commun, ce
sont là toutes choses connues. 11 ne
nous eût pas déplu que dans le pro-
gramme il y eût un article où l'on par-
lât un peu de l'unité de la France —
une et indivisible ! disaient nos pères
de la Révolution, et leur devise était la
bonne.
On demande la réforme égalitaire de
notre régime économique et social.
C'est fort bien, et sur ces termes vagues
tout le monde peut être d'accord. Mais
qu'entend-on par ces mots? De quelles
réformes particulières s'agit-il ? Quels
sont les moyens à employer? Quelle
est la formule à choisir entre tant de
formules proposées? Le programme est
muet tout juste sur le point où il sem-
blait essentiel qu'il s'expliquât.
Beaucoup de mots, fort peu de con-
clusions pratiques, tel est le plus clair
résumé de l'œuvre des délégués. Il ne
reste plus qu'à trouver t'homme coura-
geux qui se chargera d'accepter ce pro-
gramme. On n'aura, sans doute, que
l'embarras du choix. Quant au compte
rendu annuel qu'il prendra l'engage-
ment de venir faire tous les ans de
l'exercice de son mandat, — à qui, par
parenthèse, ^puis jue le rôle des élec-
teurs sénatoriaux cesse aussitôt l'élec-
tion faite ? — quant à ce compte rendu,
il pourra être bref. Quand le sénateur
aura dit : « Citoyens, tout notre pro-
gramme reste toujours à appliquer n,
sa tâche sera terminée.
., CHARLES BIGOT.,
J—————- o —————-
NOUVELLES DE CHINE
LES TRANSPORTS DE TROUPES
Le Petit Marseillais donne quelques ren-
seignements intéressants sur certaines con-
ditions imposées aux Compagnies avec les-
quelles on a traité pour le transport des
troup'es en Indo-Chine :
Les Compagnies qui fournissent les navi-
res ont à leur charge le servie des vivres.
Les officiera supérieurs, les officiers su-
balternes, les suus.-officiers forment trois
classes distinctes. La composition de leur
repas est la même que celle des tables cor-
respondantes à bord des transports de l'Etat.
Les caporaux et les soldats reçoivent la
ration réglementaire de trois repa:s par
jour. h - -
A la table des officiers supérieurs, il est
servi, au déjeuner, 3 hors-d'œuvre, 3 plats,
5 desserts, 2 fromages, du café ou du thé
avec cognac; -.:. au dîner, 3 hors-d'œuvre
dont 1 de cuisine, 1 potage, un relevé de
potage, 1 entrée, 1 rôti avec salade autant
que possible, 2 légumes, 1 entremets sucré,
5 desserts, 2fromages, café ou thé, liqueurs
assorties, vins fins rouges et blancs.
A la table des officiers subalternes, au dé-
jeuner, 2 hors-d'œuvre, 2 plats de cuisine,
i fromage, 2 desserts, café ou thé avec co-
gnac (le jeudi et le dimaDChe. du vin fin à
raison d'une bouteille par 5 personnes) ; au
dîner, 2 hers-d'œuvre d'office, 1 potage, 1 re-
levé de potage, 1 entrée, 1 rôti avec salade,
Feuilleton du XIX. SIÈCLE
Dui6 janvier 1885
(25)
LAZARE
XI
— suite --
Les moissonnaient aux oreilles de Dé-
siré, il ne comprenait pas tout de suite.
A la fin, il crut deviner qu'elle se fâ-
chait :
— En vérité, disait-elle, monsieur Pa-
che, -ce que vous faites là n'est pas très
honnête.
Et elle s'agitait comme pour se débar-
rasser d'une gêne.
De l'autre côté de la rue, le marchand
de vin s'était avancé jusqu'au bord du
trottoir et ricanait en les regardant. Mé-
lie passa. Désiré la suivit. Que pouvait-
elle, craindre ? Tout le voisinage devait
bien commencer à le connaître et savoir
comme il était reçu chez l'épicier.
Il attendit cependant d'avoir remonté
quelques pas dans le faubourg :
— Ainsi, mademoiselle, c'est donc vous
qui ne voulez plus ?
— Je n'ai pas dit cela.
— Vrai? Alors, votre mère, si je la
voyais.
— Oh ! dit la jeune fille dans un se-
couement d'épaules, il est trop tard,
allez.
Trop tard, parce qu'il avait failli mou-
rir ! Mais voyons, il l'aimait, pourquoi ne
serait-elle pas heureuse avec lui? Que
lui reprochait-on?
— Dites, dites. Ah! je saurai bien me
défendre. Et si peu que vous m'aidiez.
Pour le coup, elle s'arrêta :
— Mon Dieu, monsieur Pache, écou-
tez, vous ferez ce qu'il vous plaira, mais
Reproduction interdite aux journaux qui n'ont
pas traité avec la Société des geua de lettres.
Droit de traduction réservé.
ça ne servira à rien. Maman est butée;
c'est fini, là.
Désiré ouvrait les yeux sur la femme
qui était devant lui et il cherchait quel-
qu'un de subitement disparu. Ce main-
tien roide, ce front dur, étroit, pressé
par des bandeaux bas et serrés ainsi
qu'un béguin de vieille, ces prunelles
d'émail bleu, ces lèvres minces, ce men-
ton aux arêtes sèches, tout ce masque
taillé dans le marbre ne lui rappelaient
rien. Il élevait à demi ses mains trem-
blantes, cherchant, invoquant, ne sachant
plus. Entre elle et lui flottait une forme
vague, un pur visage au regard humide
et tendre, qu'éclairait un sourire parmi
de lointains reflets roses.
Une ardente supplication le soulevait
tout entier ; il répéta dans un gémisse-
ment : « Oh I mademoiselle Mélie!.»
Ce n'était pas elle, puisque la femme
qui 1 avait écouté détournait la tête et
s'éloignait sans répondre. Et, dans la nuit
confuse de ses souvenirs, Désiré n'arrivait
même plus à retrouver les traits de celle
qu'il avait aimée
XII
Il devint sombre. Nul labeur n'arrivait
plus à lui prendre sa pensée, qui travail-
lait, sans relâche, dans le noir et dans le
vide, qui fermentait avec de soudains
bouillonnements de colère tout de suite
affaissés. Les amitiés des camarades, ma-
ladroites et parfois brutales, le tortu-
raient; dans les plaisanteries qui croyaient
le distraire ou le consoler, son sobriquet
revenait à tout momment le maudire.
