Titre : Le XIXe siècle : journal quotidien politique et littéraire / directeur-rédacteur en chef : Gustave Chadeuil
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1890-05-31
Contributeur : Chadeuil, Gustave (1821-1896). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32757974m
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Format : Nombre total de vues : 68249 Nombre total de vues : 68249
Description : 31 mai 1890 31 mai 1890
Description : 1890/05/31 (A19,N6711). 1890/05/31 (A19,N6711).
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k7560250v
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-199
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 09/04/2013
Dix-neuvième année/ — N° 6,711
CINQ Centimes Paris et JDépàrtëmexits — CINQ Centimes
SAMEDI 31 MAI 1893
LE 1 SIECLE
JOURNAL RÉPUBLICAIN
RÉDACTION
14B, Rue Montmartre
, PARIS
DIRECTEUR POLITIQUE
Â. - ÉDOUARD PORTALIS
PRIX DE L'ABONNEMENT :
Paris..* Troil aoi;, 6f.; Six atii, il t; Oan, SOL
Dèpartementa - 7 L; — 12 f.; — 24 î.
Union Postale — 9!.; — 16 L; — 32 i*
las abonnements partent du lw et 15 de chaque mots.
Adresse télégraphique : XIXe SIÈCLE - PAlUS
Téléphona : 20.289 bit.
ADMINISTRATION
!&4S, Rue .a.tontm&J.etr.
PARIS
REGISSEURS D'ANNONCES
MM. LAGRANGE, CERF et C~
6, place de la Bourse, a
PRIX DE L'ABONNEMENT :
Paris. Irai MÛ, 6 L; Six sait, ur.; h ta, 20 f.'
Départements — 71.; — 12 L; — 24 L
Union Postale — of.; — t8 fo; - 32 £
ite* abonnenlent» partent dee Il" et 15 de chaque MW
Adrosae télégraphique : XEX* SIÈCLE — PARM
Téléphone : 20.280 bit.
UN COMPLOT CONTRE LE TSAR
i LES BOMBES NIHILISTES
Entretien avec M. Lavrof
LES DÉPÊCHES DE L'AMIRAL DUPERRÉ
La question des paris aux courses
LES FÊTES DU LENDIT
Cta M. tlc Bismarck
Ils vont bien, les journalistes fin de
Siècle ! Il fut un temps où la mode
était de se rencontrer sur la terrasse
de Tortoni; aujourd'hui, les écrivains
politiques qui sont dans le mouve-
ment se donnent rendez-vous un peu
au-delà de la frontière, chez nos excel-
lents amis les Allemands, à Fried-
richsruhe. Avez-vous reçu l'hospita-
lité du prince de Bismarck? Avez-
vous mangé ses dîners, bu son vin?
Avez-vous choqué le verre avec lui ?
Non. Alors vous ne connaissez rien à
là grande politique. Pauvres amis!
vous vivez sans doute encore sur cette
légende que M. de Bismarck est un
homme néfaste, qui a vécu dans la
haine sauvage de la France, qui
n'a cessé d'exciter contre elle les
passions de l'Allemagne et de toute
l'Europe. On vous a dit peut-être
que cet homme était le mauvais
génie de notre vieux monde, qu'il
n'avait d'autre culte que celui de la
fourberie cynique et de la force bru-
tale; on a cherché à vous persuader
que tout l'argent qu'il avait fait dé-
penser, tout le sang qu'il avait fait
répandre, le seraient inutilement même
pour son pays, que son œuvre était
aussi sinistre qu'éphémère, que l'em-
pire allemand créé par lui s'écroule-
rait après lui, comme le fameux co-
losse aux pieds d'argile, que la force
enfin ne primerait pas éternellement
le droit. Quelle erreur était la vôtre
et, on peut bien le dire, la nôtre ! Le
prince de Bismarck est l'ami d'Henry
des Houx, du jfatin, et de Tris-
tan, du Petit Journal ; comment ne
serait-il pas notre ami? Bismarck était
un malheureux incompris. Ils ont eu
pitié, eux qui avaient deviné sa grande
âme, et ils n'ont pas hésité à prendre
le train pour aller recevoir at home
ses confidences. Le chancelier de fer
les a serrés sur son cœur, ils ont reçu
ses épanchements, et ils sont revenus
pleins d'enthousiasme. Bismarck, de-
puis qu'il a trinqué avec des Houx et
Tristan, avec Tristan et des Houx, il n'y
a plus que lui! Il n'y a même, paraît-il,
jamais eu que lui. Et voilà qu'on tra-
vaille maintenant à lui faire en France
une popularité pour remplacer celle
évanouie du général Boulanger!
