Titre : Le XIXe siècle : journal quotidien politique et littéraire / directeur-rédacteur en chef : Gustave Chadeuil
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1885-10-25
Contributeur : Chadeuil, Gustave (1821-1896). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32757974m
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 25 octobre 1885 25 octobre 1885
Description : 1885/10/25 (A15,N5040). 1885/10/25 (A15,N5040).
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k7560764m
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-199
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 04/04/2013
1
Quinzième année. — NI 5040 Prix du numéro à Paris- 15 centimes - Départements : 20 centimes Dimanche 25 Octobre 1885
LE III SOCLE
t JOURNAL REPUBLICAIN - CONSERVATEUR
RÉDACTION
S'adresser au Secrétaire de la Rédactioa
de 2 heures à minuit
16, rue Cadet, 18
Les Manuscrits non insérés ne seront pas rendus
-- ABONNEMENTS
DEPARTEMENTS
Trois mois *6 »»
:E.::: mois. 32 »»
tJn an. , 62 »»
--.--- - PARIS
Trois mois. 13 »»
Six mois 25 »»
Un an. so un
Supplément p* l'Étranger (Europe) 1 fr. par trimestre
Les abonnemtl partent des 1er et 15 de chaque mois
-ils d'annonces : MM. LAGRANGE, CERF et G*
6, place de la Bourse, 6
ADMINISTRATION
Adresser les Lettres et Mandats à l'Administrateur
16, rue Cadet, 1Le
Les Lettres non affranchifJ seront - refusées
EN VENTE A LONDRES
A la librairie IPetitjeaaa.
39, OLD COMPTON STREET (SOHO)
ET DANS SES SUCCURSALES
37, Charlotte Street, Fitzroy Square,
Et 15, Tichborne Street, (Cafâ Monico. 2d.)
Aussitôt après le roman en cours
de publication, le XIxe SIÈCLE
offrira à ses lecteurs un roman iné-
dit de mœurs russes, présentant le
plus haut intérêt :
LE ROMAN D'UN GRAND-DUC
PAR LE COMTE ALFANSI
Bourse de Paris
t
PETITE BOURSE DU SOIR „§I
3 0/0 80 43, 42, 55.
4 1/2 0/0 109 65,71.
Turc. 1472,70.
Banque Ottomane. 506 25, 505 31, 506 87.
Egypte. 32843.
Extérieure 4 0/0. 56 1/4, 5/16.
Panama. 390.
Priorité. 363 75, 365.
Hongrois. 80 5/16, 7/16,. 3/8.
SOMMAIFUS
Bulletin.
Question du jour (Une consultation poli-
tique. — 4>.
Revolver et vitriol. — P. F.
Un Gouvernement. — HENRY FOUQUIER.
Les Evénements de Roumélie. — Louis
HENRIQUE.
Nouvelles coloniales.
Les Elections et le prince Napoléon.
Informations.
Chronique (Encorè les Tarasconnais). -
HUGUES LE Roux.
Journée de Paris. - CANALis.
Revue de la presse. — NACHETTB.
Le Sport du jour. - FAVXLLBS.
La Température.
Bibliographie.
Courrier de la Bourse. — H. LE FAURB.
Nouvelles judiciaires.
Faits divers.
Courrier des théâtrel. — GEORGES FEYDEAU.
La Foire aux écus. — ALPH. DE BERNARD.
- BULLETIN
Le ministère prussien a approuvé le
projet de loi concernant la construction
du canal de la mer du Nord à la mer Bal-
tique aux frais du gouvernement impé-
rial.
Dès que le projet aura été sanctionné
par le roi de Prusse, il sera présenté au
t: conseil fédéral au nom du gouvernement
prussien. Le seul point en suspens est la
f somme que la Prusse devra payer d'avance
-' à l'empire.
Le ministère danois a expédié à l'étran-
ger une dépêche conçue dans les termes
sriivants :
« Il n'y a absolument rien de fondé dans
les nouvelles publiées dans les journaux
étrangers, qui ont annoncé que des trou-
bles graves s'étaient produits ici, que l'on
avait requis la police et les troupes pour
les réprimer, et que l'on avait l'intention
d'augmenter la garnison de Copenhague.
» Bien que la presse radicale tienne un
langage très vif et pousse la population à
des actes de violence, la tranquillité pu-
blique n'a pas été troublée un seul ins-
tant.
, » On dit que le guuvernement a l'inten-
tion d'établir des prescriptions pénales ad-
ditionnelles, à l'instar des articles 130 et
131 du Code pénal allemand. »
Nous constaterons qu'il y a quelque
contradiction entre l'assertion que la tran-
quillité publique n'est pas troublée et les
mesures de rigueur qui vont être prises.
On mande de Paris au Standard que
Than Gyet Worm Duc, ambassadeur de
Birmanie en France, s'est rendu auprès de
lord Lyons et lui a remis une note offi-
cieuse, dans laquelle il est déclaré que le
gouvernement birman n'a jamais eu l'in-
tention d'engager des hostilités contre
l'Angleterre. L'ambassadeur ajoute qu'il a
télégraphié à Mandalay le conseil de sou-
mettre le conflit actuel à un arbitre.
Ce conflit n'a pu prendre un caractère
aigu que parce qu'il n'y a pas de rela-
tions diplomatiques directes entre l'Angle-
terre et la Birmanie. Le gouvernement
birman désire l'établissement de bons rap-
ports avec l'Angleterre, surtout au mo-
ment où il compte entrer en relations avec
toutes les nations civilisées. La vie des
Européens en Birmanie ne court aucun
danger.
D'autre part, lord Randolph Churchill,
s'adressant à une réunion d'électeurs à
Birmingham, a fait allusion à la question
de Birmanie et a déclaré que, si la guerre
éclatait, elle aurait pour résultat proba-
ble l'annexion sous une forme ou sous
une autre. « Une politique ferme est abso-
lument nécessaire, a-t-il ajouté, pour la
protection des intérêts anglais. »
Les journaux de Madrid disent que les
arguments employés par l'Allemagne pour
justifier la tentative d occupation de Yap
sont de purs sophismes.
Beaucoup de proclamations républicai-
nes distribuées hier à Madrid ont été sai-
sies, et deux distributeurs ont été empri-
sonnés.
