Titre : Le XIXe siècle : journal quotidien politique et littéraire / directeur-rédacteur en chef : Gustave Chadeuil
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1890-10-09
Contributeur : Chadeuil, Gustave (1821-1896). Directeur de publication
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Description : 09 octobre 1890 09 octobre 1890
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Droits : Consultable en ligne
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Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-199
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 05/08/2013
Dix-neuvième année^ — N* 6,8/& - CINQ CGXïtiïïlCS Parié et Départements — CINQ Centimes - JEUDI 9 OCTOBRE lèŒf
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L'ASSASSINAT DE L'HUISSIER GOUFFE
Acte d'accusation par JS/L. Quesnay de ecaurelpaire
L rin fantaijll
Guillaume 1er changeait rarement
de ministres. Il savait choisir ses col-
laborateurs et les garder; ç'a été la
principale cause de ses étonnants suc-
cès; ce sera probablement son titre le
moins contestable aux éloges des his-
toriens futurs. Il a été merveilleuse-
ment servi par les circonstances, mais
il a su se faire bien servir par les
hommes. Guillaume II est plus chan-
geant et sa faveur est moins sûre.
Après s'être proclamé de la façon la
plus éclatante l'élève de M. de Bis-
marck, il s'est défait de M. de Bis-
marck ou plutôt des deux Bismarck,
père et fils. M. de Waldersee, qui pas-
sait pour posséder toute sa confiance,
a vu plus d'une fois sa situation
ébranlée. Le général Verdy du Ver-
nois, élevé par le jeune empereur au
poste de ministre de la guerre, vient
d'être sacrifié par son maître à l'op-
position de quelques vieux généraux.
On annonce aussi le départ du minis-
tre de la maison royale, du grand-
sénéchal et du grand-écuyer. Les
hauts fonctionnaires et les dignitaires
de l'empire d'Allemagne ne jouissent
plus de la sécurité à laquelle ils
avaient dû s'habituer.
On attribue la disgràce du ministre
de la guerre à l'attitude qu'il avait
prise devant le Reichstag. Il s'était
déclaré partisan de l'application ra-
dicale du principe de Scharnhorst,
c'est-à-dire du service obligatoire vé-
ritablement universel. La conséquence
presque inévitable d'une réforme fon-
dée sur ce principe, c'était la réduc-
tion du service à deux ans, si l'on ne
voulait imposer au budget une charge
écrasante. Or, le service de deux ans,
qui existait autrefois en Prusse, a été
allongé d'un an par Guillaume Ier,
malgré la résistance du Parlement.
C'est dans la lutte provoquée par
cette aggravation de l'impôt du sang
que M. de Bismarck se fit connaître
comme ministre à poigne. Sadowa et
Sedan firent oublier cette longue que-
relle, et la fortune parut condamner
sans appel les champions de l'ancien
système.
On comprend que le langage du
général Yerdy du Vernois, qui sem-
blait remettre en discussion une ques-
tion tranchée par tant de victoires,ait
indisposé les autres chefs de l'armée
et qu'ils aient travaillé à ruiner le
ministre de la guerre dans l'esprit du
jeune souverain. On s'étonnera seule-
ment que la lutte ait été aussi longue
et qu'il ait fallu de longs mois pour
consommer cette disgrâce. Cette lutte
avait pour nous beaucoup d'intérêt,
car nos institutions militaires dépen-
dent, jusqu'à un certain point, de cel-
les de l'Allemagne. En nous arrêtant
au terme de trois ans, nous avons
imité nos ennemis d'hier, en qui nous
voyons toujours nos ennemis de de-
main. S'ils avaient jugé qu'il ne faut
pas plus de deux ans pour faire d'un
paysan teuton un bon soldat, il y au-
rait eu bien des chances pour que
leur exemple fût contagieux, car on
ne nous persuadera pas que les jeu-
nes Français aient besoin d'un plus
long noviciat que les jeunes Poméra-
niens pour apprendre leur métier.
Mais ce qui nous frappe surtout
dans cette série de changements, c'est
la mobilité dont Guillaume 11 iair
preuve et qui achève de montrer en
lui le plus inconstant comme le plus
remuant des souverains. Depuis son
avènement, le haut personnel civil et
militaire a été presque entièrement
remanié, et l'on voit qu'il n'est pas
même fidèle aux serviteurs de son
choix. A vrai dire, il est tout naturel
qu'il agisse à l'égard des hommes
comme à l'égard des idées. Ce n'est
pas par l'esprit de suite qu'il se dis-
tingue parmi ses augustes confrères.
Avant de monter sur le trône, il était
l'espoir du parti féodal et piétiste, et
l'on comptait sur lui pour donner au
monde l'image plus ou moins ra-
jeunie d'un empereur à la façou du
moyen- âge.
Il n'a pas tardé à se placer au
contraire à l'extrême avant-garde et
à faire parade d'idées presque socia-
listes. Même dans sa politique exté-
rieure, il procède par soubresauts,
autant que le permettent les nécessi-
tés inéluctables de la situation euro-
péenne. S'il n'a pas rompu la triple
alliance, il l'a du moins quelque peu
compromise par ses avances à la
Russie. S'il affiche plus que jamais
son intimité avec Fempereur d'Autri-
che, c'est après avoir vainement tenté
de se glisser dans l'intimité du tsar, et
ses protestations de tendresse à l'é-
gard de François-Joseph suivent de
bien près l'inutile voyage à Saint-
Pétersbourg.
Nous sommes de plus en plus obli-
gés de reconnaître que l'héritier du
tranquille et pesant restaurateur de
l'empire germanique est un prince lé-
ger, fantasque, prompt à s'engouer et
à se déprendre des hommes et des
idées, ami des coups de théàtre et ca-
pable des plus brusques revirements.
Une telle constatation n'est pas faite
pour rassurer l'Europe et pour ren-
forcer dans les esprits l'espoir d'une
paix longue et solide. Ceux qui regar-
dent la prédominance de l'esprit mo-
narchique comme une garantie de sta-
bilité doivent reconnaître que tout
peut être mis en question et en péril
par le caprice d'un jeune homme qui
est décidément capricieux. Il est cha-
que jour plus difficile de soutenir que
le nouvel empire est une grande force
conservatrice, que l'Allemagne unie et
élargie est le lest de l'Europe.
Mais, en même temps qu'une con-
naissance plus approfondie du carac-
tère de Guillaume II engage ses voi-
sins et même ses amis à une méfiance
salutaire, il est impossible que ses al-
lures sautillantes ne modifient pas
l'opinion dans ses propres Etats. Son
aïeul lui a laissé une autorité presque
illimitée, fondée sur l'attachement des
sujets encore plus que sur les institu-
tions nationales. Ce capital précieux
et qui semblait inépuisable, il est en
train de le dépenser, de le gaspiller
même, avec une singulière rapidité. Il
s'est aliéné les admirateurs passionnés
de M. de Bismarck ; il a inquiété les
conservateurs, les grands industriels,
les riches bourgeois par ses déclara-
tions socialistes. Il ne s'est pas pour
cela rallié les socialistes, qui sont en
même temps des démocrates et qui
n'attendent pas du pouvoir absolu
l'accomplissement de leurs vœux. Il
n'a pas conquis l'affection des libéraux,
car il affecte sans cesse de rappeler
qu'il est le maître et qu'il entend res-
ter tout-puissant.
Il a d'abord jeté le désordre dans
l'opposition par des coups de surprise
et des démarches inattendues; l'oppo-
sition se reformera avec des éléments
plus nombreux, et la nation elle-
même, après avoir supporté patiem-
ment la domination d'un vieillard cou-
vert de lauriers et d'un ministre cou-
vert de gloire, se lassera d'un despo-
tisme juvénile et irréfléchi.
A moins toutefois que le souverain,
se sentant affaibli, ne cherche une di-
version dans des complication exté-
rieures. C'est là une hypothèse que
personne en Europe ne doit perdre de
vue un instant.
Le XIX" SIECLE publiera demain la
« Chronique », par Francisque Sarcey.
M. MERMEIX
Le bruit de la mort de M. Mermeix a
couru hier soir avec persistance.
Renseignements pris, cette nouvelle était
inexacte.
A minuit, nous sommes allés chez M. Mer-
meix.
Les médecins qui sont venus le voir dans
la soirée, vers onze heures, ont constaté
une forte aggravation de l'état du malade.
Le comat persiste et l'érésypèle augmente
de plus en plus.
On a perdu tout espoir de le sauver, et
on craint qu'il ne puisse pas passer la
journée.
L'INTERPELLATION CHICHÉ
La demande du général Boulanger
M. Chiché, député boulangiste de Bor-
deaux, avait déposé dans la séance de la
Chambre du 18 juillet une demande d'in-
terpellation au sujet de la nomination de
M. Quesnay de Beaurepaire au grade de
commandeur de la Légion d'honneur.
