Titre : Le XIXe siècle : journal quotidien politique et littéraire / directeur-rédacteur en chef : Gustave Chadeuil
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1890-06-09
Contributeur : Chadeuil, Gustave (1821-1896). Directeur de publication
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Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
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Description : 09 juin 1890 09 juin 1890
Description : 1890/06/09 (A19,N6720). 1890/06/09 (A19,N6720).
Droits : Consultable en ligne
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Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-199
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 24/04/2013
Dix-neuvième année. — Ne 6,720
CINQ Centimes — Paris et Départements — CINQ Centimes
LUNDI 9 JUIN 1800
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LES
B p 1 S îl 1
Une question qui manque d'actua-
lité vient de se poser à l'improviste,
et l'on peut dire qu'elle se présente
d'autant plus opportunément que sa
solution ne répond à aucun besoin
immédiat. Il s'agit de savoir quelle
serait, en cas de guerre, la situation
des députés qui ne sont pas entière-
ment libérés de toute obligation mili-
taire. La chose vaut la peine d'être
examinée ; car, dans la Chambre ac-
tuelle, il y a plus de deux cents dépu-
tés qui appartiennent soit à la réser-
ve de l'armée active, soit à l'armée
territoriale, et maintenant que le ser-
vice militaire dure jusqu'à l'âge de
quarante-cinq ans, le Sénat lui-même
verrait quelques-uns de ses membres
appelés sous les drapeaux.
Au mois de février 1887, lors de l'af-
faire Schnsebelé, quelques députés
voulurent connaître l'avis du ministre
de la guerre sur la situation des dépu-
tés qui avaient des devoirs militaires
remplir, et M. le comte de Martim-
prey écrivit dans ce but au général
Boulanger. Celui-ci répondit par deux
lettres, à trois jours de distance. Dans
la première, il exprime l'avis que les
députés, comme tous les autres Fran-
çais, doivent rejoindre sans délai le
corps auquel ils sont attachés, et que,
l'incompatibilité existant entre le
mandat de député et le service mili-
taire, ti ils pourraient, après la mobi-
lisation, être considérés comme dé-
missionnaires ipso facto ». Dans la se-
conde lettre, le ministre de la guerre
se plaint que "sacommunication ait été
traduite dans un sens précisément op-
posé à ses vues personnelles JI, et il
ajoute que, dans des entretiens avec
d'autres députés, « il a exprimé l'opi-
nion que, lors d'une mobilisation, la
place des membres du Parlement
jeunes et actifs lui semblait plus utile
à la Chambre qu'au milieu des trou-
pesM. -
Ces opinions successives man-
quaient évidemment de méthode, et,
pour sortir d'embarras, on décida que
sa question serait soumise au Parle-
ment lors de la discussion de la loi,
Jnilitaire. Mais aucune suite ne fut
donnée à ce projet, et la situation des
députés n'est pas mieux réglée aujour-
d'hui qu'elle ne l'était il y a trois ans.
Cette lacune est grave, car, en cas de
prévision d'hostilités, la mobilisation
peut précéder la déclaration de guer-
re, et si ces députés doivent rejoindre
immédiatement leur corps, si, aussi-
tôt sous les drapeaux, ils sont consi-
dérés comme démissionnaires, il arri-
vera que ce sera seulement un tronçon
de la Chambre qui participera au vote,
qui prendra la décision la plus grave,
et qu'une très notable partie du corps
électoral sera destituée du moyen
d'exprimer son avis et du moyen d'in-
fluer sur le résultat du scrutin.
Même après la déclaration de guerre,
le rôle des Chambres n'est pas ter-
miné. Sans attendre d'elles qu'elles
jouent à la Convention et qu'elles dé-
crètent la victoire, il est bien évident
qu'elles ont une action considérable à
exercer. Ce n'est pas le moment de
clore la session et de suspendre l'ac-
tion parlementaire. Si le régime par-
lementaire est bon, c'est surtout dans
les circonstances les plus graves qu'il
doit s'exercer dans sa plénitude. S'il est
mauvais, il ne faut point attendre, pour
s'en débarrasser,le moment où le pays
tout entier sera troublé dans toutes
ses habitudes et où un régime nouveau
ne pourrait s'établir que dans des
conditions improvisées et par consé-
quent grosses d'incertitudes et d'in-
connu. Puisque cette seconde hypo-
thèse paraît peu vraisemblable,et puis-
que on veut maintenir le régime
parlementaire, la permanence des
Chambres pendant la guerre paraît
S'imposer comme une nécessité.
-, Il faut donc régler la question pen-
dant qu'on peut l'envisager sous ses
divers aspects et qu'on a toute liberté
d'esprit pour chercher la solution. Il
faut assurer au pays le moyen de
prendre part, dans la mesure qui lui
appartient, à la direction des affaires
publiques, surtout dans le moment où
ses destinées sont le plus en jeu. Déjà
un député boulangiste a annoncé l'in-
tention de proposer qu'en cas de
guerre les Chambres fussent dissoutes
et que le pouvoir exécutif fût muni de
pouvoirs absolus, ce qui n'estévidem-
ment pas la solution parlementaire de
l'affaire. De son côté, M. Camille
Dreyfus propose que, par application
de la loi Tréveneuc, les conseils géné-
raux soien tappelés à élire des dépu-
tés suppléants chargés de remplacer
les députés appelés sous les drapeaux.
Ceci pourrait être un procédé, car il
faut remarquer que ce qui complique
la situation, c'est que, en même temps
que la Chambre serait diminuée d'un
tiers de ses membres, le corps électoral )
serait lui-même diminué de tous les
hommes au-dessous de quarante-cinq
ans et que, par conséquent, le suffrage
universel ne pourrait non plus fonc-
tionner pour pourvoir aux vacances de
sièges.
Mais d'autres systèmes peuvent être
opposés à celui de M. Dreyfus, et nous
n'avons pas à indiquer de solution.
L'essentiel, c'est que l'on fasse quel-
que chose et qu'une loi règle la ques-
tion qui vient d'être soulevée. Le seul
point sur lequel il ne peut y avoir
d'hésitation, c'est que, contrairement
à la seconde opinion, de l'ancien mi-
nistre de la guerre, la place de tous
les Français en âge de servir est, au
jour du danger, sous. les drapeaux. La
loi militaire a aboli; en cas de guerre,
tous les motifs d'exemption. Une dis-
position additionnelle n'en saurait
créer une en faveur de:? députés.
Le a XIX" Siècle » publiera domain la
« Chronique a par M. Francisque Sarcey.
ÉLECTION SÉNATORIALE
Une élection sénatoriale a lieu aujour-
d'hui dans le Lot-et-Garonne, en remplace-
ment de M. Laporte, républicain, décédé.
M. Fallières, ministre de la justice, dé-
puté de Nérac, est candidat.
LÉGION D'HONNEUR
Le Journal officiel publie ce matin un ar-
rêté déclarant qu'il peut être fait dans
la Légion d'honneur et dans la Médaille
militaire, du lIr juin au 1er décembre 1890,
les promotions et nominations suivantes :
L Militaires Civils
zâ — —
Grands-officiers. h 1
Commandeurs. 35 13
Officiers. 125 27
Chevaliers. 596 60
Médailles militaires.. 869 »»
VIENNE PORT DE MER
(DB NOTRE CORRESPONDANT PARTICULIER)
Vienne, 7 juin.
M. Krupp, le grand fabricant de canons
d'Essen, a adressé au gouvernement autri-
chien un plan pour la construction d'un
canal mettant le Danube, et Vienne, par
conséquent, en communication avec l'Adria-
tique.
UNE LETTRE DU GÉNÉRAL BOULANGER
L'exil ne rend pas le général Boulanger
indulgent pour ses amis.
M. Castelin, député de l'Aisne, vient de
recevoir la lettre suivante, qui pourrait
bien être une réponse indirecte à l'inter-
view de M. Henri Rochefort publié par le
Xl Xe Siècle, et dans lequel le rédacteur en
chef de VIntransigeant a communiqué à
notre collaborateur une lettre si suggestive
du général Boulanger :
« Jersey, Sainfc-Brelade villa,
3 iuin 1890.
» Mon cher Castelin,
M J'ai l'habitude de lire toutes les lettres
qui me sont adressées, afin d'y chercher
re.cpression du sentiment public, et de ré-
pondre au plus grand nombre d'entre elles.
Mais ces réponses, qui ne se peuvent com-
prendre séparées des lettres qui y ont don-
né heu, ne sont pas faites pour la publicité,
et bien moins encore pour servir à ceux qui
les ont reçues de brevet politique quelcon-
que ou de recommandation d'entreprises
que, souvent, j'ignore.
» 11 a été fait jusqu'ici beaucoup trop
abus de ces publications. Voulant conti-
nuer à remplir un devoir de courtoisie en-
vers ceux, amis connus ou inconnus, qui
m'adressent leurs avis, leurs réflexions ou
leurs témoignages de sympathie, je crois
pouvoir attendre d'eux, en revanche, qu'ils
observent une discrétion commandée par
la loyauté.
» Quand je voudrai parler au peuple, je le
ferai comme il convient, pour l'entretenir
de choses qui l'intéressent et sur lesquelles
il a le droit de désirer connaître mon opi-
nion, et non pour lui dire mes sentiments
à l'égard des personnes.
n Je vous prie donc, mon cher ami, de
bien vouloir mettre le public en garde con-
tre l'abus qui a été fait de ma signature, et
de rappeler à mes correspondants que si
on a le droit d'exiger que le secret des let-
tres soit respecté par le pouvoir et ses
agents, c'est à la condition de le respecter
soi-même.
n Avec tous mes remerciements, je vous
envoie une affectueuse poignée de main.