Lazare: c'était fini, l'habitude était prise;
tout le monde ne l'appelait plus que
Lazare; Garbille lui-même ne s'en dé-
saccoutumait point. Et lorsqu'il osait se
plaindre et supplier, avec sa douceur
d'enfant malade qu'un bruit importune,
les discours du vieux sermonneur lui
donnaient des sueurs froides, le pous-
saient à la folie, dont ils le menaçaient.
Il n osait pourtant les interrompre, par
crainte de constater sa fl!.blesse.
Aux heures d inaction, il se repaissait
de souvenirs; il. tes ruminait incessam-
ment. Souvenirs amers ; les malheu-
reux o, èn connaissent pas .d'autres. Les
Çi'ùs douces sensations de son enfance ne
lui rendaient plus que souffrance et qu'an-
goisse. Les mystérieuses terreurs que le
petit Coustenaille s'en allait chercher au
fond des trous de ténèbres de la charbon-
nerie, ou qui le faisaient dévaler tout
pâle de la place des Victoires avec la ga-
lopade du grand cheval de bronze à ses
trousses, n'était-ce pas déjà des avertis-
sements, comme les premières alteintes
de sa destinée, l'horreur des ombres de
son avenir planant au-dessus de lui? Il
le crut, s'entretint dans cette idée en va-
guant chaque soir dans l'ombre, par les
rues désertes et les quais. Son corps, que
l'âme désertait, allait à l'aventure, jamais
assez las, mené peut-être par quelque
obscur regret du temps où, au bout de sa
fatigue, il s'abattait tout bonnement le
long.d'une berge ou sur les mousses du
Bois, assommé; tandis que, mainte-
nant, lorsque la routine l'avait ramené
au bas de son escalier, l'effort de gravir
les étages, d'ouvrir sa porte, de se dé-
vêtir, secouait l'engourdissement de la
marche; et dans l'insomnie sa pensée se
fixait.
L'habitude aussi le conduisait souvent
vers le faubourg Saint-Antoine. Il entrait
dans la rue Sainte-Marguerite et la tra-
versait toit entière, longeant les maisons
en face de l'épicerie, le visage tourné
contre les murs. De loin il avait aperçu
la lumière aux vitres de la boutique ou
à la fenêtre de Mme Petitbon : c'était
tout, il passait. Cela ne lui donnait ni
apaisement ni souffrance; rien qu'un peu
de peur dans les commencements, mais
qui s'usa bien vite.
Un soir il rencontra, dans le quartier,
Justin, et machinalement se pendit à son
bras.
— Tu les vois donc toujours ? de-
manda-t-il.
— Et toi, répliqua le garçon coiffeur
en regardant les étoiles, on ne te voit
plus.
— Chez elle !.
Désiré avait eu comme un tressaute-
ment d'effroi. Mais Justin n'insista pas;
il n'osa questionner. Au bout d'un ins-
tant, le beau Bêmare se pencha sur son
éDaule et prit le ton wdes confidences:
c était de la rue de Seine qu'il avait .voulu
parler.
— Mon cher, à la maison il se passe des
choses. T'est-il jamais arrivé, à toi, d'ê-
tre le premier péché d'une femme de
quarante-deux ans ? C'est excessivement
drôle.
Oh! il savait bien que ça ne le serait
pas longtemps; mais pour ce que ça de-
vait durer. une simple amusette, un
caprice: histoire aussi de n'en avoir pas
le démenti, que diable! depuis qu'on le
taquinait au jeu. D'ailleurs il se mariait.
Là-dessus, comme il fit une pause, Dé-
siré dit: —Ah! — sans curiosité.
— Mon Dieu ! oui, il l'a fallu. C'est tout
un roman.
Et il le conta, sans plus attendre, avec
des balancements de tête, soufflant ses
paroles du bout des lèvres et aspirant à
lui seul tout l'air des boulevards. Théo-
dore, sans qu'on sût pourquoi, s'était
pris de jalousie, tout à coup, juste à la
veille d'abandonner définitivement son
fond à son premier commis. Mauvaise
affaire. Par bonheur, dans le même temps,
un parti s'offrait : « Une très jolie fille,
mon cher. Pas le sou, mais dans notre
métier de beaux yeux commanditent
une maison. D'ailleurs, c'est la maman
qui a tout fait; elle s'était toquée de
moi, positivement. Il n'y a pas eu de ma
faute, affirma Justin d'un ton rabaissé ;
je me suis laissé empaumer, voilà. »
Honorine, d'ailleurs, effrayée des in-
quiétudes du patron, poussait la pre-
mière au mariage. Et les choses allaient
si bon train que la jeune fille était venue
avec ses parents visiter le salon de coif-
fure. Mais ces braves gens à peine partis,
tout émerveillés, Mme Théodore éclatait
en sanglots, tordait ses beaux bras sur le
canapé, parlait de ses rides, de ses che-
veux blancs, de la mort, la tête absolu-
ment perdue'•
— Mets-toi à ma place, mon petit Pa-
che. Il aurait tallu un cœur de pierre
ou le sang-froid d'un Joseph. D'autant
plus qu'avec tous ses restes, elle était
encore très bien dans ce rôle-là, ajouta
le garçon coiffeur, jeune et point blasé,
flatté surtout de ce tardif triomphe sur
quarante-deux bonnes années de vertu
authentique.
Cette aventure ne devait au surplus
qu'accélérer la conclusion du mariage,
Justin trouvant aussi habile que diver-
tissant d'exploiter les peurs de la mal-
heureuse femme, qui se mourait dans
4e cruelles alternatives de terreur et de
désespoir. On signait le contrat de vente,
avec l'autre, dans la huitaine. « Et une
fois marié, dame! ce sera à mon tour à
jouer de la vertu. La Théodore ira se
consoler où elle voudra. »
Désiré, quoique n'écoutant qu'à demi,
en avait assez entendu ; le cœur lui levait
à ces malpropretés d'arrière-boutique.
Et tout cela était balayé de sa mémoire
lorsque le vendredi suivant, à la sortie,
Garbille, battant un entrechat, cria :
— Au diable la boîte! je suis de noce
demain.
Sans sa voir pourquoi, Désiré s'arrêta net:
— La noce de qui donc? demanda-t-il
lentement.