La Chambre avait renvoyé à un mois la
discussion de cette interpellation, c'est-à-
dire à la première séance de la prochaine
session.
Dans une lettre qu'il adresse au prési-
dent de la Chambre, M. Chiché annonce
qu'il retire son interpellation.
Nous croyons savoir que c'est à la de-
mande du général Boulanger que M. Chiché
est revenu sur sa première intention.-
LES FORÇATS ÉVADÉS EN ALGÉRIE
(DE NOTRE CORRESPONDANT PARTICULIER)
Alger, 7 octobre.
M. Tirman, gouverneur général de l'Al-
gérie, vient d'adresser aux préfets de la
colonie une importante circulaire relative
à la répression du banditisme en Algérie.
Après avoir rappelé les attaques à main
armée qui sont devenues fréquentes dans
ces derniers temps, M. Tirman déclare que
ces crimes doivent être attribués d'abord à
la sécheresse et aux sauterelles, mais sur-
tout au retour de nombreux forçats indi-
gènes évadés de la uuyane.
Il recommande, en conséquence, d'ame-
ner è)urence les communes de plus 5,000
habitants à voter les fonds nécessaires à
l'organisation de commissariats de po-
lice.
Il prescrit en outre : 1° de compléter le
personnel des adjoints indigènes dans les
communes où la population musulmane
est assez nombreuse ; 2° de se montrer très
rigoureux dans la délivrance des permis
d'achat d'armes et de poudre aux indigè-
nes ; 30 de se tenir exactement renseigné
sur les agissements des associations hos-
tiles à notre domination.
Vingt-cinq forçats évadés ont pu être
déjà capturés. De nouvelles recherches se-
ront opérées sans discontinuation, avec
contrôle dans chaque commune mixte ou
de plein exercice.
M. SCHHJEBELÉ FILS
(DE NOTRE CORRESPONDANT PARTICULIER)
Compiégne, 7 octobre.
M. Schnsebelé, fils de l'ancien commis-
saire spécial de surveillance de Pagny-sur-
Moselle, qui fut victime du guet-apens alle-
mand qu'on n'a pas oublié, vient de s'en-
gager au fm6 régiment d'infanterie, à Com-
piégne.
M. Schnœbelé fils fut lui-même arrêté par
la gendarmerie allemande pour avoir ren-
versé un poteau-frontière.
UN AVISO AUX ENCHÈRES
(DE NOTRE CORRESPONDANT PARTICULIER)
Nantes, 8 octobre.
Un fait assez rare va se produire à Nan-
tes : l'aviso le Dakar, qui est mouillé dans
ce port et qui était affecté au service postal
du Sénégal, sera mis en vente aux enchères
publiques le 16 courant, sur la mise à prix
de 100,000 francs.
Ce navire, construit en 1876, possède une
machine de 60 chevaux et jauge :Gh ton-
neaux.
La vente est ordonnée par suite d'une dé-
cision du conseil général du Sénégal, qui a
voté l'acquisition d'un convoyeur de fort
tonnage.
LA SANTÉ DU ROI DE HOLLANDE
(DE NOTRE CORRESPONDANT PARTICULIER)
Vienne, 7 octobre.
Des informations reçues de La Haye par
le duc Adolphe de Nassau, il résulterait que
le roi est absolument incapable de s'occu-
per des affaires de l'Etat. Il est tombé en
enfance, et depuis plus d'un mois, il n'a
pas conscience de ses actes.
Il est impossible que la situation se pro-
longe davantage, le conseil des ministres
va demander la proclamation de la ré-
gence.
Des dépêches particulières arrivées au-
jourd'hui prétendent que la mort du roi ne
serait plus qu'une question d'heure.
LE CLERGÉ RUSSE
Amusante statistique. — Moines et
nonnes.
(DE NOTRE CORRESPONDANT PARTICULIER)
Saint-Pétersbourg, 7 octobre.
Voici quelques chiffres curieux sur le
« clergé noir » de notre pays; je les trouve
dans un document officiel qui vient de pa-
raître :
En Russie, il existé 671 couvents, dont U69
pour moines et 202 pour nonnes. Le nom-
bre des moines est de 6,950, le nombre des
nonnes de 6,289; il y a 14,711 novices
hommes et 16,685 novices femmes. En tout,
11,661 individus du sexe masculin et 2:2,97.4
du sexe féminin appartenant à des cou-
vents. - -
Les décès sont plus fréquents chez les
moines que chez les nonnes.
Un quart des décès chez les moines est
dû au delirium tremens causé par l'alcoo-
lisme.
Cette année-ci, 17 nonnes sont mortes en
couches. Quant aux autres qui ont eu des
enfants, aucune n'a avoué le nom du père ;
mais elles ont toutes déclaré que leur en-
fant « était venu du Saint-Esprit ou d'un
saint quelconque
Les enfants des nonnes sont envoyés aux
enfants trouvés, reçoivent une éducation
soignée et, à leur majorité, entrent dans les
couvents.
La fortune de nos couvents est énorme et
atteint plusieurs centaines de millions.
BIJOUTIERS FAUSSAIRES
-
Que fait donc la justice?
Nous ne reviendrons pas sur la lettre de
MM. Moricault; nous avons dit ce que nous
en pensions. Mais, jusqu'à ce que la lumière
soit faite sur cette affaire de faux poinçons,
sur ce crime de droit commun, nous de-
manderons avec toute la chambre syndicale
des fabricants bijoutiers qu'une enquête
soit ordonnée.
Au Havre, les magistrats condamnent M.
Marret, accusé de se servir de faux poin-
çons, coupable d'une escroquerie de plus
de 1,500 francs au préjudice du Trésor, à
A00 francs d'amende! A Paris, le parquet
hésite et n'ose prendre la responsabilité
d'ouvrir une instruction.
C'est la première fois qu'il faut une cam-
pagne entreprise par toute une corporation
aussi considérable et estimée que celle de
nos bijoutiers-fabricants, pour obtenir des
pouvoirs justice d'un vol au préjudice de
l'Etat.
Y aurait-il donc des coupables pour les-
quels il n'existe plus ni lois ni tribunaux.
LA SUCCESSION
DE LA PRINCIPAUTÉ DE LIPPE
(DB NOTRE CORRESPONDANT PARTICULIER)
Berlin, 7 octobre. — Les prétentions du
comte Ferdinand de Lippe-Biesterfeld etWeis-
senfeld ne sauraient aboutir à aucun résultat.
Il n'a aucun droit à la succession de la prin-
cipauté de Lippe, n'étant pas de lignée priu-
ciere, mais seulement seigneuriale. Le comte
Ferdinand n'est, du reste, connu q-te par ses
excentricités.
Le réquisitoire de ÏV1. Quesnay de
Beaurepaire nous oblige à mettre en
seconde page la « Vie de Paris », de
[ M. Henry Fouquier.
Dumnt judiiair
EYRAUD ET GABRIELLE BOMPARD
DEVANT LA JUSTICE
LA DERNIÈRE OEUVRE DU PROCUREUR
GÉNÉRAL
La nouvelle primeur du « XIX" Siècle H.
Le forfait d'Eyraud et de Gabrielle.
— Du 29 juillet 1889 jusqu'à nos
jours. — Les révélations de l'ins-
truction et de l'enquête judi-
ciaire. — Avant la cour
d'assises.
Le XIXe Siècle qui, dans un but exclu-
sif d'information, s'est fait l'éditeur res-
ponsable de tous les documents judiciai-
res à sensation sortis de la plume, géné-
ralement peu élégante, de MM. les mem-
bres du parquet, ne peut laisser passer,
sans en donner la primeur à ses lecteurs,
l'acte d'accusation de l'affaire Gouffé. Cet
acte, signifié ces jours derniers, dans
leurs cellules du Dépôt, à Michel Eyraud
et à Gabrielle Bompard, revêt, dans la
circonstance, un caractère particulière-
ment intéressant.
Ce n'est pas seulement, en effet, le ba-
nal procès-verbal ne varietur du drame
sanglant de la rue Tronson-Ducoudray,
fixant d'une façon définitive, en le tirant
du chaos des reportages, le récit de l'as-
sassinat de l'huissier Gouffé : c'est sur-
tout la dernière œuvre littéraire de l'ho-
norable procureur général, M. Quesnay
de Beaurepaire, l'auteur du Père, du Fo-
restier, de Marie Fougère et du réquisi-
toire de la haute cour. Tout dans ce do-
cument judiciaire, depuis les négligences
de style, semées avec une rare prodiga-
lité, jusqu'à cette image hardie, «. le
savant professeur fit pour ainsi dire re-
vivre le squelette placé à son amphithéâ-
tre », révèle la main experte d'un roman-
cier populaire, sachant héroïquement sa-
crifier les règles de la grammaire et par-
fois celles du bon goût aux appétits de
ses lecteurs.