» Général BOULANGER. »
MORT DU PRINCE BIBESCO
Un ami de la France
Le prince Nicolas Bibesco, fils du dernier
hospodar de Valachie, est mort mardi der-
nier, à i'âge de cinquante-trois ans, dans
son château, près de Bucarest. 11 a succom-
bé à un malaise contracté à la Chambre des
députés, où il avait fait un très éloquent
discours contre la demande d'un crédit
pour les fortifications présentée par le mi-
nistère.
Le prince Nicolas Bibesco était un des
hommes les plus remarquables de son
pays.
Il a fait, dans l'armée française, la cam-
pagne d'Afrique comme aide de camp du
générai Randon. Il a également pris part à
la guerre franco-allemande, et pendant le
siège de Paris, il était l'aide de camp du
général Trochu.
Rentré dans son pays, il essaya d'y fonder
l'industrie du sucre ; mais sa fortune som-
bra dans cette patriotique entreprise.
En 1888, les électeurs de Gorj l'envoyè-
rent siéger à la Chambre.
Le prince Bibesco n'était pas seulement
un officier distingué, un orateur de grande
valeur, mais aussi un écrivain de mérite.
li a publié entre autres, après la guerre
d'Afrique, dans la Revue des Deux- Mondes,
des articles très remarqués sur l'ethnogra-
phie de l'Algérie.
Il avait épousé, en 1860, Mlle Hélène d'El-
chingen, petite-fille du, jnaréçhai Ney, dont
il a eu trois enfants.
—
L'AMIRAL DUPERRÉ
INTERPELLATION A LA CHAMBRE
Histoire d'un scandale. — Accusations
sans réponse. — L'attitude de M. Bar-
bey. — L'intervention de M. Mau-
jan. — L'ordre du jour pur et sim-
ple.—Un vote qui ne prouve rien
L'interpellation sur le cas de l'amiral Du-
perré a été discutée devant la Chambre. Le
débat, qui a été plus mouvementé qu'éten-
du, confirme pleinement la campagne que
le XIXe1 Siècle, bientôt suivi par une grande
partie de la presse républicaine, a menée
éontre le nouveau commandant de l'esca-
dre de la Méditerranée.
L'accusation a été produite, en effet, ou
pour mieux dire renouvelée à la tribune.
Mais la réfutation en est encore à venir. M.
Barbey, ministre de la marine, n'a pu op-
poser aux articulations formulées que des
phrases vides et de pompeuses déclama-
tions.
Oa doit maintenant considérer la cause
comme entendue. M. Charles Duperré est
jugé. Il l'est même par la plupart des dépu-
tes qui ont, en cette rencontre, consenti à
accorder au ministre de la marine l'ordre
du jour pur et simple dont ce dernier s'est
contenté.
Ces députés qui se sont ainsi résignés à
voter, quoique parfaitement édifiés, cet
ordre du jour pur et simple, ont obéi à des
scrupules de divers ordres : les uns ont
reculé devant la perspective de condamner
par un vote éclatant un homme à qui a été
confié, même à tort, même le plus impru-
demment du monde, un rôle important
dans la défense nationale; les autres —
plus nombreux — n'ont pas voulu émettre
un blâme que n'eût certes guère pu sup-
porter un membre du cabinet.
Mais il suffisait d'entendre, dans les cou-
loirs, les conversations de ceux-là mêmes
qui avaient, malgré tout, voté comme le
leur demandait M. Barbey, pour compren-
dre que si nombre de représentants avaient
reculé devant une exécution, du moins
leurs consciences étaient éclairées. Et com-
ment ne Feussent-ciles pas été en effet
après la réponse, ou, pour mieux dire,
l'absence do réponse de M. Barbey ?
M. Ernest Roche
La discussion immédiate de l'interpella-
tion ayant été ordonnée, M. Ernest Roche
est monté à la tribune.
C'est en effet le député boulangiste du
dix-septième arrondissement qui s'était
chargé d'appeler les explications du gou-
vernement sur cette grave affaire. IL est
profondément regrettable — nous l'avons
dit déjà — que la majorité ait laissé à un
membre de l'opposition, à un boulangiste.
le soin de prendre cette initiative. M. E.
Roche, lui jUiW Sèriible voir compris
que sa personnalité et ses opinions ne pou-
vaient que nuire à la tâche qu'il avait en-
treprise.
Je déclare sincèrement, a-t-il dit, que j'au-
rais préféré qu'un autre que moi prît l'initia-
tive de l'interpellation.
Depuis trois semaines, je m'attendais à voir
monter à cette tribune soit un député de
l'extrême-gauche pour demander des ex-
plications au gouvernement, soit un député
du centre pour lui fournir l'occasion de ré-
duire à néant les accusations portées contre
un officier général.
Mais personne n'est venu, et, cependant, le
scandale a eu lieu et il continue. (Bruit sur
plusieurs bancs.)
J'étais d'autant plus autorisé à voir porter
la question à la tribune, que chaque jour, et
cela de la part des organes les moins sus-
pects d'hostilité systématique, je lis des invi-
tations au gouvernement d'avoir à rassurer
ou à éclairer l'opinion.
Et l'interpollateur a alors donné lecture
de divers articles de la Justice, du Rappel,
du XIX0 Siècle, de bien d'autres journaux
encore, relevant, à la charge de l'amiral Du-
perré, les faits que nos lecteurs connaissent
bien.
Ce procédé de discussion, pourtant fort
naturel, a soulevé la colère de M. de Dou-
ville-Mailleteu, lequel n'aime pas les jour-
naux, comme chacun sait.
— Est-ce fini de toutes ces tartines 1 s'est-
il écrié. Donnez-nous votre avis et non celui
des journaux f Faites votre métier de dé-
puté !
- Monsieur, a gravement interrompu de
sa place M. Gabriel, député boulangiste de
Meurthe-et-Moselle, être député ce n'est
pas un métier, c'est un sacerdocû ! (Rires
nombreux. >
Et comme M. Floquet déclarait à M. de
Douville n'avoir pas besoin de son aide
pour diriger les débats : -
— Eh bien ! a répondu le député de la
Somme, je déposerai une proposition de
modification au règlement, afin qu'il ne
soit pas permis de lire des tartines à la tri-
bune.
M. de Douyille tient, on le voit, à ce noble
mot de tartinè. Mais laissons cela et reve-
nons aux choies sérieuses.
L'accusation
M. Ernest Roche a continué, luttant de
son mieux contre des interruptions inces-
santes. Voici comment il a. résumé l'acte
d'accusation dressé par tant de journaux
contre M. Duperré :
En deux mots, l'amiral Duperré est accusé
de n'avoir pas fait son devoir en 1670. La
guerre l'a surpris capitaine de vaisseau à
l'âge de trente-huit ans, alors que la moyenne
d'âge pour les officiers de ce grade est de
cinquante ans. (Bruit sur divers bancs).
Capitaine de vaisseau à cet âge, il s'agirait
de' savoir quelle conduite a tenue cet ofiicier
supérieur pendant l'effroyable tourmente de
1870. A-t-il fait son devoir? On le dit. Mais
pendant que Bergasse Dupetit-Thouars se fai-
sait blesser à Strasbourg, que Jaurréguiberry
secondait les efforts de Chanzy, que Pothuau
défendait Paris, M. Duperré restait auprès du
prince impérial, dont il gardait la précieuse
personne, attendant uniquement une dépêche
des Tuileries, à tei point que lorsque cette
dépêche arrive il passe en Belgique, et, de là,
va en Angleterre rejoindre sa souveraine, line
rentre en France qu'après que le dernier coup
de canon a été tiré.
L'interpellateur, a ensuite abordé l'exa-
men des arguments timidement invoqués
par ceux qui ont essayé de présenter la dé-
fense de l'amiral. Il a été ainsi amené à ré-
futer la fameuse note officieuse de l'agence
Havas, note dont il a été fait justice ici-
même.
Cette note nous représente l'amiral Duperré
comme prisonnier de la Belgique. Il n'en est
rien. Jamais il n'a été prisonuier en Belgique.
M. Barbey, ministre de la marine. — C'est
faux. 11 a été prisonnier de guerre en Belgi-
que. J'ai la pièce qui le prouve entre les
mains. (Bruit sur divers bancs.)
M. Le Myre de Vilers. — fi est impossible
d'entendre accuser ainsi QD qUicior généra.
fïiouYww bruit.)
M. le président — Monsieur te Myre de
Vilers. si vous croyez me déterminer à res-
treindre la liberté de la discussion, vous n'y
parviendrez pas (Très bien ! très bien !)
M. Ernest Roche. — Un journal d'Avesnes,
ville où a passé le capitaine de vaisseau Du-
perré avec les cent-gardes qui escortaient le
prince impérial, témoigne que cet ofûcier su-
périeur, du 2 au A septembre, était à Avesnes,
Landrecies, Maubeuge, attendant l'ordre de
passer en Belgique.
Et ces renseignements sont confirmés par les
papiers secrets trouvés aux Tuileries, et que
l'agence Havas aurait dû consulter avant de
publier sa note.
Suit le rappel des fameuses dépêches, si-
gnées de M. Filon, établissant que M. Du-
perré n'a obéi qu'aux ordres de l'impéra-
trice, s'est exclusivement occupé de proté-
ger le prince impérial et n'a pris, malgré
les assertions du Temps démenties par les
faits, aucune part à la bataille de Sedan.
M. Roche a également cité l'article par le-
quel le Gaulois, sous prétexte de prendre
la défense de l'amiral Duperré, a formelle-
ment confirmé les charges accablantes re-
levées contre lui.
