Titre : Le XIXe siècle : journal quotidien politique et littéraire / directeur-rédacteur en chef : Gustave Chadeuil
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1890-06-01
Contributeur : Chadeuil, Gustave (1821-1896). Directeur de publication
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Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
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Description : 01 juin 1890 01 juin 1890
Description : 1890/06/01 (A19,N6712). 1890/06/01 (A19,N6712).
Droits : Consultable en ligne
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Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-199
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 09/04/2013
Dîx-ncwvîèmc année. —N®6,712 Ç6îltmi6S Parla et départements .,..- CINQ Centimes DIMANCHE 1er JUIN 1S93
LE Xir ,\ SIECLE
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LA COMMISSION
.- DU BUDGET
Nous applaudissions récemment aux
sages paroles prononcées par le pré-
sident de la commission du budget,
exhortant ses collègues à hâter leur
travail afin que la tâche de la com-
mission fût terminée le S5 mai au plus
tard. Nous devons constater aujour-
d'hui que ces exhortations ont été vai-
nes. Le travail de la commission est
loin d'être terminé, et tout porte à
croire que la discussion devra être
renvoyée à la session d'automne. Il
convient d'ajouter que ce n'est peut-
être pas uniquement la commission
du budget qui doit porter la respon-
sabilité de ce retard, et qu'une bonne
part en appartient de plein droit au
ministre des finances.
Ce n'est un secret pour personne
que le projet de budget de M. Rouvier
n'a été approuvé par aucun des mem-
bres de la commission, que nul n'a
voulu entendre parler ni des augmen-
tations d'impôts, ni de l'emprunt, et
que même l'opération du dégrève-
ment de la propriété non bâtie et de
l'accroissement de charges de la pro-
priété bâtie a paru conçu dans un
esprit malhabile qui faisait porter le
dégrèvement sur les grandes proprié-
tés foncières bien plus que sur les
petites exploitations agricoles, tandis
que l'accroissement de charges pesait
plus durement sur les petites proprié-
tés bâties que sur les grandes. Il n'est
pas jusqu'au principe de la transfor-
mation de ces impôts de répartition
en impôts de quotité qui ne soit con-
testé, et M. Léon Say, auquel on ne
saurait refuser quelque expérience des
choses financières, a fait annoncer son
intention de combattre très vivement
le projet de modification. Nul n'ignore
non plus que la commission a pris
la résolution de mettre de côté le bud-
get de M. Rouvier et de faire elle-
même un budget. Il paraît que M.
Rouvier s'est résigné à regarder la
commission faire la besogne qu'il au-
rait dû faire. Nous sommes loin du
temps où M. Rouvier, président de la
commission du budget, invoquait les
Drincipes pour décliner la proposition
de M. Goblet, président du conseil,
demandant à la commission de tra-
vailler de concert avec lui pour re-
chercher les nouvelles économies qu'il
serait possible de réaliser. A cette
époque lointaine, M. Rouvier expo-
sait à la tribune que le gouvernement
avait seul le droit d'établir son projet
de budget et que la commission avait
seulement celui d'approuver ou de re-
jeter les propositions du gouverne-
ment; quant à les modifier, elle ne le
pouvait : n'étant pas responsable, elle
n'avait aucun titre à se substituer au
gouvernement, ni même à empiéter,
en quelque mesure que ce fût, sur ses
attributions.
La rigueur de cette théorie pouvait
sembler excessive, et de nombreux
précédents permettaient d'établir que
la commission du budget ne s'était
pas toujours renfermée bien stricte-
ment dans le rôle qu'on lui assignait.
Cependant, la démonstration de M.
Rouvier rencontrait de nombreux ap-
probateurs et on le félicitait d'avoir
exposé la a véritable théorie de gou-
vernement », d'avoir rompu avec une
confusion d'attributions et de pou-
voirs qui était devenue intolérable.
Comment se fait-il que M. Rouvier,
ministre, laisse empiéter sur ses attri-
butions et se renouveler une confu-
sion de pouvoirs qu'il jugeait fâcheuse
lorsqu'il présidait la commission du
budget ? Est-ce parce que, alors, il
s'agissait de conquérir un portefeuille
et qu'aujourd'hui il s'agit de le con-
server?
Il est certain que si M. Rouvier ne
s'était pas soumis aux décisions de la
commission du budget, il aurait déjà
cessé d'être ministre, ce qui le déso-
bligerait fort. Mais c'est une raison
qui, au point de vue général, peut pas-
ser pour accessoire, d'autant plus que
sa docilité elle-même ne le sauvera
pas de la chute. Seulement, cette chute,
qui aurait été honorable s'il s'était re-
tiré sur un dissentiment, conservant
ses idées et maintenant que l'applica-
tion seule de son système pouvait
améliorer notre situation financière,
sera plus piteuse, car M. Rouvier, en
abandonnant successivement toutes
les parties de son budget, en regar-
dant la commission tout démolir et
tout refaire, aura laissé voir à quel
point les capacités financières qu'il
s'attribuait étaient exagérées.
Quoi qu'il en soit, voici déjà que
l'on parle de voter seulement, dans
cette session, le projet relatif aux qua-
tre contributions directes, lequel doit,
en effet, être prêt assez tôt pour que
les conseils généraux procèdent dans
la session d'août à la répartition, et
de renvoyer à la session d'automne la
discussion du budget. On dit même
dès maintenant que ce budget de 1891
sera « un budget d'attente jt, ce qui
veut dire qu'il sera calqué sur les pré-
cédents et qu'une fois de plus l'an-
nonce des réformes financières abou-
tira à un avortement. Si c'est pour
ménager le portefeuille de M. Rouvier
que la commission retarde l'achèvement
de son travail, et si c'est pour empê-
cher la Chambre d'aborder dès sa pre-
mière année de législature l'examen des
problèmes sur lesquels son attention
devrait être constamment fixée qu'elle
cherche à gagner assez de temps pour
qu'on n'ait plus le loisir de procéder à
une discussion approfondie, mais
qu'on soit obligé de voter au pas de
course ou de subir le dangereux ex-
pédient des douzièmes provisoires,
elle encourt, quoique irresponsable,
une terrible responsabilité. Puisque,
dès maintenant, il est entendu que le
budget de M. Rouvier n'existe plus et
que le ministère des finances n'a qu'un
titulaire nominal, le seul parti qu'il
serait sage de prendre serait de pro-
voquer un changement qu'on ne peut
pas éviter et de rentrer dans la « véri-
table théorie de gouvernement » en
dotant, sans plus tarder, le ministère
des finances d'un chef réel, qui fasse
un budget et qui ne laisse pas une
nouvelle déception s'ajouter à toutes
celles que, depuis tant d'années, l'a-
journement des réformes financières
a causées au pays.
Le XIXe SIÈCLE publiera demain la
« Chronique", par M. Paul Ginisty.
A PLAT VENTRE
DEVANT BISMARCK
Tristan et des Houx
Le Petit Journal a publié hier le récit
d'une conversation de son rédacteur
Tristan avec M. Liebknecht, le célèbre
député socialiste allemand. Dans cette con-
versation, qui ne contient d'ailleurs abso-
lument rien d'intéressant, rien,absolument
rien de nouveau, M. Liebknecht.a dit à son
interlocuteur : « Ce que nous ne compre-
nons pas, c'est l'admiration de votre presse
pour M. de Bismarck ! »
M. Liebknecht n'est pas le seul à ne pas
comprendre. -
Les lecteurs du Petit Journal qui auront
eu lè courage de parcourir ce nouvel in-
terview auront été péniblement impres-
sionnés en lisant la phrase dans laquelle M.
Tristan se vante d'avoir supprimé dans la
conversation de M. Liebknecht tout ce qui
aurait pu être désagréable à M. de Bis-
marck.
De son côté le Matin, en se rengorgeant,
publie une lettre écrite de Friedrichsruhe
par Mme la baronne de Tiefenliausen, née
de Manteuffel : « Vous savez peut-être, dit
la baronne, qu'il est venu ici un rédacteur
du Matin. Il a beaucoup plu aux hauts
personnages, et Bismarck nous a lu hier, à
haute voix, l'article qui a paru relatant sa
visite.
» C'est le numéro intitulé : Chez M. de
Bismarck.,e-
Tristan doit être jaloux.
L'EMPRUNT INDO - CHINOIS
M. Etienne avec un -projet sur les
bras. — A Saïgon comme à Paris.
Le conseil des ministres s'est occupé,
dans sa dernière réunion, de l'emprunt
indo-chinois de 60 millions, mais il ne s'en
est occupé que pour refuser de délibérer.
Il a simplement rendu à M. Etienne, sous-
secrétaire d'Etat aux colonies, son projet
d'emprunt, par la raison que le conseil gé-
néral de la Cochinchine avait seul qualité
pour en délibérer, la Cochinchine étant ga-
rante du service d'intérêt et d'amortisse-
ment du futur emprunt.