M. de Beaurepaire n'a pas voulu laisser
à un de ses avocats généraux, comme
c'est l'usage, le soin de bâcler un acte
d'accusation incolore; il a tenu à « opé-
rer » lui-même. Et de la même plume qui
a si heureusement pourfendu le roman
naturaliste, il a écrit la maîtresse œuvre
suivante ;
, LA DÉCOUVERTE DU CRIME
Dans la soirée du 29 juillet 1889, un sieur
Landry se présenta au commissariat de po-
lice du quartier Bonne-Nouvelle pour faire
connaître la mystérieuse disparition de
Gouffé, son beau-frère, huissier à Paris,
qu'on n'avait revu ni à son étude, rue Mont-
martre, ni à son domicile particulier, rue
Rougemont, depuis la soirée du 26.
Landry était accompagné dans cette dé-
marche par un nommé Remi Launé, agent
d'affaires à Sèvres, se disant, ami intime du
disparu. D'après la déclaration de ces deux
personnes, l'huissier Gouffé était dans une
situation prospère. Veuf depuis de longues
années, il vivait avec ses deux filles, ren-
trant régulièrement pour les heures des re-
pas, et n'avait pas l'habitude de découcher.
Lorsque les encaissements du jour avaient
été de quelque importance, ce qui se pro-
duisait fréquemment, il rapportait par pru-
dence son argent à l'appartement de la rue
Rougemont. Il n'avait projeté aucun voya-
ge, sa santé robuste rendait impossible
tout accident, et il n'était pas possible d'ad-
mettre l'hypothèse d'un suicide.
Landry exposa d'autre part le motif de
ses inquiétudes : l'huissier Gouffé dissimu-
lait, sous ces apparences méthodiques, une
existence agitée. Il avait de mauvaises
mœurs. Son beau-frère nomma spontané-
ment deux de ses maîtresses. et Remi Launé
ajouta, sous forme de confidence, que son
ami était très volage et très entreprenant et
qu'il avait fort bien pu être attiré dans un
guet-apens.
En dehors même de cette appréciation,
la pensée d'un assassinat ayant le vol pour
mobile prenait, dès le début, beaucoup de
consistance.
En effet, l'huissier avait quitté son étude
le 96, à six heures et demie du soir ; il avait
été vu pour la dernière fois, sur le boule-
vard Montmartre, à sept heures dix minu-
tes ; et à neuf heures environ, un inconnu
s'était introduit dans l'étude, ayant en sa
possession les clefs de Gouffé, y était resté
quelques instants, et, interpellé par le con-
cierge lors de sa réapparition dans l'es-
calier, avait pris la fuite sans laisser voir
son visage. A la vérité, le coffre-fort n'avait
pas été ouvert,et une somme de 1.4,000 fr.ea
billets, placée à découvert derrière les dos-
siers, n'avait pas été enlevée ; mais une di-
zaine d'allumettes-bougies, à demi-consu-
mées et jetées sur le parquet, révélaient les
recherches auxquelles s'était livré le mal-
faiteur.
Réduite à ces indications trop vagues, la
police ne put d'abord conduire utilement
l'enquête. Remi Launé, qui pouvait l'éclai-
rer sur l'heure, s'était gardé de dire que le
nommé Eyraud, homme sans ressources et
sans scrupules, lui avait quelques jours
auparavant demandé des renseignements
sur la fortune de Gouffé, et que celui-ci
avait un caprice pour la fille Bompard, fille
très corrompue et maîtresse du même Ey-
raud.
L'instruction se poursuivait donc sans
données précises, lorsque, le 13 août, le
cadavre d'un homme fut trouvé sur le ver-
sant d'un glacis boisé, dans la commune
de Millery, près de Lyon. Ce cadavre était
dans un état complet de putréfaction ; il
était placé dans un sac en toile cirée. Plus
tard, sur le parapet d'où l'on avait certai-
nement fait rouler le corps pour le préci-
piter vers le Rhône, un habitant découvrit
une petite clef.
Par malheur, le cantonnier Coffy avait
retiré le sac à l'aide d'un trident, ce qui
avait encore déformé le cadavre. Aussi le
sieur Landry, conduit à Lyon, ne reconnut
pas les restes de son beau-frère, et le mé-
decin commis, étant insuffisamment ren-
seigné, conclut à la non-identité de Gouffé
et du cadavre.
Cependant,le surlendemain 15 août, le ha-
sard fit retrouver à St-Genis-Laval, commu-
ne voisine de celle de Millery, dans un fossé
couvert de broussailles, les morceaux d'une
grande malle brisée. La clef découverte
près du cadavre s'adaptait parfaitement à
la serrure ; un de ses clous, qui man-
quait, avait été relevé à Millery, et l'odeur,
comme les taches remarquées sur la paroi
intérieure des débris, ne laissaient aucun
doute ; c'était incontestablement dans cette
malle que le corps recueilli à Millery avait
été transporté.
D'où étaient venus cette malle et son fu-
nèbre contenu? Une étiquette adhérait en-
core à l'une des planches et permettait d'ap-
prendre que le tout avait voyagé de Paris à
Lyon, par chemin de fer, à la date du 27
juillet 1888 ou 1889, le dernier chiffre étant
a peu près effacé. Un expert local crut lire
1888, mais les registres de la compagnie
P.-L.-M. permirent de rectifier l'erreur et
d'acquérir la certitude que le voyage avait
été effectué le 27 juillet 1889, c'est-à-dire le
lendemain même de la disparition de
Gouffé.
Par les soins du parquet de Lyon, la malle
avait été reconstruite, et l'instruction allait
s'avancer d'une marche assurée, lorsqu'un
cocher de fiacre de Lyon, nommé Laforge,
cédant au désir insensé de jouer un rôle,
s'avisa de produire un rècit mensonger du
transport de la malle sur sa voiture et de
la projection du cadavre dans le ravin, en
sa présence. Pressé de questions, il alla
jusqu'à- dénoncer trois individus, détenus
alors sous l'inculpation d'un autre crime.
Cette déplorable imposture, dont d'ailleurs
Laforge a été justement puni depuis lors,
entrava et dissémina les efforts de la
police.
Cependant, l'information suivait son
cours à Paris. Avec un soin infatigable, on
recueillit, à toutes les sources sérieuses,
les renseignements les plus détaillés sur la
taille, la conformation, les particularités
physiques de Gouffé ; on ne négligea pas
même de recueillir sur son peigne quel-
ques cheveux ; et, fournissant ainsi un si-
gnalement indiscutable, que la description
d'une ancienne blessure à l'os d'une jambe
complétait encore, on fit appel aux lumiè-
res de M. le docteur Lacassagne. Le savant
professeur, à l'aide de ces documents mul-
tiples, fit pour ainsi dire revivre le sque-
lette placé à son amphithéâtre, et n'hésita
pas dans ses conclusions : le cadavre trans-
porté le 27 juillet de Paris à Lyon était bien
celui de Gouffé.
Entre temps on reconstituait la vie de
l'huissier; ses relations et ses habitudes
étaient mises en lumière. C'est ainsi qu'on
apprit qu'il avait fréquenté Eyraud, hom-
me plus que suspect, ainsi que Gabrielle
Bompard, fille de mœurs dissolues, et que
ceux-ci avaient quitté précipitamment Pa-
ris le 27 juillet. Or, le 27 juillet était le len-
demain de la disparition, le jour du trans-
port du cadavre. Un mandat d'arrêt fut
décerné contre eux le 29 novembre.
Le mois suivant, c'est-à-dire à la date du
21 décembre, la malle trouvée à Saint-Ge-
nis-Laval était reconnue à Londres; cette
malle avait été vendue à Eyraud et à la
fille Bompard.
MICHEL EYRAUD ET GABRIELLE
BOMPARD.
A dater de cette heure, la vérité était
connue; la justice possédait le nom des
coupables.
On s'efforça aussitôt d'opérer leur arres-
tation ; mais l'entreprise était ardue. Ey-
raud, habitué aux voyages, parlant plu-
sieurs langues, connaissait bien l'Améri-
que ; la fille Bompard portait le costume
masculin au point de faire illusion aux
plus sagaces. Enfin, le bruit excessif fait au-
tour de ce crime et de ces criminels pou-
vait faire connaître ou deviner à ceux-ci
les découvertes obtenues et les résolutions
arrêtées. La poursuite présentait donc les
plus grandes difficultés. Les agents de la
sûreté visitèrent l'Angleterre, et de là pas-
sèrent au Nouveau-Monde. A New-York,
Eyraud fut manqué de quelques jours seu-
lement ; sa trace, recherchée jusqu'à San-
Francisco, ne put être reprise. Enfin, le 22
janvier 1890, la fille Bompard se présenta à
la préfecture de police, accompagnée d'un
sieur Garanger, et fit la révélation du cri-
me. Eyraud, dit-elle, avait assassiné Gouffé,
non avec sa participation, mais en sa pré-
sence.