M. Paul de Cassagnac. — Il n'est pas res-
ponsable de ce journal.
1M. Ernest Ruche. — Puisque ses amis di-
sent que le commandant Duperré était là où
il devait être, j'ajouterai que c'est là qu'il de-
vait rester, et ne pas venir demander à la
France qu'il a quittée en 1870, à la République
qu'il abhorre, des grades et des honneurs. (In-
terruptions. )
M. llaibbard. - Et la République ouverte,
:¡qa'en faites-vous ? (Applaudissements.)
M. lîrnest Roche. — A ma connaissance,
l'amiral Duperré n'a pas demandé à y en-
trer.
Nous avons non seulement à assurer la pros-
périté en temps de paix, mais encore la dé-
fense du pays en temps de guerre. (Mouve-
ments divers.)
M. Barbey, ministre de la marine. — C'est
moi qui ai cette charge.
M. Erncst Roche. — Si réellement ces faits
sont exacts, je considère la nomination de
l'amiral Duperré comme un véritable danger
public.
Voilà un homme dont les opinions ne sont
pas douteuses, et que non seulement l'on
épargne, mais encore que l'on nomme au grade
le plus élevé de la marine. (Très bien 1 très
bien! sur divers bancs à gauche.)
Ne savez-vous donc pas que cet homme n'a
jamais eu qu'une religion, celle pour laquelle
il a abandonné son pays en 1870 : le bonapar-
tisme?
Je me résume. Oui ou non, les faits allégués
contre l'amiral Duperré sont-ils exacts? S'ils
sont exacts, on peut dire qu'il a été un mau-
vais républicain et un mauvais patriote; s'ils
ne sont pas exacts, pourquoi le ministre de la
justice n'a-t-il pas poursuivi et confondu les
calomniateurs? rrrès bien ! très bien 1 à gau-
che. — Bruit).
Rien ne saurait prévaloir contre cette
-dernière interrogation, qui domine tout le
débat. A cette interrogation, on s'est bien
gardé de répondre. Pourquoi, en effet, n'a-
voir pas traduit en cour d'assises les jour-
naux qui ont dénoncé le scandale et le
danger que constitue l'appel de M. Duperré
au commandement de notre escadre la plus
importante? C'est qu'en cour d'àssisëâ la
preuve des faits est possible, et que c'est
cette preuve qu'on redoute, qu'on veut
éviter par-dessus tout. Il est vrai qu'au-
jourd'hui elle n'ajouterait guère peut-être
à l'écrasante preuve morale qui résulte de
ce débat, où le ministre de la marine a ob-
servé un silence si cruellement signifi-
catif.
Le ministre de la marine
M. Barbey s'est en effet, comme nous le
disions au début, tenu tout le temps, au
cours de sa très brève réponse à l'inter-
pellation, dans des généralités aussi peu
concluantes que possible.
Il a reproché à la campagne engagée
contre M. Duperré de porter atteinte à la dis-
cipline, il a déclaré absolument inexacts les
faits allégués par M. Ernest Roche. Quant à
prouver cette inexactitude, il n'a même pas
essayé de le faire.
Je sais le but que l'on poursuit, a ajouté le
ministre. La campagne devait se faire au mois
de septembre, au moment où l'illustre amiral
Dupetit-Thouars, que nous regrettons tous
(Très bien ! très-bieu I) et qui connaissait son
successeur, devait quitter son commandement.
Le but poursuivi, c'était d'empêcher la nomi-
nation de celui que je considère comme le
plus digne. (Très bien 1 très bien 1 à droite.)
Sans tenir compte des services rendus de-
puis vingt ans, des hautes situations données
à l'amiral Duperré par les chefs les plus érni-
neuis et les plus respectés de notre marine,
on a essayé de transformer un devoir doulou-
reux, loyalement accompli, on je ne sais quel
acte indigne entachant non seulement l'ami-
ral Duperré, mais tous les amiraux, tous les
ministres, tous les gouvernements qui ont de-
puis cette époque confié au commandant, au
contre-amiral, au vice-amiral Duperré les pos-
tes les plus importants.
Comme on le voit, c'est une sorte de pres-
cription qu'a invoquée M. Barbey. Comme
si, en matière d'honneur, la prescription
pouvait jamais être acquise !
Le ministre a ensuite déularé que M. Du-
perré avait été considéré, par l'amiral Po-
thuau et par le gouvernement de M. Thiers,
comme ayant rempli son devoir en 1870. Il
a rappelé ses états de services depuis lors -
dans les conseils de l'amirauté et les pré-
fectures maritimes *, il a fait l'éloge de son
dossier qui est « admirable », dit-il. Ce dos-
sier, on ne l'a d'ailleurs pas fait voir.
C'est pourquoi, a déclaré M Barbey, je re-
vendique la liberté de mes choix et la respon-
sabilité de cette nomiuation.
Croyez-vous, du reste, que je n'aie pas souci
de la responsabilité qui m'incombe comme
ministre de la marine, et que je ne sois pas
préoccupé des éventualités qui peuvent se
produire? Je n'ai choisi l'amiral Duperré
comme commandant de l'escadre qu'après
avoir étudié son dossier, et si je l'ai choisi,
c'est parce qu'il présentait toutes les garan-
ties pour succéder au regretté amiral Dupetit-
Thouars.
Tout cela est à merveille. Mais la réponse
à tant d'allégations précises, où la trou-
ve-t-on ?
Son absence a produit, sur la Chambre
entière, l'impression la plus fâcheuse.
Le ministre a conclu en demandant mo-
destement le vote de l'ordre du jour pur et
simple.
Deux répliques
L'auteur de l'interpellation a riposté, en
peu de mots, de la façon que voici ;
M. Kruest Roche. — Je constate que M. le
ministre n'a pas contredit un seul des faits
que j'ai cités. (Bruit.) Il ne nous a pas seule-
ment indiqué dans quelles circonstances l'a-
miral Duperré s'est battu pour la France. La
vérité est qu'il ne s'est battu nulle part.
S'il survenait une guerre eu. opéenne (In-
terruptions. — Aux vuix 1), l'escadre de la Mé-
diterranée serait la première aux prises, et il
faudrait que les forces de nos marins fussent
multipliées par la confiance et le respect que
doit leur inspirer leur chef.
Or. je vous demande si cette confiance et ce
respect peuvent exister quand vous confiez le
plus important commandement à un homme
sur lequel planent de pareils soupçons ?(Nou- l
velles interruptions.)
C'est pourquoi je dépose l'ordre du jour
suivant :
« La Chambre, n'admettant pas qu'un offi-
cier supérieur, commandant en chef notre es-
cadre de la Méditerranée,puisse être l'objet de
la moindre suspicion, passeà l'ordre du jour. »
(Bruit et mouvements uivers.)
Et comme, en présence de cet ordre du
jour motivé, M. Barbey persistait à récla-
mer l'ordre du jour pur et simple, M. Mau-
jan est venu, en quelques paroles énergi-
ques, prendre acte de l'insuffisance abso-
lue des explications du ministre et appeler
une résolution catégorique, indispensable
à coup sûr en une telle circonstance.
Voici, d'ailleurs, en quels termes s'est ex-
primé le député de la Seine :
M. ManJall. — L'interpellation qui a été
apportée ici ne l'a pas été de notre initiative;
nous pouvons tous regretter que des questions
de ce genre soient discutées a la tribune; mais
quand elles le sont, le devoir du Parlement est
de les résoudre catégoriquement. (Applaudis-
sements à l'extreme gauche.)
Nous espérions que M. le ministre viendrait
défendre a cette tribune un amiral peut-être
calomnié. Nous espérons encore qu'il viendra
nous dire d'une façon nette, précise,qu'en 1870
l'amiral Duperré, après avoir rempli auprès
du prince impérial la mission qui lui était
confiée, a fait comme l'amiral Jurien de la
Gravière ot est revenu en France combattre
l'ennemi, avec ceux qui, la main crispée sur le
drapeau, luttèrent et sauvèrent l'honneur de
la France. (Applaudissement à gauche.)
Si, au contraire, l'amiral Duperré a préféré
son métier de courtisan à son rôle de soldat
(Très bien! très bien! à l'extrême gauche.), s'il
n'a pas compris qu'après le h septembre sa
mission était terminée, et s'il n'est pas revenu
combattre en France avec ses camarades, le
devoir du ministre était de ne pas le nommer
à l'un des premiers postes de notre marine.
(Applaudissements à l'extrême gauche.)
M. Barbey est demeuré sourd — et pour
cause ! — aux éloquentes adjurations de
M. Maujan.
M. de Douville-Maillefeu
Et ce débat si grave s'est trouvé finir sur
une dissertation fantaisiste de qui ? De M.
de Dou viHe- Maillefeu!
Nous n'insisterons guère sur les propos
du député de la Somme. Il est ancien offi-
cier de marine, on le sait, et il a appris à la
Chambre que M. Charles Duperré était son
camarade. C'est donc la camaraderie qui a
dicté son intervention. Et puis, d'aucuns
rappelaient que M. de Douvilie a un fils
enseigne de vaisseau, que l'amiral Duperré
est tout-puissant rue Royale, et que M. de
Douville est un bon père de famille.
Donc, le tumultueux orateur a commencé
par traiter de « misérables » les accusa-
teurs du camarade Duperré. Vous recon-
naissez là son aménité ordinaire ! Il a loué
la capacité et l'intelligence du même ca-
marade et répété, après le ministre, que
ledit camarade avait fait tout son devoir
en 1870. Ce n'est qu'une appréciation, - et
une appréciation de - M.. de Douvilie !