En conséquence, M. Etienne va être
obligé d'envoyer son projet d'emprunt à
Saïgon, et le résultat final est connu d'a-
vance. Etant données les bases sur lesquel-
les le projet est posé, il sera repoussé avec
énergie, le conseil général de la Cochin-
chine ayant déjà exprimé des vues absolu-
ment différentes au sujet du mode et de
l'application du futur emprunt.
UN INTERVIEW
AVEC M. L'AMBASSADEUR BILLOT
Singulier langage
(DE NOTRE CORRESPONDANT PARTICULIER)
Rome, 30 mai.
Le journal la Capitale, reproduisant un
interview d'un de ses rédacteurs avec
l'ambassadeur français, M. Billot, prête à
celui-ci un singulier langage, notamment
en ce qui concerne la question tunisienne.
Il lui fait dire que le gouvernement fran-
çais a l'intention de montrer à l'Italie son
plus grand désir de favoriser les intérêts
italiens en Tunisie.
L'ambassadeur a déclaré désirer le réta-
blissement des relations commerciales en-
tre la France et l'Italie. Il espère que l'Italie
ressaisira sa liberté d'allure en 1892, à l'ex-
piration des traités de la triple alliance. Les
financiers français ne pouvaient pas, com-
me patriotes, lui ouvrir leurs caisses, tant
qu'elle préparait une guerre d'invasion. Il
espère qu'un accord sincère sera scellé ;
mais la France demandera que l'Italie lui
conserve sa neutralité.
LOCOMOTION AÉRIENNE
(DE NOTRE CORRESPONDANT PARTICULIER)
Naples, 30 mai.
On télégraphie de Capri qu'un sieur Poma-
rici a fait avant-hier des expériences avec un
appareil de 'son invention qui devrait per-
mettre à un homme de parcourir facilement
une certaine distance dans l'espace.
Les expériences ont donné, paraît-il, des ré-
sultats assez satisfaisants.
Avec son système de locomotion aérienne,
M. Pomarici aurait réussi à franchir dans l'air
la distance de ho mètres.
LE TSAR
ET
L'AFFAIRE DES NIHILISTES
LA NOUVELLE A SAINT-PÉTERSBOURG
Vive émotion. — Les dépêches aux
journaux russes. — M. Ribot et
l'ambassade russe. — Le ni-
hiliste Mendelssohn. —Le
tsar au gouvernement
françods.
(DZ NOTRE CORRESPONDANT PARTICULIER)
Saint-Pétersbourg, 30 mai.
L'arrestation des nihilistes, annoncée ce
matin par dépêche, avec force détails sur
les bombes et les explosifs trouvés à leurs
domiciles, a produit une vive émotion à
Saint-Pétersbourg. On s'arrache les jour-
naux russes et on commente vivement les
faits qui ont motivé les arrestations nom-
breuses opérées par votre police. On dit
d'ailleurs dans un certain monde, à Saint-
Pétersbourg, que, depuis quelques jours,
le tsar avait été prévenu par l'ambassade
russe de Paris de ce qui se préparait et
qu'il était tenu jour par jour au courant
des faits et gestes de la bande arrêtée
hier.
L'ambassade russe avait été prévenue
elle-même par votre ministre des affaires
étrangères, M. Ribot, et non par M. Cons-
tans.
Mendelssohn et Demski
Nous connaissons beaucoup, ici, Men-
delssohn, l'un des principaux nihilistes mis
en état d'arrestation, et je suis en mesure
de vous donner sur ce personnage quel-
ques renseignements précis :
Mendeissohn est l'arrière-petit-fils du cé-
lèbre philosophe prussien Moïse Mendels-
sohn, né à Dessau, traducteur de Jean-
Jacques Rousseau, qui essaya surtout de
rapprocher les juifs des chrétiens. Ce Men-
delssohn avait eu deux fiis, dont l'un, Jo-
seph, fonda la célèbre banque Mendelssohn
et Cie, à Berlin, et l'autre, Alexandre, alla
se fixer a Varsovie.
Celui qui a été arrêté hier est le petit-fils
d'Alexandre Mendelsohn; il est le cousin
du célèbre compositeur de musique Men-
delssohn-Bartholdy.
Mendelssohn avait déjà été condamné en
Russie, où il avait pris part à une conspi-
ration contre la vie du tsar. Il avait pu s'é-
chapper à temps de Russie, mais,naturelle-
ment, il ne pouvait rentrer dans son pays,
où il eût été immédiatement arrêté.
Mendelssohn est le plus riche des nihilis-
tes, généralement très pauvres;, c'est de ses
parents qu'il recevait l'argent avec le-
quel il vivait et pouvait entretenir la pro-
pagande nihiliste. Comme Reinchstein,ilest
israélite.
Lui et Demski, ils étaient depuis long-
temps surveillés par la police secrète inter-
nationale russe.
Il paraît qu'il était avec lui en Suisse
pendant l'histoire des bombes de Zurich
dont parlent vos journaux.
Avant de quitter la Suisse, Mendelssohn
resta quelques jours à Genève où Demski
vint le rejoindre. Là, ils renouèrent des re-
lations avec les réfugiés russes.
C'est par Bellegarde que, tous deux, ils
sont entrés en France, et la police russe
avertit aussitôt le gouvernement français.
La nouvelle au tsar
Quand l'empereur Alexandre III a appris
par M. de Giers, notre ministre des affaires
étrangères, l'arrestation des nihilistes à
Paris, le danger qu'il avait couru et qui
avait pu être conjuré grâce au gouverne-
ment français, il a exprimé en termes émus
et à plusieurs reprises ses sentiments de
reconnaissance et de gratitude envers votre
gouvernement.
— Transmettez au gouvernement fran-
çais en mon nom, a-t-il dit au ministre, mes
remerciements et mes sentiments de recon-
naissance.
Le tsar acclamé
Dans l'après-midi, au moment de l'arri-
vée à la gare de Saint-Pétersbourg du
prince de Naples, fils du roi d'Italie, l'em-
pereur a été acclamé par une foule consi-
dérable. Tous les membres de la famille
impériale et les hauts dignitaires dela cour
étaient présents, et c'est au milieu de nou-
veaux vivats que la calèche dans laquelle
étaient montés le tsar et le prince de Naples
a traversé la perspective Newski.
Dans la soirée, un dîner des plus bril-
lants a été donné au palais Anitchkow.
L'AMIRAL DUPERRE
Curiosité légitime.—Une vie. — L'avan-
cement à la vapeur. — Le trou. —
Actif et passif. — La popularité
de Chariot.
Un de nos lecteurs nous demande de pu-
blier la biographie complète de l'amiral
DuDerré.
Incapable de s'expliquer par les voies or-
dinaires de la logique pure comment et
pourquoi le ministre de la marine s'en est
allé précisément choisir, pour lui confier
les plus hautes et les plus délicates fonc-
tions de l'armée de mer,le seul de nos ami-
raux qui n'ait pas, en 1870, fait son devoir
devant l'ennemi, ce lecteur — né curieux-
tient probablement à savoir, si dans la ra-
pide carrière de it Charlot,,,il n'y aurait pas,
par hasard, quelque fait extraordinaire,
quelque exploit épique, quelque œuvre
prodigieuse effaçant par son éclat toutes
les fautes et toutes les faiblesses et légiti-
mant, envers et contre toutes les médi-
sances, la fortune exceptionnelle du déser-
teur qui commande aujourd'hui l'escadre
de la Méditerranée.
Cette curiosité part d'un bon naturel.
Rien de plus facile, au demeurant, que de
lui donner satisfaction.
Amiral de cour
Charles-Marie Duperré, petit-neveu de
l'amiral de France, et, par suite, cousin du
vice-amiral Victor Duperré, le grand-chef
(au moins jusqu'au h août prochain, date
à laquelle il passera dans le cadre de ré-
serve), est né le 1A septembre 1832, à Ba-
gner-Morvan, petite bourgade de l'arron-
dissement de Saint-Malo (Ille-et-Vilaine).
Entré à l'Ecole natale en 18h7, enseigne
de vaisseau en 185.4, lieutenant de vaisseau
en 1859, il fut, à cette époque, nommé offi-
cier d'ordonnance de l'empereur Napoléon
III, et, plus tard, aide de camp du prince
impérial.
Promu capitaine de frégate après sept1
ans de ce pénible service, c'est-à-dire à 3h
ans d'âge (alors que les autres officiers n'at-
teignent guère ce grade avant h7 ans., en
moyenne), il commanda ensuite, plus ou
moins effectivement — comprenez : en res-
tant à la cour — le Jiorhin, la Reine-Iior-
tense, puis le Taureau, à bord duquel il re-
çut le grade de capitaine de vaisseau, le
le mars 1870. Il était alors âgé de 38 ans.