Il convient de faire remarquer ici que sa
confession ne fut pas sincère. Son étrange
absence de sens moral, son vaniteux besoin
de la mise en scène, et plus encore sa préoc-
cupation constante d'altérer les faits pour
ne s'attribuer dans l'assass nat de Gouffé
que le rôle de spectatrice, entachèrent son
récit d'inexactitudes et d'invraisemblances;
mais sur tous les points principaux qui ne
touchent pas à sa coopération matérielle,
elle a dit la vérité. L'instruction en a acquis
la preuve, après avoir contrôlé une à une
toutes ses assertions.
Comment cette fille se trouvait-elle à Pa-
ris, séparée d'Eyraud, le 22 janvier 1890 ?
Elle. l'expliqua, ainsi que son compagnon
Garanger. Arrivée le 7 septembre précédent
à Québec avec Eyraud, lors de leur fuite
commune, elle avait cherché un refuge
successivement à Montréal, Vancouver, Vic-
toria, San-Francisco. Déguisée en jeune
homme pendant la traversée, se faisant en-
suite passer pour la fille d'Eyraud sous le
faux nom de Berthe Vanaërt, elle parta-
geait avec impatience cette vie incertaine et
misérable à laquelle les avait condamnés
un assassinat sans profit.
Son acolyte, d'autre part, cherchait l'oc-
casion de se créer des ressources a n'im-
porte quel prix, lorsqu'ils firent l'un et
l'autre la rencontre du sieur Garanger, d'o-
rigine française, voyageur un peu aventu-
reux, peut-être aussi un peu naïf, ayant
quelque fortune et du crédit. Ils jetèrent
aussitôt leur dévolu sur lui, visant surtout
à la bourse, Eyraud pour l'escroquer, sinon
pis, Gabrielle pour en faire son amant.
Pris bien vite au double piège, Garanger
dut son salut à la cupidité de la fille Bom-
pard, qui résolut de le conserver pour elle
seule et d'échapper par lui au dénûmenf.
Elle partit donc avec Gayaliger, en .aban-
doutant Eyraud, et £ £ Et ramener 3 Paris.
Probablement les séductions de la grande
ville l'attiraient après l'exil pénible qu'elle
venait de subir; plus probablement elle
s'imaginait qu'en venant accabler Eyraud à
distance, par des révélations savamment
étudiées, elle se déchargerait de sa respon-
sabilité propre. C'est ce qu'elle tenta avec
une réelle finesse, avec beaucoup de dis-
cernement et d'esprit de suite ; mais il était
aisé de saisir où commençait le mensonge
dans ses récits, et l'instruction lui refusa le
rôle de témoin qu'elle briguait, pour lui
assigner celui de co-auteur.
Bientôt après la lumière se fit, éclatante
et complète, quand Eyraud eut pris lui-mê-
me la parole, en déclarant que tous les
deux avaient de concert assassiné Gouffé.
Eyraud, réduit à la dernière extrémité et
déconcerté après le départ imprévu de Ga-
ranger et de la fille Bompard, erra de New-
York à Philadelphie, du Mexique à la Ha-
vane, changeant de nom à chaque étape.
Aussi incapable de remords que sa mat..
tresse, il vécut d'escroqueries, courut les
lieux de débauche et rédigea pour un jour-
nal la relation audacieusement mensongère -
de la mort violente de Gouffé. Puis, recon-
nu à la Havane, il y fut arrêté par la\Dolice
espagnole. Les formalités d'extradition fu-
rent accomplies sans retard et il fut écroué
à Paris le 30 juin dernier. Alors, après
quelques vaines réticences, il dut préciser
ses aveux;. et ses déclarations réitérées,
suivies de sa confrontation avec la fille
Bompard, ont enfin livré le dernier mot
du drame sanglant du 96 juillet 1889.
C'est cet exposé définitif qu'il convient de
faire actuellement.
Eyraud est représenté par les témoins
comme un homme sans moralité, sans pro-
bité, violent et capable de tout. Fils de né-
gociants,il a reçu une certaine instruction,
mais son inconduite ne lui a jamais permis
de conquérir la situation à laquelle il au-
rait pu prétendre.
En 1863, faisant partie de l'expédition du
Mexique en qualité de caporal de chasseurs
à pied, il déserte 'devant l'ennemi. Plus
tard, ayant épousé une honnête femme qui
lui apporte une dot de A0,000 francs, il va
représenter au Nouveau-Monde une maison
anglaise dont les chefs le congédient en le
qualifiant de chevalier d'industrie.
Devenu ensuite distillateur à Sèvres, il
se ruine en débauches et conduit ses maî-
tresses de rencontre dans des restaurants
situés à quelques pas du domicile conjugal.
Il est déclaré en faillite, le passif est évalua
à A50,000 francs. Réduit aux expédients, il
essaie de dépouiller sa mère et répond à la
résistance de celle-ci par des menaces de
mort.
Il trouve enfin à s'associer avec un com-
missionnaire en marchandises du nom de
Fri bourg, dont il dévore bientôt la com-
mandite par ses gaspillages et ses infidélités.
La faillite est déclarée. C'est en 1883 qu'il
entre en relations avec la fille Bompard.
Celle-ci affirme qu'elle l'a connu en sollici-
citant un emploi dans la maison Fribourg,
gérée par lui. Eyraud soutient au contraire
qu'il a été racolé par elle sur le trottoir
du boulevard.
Quoi qu'il en soit,cette fille venait d'arriver
à Paris lorsqu'ils se lièrent. Fille d'un mar-
chand de métaux du département du Nord,
dont la position est aisée, n'ayant plus de
mère, Gabrielle Bompard a été élevée dans
de bonnes maisons d'éducation en Belgique
et en France.
Mais elle a été partout congédiée à raison
de sa nature indisciplinée et vicieuse. Ce
fut à tel point que son père crut nécessaire
de la placer comme pensionnaire au Bon-
Pasteur d'Arras. Le sieur Bompard vivait
avec une gouvernante sur le pied d'une in-
timité plus que suspecte. Gabrielle, en ren-
trant au logis paternel, se. lia sans répu-
gnance avec cette femme et la prit même
comme confidente de ses aventures amou-
reuses. Après avoir noué et rompu plu-
sieurs intrigues, s'ennuyant dans sa ville
natale, elle partit pour Paris. Son père lui
fit passer d'abord quelques centaines de
francs ; et bien vite l'accusée n'eut plus re-
cours qu'au libertinage.
C'est alors qu'elle devint la maîtresse
d'Eyraud. Celui-ci la fit rouler plus bas en-
core, jusqu'au cynisme. Il la poussait à fré-
quenter les mauvais lieux par esprit de
lucre; et jusque dans ces maisons-là le lan-
gage ordurier de Gabrielle causait scan-
dale. Eyraud, marié, père de famille, qui
devait bientôt loger sa concubine à Leval-
lois, près de son domicile conjugal, parta-
geait les produits de la prostitution de cette
fille de vingt ans. En vain il proteste : un
jour Gabrielle se vantait d'avoir reçu des
propositions d'un homme riche et annon-
çait qu'elle ne céderait que pour cinquante
mille francs.
Eyraud lui dit alors :
— Nous mangerons cet argent ensemble.
— Oui, répondit l'accusée, tu seras mon
m.
Cependant, ces ressources honteuseg
étaient insuffisantes. Gabrielle employait
avec les fournisseurs de ses objets de toi-
lette des manœuvres frisant l'escroquerie;
Eyraud se mettait dans le cas de provoquer
des plaintes au parquet ; la caisse de Fri-
bourg était à sec. C'est alors que les deux
accusés s'arrêtèrent à la pensée d'attirer
quelque opulent débauché à un rendez-
vous galant et de le dépouiller vivant ou
mort.
PRÉPARATIFS DE L'ASSASSINAT
Quelle serait la victime? Ils hésitèrent sur
le choix. Ils connaissaient l'huissier Gouffé,
qu'ils rencontraient au café Gutenberg,
boulevard Poissonnière. Remi Launé, l'a-
gent d'affaires de Sèvres, les avait mis en
rapport, et Gouffé montrait du goût pour,
celle qu'il appelait « la petite JI. Mais alors
ils ne le croyaient pas suffisamment riche ef
préféraient une autre proie. Laquelle ? Ga-
brielle Bompard proposa à Eyraud de lui
amener un riche bijoutier, retiré des af-
faires, qui semblait la poursuivre. Mais elle
ignorait son adresse exacte et s'était brouil-
lée avec la femme chez laquelle elle l'avait
rencontré. Il fallut donc y renoncer ; Ga-
brielle offrit alors d'attirer dans le piège un
sieur R., puis un sieur de L.