Ils restaient seuls dans la cour,entre les
grandes bâtisses mornes d'où les bruits
de l'atelier se vidaient dans les roulements
et les rumeurs de la rue. Garbille, en-
nuyé, grommelait : « Eh ben, quoi? la
noce, pardi!. d'unenoce;» et s'éloignait.
Alors Désiré, jetant ses mains en avant
pour le retenir :
- Non, non, dis, ce n'est pas vrai.
Et son visage se tendit tout à coup, son
regard s'élargit :
- Avec qui, encore? Avec. avec.
Cela ne voulait pas sortir ; sa voix se
cassait. Mais le nom se dessinait sur ses
lèvres. Bec-à-Vin finit par secouer les
épaules et dit oui de la tête.
— Et tu vas à cette noce-là, toi!
— Tiens, celle de ma cousine. J'avais
promis de les attendre, ajouta le vieux
philosophe avec un geste gauche; ils sont
venus. Rester fâché après ça, ce n'était
plus de la dignité, c'était de la rancune.
— Et puis il y aura à manger et à
boire. Lâche ! lâche I murmura Désiré.
— Ah ! fiche moi la paix !
Garbille se détourna d'un coup de
hanche et passa.
Ils se retrouvèrent le lendemain place
Voltaire, à la porte de la mairie.
Désiré était affreusement pâle et comme
ravagé, souillé de poussière, tout en dé-
sordre, les joues creuses, des yeux de
plomb sous des paupières brûlées par
l'insomnie ou par les larmes.
— Que viens-tu faire ici, malheureux ?
demanda Garbille. 1
Sans remuer ces yeux gris et lourds
;" d'aveugle, il répondit :
l - Je viens voir passer les noces.
L'artiste le saisit par l'épaule. le poussa
devant les glaces d'une boutique voi-r
sine ; il se vit et recula effrayé. -
— Et que tiens-tu là? reprit Garbille
en essayant de lui arracher de sa poche
son poing qu'il y cachait et qui y de-
meura durement ferm j.
Mais ses prunelles grises tremblèrent,
dans une courte lueur. Et, tenace, il re-
vint à son poste, au bas de l'escalier où
des garçons d'honneur, gênés dans leurs
gants et qui tenaient leur chapeau à la
main à cause de leur frisure, alignaient
avant de monter un cortège de robes
bouffantes et de redingotes brillant le
neuf, déballées à grand fracas d une file
de trois fiacres.
D'autres noces suivirent : de grosses
noces de petits boutiquiers, amenées en
landau, qui encombraient le trottoir de
ronds de jupes ; de petits mariages arri-
vant discrètement à pied, l'homme en
veston brossé, la femme en robe de laine,
tout uniment suivis de leurs deux pai-
res de témoins ; une autre encore qui res-
semblait à un baptême, la mariée donnant
bravement le sein à son trop tôt venu,
le marié tout réjoui, le plus fier de tous.
Il faisait un beau soleil dans un ciel
bleu, qui prodiguait d'heureux présages
aux mamans attendries. Les faces rouges
luisaient, les couleurs voyantes et les
lourds bijoux d'or chatoyaient et miroi-
taient sur les murs chauffés. Un ser-
gent de ville en gants blancs faisait ran-
ger les polissons et les vieilles qui éta-
laient le long des degrés une double haie
de chevelures en broussailles, de men-
tons branlants et de loques accroupies.
Des cochers attablés au prochain cabaret
étaient aussi gantés de blanc, avec un
petit flot de rubans à la boutonnière, tout
comme le vieux à médaille qui clopinait
d'une portière à l'autre, s'activant à dé-
ployer les marche pieds.
Les mariés et les proches parents mon-
tés, les noces du même monde fraterni-
saient volontiers sur le trottoir; des mes-
sieurs qui étouffaient en haut dans la
salle redescendaient après avoir casé
leurs dames, et des politesses s'échan-
geaient à la porte du café de la mairie.
Dans l'allée d une maison voisine, un har-
moniflûte roucoulait.
(A suivrej GEORGES GLATRON.
Prix du numéro à Paris; 15 centimes - Départements: 20 centimes
Vendredi 16 Janvier 1885
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PARIS, 15 JANVIER 1885.
L'interpellation de M. Raoul Duval,
discutée hier, n'a donné lieu qu'à un
débat très court. La question a été tout
juste effleurée dans les explications
qu'ont fournies les ministres. M. le pré-
sident du conseil, passant rapidement
sur le désaccord survenu entre lui et le
général Campenon, a déclaré qu'il ne
se proposait point d'autre but que celui
d'assurer l'exécution du traité de Tien-
tsin, ainsi qu'il y a été invité par la
Chambre même (vote de l'ordre du jour
du 27 novembre). M. le ministre de la
guerre a garanti de son côté que la
mobilisation de l'armée continentale ne
serait pas compromise par l'envoi de la
douzaine de mille hommes qui vont
renforcer le corps expéditionnaire du
Tonkin. Il a fait en outre une allusion,
malheureusement trop vague, à un essai
de « petite mobilisation » qu'il paraît
méditer ; un peu plus de précision sur
un si intéressant sujet aurait été bien
désirable. Quoi qu'il en soit, la majorité
de la Chambre (et nous ne le regrettons
pas) a témoigné-une fois de plus que sa
confiance dans le cabinet n'était pas
ébranlée. Pour nous, les assurances
qu'a données M. le général Lewal nous
ont paru de nature à amoindrir les
appréhensions que la retraite du général
Campenon avait fait concevoir. Espé-
rons maintenant un dénouement heu-
reux et relativement rapide. Et puissent
bientôt nos soldats et nos marins faire
honneur aux engagements pris par le
gouvernement de la République 1
fout de suite après l'interpellation, la
Chambre a réglé son ordre du jour. Elle
y a inscrit quatre projets de loi de haute
importance, le projet de relèvement des
tarifs douaniers en première ligne.
Puis, ayant ainsi marqué son désir de
mener promptement à bien les affaires
urgentes, elle a décidé de s'ajourner au
27 janvier. Conclusion certainement
inattendue et capable de dérouter les
logiciens. Mais que voulez-vous? tout
ce que nous dirions là-dessus aujour-
d'hui ne servirait guère. Nous n'ap-
prouvons pas cet aournement, on le
sait de reste ; le voilà voté, nous n'y
pouvons mais. Quand nous aurons ex-
primé le vœu légèrement banal que la
Chambre regagne, à dater du 27 jan-
vier, le temps qu'elle aura perdu jus-
que-là, nous aurons tout dit. Seulement
le temps perdu se retrouve-t-il? Nos
confrères du Temps prennent sur eux
d'insinuer que la Chambre perd plus de
temps lorsqu'elle siège que lorsqu'elle
ne siège pas. Nous ne nous serions pas
permis ce paradoxe épigrammatique, et
nous persistons à placer dans la majo-
rité républicaine plus de confiance.