Le Standard donne, d'après un corres-
pondant, les détails suivants sur la confé-
rence de CÀonstantinople
« Dès le début, l'Angleterre proposera
le maintien de l'union de la Bulgarie et de
la Roumélie orientale. Cette proposition
de l'Angleterre sera appuyée par la France
et l'Italie.
»D'unautre côté, on s'attend à ce qu'elle
soit repoussée par la Russie. La princi-
pale raison que cette dernière donnera de
son opposition est que les puissances ne
peuvent sanctionner un changement ap-
porté au traité de Berlin, pas plus qu'à
tout autre traité, par une révolution.
» L'Autriche et l'Allemagne, mais spé-
cialement cette dernière, appuieront mol-
lement les vues de la Russie, mais ces
deux puissances considèrent comme abso-
lument nécessaire de se ranger du côté de
la Russie dans l'intérêt du prince Alexan-
dre lui-même. Il y aura ainsi trois puis-
sances de part et d'autre sur la question
principale. »
On télégraphie de Philadelphie au Times
que la nouvelle du rejet du pourvoi de
Riel par le conseil privé a produit une
profonde sensation au Canada surtout
parmi la population franco-canadienne.
Le conseil des ministres s'est réuni à
Ottawa pour examiner l'opportunité de la
nomination d'une commission chargée de
faire une enquête sur l'état d'esprit de
Riel. Au cas où cette proposition serait
rejetée, l'exécution aurait lieu le 11 no-
vembre.
——————— ———————
QUESTION DU JOUR
Une consultation politique
» Si les princes d'Orléans parlent peu
et sont occupés d'agir beaucoup, le
prince Napoléon, qui n'agit guère, aime
à faire connaître son sentiment sur les
affaires publiques\ On lira plus loin la
consultation qu'il donne à la France par'
le canal du Figaro.
Il y a toujours quelque chose d'inté-
ressant dans les productions de cet
homme politique qui semble n'avoir pro-
fité de sa naissance que pour voir de
plus près les choses et les hommes, et
qui a fait de la tradition napoléonienne
une sorte de philosophie beaucoup plus
théorique que pratique. Il est brouillé
avec le parti de sa famille sous la Répu-
blique comme il se brouillait de temps
en temps avec son cousin sous l'Empire.
Comme beaucoup de gens d'esprit, il
aime à bouder; cela permet de dire
bien des choses qu'on serait obligé de
garder pour soi si l'on n'avait l'avantage
de vivre dans une demi-disgrâce ou
dans une demi-retraite.
Le prince Napoléon fait plus que
bouder les bonapartistes de l'heure pré-
sente ; il leur reproche de faire une be-
sogne détestable et de servir la cause
de la royauté. Il a raison jusque-là,
mais il pourrait bien se tromper quand
il suppose que cela leur fait beaucoup
de peine et qu'ils seront obligés de re-
venir à lui. Il leur persuadera d'autant
moins de se repentir et de rétracter leur
adhésion à la coalition monarchique
qu'il se déclare lui-même rallié à la Ré-
publique, et cela en termes plus formais,
ce nous semble, qu'il ne l'avait fait jus-
qu'ici. « Ce qu'il faut aujourd'hui, nous
dit-il, c'est l'effort patriotique de tous
les bons citoyens vers un but commun,
et ce but c'est la stabilité dans la Ré-
publique. » Ce langage est fort net, mais
(il y a toujours un x< mais » dans ces
démarches-là) le document du Figaro
n'est pas signé, de sorte que le prince
ne s'engage qu'à moitié même quand il
parle de la façon la plus claire.
Après tout, cela nous importe peu. Ce
n'est pas l'adhésion du fils du roi Jé-
rôme qui nous intéresse, car il n'est pas,
il n'a peut-être jamais été une force;
ce §ont ses idées, car il a toujours été
une intelligence, et il était né bien plu-
tôt pour écrire des articles de fond que
pour jouer le rôle de prétendant. Voyons
donc ce qu'il dit de la situation actuelle,
des périls du jour et des moyens d'y
parer.
Il va sans dire qu'il n'est pas opti-
miste. Un homme qui se tient à l'écart
pour ne donner que des conseils est né-
cessairement convaincu que tout va
mal ou peu s'en faut. Il estime que les
radicaux prendront le pouvoir, qu'ils es-
saieront des réformes mal conçues et
dangereuses et qu'en somme on est
« acculé à l'insoluble ». Quand un
homme d'Etat vous déclare que vous
êtes dans une impasse, vous devinez
bien que c'est pour vous offrir une porte
de sortie dont il a la clé dans sa poche.
En politique, dire qu'il n'y a pas de so-
lution, c'est faire comprendre qu'il y en
a une, une seule, celle que l'on pro-
posera.
4 La solution du prince Napoléon, c'est
la constitution d'un pouvoir exécutif so-
lide. La démocratie française, selon lui,
se perd par un excès de défiance à l'é-
gard du pouvoir exécutif. C'est pour
cela qu'elle se donne une organisation
vicieuse, « qui met la direction dans une
Assemblée dont la mobilité même est la
négation de toute politique suivie ».
Nous connaissons ce refrain. Tous les
jours on reproche aux Chambres de ren-
verser trop facilement les ministères ; il
faudrait aussi reprocher aux ministères
de se laisser trop facilement renverser.
Pourquoi le régime parlementaire, qui
donne à l'Angleterre des cabinets de six
ans de durée et une politique suivie,
aboutirait-il forcément en France à l'ins-
tabilité continuelle ?
C'est, nous dit-on, parce que nous
ne ressemblons pas assez aux Anglais.
Et là-dessus on nous propose d'imiter
les Américains, de nous donner un chef
du pouvoir exécutif directement élu par
le peuple et indépendant des assem-
blées parlementaires. Ce système a été
essayé en 1849 ; il a réussi encore bien
moins que le système actuel. Il y a d'ail-
leurs bien des raisons pour qu'il ne
puisse s'acclimater chez nous. Le gou-
vernement central a, en France, trop
d'attributions, touche à trop de choses,
distribue trop de places et trop d'argent,
pouï qu'on le soustraie à l'influence des
Chambres sans risquer de lui livrer la
dictature. Les Etats-Unis n'ont ni armée
permanente, ni Eglise dominante, ni
prétendants, ni souvenirs monarchiques,
ni justice centralisée. Avant de deman-
der un pouvoir exécutifcomme en Amé-
rique, il faudrait demander au moins le
fédéralisme comme en Amérique.