Le trou
Ici se place, dans sa vie, la lacune que
toute la France connaît :
«Fidèle au malheur», l'amiral Duperré
file sur Belgique.
N'insistons pas : la cause est entendue ;
elle est même. jugée!
Un officier « adoré »
On ne retrouve plus M. Duperré dans le
service maritime actif qu'en 1872. Il part
alors, en qualité de commandant de la Vé-
nus, pour la station de l'Atlantique.
Son parent, l'amiral Pothuau, était alors
ministre. C'est ce qui explique et les indul-
gences du dossier que brandissait l'autre
jour si triomphalement, — mais si impru-
demment, — l'agence Havas, et la facilité
avec laquelle l'éponge fut passée sur les
souvenirs de son. absence, — à tout le
moins inopportune, — au moment du dan-
ger.
Revenu en 187/j, il occupa pendant quel-
que temps les fonctions de président de la
commission des archives et de membre de
la commission des machines et du grand
outillage. La féodalité maritime, un mo-
ment abattue, était en train de se reconsti-
tuer sous les auspices de son cousin,le petit
Victor. Aussi fut-il nommé, en 1875, au
commandement du cuirassé la Revanche ;
et, le 8 octobre 1878, il était promu contre-
amiral, à l'âge de quarante-six ans !. L'a-
miral Pothuau, cela va de soi, était encore
- ministre.: -1
Le grade de vice-amiral ne fut pas plus
difficile à obtenir. Le h novembre 188/j, à
l'âge de cinquante-deux ans, il décrochait
la troisième et suprême étoile. Une campa-
gne de paix en Chine, à bord de la Thétis,
avait suffi.
C'est à l'issue de cette campagne fruc-
tueuse qu'on put juger de la popularité
dont jouit parmi ceux qui l'ont vu de près
à l'œuvre cet amiral que le Gaulois avait,
l'autre jour, l'inconscience de prétendre
nous présenter comme étant « adoré de ses
hommes
Quand on désarma la Thétis et que «Char-
lot" quitta son boH, ont dut lui faire, se-
lon l'usage, les adieux réglementaires. Les
matelots grimpèrent dans les vergues, et
un officier donna le signal des acclama-
tions : « Vive l'amiral ! » Pas un cri t. e lui
répondit. L'officier, un peu « estomaqué »,
reprend d'une voix plus haute : « Vive l'a-
miral! "mais avec un égal. succès. Une
troisième épreuve ayant donné le même
résultat, l'état-major s'en tint là, et « Char-
lot », pâle de colère, dut descendre dans
son canot, accablé sous le pbids de ce si-
lence terrible, plus dramatique et plus
cruel qu'un concert de huées et de malé-
dictions.
On défend aujourd'hui, sous peine de
prison, aux matelots de l'escadre de la Mé-
diterranée de. lire les journaux. Pendant
les trente-trois mois qu'il venait de pas-
ser dans les mers de Chine, l'équipage de
la Thétis n'avait pas apparemment abusé
de la lecture, et la mauvaise presse ne les
avait pas encore édifiés sur le compte de
leur chef, dont la plupart, de braves « ma-
thurins » bretons,devaient ignorer le rô'e.
effacé pendant la guerre. Cela ne les em-
pêchait pas de le juger à sa juste valeur et
de le lui faire sentir de la seule façon qu'une
discipline de fer laissait à leur disposi-
tion.
On peut par là se rendre compte de la
valeur qu'il convient d'attacher à la
grrrande ovation qu'on prépare à Toulon
à l'ex-commandant do la Thétis.
L'œuvre de Charlot
Voilà donc M. Duperré vice-amiral. Il a
désormais devant lui treize ans d'omnipo-
tence.
Comment va-t-il justifier son avancement
vertigineux ?
En contrecarrant, en toute occasion, les
initiatives prises par son illustre prédéces-
seur, l'amiral Bergasse du Petit-Thouars;
en perpétuant tous les usages routiniers et
tous les périlleux abus doiit souffre la ma-
rine française et qui risquent de compro-
mettre la défense nationale et le salut de la
patrie ; en donnant à l'arbitraire et au favo-
ritisme, et à la démoralisation qui en est
la conséquence fatale, l'essor néfaste que
vous savez; en amenant, en un mot, la
lllarinefrançaise, - tant au point de vue
du personnel qu'au point de vue du maté-
riel, — à un tel état que les patriotes se
demandent avec anxiété s'il reste encore
une seule faute à commettrel
N'oublions pas que c'est l'amiral Duperré
qui fut l'auteur responsable — in par-
tibus — de presque tous les scandales et de
presque tous les passe-droits que nous
avons tant de fois dénoncés.
N'oublions pas que, lors des dernières
grandes manœuvres devant Toulon, il ne
sut pas organiser la défense du littoral, si
bien que ce fut lui, toujours lui, qui, dans
la personne de son ami intime, l'amiral
Alquier, se fit battre à plates coutures par
l'amiral O'Neill, qui représentait la nou-
velle méthode et la furia jrancese.
En revanche, l'amiral Duperré est impi-
toyable pour les menues broutilles de la
discipline formaliste : il lui faut ses cano-
tiers, il interdit à ses officiers le port du
veston réglementaire et prétend recevoir-
sans doute en raison de ses états de services,
effectivement exceptionnels — un salut spé-
cial.
Mais voilà notre correspondant, à ce
qu'il semble, entièrement satisfait!
MORT DE LA DUCHESSE DE PERSIGNY
Souvenirs de l'empire
(DE NOTRE CORRESPONDANT PARTICULIER)
Cannes, 30 mai.
La marquise de Sombreuil, duchesse de
Persigny, femme de l'ancien ministre de
l'intérieur de l'empire qui succéda en 1852
à M. de Morny, est morte aujourd'hui à sa
villa de la Californie.
La duchesse de Persigny était la fille uni-
que du prince de la Moscowa, fils du maré-
chal Ney.
A l'occasion de son mariage, M. de Persi-
gny avait reçu ae son souverain le titre de
comte et un cadeau de noces de 500,000 fr.
M. de Persigny était mort à Nice en 1872.
Sa veuve, dont le nom avait été rappelé
par des affaires domestiques portées devant
les tribunaux, s'était remariée en 1873 avec
le docteur Hyacinthe-Hilaire-Adrien Le
Moyne, mort lui-même au Caire en 1879.
Elle épousa ensuite M. le marquis de Som-
breuil.
Mme la marauise, de Sombreuil avait
soixante ans
CHRONIQUE
La Gazette des Tribunaux nous apporte
aujourd'hui le texte exact du jugement
rendu, sous la présidence de M. Aubépin,
par le tribunal civil de la Seine, jugement
en vertu duquel l'Eclair a été condamné
à une amende et à des dommages-inté-
rêts, pour avoir publié deux jours avant
la première représentation un compte
rendu d'une pièce de M. Bisson, Feu Tou-
pinel, qui se joue encore au Vaude-
ville.
Parmi les considérants qui motivent le
jugement, je détache ceux où se résume
la doctrine du tribunal :
(c Attendu que l'obligation d'une en-
tière discrétion s'impose à l'égard des
pièces qui n'ont pas encore été représen-
tées, tant aux critiques qui sont conviés
à la répétition générale qu'à tous au-
tres;
» Qu'en dehors du consentement de
l'auteur et des directeurs, les premiers
sont tenus de ne pas trahir la confiance
qui leur a été témoignée, et les seconds,
de ne pas profiter d'indiscrétions abusi-
ves et que tous, en méconnaissant cette
obligation qui leur incombe, portent une
égale attoiute aux droits certains des in-
téressés :
Qu'enfin, dans la pensée de l'auteur
et des directeurs, la répétition générale
est manifestement exclusive d'une publi-
cité qui équivaudrait à celle de la pre-
mière représentation. »
On ne saurait mieux dire, et nous ne
pouvons que savoir gré à nos magistrats
d'avoir si bien élucidé la question et for-
mulé un jugement qui, sans doute, fera
jurisprudence.
C'est à nous, journalistes, qu'en con-
damnant un des nôtres, le tribunal a
rendu un signalé service ; on ne l'a pas
assez dit, et je tiens à le faire remar-
quer.
Les journaux qui tendaient à se faire
une spécialité de cette sorte d'indis-
crétions n'avaient pas grand'peine à se
donner pour conter avant les camarades
la pièce nouvelle, pour l'analyser et la
juger. On convie tous les critiques à la
répétition générale ; on y invite même le
plus souvent tous ceux qui pour me ser-
vir de l'expression courante, sont du bâ-
timent. Il se trouve donc, le soir de la
répétition générale, un millier de person-
nes environ qui savent la pièce par
avance et qui pourraient, si elles le vou-
laient bien, en rendre compte au public.