— La. nomination de, Duperré comme
commandant de L'escadre, a-ttil ajouté,
était certaine dès le jour où il fut appelé
à la préfecture maritime de Toulon. C'est
la marche ordinaire suivie dans la marine.
Mais vous ignorez l' A B C des questions
maritimes, vous ignorez des choses que
savent en Angleterre des petites filles de
douze ans.
M. de Douville est, on le voit, aussi aima-
ble pour ses collègues que pour les journa-
listes. On s'est borné à rire de sa sortie.
Enfin M. de Douvilie a ajouté cette phrasu
extraordinaire :
Je n'ai jamais eu les mêmes opinions que
Charles Duperré, mais je crois pouvoir certi-
fier que depuis le jour où le prince impérial
est mort, il s'est donné sans arrière-pensée. au
gouvernement de son pays.
N'est-ce pas un comble, que ce certificat
de républicanisme donné par le camarade
Douville au camarade Duperré ?
Le résultat de la discussion ? On le con-
naît déjà.
L'ordre du jour pur et simple a été voté
par 385 voix contre 60. Il y a donc eu hh5
votants, ot par conséquent 130 abstentions.
Tous ces abstentionnistes étant républi-
cains, on voit quelle part revient, cette fois
encore, à la Droite dans le vote qui a ter-
miné cette interpellation.
[On a continué, pendant le reste de laséance..
la discussion sur les maïs et les riz. Comme
le droit sur les maïs, le droit sur les riz a été
voté à, une grosse majorité : 311 voix contre
193. Les articles du projet de la commission
sont maintenant adoptes. Mais il reste un cer-
- tain - nombre - d'articles - additionnels par -- les-
quels divers députés voudraient tempérer un
peu la rigueur des droits établis. La discus-
sion de ces dispositions additionnelles a été
à peine effleurée hier; elle continuera lundi.
Au début de la journée, M. Floquet avait
annoncé le dépôt d'une demande en autorisa-
tion de poursuites contre un député. Il s'agit,
paraît-il, de M. Hervieu, député de l'Yonne, à
propos d'une altercation a laquelle aurait
donné lieu sa toute récente élection.]
LE DEVOIR DE M. VIGftOIl
Contrainte tardive. — Noblesse oblige
Le Journal des Fonctionnaires nous ap-
prend que l'administration de l'enregistre-
ment s est enfin décidée à décerner une
contrainte contre la société Abadie et com-
pagnie, en paiement de 67,000 francs pour
droits non payés depuis 1876, chiffre dans
lequel ne figurent pas, bien entendu, les
cinquante-trois amendes, pouvant s'élever
chacune à 6,335 francs, dont est passible la
sociétés
Le Journal des Fonctionnaires ajoute :
On espère bien que cette affaire ne sera point
enterrée par l'administration, qu'elle sera, au
contraire, suivie avec activité, et que, dans le
cas où la société Abadie ferait opposition à la
contrainte, il ne s'écoulera pas un délai de
deux ans avant que le tribunal de la Seine
prononce son jugement dans une affaire qui
ne soulève aucune espèce de difficultés.
Nous ne ferons pas à M. Vignon l'injure
de nous associer à ce vœu. Bien qu'il ait
agi dans un intérêt privé, il a déjà mérité
des éloges pour avoir uns l'enregistrement
sur la piste d'une importante rentrée. Il
continuera dans cette voie. Il oubliera qu'il
est devenu le gendre de M. Abadie, pour se
rappeler qu'il est non seulement consul,
chevalier de la Légion d'honneur, etc., mais
encore beau-fils, chef de cabinet et con-
seiller intime de M. le ministre des finances.
S'il s'occupe encore de cette affaire, ce ne
sera donc pas pour en retarder la solution;
ce sera pour prendre énergiquement la dé-
fense des intérêts du Trésor et pour hâter
le paiement qu'il a apporté en dot à M.
Abadie.
Situation, comme noblesse, oblige.
Le U. t~t~M JE te vend & eenc
Gt 1Np8Ile.
CHRONIQUE
Un de nos confrères s'amusait, hier ma-
tin, à propos des lettres d'Eyraud, —
vraies ou fausses, — qui ont été publiées
il y a quelques jours, à rechercher des
lettres d'assassins illustres.Ces messieurs
écrivent beaucoup, en général. Ce sont
des âmes expansives. J'ai parlé ici, jadis,
de la très curieuse collection de M. Der-
riard, qui a le plus riche dossier qui se
puisse imaginer de ces autographes qui
sentent le sang. Au demeurant, ce sont
là des documents sur lesquels peut s'exer-
cer la sagacité. ou l'imagination des cri-
minalistes. On sait que le processeur Lom-
broso prétend distinguer l'écriture des
homicides de celle des voleurs, ce qui est
aller un peu loin. Il est vrai que quelques
petits déboires qu'il a éprouvés ont pu
faire douter de l'absolue sûreté de ses
conclusions.
Un autre médecin criminaliste, le doc-
teur Emile Laurent, ne prétend pas éta-
blir des divisions aussi subtiles d'après
l'examen de l'écriture d'un détenui mais
il relève certains traits caractéristiques
chez les gredins de toute catégorie, la
lourdeur, l'irrégularité des lettres, une
certaine tendance à les écraser. Ce sont
là, en somme, malgré tout, des observa-
tions assez vagues.
Le docteur Laurent, au cours de son
vaste travail sur les « Habitués des pri-
sons », qu'il vient de donner, et où il a
résumé ses études sur le monde de la
haute pègre que ses fonctions l'ont misa
même de bien connaître, fournit des no-
tes plus curieuses, en ce qui concerne la
manie d'écrire des criminels. Il parle de
leur « littérature M, et il corrobore, d'a-
près sa propre expérience, cette assertion
que la prison fait aisément éciore des
a vocations » inattendues. Le désoeuvre-
ment et l'ennui suffisent, au reste, à les
expliquer. Il est peu de condamnés qui,
s'ils ont quelque semblant d'instruction,
ne se transforment volontiers en poètes
ou en philosophes. Quels poètes, et quels
philosophes l
Pendant son séjour, comme médecin,
dans les prisons de Paris, il s'était plu a
collectionner ces élucubrations de déte-
nus, il a puisé abondamment dans ses
archives, pour essayer de déterminer les
traits, caractéristiques de ces écrits de
précieux coquins. Le profeseur Lombroso,
qui a peut-être été dupé parfois (ces mé-
saventures arrivent aux savant:Ù- citaih
avec étounemeat quelques poésies, d'un
véritable-souftle ou d'uue belle inspira-
tion, composées par d'allreux bandits.
Le docteur Laureut est plus sceptique à
l'égard de ces contradictions singulières.
Il confesse que, dans les prisons de Paris,
du moins, il ne lui est guère jamais passé
par les mains de la prose ou des vers qui
eussent quelque valeur.Au reste,d'une fa-
çon générale, il semble n'avoir pas gardé
beaucoup d'illusions sur l'aptitude à re-
venir au bien, ou même à ressaisir quel-
ques lueurs de raison droite, de tous ces
malheureux, qu'il a vus de près.
La plupart de ces bizarres morceaux
composés par des prisonniers sont odieu-
sement déclamatoires, aussi vides dépen-
sée que ridicules d'expression. Ils con-
tiennent, le plus souvent, des récrimina-
tions contre l'opinion qui les flétrit,
de vagues théories sur la légitimité
de leurs méfaits. Mais ce qui serait pré-
cisément la chose à noter, c'est l'absence
d'une idée personnelle, le manque de sin-
cérité. L'intérêt ne peut guère être éveillé,
ça et là, que par une phrase naïve ou
d'une tournure surprenante.
Un relieur, détenu à la Santé, s'écriait
ainsi, à la fin de strophes de sa façon,
après avoir tonné contre la réprobation
qui s'attache à l'homme qui a commis une
faute :
De quel droit
Chacun se permet-il de le montrer du doigt?
Un autre, un faussaire, se piquait de
plus de prétention, et, dans un réquisi-
toire violent contre la société, il émettait,
avec toutes sortes de comparaisons géo-
logiques, cette opinion que lea jugea ne
tenaient nullement compte des condi-
tions de l'humanité Î h Le sous-sol, pour
être situé plus bas et plus loin de la lu.
mière, est-il, par hasard, moins impor-
tant que la croûte extérieure? » Ces pé-
riodes à effet donnent une idée assez
exacte de toute une catégorie de cette lit-
térature de prison.
Les autobiographies, écrites avec une
incroyables fatuité, sont aussi abondan-
tes ; ou ce sont des descriptions satiri-
ques de la prison et de son personnel. Un
certain Lepage, condamné au bagne pour
avoir tué un gardien de maison cen-
trale, ne dédaignait pas de mêler des sou-
venirs de théâtre à ces tableaux réalis-
tes : --
De là aussitôt on vous mène
Devant les gros de l'administion.
C'est le prétoire, et cela nous ramène
Au cinquième acte du Courrier de Lyon.
Vous y voyez monsieur le directeur,
Un hypocrite, un âne décoré.
Les directeurs sont naturellement fré-
quemment visés. Un autre de ces poètes
de centrale le prend sur le ton lyrique,
pour exhaler sa rancune contre le fonc-
tionnaire qui lui a infligé quelque puni-
tion :
Directeur, toi, vieillard hypocrite,
Si, par tes crimes, tes cheveux ont blanchi
Ne crains-tu pas, toi et tes a olytes,
De tes méfaits de recevoir le prix 1
Qu'importent les fautes de prosodie?