Assurément, il est bon d'avoir une
politique suivie, notamment dans les
rapports avec l'extérieur. Mais cela ne
dépend pas tant qu'on le croit des ins-
titutions. Napoléon 111, qui n'était pas
gêné par les Chambres, avait fini par
mettre tout le monde en défiance et
changeait ou paraissait changer assez
souvent d'idées. Il s'est deux ou trois
fois lié et brouillé avec presque toutes
les puissances. Les Anglais, chez qui les
élections peuvent tout bouleverser, met-
tent bien plus de suite dans leurs rela-
tions étrangères. Admettons qu'une dé-
mocratie parlementaire comme la nôtre
ne puisse pas avoir une politique exté-
rieure à longue échéance, ne puisse
traiter avec les puissances que pour
l'heure présente et pour ainsi dire au
comptant, cela n'en vaudrait peut-être
pas plus mal. Il est permis de soutenir
que le sage saisit les occasions et ne se
pique pas de les faire naître : rien n'est
plus dangereux que de trop empiéter
sur la Providence. Un peuple qui sait
être fort et tenir sa poudre sèche peut
attendre son jour et ne se point mêler
de jouer aux échecs sur le tapis vert de
la diplomatie traditionnelle.
Mais revenons au prince et à ses con-
seils. Il ne réclame pas explicitement
aujourd'hui l'élection directe du chef de
l'Etat par le peuple, mais il tâche d'y
amener le lecteur tout doucement, sans
le brusquer ni l'étonner. Qu'il intro-
duise sa conclusion de front ou de biais,
qu'il placarde ses idées sur les murs ou
qu'il les glisse dans une conversation
avec le Figaro, c'est toujours la même
conclusion, ce sont toujours les mêmes
idées : « Ah ! je sais bien, s'écrie-t-il,
que je suis suspect quand je parle ainsi!»
Et le lecteur répond sans hésiter :
« Parbleu ! »
$
j
REVOLVER ET VITRIOL
< .,,-.. - Yt' :.;;, '-''-'
Les jurés continuent de se montrer d'une
indulgence qui doit rassurer les méchants,
mais qui serait de nature à inspirer aux
bons une appréhension légitime. Hier,
ayant à juger un mari qui, après avoir ac-
câblé sa femme de mauvais traitements,
l'a mutilée et défigurée en lui tirant trois
balles dans la joue et dans le cou, ces mes-
sieurs ont écarté la question de tentative
de meurtre et ont décidé que l'accusé n'é-
tait coupable que de coups et blessures.
Pourquoi ? Parce que cet individu leur a
dit que, le jour du crime, il était tellement
en colère qu'il ne savait plus ce qu'il fai-
sait. La colère rend cet homme malade, et
le jury a mis le crime au compte de son
indisposition.
MM. les jurés, dont la plupart ont étudié
la médecine à la quatrième page des jour-
naux, dans les réclames pour les pilules
suisses, ont aujourd'hui une forte ten-
dance à se prendre pour les Diafoirus de
l'accusé et à juger son cas comme s'il s'a-
gissait d'un cas pathologique. Si on les
laissait faire, ils tâteraient le pouls du cri-
minel, lui feraient montrer sa langue, lui
demanderaient, comme des médecins de
Molière, s'il va régulièrement à la garde-
robe, et le condamneraient plus ou moins
sévèrement, selon l'état de son organisme.
Un rhume de cerveau deviendrait une cir-
constance atténuante. Il y aurait également
des circonstances atténuantes pour le vol
avec bronchite dans une maison habitée.
L'assassinat avec préméditation accompa-
gné de dyspepsie ne serait plus passible
que d'une ordonnance recommandant au
coupable de prendre de l'eau de Vichy
(source Mesdames). On ne réprimerait plus
le viol que par le bromure de potassium,
le grand air et la lecture des publications
de l'Armée du Salut.
Cette disposition d'esprit du jury sim-
plifie beaucoup la défense. L'avocat qui
assiste l'accusé n'a plus besoin de faire
des prodiges de d'ingéniosité pour sauver
son homme. Il se tourne vers MM. les
jurés et il leur dit : « Messieurs, je crois
devoir vous rappeler que mon client est,
dans sa vie privée, le continuateur du Père
Duehêne. Dans la matinée où il a cru
devoir percer à jour la joue et le cou de sa
femme, il était bigrement en colère. La
colère, messieurs, la colère ! La colère qui
resserre l'estomac, qui révolutionne le
pancréas, qui fait couler la bile, qui ëon-
gestionne le cerveau, qui détermine une
névrose généralisée ! Avez-vous songé à
tout ce que ce mot : la colère, représente
• - - - - ■
de bouleversements organiques? La colère,
c'est l'inconscience j et l'inconscience, c'est
l'acquittement. Si vous condamnez mon
client, si vous frappez d'une peine afflic-
tive et infamante ce nouveau Père Du-
chêne, je n'hésite pas à vous le dire, mes-
sieurs les jurés, il n'y a plus de liberté
de la presse ! »
Ce plaidoyer est limpide, et il ne peut
manquer de frapper les justiciers impro-
visés de ce siècle de science et de progrès.
Les jurés se regardent mutuellement, des-
cendent en eux-mêmes, se souviennent
qu'un jour, à table, dans un accès -de co-
lère, ils ont failli lancer leur serviette à la
tête de leur bonne et, d'une seule voix,
douce comme une caresse, ils s'écrient :
« Non ! l'accusé n'est pas coupable! »
Hier, au tribunal des criées, une habi-
tante de Montreuil, Mme Larsier, jetait un
flacon de vitriol à la figure d'un agent
d'affaires, M. Galas, chargé de faire ven-
dre une maison appartenant à cette dame
irascible. M. Galas est affreusement défi-
guré, et M0 Duclos, avoué, qui se trouvait
à côté de lui, a eu l'oreille brûlée par
l'acide sulfurique. Vous vous dites : « Voilà
une gaillarde crue le iurv, iusau'ici trop
indulgent pour les vitrioleuses, va proba-
blement étriller avec vigueur ; car, enfin,
le jury lui-même doit commencer à ne
plus regarder le lancement du vitriol
comme une simple forme de la désappro-
bation polie. » Attendez. Je ne vous ai pas
tout raconté. Mme Larsier, qui d'ailleurs
ne manifeste aucun regret, a déclaré
qu'elle était un peu souffrante au moment
où la pensée lui est venue de défigurer M.