Elles ne le faisaient point. C'est d'abord
qu'en acceptant une invitation à la répéti-
tion générale, elles passaient un engage-
ment tacite de ne point déflorer avant la
première représentation la curiosité de
la pièce. C'est aussi qu'il leur paraissait
injuste de porter un jugement définitif
sur une œuvre qui pouvait, dans l'inter-
valle de la répétition générale à la pre-
mière, subir des modifications et des cor-
rections.
Le cas n'est pas rare. Telle scène a dé-
plu aux spectateurs de la répétition gé-
nérale ; il suffit parfois d'un léger change-
ment pour que la situation s'éclaire et
qu'un acte qui, la veille, avait laissé le
public froid, aille aux nues le lendemain.
Au Cercle de la critique, il y a quelques
semaines, on a discuté la question. Il a
été convenu que ce serait mal reconnaî-
tre l'hospitalité des directeurs et risquer
de commettre envers les auteurs d'irré-
parables inj ustices, que de ne pas atten-
dre, pour parler de l'ouvrage nouveau,
l'épreuve définitive de la première repré-
sentation. Nous avons donc tous décidé,
d'un commun acoord, que nous garde-
rions un silence qui nous était commandé
à la fois par les convenances et par l'é-
cruité.
Mais supposez qu'un journal ne s'as-
treigne pas à la même loi. Rien, mon
Dieu, ne lui est plus facile. Le directeur
de l'Eclair avait fait plaider par son avo-
cat que, n'ayant pas assisté à la répéti-
tion générale sur invitation personnelle,
il n'était pas obligé à la discrétion de ses
confrères. C'était une plaisanterie; car il
n'y a rien de si simple que de se procu-
rer des places, ou même que d'intérro-
ger les journalistes qui sortent de la
séance et qui causent librement de leurs
impressions.
Voilà donc l'Eclair qui offre la veille
au public ce que les autres journaux, par
respect pour les bienséances, ne donnent
que le lendemain. Si l'on ne met pas le
holà à cette fureur d'indiscrétion, il est
clair qu'à une prochaine occasion deux
ou trois journaux se diront :
— Nous sommes bien bêtes de nous
laisser prévenir de la sorte et d'avoir l'air
d'être en retard sur le confrère. Nous al-
lons faire comme lui, puisqu'il n'en
coûte rien.
Six mois plus tard, vous pouvez
être sûr que tous les journaux, sauf
peut-être deux ou trois exceptions, don-
neraient, le lendemain même de la répé-
tition générale, le compte rendu anticipé
de la pièce.
La répétition générale deviendrait,
comme l'a fort bien dit M. Aubépin dans
son jugement, une première représenta-
tion.
Mais on ne s'en tiendrait pas là. Tenez
pour certain que bientôt,poussé par cette
rage de paraître plus vite et mieux in-
formé que les confrères, un Eclair quel-
conque n'attendrait pas la répétition
générale et conterait la pièce au moment
même où l'on commencerait de la mettre
sur ses pieds.
Ce sont là des renseignements que l'on
se procure, dans notre métier, le plus
aisément du monde. Il n'y a personne
qui aille moins que moi dans les en-
droits où s'élaborent les racontars de
coulisses. Je ne sors jamais de mon ca-
binet. Et cependant, je sais sur ce qui
se prépare dans les théâtres tout ce qu'on
r peut savoir, et sans le demander. J*
pourrais, s'il m'en prenait fantaisie, con-
ter l'idée première de la comédie à la-
quelle travaille Dumas fils, et je ne m'en
fais pas accroire pour cela. Nous sommes
bien une centaine à Paris en possession
de cet important secret.
Nous n'en disons rien, parce que si
nous imprimions à tort et à travers tout
ce qui nous arrive aux oreilles, il n'y
aurait plus avec nous de conversation
possible. On en a causé librement, chez
moi, pour le plaisir de causer, avec cette
arrière-pensée que le public ne serai*
pas mis dans la confidence.
Est-ce que je sais d'ailleurs si Dumas
achèvera la pièce commencée, ou s'il ne
la tournera pas d'autre façon? Une in-
discrétion le peut gêner; avons-nous le
droit de lui imposer cet embarras ?
Il ne faut donner au public que ce qui
lui doit être livré. Et qu'on n'aille pas me
dire (ce qu'on ne manquera pas de faire)
que je me mets en contradiction avec la
théorie que j'ai soutenue dans l'affaire
Mermeix. J'ai toujours reconnu que Mer-
meix avait eu tort de publier préventive- •
ment un acte d'accusation qui ne devait
être lu que quelques jours après, en
audience solennelle. Mais j'ai ajouté que
ce tort ne pouvait être puni (comme
toutes les uuu Lia veut ious ) que d'uuu
amende, et qu'en faire un crime, le tra-
duire en cour d'assises, c'était de la folie
pure.
- On a de même infligé à nos confrères
de l'Eclair une amende et des dommages-
intécéts, peu considérables cette fois. Le
principe est désormais posé. Un journal
pourra se rendre coupable d'indiscrétions
semblables, mais ce sera à ses risques et
périls. Et comme le chiffre des domma-
ges-intérêts est dans la main du juge,
comme il peut être augmenté dans de
larges proportions, il n'est pas probable
qu'aucun directeur se hasarde à courir
uu si gros risque pour un si mince pro"
fit. ,
Tous seront forcés de garder l'aligne-
ment, et il n'y aura pas une prime pour
ceux qui s'aviseraient de le rompre.
C'est à nous, les sages et respectueux
de l'ordre, que profitera-ce jugement, et
personne ne pourra plus nous crier en
nous faisant la nique : « Il n'y a que les
honteux qui perdent. »
Francisque Sarcev.
INCENDIE D'UN STEAMER CHINOIS
(DE NOTRE CORRESPONDANT PARTICULIER)
, Londres, 30 mai.
On télégraphie de Shanghaï que le steamer,
Pao-Ching a pris feu sur- le Yangtse, hier.
Vingt-deux passagers manquent à l'appel.
ON DEMANDE UN CONSUL
Le commerce français au Portugal.
Nos intérêts commerciaux mécon- l
nus. — Nomination urgente.
Le commerce français se plaint beaucoup
du peu d'intérêt que semble lui porter no-
tre nouveau ministre des affaires étran-
gères.
Depuis quatre mois, la presse portugaise
tout entière fait appel au commerce fran-
çais.
La presse française a répandu partout
tous les renseignements désirables.
La chambre de commerce française à Lis*
bonne a adressé un patriotique appel —
appuyé par des documents irréfutables — à
tous ses compatriotes.
Et depuis huit mois la France n'a pas de
consul à Lisbonne!
LE LIEUTENANT GAnCIN ;
Réponse au a Temps ». — La vérité
officielle et la vérité vraie. — Le ■
champagne et le londrès dû
révérend père Magat.
Le Temps nous inflige une petite mercu-
riale au sujet de la façon — inconsidéréa
suivant lui — -dont nous avons pris la dé-
fense du lieutenant Garcin, qui va passer,
devant un conseil d'enquête pour avoir
« mis à sa place » un missionnaire bizarre
qui faisait bâtonner les tirailleurs au
Tonkin.
Le Temps se croit bien renseigné, parce'
qu'il a lu des extraits d'un rapport officiel
adressé sur cette affaire, rapport que nous
connaissons aussi, comme nous connais-
sons bien d'autres documents officiels, et le
Temps rétablit la vérité. Naturellement, sa
vérité à lui étant la vérité officielle, les
faits qu'il rapporte sont absolument faux.
N'en déplaise à notre confrère, le mis-;
sionnaire Magat, sur le sort duquel il es-
saie de nous apitoyer, comme il essayait de
nous apitoyer, l'autre jour, sur l'amiral
Duperré, — encore une victime! — est
connu et archi-connu au Tonkin. Bien avant
l'affaire du lieutenant Garcin, plusieurs of-
ficiers qui avaient commandé le poste det
Linh-Cam, MM. Henoch, Fonsagrive, Carré,
entre autres,avaient eu l'occasion d'adresser
à leurs chefs des rapports très raides sur,
cet apôtre de la foi. j.
Le père Magat
Après les réclamations puériles du mis-
sionnaire contre des soldats français, après
l'acte de barbarie commis par lui contra
des soldats indigènes, le sous-lieutenant
Garcin crut devoir se plaindre à ses chefa
des agissements du pretre.
Ces derniers, qui, en l'envoyant à Linh":
Cam, l'avaient cependant prévenu contrei
son dangereux voisin, ne jugèrent pas à
propos de lui répondre.
Quelques jours après, .deux catholiques
étaient assassinés, et de ces faits isolés,
vengeances particulières, on voulut faire
une rébellion importante.
M. Garcin, sûr de la tranquillité de sa ré-
gion, alla, sans escorte, parcourir les envi-
rons de son poste. Seul, pendant cinq jourss
il visita tous les villages et reçut partout
un excellent accueil.