C'est très sincèrement que nous sommes
fâchés du supplément de congé qu'elle
s'octroie. Et lorsqu'on touchera aux
dernières séances de la législature on1
regrettera, nous le craignons, avec
amertume, la dissipation que l'on aura
faite, au début de la session, de ces pre-
miers jours.,
EUG. LIÉBERT.
LE PARLEMENT
COURRIER DE LA CHAMBRE
Paris, 14 janvier 1885.
Aujourd'hui, l'inconnu s'est déroulé
tel qu'hier nous l'avions prévu de point
en point: l'interpellation d'abord, l'ajour-
nement des séances ensuite.
L'interpellation n'a guère différé de ce
qu'ont été les précédentes interpellations
sur le même sujet; elle a été seulement
plus courte et plus monotone que bien
d'autres.
M. Raoul Duval la développe dans un
style lourd, filandreux, en ayant le tort,
lorsque cette nouvelle phase de la lutte
demande à être circonscrite à quelques
interrogations précises, de se perdre
dans les détails d'antan. C'est un tort
oratoire; mais au point de vue des pro-
chaines clectices sénatoriales, de l'élec-
tion de l'Eure notamment et des intérêts
du compère Albert de Broglie, l'orateur
estime sans doute qu'il lait un coup de
maître en « rafraîchissant » la question
du Tonkin.
On nous permettra de chercher à dé-
gager dans ce fouillis de phrases banales
ce qu'il importe d'élucider.
Le général Campenon a été remplacé
au ministère de la guerre, pour des mo-
tifs d'ordre extérieur, à cause de la di-
vergence qui existait entre lui et ses
collègues du Cabinet sur l'étendue de
notre action militaire dans l'Extrême-
Orient ; il ne voulait pas assumer la res-
ponsabilité de la direction d'une armée
de 30,000 hommes guerroyant là-bas et
d'une extension des hostilités avec la
Chine. Et cependant, récemment, en re-
fusant de répondre aux questions de M.
Granet, il acceptait les conséquences du
discours du président du conseil deman-
dant quarante-trois millions de plus pour
autoriser toutes les opérations de terre
et de mer, considérées par l'amiral Cour-
bet comme nécessaires et décisives. Que
s'est-il passé, depuis, pour que le géné-
ral Campenon se soit décidé à donner sa
démissioq ? Le gouvernement médite-t-
il une expédition sur un point quelcon-
que de l'empire chinois? Où veut-il
aller ? Quelle est la limite que le général
Campenon fra pas voulu dépasser?
M. Raoul Duval ne saurait nous en
vouloir d'avoir ainsi recousu les loques
de son argumentation, car, ainsi présen-
tée, elle se tient à peu près tout d'une
pièce.
- L'orateur de la Droite a beau déco-
cher force gracieusetés à M. Granet, à
M. Clémenceau, il n'encaisse pas dans sa
tirelire le moindre petit bravo ; à la fin
seulement, un léger ronron approbatif
des onze monarchistes qui composent
aujourd'hui la Droite. Et c'est là un in-
dice caractéristique : quand les tribunes
sont vides, quand les bancs sont dégar-
nis, une interpellation est jugée !
M. Jules Ferry est trop vieux routier
pour se laisser entrainer à entamer
une nouvelle discussion sur les affai-
res du Tonkin. Fort du vote du 27 no-
vembre; qui ordonne « une action vive
et prompte », il explique brièvement que
le gouvernement a dû apporter une mo-
dification au plan de campagne suivi de-
puis quinze mers, et qui consistait :; 11
l'occupation limitée du Tonkin, pour se
préoccuper d'une occupation complète.
L'Extrême Gauche rugit ; mais ne sont-
ce pas ses représ ntants qui, par esprit
d'espièglerie, ont fait insérer dans le
dernier rapport une sorte de vœu mili-
taire échappé à M. Maze et aboutissant à
l'extension des opérations jusqu'aux ré-
gions montagneuses? Du reste, là n'est
pas la question. M. le président du con-
seil nous y ramène :
« C'est alors que le désaccord le plus
loyal s'est produit entre le ministre de
la guerre et nous. Celui ci n'admettait
qu'une tactique au Tonkin: il ne croyait
pas bon que l'occupation s'étendît au
delà du Delta, et, malgré nos prières,
il a voulu se retirer, disant : « Aune poli-
» tique nouvelle, il .faut un homme nou-
» veau. »
Couvrant de fleurs le collaborateur
dont le cabinet s'est séparé avec un pro-
fond regret, M. Jules Ferry profite de
la jonchée pour présenter à la Chambre,
sur un tapis de roses, le collaborateur
nouveau et passer la main au général
Lewal :
« C'est à lui que je laisse le soin de
vous dire s'il y a Incompatibilité entre
la sécurité du territoire national et la
nécessité de défendre au loin les inté-
rêts de la France.»
En sonnflfc; l'engagement n'a guère été
violent jusqu'ici. L'apparition du géné-
ral Lewal est de nature à provoquer une
curiosité silencieuse. On écoute.
Nous avons dépeint, hier, en quelques
traits, l'extérieur très séduisant du nou-
veau ministre de la guerre ; nous ajou-
terons simplement que la voix porte
suffisamment, quoiqu'un peu voilée, et
que le débit, légèrement chantant, n'a
rien de la rudesse dite militaire. Le gé-
néral Lewal est non seulement un excel-
lent ofûcier, mais encore un écrivain
militaire de premier ordre; il passe
même pour être un remarquable confé-
rencier ; nul ne lui a épargné les éloges.
Mais c'est justement la réunion de toutes
ces Qualités, l'adjonction de la dernière
principalement, qui rend l'auditoire dif-
ficile ; l'orateur supporte les conséquen-
ces de sa réputation.