Le sentiment y est, n'est-ce pas? Mais le
genre idyllique, la berquinade, est aussi
cultivé, et plus souvent, à ce qu'assure
M. Laurent, qu'on ne serait porté à la
croire. Cela ne prouve rien, du reste, sur
les dispositions intimes de a l'auteur ». D
refait grossièrement, seulement, quelque
chanson qui est restée dans sa memoIre.
précisément faute* d'imagination et d'i-
- d." persoQûeUe», Ainsi, un ^bomiuab]*
CINQ Centimes — Paris et Départements — CINQ Centimes
LUNDI 9 JUIN 1800
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LES
B p 1 S îl 1
Une question qui manque d'actua-
lité vient de se poser à l'improviste,
et l'on peut dire qu'elle se présente
d'autant plus opportunément que sa
solution ne répond à aucun besoin
immédiat. Il s'agit de savoir quelle
serait, en cas de guerre, la situation
des députés qui ne sont pas entière-
ment libérés de toute obligation mili-
taire. La chose vaut la peine d'être
examinée ; car, dans la Chambre ac-
tuelle, il y a plus de deux cents dépu-
tés qui appartiennent soit à la réser-
ve de l'armée active, soit à l'armée
territoriale, et maintenant que le ser-
vice militaire dure jusqu'à l'âge de
quarante-cinq ans, le Sénat lui-même
verrait quelques-uns de ses membres
appelés sous les drapeaux.
Au mois de février 1887, lors de l'af-
faire Schnsebelé, quelques députés
voulurent connaître l'avis du ministre
de la guerre sur la situation des dépu-
tés qui avaient des devoirs militaires
remplir, et M. le comte de Martim-
prey écrivit dans ce but au général
Boulanger. Celui-ci répondit par deux
lettres, à trois jours de distance. Dans
la première, il exprime l'avis que les
députés, comme tous les autres Fran-
çais, doivent rejoindre sans délai le
corps auquel ils sont attachés, et que,
l'incompatibilité existant entre le
mandat de député et le service mili-
taire, ti ils pourraient, après la mobi-
lisation, être considérés comme dé-
missionnaires ipso facto ». Dans la se-
conde lettre, le ministre de la guerre
se plaint que "sacommunication ait été
traduite dans un sens précisément op-
posé à ses vues personnelles JI, et il
ajoute que, dans des entretiens avec
d'autres députés, « il a exprimé l'opi-
nion que, lors d'une mobilisation, la
place des membres du Parlement
jeunes et actifs lui semblait plus utile
à la Chambre qu'au milieu des trou-
pesM. -
Ces opinions successives man-
quaient évidemment de méthode, et,
pour sortir d'embarras, on décida que
sa question serait soumise au Parle-
ment lors de la discussion de la loi,
Jnilitaire. Mais aucune suite ne fut
donnée à ce projet, et la situation des
députés n'est pas mieux réglée aujour-
d'hui qu'elle ne l'était il y a trois ans.
Cette lacune est grave, car, en cas de
prévision d'hostilités, la mobilisation
peut précéder la déclaration de guer-
re, et si ces députés doivent rejoindre
immédiatement leur corps, si, aussi-
tôt sous les drapeaux, ils sont consi-
dérés comme démissionnaires, il arri-
vera que ce sera seulement un tronçon
de la Chambre qui participera au vote,
qui prendra la décision la plus grave,
et qu'une très notable partie du corps
électoral sera destituée du moyen
d'exprimer son avis et du moyen d'in-
fluer sur le résultat du scrutin.
Même après la déclaration de guerre,
le rôle des Chambres n'est pas ter-
miné. Sans attendre d'elles qu'elles
jouent à la Convention et qu'elles dé-
crètent la victoire, il est bien évident
qu'elles ont une action considérable à
exercer. Ce n'est pas le moment de
clore la session et de suspendre l'ac-
tion parlementaire. Si le régime par-
lementaire est bon, c'est surtout dans
les circonstances les plus graves qu'il
doit s'exercer dans sa plénitude. S'il est
mauvais, il ne faut point attendre, pour
s'en débarrasser,le moment où le pays
tout entier sera troublé dans toutes
ses habitudes et où un régime nouveau
ne pourrait s'établir que dans des
conditions improvisées et par consé-
quent grosses d'incertitudes et d'in-
connu. Puisque cette seconde hypo-
thèse paraît peu vraisemblable,et puis-
que on veut maintenir le régime
parlementaire, la permanence des
Chambres pendant la guerre paraît
S'imposer comme une nécessité.
-, Il faut donc régler la question pen-
dant qu'on peut l'envisager sous ses
divers aspects et qu'on a toute liberté
d'esprit pour chercher la solution. Il
faut assurer au pays le moyen de
prendre part, dans la mesure qui lui
appartient, à la direction des affaires
publiques, surtout dans le moment où
ses destinées sont le plus en jeu. Déjà
un député boulangiste a annoncé l'in-
tention de proposer qu'en cas de
guerre les Chambres fussent dissoutes
et que le pouvoir exécutif fût muni de
pouvoirs absolus, ce qui n'estévidem-
ment pas la solution parlementaire de
l'affaire. De son côté, M. Camille
Dreyfus propose que, par application
de la loi Tréveneuc, les conseils géné-
raux soien tappelés à élire des dépu-
tés suppléants chargés de remplacer
les députés appelés sous les drapeaux.
Ceci pourrait être un procédé, car il
faut remarquer que ce qui complique
la situation, c'est que, en même temps
que la Chambre serait diminuée d'un
tiers de ses membres, le corps électoral )
serait lui-même diminué de tous les
hommes au-dessous de quarante-cinq
ans et que, par conséquent, le suffrage
universel ne pourrait non plus fonc-
tionner pour pourvoir aux vacances de
sièges.
Mais d'autres systèmes peuvent être
opposés à celui de M. Dreyfus, et nous
n'avons pas à indiquer de solution.
L'essentiel, c'est que l'on fasse quel-
que chose et qu'une loi règle la ques-
tion qui vient d'être soulevée. Le seul
point sur lequel il ne peut y avoir
d'hésitation, c'est que, contrairement
à la seconde opinion, de l'ancien mi-
nistre de la guerre, la place de tous
les Français en âge de servir est, au
jour du danger, sous. les drapeaux. La
loi militaire a aboli; en cas de guerre,
tous les motifs d'exemption. Une dis-
position additionnelle n'en saurait
créer une en faveur de:? députés.
Le a XIX" Siècle » publiera domain la
« Chronique a par M. Francisque Sarcey.
ÉLECTION SÉNATORIALE
Une élection sénatoriale a lieu aujour-
d'hui dans le Lot-et-Garonne, en remplace-
ment de M. Laporte, républicain, décédé.
M. Fallières, ministre de la justice, dé-
puté de Nérac, est candidat.
LÉGION D'HONNEUR
Le Journal officiel publie ce matin un ar-
rêté déclarant qu'il peut être fait dans
la Légion d'honneur et dans la Médaille
militaire, du lIr juin au 1er décembre 1890,
les promotions et nominations suivantes :
L Militaires Civils
zâ — —
Grands-officiers. h 1
Commandeurs. 35 13
Officiers. 125 27
Chevaliers. 596 60
Médailles militaires.. 869 »»
VIENNE PORT DE MER
(DB NOTRE CORRESPONDANT PARTICULIER)
Vienne, 7 juin.
M. Krupp, le grand fabricant de canons
d'Essen, a adressé au gouvernement autri-
chien un plan pour la construction d'un
canal mettant le Danube, et Vienne, par
conséquent, en communication avec l'Adria-
tique.
UNE LETTRE DU GÉNÉRAL BOULANGER
L'exil ne rend pas le général Boulanger
indulgent pour ses amis.
M. Castelin, député de l'Aisne, vient de
recevoir la lettre suivante, qui pourrait
bien être une réponse indirecte à l'inter-
view de M. Henri Rochefort publié par le
Xl Xe Siècle, et dans lequel le rédacteur en
chef de VIntransigeant a communiqué à
notre collaborateur une lettre si suggestive
du général Boulanger :
« Jersey, Sainfc-Brelade villa,
3 iuin 1890.
» Mon cher Castelin,
M J'ai l'habitude de lire toutes les lettres
qui me sont adressées, afin d'y chercher
re.cpression du sentiment public, et de ré-
pondre au plus grand nombre d'entre elles.
Mais ces réponses, qui ne se peuvent com-
prendre séparées des lettres qui y ont don-
né heu, ne sont pas faites pour la publicité,
et bien moins encore pour servir à ceux qui
les ont reçues de brevet politique quelcon-
que ou de recommandation d'entreprises
que, souvent, j'ignore.
» 11 a été fait jusqu'ici beaucoup trop
abus de ces publications. Voulant conti-
nuer à remplir un devoir de courtoisie en-
vers ceux, amis connus ou inconnus, qui
m'adressent leurs avis, leurs réflexions ou
leurs témoignages de sympathie, je crois
pouvoir attendre d'eux, en revanche, qu'ils
observent une discrétion commandée par
la loyauté.
» Quand je voudrai parler au peuple, je le
ferai comme il convient, pour l'entretenir
de choses qui l'intéressent et sur lesquelles
il a le droit de désirer connaître mon opi-
nion, et non pour lui dire mes sentiments
à l'égard des personnes.
n Je vous prie donc, mon cher ami, de
bien vouloir mettre le public en garde con-
tre l'abus qui a été fait de ma signature, et
de rappeler à mes correspondants que si
on a le droit d'exiger que le secret des let-
tres soit respecté par le pouvoir et ses
agents, c'est à la condition de le respecter
soi-même.
n Avec tous mes remerciements, je vous
envoie une affectueuse poignée de main.