Quelque temps après l'incident des joIlAi{
ques, et ne voulant pas toujours faire pe-;
ser sur les villages bouddhistes les corvées
nécessaires à. son service, M. Garcin pria;
l'autorité annamite de s'adresser aux catho.
liques, soumis, comme tous les indigènes.'i
aux lois du pays et qui devraient avoir aut,
moins la pudeur de nous aider, ouisaue
LE Xir ,\ SIECLE
JOURNAL RÉPUBLICAIN
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DIRECTEUR POLiTIQUE
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Télépbfl»* ; 20.380 bit.
LA COMMISSION
.- DU BUDGET
Nous applaudissions récemment aux
sages paroles prononcées par le pré-
sident de la commission du budget,
exhortant ses collègues à hâter leur
travail afin que la tâche de la com-
mission fût terminée le S5 mai au plus
tard. Nous devons constater aujour-
d'hui que ces exhortations ont été vai-
nes. Le travail de la commission est
loin d'être terminé, et tout porte à
croire que la discussion devra être
renvoyée à la session d'automne. Il
convient d'ajouter que ce n'est peut-
être pas uniquement la commission
du budget qui doit porter la respon-
sabilité de ce retard, et qu'une bonne
part en appartient de plein droit au
ministre des finances.
Ce n'est un secret pour personne
que le projet de budget de M. Rouvier
n'a été approuvé par aucun des mem-
bres de la commission, que nul n'a
voulu entendre parler ni des augmen-
tations d'impôts, ni de l'emprunt, et
que même l'opération du dégrève-
ment de la propriété non bâtie et de
l'accroissement de charges de la pro-
priété bâtie a paru conçu dans un
esprit malhabile qui faisait porter le
dégrèvement sur les grandes proprié-
tés foncières bien plus que sur les
petites exploitations agricoles, tandis
que l'accroissement de charges pesait
plus durement sur les petites proprié-
tés bâties que sur les grandes. Il n'est
pas jusqu'au principe de la transfor-
mation de ces impôts de répartition
en impôts de quotité qui ne soit con-
testé, et M. Léon Say, auquel on ne
saurait refuser quelque expérience des
choses financières, a fait annoncer son
intention de combattre très vivement
le projet de modification. Nul n'ignore
non plus que la commission a pris
la résolution de mettre de côté le bud-
get de M. Rouvier et de faire elle-
même un budget. Il paraît que M.
Rouvier s'est résigné à regarder la
commission faire la besogne qu'il au-
rait dû faire. Nous sommes loin du
temps où M. Rouvier, président de la
commission du budget, invoquait les
Drincipes pour décliner la proposition
de M. Goblet, président du conseil,
demandant à la commission de tra-
vailler de concert avec lui pour re-
chercher les nouvelles économies qu'il
serait possible de réaliser. A cette
époque lointaine, M. Rouvier expo-
sait à la tribune que le gouvernement
avait seul le droit d'établir son projet
de budget et que la commission avait
seulement celui d'approuver ou de re-
jeter les propositions du gouverne-
ment; quant à les modifier, elle ne le
pouvait : n'étant pas responsable, elle
n'avait aucun titre à se substituer au
gouvernement, ni même à empiéter,
en quelque mesure que ce fût, sur ses
attributions.
La rigueur de cette théorie pouvait
sembler excessive, et de nombreux
précédents permettaient d'établir que
la commission du budget ne s'était
pas toujours renfermée bien stricte-
ment dans le rôle qu'on lui assignait.
Cependant, la démonstration de M.
Rouvier rencontrait de nombreux ap-
probateurs et on le félicitait d'avoir
exposé la a véritable théorie de gou-
vernement », d'avoir rompu avec une
confusion d'attributions et de pou-
voirs qui était devenue intolérable.
Comment se fait-il que M. Rouvier,
ministre, laisse empiéter sur ses attri-
butions et se renouveler une confu-
sion de pouvoirs qu'il jugeait fâcheuse
lorsqu'il présidait la commission du
budget ? Est-ce parce que, alors, il
s'agissait de conquérir un portefeuille
et qu'aujourd'hui il s'agit de le con-
server?
Il est certain que si M. Rouvier ne
s'était pas soumis aux décisions de la
commission du budget, il aurait déjà
cessé d'être ministre, ce qui le déso-
bligerait fort. Mais c'est une raison
qui, au point de vue général, peut pas-
ser pour accessoire, d'autant plus que
sa docilité elle-même ne le sauvera
pas de la chute. Seulement, cette chute,
qui aurait été honorable s'il s'était re-
tiré sur un dissentiment, conservant
ses idées et maintenant que l'applica-
tion seule de son système pouvait
améliorer notre situation financière,
sera plus piteuse, car M. Rouvier, en
abandonnant successivement toutes
les parties de son budget, en regar-
dant la commission tout démolir et
tout refaire, aura laissé voir à quel
point les capacités financières qu'il
s'attribuait étaient exagérées.
Quoi qu'il en soit, voici déjà que
l'on parle de voter seulement, dans
cette session, le projet relatif aux qua-
tre contributions directes, lequel doit,
en effet, être prêt assez tôt pour que
les conseils généraux procèdent dans
la session d'août à la répartition, et
de renvoyer à la session d'automne la
discussion du budget. On dit même
dès maintenant que ce budget de 1891
sera « un budget d'attente jt, ce qui
veut dire qu'il sera calqué sur les pré-
cédents et qu'une fois de plus l'an-
nonce des réformes financières abou-
tira à un avortement. Si c'est pour
ménager le portefeuille de M. Rouvier
que la commission retarde l'achèvement
de son travail, et si c'est pour empê-
cher la Chambre d'aborder dès sa pre-
mière année de législature l'examen des
problèmes sur lesquels son attention
devrait être constamment fixée qu'elle
cherche à gagner assez de temps pour
qu'on n'ait plus le loisir de procéder à
une discussion approfondie, mais
qu'on soit obligé de voter au pas de
course ou de subir le dangereux ex-
pédient des douzièmes provisoires,
elle encourt, quoique irresponsable,
une terrible responsabilité. Puisque,
dès maintenant, il est entendu que le
budget de M. Rouvier n'existe plus et
que le ministère des finances n'a qu'un
titulaire nominal, le seul parti qu'il
serait sage de prendre serait de pro-
voquer un changement qu'on ne peut
pas éviter et de rentrer dans la « véri-
table théorie de gouvernement » en
dotant, sans plus tarder, le ministère
des finances d'un chef réel, qui fasse
un budget et qui ne laisse pas une
nouvelle déception s'ajouter à toutes
celles que, depuis tant d'années, l'a-
journement des réformes financières
a causées au pays.
Le XIXe SIÈCLE publiera demain la
« Chronique", par M. Paul Ginisty.
A PLAT VENTRE
DEVANT BISMARCK
Tristan et des Houx
Le Petit Journal a publié hier le récit
d'une conversation de son rédacteur
Tristan avec M. Liebknecht, le célèbre
député socialiste allemand. Dans cette con-
versation, qui ne contient d'ailleurs abso-
lument rien d'intéressant, rien,absolument
rien de nouveau, M. Liebknecht.a dit à son
interlocuteur : « Ce que nous ne compre-
nons pas, c'est l'admiration de votre presse
pour M. de Bismarck ! »
M. Liebknecht n'est pas le seul à ne pas
comprendre. -
Les lecteurs du Petit Journal qui auront
eu lè courage de parcourir ce nouvel in-
terview auront été péniblement impres-
sionnés en lisant la phrase dans laquelle M.
Tristan se vante d'avoir supprimé dans la
conversation de M. Liebknecht tout ce qui
aurait pu être désagréable à M. de Bis-
marck.
De son côté le Matin, en se rengorgeant,
publie une lettre écrite de Friedrichsruhe
par Mme la baronne de Tiefenliausen, née
de Manteuffel : « Vous savez peut-être, dit
la baronne, qu'il est venu ici un rédacteur
du Matin. Il a beaucoup plu aux hauts
personnages, et Bismarck nous a lu hier, à
haute voix, l'article qui a paru relatant sa
visite.
» C'est le numéro intitulé : Chez M. de
Bismarck.,e-
Tristan doit être jaloux.
L'EMPRUNT INDO - CHINOIS
M. Etienne avec un -projet sur les
bras. — A Saïgon comme à Paris.
Le conseil des ministres s'est occupé,
dans sa dernière réunion, de l'emprunt
indo-chinois de 60 millions, mais il ne s'en
est occupé que pour refuser de délibérer.
Il a simplement rendu à M. Etienne, sous-
secrétaire d'Etat aux colonies, son projet
d'emprunt, par la raison que le conseil gé-
néral de la Cochinchine avait seul qualité
pour en délibérer, la Cochinchine étant ga-
rante du service d'intérêt et d'amortisse-
ment du futur emprunt.
En conséquence, M. Etienne va être
obligé d'envoyer son projet d'emprunt à
Saïgon, et le résultat final est connu d'a-
vance. Etant données les bases sur lesquel-
les le projet est posé, il sera repoussé avec
énergie, le conseil général de la Cochin-
chine ayant déjà exprimé des vues absolu-
ment différentes au sujet du mode et de
l'application du futur emprunt.
