Titre : Le XIXe siècle : journal quotidien politique et littéraire / directeur-rédacteur en chef : Gustave Chadeuil
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1885-01-09
Contributeur : Chadeuil, Gustave (1821-1896). Directeur de publication
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Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
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Description : 09 janvier 1885 09 janvier 1885
Description : 1885/01/09 (A15,N4751). 1885/01/09 (A15,N4751).
Droits : Consultable en ligne
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Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-199
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 09/04/2013
Quinzième année. -AB- No 4751
1 rii du numéro à Paris 15 sentîmes - Départements: 20 centimes
Vendredi 9 Janvier 1885
-
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JOURNAL RÉPUBLICAIN CONSERVATEUR
REDACTION
S'adresser au Secrétaire de la Rédaction
de 2 heures à minuit
ie» PU© Cadet, 16
Les Manuscrits non insérés ne seront pas rendus
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Trois mois i 6 »»
Six mois. 32 »»
Un an. 62 »»
PARIS
Trois mois. t3 »»
Six mois. 25 u
Un an. 50 M
Supplément p* l'Étranger (Europe) 1 fr. par trimestrel
Les abODnemts partent des 1er et 15 de chaçf : mois
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Egypte 324 68, 324 06.
Bînque- ottomane. 601 87, 599 68.
Extérieure 59 1x4, 3[16.
Actions Rio. 326 87, 324 37.
PARIS, 8 JANVIER 1885.
Par la chronique quotidienne que
nous donnons des élections sénatoriales,
il est facile de juger que le désarroi des
partis monarchiques est extrême. Com-
ment s'en étonner, lorsque ces partis,
unis pour désorganiser et pour détruire,
n'ont pas à nous offrir d'autre pro-
gramme de reconstruction que celui de
1873 et de 1877 ? Le manifeste des
Droites, que nous avons fait connaître
l'autre jour, n'est qu'un réquisitoire
contre la République. Cela ne suffit pas.
L'électeur, en effet, lit le réquisitoire,
mais il demande : « Et puis après ? La
République démolie, qu'est-ce que vous
mettrez à la place ? Quelle espèce de
gouvernement, quelle espèce d'adminis-
tration êtes-vous capables de nous don-
ner? » Là-dessus le manifeste est resté
muet, et pour cause ; car si ses auteurs
avaient dû répondre et s'expliquer si-
multanément, c'eût été la cacophonie la
plus étourdissante. Ils ont été prudents,
ils se sont tus.
Les adversaires des institutions répu-
blicaines assistent donc déjà, avec plus
ou moins de résignation, au naufrage
des candidatures qui leur tenaient le
plus à cœur. Le spectacle est intéres-
sant ; nous en signalerons un épisode
propre à navrer particulièrement nos
confrères du Soleil, qui, naguère, avaient
inventé les « candidats nécessaires »
dont ils proposaient modestement une
liste de six. Or, voici que déjà cette demi-
douzaines d'illustrations, « sans les-
quelles on ne comprendrait pas le Sé-
nat », est réduite à cinq, car M. Lam-
bert Sainte-Croix, oui, M. Lambert
Sainte-Croix lui-même, renonce à se
porter dans son département. La rai-
son qu'il en donne, c'est que la nouvelle
loi sur les élections sénatoriales est trop
mauvaise et qu'il a plus de confiance
(ombre de Guizot, qu'en dis-tu ?) dans
le suffrage universel. C'est par le suf-
frage universel que M. Lambert Sainte-
Croix jurera désormais. Dès aujourd'hui,
il pose sa candidature de député pour
les prochaines élections législatives.
« C'est, dit-il, au suffrage universel
de tout le département de l'Aude qu'en
1871 j'ai dû l'honneur de vous repré-
senter pour la première fois. C'est au
suffrage universel de tout le départe-
ment qu'en 1885 je demanderai le droit
de défendre encore dans le Parlement
les finances, les libertés et l'honneur du
pays.» Qui vivra verra. Mais M. Lam-
bert Sainte-Croix oserait-il tenir la ga-
geure que, d'ici aux prochaines élec-
tions législatives, il n'aura pas changé
d'avis ?
S'il désespère d'être élu avec la nou-
velle loi électorale du Sénat, que de-
viendra-t-il, hélas 1 le pauvre homme,
quand il s'agira d'avoir affaire au suf-
frage universel direct ? Il critique amè-
rement, à cette heure, la loi électorale
du Sénat, mais ce n'est pour lui qu'un
prétexte, et un prétexte peu adroit, de
se dérober. Ce que beaucoup de répu-
blicains ont reproché, comme nous, au
nouveau système, dit de proportionna-
lité, c'est qu'il donnettmix délégués aux
communes de 501 à 1,000 habitants,
c'est-à-dire qu'il double la représenta-
tion d'à peu près moitié des communes
rurales, tandis qu'il n'augmente la re-
présentation des communes urbaines
qu'à dose,infinitésimale. Nous nous en
sommes plaints. Mais est-ce à M. Lam-
bert Sainte-Croix de s'en plaindre ? Est-
ce à lui d'écrire que la loi nouvelle a
été faite « pour corriger la fortune du
scrutin au profit d'un parti » ? Quoi ! il
se défie à ce point de l'énorme prépon-
dérance qui est attribuée aux suffrages
ruraux 1 Croit-il bonnement qu'il aurait
eu plus de chances de succès si la loi
nouvelle avait établi une exacte propor-
tionnalité, comme elle l'aurait dû, par
rapport à la population des diverses com-
munes, et si les villes avaient pu dis-
poser du nombre de suffrages auquel,
en bonne équité, elles auraient eu droit?
EUG. LIÉBERT.
l-e
LES OPÉRATIONS AU TONKIN
On commence à connaître de façon
plus précise les projets du gouvernement
au sujet des opérations militaires tant au
Tonkin que sur les côtes de Chine.
Ainsi que nous l'avons annoncé, 6,000
hommes de renfort vont être envoyés au
Tonkin à bref délai. Ces troupes se com-
poseraient, d'après les informations les
plus récentes, de quatre bataillons d'in-
fanterie, un du 1er régiment de zouaves à
Alger, un du 2° régiment de zouaves à
Oran, le 2e bataillon de chasseurs à pied
à Versailles et le 30* à Clermont.
Ces quatre bataillons seraient placés
sous le commandement du général Vil-
lain, qui est aujourd'hui à la tête de la
66e brigade d'infanterie.
A ces troupes d'infanterie seraient
joints plusieurs détachements d'artille-
rie, du génie et du train.
Ces renforts doivent partir de Toulon
du 15 au 25 janvier.
On estime qu'ils seront arrivés à desti-
nation vers la moitié du mois de mars.
C'est en effet à cette époque que, d'a-
près les plans de campagne adoptés par
le gouvernement, le général Brière de
l'Isle engagerait une action décisive con-
tre les troupes chinoises, tandis que l'a-
miral Courbet ferait une démonstration
importante sur les côtes de la Chine.
Tout donne à penser que le comman-
dant en chef de l'escadre, avec les ren-
forts qu'il va recevoir ou qu'il a déjà re-
çus, sera en mesure de réparer l'échec de
Tamsui et de s'établir solidement sur les
points importants de Formose, après en
avoir chassé les Célestes. On compte qu'il
sera libre de ses mouvements vers la fin
de février. On pourrait, de cette façon,
attaquer la Chine à la fois par mer et par
terre.
En attendant ce moment, le général
Brière de l'Isle continuera à tenir ses
troupes en haleine par des poussées vi-
goureuses contre les irréguliers qui in-
festent le Delta.
Les véritables opérations ne seront re-
prises qu'en mars.
L. H.
A PROPOS DEJIMTION
M. le préfet de la Seine a permis de
brûler ce que, dans la langue de l'Ecole
de médecine, on appelle les débris
r d'hôpitaux fet aussi, parait-il, les cada-
vres qui n'ont pas été réclamés" par les
familles. II n'en faut pas davantage
pour mettre Y Univers hors de lui Ai
l'en croire, la crémation est une chose
impie, détestable, abominable. C'est
l'athéisme et aussi la franc-maçonnerie
— que l'Univers n'oublie jamais — qui
la main dans la main, par haine de la
religion, mènent cette campagne infâme
de la crémation, poursuivie en Italie et
en France depuis quelques années. Ne
dites pas à l'Univers qu'il s'agit ici d'une
question d'hygiène; que les cimetières,
dans les grandes villes surtout, peuvent
être un danger pour la santé publi-
que; qu'en temps d'épidémie particu-
lièrement, l'usage de brûler les morts,
s'il pénétrait dans nos mœurs, aurait
de grands avantages ; qu'après tout on
peut sans inconvénient, ici comme en
bien des choses, laisser les gens libres ;
Y Univers n'en démord point : pour être
partisan de la crémation, il faut être!
l'ennemi de l'Eglise.