Soucieux de se poser uniquement en
soldat, tout à fait en dehors de la politi-
que, il use d'une franchise qui, dans sa
bouche, devient de la rusticité : « Je n'ai
pas désiré le portefeuille du général Gam-
penon ; si j'avais voulu être ministre, il
y a longtemps que je le serais. » On rit,
on rit encore à plusieurs reprises, et cette
gaieté enlève à l'orateur, * qui voudrait
s'ouvrir loyalement à la Chambre, la plé-
nitude de ses moyens. --
En définitive, le général Lewal, qui a
étr) le collaborateur du général Campe-
non, tient à proclamer bien haut qu'entre
les deux directions, celle d'hier et celle
d'aujourd'hui, il n'y a qu'une nuance :
« Une crainte existait au sujet de la mo-
bilisation, que certains prétendent com-
promise. Moi, qui y ai contribué plus
que personne ; moi, dont le rêve a été
constamment de la rendre parfaite, je
vous réponds qu'elle n'est pas compro-
mise 1 »
Il laisse du reste entendre qu'il pré-
sentera, pour obvier aux inconvénients
constatés, un projet de « petite mobili-
sation », et il descend de la tribune sur
ce dilemme : « Ou la retraite ou l'action.
Vous ne voulez pas de la retraite. L'ac-
tion l »
Cette péroraison d'une énergique conci-
sion prouve que le général Lewal est en
état de fournir des passes oratoires plus
brillantes que celle d'aujourd'hui.
Pour le reste de l'interpellation, pre-
nez n'importe quelle fin de séanca sur le
rjonkhi et mettez-la à la suite de ce qui
précède; vous aurez exactement ce qui
s'est passé, car il se passe régulière-
ment la même chose.
« Nous ne sommes pas plus avancés
maintenant qu'avant les déclarations des
ministres !. Si nous ne connaissons
pas la vérité, c'est que la majorité n'aura
pas voulu la connaître!! Et c'est ainsi
qu'on envoie sacrifier au loin les enfants
de la France !!! Il faut que le pays sache
cela, qu'il le sache, le sache!!!! »
M. Raoul Duval lance les premières ti-
rades, en tâchant de retrouver sa verve
des jours passés ; mais la jeunesse ou la
conviction fait défaut, — l'une des deux,
qu'on choisisse. Puis M. Lockroy lui suc-
cède, sautillant comme un rouge-gorge
qui aurait çhaussé des semelles en caout-
chouc et poussant des cris d'orfraie. Le
président du conseil, qui est blasé sur ce
genre de manifestations, attend avec
calme que le cours en soit tari ; et, les
ordres du jour motivés une fois déposés,
il demande imperturbablement l'ordre du
jour pur et simple.
C'est ce qui est voté par 294 voix contre
234. -
Eh bien, maintenant, allons-nous-en !
Hélas ! il nous faut encore subir les pé-
ripéties d'un simulacre.
La Chambre se met en devoir de fixer
son ordre du jour, — vous savez, ce fa-
jmeux ordre du jour qu'on modifie perpé-
tuellement dès qu'on l'a arrêté,
Au bout d'une demi heure de défilé à
la tribune, quand dix-sept propositions,
qui ont fait victorieusement le coup de
poing, se pavanent au feuilleton, le pré-
sident, d'un petit air entendu, insinue
que l'ordre du jour lui paraît sutfisam-
ment chargé et invite la Chambre à fixer
la date de la prochaine séance.
— Demain!
-Le 271
— Le 29 !
Les cris s'entrecroisent.
Ecartée la date du 29, par 263 voix con-
tre 237. Mais la date du 27 triomphe à la
majorité de 256 voix contre 210.
Il se trouvera peut-être des intelligen-
ces assez peu ouvertes pour s'étonner de
la différence des suffrages entre deux da-
tes aussi rapprochées. Suivez bien le
raisonnement : le 25, élections sénatoria-
les ; dans la journée du 26, on arrive
à Paris ; le 27, on reprend le travail
législatif. Si, au contraire, on ne sié-
geait que le 29, il serait à craindre
que les méchantes langues de la province
ne dissent en parlant de leurs députés :
« Ces flâneurs-là ont encoré perdu quatre
jours !»
Et voilà pourquoi l'anomalie apparente
du dernier vote n'a même pas surpris
ceux qui, comme nous, savent à quel
point les petites causes régissent les plus
grosses décisions de la Chambre.
PAUL LAFARGUE-
MlMMUMÂTOIilAli
La commission d'électeurs et de dé-
légués sénatoriaux chargée d'élaborer
un programme pour l'élection du 25 jan-
vier dans le département de la Seine,
s'est réunie mardi soir à l'Hôtel de
Ville, sous la présidence de M. Schœl-
èher, et une seule séance lui a suffi pour
rédiger le programme qu'elle était char-
gée d'élaborer..
Voici les neuf articles auxquels elle
s'est arrêtée :
I. — Revision intégrale de la Constitution
par une Assemblée constituante élue par le
suffrage universel.
H. — Suppression du Sénat.
m. — Subordination absolue de l'exécu-
tif au législatif.
IV. - Séparation des Eglises et de l'Etat.
V. - Protestation contre la politique d'à- j
ventures et de conquête.
VI. — Magistrature élue. — Extension du
jury au correctionnel et au civil.
VII. — Retour du département de la Seine
au droit commun. — Séparation du conseil
général de la Seine et du conseil municipal
de Paris. — Décentralisation départemen-
tale. — Autonomie comm nale.
VIII. — Réforme égalitaire de noire ré-
gime économique et social.
IX. — L'élu rendra compte de son mandat !
tous les ans.
La Justice fait remarquer qu'au cours
de la discussion une autre proposition
encore avait été faite : réduction du ser-
vice obligatoire, dont la durée serait
égale pour tous. Elle suppose qu'au mo-
ment de passer au vote, la proposition
a été oubliée, mais qu'elle sera reprise
dans les réunions. En ajoutant cette
proposition, nous voici donc en face
d'un programme en dix articles, ni plus
ni moins que le Décalogue de Moïse.
Beaucoup de ces articles ne sont pas
nouveaux pour nous. C'est le groupe
autonomiste qui avait obtenu la majorité
lorsqu'il s'était agi de désigner les mem-
bres de la commission. fi ne pouvait
donc laisser échapper cette occasion de
formuler une fois de plus ce qu'il ap-
pelie ses revendications.