Lorsqu'elle nous avait été une pre-
mière fois servie par le Matin, cette
monstrueuse plaisanterie avait cho-
qué. De la part du Matin, cependant,
on peut s'attendre à bien des choses.
N'est-ce pas ce journal, dont M. Ed-
wards est le directeur, qui, après
avoir proclamé sur tous les tons que
l'affaire de l'accaparement des Métaux
était l'entreprise la plus patriotique
du siècle, voudrait nous faire croire
aujourd'hui que les obligations du
Crédit foncier ne valent pas un cen-
time? Mais quand on a vu le Petit
Journal emboîter le pas au Matin, et
M. Tristan chausser les souliers de
MM. Edwards et des Houx, on n'a
plus été seulement choqué : on a été
indigné de voir que cet organe, dont
Emile de Girardin avait fait pendant
le 16 Mai un si noble usage, pouvait,
entre certaines mains, devenir un ins-
trument de vile réclame au profit de
l'homme dont l'unique et constante
pensée, depuis trente années, a été le
dénigrement, l'abaissement, la mutila-
tion, et probablement même, quoi qu'il
en dise, le démembrement définitif
de la France.
Ce n'est pas comme simple journa-
liste que M. Tristan s'est offert à
M. de Bismarck, c'est « comme re-
présentant du Petit Journal, — c'est-
à-dire comme étant en mesure — ce
sont les termes mêmes dont il se
sert — de transmettre l'expression
exacte de sa plus récente pensée
à l'immense majorité du peuple fran-
çais ». Oui, ce rédacteur patriote a
éprouvé l'impérieux besoin de servir
de téléphone entre notre pire enne-
mi et « la majorité du peuple fran-
çais ». Cette u majorité ;j doit être
vraiment flattée. Il a joue ce joli rôle,
non pas seulement pour faire entendre
à la ma jorité d Français des lapalissa-
des da-lS le genre de celle-ci ; « Il y a tou-
jours eu de l'inégalité entre les hommes,
des riches et des pauvres, il y en aura
toujours i); mais pour présenter M. de
Bismarck à la clientèle du Petit Jour-
nal comme un ami de la France injus-
tement calomnié. En 1887, il n'a ja-
mais été question de guerre; M. de
Bismarck n'a jamais menacé la France
à la tribune du Parlement allemand ;
il ne l'a pas fait insulter et provoquer
par ses journaux. L'affaire Schnsebelé
n'a été que la conséquence de la ran-
cune de deux agents, et c'est à tort,
sans doute, que le gouvernement fran-
çais d'alors, présidé par M. Goblet, y
a attaché quelque importance. En
1875, la crainte de la guerre n'a ja-
mais existé que dans nos folles ima-
ginations. La Russie n'a pas eu, à cette
époque, à intervenir. Tout ce qu'a
dit à ce sujet le général Le Flô n'est
que pure invention. Nous serions
bien sots de nous figurer que nous
devions de ce chef la moindre recon-
naissance à la Russie. M. de Bis-
marck, à cette époque, voulait la
paix, comme toujours. M. de Moltke
aussi voulait la paix. Il n'y avait
sans doute que nous, Français, qui
ne. la voulions pas. Quant à l'an-
nexion de l'Alsace et de la Lorraine,
M. Tristan nous affirme, au nom de
M. de Bismarck, que nous avons eu le
plus grand tort de nous en formali-
ser. M. de Bismarck était « opposé à
la conquête de cette partie du Sles-
wig qui renferme toujours 150,000
Danois e.,, mais il ne l'était pas du
tout à la conquête de l'Alsace et de
la Lorraine. « Pour ce qui est de
de l'Alsace, — nous citons textuelle-
ment, — l'occupation de Strasbourg a
paru nécessaire, parce que la garni-
son de Strasbourg exerçait une in-
fluence morale et une action matérielle
trop prépondérante sur l'Allemagne du
Sud ». « Quant a Metz, — nous citons
encore, — ce sont les militaires qui
l'ont exigé, en donnant comme raison
que Metz valait 100,000 hommes. Main-
tenant, nous sommes saturés, con-
clut M. de Bismarck, et nous ne vou-
lons plus courir aucun hasard. » Puis-
que M. de Bismarck est saturé, de
quoi nous plaindrions-nous? N'est-il
pas évident qu'après d'aussi belles
raisons, nous aurions mauvaise grâce
à lui en vouloir encore et à nous en-
têter dans la revendication des pro-
vinces perdues?
En passant, M. Tristan a demandé
à M. de Bismarck ce qu'il pensait de
nos hommes d'Etat, et il a été assez
heureux pour obtenir pour deux au
moins d'entre eux un satisfecit.