Depuis le christianisme, écrit M. Loth, on
enterre les morts. L'inhumation est le mode
le plus digne de l'homme, le plus respec-
tueux du corps, le plus convenable pour l'af-
lection; c'est aussi le mode de la foi, qui
proclame l'espérance en une autre vie, qui
attend la résurrection future. N'est-ce pas in-
tolérable en notre siècle? Qu'on brûle plutôt
les cadavres ! La crémation est une manière
de laïciser-la mort, la douleur, le cimetière.
Elle affirme autant qu'elle peut le rien de
l'homme, la destruction de son être après is
vie, l'inanité des espérances chrétiennes ;
elle fait du cimetière, au lieu d'un champ de
repos, le réceptacle du néant. C'est tout un
symbole de foi, tout un culte, que la créma-
tion. Elle est la religion de ceux qui n'en ont
plus d'aucune sorte ; le four qui engloutit
la dépouille humaine est son autel et l'odeur
des cadavres brûlés est l'encens qu'elle offre
à son dieu. C'est la revanche définitive de
la libre-pensée contre la croyance ; c'est la
contre-partie du baptême chrétien qui a mis
sur le front du nouveau-né le sceau des es-
pérances immortelles. Et voilà pourquoi 11
y a une Société de la propagation de la cré.
mation. Aujourd'hui elle n'est que société ;
demain, avec la République, elle sera loi.
L'Eglise baptise avec l'eau de la vie ; la li-
bre-pensée brûlera avec le feu destructeur :
ce sera son sacrement de la fin, et l'homme,
que le christianisme avait fait sien, lui ap-
partiendra en dernier lieu.
Le morceau est assez brillant ; nous
ne faisons aucune difficulté pour le dé-
clarer, au point de vue littéraire, supé-
rieur à la prose ordinaire de M. Loth.
Le malheur est que toute cette belle
rhétorique n'a pas le sens commun.
Il serait trop facile de répondre au
rédacteur de l'Univers que l'Eglise a
plus d'horreur pour les bûchers quand
il s'agit des morts que quand il s'agit
des vivants. Mais nous voulons nous
borner à opposer des raisons à ses in-
vectives.
La foi ou l'absence de foi n'ont rien
à voir, absolument rien, dans la ques-
tion de la crémation ou de l'inhuma-
tion. On peut mettre en défi les plus
subtils commentateurs de trouver, dans
l'Evangile, une seule ligne en faveur de
l'une ou contre l'autre. Ce n'est pas le
christianisme qui a inventé l'inhuma-
tion. Les Romains, qui étaient païens,
brûlaient, il est vrai, leurs morts ; mais
les Athéniens enterraient les leurs ; et
je ne sache pas qu'ils fussent moins
bons païens que les Romains.
Le culte des morts n'a rien à voir avec
la crémation ou Finhumation. Les Ro-
mains, qui brûlaientles cadavres, avaient
ce culte aussi vif pour le moins que le
peuvent avoir les chrétiens qui les en-
terrent : les monuments qui nous res-
tent de leur civilisation nous te prou-
vent à l'évidence.
Ce sont des phrases et rie a que des
jro}se::; de dire que « rôdeur des cada-
vres brûlés est l'encens que la libre-
pensée offre à son Dieu », et encore,
que « l'Eglise baptise avec l'eau de vie,
et que la libre-pensée brûle avec le feu
destructeur » ; demain, le même M. Loth
nous parlera, en se souvenant mieux de
la langue ecclésiastique, du « feu qui
purifie» 1
Ce sont des phrases, et toujours
rien que des phrases, de nous dire
« que le cimetière est aujourd'hui le
champ du repos H, et que demain il de-
viendrait « le réceptacle du néant ». M.
Loth est trop bon chrétien pour croire
que les morts « reposent » dans le ci-
metière. Il sait fort bien que ce qu'on
y ensevelit, c'est leur dépouille terres-
tre et non pas eux-mêmes. Et quant au
«néant» de l'homme—j'entenassonnéant
au point de vue de sa partie périssable, —
je le renvoie au sermon de Bossuet sur la
mort et à l'oraison funèbre de Madame.
Je ne crois pas qu'il se trouve jamais
un libre-penseur pour parler de ce
« néant » avec une plus saisissante élo-
quence que le grand orateur catholi-
que. Hélas 1 qu'on brûle les corps ou
que les vers les rongent, quiconque
est né doit disparaître, sans qu'après un
temps plus ou moins court il reste rien
de lui '.) — •
af. Loth affirme qu'il est « plus
digne de l'homme», «plus respectueux
pour le corps, plus convenable pour
l'affection » de pourrir en quelques
mois que d'être brûlé en quelques mi-
nutes; c'est encore là une phrase et
rien de plus. Je ne me porte pas comme
lui garant de la résurrection, mais je ne
vois pas en quoi elle serait plus gênée
par la crémation que par l'inhumation.
Si la puissance divine veut rendre leurs
corps aux générations disparues, il fau-
dra, dans un cas comme dans l'autre,
qu'elle les refasse de toutes pièces.
A notre avis, les dévots ont bien tort
de mêler ainsi la religion aux choses
où elle n'a rien à voir et où personne
ne songeait à la mettre. Elle n'y a rien
à gagner : et ses affaires sont déjà bien
assez lourdes ! Si l'Eglise était sage,
elle laisserait les gens se faire brûler ou
se faire enterrer à leur gré ; elle réci-
terait ses prières des morts aussi bien
devant un bûcher prêt à allumer que
devant une fosse ouverte, et laisserait
à Dieu qui, après tout, y voit plus clair
encore que ses docteurs, le soin « de re-
connaître les siens», comme dirait un
légat en certaine circonstance que Mi
Loth connaît bien «j
CHARLES BIGOT*
NOUVELLES DE CHINE
LES COMBATS D'OCTOBRE
Ont été mis à l'ordre du jour du corps ex-
péditionnaire du Tonkin pour les combats
des 2, 6, 8 et 10 octobre :
MM. le général Négrier, le lieutenant-co-
lanel Donnier, le capitaine d'artillerie For-
toul, le lieutenant Berge.
218 de ligne : M. Godard, chef de batail-
lon ; Gignaus, Kerdraln, capitaines ; Ber-
neck, adjudant ; Henriet, sêrgent-major ;
Duzin, Falcon, Quatremarre.
111° de ligue : MM. Duluys, sous-lieute-
nant; Chatelain, caporal; Maillet, soldat.
143e de ligne : MM. Barbier, capitaine;
Juchereau de Saint-Denys, sous-lieutenant ;
Thubert, sergent; Vauche, soldat.
38 tirailleurs algériens : M. Menier, capi-
taine adjudant-major.
Légion étrangère : MM. Bolgert et Yzom-
bnrd, capitaines; Garïeron, lieutenant.
i CI régi ment do i/iruilleurar tonkinois : S.
Bataille, lieutenant.
Equipages de la flotte : MMf. les lieute-
nants de vaisseau Fortin, commandant le
Mousqueton ; Monceron, commandant la
Hache; Levcue, commandant l'Eclair; La-
mour, second-maître de la Massue.
PREMIERS RENFORTS
La Romanche, commandant Germinet,
ayant à bord 119 hommes d'équipage et 120
passagers militaires, et la Nievre, comman-
dant Quenet, portant 113 hommes d'équi-
page et 88 passagers militaires, sont partis
de Toulon pour le Tonkin.
Le colonel Mourlan, chef de cabinet du
général Campenon, partira à la fin de ce
mois pour le Tonkin, où il va prendre le
commandement du 1er régiment de tirail-
leurs.
Le capitaine de frégate Foret s'est embar-
qué à Marseille dimanche dernier pour
aller rejoindre l'amiral Courbet, qui l'a
choisi comme premier aide de camp.
DÉPÊCHE DE FÉLICITATIONS
Le ministre de la marine vient d'adresser
une dépêche de félicitations au général de
Négrier et aux troupes françaises, à l'occa-
sion de la victoire qu'ils viennent de rem-
porter à l'est de Chu sur les Chinois.
L'ÉTAT SANITAIRE
Il résulte du compte rendu de la situation
des six hôpitaux établis au Tonkin les ren-
seignements suivants pour le mois d'octobre
1884 :
Sur 520 malades, il y a eu-SS cWeès, «nt
11 à la suite de blessures; soit 2,23 pour
1,000.