Nous savions qu'illicnt absolument à
l'élection d'une Assemblée constituante
pour reviser la Constitution et la revi-
ser « intégralement»; nous savions que
c'est là le premier dogme de son Credo;
nous ne saurions lui en vouloir d'avoir
accordé à cet article la place d'hon-
neur. Mais ce que nous savons aussi,
c'est que la France en a assez de la re-
vision, et qu'elle n'a nul désir de voir
se renouveler les scènes du Congrès de
1884. Elle estime et avec raison qu'il
y a des choses plus utiles à sa prospé-
rité que les discussions oiseuses sur la
forme du gouvernement, et qu'un pro-
priétaire sage ne démolit pas sa mai-
son, eut-elle quelques petits inconvé-
nients, pour s'aller loger à l'hôtel de la
Belle Etoile.
Nous savions que la suppression du
Sénat était une doctrine chère aux au-
tonomistes comme aux radicaux; nous
eussions été surpris de ne pas leur en-
tendre répéter une fois de plus : «. Sus
au Sénat! M mais nous savons aussi que
le pays, qui sait bien à quels entraîne-
ments toute Chambre unique est sujette,
trouve fort bon qu'il y ait- deux Cham-
bres et non pas une seule. Il se dit
même qu'avec les brusques réactions
dont le suffrage universel n'est pas in-
capable, telle circonstance se pourrait
présenter où le Sénat fùt l'ancre de sa-
lut de la République. Le Sénat n'est
point menacé, et si l'élu de Paris vient
au palais du Luxembourg proposer à
ses collègues d'imiter le sacrifice de
Cunius, il le pourra faire même sans
péril, fût-ce pour lui. Il émargera pai-
siblement, jusqu'au terme de son man-
dat, au budget de ce Sénat qu'il a,ira
reçu pour mission de détruire.
L'article 3 aurait eu besoin de quel-
ques éclaircissements; mais le pro-
gramme, d'un bout à l'autre, est fort
sobre en fait d'éclaircissements. Qu'en-
tend-on par « la subordination absolue
de l'exécutif au législatif»? Nos minis-
tres sont responsables; oa n'en voit
point qui ait gardé son portefeuille après
qu'un vote de la Chambre avait con-
damné sa politique ou ses actes. Si l'on
veut quelque chose de plus, ce serait
probablement que la Chambre gouver-
nât à l'aide de comités, à la façon de la
Convention. Est-ce bien cela que de-
mande la commission? Si c'est cela,
nous répondrons que l'expérience a été
faite et que le pays n'a nul désir de la
renouveler.
Là séparation de l'Eglise et de l'Etat,
l'autonomie de la commune, le fameux
retour de Paris au droit commun, ce
sont là toutes choses connues. 11 ne
nous eût pas déplu que dans le pro-
gramme il y eût un article où l'on par-
lât un peu de l'unité de la France —
une et indivisible ! disaient nos pères
de la Révolution, et leur devise était la
bonne.
On demande la réforme égalitaire de
notre régime économique et social.
C'est fort bien, et sur ces termes vagues
tout le monde peut être d'accord. Mais
qu'entend-on par ces mots? De quelles
réformes particulières s'agit-il ? Quels
sont les moyens à employer? Quelle
est la formule à choisir entre tant de
formules proposées? Le programme est
muet tout juste sur le point où il sem-
blait essentiel qu'il s'expliquât.
Beaucoup de mots, fort peu de con-
clusions pratiques, tel est le plus clair
résumé de l'œuvre des délégués. Il ne
reste plus qu'à trouver t'homme coura-
geux qui se chargera d'accepter ce pro-
gramme. On n'aura, sans doute, que
l'embarras du choix. Quant au compte
rendu annuel qu'il prendra l'engage-
ment de venir faire tous les ans de
l'exercice de son mandat, — à qui, par
parenthèse, ^puis jue le rôle des élec-
teurs sénatoriaux cesse aussitôt l'élec-
tion faite ? — quant à ce compte rendu,
il pourra être bref. Quand le sénateur
aura dit : « Citoyens, tout notre pro-
gramme reste toujours à appliquer n,
sa tâche sera terminée.
., CHARLES BIGOT.,
J—————- o —————-
NOUVELLES DE CHINE
LES TRANSPORTS DE TROUPES
Le Petit Marseillais donne quelques ren-
seignements intéressants sur certaines con-
ditions imposées aux Compagnies avec les-
quelles on a traité pour le transport des
troup'es en Indo-Chine :
Les Compagnies qui fournissent les navi-
res ont à leur charge le servie des vivres.
Les officiera supérieurs, les officiers su-
balternes, les suus.-officiers forment trois
classes distinctes. La composition de leur
repas est la même que celle des tables cor-
respondantes à bord des transports de l'Etat.
Les caporaux et les soldats reçoivent la
ration réglementaire de trois repa:s par
jour. h - -
A la table des officiers supérieurs, il est
servi, au déjeuner, 3 hors-d'œuvre, 3 plats,
5 desserts, 2 fromages, du café ou du thé
avec cognac; -.:. au dîner, 3 hors-d'œuvre
dont 1 de cuisine, 1 potage, un relevé de
potage, 1 entrée, 1 rôti avec salade autant
que possible, 2 légumes, 1 entremets sucré,
5 desserts, 2fromages, café ou thé, liqueurs
assorties, vins fins rouges et blancs.
A la table des officiers subalternes, au dé-
jeuner, 2 hors-d'œuvre, 2 plats de cuisine,
i fromage, 2 desserts, café ou thé avec co-
gnac (le jeudi et le dimaDChe. du vin fin à
raison d'une bouteille par 5 personnes) ; au
dîner, 2 hers-d'œuvre d'office, 1 potage, 1 re-
levé de potage, 1 entrée, 1 rôti avec salade,
Feuilleton du XIX. SIÈCLE
Dui6 janvier 1885
(25)
LAZARE
XI
— suite --
Les moissonnaient aux oreilles de Dé-
siré, il ne comprenait pas tout de suite.
A la fin, il crut deviner qu'elle se fâ-
chait :
— En vérité, disait-elle, monsieur Pa-
che, -ce que vous faites là n'est pas très
honnête.
Et elle s'agitait comme pour se débar-
rasser d'une gêne.
De l'autre côté de la rue, le marchand
de vin s'était avancé jusqu'au bord du
trottoir et ricanait en les regardant. Mé-
lie passa. Désiré la suivit. Que pouvait-
elle, craindre ? Tout le voisinage devait
bien commencer à le connaître et savoir
comme il était reçu chez l'épicier.