Galas. Et vous entendez les jurés s'écrier
avec Michelet : « 0 femme ! éternelle bles-
sée ! » Et vous les voyez laisser, à tour de
rôle, tomber une larme émue dans le fla-
con de vitriol placé sur la table des pièces
à conviction. Mme Larsier, dont les re-
grets sont nuls, sera peut-être, alors, émue
aussi.
Une larme, ô mon Dieu! voilà ma récompense !
La jury pleure, l'accusée pleure, la dé-
fense pleure, le public pleure. Scène de
famille. Acquittement. Apothéose.
La Faculté de médecine fusionne avec
la Faculté de droit, laquelle met à sa dis-
position, comme sujets d'expérience, un
certain nombre d'avoués et d'hommes
d'affaires qu'on livre aux femmes indis-
posées pour voir si, réellement, elles les
vitrioliseront. Observation, expérimenta-
tion, tout est là. Plus de délits, plus de
crimes 1 Rien que des névroses.
Et le nombre des attentats montait tou-
jours !
P. F.
UN GOUVERNEMENT
La reconstitution du ministère paraît
être devenue la grande préoccupation
du président de la République. On met
déjà des noms en avant ; on pousse des
candidatures. Il nous paraît que c'est
agir un peu prématurément que de s'oc-
cuper des personnes.
Mais ce qui est urgent, indispensable,
c'est que le Parlement se trouve en pré-
sence d'un cabinet et non d'une collec-
tion de ministres désunis, compromis,
et qu'on renonce surtout à l'idée baro-
que de redonner une virginité à cer-
tains ministres en les faisant passer
d'un poste à un autre. Jamais le pays
ne comprendrait qu'un homme qui a été
insuffisant à l'instruction publique et
aux cultes reçût de l'avancement en
passant à l'intérieur, ou qu'un homme
qui n'a pas « fait l'affaire » à l'intérieur
se trouvât, par cela même, désigné
comme compétent pour un autre minis-
tère. Ce genre de raccommodage minis-
tériel se pratique dans deux circons-
tances : quand le personnel fait défaut
ou bien qu'on a devant soi des hommes
dont l'ambition déçue pourrait devenir
redoutable dans l'opposition. Noifs ne
pensons pas que ce soit le cas aujour-
d'hui.
L'essentiel, c'est qu'il y ait, à l'ouver-
ture des Chambres, un gouvernement,
— ce qui fait tout simplement défaut au
pays depuis assez longtemps et, parti-
culièrement, depuis l'ouverture de la
période électotale.
En veut-on des exemples?
M. Borriglione, maire de Nice, est
accusé d'avoir mésusé de son autorité
municipale pour faire mettre en liberté
un accusé condamné depuis par con-
tumace.
Le bruit court que le ministre a pris
à son endroit un arrêté de révocation,
comme c'était son devoir. On ne dément
pas le bruit et on ne publie pas l'arrêté I
Dans le premier cas, on nuit à M. Bor-
riglione ; dans le second cas, on le sert.
Ni dans l'un ni dans l'autre, le gouver-
nement ne gouverne.
Autre fait :
Le ministère qui, avant le scrutin du
4 octobre, comptant assurer simplement
la défaite de l'ancienne majorité, a re-
fusé d'intervenir dans les élections de
la façon qui était licite, en disant avec
quelque netteté sa politique, est inter-
venu entre le scrutin du 4 et celui
du 18.
Certains journaux, à la veille du 18,
avaient annoncé des nouvelles fâcheuses
du Tonkin et ajouté qu'un envoi de ren-
forts était indispensable et imminent.
Le ministère avait riposté en quali-
fiant ces informations de « fausses nou-
velles » ; il avait fait annoncer, de façon
officielle, que les propagateurs de ces
fausses nouvelles seraient poursuivis.
Aujourd'hui Y Evénement nous apprend
que des instructions sont données pour
qu'on ne les poursuive pas.
Que signifie ceci ?
Si les nouvelles sont exactes, le mi-
nistère devait en être le premier averti ;
et, comme il s'est engagé à dire la vérité
au pays (déclaration du général Carope-
non), il n'avait pas le droit de la cac.ber,
ni surtout de menacer qui la disait.
Si elles sont inexactes, si le délit de
fausses nouvelles est avéré, de quel
droit le cabinet, annonçant des pour-
suites pendant la période électorale, ne
poursuit-il pas après l'élection? L'an-
nonce des poursuites, en ce cas, est
une pure manœuvre électorale, tout à
fait injustifiable et particulièrement cou-
pable chez des ministres dont quelques-
uns ont fait la loi des maires et aban-
donné toute pensée d'intervention de
l'Etat dans la plupart des affaires pu-
bliques.
Est-ce gouverner que d'agir ainsi ?
4 Quel fonds le pays peut-il faire sur an
cabinet qui agit un jour et l'autre non,
se déjugea une semaine de date, engage
les préfets et les abandonne et varie de
couleur à chaque soleil nouveau, comme
l'aimable Mme de X., qui était blonde
les jours d'Opéra et brune les jours
d'Italiens ?
Pour avoir une politique, le cabinet
attend-il des ordres de l'assemblée plé-
nière ? Devrons-nous, en un temps dif-
ficile, avoir pour ministres des hommes
qui tiennent à leur place plus qu'à leurs
idées, des « ministres-omnibus », —
comme disait V. Hugo en parlant des
sénateurs de l'Empire ?
Nous le répétons : le président de la
République a pour rôle et pour devoir
d'apprécier le sens des élections et de
constituer un ministère, en se laissant
guider, pour répéter ce que le Temps
disait excellemment, « par l'intérêt
permanent de la France beaucoup plus
que par le dépit de certaines défaites
(changées en demi-succès) et par le
désir où peuvent être certaines per-
sonnes de se débarrasser pour l'avenir
de certaines responsabilités ».
HENRY FOUQUIER.
40
LES ÉVÉNEmIENTS DE ROUMÉLIE
La conférence est décidée en principe ;
l'Allemagne, l'Autriche et la France ont
envoyé leur adhésion à la Porte. On ne
saurait dire pourtant aujourd'hui, avec
quelque précision, quand s'ouvrira la pre-
mière séance. Ce ne sera pas le 26 octobre,
contrairement à ce que les télégrammes
d'hier avaient donné à entendre..