Les décès ont eu surtout pour cause prin-
cipale la dysenterie et des fièvres de na-
tures diverses.
Au total, la situation sanitaire est favora-
ble et bien meilleure que celle constatée
pendant la saison des grandes chaleurs.
LES ALLEMANDS EN CHINB
Une dépêche de service du général Brière
de l'Isle signale la présence dans les troupes
chinoises d'officiers allemands, subalternes
et supérieurs, et, dans la flotte ennemie, la
présence d'officiers de la marine anglaise.
Yokohama, 7 janvier.
Le gouvernement japonais a frété quel-
ques vapeurs pour transporter des troupes
en Corée.
— —■ ■■
LES LIBRES-PENSEURS
En Belgique, où la guerre de la libre-
pensée contre le cléricalisme est infi-
niment plus vive qu'ici, il y a une So-
ciété des libres-penseurs qui publie
chaque année, au prix infime de quinze
centimes, un almanach qui a pour
titre : Y AhAanach des libres-penseurs.
Il va sans dire que la Société le distri-
bue gratuitement dans les campagnes.
Au fronton de l'almanach brillent, en
exergue". deux pensées empruntées
l'une à Victor Hugo, et l'autre (souve-
nons-nous que nous sommes en Belgi-
que) à M. Frère-Orban:
Il y a dans chaque village un flambeau
allumé : le maître d'école, et une bouche
qui souffle dessus: le curé. - VICTOR HUGO.
Comment se prononcer entre les Eglises
qui, toutes, se disent d'institution divine et
se prétendent toutes en possession de la vé-
rité ?. — FRÈRE-ORBAN. »
Ce petit volume se compose tout en-
tier de citations découpées avec soin,
par des ciseaux intelligents, chez nos
meilleurs moralistes, chez nos orateurs
eélèbres, chez nos grands écrivains de
tous genres ; quand je dis nos, il va
sans dire que j'entends ceux de Belgi-
que comme ceux de France. Ne com-
battons-nous pas le même combat ?
Toutes ces ci ration s ue sont pas de
premier ordre au point de vue stricte- -
ment littéraire. Toutes au moins sont
choisies pour frapper les imaginations,
pour porter coup.
-- Voulez-vous que je vous en mette
sous les yeux quelques-unes? naturel-
lement celles qui m'ont paru les plus
probantes ou les plus spirituelles:
Egaré dans une for.!t immense pendant
la nuit, je n'ai qu'une petite lumière pour
me conduire. Survient un homme qui me
dit : « Mon ami, souffle ta bougie pour mieux
trouver ton chemin. »
Cet homme est un théologien»
Cela est signé Diderot.
Je ne me rappelais plus le passage ?
mais rien qu'à le lire j'aurais parié qu'il
venait du dix-huitième siècle. Il a le tour,
rapide et incisif de ce temps où l'on
aimait à ramasser une vérité philoso-
phique dans un trait qui partait aigu,
et vibrant comme la flèche.
Les vers alternent avec la prose.
En voici de bien curieux empruntés
à Victor Hugo :
Vous prêtez au bon Dieu ce raisonnement-cl :
— J'ai, jadis, dans un lieu charmant et bien choisi
Mis la première femme avec le premier homme»)
Ils ont mangé, malgré ma défense, une pomme.
C'est pourquoi je punis les hommes à jamais.
jnefflattraOtnai-eux sur terra, et leurs promets^
En enfer, où Satan dans la braise se vautre,
Un châtiment sans fin pour la faute d'un autrw
Leur âme tombe en flamme et leur corps en
1 charbon.
Rien de plus juste; mais, comme je suis très bon;
Cela m'afflige. Hélas! comment faire? Une idéci
Je vais leur envoyer mon fils dans la Judée.
Ils le tueront.- Alors,. c'est pourquoi j'y con-*
l#ens.^
Ayant commis un crime, Ils seront innocents.
Les voyant ainsi faire une faute complète,
Je leur pardonnerai celle qu'ils n'ont pas faite;
Ils étaient vertueux, je les rends criminels ;
Donc je puis leur rouvrir mes vieux bras pater
1 nehs,
Et de cette façon cette race est sauvée, ,
Leur innocence étant par un forfait lavée.
Ce serait bien le cas de répéter ici la
fameuse phrase : « Le lion a ri. »
A la suite de ces vers une pensée
bien profonde :
Dieu est une borne mobile placée à l'ex-
trémité du savoir humain ; et cette borne,i
surmontée d'un grand X, recule incessam-
ment devant les progrès de la science hu-
maine.
La phrase est de Karl Vogt. Je ne
sais si elle n'est pas trop forte pour les
intelligences moyennes à qui s'adresse
Y Almanach des libres-penseurs• Il faut
être déjà quelque peu familier avec les
idées philosophiques pour comprendre
que Dieu est la raison dernière des phé-
nomènes qu'on n'a pas encore réussi à
expliquer scientifiquement, et.que par
conséquent Dieu se trouve éliminé de
tous ceux dont la science a pris posses-
sion. Il recule donc comme une borne
mobile. C'est une autre face de cette
même pensée qu'exprime un vers pro-
verbe, demeuré célèbre:
Insensés qui prenaient, dans leur erreur pro-"
1 fonde,
Le bord de l'horizon pour la borne du monde!
D'autres fois, Y Almanach détache d'un
livre d'économie politique telle phrase
qui doit s'incruster dans la mémoire du
peuple:
Prenons pour exemple la fabrication des
chemises en gros. Sur cent douzaines de
chemises qui entrent dans le commerce, les
couvents en ont cousu quatre-vingt-cin,g.
Feuilleton du XIX- SIÊCLB
Du 9 janvier 1885
(18)
LAZARE
VIII
suite -i
Il trouva Bêmare de méchante hu-
meur, qui fumait des cigarettes sur le
pas de la porte : la patronne était ma-
lade.
— Une scie. Je lui fourre des tisanes.
Elle pue la fièvre. Quelle baraque 1
Par bonheur, la morte-saison commen-
çait, Théodore avait du temps de reste
pour la soigner. « C'est sa femme, après
tout ; elle n'a même que ça pour elle. »
Ces doléances gênèrent l'amoureux de
Mélie, qui ne réussissait pas à prendre
une figure appropriée. Justin demanda
des chaises sur le trottoir et, très agacé,
s'emporta contre Alfred ; celui-ci se hâ-
tait cependant d'obéir, mais avec un
sourire mince et des regards en dessous.
— Par prudence au moins, conseilla
Désiré, tu devrais ménager ce jeune
homme. Il peut te nuire.
- A cause d'elle? Puisqu'il n'y a rien,
répliqua Justin en haussant les épaules.
A.ssis dans la rue tranquille, dès que la
miit commença à tomber, Désiré s'en-
hardit et aborda brusquement les confi-
firnees. Le garçon coiffeur, les jambes
allongées, la tête renversée contre la
-RcDroduct!on Interdite aux journaux qui n'ont
¡,-Ç! traité avec la Société des gens de lettres
cwjit de traduction réservé-*
glace de la devanture, lançait sa fumée
vers les toits et daignait écouter.
— En vérité, est-elle si jolie que ça?
demandait-il avec intérêt.
Et quand ce fut fini :
— Eh bien, mon petit, tu m'inviteras
à ta noce.
L'amoureux s'était mis à trembler,
comme attendant l'arrêt d'Emilie elle-
même.
— Alors, dit-il, tu crois
Et les mais se pressaient sur ses lè-
vre s t4
— Lorsqu'ils sauront ce que je suis,
mon pauvre Bémare.
— Nigaud ! le citoyen Petitbon a une
fille ouvrière, tu seras un gendre ouvrier.
Où la voit-on, ta princesse? ajouta Justin
curieux.
Dès le lendemain il trouvait moyen de
se faire présenter à l'épicier. Ses opinions
politiques, lorsqu'il prenait la peine d'en
avoir, étaient celles d'un déclassé ; il pro-
fessait le radicalisme violent des ambi-
tions incapables-et des jalousies impuis-
santes. Pavas lui parla. Auprès de l'épi-
cière et d'Anaïs, son menton enfariné,
ses cheveux luisants qui sentaient bon,
ses mains blanches à griffes de chat, son
nœud de cravate et ses breloques triom-
phèrent. Ses yeux d'agate fascinaient la
femme de l'employé. Il avait lu beaucoup
de romans et racontait à mots couverts,
dans le creux de la main, des histoires
un peu fortes : Victorine, d'autorité, sur
un ton de maîtresse d'école, le proclama
charmant.