UN INTERVIEW
AVEC M. L'AMBASSADEUR BILLOT
Singulier langage
(DE NOTRE CORRESPONDANT PARTICULIER)
Rome, 30 mai.
Le journal la Capitale, reproduisant un
interview d'un de ses rédacteurs avec
l'ambassadeur français, M. Billot, prête à
celui-ci un singulier langage, notamment
en ce qui concerne la question tunisienne.
Il lui fait dire que le gouvernement fran-
çais a l'intention de montrer à l'Italie son
plus grand désir de favoriser les intérêts
italiens en Tunisie.
L'ambassadeur a déclaré désirer le réta-
blissement des relations commerciales en-
tre la France et l'Italie. Il espère que l'Italie
ressaisira sa liberté d'allure en 1892, à l'ex-
piration des traités de la triple alliance. Les
financiers français ne pouvaient pas, com-
me patriotes, lui ouvrir leurs caisses, tant
qu'elle préparait une guerre d'invasion. Il
espère qu'un accord sincère sera scellé ;
mais la France demandera que l'Italie lui
conserve sa neutralité.
LOCOMOTION AÉRIENNE
(DE NOTRE CORRESPONDANT PARTICULIER)
Naples, 30 mai.
On télégraphie de Capri qu'un sieur Poma-
rici a fait avant-hier des expériences avec un
appareil de 'son invention qui devrait per-
mettre à un homme de parcourir facilement
une certaine distance dans l'espace.
Les expériences ont donné, paraît-il, des ré-
sultats assez satisfaisants.
Avec son système de locomotion aérienne,
M. Pomarici aurait réussi à franchir dans l'air
la distance de ho mètres.
LE TSAR
ET
L'AFFAIRE DES NIHILISTES
LA NOUVELLE A SAINT-PÉTERSBOURG
Vive émotion. — Les dépêches aux
journaux russes. — M. Ribot et
l'ambassade russe. — Le ni-
hiliste Mendelssohn. —Le
tsar au gouvernement
françods.
(DZ NOTRE CORRESPONDANT PARTICULIER)
Saint-Pétersbourg, 30 mai.
L'arrestation des nihilistes, annoncée ce
matin par dépêche, avec force détails sur
les bombes et les explosifs trouvés à leurs
domiciles, a produit une vive émotion à
Saint-Pétersbourg. On s'arrache les jour-
naux russes et on commente vivement les
faits qui ont motivé les arrestations nom-
breuses opérées par votre police. On dit
d'ailleurs dans un certain monde, à Saint-
Pétersbourg, que, depuis quelques jours,
le tsar avait été prévenu par l'ambassade
russe de Paris de ce qui se préparait et
qu'il était tenu jour par jour au courant
des faits et gestes de la bande arrêtée
hier.
L'ambassade russe avait été prévenue
elle-même par votre ministre des affaires
étrangères, M. Ribot, et non par M. Cons-
tans.
Mendelssohn et Demski
Nous connaissons beaucoup, ici, Men-
delssohn, l'un des principaux nihilistes mis
en état d'arrestation, et je suis en mesure
de vous donner sur ce personnage quel-
ques renseignements précis :
Mendeissohn est l'arrière-petit-fils du cé-
lèbre philosophe prussien Moïse Mendels-
sohn, né à Dessau, traducteur de Jean-
Jacques Rousseau, qui essaya surtout de
rapprocher les juifs des chrétiens. Ce Men-
delssohn avait eu deux fiis, dont l'un, Jo-
seph, fonda la célèbre banque Mendelssohn
et Cie, à Berlin, et l'autre, Alexandre, alla
se fixer a Varsovie.
Celui qui a été arrêté hier est le petit-fils
d'Alexandre Mendelsohn; il est le cousin
du célèbre compositeur de musique Men-
delssohn-Bartholdy.
Mendelssohn avait déjà été condamné en
Russie, où il avait pris part à une conspi-
ration contre la vie du tsar. Il avait pu s'é-
chapper à temps de Russie, mais,naturelle-
ment, il ne pouvait rentrer dans son pays,
où il eût été immédiatement arrêté.
Mendelssohn est le plus riche des nihilis-
tes, généralement très pauvres;, c'est de ses
parents qu'il recevait l'argent avec le-
quel il vivait et pouvait entretenir la pro-
pagande nihiliste. Comme Reinchstein,ilest
israélite.
Lui et Demski, ils étaient depuis long-
temps surveillés par la police secrète inter-
nationale russe.
Il paraît qu'il était avec lui en Suisse
pendant l'histoire des bombes de Zurich
dont parlent vos journaux.
Avant de quitter la Suisse, Mendelssohn
resta quelques jours à Genève où Demski
vint le rejoindre. Là, ils renouèrent des re-
lations avec les réfugiés russes.
C'est par Bellegarde que, tous deux, ils
sont entrés en France, et la police russe
avertit aussitôt le gouvernement français.
La nouvelle au tsar
Quand l'empereur Alexandre III a appris
par M. de Giers, notre ministre des affaires
étrangères, l'arrestation des nihilistes à
Paris, le danger qu'il avait couru et qui
avait pu être conjuré grâce au gouverne-
ment français, il a exprimé en termes émus
et à plusieurs reprises ses sentiments de
reconnaissance et de gratitude envers votre
gouvernement.
— Transmettez au gouvernement fran-
çais en mon nom, a-t-il dit au ministre, mes
remerciements et mes sentiments de recon-
naissance.
Le tsar acclamé
Dans l'après-midi, au moment de l'arri-
vée à la gare de Saint-Pétersbourg du
prince de Naples, fils du roi d'Italie, l'em-
pereur a été acclamé par une foule consi-
dérable. Tous les membres de la famille
impériale et les hauts dignitaires dela cour
étaient présents, et c'est au milieu de nou-
veaux vivats que la calèche dans laquelle
étaient montés le tsar et le prince de Naples
a traversé la perspective Newski.
Dans la soirée, un dîner des plus bril-
lants a été donné au palais Anitchkow.
L'AMIRAL DUPERRE
Curiosité légitime.—Une vie. — L'avan-
cement à la vapeur. — Le trou. —
Actif et passif. — La popularité
de Chariot.
Un de nos lecteurs nous demande de pu-
blier la biographie complète de l'amiral
DuDerré.
Incapable de s'expliquer par les voies or-
dinaires de la logique pure comment et
pourquoi le ministre de la marine s'en est
allé précisément choisir, pour lui confier
les plus hautes et les plus délicates fonc-
tions de l'armée de mer,le seul de nos ami-
raux qui n'ait pas, en 1870, fait son devoir
devant l'ennemi, ce lecteur — né curieux-
tient probablement à savoir, si dans la ra-
pide carrière de it Charlot,,,il n'y aurait pas,
par hasard, quelque fait extraordinaire,
quelque exploit épique, quelque œuvre
prodigieuse effaçant par son éclat toutes
les fautes et toutes les faiblesses et légiti-
mant, envers et contre toutes les médi-
sances, la fortune exceptionnelle du déser-
teur qui commande aujourd'hui l'escadre
de la Méditerranée.
Cette curiosité part d'un bon naturel.
Rien de plus facile, au demeurant, que de
lui donner satisfaction.
Amiral de cour
Charles-Marie Duperré, petit-neveu de
l'amiral de France, et, par suite, cousin du
vice-amiral Victor Duperré, le grand-chef
(au moins jusqu'au h août prochain, date
à laquelle il passera dans le cadre de ré-
serve), est né le 1A septembre 1832, à Ba-
gner-Morvan, petite bourgade de l'arron-
dissement de Saint-Malo (Ille-et-Vilaine).
Entré à l'Ecole natale en 18h7, enseigne
de vaisseau en 185.4, lieutenant de vaisseau
en 1859, il fut, à cette époque, nommé offi-
cier d'ordonnance de l'empereur Napoléon
III, et, plus tard, aide de camp du prince
impérial.
Promu capitaine de frégate après sept1
ans de ce pénible service, c'est-à-dire à 3h
ans d'âge (alors que les autres officiers n'at-
teignent guère ce grade avant h7 ans., en
moyenne), il commanda ensuite, plus ou
moins effectivement — comprenez : en res-
tant à la cour — le Jiorhin, la Reine-Iior-
tense, puis le Taureau, à bord duquel il re-
çut le grade de capitaine de vaisseau, le
le mars 1870. Il était alors âgé de 38 ans.
Le trou
Ici se place, dans sa vie, la lacune que
toute la France connaît :
«Fidèle au malheur», l'amiral Duperré
file sur Belgique.
N'insistons pas : la cause est entendue ;
elle est même. jugée!