» Général BOULANGER. »
MORT DU PRINCE BIBESCO
Un ami de la France
Le prince Nicolas Bibesco, fils du dernier
hospodar de Valachie, est mort mardi der-
nier, à i'âge de cinquante-trois ans, dans
son château, près de Bucarest. 11 a succom-
bé à un malaise contracté à la Chambre des
députés, où il avait fait un très éloquent
discours contre la demande d'un crédit
pour les fortifications présentée par le mi-
nistère.
Le prince Nicolas Bibesco était un des
hommes les plus remarquables de son
pays.
Il a fait, dans l'armée française, la cam-
pagne d'Afrique comme aide de camp du
générai Randon. Il a également pris part à
la guerre franco-allemande, et pendant le
siège de Paris, il était l'aide de camp du
général Trochu.
Rentré dans son pays, il essaya d'y fonder
l'industrie du sucre ; mais sa fortune som-
bra dans cette patriotique entreprise.
En 1888, les électeurs de Gorj l'envoyè-
rent siéger à la Chambre.
Le prince Bibesco n'était pas seulement
un officier distingué, un orateur de grande
valeur, mais aussi un écrivain de mérite.
li a publié entre autres, après la guerre
d'Afrique, dans la Revue des Deux- Mondes,
des articles très remarqués sur l'ethnogra-
phie de l'Algérie.
Il avait épousé, en 1860, Mlle Hélène d'El-
chingen, petite-fille du, jnaréçhai Ney, dont
il a eu trois enfants.
—
L'AMIRAL DUPERRÉ
INTERPELLATION A LA CHAMBRE
Histoire d'un scandale. — Accusations
sans réponse. — L'attitude de M. Bar-
bey. — L'intervention de M. Mau-
jan. — L'ordre du jour pur et sim-
ple.—Un vote qui ne prouve rien
L'interpellation sur le cas de l'amiral Du-
perré a été discutée devant la Chambre. Le
débat, qui a été plus mouvementé qu'éten-
du, confirme pleinement la campagne que
le XIXe1 Siècle, bientôt suivi par une grande
partie de la presse républicaine, a menée
éontre le nouveau commandant de l'esca-
dre de la Méditerranée.
L'accusation a été produite, en effet, ou
pour mieux dire renouvelée à la tribune.
Mais la réfutation en est encore à venir. M.
Barbey, ministre de la marine, n'a pu op-
poser aux articulations formulées que des
phrases vides et de pompeuses déclama-
tions.
Oa doit maintenant considérer la cause
comme entendue. M. Charles Duperré est
jugé. Il l'est même par la plupart des dépu-
tes qui ont, en cette rencontre, consenti à
accorder au ministre de la marine l'ordre
du jour pur et simple dont ce dernier s'est
contenté.
Ces députés qui se sont ainsi résignés à
voter, quoique parfaitement édifiés, cet
ordre du jour pur et simple, ont obéi à des
scrupules de divers ordres : les uns ont
reculé devant la perspective de condamner
par un vote éclatant un homme à qui a été
confié, même à tort, même le plus impru-
demment du monde, un rôle important
dans la défense nationale; les autres —
plus nombreux — n'ont pas voulu émettre
un blâme que n'eût certes guère pu sup-
porter un membre du cabinet.
Mais il suffisait d'entendre, dans les cou-
loirs, les conversations de ceux-là mêmes
qui avaient, malgré tout, voté comme le
leur demandait M. Barbey, pour compren-
dre que si nombre de représentants avaient
reculé devant une exécution, du moins
leurs consciences étaient éclairées. Et com-
ment ne Feussent-ciles pas été en effet
après la réponse, ou, pour mieux dire,
l'absence do réponse de M. Barbey ?
M. Ernest Roche
La discussion immédiate de l'interpella-
tion ayant été ordonnée, M. Ernest Roche
est monté à la tribune.
C'est en effet le député boulangiste du
dix-septième arrondissement qui s'était
chargé d'appeler les explications du gou-
vernement sur cette grave affaire. IL est
profondément regrettable — nous l'avons
dit déjà — que la majorité ait laissé à un
membre de l'opposition, à un boulangiste.
le soin de prendre cette initiative. M. E.
Roche, lui jUiW Sèriible voir compris
que sa personnalité et ses opinions ne pou-
vaient que nuire à la tâche qu'il avait en-
treprise.
Je déclare sincèrement, a-t-il dit, que j'au-
rais préféré qu'un autre que moi prît l'initia-
tive de l'interpellation.
Depuis trois semaines, je m'attendais à voir
monter à cette tribune soit un député de
l'extrême-gauche pour demander des ex-
plications au gouvernement, soit un député
du centre pour lui fournir l'occasion de ré-
duire à néant les accusations portées contre
un officier général.
Mais personne n'est venu, et, cependant, le
scandale a eu lieu et il continue. (Bruit sur
plusieurs bancs.)
J'étais d'autant plus autorisé à voir porter
la question à la tribune, que chaque jour, et
cela de la part des organes les moins sus-
pects d'hostilité systématique, je lis des invi-
tations au gouvernement d'avoir à rassurer
ou à éclairer l'opinion.
Et l'interpollateur a alors donné lecture
de divers articles de la Justice, du Rappel,
du XIX0 Siècle, de bien d'autres journaux
encore, relevant, à la charge de l'amiral Du-
perré, les faits que nos lecteurs connaissent
bien.
Ce procédé de discussion, pourtant fort
naturel, a soulevé la colère de M. de Dou-
ville-Mailleteu, lequel n'aime pas les jour-
naux, comme chacun sait.
— Est-ce fini de toutes ces tartines 1 s'est-
il écrié. Donnez-nous votre avis et non celui
des journaux f Faites votre métier de dé-
puté !
- Monsieur, a gravement interrompu de
sa place M. Gabriel, député boulangiste de
Meurthe-et-Moselle, être député ce n'est
pas un métier, c'est un sacerdocû ! (Rires
nombreux. >
Et comme M. Floquet déclarait à M. de
Douville n'avoir pas besoin de son aide
pour diriger les débats : -
— Eh bien ! a répondu le député de la
Somme, je déposerai une proposition de
modification au règlement, afin qu'il ne
soit pas permis de lire des tartines à la tri-
bune.
M. de Douyille tient, on le voit, à ce noble
mot de tartinè. Mais laissons cela et reve-
nons aux choies sérieuses.
L'accusation
M. Ernest Roche a continué, luttant de
son mieux contre des interruptions inces-
santes. Voici comment il a. résumé l'acte
d'accusation dressé par tant de journaux
contre M. Duperré :
En deux mots, l'amiral Duperré est accusé
de n'avoir pas fait son devoir en 1670. La
guerre l'a surpris capitaine de vaisseau à
l'âge de trente-huit ans, alors que la moyenne
d'âge pour les officiers de ce grade est de
cinquante ans. (Bruit sur divers bancs).
Capitaine de vaisseau à cet âge, il s'agirait
de' savoir quelle conduite a tenue cet ofiicier
supérieur pendant l'effroyable tourmente de
1870. A-t-il fait son devoir? On le dit. Mais
pendant que Bergasse Dupetit-Thouars se fai-
sait blesser à Strasbourg, que Jaurréguiberry
secondait les efforts de Chanzy, que Pothuau
défendait Paris, M. Duperré restait auprès du
prince impérial, dont il gardait la précieuse
personne, attendant uniquement une dépêche
des Tuileries, à tei point que lorsque cette
dépêche arrive il passe en Belgique, et, de là,
va en Angleterre rejoindre sa souveraine, line
rentre en France qu'après que le dernier coup
de canon a été tiré.
L'interpellateur, a ensuite abordé l'exa-
men des arguments timidement invoqués
par ceux qui ont essayé de présenter la dé-
fense de l'amiral. Il a été ainsi amené à ré-
futer la fameuse note officieuse de l'agence
Havas, note dont il a été fait justice ici-
même.
Cette note nous représente l'amiral Duperré
comme prisonnier de la Belgique. Il n'en est
rien. Jamais il n'a été prisonuier en Belgique.
M. Barbey, ministre de la marine. — C'est
faux. 11 a été prisonnier de guerre en Belgi-
que. J'ai la pièce qui le prouve entre les
mains. (Bruit sur divers bancs.)
M. Le Myre de Vilers. — fi est impossible
d'entendre accuser ainsi QD qUicior généra.
fïiouYww bruit.)
M. le président — Monsieur te Myre de
Vilers. si vous croyez me déterminer à res-
treindre la liberté de la discussion, vous n'y
parviendrez pas (Très bien ! très bien !)
M. Ernest Roche. — Un journal d'Avesnes,
ville où a passé le capitaine de vaisseau Du-
perré avec les cent-gardes qui escortaient le
prince impérial, témoigne que cet ofûcier su-
périeur, du 2 au A septembre, était à Avesnes,
Landrecies, Maubeuge, attendant l'ordre de
passer en Belgique.
Et ces renseignements sont confirmés par les
papiers secrets trouvés aux Tuileries, et que
l'agence Havas aurait dû consulter avant de
publier sa note.
Suit le rappel des fameuses dépêches, si-
gnées de M. Filon, établissant que M. Du-
perré n'a obéi qu'aux ordres de l'impéra-
trice, s'est exclusivement occupé de proté-
ger le prince impérial et n'a pris, malgré
les assertions du Temps démenties par les
faits, aucune part à la bataille de Sedan.
M. Roche a également cité l'article par le-
quel le Gaulois, sous prétexte de prendre
la défense de l'amiral Duperré, a formelle-
ment confirmé les charges accablantes re-
levées contre lui.
M. Paul de Cassagnac. — Il n'est pas res-
ponsable de ce journal.