— Mon cher, dit-il en sortant à Désiré,
tu es mon ami, tu feras de ces gens-là
tout ce que tu voudras.
IX
11 y avait fête de nuit dans le parc des
Buttes-Chaumont : jeux et divertisse-
ments de toute sorte, disait le pro-
gramme officiel, boutiques foraines, illu-
minations, flammes de Bengale, barques
Davoisées sur le lac et feu d'artifice au
temple de la Sibylle, avec conférence
mêlée de musique et suivie d'un bal ; le
tout au profit d'une œuvre populaire.
Pavas et Petitbon ne pouvaient se dis-
penser d'y porter leur obole et de s'y
faire voir. L'épicière avait, à cette occa-
sion, invité Justin à dîner avec son ami ;
les deux jeunes gens payèrent des fia-
cres, où le sieur et la dame Esseline,
descendus tout à point, trouvèrent place ;
et l'on monta gaiement vers Belleville en
voiturée de noce.
Garbille, juché sur la galerie d'un an-
tique berlingot, semblait mener le cor-
tège. Fort altéré durant tout le repas,
tour à tour il dégoisait de là-haut des bo-
niments de dentiste ambulantou braillait
des romances d'atelier avec accompagne-
ment de tambour de basque dans le cha-
peau de cuir bouilli du cocher, tandis
qu'Anaïs, renversée dans la capote d'un
cabriolet, et les jupons traînant sur le
marchepied, émue de plaisir à l'idée de
se faire carrosser pour rien à travers la
plèbe de son quartier, dodelinait douce-
ment de la tête et reprenait les refrains
en sourdine, d'une voix de gorge serrée
et prétentieuse, avec des œillades aux
étoiles. C'était joliment drôle; et Petit-
bon, voyant rire les passants, avait peine
à demeurer enfermé dans sa cravate au-
près de 1830.
A mesure qu'on avançait, la rue se
trouvait pleine de mQnde ; c'était une pro-
cession d'épaules courbées gravissant vers
le même but, dans la poussière soulevée
par le piétinement patient et mesuré des
foules qui se ménagent pour le bon mo-
ment. Quelques jeunes gas en redingote
luisante, le chapeau sur le sourcil droit,
se mettaient par avance en gaieté aux
boum-boum lointains des grosses caisses
et battaient des entrechats au milieu de
la chaussée. Ils apostrophèrent les voitu-
res; Garbille répondait. Un moment Bec-
à-Vin se hissa fout debout sur son fiacre
et leva les bras en l'air :
— Oh 1 là là 1 c'est rien chouettei
— M'sieu ! m'sleu ! crièrent des gamins
sautelant Jusque parmi les roues, qu'est-
ce ou'on voit?
- Rien du tout.
lit il se rassit ; on pouffa de rire.
Cependant le ciel, par-dessus les toits,
s'incendiait. Les bruits grossissaient,
dans un roulement continu, avec des
éclats brusques, en coups de vent, au
coin des maisons. Et soudain la place
apparut, élargie sous une brume chaude
de tournaise où la foule, houleuse, bouil-
lonnait. La procession rompait les rangs,
se précipitait vers les grilles avec des
cris et des gambades de sortie d'école.
Madame Petitbon s'était levée et tendait
le cou. Au milieu de l'explosion de joie
et de gaieté du populaire, Anaïs conser-
vait son attitude de reine indolente.
Quant à Emilie, elle sautait déjà sur le
trottoir ; elle avait fait le voyage côte à
côte avec le garçon coiffeur, sur un
strapontin, tandis que Désiré, timide et
gauche, se laissait mettre en caque dans
le fiacre des hommes.
Garbille rassembla son troupeau ; puis
on marcha en colonne vers l'entrée.
— Nom de nom ! Pavas, cria l'épicier
en reculant tout à coup, un de ses bras
ramené en travers de sa poitrine dans uu
geste d'indignation noble.
Il y avait de la police : un sergent de
ville à chaque tourniquet. Et le bon*
homme grognait entre les dents, avec
Drudence : « Parce que c'est une fête
du peuple. toujours cette gueuse de
rousse!. »
Sa fille le tira par sa redingote de
conspirateur, en lui montrant Esseline
du coin de l'œil. Alors il devint majes-
tueux : ,
— Je ne fais pas de personnalité. Mort
aux institutions ignobles: honneur et
respect aux individus!
Et comme témoignage des beaux sen-
timents qui l'animaient, déjà engagé dans
la mécanique, il se retourna, fixa le ser-
gent de ville, et soulevant son chapeau
avec solennité:
-Citoyen, dit-il, je te salue frater-
1 nellement.
Ce qui égaya fort les citoyens de l'ave-
nir qui, faute de dix sous à verser au
tourniquet, se payaient gratis l'amuse-
ment d'y voir défiler a les bonnes bi-
nettes ».
Dès la grille franchie, un cri d'admira-
tion échappa à la blonde Mme Esseline.
Tant pis pour la oignité, c'était trop
beau. Et puis c'était assourdissant : les
orgues de barbarie, les trombones, les
grosses caisses, les cloches, les parades
des saltimbanques, les mirlitons, lescré-
celles et les pétards, cela grisait positi-
vement, dans une atmosphère chauffée
par des milliers d'haleines, embrasée du
feu des lampions, élouissante. La pauvre
petite femme avait des frétillements dans
les jambes, et la tête lui tournoyait com-
me au galop d'un de ces quadrilles d'en-
fer qui terminent les bals de noces, après
que les mariés et les grands-parents sont
partis. Son regard aussi flottait sur trop
de choses à voir, parmi lesquelles il
cherchait à se poser, dans un papilJotage
de lueurs vives, de brumes d'or trouées
de ténèbres opaques ou rayées par les
étoiles filantes des fusées d'un tir à pi-
geon, avec des boules de feu rouge dans
le vert flambant des arbres, les drapeaux,
les bannières, les tentes gonflées par le
yent, et les embarcations traînant des
groupes d'ombres sous des guirlandes de
lanternes tricolores, et le mur blanc de
la falaise éclaboussé par un jet de lu-
mière électrique; tout cela doublé dans
le miroitement profond du lac, dont le
flot, incessamment battu, se pailletait
au reflet des constellations semées sur le
noir du ciel par des. girandoles de verres
de couleur et par des cordons de gaz en
couronne au dôme du temple.
La voix de Justin arracha Anaïs à son
extase. Sans accorder une minute à la
curiosité, Pavas et Petitbon se portaient
gravement vers la tente du bal ; Bec-à-
Vin les accompagnait. Le beau Bêmare,
son chapeau de feutre gris délicatement
posé sur ses bandeaux luisants, une rose
à la boutonnière et des gants dans le
gilet, faisait le galant et l'empressé, s'of-
frait à diriger la promenade et à organi-
ser les divertissements.
— V faudrait d'abord, mesdames, nous
tirer de la cohue; j'en fais mon af-
faire.
Il se retournait, en disant cela, vers
Mme Esseline; elle tortilla légèrement
des hanches et, les paupières baissées,
feignit de se défriper du plat de la main,
avec des façons de jeune poulette lissant
ses plumes. Quand elle releva les yeux,
Victorine s'éloignait au bras de Justin.:
Désiré suivait avec Mélie. Restait l'expé-
ditionnaire, qui, la figure plus longue et
plus jaune que jamais, s'inclinait sur
l'épaule de sa femme pour demander
tout bas : « Dis donc, Ninine, as-tu da
l'argent? »
Mais ces messieurs payaient tout le
temps. D'abord le garçon coiffeur tint à
montrer son adresse au passe-boules et
au massacre et à déployer ses biceps sur,
des têtes de Kroumirs. Après quoi, il dis-
tribuait royalement les macarons et les
roses en papier. Les hommes durent faire
avec lui un carton au pistolet. Il voulut
absolument que les dames brûlassent
aussi quelques cartouches; Anaïs tira en
fermant les yeux et se renversa dans ses
bras. Il parlait haut, s'agitait, et son por-
te-monnaie semblait inépuisable. Une
troupe de gamins émerveillés escortaient
ce Crésus, qui leur abandonnait les pa-
piers des macarons.
A un de ces jeux Désiré, par grand
hasard, gagna un couteau, une sorte da
poignard à lame torse et effilée.
— Arme d"assassin! dit l'employé de la
préfecture de police, d'une voix lugubre.