En attendant une décision sur ce point,
il était urgent de tout préparer pour que la
forfait put être accompli a l'heure oppor-
tune. 11 s'agissait à l'origine d'extorquer
une grosse somme par voie de chantage,
[aussi les verreas-nous ïnuais de papier,
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L'ASSASSINAT DE L'HUISSIER GOUFFE
Acte d'accusation par JS/L. Quesnay de ecaurelpaire
L rin fantaijll
Guillaume 1er changeait rarement
de ministres. Il savait choisir ses col-
laborateurs et les garder; ç'a été la
principale cause de ses étonnants suc-
cès; ce sera probablement son titre le
moins contestable aux éloges des his-
toriens futurs. Il a été merveilleuse-
ment servi par les circonstances, mais
il a su se faire bien servir par les
hommes. Guillaume II est plus chan-
geant et sa faveur est moins sûre.
Après s'être proclamé de la façon la
plus éclatante l'élève de M. de Bis-
marck, il s'est défait de M. de Bis-
marck ou plutôt des deux Bismarck,
père et fils. M. de Waldersee, qui pas-
sait pour posséder toute sa confiance,
a vu plus d'une fois sa situation
ébranlée. Le général Verdy du Ver-
nois, élevé par le jeune empereur au
poste de ministre de la guerre, vient
d'être sacrifié par son maître à l'op-
position de quelques vieux généraux.
On annonce aussi le départ du minis-
tre de la maison royale, du grand-
sénéchal et du grand-écuyer. Les
hauts fonctionnaires et les dignitaires
de l'empire d'Allemagne ne jouissent
plus de la sécurité à laquelle ils
avaient dû s'habituer.
On attribue la disgràce du ministre
de la guerre à l'attitude qu'il avait
prise devant le Reichstag. Il s'était
déclaré partisan de l'application ra-
dicale du principe de Scharnhorst,
c'est-à-dire du service obligatoire vé-
ritablement universel. La conséquence
presque inévitable d'une réforme fon-
dée sur ce principe, c'était la réduc-
tion du service à deux ans, si l'on ne
voulait imposer au budget une charge
écrasante. Or, le service de deux ans,
qui existait autrefois en Prusse, a été
allongé d'un an par Guillaume Ier,
malgré la résistance du Parlement.
C'est dans la lutte provoquée par
cette aggravation de l'impôt du sang
que M. de Bismarck se fit connaître
comme ministre à poigne. Sadowa et
Sedan firent oublier cette longue que-
relle, et la fortune parut condamner
sans appel les champions de l'ancien
système.
On comprend que le langage du
général Yerdy du Vernois, qui sem-
blait remettre en discussion une ques-
tion tranchée par tant de victoires,ait
indisposé les autres chefs de l'armée
et qu'ils aient travaillé à ruiner le
ministre de la guerre dans l'esprit du
jeune souverain. On s'étonnera seule-
ment que la lutte ait été aussi longue
et qu'il ait fallu de longs mois pour
consommer cette disgrâce. Cette lutte
avait pour nous beaucoup d'intérêt,
car nos institutions militaires dépen-
dent, jusqu'à un certain point, de cel-
les de l'Allemagne. En nous arrêtant
au terme de trois ans, nous avons
imité nos ennemis d'hier, en qui nous
voyons toujours nos ennemis de de-
main. S'ils avaient jugé qu'il ne faut
pas plus de deux ans pour faire d'un
paysan teuton un bon soldat, il y au-
rait eu bien des chances pour que
leur exemple fût contagieux, car on
ne nous persuadera pas que les jeu-
nes Français aient besoin d'un plus
long noviciat que les jeunes Poméra-
niens pour apprendre leur métier.
Mais ce qui nous frappe surtout
dans cette série de changements, c'est
la mobilité dont Guillaume 11 iair
preuve et qui achève de montrer en
lui le plus inconstant comme le plus
remuant des souverains. Depuis son
avènement, le haut personnel civil et
militaire a été presque entièrement
remanié, et l'on voit qu'il n'est pas
même fidèle aux serviteurs de son
choix. A vrai dire, il est tout naturel
qu'il agisse à l'égard des hommes
comme à l'égard des idées. Ce n'est
pas par l'esprit de suite qu'il se dis-
tingue parmi ses augustes confrères.
Avant de monter sur le trône, il était
l'espoir du parti féodal et piétiste, et
l'on comptait sur lui pour donner au
monde l'image plus ou moins ra-
jeunie d'un empereur à la façou du
moyen- âge.
Il n'a pas tardé à se placer au
contraire à l'extrême avant-garde et
à faire parade d'idées presque socia-
listes. Même dans sa politique exté-
rieure, il procède par soubresauts,
autant que le permettent les nécessi-
tés inéluctables de la situation euro-
péenne. S'il n'a pas rompu la triple
alliance, il l'a du moins quelque peu
compromise par ses avances à la
Russie. S'il affiche plus que jamais
son intimité avec Fempereur d'Autri-
che, c'est après avoir vainement tenté
de se glisser dans l'intimité du tsar, et
ses protestations de tendresse à l'é-
gard de François-Joseph suivent de
bien près l'inutile voyage à Saint-
Pétersbourg.
Nous sommes de plus en plus obli-
gés de reconnaître que l'héritier du
tranquille et pesant restaurateur de
l'empire germanique est un prince lé-
ger, fantasque, prompt à s'engouer et
à se déprendre des hommes et des
idées, ami des coups de théàtre et ca-
pable des plus brusques revirements.
Une telle constatation n'est pas faite
pour rassurer l'Europe et pour ren-
forcer dans les esprits l'espoir d'une
paix longue et solide. Ceux qui regar-
dent la prédominance de l'esprit mo-
narchique comme une garantie de sta-
bilité doivent reconnaître que tout
peut être mis en question et en péril
par le caprice d'un jeune homme qui
est décidément capricieux. Il est cha-
que jour plus difficile de soutenir que
le nouvel empire est une grande force
conservatrice, que l'Allemagne unie et
élargie est le lest de l'Europe.
Mais, en même temps qu'une con-
naissance plus approfondie du carac-
tère de Guillaume II engage ses voi-
sins et même ses amis à une méfiance
salutaire, il est impossible que ses al-
lures sautillantes ne modifient pas
l'opinion dans ses propres Etats. Son
aïeul lui a laissé une autorité presque
illimitée, fondée sur l'attachement des
sujets encore plus que sur les institu-
tions nationales. Ce capital précieux
et qui semblait inépuisable, il est en
train de le dépenser, de le gaspiller
même, avec une singulière rapidité. Il
s'est aliéné les admirateurs passionnés
de M. de Bismarck ; il a inquiété les
conservateurs, les grands industriels,
les riches bourgeois par ses déclara-
tions socialistes. Il ne s'est pas pour
cela rallié les socialistes, qui sont en
même temps des démocrates et qui
n'attendent pas du pouvoir absolu
l'accomplissement de leurs vœux. Il
n'a pas conquis l'affection des libéraux,
car il affecte sans cesse de rappeler
qu'il est le maître et qu'il entend res-
ter tout-puissant.
Il a d'abord jeté le désordre dans
l'opposition par des coups de surprise
et des démarches inattendues; l'oppo-
sition se reformera avec des éléments
plus nombreux, et la nation elle-
même, après avoir supporté patiem-
ment la domination d'un vieillard cou-
vert de lauriers et d'un ministre cou-
vert de gloire, se lassera d'un despo-
tisme juvénile et irréfléchi.
A moins toutefois que le souverain,
se sentant affaibli, ne cherche une di-
version dans des complication exté-
rieures. C'est là une hypothèse que
personne en Europe ne doit perdre de
vue un instant.
Le XIX" SIECLE publiera demain la
« Chronique », par Francisque Sarcey.
M. MERMEIX
Le bruit de la mort de M. Mermeix a
couru hier soir avec persistance.
Renseignements pris, cette nouvelle était
inexacte.
A minuit, nous sommes allés chez M. Mer-
meix.
Les médecins qui sont venus le voir dans
la soirée, vers onze heures, ont constaté
une forte aggravation de l'état du malade.
Le comat persiste et l'érésypèle augmente
de plus en plus.
On a perdu tout espoir de le sauver, et
on craint qu'il ne puisse pas passer la
journée.
L'INTERPELLATION CHICHÉ
La demande du général Boulanger
M. Chiché, député boulangiste de Bor-
deaux, avait déposé dans la séance de la
Chambre du 18 juillet une demande d'in-
terpellation au sujet de la nomination de
M. Quesnay de Beaurepaire au grade de
commandeur de la Légion d'honneur.
La Chambre avait renvoyé à un mois la
discussion de cette interpellation, c'est-à-
dire à la première séance de la prochaine
session.
Dans une lettre qu'il adresse au prési-
dent de la Chambre, M. Chiché annonce
qu'il retire son interpellation.