Il attendit cependant d'avoir remonté
quelques pas dans le faubourg :
— Ainsi, mademoiselle, c'est donc vous
qui ne voulez plus ?
— Je n'ai pas dit cela.
— Vrai? Alors, votre mère, si je la
voyais.
— Oh ! dit la jeune fille dans un se-
couement d'épaules, il est trop tard,
allez.
Trop tard, parce qu'il avait failli mou-
rir ! Mais voyons, il l'aimait, pourquoi ne
serait-elle pas heureuse avec lui? Que
lui reprochait-on?
— Dites, dites. Ah! je saurai bien me
défendre. Et si peu que vous m'aidiez.
Pour le coup, elle s'arrêta :
— Mon Dieu, monsieur Pache, écou-
tez, vous ferez ce qu'il vous plaira, mais
Reproduction interdite aux journaux qui n'ont
pas traité avec la Société des geua de lettres.
Droit de traduction réservé.
ça ne servira à rien. Maman est butée;
c'est fini, là.
Désiré ouvrait les yeux sur la femme
qui était devant lui et il cherchait quel-
qu'un de subitement disparu. Ce main-
tien roide, ce front dur, étroit, pressé
par des bandeaux bas et serrés ainsi
qu'un béguin de vieille, ces prunelles
d'émail bleu, ces lèvres minces, ce men-
ton aux arêtes sèches, tout ce masque
taillé dans le marbre ne lui rappelaient
rien. Il élevait à demi ses mains trem-
blantes, cherchant, invoquant, ne sachant
plus. Entre elle et lui flottait une forme
vague, un pur visage au regard humide
et tendre, qu'éclairait un sourire parmi
de lointains reflets roses.
Une ardente supplication le soulevait
tout entier ; il répéta dans un gémisse-
ment : « Oh I mademoiselle Mélie!.»
Ce n'était pas elle, puisque la femme
qui 1 avait écouté détournait la tête et
s'éloignait sans répondre. Et, dans la nuit
confuse de ses souvenirs, Désiré n'arrivait
même plus à retrouver les traits de celle
qu'il avait aimée
XII
Il devint sombre. Nul labeur n'arrivait
plus à lui prendre sa pensée, qui travail-
lait, sans relâche, dans le noir et dans le
vide, qui fermentait avec de soudains
bouillonnements de colère tout de suite
affaissés. Les amitiés des camarades, ma-
ladroites et parfois brutales, le tortu-
raient; dans les plaisanteries qui croyaient
le distraire ou le consoler, son sobriquet
revenait à tout momment le maudire.
Lazare: c'était fini, l'habitude était prise;
tout le monde ne l'appelait plus que
Lazare; Garbille lui-même ne s'en dé-
saccoutumait point. Et lorsqu'il osait se
plaindre et supplier, avec sa douceur
d'enfant malade qu'un bruit importune,
les discours du vieux sermonneur lui
donnaient des sueurs froides, le pous-
saient à la folie, dont ils le menaçaient.
Il n osait pourtant les interrompre, par
crainte de constater sa fl!.blesse.
Aux heures d inaction, il se repaissait
de souvenirs; il. tes ruminait incessam-
ment. Souvenirs amers ; les malheu-
reux o, èn connaissent pas .d'autres. Les
Çi'ùs douces sensations de son enfance ne
lui rendaient plus que souffrance et qu'an-
goisse. Les mystérieuses terreurs que le
petit Coustenaille s'en allait chercher au
fond des trous de ténèbres de la charbon-
nerie, ou qui le faisaient dévaler tout
pâle de la place des Victoires avec la ga-
lopade du grand cheval de bronze à ses
trousses, n'était-ce pas déjà des avertis-
sements, comme les premières alteintes
de sa destinée, l'horreur des ombres de
son avenir planant au-dessus de lui? Il
le crut, s'entretint dans cette idée en va-
guant chaque soir dans l'ombre, par les
rues désertes et les quais. Son corps, que
l'âme désertait, allait à l'aventure, jamais
assez las, mené peut-être par quelque
obscur regret du temps où, au bout de sa
fatigue, il s'abattait tout bonnement le
long.d'une berge ou sur les mousses du
Bois, assommé; tandis que, mainte-
nant, lorsque la routine l'avait ramené
au bas de son escalier, l'effort de gravir
les étages, d'ouvrir sa porte, de se dé-
vêtir, secouait l'engourdissement de la
marche; et dans l'insomnie sa pensée se
fixait.
L'habitude aussi le conduisait souvent
vers le faubourg Saint-Antoine. Il entrait
dans la rue Sainte-Marguerite et la tra-
versait toit entière, longeant les maisons
en face de l'épicerie, le visage tourné
contre les murs. De loin il avait aperçu
la lumière aux vitres de la boutique ou
à la fenêtre de Mme Petitbon : c'était
tout, il passait. Cela ne lui donnait ni
apaisement ni souffrance; rien qu'un peu
de peur dans les commencements, mais
qui s'usa bien vite.
Un soir il rencontra, dans le quartier,
Justin, et machinalement se pendit à son
bras.
— Tu les vois donc toujours ? de-
manda-t-il.
— Et toi, répliqua le garçon coiffeur
en regardant les étoiles, on ne te voit
plus.
— Chez elle !.
Désiré avait eu comme un tressaute-
ment d'effroi. Mais Justin n'insista pas;
il n'osa questionner. Au bout d'un ins-
tant, le beau Bêmare se pencha sur son
éDaule et prit le ton wdes confidences:
c était de la rue de Seine qu'il avait .voulu
parler.
— Mon cher, à la maison il se passe des
choses. T'est-il jamais arrivé, à toi, d'ê-
tre le premier péché d'une femme de
quarante-deux ans ? C'est excessivement
drôle.
Oh! il savait bien que ça ne le serait
pas longtemps; mais pour ce que ça de-
vait durer. une simple amusette, un
caprice: histoire aussi de n'en avoir pas
le démenti, que diable! depuis qu'on le
taquinait au jeu. D'ailleurs il se mariait.
Là-dessus, comme il fit une pause, Dé-
siré dit: —Ah! — sans curiosité.
— Mon Dieu ! oui, il l'a fallu. C'est tout
un roman.