Les puissances se sont mises d'accord
d'une façon très générale sur la nécessité
qui s'impose de faire respecter le traité de
Berlin et de restaurer le statu quo ante.
Elles ont sinon hâte, au moins le désir
d'affirmer cet accord par une démonstra-
tion diplomatique. Mais il importe que
cette démonstration ne soit pas purement
platonique et que les cabinets se soient
entendus aussi sur certains points de dé-
tail qui méritent un examen sérieux.
Or, sur quelques-uns de ces points, il y
a divergence d'opinions. Pour ne citer
qu'un exemple, la Russie insisterait, dit-
on, pour la déposition du prince de Bul-
garie, tandis que l'Angleterre refuserait
cette satisfaction au tsar, on comprend du
reste pourquoi. Les puissances ont en ou-
tre, et par-dessus tout, à se demander par
quels moyens elles imposeront les déci-
sions prises dans le cas probable où les
populations des Balkans résisteront aux
volontés de l'Europe.
De toutes les questions qu'aura à tran-
cher la conférence, celle-là est assurément
la plus grave.
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PETITE BOURSE DU SOIR „§I
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4 1/2 0/0 109 65,71.
Turc. 1472,70.
Banque Ottomane. 506 25, 505 31, 506 87.
Egypte. 32843.
Extérieure 4 0/0. 56 1/4, 5/16.
Panama. 390.
Priorité. 363 75, 365.
Hongrois. 80 5/16, 7/16,. 3/8.
SOMMAIFUS
Bulletin.
Question du jour (Une consultation poli-
tique. — 4>.
Revolver et vitriol. — P. F.
Un Gouvernement. — HENRY FOUQUIER.
Les Evénements de Roumélie. — Louis
HENRIQUE.
Nouvelles coloniales.
Les Elections et le prince Napoléon.
Informations.
Chronique (Encorè les Tarasconnais). -
HUGUES LE Roux.
Journée de Paris. - CANALis.
Revue de la presse. — NACHETTB.
Le Sport du jour. - FAVXLLBS.
La Température.
Bibliographie.
Courrier de la Bourse. — H. LE FAURB.
Nouvelles judiciaires.
Faits divers.
Courrier des théâtrel. — GEORGES FEYDEAU.
La Foire aux écus. — ALPH. DE BERNARD.
- BULLETIN
Le ministère prussien a approuvé le
projet de loi concernant la construction
du canal de la mer du Nord à la mer Bal-
tique aux frais du gouvernement impé-
rial.
Dès que le projet aura été sanctionné
par le roi de Prusse, il sera présenté au
t: conseil fédéral au nom du gouvernement
prussien. Le seul point en suspens est la
f somme que la Prusse devra payer d'avance
-' à l'empire.
Le ministère danois a expédié à l'étran-
ger une dépêche conçue dans les termes
sriivants :
« Il n'y a absolument rien de fondé dans
les nouvelles publiées dans les journaux
étrangers, qui ont annoncé que des trou-
bles graves s'étaient produits ici, que l'on
avait requis la police et les troupes pour
les réprimer, et que l'on avait l'intention
d'augmenter la garnison de Copenhague.
» Bien que la presse radicale tienne un
langage très vif et pousse la population à
des actes de violence, la tranquillité pu-
blique n'a pas été troublée un seul ins-
tant.
, » On dit que le guuvernement a l'inten-
tion d'établir des prescriptions pénales ad-
ditionnelles, à l'instar des articles 130 et
131 du Code pénal allemand. »
Nous constaterons qu'il y a quelque
contradiction entre l'assertion que la tran-
quillité publique n'est pas troublée et les
mesures de rigueur qui vont être prises.
On mande de Paris au Standard que
Than Gyet Worm Duc, ambassadeur de
Birmanie en France, s'est rendu auprès de
lord Lyons et lui a remis une note offi-
cieuse, dans laquelle il est déclaré que le
gouvernement birman n'a jamais eu l'in-
tention d'engager des hostilités contre
l'Angleterre. L'ambassadeur ajoute qu'il a
télégraphié à Mandalay le conseil de sou-
mettre le conflit actuel à un arbitre.
Ce conflit n'a pu prendre un caractère
aigu que parce qu'il n'y a pas de rela-
tions diplomatiques directes entre l'Angle-
terre et la Birmanie. Le gouvernement
birman désire l'établissement de bons rap-
ports avec l'Angleterre, surtout au mo-
ment où il compte entrer en relations avec
toutes les nations civilisées. La vie des
Européens en Birmanie ne court aucun
danger.
D'autre part, lord Randolph Churchill,
s'adressant à une réunion d'électeurs à
Birmingham, a fait allusion à la question
de Birmanie et a déclaré que, si la guerre
éclatait, elle aurait pour résultat proba-
ble l'annexion sous une forme ou sous
une autre. « Une politique ferme est abso-
lument nécessaire, a-t-il ajouté, pour la
protection des intérêts anglais. »
Les journaux de Madrid disent que les
arguments employés par l'Allemagne pour
justifier la tentative d occupation de Yap
sont de purs sophismes.
Beaucoup de proclamations républicai-
nes distribuées hier à Madrid ont été sai-
sies, et deux distributeurs ont été empri-
sonnés.
Le Standard donne, d'après un corres-
pondant, les détails suivants sur la confé-
rence de CÀonstantinople
« Dès le début, l'Angleterre proposera
le maintien de l'union de la Bulgarie et de
la Roumélie orientale. Cette proposition
de l'Angleterre sera appuyée par la France
et l'Italie.
»D'unautre côté, on s'attend à ce qu'elle
soit repoussée par la Russie. La princi-
pale raison que cette dernière donnera de
son opposition est que les puissances ne
peuvent sanctionner un changement ap-
porté au traité de Berlin, pas plus qu'à
tout autre traité, par une révolution.
» L'Autriche et l'Allemagne, mais spé-
cialement cette dernière, appuieront mol-
lement les vues de la Russie, mais ces
deux puissances considèrent comme abso-
lument nécessaire de se ranger du côté de
la Russie dans l'intérêt du prince Alexan-
dre lui-même. Il y aura ainsi trois puis-
sances de part et d'autre sur la question
principale. »
On télégraphie de Philadelphie au Times
que la nouvelle du rejet du pourvoi de
Riel par le conseil privé a produit une
profonde sensation au Canada surtout
parmi la population franco-canadienne.