Nous croyons savoir que c'est à la de-
mande du général Boulanger que M. Chiché
est revenu sur sa première intention.-
LES FORÇATS ÉVADÉS EN ALGÉRIE
(DE NOTRE CORRESPONDANT PARTICULIER)
Alger, 7 octobre.
M. Tirman, gouverneur général de l'Al-
gérie, vient d'adresser aux préfets de la
colonie une importante circulaire relative
à la répression du banditisme en Algérie.
Après avoir rappelé les attaques à main
armée qui sont devenues fréquentes dans
ces derniers temps, M. Tirman déclare que
ces crimes doivent être attribués d'abord à
la sécheresse et aux sauterelles, mais sur-
tout au retour de nombreux forçats indi-
gènes évadés de la uuyane.
Il recommande, en conséquence, d'ame-
ner è)urence les communes de plus 5,000
habitants à voter les fonds nécessaires à
l'organisation de commissariats de po-
lice.
Il prescrit en outre : 1° de compléter le
personnel des adjoints indigènes dans les
communes où la population musulmane
est assez nombreuse ; 2° de se montrer très
rigoureux dans la délivrance des permis
d'achat d'armes et de poudre aux indigè-
nes ; 30 de se tenir exactement renseigné
sur les agissements des associations hos-
tiles à notre domination.
Vingt-cinq forçats évadés ont pu être
déjà capturés. De nouvelles recherches se-
ront opérées sans discontinuation, avec
contrôle dans chaque commune mixte ou
de plein exercice.
M. SCHHJEBELÉ FILS
(DE NOTRE CORRESPONDANT PARTICULIER)
Compiégne, 7 octobre.
M. Schnsebelé, fils de l'ancien commis-
saire spécial de surveillance de Pagny-sur-
Moselle, qui fut victime du guet-apens alle-
mand qu'on n'a pas oublié, vient de s'en-
gager au fm6 régiment d'infanterie, à Com-
piégne.
M. Schnœbelé fils fut lui-même arrêté par
la gendarmerie allemande pour avoir ren-
versé un poteau-frontière.
UN AVISO AUX ENCHÈRES
(DE NOTRE CORRESPONDANT PARTICULIER)
Nantes, 8 octobre.
Un fait assez rare va se produire à Nan-
tes : l'aviso le Dakar, qui est mouillé dans
ce port et qui était affecté au service postal
du Sénégal, sera mis en vente aux enchères
publiques le 16 courant, sur la mise à prix
de 100,000 francs.
Ce navire, construit en 1876, possède une
machine de 60 chevaux et jauge :Gh ton-
neaux.
La vente est ordonnée par suite d'une dé-
cision du conseil général du Sénégal, qui a
voté l'acquisition d'un convoyeur de fort
tonnage.
LA SANTÉ DU ROI DE HOLLANDE
(DE NOTRE CORRESPONDANT PARTICULIER)
Vienne, 7 octobre.
Des informations reçues de La Haye par
le duc Adolphe de Nassau, il résulterait que
le roi est absolument incapable de s'occu-
per des affaires de l'Etat. Il est tombé en
enfance, et depuis plus d'un mois, il n'a
pas conscience de ses actes.
Il est impossible que la situation se pro-
longe davantage, le conseil des ministres
va demander la proclamation de la ré-
gence.
Des dépêches particulières arrivées au-
jourd'hui prétendent que la mort du roi ne
serait plus qu'une question d'heure.
LE CLERGÉ RUSSE
Amusante statistique. — Moines et
nonnes.
(DE NOTRE CORRESPONDANT PARTICULIER)
Saint-Pétersbourg, 7 octobre.
Voici quelques chiffres curieux sur le
« clergé noir » de notre pays; je les trouve
dans un document officiel qui vient de pa-
raître :
En Russie, il existé 671 couvents, dont U69
pour moines et 202 pour nonnes. Le nom-
bre des moines est de 6,950, le nombre des
nonnes de 6,289; il y a 14,711 novices
hommes et 16,685 novices femmes. En tout,
11,661 individus du sexe masculin et 2:2,97.4
du sexe féminin appartenant à des cou-
vents. - -
Les décès sont plus fréquents chez les
moines que chez les nonnes.
Un quart des décès chez les moines est
dû au delirium tremens causé par l'alcoo-
lisme.
Cette année-ci, 17 nonnes sont mortes en
couches. Quant aux autres qui ont eu des
enfants, aucune n'a avoué le nom du père ;
mais elles ont toutes déclaré que leur en-
fant « était venu du Saint-Esprit ou d'un
saint quelconque
Les enfants des nonnes sont envoyés aux
enfants trouvés, reçoivent une éducation
soignée et, à leur majorité, entrent dans les
couvents.
La fortune de nos couvents est énorme et
atteint plusieurs centaines de millions.
BIJOUTIERS FAUSSAIRES
-
Que fait donc la justice?
Nous ne reviendrons pas sur la lettre de
MM. Moricault; nous avons dit ce que nous
en pensions. Mais, jusqu'à ce que la lumière
soit faite sur cette affaire de faux poinçons,
sur ce crime de droit commun, nous de-
manderons avec toute la chambre syndicale
des fabricants bijoutiers qu'une enquête
soit ordonnée.
Au Havre, les magistrats condamnent M.
Marret, accusé de se servir de faux poin-
çons, coupable d'une escroquerie de plus
de 1,500 francs au préjudice du Trésor, à
A00 francs d'amende! A Paris, le parquet
hésite et n'ose prendre la responsabilité
d'ouvrir une instruction.
C'est la première fois qu'il faut une cam-
pagne entreprise par toute une corporation
aussi considérable et estimée que celle de
nos bijoutiers-fabricants, pour obtenir des
pouvoirs justice d'un vol au préjudice de
l'Etat.
Y aurait-il donc des coupables pour les-
quels il n'existe plus ni lois ni tribunaux.
LA SUCCESSION
DE LA PRINCIPAUTÉ DE LIPPE
(DB NOTRE CORRESPONDANT PARTICULIER)
Berlin, 7 octobre. — Les prétentions du
comte Ferdinand de Lippe-Biesterfeld etWeis-
senfeld ne sauraient aboutir à aucun résultat.
Il n'a aucun droit à la succession de la prin-
cipauté de Lippe, n'étant pas de lignée priu-
ciere, mais seulement seigneuriale. Le comte
Ferdinand n'est, du reste, connu q-te par ses
excentricités.
Le réquisitoire de ÏV1. Quesnay de
Beaurepaire nous oblige à mettre en
seconde page la « Vie de Paris », de
[ M. Henry Fouquier.
Dumnt judiiair
EYRAUD ET GABRIELLE BOMPARD
DEVANT LA JUSTICE
LA DERNIÈRE OEUVRE DU PROCUREUR
GÉNÉRAL
La nouvelle primeur du « XIX" Siècle H.
Le forfait d'Eyraud et de Gabrielle.
— Du 29 juillet 1889 jusqu'à nos
jours. — Les révélations de l'ins-
truction et de l'enquête judi-
ciaire. — Avant la cour
d'assises.
Le XIXe Siècle qui, dans un but exclu-
sif d'information, s'est fait l'éditeur res-
ponsable de tous les documents judiciai-
res à sensation sortis de la plume, géné-
ralement peu élégante, de MM. les mem-
bres du parquet, ne peut laisser passer,
sans en donner la primeur à ses lecteurs,
l'acte d'accusation de l'affaire Gouffé. Cet
acte, signifié ces jours derniers, dans
leurs cellules du Dépôt, à Michel Eyraud
et à Gabrielle Bompard, revêt, dans la
circonstance, un caractère particulière-
ment intéressant.
Ce n'est pas seulement, en effet, le ba-
nal procès-verbal ne varietur du drame
sanglant de la rue Tronson-Ducoudray,
fixant d'une façon définitive, en le tirant
du chaos des reportages, le récit de l'as-
sassinat de l'huissier Gouffé : c'est sur-
tout la dernière œuvre littéraire de l'ho-
norable procureur général, M. Quesnay
de Beaurepaire, l'auteur du Père, du Fo-
restier, de Marie Fougère et du réquisi-
toire de la haute cour. Tout dans ce do-
cument judiciaire, depuis les négligences
de style, semées avec une rare prodiga-
lité, jusqu'à cette image hardie, «. le
savant professeur fit pour ainsi dire re-
vivre le squelette placé à son amphithéâ-
tre », révèle la main experte d'un roman-
cier populaire, sachant héroïquement sa-
crifier les règles de la grammaire et par-
fois celles du bon goût aux appétits de
ses lecteurs.