Et Anaïs, par gentillesse, se complut à
l'agacer, l'appelant le chourineur, pous-
sant des cris d'effroi dès qu'il approchait
d'elle et lui trouvant une figure de cour
d'assises ; ce qui finissait par le tourmen-
ter.
Puis vinrent les loteries, les toupies
hollandaises, les tourniquets.
— Pour monter votre ménage, Mlle
Mélie, disait Justin finement en arrêtant
Mlle Petitbon devant les roues chargées
de verreries et de faïences.,
1 Gso&ass GLATRON.
t (A sisive,e)
1 rii du numéro à Paris 15 sentîmes - Départements: 20 centimes
Vendredi 9 Janvier 1885
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Six mois. 32 »»
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Egypte 324 68, 324 06.
Bînque- ottomane. 601 87, 599 68.
Extérieure 59 1x4, 3[16.
Actions Rio. 326 87, 324 37.
PARIS, 8 JANVIER 1885.
Par la chronique quotidienne que
nous donnons des élections sénatoriales,
il est facile de juger que le désarroi des
partis monarchiques est extrême. Com-
ment s'en étonner, lorsque ces partis,
unis pour désorganiser et pour détruire,
n'ont pas à nous offrir d'autre pro-
gramme de reconstruction que celui de
1873 et de 1877 ? Le manifeste des
Droites, que nous avons fait connaître
l'autre jour, n'est qu'un réquisitoire
contre la République. Cela ne suffit pas.
L'électeur, en effet, lit le réquisitoire,
mais il demande : « Et puis après ? La
République démolie, qu'est-ce que vous
mettrez à la place ? Quelle espèce de
gouvernement, quelle espèce d'adminis-
tration êtes-vous capables de nous don-
ner? » Là-dessus le manifeste est resté
muet, et pour cause ; car si ses auteurs
avaient dû répondre et s'expliquer si-
multanément, c'eût été la cacophonie la
plus étourdissante. Ils ont été prudents,
ils se sont tus.
Les adversaires des institutions répu-
blicaines assistent donc déjà, avec plus
ou moins de résignation, au naufrage
des candidatures qui leur tenaient le
plus à cœur. Le spectacle est intéres-
sant ; nous en signalerons un épisode
propre à navrer particulièrement nos
confrères du Soleil, qui, naguère, avaient
inventé les « candidats nécessaires »
dont ils proposaient modestement une
liste de six. Or, voici que déjà cette demi-
douzaines d'illustrations, « sans les-
quelles on ne comprendrait pas le Sé-
nat », est réduite à cinq, car M. Lam-
bert Sainte-Croix, oui, M. Lambert
Sainte-Croix lui-même, renonce à se
porter dans son département. La rai-
son qu'il en donne, c'est que la nouvelle
loi sur les élections sénatoriales est trop
mauvaise et qu'il a plus de confiance
(ombre de Guizot, qu'en dis-tu ?) dans
le suffrage universel. C'est par le suf-
frage universel que M. Lambert Sainte-
Croix jurera désormais. Dès aujourd'hui,
il pose sa candidature de député pour
les prochaines élections législatives.
« C'est, dit-il, au suffrage universel
de tout le département de l'Aude qu'en
1871 j'ai dû l'honneur de vous repré-
senter pour la première fois. C'est au
suffrage universel de tout le départe-
ment qu'en 1885 je demanderai le droit
de défendre encore dans le Parlement
les finances, les libertés et l'honneur du
pays.» Qui vivra verra. Mais M. Lam-
bert Sainte-Croix oserait-il tenir la ga-
geure que, d'ici aux prochaines élec-
tions législatives, il n'aura pas changé
d'avis ?
S'il désespère d'être élu avec la nou-
velle loi électorale du Sénat, que de-
viendra-t-il, hélas 1 le pauvre homme,
quand il s'agira d'avoir affaire au suf-
frage universel direct ? Il critique amè-
rement, à cette heure, la loi électorale
du Sénat, mais ce n'est pour lui qu'un
prétexte, et un prétexte peu adroit, de
se dérober. Ce que beaucoup de répu-
blicains ont reproché, comme nous, au
nouveau système, dit de proportionna-
lité, c'est qu'il donnettmix délégués aux
communes de 501 à 1,000 habitants,
c'est-à-dire qu'il double la représenta-
tion d'à peu près moitié des communes
rurales, tandis qu'il n'augmente la re-
présentation des communes urbaines
qu'à dose,infinitésimale. Nous nous en
sommes plaints. Mais est-ce à M. Lam-
bert Sainte-Croix de s'en plaindre ? Est-
ce à lui d'écrire que la loi nouvelle a
été faite « pour corriger la fortune du
scrutin au profit d'un parti » ? Quoi ! il
se défie à ce point de l'énorme prépon-
dérance qui est attribuée aux suffrages
ruraux 1 Croit-il bonnement qu'il aurait
eu plus de chances de succès si la loi
nouvelle avait établi une exacte propor-
tionnalité, comme elle l'aurait dû, par
rapport à la population des diverses com-
munes, et si les villes avaient pu dis-
poser du nombre de suffrages auquel,
en bonne équité, elles auraient eu droit?
EUG. LIÉBERT.
l-e
LES OPÉRATIONS AU TONKIN
On commence à connaître de façon
plus précise les projets du gouvernement
au sujet des opérations militaires tant au
Tonkin que sur les côtes de Chine.
Ainsi que nous l'avons annoncé, 6,000
hommes de renfort vont être envoyés au
Tonkin à bref délai. Ces troupes se com-
poseraient, d'après les informations les
plus récentes, de quatre bataillons d'in-
fanterie, un du 1er régiment de zouaves à
Alger, un du 2° régiment de zouaves à
Oran, le 2e bataillon de chasseurs à pied
à Versailles et le 30* à Clermont.
Ces quatre bataillons seraient placés
sous le commandement du général Vil-
lain, qui est aujourd'hui à la tête de la
66e brigade d'infanterie.
A ces troupes d'infanterie seraient
joints plusieurs détachements d'artille-
rie, du génie et du train.
Ces renforts doivent partir de Toulon
du 15 au 25 janvier.
On estime qu'ils seront arrivés à desti-
nation vers la moitié du mois de mars.
C'est en effet à cette époque que, d'a-
près les plans de campagne adoptés par
le gouvernement, le général Brière de
l'Isle engagerait une action décisive con-
tre les troupes chinoises, tandis que l'a-
miral Courbet ferait une démonstration
importante sur les côtes de la Chine.
Tout donne à penser que le comman-
dant en chef de l'escadre, avec les ren-
forts qu'il va recevoir ou qu'il a déjà re-
çus, sera en mesure de réparer l'échec de
Tamsui et de s'établir solidement sur les
points importants de Formose, après en
avoir chassé les Célestes. On compte qu'il
sera libre de ses mouvements vers la fin
de février. On pourrait, de cette façon,
attaquer la Chine à la fois par mer et par
terre.
En attendant ce moment, le général
Brière de l'Isle continuera à tenir ses
troupes en haleine par des poussées vi-
goureuses contre les irréguliers qui in-
festent le Delta.
Les véritables opérations ne seront re-
prises qu'en mars.
L. H.
A PROPOS DEJIMTION
M. le préfet de la Seine a permis de
brûler ce que, dans la langue de l'Ecole
de médecine, on appelle les débris
r d'hôpitaux fet aussi, parait-il, les cada-
vres qui n'ont pas été réclamés" par les
familles. II n'en faut pas davantage
pour mettre Y Univers hors de lui Ai
l'en croire, la crémation est une chose
impie, détestable, abominable. C'est
l'athéisme et aussi la franc-maçonnerie
— que l'Univers n'oublie jamais — qui
la main dans la main, par haine de la
religion, mènent cette campagne infâme
de la crémation, poursuivie en Italie et
en France depuis quelques années. Ne
dites pas à l'Univers qu'il s'agit ici d'une
question d'hygiène; que les cimetières,
dans les grandes villes surtout, peuvent
être un danger pour la santé publi-
que; qu'en temps d'épidémie particu-
lièrement, l'usage de brûler les morts,
s'il pénétrait dans nos mœurs, aurait
de grands avantages ; qu'après tout on
peut sans inconvénient, ici comme en
bien des choses, laisser les gens libres ;
Y Univers n'en démord point : pour être
partisan de la crémation, il faut être!
l'ennemi de l'Eglise.