Un officier « adoré »
On ne retrouve plus M. Duperré dans le
service maritime actif qu'en 1872. Il part
alors, en qualité de commandant de la Vé-
nus, pour la station de l'Atlantique.
Son parent, l'amiral Pothuau, était alors
ministre. C'est ce qui explique et les indul-
gences du dossier que brandissait l'autre
jour si triomphalement, — mais si impru-
demment, — l'agence Havas, et la facilité
avec laquelle l'éponge fut passée sur les
souvenirs de son. absence, — à tout le
moins inopportune, — au moment du dan-
ger.
Revenu en 187/j, il occupa pendant quel-
que temps les fonctions de président de la
commission des archives et de membre de
la commission des machines et du grand
outillage. La féodalité maritime, un mo-
ment abattue, était en train de se reconsti-
tuer sous les auspices de son cousin,le petit
Victor. Aussi fut-il nommé, en 1875, au
commandement du cuirassé la Revanche ;
et, le 8 octobre 1878, il était promu contre-
amiral, à l'âge de quarante-six ans !. L'a-
miral Pothuau, cela va de soi, était encore
- ministre.: -1
Le grade de vice-amiral ne fut pas plus
difficile à obtenir. Le h novembre 188/j, à
l'âge de cinquante-deux ans, il décrochait
la troisième et suprême étoile. Une campa-
gne de paix en Chine, à bord de la Thétis,
avait suffi.
C'est à l'issue de cette campagne fruc-
tueuse qu'on put juger de la popularité
dont jouit parmi ceux qui l'ont vu de près
à l'œuvre cet amiral que le Gaulois avait,
l'autre jour, l'inconscience de prétendre
nous présenter comme étant « adoré de ses
hommes
Quand on désarma la Thétis et que «Char-
lot" quitta son boH, ont dut lui faire, se-
lon l'usage, les adieux réglementaires. Les
matelots grimpèrent dans les vergues, et
un officier donna le signal des acclama-
tions : « Vive l'amiral ! » Pas un cri t. e lui
répondit. L'officier, un peu « estomaqué »,
reprend d'une voix plus haute : « Vive l'a-
miral! "mais avec un égal. succès. Une
troisième épreuve ayant donné le même
résultat, l'état-major s'en tint là, et « Char-
lot », pâle de colère, dut descendre dans
son canot, accablé sous le pbids de ce si-
lence terrible, plus dramatique et plus
cruel qu'un concert de huées et de malé-
dictions.
On défend aujourd'hui, sous peine de
prison, aux matelots de l'escadre de la Mé-
diterranée de. lire les journaux. Pendant
les trente-trois mois qu'il venait de pas-
ser dans les mers de Chine, l'équipage de
la Thétis n'avait pas apparemment abusé
de la lecture, et la mauvaise presse ne les
avait pas encore édifiés sur le compte de
leur chef, dont la plupart, de braves « ma-
thurins » bretons,devaient ignorer le rô'e.
effacé pendant la guerre. Cela ne les em-
pêchait pas de le juger à sa juste valeur et
de le lui faire sentir de la seule façon qu'une
discipline de fer laissait à leur disposi-
tion.
On peut par là se rendre compte de la
valeur qu'il convient d'attacher à la
grrrande ovation qu'on prépare à Toulon
à l'ex-commandant do la Thétis.
L'œuvre de Charlot
Voilà donc M. Duperré vice-amiral. Il a
désormais devant lui treize ans d'omnipo-
tence.
Comment va-t-il justifier son avancement
vertigineux ?
En contrecarrant, en toute occasion, les
initiatives prises par son illustre prédéces-
seur, l'amiral Bergasse du Petit-Thouars;
en perpétuant tous les usages routiniers et
tous les périlleux abus doiit souffre la ma-
rine française et qui risquent de compro-
mettre la défense nationale et le salut de la
patrie ; en donnant à l'arbitraire et au favo-
ritisme, et à la démoralisation qui en est
la conséquence fatale, l'essor néfaste que
vous savez; en amenant, en un mot, la
lllarinefrançaise, - tant au point de vue
du personnel qu'au point de vue du maté-
riel, — à un tel état que les patriotes se
demandent avec anxiété s'il reste encore
une seule faute à commettrel
N'oublions pas que c'est l'amiral Duperré
qui fut l'auteur responsable — in par-
tibus — de presque tous les scandales et de
presque tous les passe-droits que nous
avons tant de fois dénoncés.
N'oublions pas que, lors des dernières
grandes manœuvres devant Toulon, il ne
sut pas organiser la défense du littoral, si
bien que ce fut lui, toujours lui, qui, dans
la personne de son ami intime, l'amiral
Alquier, se fit battre à plates coutures par
l'amiral O'Neill, qui représentait la nou-
velle méthode et la furia jrancese.
En revanche, l'amiral Duperré est impi-
toyable pour les menues broutilles de la
discipline formaliste : il lui faut ses cano-
tiers, il interdit à ses officiers le port du
veston réglementaire et prétend recevoir-
sans doute en raison de ses états de services,
effectivement exceptionnels — un salut spé-
cial.
Mais voilà notre correspondant, à ce
qu'il semble, entièrement satisfait!
MORT DE LA DUCHESSE DE PERSIGNY
Souvenirs de l'empire
(DE NOTRE CORRESPONDANT PARTICULIER)
Cannes, 30 mai.
La marquise de Sombreuil, duchesse de
Persigny, femme de l'ancien ministre de
l'intérieur de l'empire qui succéda en 1852
à M. de Morny, est morte aujourd'hui à sa
villa de la Californie.
La duchesse de Persigny était la fille uni-
que du prince de la Moscowa, fils du maré-
chal Ney.
A l'occasion de son mariage, M. de Persi-
gny avait reçu ae son souverain le titre de
comte et un cadeau de noces de 500,000 fr.
M. de Persigny était mort à Nice en 1872.
Sa veuve, dont le nom avait été rappelé
par des affaires domestiques portées devant
les tribunaux, s'était remariée en 1873 avec
le docteur Hyacinthe-Hilaire-Adrien Le
Moyne, mort lui-même au Caire en 1879.
Elle épousa ensuite M. le marquis de Som-
breuil.
Mme la marauise, de Sombreuil avait
soixante ans
CHRONIQUE
La Gazette des Tribunaux nous apporte
aujourd'hui le texte exact du jugement
rendu, sous la présidence de M. Aubépin,
par le tribunal civil de la Seine, jugement
en vertu duquel l'Eclair a été condamné
à une amende et à des dommages-inté-
rêts, pour avoir publié deux jours avant
la première représentation un compte
rendu d'une pièce de M. Bisson, Feu Tou-
pinel, qui se joue encore au Vaude-
ville.
Parmi les considérants qui motivent le
jugement, je détache ceux où se résume
la doctrine du tribunal :
(c Attendu que l'obligation d'une en-
tière discrétion s'impose à l'égard des
pièces qui n'ont pas encore été représen-
tées, tant aux critiques qui sont conviés
à la répétition générale qu'à tous au-
tres;
» Qu'en dehors du consentement de
l'auteur et des directeurs, les premiers
sont tenus de ne pas trahir la confiance
qui leur a été témoignée, et les seconds,
de ne pas profiter d'indiscrétions abusi-
ves et que tous, en méconnaissant cette
obligation qui leur incombe, portent une
égale attoiute aux droits certains des in-
téressés :
Qu'enfin, dans la pensée de l'auteur
et des directeurs, la répétition générale
est manifestement exclusive d'une publi-
cité qui équivaudrait à celle de la pre-
mière représentation. »
On ne saurait mieux dire, et nous ne
pouvons que savoir gré à nos magistrats
d'avoir si bien élucidé la question et for-
mulé un jugement qui, sans doute, fera
jurisprudence.
C'est à nous, journalistes, qu'en con-
damnant un des nôtres, le tribunal a
rendu un signalé service ; on ne l'a pas
assez dit, et je tiens à le faire remar-
quer.
Les journaux qui tendaient à se faire
une spécialité de cette sorte d'indis-
crétions n'avaient pas grand'peine à se
donner pour conter avant les camarades
la pièce nouvelle, pour l'analyser et la
juger. On convie tous les critiques à la
répétition générale ; on y invite même le
plus souvent tous ceux qui pour me ser-
vir de l'expression courante, sont du bâ-
timent. Il se trouve donc, le soir de la
répétition générale, un millier de person-
nes environ qui savent la pièce par
avance et qui pourraient, si elles le vou-
laient bien, en rendre compte au public.
Elles ne le faisaient point. C'est d'abord
qu'en acceptant une invitation à la répéti-
tion générale, elles passaient un engage-
ment tacite de ne point déflorer avant la
première représentation la curiosité de
la pièce. C'est aussi qu'il leur paraissait
injuste de porter un jugement définitif
sur une œuvre qui pouvait, dans l'inter-
valle de la répétition générale à la pre-
mière, subir des modifications et des cor-
rections.