M. de Beaurepaire n'a pas voulu laisser
à un de ses avocats généraux, comme
c'est l'usage, le soin de bâcler un acte
d'accusation incolore; il a tenu à « opé-
rer » lui-même. Et de la même plume qui
a si heureusement pourfendu le roman
naturaliste, il a écrit la maîtresse œuvre
suivante ;
, LA DÉCOUVERTE DU CRIME
Dans la soirée du 29 juillet 1889, un sieur
Landry se présenta au commissariat de po-
lice du quartier Bonne-Nouvelle pour faire
connaître la mystérieuse disparition de
Gouffé, son beau-frère, huissier à Paris,
qu'on n'avait revu ni à son étude, rue Mont-
martre, ni à son domicile particulier, rue
Rougemont, depuis la soirée du 26.
Landry était accompagné dans cette dé-
marche par un nommé Remi Launé, agent
d'affaires à Sèvres, se disant, ami intime du
disparu. D'après la déclaration de ces deux
personnes, l'huissier Gouffé était dans une
situation prospère. Veuf depuis de longues
années, il vivait avec ses deux filles, ren-
trant régulièrement pour les heures des re-
pas, et n'avait pas l'habitude de découcher.
Lorsque les encaissements du jour avaient
été de quelque importance, ce qui se pro-
duisait fréquemment, il rapportait par pru-
dence son argent à l'appartement de la rue
Rougemont. Il n'avait projeté aucun voya-
ge, sa santé robuste rendait impossible
tout accident, et il n'était pas possible d'ad-
mettre l'hypothèse d'un suicide.
Landry exposa d'autre part le motif de
ses inquiétudes : l'huissier Gouffé dissimu-
lait, sous ces apparences méthodiques, une
existence agitée. Il avait de mauvaises
mœurs. Son beau-frère nomma spontané-
ment deux de ses maîtresses. et Remi Launé
ajouta, sous forme de confidence, que son
ami était très volage et très entreprenant et
qu'il avait fort bien pu être attiré dans un
guet-apens.
En dehors même de cette appréciation,
la pensée d'un assassinat ayant le vol pour
mobile prenait, dès le début, beaucoup de
consistance.
En effet, l'huissier avait quitté son étude
le 96, à six heures et demie du soir ; il avait
été vu pour la dernière fois, sur le boule-
vard Montmartre, à sept heures dix minu-
tes ; et à neuf heures environ, un inconnu
s'était introduit dans l'étude, ayant en sa
possession les clefs de Gouffé, y était resté
quelques instants, et, interpellé par le con-
cierge lors de sa réapparition dans l'es-
calier, avait pris la fuite sans laisser voir
son visage. A la vérité, le coffre-fort n'avait
pas été ouvert,et une somme de 1.4,000 fr.ea
billets, placée à découvert derrière les dos-
siers, n'avait pas été enlevée ; mais une di-
zaine d'allumettes-bougies, à demi-consu-
mées et jetées sur le parquet, révélaient les
recherches auxquelles s'était livré le mal-
faiteur.
Réduite à ces indications trop vagues, la
police ne put d'abord conduire utilement
l'enquête. Remi Launé, qui pouvait l'éclai-
rer sur l'heure, s'était gardé de dire que le
nommé Eyraud, homme sans ressources et
sans scrupules, lui avait quelques jours
auparavant demandé des renseignements
sur la fortune de Gouffé, et que celui-ci
avait un caprice pour la fille Bompard, fille
très corrompue et maîtresse du même Ey-
raud.
L'instruction se poursuivait donc sans
données précises, lorsque, le 13 août, le
cadavre d'un homme fut trouvé sur le ver-
sant d'un glacis boisé, dans la commune
de Millery, près de Lyon. Ce cadavre était
dans un état complet de putréfaction ; il
était placé dans un sac en toile cirée. Plus
tard, sur le parapet d'où l'on avait certai-
nement fait rouler le corps pour le préci-
piter vers le Rhône, un habitant découvrit
une petite clef.
Par malheur, le cantonnier Coffy avait
retiré le sac à l'aide d'un trident, ce qui
avait encore déformé le cadavre. Aussi le
sieur Landry, conduit à Lyon, ne reconnut
pas les restes de son beau-frère, et le mé-
decin commis, étant insuffisamment ren-
seigné, conclut à la non-identité de Gouffé
et du cadavre.
Cependant,le surlendemain 15 août, le ha-
sard fit retrouver à St-Genis-Laval, commu-
ne voisine de celle de Millery, dans un fossé
couvert de broussailles, les morceaux d'une
grande malle brisée. La clef découverte
près du cadavre s'adaptait parfaitement à
la serrure ; un de ses clous, qui man-
quait, avait été relevé à Millery, et l'odeur,
comme les taches remarquées sur la paroi
intérieure des débris, ne laissaient aucun
doute ; c'était incontestablement dans cette
malle que le corps recueilli à Millery avait
été transporté.
D'où étaient venus cette malle et son fu-
nèbre contenu? Une étiquette adhérait en-
core à l'une des planches et permettait d'ap-
prendre que le tout avait voyagé de Paris à
Lyon, par chemin de fer, à la date du 27
juillet 1888 ou 1889, le dernier chiffre étant
a peu près effacé. Un expert local crut lire
1888, mais les registres de la compagnie
P.-L.-M. permirent de rectifier l'erreur et
d'acquérir la certitude que le voyage avait
été effectué le 27 juillet 1889, c'est-à-dire le
lendemain même de la disparition de
Gouffé.
Par les soins du parquet de Lyon, la malle
avait été reconstruite, et l'instruction allait
s'avancer d'une marche assurée, lorsqu'un
cocher de fiacre de Lyon, nommé Laforge,
cédant au désir insensé de jouer un rôle,
s'avisa de produire un rècit mensonger du
transport de la malle sur sa voiture et de
la projection du cadavre dans le ravin, en
sa présence. Pressé de questions, il alla
jusqu'à- dénoncer trois individus, détenus
alors sous l'inculpation d'un autre crime.
Cette déplorable imposture, dont d'ailleurs
Laforge a été justement puni depuis lors,
entrava et dissémina les efforts de la
police.
Cependant, l'information suivait son
cours à Paris. Avec un soin infatigable, on
recueillit, à toutes les sources sérieuses,
les renseignements les plus détaillés sur la
taille, la conformation, les particularités
physiques de Gouffé ; on ne négligea pas
même de recueillir sur son peigne quel-
ques cheveux ; et, fournissant ainsi un si-
gnalement indiscutable, que la description
d'une ancienne blessure à l'os d'une jambe
complétait encore, on fit appel aux lumiè-
res de M. le docteur Lacassagne. Le savant
professeur, à l'aide de ces documents mul-
tiples, fit pour ainsi dire revivre le sque-
lette placé à son amphithéâtre, et n'hésita
pas dans ses conclusions : le cadavre trans-
porté le 27 juillet de Paris à Lyon était bien
celui de Gouffé.
Entre temps on reconstituait la vie de
l'huissier; ses relations et ses habitudes
étaient mises en lumière. C'est ainsi qu'on
apprit qu'il avait fréquenté Eyraud, hom-
me plus que suspect, ainsi que Gabrielle
Bompard, fille de mœurs dissolues, et que
ceux-ci avaient quitté précipitamment Pa-
ris le 27 juillet. Or, le 27 juillet était le len-
demain de la disparition, le jour du trans-
port du cadavre. Un mandat d'arrêt fut
décerné contre eux le 29 novembre.
Le mois suivant, c'est-à-dire à la date du
21 décembre, la malle trouvée à Saint-Ge-
nis-Laval était reconnue à Londres; cette
malle avait été vendue à Eyraud et à la
fille Bompard.
MICHEL EYRAUD ET GABRIELLE
BOMPARD.
A dater de cette heure, la vérité était
connue; la justice possédait le nom des
coupables.
On s'efforça aussitôt d'opérer leur arres-
tation ; mais l'entreprise était ardue. Ey-
raud, habitué aux voyages, parlant plu-
sieurs langues, connaissait bien l'Améri-
que ; la fille Bompard portait le costume
masculin au point de faire illusion aux
plus sagaces. Enfin, le bruit excessif fait au-
tour de ce crime et de ces criminels pou-
vait faire connaître ou deviner à ceux-ci
les découvertes obtenues et les résolutions
arrêtées. La poursuite présentait donc les
plus grandes difficultés. Les agents de la
sûreté visitèrent l'Angleterre, et de là pas-
sèrent au Nouveau-Monde. A New-York,
Eyraud fut manqué de quelques jours seu-
lement ; sa trace, recherchée jusqu'à San-
Francisco, ne put être reprise. Enfin, le 22
janvier 1890, la fille Bompard se présenta à
la préfecture de police, accompagnée d'un
sieur Garanger, et fit la révélation du cri-
me. Eyraud, dit-elle, avait assassiné Gouffé,
non avec sa participation, mais en sa pré-
sence.