Le conseil des ministres s'est réuni à
Ottawa pour examiner l'opportunité de la
nomination d'une commission chargée de
faire une enquête sur l'état d'esprit de
Riel. Au cas où cette proposition serait
rejetée, l'exécution aurait lieu le 11 no-
vembre.
——————— ———————
QUESTION DU JOUR
Une consultation politique
» Si les princes d'Orléans parlent peu
et sont occupés d'agir beaucoup, le
prince Napoléon, qui n'agit guère, aime
à faire connaître son sentiment sur les
affaires publiques\ On lira plus loin la
consultation qu'il donne à la France par'
le canal du Figaro.
Il y a toujours quelque chose d'inté-
ressant dans les productions de cet
homme politique qui semble n'avoir pro-
fité de sa naissance que pour voir de
plus près les choses et les hommes, et
qui a fait de la tradition napoléonienne
une sorte de philosophie beaucoup plus
théorique que pratique. Il est brouillé
avec le parti de sa famille sous la Répu-
blique comme il se brouillait de temps
en temps avec son cousin sous l'Empire.
Comme beaucoup de gens d'esprit, il
aime à bouder; cela permet de dire
bien des choses qu'on serait obligé de
garder pour soi si l'on n'avait l'avantage
de vivre dans une demi-disgrâce ou
dans une demi-retraite.
Le prince Napoléon fait plus que
bouder les bonapartistes de l'heure pré-
sente ; il leur reproche de faire une be-
sogne détestable et de servir la cause
de la royauté. Il a raison jusque-là,
mais il pourrait bien se tromper quand
il suppose que cela leur fait beaucoup
de peine et qu'ils seront obligés de re-
venir à lui. Il leur persuadera d'autant
moins de se repentir et de rétracter leur
adhésion à la coalition monarchique
qu'il se déclare lui-même rallié à la Ré-
publique, et cela en termes plus formais,
ce nous semble, qu'il ne l'avait fait jus-
qu'ici. « Ce qu'il faut aujourd'hui, nous
dit-il, c'est l'effort patriotique de tous
les bons citoyens vers un but commun,
et ce but c'est la stabilité dans la Ré-
publique. » Ce langage est fort net, mais
(il y a toujours un x< mais » dans ces
démarches-là) le document du Figaro
n'est pas signé, de sorte que le prince
ne s'engage qu'à moitié même quand il
parle de la façon la plus claire.
Après tout, cela nous importe peu. Ce
n'est pas l'adhésion du fils du roi Jé-
rôme qui nous intéresse, car il n'est pas,
il n'a peut-être jamais été une force;
ce §ont ses idées, car il a toujours été
une intelligence, et il était né bien plu-
tôt pour écrire des articles de fond que
pour jouer le rôle de prétendant. Voyons
donc ce qu'il dit de la situation actuelle,
des périls du jour et des moyens d'y
parer.
Il va sans dire qu'il n'est pas opti-
miste. Un homme qui se tient à l'écart
pour ne donner que des conseils est né-
cessairement convaincu que tout va
mal ou peu s'en faut. Il estime que les
radicaux prendront le pouvoir, qu'ils es-
saieront des réformes mal conçues et
dangereuses et qu'en somme on est
« acculé à l'insoluble ». Quand un
homme d'Etat vous déclare que vous
êtes dans une impasse, vous devinez
bien que c'est pour vous offrir une porte
de sortie dont il a la clé dans sa poche.
En politique, dire qu'il n'y a pas de so-
lution, c'est faire comprendre qu'il y en
a une, une seule, celle que l'on pro-
posera.
4 La solution du prince Napoléon, c'est
la constitution d'un pouvoir exécutif so-
lide. La démocratie française, selon lui,
se perd par un excès de défiance à l'é-
gard du pouvoir exécutif. C'est pour
cela qu'elle se donne une organisation
vicieuse, « qui met la direction dans une
Assemblée dont la mobilité même est la
négation de toute politique suivie ».
Nous connaissons ce refrain. Tous les
jours on reproche aux Chambres de ren-
verser trop facilement les ministères ; il
faudrait aussi reprocher aux ministères
de se laisser trop facilement renverser.
Pourquoi le régime parlementaire, qui
donne à l'Angleterre des cabinets de six
ans de durée et une politique suivie,
aboutirait-il forcément en France à l'ins-
tabilité continuelle ?
C'est, nous dit-on, parce que nous
ne ressemblons pas assez aux Anglais.
Et là-dessus on nous propose d'imiter
les Américains, de nous donner un chef
du pouvoir exécutif directement élu par
le peuple et indépendant des assem-
blées parlementaires. Ce système a été
essayé en 1849 ; il a réussi encore bien
moins que le système actuel. Il y a d'ail-
leurs bien des raisons pour qu'il ne
puisse s'acclimater chez nous. Le gou-
vernement central a, en France, trop
d'attributions, touche à trop de choses,
distribue trop de places et trop d'argent,
pouï qu'on le soustraie à l'influence des
Chambres sans risquer de lui livrer la
dictature. Les Etats-Unis n'ont ni armée
permanente, ni Eglise dominante, ni
prétendants, ni souvenirs monarchiques,
ni justice centralisée. Avant de deman-
der un pouvoir exécutifcomme en Amé-
rique, il faudrait demander au moins le
fédéralisme comme en Amérique.
Assurément, il est bon d'avoir une
politique suivie, notamment dans les
rapports avec l'extérieur. Mais cela ne
dépend pas tant qu'on le croit des ins-
titutions. Napoléon 111, qui n'était pas
gêné par les Chambres, avait fini par
mettre tout le monde en défiance et
changeait ou paraissait changer assez
souvent d'idées. Il s'est deux ou trois
fois lié et brouillé avec presque toutes
les puissances. Les Anglais, chez qui les
élections peuvent tout bouleverser, met-
tent bien plus de suite dans leurs rela-
tions étrangères. Admettons qu'une dé-
mocratie parlementaire comme la nôtre
ne puisse pas avoir une politique exté-
rieure à longue échéance, ne puisse
traiter avec les puissances que pour
l'heure présente et pour ainsi dire au
comptant, cela n'en vaudrait peut-être
pas plus mal. Il est permis de soutenir
que le sage saisit les occasions et ne se
pique pas de les faire naître : rien n'est
plus dangereux que de trop empiéter
sur la Providence. Un peuple qui sait
être fort et tenir sa poudre sèche peut
attendre son jour et ne se point mêler
de jouer aux échecs sur le tapis vert de
la diplomatie traditionnelle.