Et il le conta, sans plus attendre, avec
des balancements de tête, soufflant ses
paroles du bout des lèvres et aspirant à
lui seul tout l'air des boulevards. Théo-
dore, sans qu'on sût pourquoi, s'était
pris de jalousie, tout à coup, juste à la
veille d'abandonner définitivement son
fond à son premier commis. Mauvaise
affaire. Par bonheur, dans le même temps,
un parti s'offrait : « Une très jolie fille,
mon cher. Pas le sou, mais dans notre
métier de beaux yeux commanditent
une maison. D'ailleurs, c'est la maman
qui a tout fait; elle s'était toquée de
moi, positivement. Il n'y a pas eu de ma
faute, affirma Justin d'un ton rabaissé ;
je me suis laissé empaumer, voilà. »
Honorine, d'ailleurs, effrayée des in-
quiétudes du patron, poussait la pre-
mière au mariage. Et les choses allaient
si bon train que la jeune fille était venue
avec ses parents visiter le salon de coif-
fure. Mais ces braves gens à peine partis,
tout émerveillés, Mme Théodore éclatait
en sanglots, tordait ses beaux bras sur le
canapé, parlait de ses rides, de ses che-
veux blancs, de la mort, la tête absolu-
ment perdue'•
— Mets-toi à ma place, mon petit Pa-
che. Il aurait tallu un cœur de pierre
ou le sang-froid d'un Joseph. D'autant
plus qu'avec tous ses restes, elle était
encore très bien dans ce rôle-là, ajouta
le garçon coiffeur, jeune et point blasé,
flatté surtout de ce tardif triomphe sur
quarante-deux bonnes années de vertu
authentique.
Cette aventure ne devait au surplus
qu'accélérer la conclusion du mariage,
Justin trouvant aussi habile que diver-
tissant d'exploiter les peurs de la mal-
heureuse femme, qui se mourait dans
4e cruelles alternatives de terreur et de
désespoir. On signait le contrat de vente,
avec l'autre, dans la huitaine. « Et une
fois marié, dame! ce sera à mon tour à
jouer de la vertu. La Théodore ira se
consoler où elle voudra. »
Désiré, quoique n'écoutant qu'à demi,
en avait assez entendu ; le cœur lui levait
à ces malpropretés d'arrière-boutique.
Et tout cela était balayé de sa mémoire
lorsque le vendredi suivant, à la sortie,
Garbille, battant un entrechat, cria :
— Au diable la boîte! je suis de noce
demain.
Sans sa voir pourquoi, Désiré s'arrêta net:
— La noce de qui donc? demanda-t-il
lentement.
Ils restaient seuls dans la cour,entre les
grandes bâtisses mornes d'où les bruits
de l'atelier se vidaient dans les roulements
et les rumeurs de la rue. Garbille, en-
nuyé, grommelait : « Eh ben, quoi? la
noce, pardi!. d'unenoce;» et s'éloignait.
Alors Désiré, jetant ses mains en avant
pour le retenir :
- Non, non, dis, ce n'est pas vrai.
Et son visage se tendit tout à coup, son
regard s'élargit :
- Avec qui, encore? Avec. avec.
Cela ne voulait pas sortir ; sa voix se
cassait. Mais le nom se dessinait sur ses
lèvres. Bec-à-Vin finit par secouer les
épaules et dit oui de la tête.
— Et tu vas à cette noce-là, toi!
— Tiens, celle de ma cousine. J'avais
promis de les attendre, ajouta le vieux
philosophe avec un geste gauche; ils sont
venus. Rester fâché après ça, ce n'était
plus de la dignité, c'était de la rancune.
— Et puis il y aura à manger et à
boire. Lâche ! lâche I murmura Désiré.
— Ah ! fiche moi la paix !
Garbille se détourna d'un coup de
hanche et passa.
Ils se retrouvèrent le lendemain place
Voltaire, à la porte de la mairie.
Désiré était affreusement pâle et comme
ravagé, souillé de poussière, tout en dé-
sordre, les joues creuses, des yeux de
plomb sous des paupières brûlées par
l'insomnie ou par les larmes.
— Que viens-tu faire ici, malheureux ?
demanda Garbille. 1
Sans remuer ces yeux gris et lourds
;" d'aveugle, il répondit :
l - Je viens voir passer les noces.
L'artiste le saisit par l'épaule. le poussa
devant les glaces d'une boutique voi-r
sine ; il se vit et recula effrayé. -
— Et que tiens-tu là? reprit Garbille
en essayant de lui arracher de sa poche
son poing qu'il y cachait et qui y de-
meura durement ferm j.
Mais ses prunelles grises tremblèrent,
dans une courte lueur. Et, tenace, il re-
vint à son poste, au bas de l'escalier où
des garçons d'honneur, gênés dans leurs
gants et qui tenaient leur chapeau à la
main à cause de leur frisure, alignaient
avant de monter un cortège de robes
bouffantes et de redingotes brillant le
neuf, déballées à grand fracas d une file
de trois fiacres.
D'autres noces suivirent : de grosses
noces de petits boutiquiers, amenées en
landau, qui encombraient le trottoir de
ronds de jupes ; de petits mariages arri-
vant discrètement à pied, l'homme en
veston brossé, la femme en robe de laine,
tout uniment suivis de leurs deux pai-
res de témoins ; une autre encore qui res-
semblait à un baptême, la mariée donnant
bravement le sein à son trop tôt venu,
le marié tout réjoui, le plus fier de tous.
Il faisait un beau soleil dans un ciel
bleu, qui prodiguait d'heureux présages
aux mamans attendries. Les faces rouges
luisaient, les couleurs voyantes et les
lourds bijoux d'or chatoyaient et miroi-
taient sur les murs chauffés. Un ser-
gent de ville en gants blancs faisait ran-
ger les polissons et les vieilles qui éta-
laient le long des degrés une double haie
de chevelures en broussailles, de men-
tons branlants et de loques accroupies.
Des cochers attablés au prochain cabaret
étaient aussi gantés de blanc, avec un
petit flot de rubans à la boutonnière, tout
comme le vieux à médaille qui clopinait
d'une portière à l'autre, s'activant à dé-
ployer les marche pieds.
Les mariés et les proches parents mon-
tés, les noces du même monde fraterni-
saient volontiers sur le trottoir; des mes-
sieurs qui étouffaient en haut dans la
salle redescendaient après avoir casé
leurs dames, et des politesses s'échan-
geaient à la porte du café de la mairie.
Dans l'allée d une maison voisine, un har-
moniflûte roucoulait.
(A suivrej GEORGES GLATRON.
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