Il convient de faire remarquer ici que sa
confession ne fut pas sincère. Son étrange
absence de sens moral, son vaniteux besoin
de la mise en scène, et plus encore sa préoc-
cupation constante d'altérer les faits pour
ne s'attribuer dans l'assass nat de Gouffé
que le rôle de spectatrice, entachèrent son
récit d'inexactitudes et d'invraisemblances;
mais sur tous les points principaux qui ne
touchent pas à sa coopération matérielle,
elle a dit la vérité. L'instruction en a acquis
la preuve, après avoir contrôlé une à une
toutes ses assertions.
Comment cette fille se trouvait-elle à Pa-
ris, séparée d'Eyraud, le 22 janvier 1890 ?
Elle. l'expliqua, ainsi que son compagnon
Garanger. Arrivée le 7 septembre précédent
à Québec avec Eyraud, lors de leur fuite
commune, elle avait cherché un refuge
successivement à Montréal, Vancouver, Vic-
toria, San-Francisco. Déguisée en jeune
homme pendant la traversée, se faisant en-
suite passer pour la fille d'Eyraud sous le
faux nom de Berthe Vanaërt, elle parta-
geait avec impatience cette vie incertaine et
misérable à laquelle les avait condamnés
un assassinat sans profit.
Son acolyte, d'autre part, cherchait l'oc-
casion de se créer des ressources a n'im-
porte quel prix, lorsqu'ils firent l'un et
l'autre la rencontre du sieur Garanger, d'o-
rigine française, voyageur un peu aventu-
reux, peut-être aussi un peu naïf, ayant
quelque fortune et du crédit. Ils jetèrent
aussitôt leur dévolu sur lui, visant surtout
à la bourse, Eyraud pour l'escroquer, sinon
pis, Gabrielle pour en faire son amant.
Pris bien vite au double piège, Garanger
dut son salut à la cupidité de la fille Bom-
pard, qui résolut de le conserver pour elle
seule et d'échapper par lui au dénûmenf.
Elle partit donc avec Gayaliger, en .aban-
doutant Eyraud, et £ £ Et ramener 3 Paris.
Probablement les séductions de la grande
ville l'attiraient après l'exil pénible qu'elle
venait de subir; plus probablement elle
s'imaginait qu'en venant accabler Eyraud à
distance, par des révélations savamment
étudiées, elle se déchargerait de sa respon-
sabilité propre. C'est ce qu'elle tenta avec
une réelle finesse, avec beaucoup de dis-
cernement et d'esprit de suite ; mais il était
aisé de saisir où commençait le mensonge
dans ses récits, et l'instruction lui refusa le
rôle de témoin qu'elle briguait, pour lui
assigner celui de co-auteur.
Bientôt après la lumière se fit, éclatante
et complète, quand Eyraud eut pris lui-mê-
me la parole, en déclarant que tous les
deux avaient de concert assassiné Gouffé.
Eyraud, réduit à la dernière extrémité et
déconcerté après le départ imprévu de Ga-
ranger et de la fille Bompard, erra de New-
York à Philadelphie, du Mexique à la Ha-
vane, changeant de nom à chaque étape.
Aussi incapable de remords que sa mat..
tresse, il vécut d'escroqueries, courut les
lieux de débauche et rédigea pour un jour-
nal la relation audacieusement mensongère -
de la mort violente de Gouffé. Puis, recon-
nu à la Havane, il y fut arrêté par la\Dolice
espagnole. Les formalités d'extradition fu-
rent accomplies sans retard et il fut écroué
à Paris le 30 juin dernier. Alors, après
quelques vaines réticences, il dut préciser
ses aveux;. et ses déclarations réitérées,
suivies de sa confrontation avec la fille
Bompard, ont enfin livré le dernier mot
du drame sanglant du 96 juillet 1889.
C'est cet exposé définitif qu'il convient de
faire actuellement.
Eyraud est représenté par les témoins
comme un homme sans moralité, sans pro-
bité, violent et capable de tout. Fils de né-
gociants,il a reçu une certaine instruction,
mais son inconduite ne lui a jamais permis
de conquérir la situation à laquelle il au-
rait pu prétendre.
En 1863, faisant partie de l'expédition du
Mexique en qualité de caporal de chasseurs
à pied, il déserte 'devant l'ennemi. Plus
tard, ayant épousé une honnête femme qui
lui apporte une dot de A0,000 francs, il va
représenter au Nouveau-Monde une maison
anglaise dont les chefs le congédient en le
qualifiant de chevalier d'industrie.
Devenu ensuite distillateur à Sèvres, il
se ruine en débauches et conduit ses maî-
tresses de rencontre dans des restaurants
situés à quelques pas du domicile conjugal.
Il est déclaré en faillite, le passif est évalua
à A50,000 francs. Réduit aux expédients, il
essaie de dépouiller sa mère et répond à la
résistance de celle-ci par des menaces de
mort.
Il trouve enfin à s'associer avec un com-
missionnaire en marchandises du nom de
Fri bourg, dont il dévore bientôt la com-
mandite par ses gaspillages et ses infidélités.
La faillite est déclarée. C'est en 1883 qu'il
entre en relations avec la fille Bompard.
Celle-ci affirme qu'elle l'a connu en sollici-
citant un emploi dans la maison Fribourg,
gérée par lui. Eyraud soutient au contraire
qu'il a été racolé par elle sur le trottoir
du boulevard.
Quoi qu'il en soit,cette fille venait d'arriver
à Paris lorsqu'ils se lièrent. Fille d'un mar-
chand de métaux du département du Nord,
dont la position est aisée, n'ayant plus de
mère, Gabrielle Bompard a été élevée dans
de bonnes maisons d'éducation en Belgique
et en France.
Mais elle a été partout congédiée à raison
de sa nature indisciplinée et vicieuse. Ce
fut à tel point que son père crut nécessaire
de la placer comme pensionnaire au Bon-
Pasteur d'Arras. Le sieur Bompard vivait
avec une gouvernante sur le pied d'une in-
timité plus que suspecte. Gabrielle, en ren-
trant au logis paternel, se. lia sans répu-
gnance avec cette femme et la prit même
comme confidente de ses aventures amou-
reuses. Après avoir noué et rompu plu-
sieurs intrigues, s'ennuyant dans sa ville
natale, elle partit pour Paris. Son père lui
fit passer d'abord quelques centaines de
francs ; et bien vite l'accusée n'eut plus re-
cours qu'au libertinage.
C'est alors qu'elle devint la maîtresse
d'Eyraud. Celui-ci la fit rouler plus bas en-
core, jusqu'au cynisme. Il la poussait à fré-
quenter les mauvais lieux par esprit de
lucre; et jusque dans ces maisons-là le lan-
gage ordurier de Gabrielle causait scan-
dale. Eyraud, marié, père de famille, qui
devait bientôt loger sa concubine à Leval-
lois, près de son domicile conjugal, parta-
geait les produits de la prostitution de cette
fille de vingt ans. En vain il proteste : un
jour Gabrielle se vantait d'avoir reçu des
propositions d'un homme riche et annon-
çait qu'elle ne céderait que pour cinquante
mille francs.
Eyraud lui dit alors :
— Nous mangerons cet argent ensemble.
— Oui, répondit l'accusée, tu seras mon
m.
Cependant, ces ressources honteuseg
étaient insuffisantes. Gabrielle employait
avec les fournisseurs de ses objets de toi-
lette des manœuvres frisant l'escroquerie;
Eyraud se mettait dans le cas de provoquer
des plaintes au parquet ; la caisse de Fri-
bourg était à sec. C'est alors que les deux
accusés s'arrêtèrent à la pensée d'attirer
quelque opulent débauché à un rendez-
vous galant et de le dépouiller vivant ou
mort.
PRÉPARATIFS DE L'ASSASSINAT
Quelle serait la victime? Ils hésitèrent sur
le choix. Ils connaissaient l'huissier Gouffé,
qu'ils rencontraient au café Gutenberg,
boulevard Poissonnière. Remi Launé, l'a-
gent d'affaires de Sèvres, les avait mis en
rapport, et Gouffé montrait du goût pour,
celle qu'il appelait « la petite JI. Mais alors
ils ne le croyaient pas suffisamment riche ef
préféraient une autre proie. Laquelle ? Ga-
brielle Bompard proposa à Eyraud de lui
amener un riche bijoutier, retiré des af-
faires, qui semblait la poursuivre. Mais elle
ignorait son adresse exacte et s'était brouil-
lée avec la femme chez laquelle elle l'avait
rencontré. Il fallut donc y renoncer ; Ga-
brielle offrit alors d'attirer dans le piège un
sieur R., puis un sieur de L.
En attendant une décision sur ce point,
il était urgent de tout préparer pour que la
forfait put être accompli a l'heure oppor-
tune. 11 s'agissait à l'origine d'extorquer
une grosse somme par voie de chantage,
[aussi les verreas-nous ïnuais de papier,
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