Mais revenons au prince et à ses con-
seils. Il ne réclame pas explicitement
aujourd'hui l'élection directe du chef de
l'Etat par le peuple, mais il tâche d'y
amener le lecteur tout doucement, sans
le brusquer ni l'étonner. Qu'il intro-
duise sa conclusion de front ou de biais,
qu'il placarde ses idées sur les murs ou
qu'il les glisse dans une conversation
avec le Figaro, c'est toujours la même
conclusion, ce sont toujours les mêmes
idées : « Ah ! je sais bien, s'écrie-t-il,
que je suis suspect quand je parle ainsi!»
Et le lecteur répond sans hésiter :
« Parbleu ! »
$
j
REVOLVER ET VITRIOL
< .,,-.. - Yt' :.;;, '-''-'
Les jurés continuent de se montrer d'une
indulgence qui doit rassurer les méchants,
mais qui serait de nature à inspirer aux
bons une appréhension légitime. Hier,
ayant à juger un mari qui, après avoir ac-
câblé sa femme de mauvais traitements,
l'a mutilée et défigurée en lui tirant trois
balles dans la joue et dans le cou, ces mes-
sieurs ont écarté la question de tentative
de meurtre et ont décidé que l'accusé n'é-
tait coupable que de coups et blessures.
Pourquoi ? Parce que cet individu leur a
dit que, le jour du crime, il était tellement
en colère qu'il ne savait plus ce qu'il fai-
sait. La colère rend cet homme malade, et
le jury a mis le crime au compte de son
indisposition.
MM. les jurés, dont la plupart ont étudié
la médecine à la quatrième page des jour-
naux, dans les réclames pour les pilules
suisses, ont aujourd'hui une forte ten-
dance à se prendre pour les Diafoirus de
l'accusé et à juger son cas comme s'il s'a-
gissait d'un cas pathologique. Si on les
laissait faire, ils tâteraient le pouls du cri-
minel, lui feraient montrer sa langue, lui
demanderaient, comme des médecins de
Molière, s'il va régulièrement à la garde-
robe, et le condamneraient plus ou moins
sévèrement, selon l'état de son organisme.
Un rhume de cerveau deviendrait une cir-
constance atténuante. Il y aurait également
des circonstances atténuantes pour le vol
avec bronchite dans une maison habitée.
L'assassinat avec préméditation accompa-
gné de dyspepsie ne serait plus passible
que d'une ordonnance recommandant au
coupable de prendre de l'eau de Vichy
(source Mesdames). On ne réprimerait plus
le viol que par le bromure de potassium,
le grand air et la lecture des publications
de l'Armée du Salut.
Cette disposition d'esprit du jury sim-
plifie beaucoup la défense. L'avocat qui
assiste l'accusé n'a plus besoin de faire
des prodiges de d'ingéniosité pour sauver
son homme. Il se tourne vers MM. les
jurés et il leur dit : « Messieurs, je crois
devoir vous rappeler que mon client est,
dans sa vie privée, le continuateur du Père
Duehêne. Dans la matinée où il a cru
devoir percer à jour la joue et le cou de sa
femme, il était bigrement en colère. La
colère, messieurs, la colère ! La colère qui
resserre l'estomac, qui révolutionne le
pancréas, qui fait couler la bile, qui ëon-
gestionne le cerveau, qui détermine une
névrose généralisée ! Avez-vous songé à
tout ce que ce mot : la colère, représente
• - - - - ■
de bouleversements organiques? La colère,
c'est l'inconscience j et l'inconscience, c'est
l'acquittement. Si vous condamnez mon
client, si vous frappez d'une peine afflic-
tive et infamante ce nouveau Père Du-
chêne, je n'hésite pas à vous le dire, mes-
sieurs les jurés, il n'y a plus de liberté
de la presse ! »
Ce plaidoyer est limpide, et il ne peut
manquer de frapper les justiciers impro-
visés de ce siècle de science et de progrès.
Les jurés se regardent mutuellement, des-
cendent en eux-mêmes, se souviennent
qu'un jour, à table, dans un accès -de co-
lère, ils ont failli lancer leur serviette à la
tête de leur bonne et, d'une seule voix,
douce comme une caresse, ils s'écrient :
« Non ! l'accusé n'est pas coupable! »
Hier, au tribunal des criées, une habi-
tante de Montreuil, Mme Larsier, jetait un
flacon de vitriol à la figure d'un agent
d'affaires, M. Galas, chargé de faire ven-
dre une maison appartenant à cette dame
irascible. M. Galas est affreusement défi-
guré, et M0 Duclos, avoué, qui se trouvait
à côté de lui, a eu l'oreille brûlée par
l'acide sulfurique. Vous vous dites : « Voilà
une gaillarde crue le iurv, iusau'ici trop
indulgent pour les vitrioleuses, va proba-
blement étriller avec vigueur ; car, enfin,
le jury lui-même doit commencer à ne
plus regarder le lancement du vitriol
comme une simple forme de la désappro-
bation polie. » Attendez. Je ne vous ai pas
tout raconté. Mme Larsier, qui d'ailleurs
ne manifeste aucun regret, a déclaré
qu'elle était un peu souffrante au moment
où la pensée lui est venue de défigurer M.
Galas. Et vous entendez les jurés s'écrier
avec Michelet : « 0 femme ! éternelle bles-
sée ! » Et vous les voyez laisser, à tour de
rôle, tomber une larme émue dans le fla-
con de vitriol placé sur la table des pièces
à conviction. Mme Larsier, dont les re-
grets sont nuls, sera peut-être, alors, émue
aussi.
Une larme, ô mon Dieu! voilà ma récompense !
La jury pleure, l'accusée pleure, la dé-
fense pleure, le public pleure. Scène de
famille. Acquittement. Apothéose.
La Faculté de médecine fusionne avec
la Faculté de droit, laquelle met à sa dis-
position, comme sujets d'expérience, un
certain nombre d'avoués et d'hommes
d'affaires qu'on livre aux femmes indis-
posées pour voir si, réellement, elles les
vitrioliseront. Observation, expérimenta-
tion, tout est là. Plus de délits, plus de
crimes 1 Rien que des névroses.
Et le nombre des attentats montait tou-
jours !