Le cas n'est pas rare. Telle scène a dé-
plu aux spectateurs de la répétition gé-
nérale ; il suffit parfois d'un léger change-
ment pour que la situation s'éclaire et
qu'un acte qui, la veille, avait laissé le
public froid, aille aux nues le lendemain.
Au Cercle de la critique, il y a quelques
semaines, on a discuté la question. Il a
été convenu que ce serait mal reconnaî-
tre l'hospitalité des directeurs et risquer
de commettre envers les auteurs d'irré-
parables inj ustices, que de ne pas atten-
dre, pour parler de l'ouvrage nouveau,
l'épreuve définitive de la première repré-
sentation. Nous avons donc tous décidé,
d'un commun acoord, que nous garde-
rions un silence qui nous était commandé
à la fois par les convenances et par l'é-
cruité.
Mais supposez qu'un journal ne s'as-
treigne pas à la même loi. Rien, mon
Dieu, ne lui est plus facile. Le directeur
de l'Eclair avait fait plaider par son avo-
cat que, n'ayant pas assisté à la répéti-
tion générale sur invitation personnelle,
il n'était pas obligé à la discrétion de ses
confrères. C'était une plaisanterie; car il
n'y a rien de si simple que de se procu-
rer des places, ou même que d'intérro-
ger les journalistes qui sortent de la
séance et qui causent librement de leurs
impressions.
Voilà donc l'Eclair qui offre la veille
au public ce que les autres journaux, par
respect pour les bienséances, ne donnent
que le lendemain. Si l'on ne met pas le
holà à cette fureur d'indiscrétion, il est
clair qu'à une prochaine occasion deux
ou trois journaux se diront :
— Nous sommes bien bêtes de nous
laisser prévenir de la sorte et d'avoir l'air
d'être en retard sur le confrère. Nous al-
lons faire comme lui, puisqu'il n'en
coûte rien.
Six mois plus tard, vous pouvez
être sûr que tous les journaux, sauf
peut-être deux ou trois exceptions, don-
neraient, le lendemain même de la répé-
tition générale, le compte rendu anticipé
de la pièce.
La répétition générale deviendrait,
comme l'a fort bien dit M. Aubépin dans
son jugement, une première représenta-
tion.
Mais on ne s'en tiendrait pas là. Tenez
pour certain que bientôt,poussé par cette
rage de paraître plus vite et mieux in-
formé que les confrères, un Eclair quel-
conque n'attendrait pas la répétition
générale et conterait la pièce au moment
même où l'on commencerait de la mettre
sur ses pieds.
Ce sont là des renseignements que l'on
se procure, dans notre métier, le plus
aisément du monde. Il n'y a personne
qui aille moins que moi dans les en-
droits où s'élaborent les racontars de
coulisses. Je ne sors jamais de mon ca-
binet. Et cependant, je sais sur ce qui
se prépare dans les théâtres tout ce qu'on
r peut savoir, et sans le demander. J*
pourrais, s'il m'en prenait fantaisie, con-
ter l'idée première de la comédie à la-
quelle travaille Dumas fils, et je ne m'en
fais pas accroire pour cela. Nous sommes
bien une centaine à Paris en possession
de cet important secret.
Nous n'en disons rien, parce que si
nous imprimions à tort et à travers tout
ce qui nous arrive aux oreilles, il n'y
aurait plus avec nous de conversation
possible. On en a causé librement, chez
moi, pour le plaisir de causer, avec cette
arrière-pensée que le public ne serai*
pas mis dans la confidence.
Est-ce que je sais d'ailleurs si Dumas
achèvera la pièce commencée, ou s'il ne
la tournera pas d'autre façon? Une in-
discrétion le peut gêner; avons-nous le
droit de lui imposer cet embarras ?
Il ne faut donner au public que ce qui
lui doit être livré. Et qu'on n'aille pas me
dire (ce qu'on ne manquera pas de faire)
que je me mets en contradiction avec la
théorie que j'ai soutenue dans l'affaire
Mermeix. J'ai toujours reconnu que Mer-
meix avait eu tort de publier préventive- •
ment un acte d'accusation qui ne devait
être lu que quelques jours après, en
audience solennelle. Mais j'ai ajouté que
ce tort ne pouvait être puni (comme
toutes les uuu Lia veut ious ) que d'uuu
amende, et qu'en faire un crime, le tra-
duire en cour d'assises, c'était de la folie
pure.
- On a de même infligé à nos confrères
de l'Eclair une amende et des dommages-
intécéts, peu considérables cette fois. Le
principe est désormais posé. Un journal
pourra se rendre coupable d'indiscrétions
semblables, mais ce sera à ses risques et
périls. Et comme le chiffre des domma-
ges-intérêts est dans la main du juge,
comme il peut être augmenté dans de
larges proportions, il n'est pas probable
qu'aucun directeur se hasarde à courir
uu si gros risque pour un si mince pro"
fit. ,
Tous seront forcés de garder l'aligne-
ment, et il n'y aura pas une prime pour
ceux qui s'aviseraient de le rompre.
C'est à nous, les sages et respectueux
de l'ordre, que profitera-ce jugement, et
personne ne pourra plus nous crier en
nous faisant la nique : « Il n'y a que les
honteux qui perdent. »
Francisque Sarcev.
INCENDIE D'UN STEAMER CHINOIS
(DE NOTRE CORRESPONDANT PARTICULIER)
, Londres, 30 mai.
On télégraphie de Shanghaï que le steamer,
Pao-Ching a pris feu sur- le Yangtse, hier.
Vingt-deux passagers manquent à l'appel.
ON DEMANDE UN CONSUL
Le commerce français au Portugal.
Nos intérêts commerciaux mécon- l
nus. — Nomination urgente.
Le commerce français se plaint beaucoup
du peu d'intérêt que semble lui porter no-
tre nouveau ministre des affaires étran-
gères.
Depuis quatre mois, la presse portugaise
tout entière fait appel au commerce fran-
çais.
La presse française a répandu partout
tous les renseignements désirables.
La chambre de commerce française à Lis*
bonne a adressé un patriotique appel —
appuyé par des documents irréfutables — à
tous ses compatriotes.
Et depuis huit mois la France n'a pas de
consul à Lisbonne!
LE LIEUTENANT GAnCIN ;
Réponse au a Temps ». — La vérité
officielle et la vérité vraie. — Le ■
champagne et le londrès dû
révérend père Magat.
Le Temps nous inflige une petite mercu-
riale au sujet de la façon — inconsidéréa
suivant lui — -dont nous avons pris la dé-
fense du lieutenant Garcin, qui va passer,
devant un conseil d'enquête pour avoir
« mis à sa place » un missionnaire bizarre
qui faisait bâtonner les tirailleurs au
Tonkin.
Le Temps se croit bien renseigné, parce'
qu'il a lu des extraits d'un rapport officiel
adressé sur cette affaire, rapport que nous
connaissons aussi, comme nous connais-
sons bien d'autres documents officiels, et le
Temps rétablit la vérité. Naturellement, sa
vérité à lui étant la vérité officielle, les
faits qu'il rapporte sont absolument faux.
N'en déplaise à notre confrère, le mis-;
sionnaire Magat, sur le sort duquel il es-
saie de nous apitoyer, comme il essayait de
nous apitoyer, l'autre jour, sur l'amiral
Duperré, — encore une victime! — est
connu et archi-connu au Tonkin. Bien avant
l'affaire du lieutenant Garcin, plusieurs of-
ficiers qui avaient commandé le poste det
Linh-Cam, MM. Henoch, Fonsagrive, Carré,
entre autres,avaient eu l'occasion d'adresser
à leurs chefs des rapports très raides sur,
cet apôtre de la foi. j.
Le père Magat
Après les réclamations puériles du mis-
sionnaire contre des soldats français, après
l'acte de barbarie commis par lui contra
des soldats indigènes, le sous-lieutenant
Garcin crut devoir se plaindre à ses chefa
des agissements du pretre.
Ces derniers, qui, en l'envoyant à Linh":
Cam, l'avaient cependant prévenu contrei
son dangereux voisin, ne jugèrent pas à
propos de lui répondre.
Quelques jours après, .deux catholiques
étaient assassinés, et de ces faits isolés,
vengeances particulières, on voulut faire
une rébellion importante.
M. Garcin, sûr de la tranquillité de sa ré-
gion, alla, sans escorte, parcourir les envi-
rons de son poste. Seul, pendant cinq jourss
il visita tous les villages et reçut partout
un excellent accueil.
Quelque temps après l'incident des joIlAi{
ques, et ne voulant pas toujours faire pe-;
ser sur les villages bouddhistes les corvées
nécessaires à. son service, M. Garcin pria;
l'autorité annamite de s'adresser aux catho.
liques, soumis, comme tous les indigènes.'i
aux lois du pays et qui devraient avoir aut,
moins la pudeur de nous aider, ouisaue
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