Depuis le christianisme, écrit M. Loth, on
enterre les morts. L'inhumation est le mode
le plus digne de l'homme, le plus respec-
tueux du corps, le plus convenable pour l'af-
lection; c'est aussi le mode de la foi, qui
proclame l'espérance en une autre vie, qui
attend la résurrection future. N'est-ce pas in-
tolérable en notre siècle? Qu'on brûle plutôt
les cadavres ! La crémation est une manière
de laïciser-la mort, la douleur, le cimetière.
Elle affirme autant qu'elle peut le rien de
l'homme, la destruction de son être après is
vie, l'inanité des espérances chrétiennes ;
elle fait du cimetière, au lieu d'un champ de
repos, le réceptacle du néant. C'est tout un
symbole de foi, tout un culte, que la créma-
tion. Elle est la religion de ceux qui n'en ont
plus d'aucune sorte ; le four qui engloutit
la dépouille humaine est son autel et l'odeur
des cadavres brûlés est l'encens qu'elle offre
à son dieu. C'est la revanche définitive de
la libre-pensée contre la croyance ; c'est la
contre-partie du baptême chrétien qui a mis
sur le front du nouveau-né le sceau des es-
pérances immortelles. Et voilà pourquoi 11
y a une Société de la propagation de la cré.
mation. Aujourd'hui elle n'est que société ;
demain, avec la République, elle sera loi.
L'Eglise baptise avec l'eau de la vie ; la li-
bre-pensée brûlera avec le feu destructeur :
ce sera son sacrement de la fin, et l'homme,
que le christianisme avait fait sien, lui ap-
partiendra en dernier lieu.
Le morceau est assez brillant ; nous
ne faisons aucune difficulté pour le dé-
clarer, au point de vue littéraire, supé-
rieur à la prose ordinaire de M. Loth.
Le malheur est que toute cette belle
rhétorique n'a pas le sens commun.
Il serait trop facile de répondre au
rédacteur de l'Univers que l'Eglise a
plus d'horreur pour les bûchers quand
il s'agit des morts que quand il s'agit
des vivants. Mais nous voulons nous
borner à opposer des raisons à ses in-
vectives.
La foi ou l'absence de foi n'ont rien
à voir, absolument rien, dans la ques-
tion de la crémation ou de l'inhuma-
tion. On peut mettre en défi les plus
subtils commentateurs de trouver, dans
l'Evangile, une seule ligne en faveur de
l'une ou contre l'autre. Ce n'est pas le
christianisme qui a inventé l'inhuma-
tion. Les Romains, qui étaient païens,
brûlaient, il est vrai, leurs morts ; mais
les Athéniens enterraient les leurs ; et
je ne sache pas qu'ils fussent moins
bons païens que les Romains.
Le culte des morts n'a rien à voir avec
la crémation ou Finhumation. Les Ro-
mains, qui brûlaientles cadavres, avaient
ce culte aussi vif pour le moins que le
peuvent avoir les chrétiens qui les en-
terrent : les monuments qui nous res-
tent de leur civilisation nous te prou-
vent à l'évidence.
Ce sont des phrases et rie a que des
jro}se::; de dire que « rôdeur des cada-
vres brûlés est l'encens que la libre-
pensée offre à son Dieu », et encore,
que « l'Eglise baptise avec l'eau de vie,
et que la libre-pensée brûle avec le feu
destructeur » ; demain, le même M. Loth
nous parlera, en se souvenant mieux de
la langue ecclésiastique, du « feu qui
purifie» 1
Ce sont des phrases, et toujours
rien que des phrases, de nous dire
« que le cimetière est aujourd'hui le
champ du repos H, et que demain il de-
viendrait « le réceptacle du néant ». M.
Loth est trop bon chrétien pour croire
que les morts « reposent » dans le ci-
metière. Il sait fort bien que ce qu'on
y ensevelit, c'est leur dépouille terres-
tre et non pas eux-mêmes. Et quant au
«néant» de l'homme—j'entenassonnéant
au point de vue de sa partie périssable, —
je le renvoie au sermon de Bossuet sur la
mort et à l'oraison funèbre de Madame.
Je ne crois pas qu'il se trouve jamais
un libre-penseur pour parler de ce
« néant » avec une plus saisissante élo-
quence que le grand orateur catholi-
que. Hélas 1 qu'on brûle les corps ou
que les vers les rongent, quiconque
est né doit disparaître, sans qu'après un
temps plus ou moins court il reste rien
de lui '.) — •
af. Loth affirme qu'il est « plus
digne de l'homme», «plus respectueux
pour le corps, plus convenable pour
l'affection » de pourrir en quelques
mois que d'être brûlé en quelques mi-
nutes; c'est encore là une phrase et
rien de plus. Je ne me porte pas comme
lui garant de la résurrection, mais je ne
vois pas en quoi elle serait plus gênée
par la crémation que par l'inhumation.
Si la puissance divine veut rendre leurs
corps aux générations disparues, il fau-
dra, dans un cas comme dans l'autre,
qu'elle les refasse de toutes pièces.
A notre avis, les dévots ont bien tort
de mêler ainsi la religion aux choses
où elle n'a rien à voir et où personne
ne songeait à la mettre. Elle n'y a rien
à gagner : et ses affaires sont déjà bien
assez lourdes ! Si l'Eglise était sage,
elle laisserait les gens se faire brûler ou
se faire enterrer à leur gré ; elle réci-
terait ses prières des morts aussi bien
devant un bûcher prêt à allumer que
devant une fosse ouverte, et laisserait
à Dieu qui, après tout, y voit plus clair
encore que ses docteurs, le soin « de re-
connaître les siens», comme dirait un
légat en certaine circonstance que Mi
Loth connaît bien «j
CHARLES BIGOT*
NOUVELLES DE CHINE
LES COMBATS D'OCTOBRE
Ont été mis à l'ordre du jour du corps ex-
péditionnaire du Tonkin pour les combats
des 2, 6, 8 et 10 octobre :
MM. le général Négrier, le lieutenant-co-
lanel Donnier, le capitaine d'artillerie For-
toul, le lieutenant Berge.
218 de ligne : M. Godard, chef de batail-
lon ; Gignaus, Kerdraln, capitaines ; Ber-
neck, adjudant ; Henriet, sêrgent-major ;
Duzin, Falcon, Quatremarre.
111° de ligue : MM. Duluys, sous-lieute-
nant; Chatelain, caporal; Maillet, soldat.
143e de ligne : MM. Barbier, capitaine;
Juchereau de Saint-Denys, sous-lieutenant ;
Thubert, sergent; Vauche, soldat.
38 tirailleurs algériens : M. Menier, capi-
taine adjudant-major.
Légion étrangère : MM. Bolgert et Yzom-
bnrd, capitaines; Garïeron, lieutenant.
i CI régi ment do i/iruilleurar tonkinois : S.
Bataille, lieutenant.
Equipages de la flotte : MMf. les lieute-
nants de vaisseau Fortin, commandant le
Mousqueton ; Monceron, commandant la
Hache; Levcue, commandant l'Eclair; La-
mour, second-maître de la Massue.
PREMIERS RENFORTS
La Romanche, commandant Germinet,
ayant à bord 119 hommes d'équipage et 120
passagers militaires, et la Nievre, comman-
dant Quenet, portant 113 hommes d'équi-
page et 88 passagers militaires, sont partis
de Toulon pour le Tonkin.
Le colonel Mourlan, chef de cabinet du
général Campenon, partira à la fin de ce
mois pour le Tonkin, où il va prendre le
commandement du 1er régiment de tirail-
leurs.
Le capitaine de frégate Foret s'est embar-
qué à Marseille dimanche dernier pour
aller rejoindre l'amiral Courbet, qui l'a
choisi comme premier aide de camp.
DÉPÊCHE DE FÉLICITATIONS
Le ministre de la marine vient d'adresser
une dépêche de félicitations au général de
Négrier et aux troupes françaises, à l'occa-
sion de la victoire qu'ils viennent de rem-
porter à l'est de Chu sur les Chinois.
L'ÉTAT SANITAIRE
Il résulte du compte rendu de la situation
des six hôpitaux établis au Tonkin les ren-
seignements suivants pour le mois d'octobre
1884 :
Sur 520 malades, il y a eu-SS cWeès, «nt
11 à la suite de blessures; soit 2,23 pour
1,000.
Les décès ont eu surtout pour cause prin-
cipale la dysenterie et des fièvres de na-
tures diverses.
Au total, la situation sanitaire est favora-
ble et bien meilleure que celle constatée
pendant la saison des grandes chaleurs.