1M. Ernest Ruche. — Puisque ses amis di-
sent que le commandant Duperré était là où
il devait être, j'ajouterai que c'est là qu'il de-
vait rester, et ne pas venir demander à la
France qu'il a quittée en 1870, à la République
qu'il abhorre, des grades et des honneurs. (In-
terruptions. )
M. llaibbard. - Et la République ouverte,
:¡qa'en faites-vous ? (Applaudissements.)
M. lîrnest Roche. — A ma connaissance,
l'amiral Duperré n'a pas demandé à y en-
trer.
Nous avons non seulement à assurer la pros-
périté en temps de paix, mais encore la dé-
fense du pays en temps de guerre. (Mouve-
ments divers.)
M. Barbey, ministre de la marine. — C'est
moi qui ai cette charge.
M. Erncst Roche. — Si réellement ces faits
sont exacts, je considère la nomination de
l'amiral Duperré comme un véritable danger
public.
Voilà un homme dont les opinions ne sont
pas douteuses, et que non seulement l'on
épargne, mais encore que l'on nomme au grade
le plus élevé de la marine. (Très bien 1 très
bien! sur divers bancs à gauche.)
Ne savez-vous donc pas que cet homme n'a
jamais eu qu'une religion, celle pour laquelle
il a abandonné son pays en 1870 : le bonapar-
tisme?
Je me résume. Oui ou non, les faits allégués
contre l'amiral Duperré sont-ils exacts? S'ils
sont exacts, on peut dire qu'il a été un mau-
vais républicain et un mauvais patriote; s'ils
ne sont pas exacts, pourquoi le ministre de la
justice n'a-t-il pas poursuivi et confondu les
calomniateurs? rrrès bien ! très bien 1 à gau-
che. — Bruit).
Rien ne saurait prévaloir contre cette
-dernière interrogation, qui domine tout le
débat. A cette interrogation, on s'est bien
gardé de répondre. Pourquoi, en effet, n'a-
voir pas traduit en cour d'assises les jour-
naux qui ont dénoncé le scandale et le
danger que constitue l'appel de M. Duperré
au commandement de notre escadre la plus
importante? C'est qu'en cour d'àssisëâ la
preuve des faits est possible, et que c'est
cette preuve qu'on redoute, qu'on veut
éviter par-dessus tout. Il est vrai qu'au-
jourd'hui elle n'ajouterait guère peut-être
à l'écrasante preuve morale qui résulte de
ce débat, où le ministre de la marine a ob-
servé un silence si cruellement signifi-
catif.
Le ministre de la marine
M. Barbey s'est en effet, comme nous le
disions au début, tenu tout le temps, au
cours de sa très brève réponse à l'inter-
pellation, dans des généralités aussi peu
concluantes que possible.
Il a reproché à la campagne engagée
contre M. Duperré de porter atteinte à la dis-
cipline, il a déclaré absolument inexacts les
faits allégués par M. Ernest Roche. Quant à
prouver cette inexactitude, il n'a même pas
essayé de le faire.
Je sais le but que l'on poursuit, a ajouté le
ministre. La campagne devait se faire au mois
de septembre, au moment où l'illustre amiral
Dupetit-Thouars, que nous regrettons tous
(Très bien ! très-bieu I) et qui connaissait son
successeur, devait quitter son commandement.
Le but poursuivi, c'était d'empêcher la nomi-
nation de celui que je considère comme le
plus digne. (Très bien 1 très bien 1 à droite.)
Sans tenir compte des services rendus de-
puis vingt ans, des hautes situations données
à l'amiral Duperré par les chefs les plus érni-
neuis et les plus respectés de notre marine,
on a essayé de transformer un devoir doulou-
reux, loyalement accompli, on je ne sais quel
acte indigne entachant non seulement l'ami-
ral Duperré, mais tous les amiraux, tous les
ministres, tous les gouvernements qui ont de-
puis cette époque confié au commandant, au
contre-amiral, au vice-amiral Duperré les pos-
tes les plus importants.
Comme on le voit, c'est une sorte de pres-
cription qu'a invoquée M. Barbey. Comme
si, en matière d'honneur, la prescription
pouvait jamais être acquise !
Le ministre a ensuite déularé que M. Du-
perré avait été considéré, par l'amiral Po-
thuau et par le gouvernement de M. Thiers,
comme ayant rempli son devoir en 1870. Il
a rappelé ses états de services depuis lors -
dans les conseils de l'amirauté et les pré-
fectures maritimes *, il a fait l'éloge de son
dossier qui est « admirable », dit-il. Ce dos-
sier, on ne l'a d'ailleurs pas fait voir.
C'est pourquoi, a déclaré M Barbey, je re-
vendique la liberté de mes choix et la respon-
sabilité de cette nomiuation.
Croyez-vous, du reste, que je n'aie pas souci
de la responsabilité qui m'incombe comme
ministre de la marine, et que je ne sois pas
préoccupé des éventualités qui peuvent se
produire? Je n'ai choisi l'amiral Duperré
comme commandant de l'escadre qu'après
avoir étudié son dossier, et si je l'ai choisi,
c'est parce qu'il présentait toutes les garan-
ties pour succéder au regretté amiral Dupetit-
Thouars.
Tout cela est à merveille. Mais la réponse
à tant d'allégations précises, où la trou-
ve-t-on ?
Son absence a produit, sur la Chambre
entière, l'impression la plus fâcheuse.
Le ministre a conclu en demandant mo-
destement le vote de l'ordre du jour pur et
simple.
Deux répliques
L'auteur de l'interpellation a riposté, en
peu de mots, de la façon que voici ;
M. Kruest Roche. — Je constate que M. le
ministre n'a pas contredit un seul des faits
que j'ai cités. (Bruit.) Il ne nous a pas seule-
ment indiqué dans quelles circonstances l'a-
miral Duperré s'est battu pour la France. La
vérité est qu'il ne s'est battu nulle part.
S'il survenait une guerre eu. opéenne (In-
terruptions. — Aux vuix 1), l'escadre de la Mé-
diterranée serait la première aux prises, et il
faudrait que les forces de nos marins fussent
multipliées par la confiance et le respect que
doit leur inspirer leur chef.
Or. je vous demande si cette confiance et ce
respect peuvent exister quand vous confiez le
plus important commandement à un homme
sur lequel planent de pareils soupçons ?(Nou- l
velles interruptions.)
C'est pourquoi je dépose l'ordre du jour
suivant :
« La Chambre, n'admettant pas qu'un offi-
cier supérieur, commandant en chef notre es-
cadre de la Méditerranée,puisse être l'objet de
la moindre suspicion, passeà l'ordre du jour. »
(Bruit et mouvements uivers.)
Et comme, en présence de cet ordre du
jour motivé, M. Barbey persistait à récla-
mer l'ordre du jour pur et simple, M. Mau-
jan est venu, en quelques paroles énergi-
ques, prendre acte de l'insuffisance abso-
lue des explications du ministre et appeler
une résolution catégorique, indispensable
à coup sûr en une telle circonstance.
Voici, d'ailleurs, en quels termes s'est ex-
primé le député de la Seine :
M. ManJall. — L'interpellation qui a été
apportée ici ne l'a pas été de notre initiative;
nous pouvons tous regretter que des questions
de ce genre soient discutées a la tribune; mais
quand elles le sont, le devoir du Parlement est
de les résoudre catégoriquement. (Applaudis-
sements à l'extreme gauche.)
Nous espérions que M. le ministre viendrait
défendre a cette tribune un amiral peut-être
calomnié. Nous espérons encore qu'il viendra
nous dire d'une façon nette, précise,qu'en 1870
l'amiral Duperré, après avoir rempli auprès
du prince impérial la mission qui lui était
confiée, a fait comme l'amiral Jurien de la
Gravière ot est revenu en France combattre
l'ennemi, avec ceux qui, la main crispée sur le
drapeau, luttèrent et sauvèrent l'honneur de
la France. (Applaudissement à gauche.)
Si, au contraire, l'amiral Duperré a préféré
son métier de courtisan à son rôle de soldat
(Très bien! très bien! à l'extrême gauche.), s'il
n'a pas compris qu'après le h septembre sa
mission était terminée, et s'il n'est pas revenu
combattre en France avec ses camarades, le
devoir du ministre était de ne pas le nommer
à l'un des premiers postes de notre marine.
(Applaudissements à l'extrême gauche.)
M. Barbey est demeuré sourd — et pour
cause ! — aux éloquentes adjurations de
M. Maujan.
M. de Douville-Maillefeu
Et ce débat si grave s'est trouvé finir sur
une dissertation fantaisiste de qui ? De M.
de Dou viHe- Maillefeu!
Nous n'insisterons guère sur les propos
du député de la Somme. Il est ancien offi-
cier de marine, on le sait, et il a appris à la
Chambre que M. Charles Duperré était son
camarade. C'est donc la camaraderie qui a
dicté son intervention. Et puis, d'aucuns
rappelaient que M. de Douvilie a un fils
enseigne de vaisseau, que l'amiral Duperré
est tout-puissant rue Royale, et que M. de
Douville est un bon père de famille.
Donc, le tumultueux orateur a commencé
par traiter de « misérables » les accusa-
teurs du camarade Duperré. Vous recon-
naissez là son aménité ordinaire ! Il a loué
la capacité et l'intelligence du même ca-
marade et répété, après le ministre, que
ledit camarade avait fait tout son devoir
en 1870. Ce n'est qu'une appréciation, - et
une appréciation de - M.. de Douvilie !
— La. nomination de, Duperré comme
commandant de L'escadre, a-ttil ajouté,
était certaine dès le jour où il fut appelé
à la préfecture maritime de Toulon. C'est
la marche ordinaire suivie dans la marine.
Mais vous ignorez l' A B C des questions
maritimes, vous ignorez des choses que
savent en Angleterre des petites filles de
douze ans.