P. F.
UN GOUVERNEMENT
La reconstitution du ministère paraît
être devenue la grande préoccupation
du président de la République. On met
déjà des noms en avant ; on pousse des
candidatures. Il nous paraît que c'est
agir un peu prématurément que de s'oc-
cuper des personnes.
Mais ce qui est urgent, indispensable,
c'est que le Parlement se trouve en pré-
sence d'un cabinet et non d'une collec-
tion de ministres désunis, compromis,
et qu'on renonce surtout à l'idée baro-
que de redonner une virginité à cer-
tains ministres en les faisant passer
d'un poste à un autre. Jamais le pays
ne comprendrait qu'un homme qui a été
insuffisant à l'instruction publique et
aux cultes reçût de l'avancement en
passant à l'intérieur, ou qu'un homme
qui n'a pas « fait l'affaire » à l'intérieur
se trouvât, par cela même, désigné
comme compétent pour un autre minis-
tère. Ce genre de raccommodage minis-
tériel se pratique dans deux circons-
tances : quand le personnel fait défaut
ou bien qu'on a devant soi des hommes
dont l'ambition déçue pourrait devenir
redoutable dans l'opposition. Noifs ne
pensons pas que ce soit le cas aujour-
d'hui.
L'essentiel, c'est qu'il y ait, à l'ouver-
ture des Chambres, un gouvernement,
— ce qui fait tout simplement défaut au
pays depuis assez longtemps et, parti-
culièrement, depuis l'ouverture de la
période électotale.
En veut-on des exemples?
M. Borriglione, maire de Nice, est
accusé d'avoir mésusé de son autorité
municipale pour faire mettre en liberté
un accusé condamné depuis par con-
tumace.
Le bruit court que le ministre a pris
à son endroit un arrêté de révocation,
comme c'était son devoir. On ne dément
pas le bruit et on ne publie pas l'arrêté I
Dans le premier cas, on nuit à M. Bor-
riglione ; dans le second cas, on le sert.
Ni dans l'un ni dans l'autre, le gouver-
nement ne gouverne.
Autre fait :
Le ministère qui, avant le scrutin du
4 octobre, comptant assurer simplement
la défaite de l'ancienne majorité, a re-
fusé d'intervenir dans les élections de
la façon qui était licite, en disant avec
quelque netteté sa politique, est inter-
venu entre le scrutin du 4 et celui
du 18.
Certains journaux, à la veille du 18,
avaient annoncé des nouvelles fâcheuses
du Tonkin et ajouté qu'un envoi de ren-
forts était indispensable et imminent.
Le ministère avait riposté en quali-
fiant ces informations de « fausses nou-
velles » ; il avait fait annoncer, de façon
officielle, que les propagateurs de ces
fausses nouvelles seraient poursuivis.
Aujourd'hui Y Evénement nous apprend
que des instructions sont données pour
qu'on ne les poursuive pas.
Que signifie ceci ?
Si les nouvelles sont exactes, le mi-
nistère devait en être le premier averti ;
et, comme il s'est engagé à dire la vérité
au pays (déclaration du général Carope-
non), il n'avait pas le droit de la cac.ber,
ni surtout de menacer qui la disait.
Si elles sont inexactes, si le délit de
fausses nouvelles est avéré, de quel
droit le cabinet, annonçant des pour-
suites pendant la période électorale, ne
poursuit-il pas après l'élection? L'an-
nonce des poursuites, en ce cas, est
une pure manœuvre électorale, tout à
fait injustifiable et particulièrement cou-
pable chez des ministres dont quelques-
uns ont fait la loi des maires et aban-
donné toute pensée d'intervention de
l'Etat dans la plupart des affaires pu-
bliques.
Est-ce gouverner que d'agir ainsi ?
4 Quel fonds le pays peut-il faire sur an
cabinet qui agit un jour et l'autre non,
se déjugea une semaine de date, engage
les préfets et les abandonne et varie de
couleur à chaque soleil nouveau, comme
l'aimable Mme de X., qui était blonde
les jours d'Opéra et brune les jours
d'Italiens ?
Pour avoir une politique, le cabinet
attend-il des ordres de l'assemblée plé-
nière ? Devrons-nous, en un temps dif-
ficile, avoir pour ministres des hommes
qui tiennent à leur place plus qu'à leurs
idées, des « ministres-omnibus », —
comme disait V. Hugo en parlant des
sénateurs de l'Empire ?
Nous le répétons : le président de la
République a pour rôle et pour devoir
d'apprécier le sens des élections et de
constituer un ministère, en se laissant
guider, pour répéter ce que le Temps
disait excellemment, « par l'intérêt
permanent de la France beaucoup plus
que par le dépit de certaines défaites
(changées en demi-succès) et par le
désir où peuvent être certaines per-
sonnes de se débarrasser pour l'avenir
de certaines responsabilités ».
HENRY FOUQUIER.
40
LES ÉVÉNEmIENTS DE ROUMÉLIE
La conférence est décidée en principe ;
l'Allemagne, l'Autriche et la France ont
envoyé leur adhésion à la Porte. On ne
saurait dire pourtant aujourd'hui, avec
quelque précision, quand s'ouvrira la pre-
mière séance. Ce ne sera pas le 26 octobre,
contrairement à ce que les télégrammes
d'hier avaient donné à entendre..
Les puissances se sont mises d'accord
d'une façon très générale sur la nécessité
qui s'impose de faire respecter le traité de
Berlin et de restaurer le statu quo ante.
Elles ont sinon hâte, au moins le désir
d'affirmer cet accord par une démonstra-
tion diplomatique. Mais il importe que
cette démonstration ne soit pas purement
platonique et que les cabinets se soient
entendus aussi sur certains points de dé-
tail qui méritent un examen sérieux.
Or, sur quelques-uns de ces points, il y
a divergence d'opinions. Pour ne citer
qu'un exemple, la Russie insisterait, dit-
on, pour la déposition du prince de Bul-
garie, tandis que l'Angleterre refuserait
cette satisfaction au tsar, on comprend du
reste pourquoi. Les puissances ont en ou-
tre, et par-dessus tout, à se demander par
quels moyens elles imposeront les déci-
sions prises dans le cas probable où les
populations des Balkans résisteront aux
volontés de l'Europe.
De toutes les questions qu'aura à tran-
cher la conférence, celle-là est assurément
la plus grave.
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