LES ALLEMANDS EN CHINB
Une dépêche de service du général Brière
de l'Isle signale la présence dans les troupes
chinoises d'officiers allemands, subalternes
et supérieurs, et, dans la flotte ennemie, la
présence d'officiers de la marine anglaise.
Yokohama, 7 janvier.
Le gouvernement japonais a frété quel-
ques vapeurs pour transporter des troupes
en Corée.
— —■ ■■
LES LIBRES-PENSEURS
En Belgique, où la guerre de la libre-
pensée contre le cléricalisme est infi-
niment plus vive qu'ici, il y a une So-
ciété des libres-penseurs qui publie
chaque année, au prix infime de quinze
centimes, un almanach qui a pour
titre : Y AhAanach des libres-penseurs.
Il va sans dire que la Société le distri-
bue gratuitement dans les campagnes.
Au fronton de l'almanach brillent, en
exergue". deux pensées empruntées
l'une à Victor Hugo, et l'autre (souve-
nons-nous que nous sommes en Belgi-
que) à M. Frère-Orban:
Il y a dans chaque village un flambeau
allumé : le maître d'école, et une bouche
qui souffle dessus: le curé. - VICTOR HUGO.
Comment se prononcer entre les Eglises
qui, toutes, se disent d'institution divine et
se prétendent toutes en possession de la vé-
rité ?. — FRÈRE-ORBAN. »
Ce petit volume se compose tout en-
tier de citations découpées avec soin,
par des ciseaux intelligents, chez nos
meilleurs moralistes, chez nos orateurs
eélèbres, chez nos grands écrivains de
tous genres ; quand je dis nos, il va
sans dire que j'entends ceux de Belgi-
que comme ceux de France. Ne com-
battons-nous pas le même combat ?
Toutes ces ci ration s ue sont pas de
premier ordre au point de vue stricte- -
ment littéraire. Toutes au moins sont
choisies pour frapper les imaginations,
pour porter coup.
-- Voulez-vous que je vous en mette
sous les yeux quelques-unes? naturel-
lement celles qui m'ont paru les plus
probantes ou les plus spirituelles:
Egaré dans une for.!t immense pendant
la nuit, je n'ai qu'une petite lumière pour
me conduire. Survient un homme qui me
dit : « Mon ami, souffle ta bougie pour mieux
trouver ton chemin. »
Cet homme est un théologien»
Cela est signé Diderot.
Je ne me rappelais plus le passage ?
mais rien qu'à le lire j'aurais parié qu'il
venait du dix-huitième siècle. Il a le tour,
rapide et incisif de ce temps où l'on
aimait à ramasser une vérité philoso-
phique dans un trait qui partait aigu,
et vibrant comme la flèche.
Les vers alternent avec la prose.
En voici de bien curieux empruntés
à Victor Hugo :
Vous prêtez au bon Dieu ce raisonnement-cl :
— J'ai, jadis, dans un lieu charmant et bien choisi
Mis la première femme avec le premier homme»)
Ils ont mangé, malgré ma défense, une pomme.
C'est pourquoi je punis les hommes à jamais.
jnefflattraOtnai-eux sur terra, et leurs promets^
En enfer, où Satan dans la braise se vautre,
Un châtiment sans fin pour la faute d'un autrw
Leur âme tombe en flamme et leur corps en
1 charbon.
Rien de plus juste; mais, comme je suis très bon;
Cela m'afflige. Hélas! comment faire? Une idéci
Je vais leur envoyer mon fils dans la Judée.
Ils le tueront.- Alors,. c'est pourquoi j'y con-*
l#ens.^
Ayant commis un crime, Ils seront innocents.
Les voyant ainsi faire une faute complète,
Je leur pardonnerai celle qu'ils n'ont pas faite;
Ils étaient vertueux, je les rends criminels ;
Donc je puis leur rouvrir mes vieux bras pater
1 nehs,
Et de cette façon cette race est sauvée, ,
Leur innocence étant par un forfait lavée.
Ce serait bien le cas de répéter ici la
fameuse phrase : « Le lion a ri. »
A la suite de ces vers une pensée
bien profonde :
Dieu est une borne mobile placée à l'ex-
trémité du savoir humain ; et cette borne,i
surmontée d'un grand X, recule incessam-
ment devant les progrès de la science hu-
maine.
La phrase est de Karl Vogt. Je ne
sais si elle n'est pas trop forte pour les
intelligences moyennes à qui s'adresse
Y Almanach des libres-penseurs• Il faut
être déjà quelque peu familier avec les
idées philosophiques pour comprendre
que Dieu est la raison dernière des phé-
nomènes qu'on n'a pas encore réussi à
expliquer scientifiquement, et.que par
conséquent Dieu se trouve éliminé de
tous ceux dont la science a pris posses-
sion. Il recule donc comme une borne
mobile. C'est une autre face de cette
même pensée qu'exprime un vers pro-
verbe, demeuré célèbre:
Insensés qui prenaient, dans leur erreur pro-"
1 fonde,
Le bord de l'horizon pour la borne du monde!
D'autres fois, Y Almanach détache d'un
livre d'économie politique telle phrase
qui doit s'incruster dans la mémoire du
peuple:
Prenons pour exemple la fabrication des
chemises en gros. Sur cent douzaines de
chemises qui entrent dans le commerce, les
couvents en ont cousu quatre-vingt-cin,g.
Feuilleton du XIX- SIÊCLB
Du 9 janvier 1885
(18)
LAZARE
VIII
suite -i
Il trouva Bêmare de méchante hu-
meur, qui fumait des cigarettes sur le
pas de la porte : la patronne était ma-
lade.
— Une scie. Je lui fourre des tisanes.
Elle pue la fièvre. Quelle baraque 1
Par bonheur, la morte-saison commen-
çait, Théodore avait du temps de reste
pour la soigner. « C'est sa femme, après
tout ; elle n'a même que ça pour elle. »
Ces doléances gênèrent l'amoureux de
Mélie, qui ne réussissait pas à prendre
une figure appropriée. Justin demanda
des chaises sur le trottoir et, très agacé,
s'emporta contre Alfred ; celui-ci se hâ-
tait cependant d'obéir, mais avec un
sourire mince et des regards en dessous.
— Par prudence au moins, conseilla
Désiré, tu devrais ménager ce jeune
homme. Il peut te nuire.
- A cause d'elle? Puisqu'il n'y a rien,
répliqua Justin en haussant les épaules.
A.ssis dans la rue tranquille, dès que la
miit commença à tomber, Désiré s'en-
hardit et aborda brusquement les confi-
firnees. Le garçon coiffeur, les jambes
allongées, la tête renversée contre la
-RcDroduct!on Interdite aux journaux qui n'ont
¡,-Ç! traité avec la Société des gens de lettres
cwjit de traduction réservé-*
glace de la devanture, lançait sa fumée
vers les toits et daignait écouter.
— En vérité, est-elle si jolie que ça?
demandait-il avec intérêt.
Et quand ce fut fini :
— Eh bien, mon petit, tu m'inviteras
à ta noce.
L'amoureux s'était mis à trembler,
comme attendant l'arrêt d'Emilie elle-
même.
— Alors, dit-il, tu crois
Et les mais se pressaient sur ses lè-
vre s t4
— Lorsqu'ils sauront ce que je suis,
mon pauvre Bémare.
— Nigaud ! le citoyen Petitbon a une
fille ouvrière, tu seras un gendre ouvrier.
Où la voit-on, ta princesse? ajouta Justin
curieux.
Dès le lendemain il trouvait moyen de
se faire présenter à l'épicier. Ses opinions
politiques, lorsqu'il prenait la peine d'en
avoir, étaient celles d'un déclassé ; il pro-
fessait le radicalisme violent des ambi-
tions incapables-et des jalousies impuis-
santes. Pavas lui parla. Auprès de l'épi-
cière et d'Anaïs, son menton enfariné,
ses cheveux luisants qui sentaient bon,
ses mains blanches à griffes de chat, son
nœud de cravate et ses breloques triom-
phèrent. Ses yeux d'agate fascinaient la
femme de l'employé. Il avait lu beaucoup
de romans et racontait à mots couverts,
dans le creux de la main, des histoires
un peu fortes : Victorine, d'autorité, sur
un ton de maîtresse d'école, le proclama
charmant.
— Mon cher, dit-il en sortant à Désiré,
tu es mon ami, tu feras de ces gens-là
tout ce que tu voudras.
IX
11 y avait fête de nuit dans le parc des
Buttes-Chaumont : jeux et divertisse-
ments de toute sorte, disait le pro-
gramme officiel, boutiques foraines, illu-
minations, flammes de Bengale, barques
Davoisées sur le lac et feu d'artifice au
temple de la Sibylle, avec conférence
mêlée de musique et suivie d'un bal ; le
tout au profit d'une œuvre populaire.