M. de Douville est, on le voit, aussi aima-
ble pour ses collègues que pour les journa-
listes. On s'est borné à rire de sa sortie.
Enfin M. de Douvilie a ajouté cette phrasu
extraordinaire :
Je n'ai jamais eu les mêmes opinions que
Charles Duperré, mais je crois pouvoir certi-
fier que depuis le jour où le prince impérial
est mort, il s'est donné sans arrière-pensée. au
gouvernement de son pays.
N'est-ce pas un comble, que ce certificat
de républicanisme donné par le camarade
Douville au camarade Duperré ?
Le résultat de la discussion ? On le con-
naît déjà.
L'ordre du jour pur et simple a été voté
par 385 voix contre 60. Il y a donc eu hh5
votants, ot par conséquent 130 abstentions.
Tous ces abstentionnistes étant républi-
cains, on voit quelle part revient, cette fois
encore, à la Droite dans le vote qui a ter-
miné cette interpellation.
[On a continué, pendant le reste de laséance..
la discussion sur les maïs et les riz. Comme
le droit sur les maïs, le droit sur les riz a été
voté à, une grosse majorité : 311 voix contre
193. Les articles du projet de la commission
sont maintenant adoptes. Mais il reste un cer-
- tain - nombre - d'articles - additionnels par -- les-
quels divers députés voudraient tempérer un
peu la rigueur des droits établis. La discus-
sion de ces dispositions additionnelles a été
à peine effleurée hier; elle continuera lundi.
Au début de la journée, M. Floquet avait
annoncé le dépôt d'une demande en autorisa-
tion de poursuites contre un député. Il s'agit,
paraît-il, de M. Hervieu, député de l'Yonne, à
propos d'une altercation a laquelle aurait
donné lieu sa toute récente élection.]
LE DEVOIR DE M. VIGftOIl
Contrainte tardive. — Noblesse oblige
Le Journal des Fonctionnaires nous ap-
prend que l'administration de l'enregistre-
ment s est enfin décidée à décerner une
contrainte contre la société Abadie et com-
pagnie, en paiement de 67,000 francs pour
droits non payés depuis 1876, chiffre dans
lequel ne figurent pas, bien entendu, les
cinquante-trois amendes, pouvant s'élever
chacune à 6,335 francs, dont est passible la
sociétés
Le Journal des Fonctionnaires ajoute :
On espère bien que cette affaire ne sera point
enterrée par l'administration, qu'elle sera, au
contraire, suivie avec activité, et que, dans le
cas où la société Abadie ferait opposition à la
contrainte, il ne s'écoulera pas un délai de
deux ans avant que le tribunal de la Seine
prononce son jugement dans une affaire qui
ne soulève aucune espèce de difficultés.
Nous ne ferons pas à M. Vignon l'injure
de nous associer à ce vœu. Bien qu'il ait
agi dans un intérêt privé, il a déjà mérité
des éloges pour avoir uns l'enregistrement
sur la piste d'une importante rentrée. Il
continuera dans cette voie. Il oubliera qu'il
est devenu le gendre de M. Abadie, pour se
rappeler qu'il est non seulement consul,
chevalier de la Légion d'honneur, etc., mais
encore beau-fils, chef de cabinet et con-
seiller intime de M. le ministre des finances.
S'il s'occupe encore de cette affaire, ce ne
sera donc pas pour en retarder la solution;
ce sera pour prendre énergiquement la dé-
fense des intérêts du Trésor et pour hâter
le paiement qu'il a apporté en dot à M.
Abadie.
Situation, comme noblesse, oblige.
Le U. t~t~M JE te vend & eenc
Gt 1Np8Ile.
CHRONIQUE
Un de nos confrères s'amusait, hier ma-
tin, à propos des lettres d'Eyraud, —
vraies ou fausses, — qui ont été publiées
il y a quelques jours, à rechercher des
lettres d'assassins illustres.Ces messieurs
écrivent beaucoup, en général. Ce sont
des âmes expansives. J'ai parlé ici, jadis,
de la très curieuse collection de M. Der-
riard, qui a le plus riche dossier qui se
puisse imaginer de ces autographes qui
sentent le sang. Au demeurant, ce sont
là des documents sur lesquels peut s'exer-
cer la sagacité. ou l'imagination des cri-
minalistes. On sait que le processeur Lom-
broso prétend distinguer l'écriture des
homicides de celle des voleurs, ce qui est
aller un peu loin. Il est vrai que quelques
petits déboires qu'il a éprouvés ont pu
faire douter de l'absolue sûreté de ses
conclusions.
Un autre médecin criminaliste, le doc-
teur Emile Laurent, ne prétend pas éta-
blir des divisions aussi subtiles d'après
l'examen de l'écriture d'un détenui mais
il relève certains traits caractéristiques
chez les gredins de toute catégorie, la
lourdeur, l'irrégularité des lettres, une
certaine tendance à les écraser. Ce sont
là, en somme, malgré tout, des observa-
tions assez vagues.
Le docteur Laurent, au cours de son
vaste travail sur les « Habitués des pri-
sons », qu'il vient de donner, et où il a
résumé ses études sur le monde de la
haute pègre que ses fonctions l'ont misa
même de bien connaître, fournit des no-
tes plus curieuses, en ce qui concerne la
manie d'écrire des criminels. Il parle de
leur « littérature M, et il corrobore, d'a-
près sa propre expérience, cette assertion
que la prison fait aisément éciore des
a vocations » inattendues. Le désoeuvre-
ment et l'ennui suffisent, au reste, à les
expliquer. Il est peu de condamnés qui,
s'ils ont quelque semblant d'instruction,
ne se transforment volontiers en poètes
ou en philosophes. Quels poètes, et quels
philosophes l
Pendant son séjour, comme médecin,
dans les prisons de Paris, il s'était plu a
collectionner ces élucubrations de déte-
nus, il a puisé abondamment dans ses
archives, pour essayer de déterminer les
traits, caractéristiques de ces écrits de
précieux coquins. Le profeseur Lombroso,
qui a peut-être été dupé parfois (ces mé-
saventures arrivent aux savant:Ù- citaih
avec étounemeat quelques poésies, d'un
véritable-souftle ou d'uue belle inspira-
tion, composées par d'allreux bandits.
Le docteur Laureut est plus sceptique à
l'égard de ces contradictions singulières.
Il confesse que, dans les prisons de Paris,
du moins, il ne lui est guère jamais passé
par les mains de la prose ou des vers qui
eussent quelque valeur.Au reste,d'une fa-
çon générale, il semble n'avoir pas gardé
beaucoup d'illusions sur l'aptitude à re-
venir au bien, ou même à ressaisir quel-
ques lueurs de raison droite, de tous ces
malheureux, qu'il a vus de près.
La plupart de ces bizarres morceaux
composés par des prisonniers sont odieu-
sement déclamatoires, aussi vides dépen-
sée que ridicules d'expression. Ils con-
tiennent, le plus souvent, des récrimina-
tions contre l'opinion qui les flétrit,
de vagues théories sur la légitimité
de leurs méfaits. Mais ce qui serait pré-
cisément la chose à noter, c'est l'absence
d'une idée personnelle, le manque de sin-
cérité. L'intérêt ne peut guère être éveillé,
ça et là, que par une phrase naïve ou
d'une tournure surprenante.
Un relieur, détenu à la Santé, s'écriait
ainsi, à la fin de strophes de sa façon,
après avoir tonné contre la réprobation
qui s'attache à l'homme qui a commis une
faute :
De quel droit
Chacun se permet-il de le montrer du doigt?
Un autre, un faussaire, se piquait de
plus de prétention, et, dans un réquisi-
toire violent contre la société, il émettait,
avec toutes sortes de comparaisons géo-
logiques, cette opinion que lea jugea ne
tenaient nullement compte des condi-
tions de l'humanité Î h Le sous-sol, pour
être situé plus bas et plus loin de la lu.
mière, est-il, par hasard, moins impor-
tant que la croûte extérieure? » Ces pé-
riodes à effet donnent une idée assez
exacte de toute une catégorie de cette lit-
térature de prison.
Les autobiographies, écrites avec une
incroyables fatuité, sont aussi abondan-
tes ; ou ce sont des descriptions satiri-
ques de la prison et de son personnel. Un
certain Lepage, condamné au bagne pour
avoir tué un gardien de maison cen-
trale, ne dédaignait pas de mêler des sou-
venirs de théâtre à ces tableaux réalis-
tes : --
De là aussitôt on vous mène
Devant les gros de l'administion.
C'est le prétoire, et cela nous ramène
Au cinquième acte du Courrier de Lyon.
Vous y voyez monsieur le directeur,
Un hypocrite, un âne décoré.
Les directeurs sont naturellement fré-
quemment visés. Un autre de ces poètes
de centrale le prend sur le ton lyrique,
pour exhaler sa rancune contre le fonc-
tionnaire qui lui a infligé quelque puni-
tion :
Directeur, toi, vieillard hypocrite,
Si, par tes crimes, tes cheveux ont blanchi
Ne crains-tu pas, toi et tes a olytes,
De tes méfaits de recevoir le prix 1
Qu'importent les fautes de prosodie?
Le sentiment y est, n'est-ce pas? Mais le
genre idyllique, la berquinade, est aussi
cultivé, et plus souvent, à ce qu'assure
M. Laurent, qu'on ne serait porté à la
croire. Cela ne prouve rien, du reste, sur
les dispositions intimes de a l'auteur ». D
refait grossièrement, seulement, quelque
chanson qui est restée dans sa memoIre.
précisément faute* d'imagination et d'i-
- d." persoQûeUe», Ainsi, un ^bomiuab]*
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