Pavas et Petitbon ne pouvaient se dis-
penser d'y porter leur obole et de s'y
faire voir. L'épicière avait, à cette occa-
sion, invité Justin à dîner avec son ami ;
les deux jeunes gens payèrent des fia-
cres, où le sieur et la dame Esseline,
descendus tout à point, trouvèrent place ;
et l'on monta gaiement vers Belleville en
voiturée de noce.
Garbille, juché sur la galerie d'un an-
tique berlingot, semblait mener le cor-
tège. Fort altéré durant tout le repas,
tour à tour il dégoisait de là-haut des bo-
niments de dentiste ambulantou braillait
des romances d'atelier avec accompagne-
ment de tambour de basque dans le cha-
peau de cuir bouilli du cocher, tandis
qu'Anaïs, renversée dans la capote d'un
cabriolet, et les jupons traînant sur le
marchepied, émue de plaisir à l'idée de
se faire carrosser pour rien à travers la
plèbe de son quartier, dodelinait douce-
ment de la tête et reprenait les refrains
en sourdine, d'une voix de gorge serrée
et prétentieuse, avec des œillades aux
étoiles. C'était joliment drôle; et Petit-
bon, voyant rire les passants, avait peine
à demeurer enfermé dans sa cravate au-
près de 1830.
A mesure qu'on avançait, la rue se
trouvait pleine de mQnde ; c'était une pro-
cession d'épaules courbées gravissant vers
le même but, dans la poussière soulevée
par le piétinement patient et mesuré des
foules qui se ménagent pour le bon mo-
ment. Quelques jeunes gas en redingote
luisante, le chapeau sur le sourcil droit,
se mettaient par avance en gaieté aux
boum-boum lointains des grosses caisses
et battaient des entrechats au milieu de
la chaussée. Ils apostrophèrent les voitu-
res; Garbille répondait. Un moment Bec-
à-Vin se hissa fout debout sur son fiacre
et leva les bras en l'air :
— Oh 1 là là 1 c'est rien chouettei
— M'sieu ! m'sleu ! crièrent des gamins
sautelant Jusque parmi les roues, qu'est-
ce ou'on voit?
- Rien du tout.
lit il se rassit ; on pouffa de rire.
Cependant le ciel, par-dessus les toits,
s'incendiait. Les bruits grossissaient,
dans un roulement continu, avec des
éclats brusques, en coups de vent, au
coin des maisons. Et soudain la place
apparut, élargie sous une brume chaude
de tournaise où la foule, houleuse, bouil-
lonnait. La procession rompait les rangs,
se précipitait vers les grilles avec des
cris et des gambades de sortie d'école.
Madame Petitbon s'était levée et tendait
le cou. Au milieu de l'explosion de joie
et de gaieté du populaire, Anaïs conser-
vait son attitude de reine indolente.
Quant à Emilie, elle sautait déjà sur le
trottoir ; elle avait fait le voyage côte à
côte avec le garçon coiffeur, sur un
strapontin, tandis que Désiré, timide et
gauche, se laissait mettre en caque dans
le fiacre des hommes.
Garbille rassembla son troupeau ; puis
on marcha en colonne vers l'entrée.
— Nom de nom ! Pavas, cria l'épicier
en reculant tout à coup, un de ses bras
ramené en travers de sa poitrine dans uu
geste d'indignation noble.
Il y avait de la police : un sergent de
ville à chaque tourniquet. Et le bon*
homme grognait entre les dents, avec
Drudence : « Parce que c'est une fête
du peuple. toujours cette gueuse de
rousse!. »
Sa fille le tira par sa redingote de
conspirateur, en lui montrant Esseline
du coin de l'œil. Alors il devint majes-
tueux : ,
— Je ne fais pas de personnalité. Mort
aux institutions ignobles: honneur et
respect aux individus!
Et comme témoignage des beaux sen-
timents qui l'animaient, déjà engagé dans
la mécanique, il se retourna, fixa le ser-
gent de ville, et soulevant son chapeau
avec solennité:
-Citoyen, dit-il, je te salue frater-
1 nellement.
Ce qui égaya fort les citoyens de l'ave-
nir qui, faute de dix sous à verser au
tourniquet, se payaient gratis l'amuse-
ment d'y voir défiler a les bonnes bi-
nettes ».
Dès la grille franchie, un cri d'admira-
tion échappa à la blonde Mme Esseline.
Tant pis pour la oignité, c'était trop
beau. Et puis c'était assourdissant : les
orgues de barbarie, les trombones, les
grosses caisses, les cloches, les parades
des saltimbanques, les mirlitons, lescré-
celles et les pétards, cela grisait positi-
vement, dans une atmosphère chauffée
par des milliers d'haleines, embrasée du
feu des lampions, élouissante. La pauvre
petite femme avait des frétillements dans
les jambes, et la tête lui tournoyait com-
me au galop d'un de ces quadrilles d'en-
fer qui terminent les bals de noces, après
que les mariés et les grands-parents sont
partis. Son regard aussi flottait sur trop
de choses à voir, parmi lesquelles il
cherchait à se poser, dans un papilJotage
de lueurs vives, de brumes d'or trouées
de ténèbres opaques ou rayées par les
étoiles filantes des fusées d'un tir à pi-
geon, avec des boules de feu rouge dans
le vert flambant des arbres, les drapeaux,
les bannières, les tentes gonflées par le
yent, et les embarcations traînant des
groupes d'ombres sous des guirlandes de
lanternes tricolores, et le mur blanc de
la falaise éclaboussé par un jet de lu-
mière électrique; tout cela doublé dans
le miroitement profond du lac, dont le
flot, incessamment battu, se pailletait
au reflet des constellations semées sur le
noir du ciel par des. girandoles de verres
de couleur et par des cordons de gaz en
couronne au dôme du temple.
La voix de Justin arracha Anaïs à son
extase. Sans accorder une minute à la
curiosité, Pavas et Petitbon se portaient
gravement vers la tente du bal ; Bec-à-
Vin les accompagnait. Le beau Bêmare,
son chapeau de feutre gris délicatement
posé sur ses bandeaux luisants, une rose
à la boutonnière et des gants dans le
gilet, faisait le galant et l'empressé, s'of-
frait à diriger la promenade et à organi-
ser les divertissements.
— V faudrait d'abord, mesdames, nous
tirer de la cohue; j'en fais mon af-
faire.
Il se retournait, en disant cela, vers
Mme Esseline; elle tortilla légèrement
des hanches et, les paupières baissées,
feignit de se défriper du plat de la main,
avec des façons de jeune poulette lissant
ses plumes. Quand elle releva les yeux,
Victorine s'éloignait au bras de Justin.:
Désiré suivait avec Mélie. Restait l'expé-
ditionnaire, qui, la figure plus longue et
plus jaune que jamais, s'inclinait sur
l'épaule de sa femme pour demander
tout bas : « Dis donc, Ninine, as-tu da
l'argent? »
Mais ces messieurs payaient tout le
temps. D'abord le garçon coiffeur tint à
montrer son adresse au passe-boules et
au massacre et à déployer ses biceps sur,
des têtes de Kroumirs. Après quoi, il dis-
tribuait royalement les macarons et les
roses en papier. Les hommes durent faire
avec lui un carton au pistolet. Il voulut
absolument que les dames brûlassent
aussi quelques cartouches; Anaïs tira en
fermant les yeux et se renversa dans ses
bras. Il parlait haut, s'agitait, et son por-
te-monnaie semblait inépuisable. Une
troupe de gamins émerveillés escortaient
ce Crésus, qui leur abandonnait les pa-
piers des macarons.
A un de ces jeux Désiré, par grand
hasard, gagna un couteau, une sorte da
poignard à lame torse et effilée.
— Arme d"assassin! dit l'employé de la
préfecture de police, d'une voix lugubre.
Et Anaïs, par gentillesse, se complut à
l'agacer, l'appelant le chourineur, pous-
sant des cris d'effroi dès qu'il approchait
d'elle et lui trouvant une figure de cour
d'assises ; ce qui finissait par le tourmen-
ter.
Puis vinrent les loteries, les toupies
hollandaises, les tourniquets.
— Pour monter votre ménage, Mlle
Mélie, disait Justin finement en arrêtant
Mlle Petitbon devant les roues chargées
de verreries et de faïences.,
1 Gso&ass GLATRON.
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