C'est pour entendre de pareilles
choses et pour les reproduire dans le
Petit Journal, qu'on est allé humilier
la presse française aux pieds de celui
qui a traité depuis trente ans la presse
européenne de telle façon que les jour-
nalistes qui chantaient ses louanges,
et qui, dans le monde entier, diffa-
maient pour son compte la France et
les Français, avaient mérité d'être dé-
signés sous le nom peu glorieux de
« reptiles Yy. Nous savons bien qu'on
aime auj ourd'hui à considérer comme
la marque du génie de tout oublier, de
tout croire possible, même l'audacieuse
apologie dans des journaux français
du dispensateur du fonds des reptiles;
mais notre consolation est de croire
que la maj orité du peuple français
n'approuvera jamais cette politique
trop fin de siècle et qu'elle conservera
jusqu'au bout ses haines sacrées et ses
patriotiques espérances.
A.-EDOUARD PORTALIS.
Le « XIXe Siècle » publiera demain la
« Chronique » par M. Francisque Sarcey.
ÉLECTIONS SÉNATORIALES
Le Journal officiel publie ce matin les
convocations d'électeurs des départements
suivants, à l'effet de nommer leurs repré-
sentants au Sénat :
Sont convoqués pour le 1er juin, les élec-
teurs de Vaucluse, en remplacement de M.
Naquet, démissionnaire; pour le 8 juin,
ceux de Lot-et-Garonne, en remplacement
de M. Laporte, décédé ; pour le 15 juin,
ceux de la Somme, en remplacement de M.
Magnier, décédé; pour le 6 juillet, ceux de
la Savoie, en remplacement de M. Parent,
décédé. *
Enfin les électeurs de la Charente seront
probablement convoqués pour le 13 juillet,
en remplacement du général Greslay, dé-
cédé.
i—a——————
LA SANTÉ DU PRÉSIDENTJARRISOH
Son successeur éventuel
(DS NOTRE CORRESPONDANT PARTICULIER)
New-York, 29 mai.
L'état de santé du président des Etats-
Unis, M. Benjamin Harrison, cause de sé-
rieuses inquiétudes. M. Harrison souffre,
assure-t-on, d'une affection cardiaque.
Il est âgé de cinquante-sept ans. S'il ve-
nait à mourir, il serait remplacé, pour
toute la durée du terme de sa magistrature
politique, c'est-à-dire jusqu'au h mai 1893,
par le vice--'président de la République,
M. Lévi P. Morton.
Cet. événement pourrait avoir des consé-
quences profondes pour la politique inté-
rieure de la République, M. Morton pro-
fessant en matière de protection commer-
ciale et de circulation monétaire des idées
très différentes de celles du président et de
l'administration actuels,
L'AMIRAL DUPERRE
Un vieux livre qu'on ne consulte pas
assez. — Les « Papiers secrets des
Tuileries n. -Abondance de preuves
ne saurait mûre. — La fuite en Bel-
gique. — comment on prépare
les manifestations spontanées.
— Une honte.
Dans la note officieuse écrite par le chef
d'état-major du ministre de la marine sous
la dictée de l'amiral Duperré — accouru
tout exprès à toute vapeur à Paris — que
publiait samedi soir l'agence Havas, on li-
sait textuellement ceci :
Pour rétablir la vérité, il suffit de s'en réfé-
rer au dossier de l'amiral Duperré.
Il en résulte qu'en août 1870 il commandait
en qualité de capitaine de vaisseau le garde-
côtes le Taureau.
Appelé à l'armée de Metz, il franchit la fron-
tière de Belgique lors de la bataille de Sedan.
Comme tous les officiers qui se trouvaient
dans la même situation, il fut interné en Bel-
gique par ordre du gouvernement de ce
pays.
Prisonnier sur parole, il fut autorisé par le
ministre de la guerre belge à séjourner en
Angleterre jusqu'à la fin des hostilités.
On a pu voir depuis, d'après les révéla-
tions d'un témoin oculaire reproduites par
la Frontière, d'Avesnes, ce que vaut l'aune
de ce plaidoyer enfantin.
Mais comme, en pareille matière, on ne
saurait trop multiplier les preuves, nous
nous permettrons de demander à l'agence
Havas, comment elle concilie sa version
avec certaines dépêches que nous avons eu
la curiosité d'exhumer de certain livre
dont l'amiral Duperré a peut-être oublié
l'existence, intitulé : PAPIERS SECRETS ET COR-
I RESPONDANCE DU SECOND EMPIRE, réimpreS-
sion complète de l'édition de l'Imprimerie
nationale, annotée et augmentée de nombreu-
se3 pièces publiées à l'étranger et recueillies
par A. Poulet-Malassis. (Paris 1878, Au-
guste Ghio, éditeur, Palais-Royal, 28, gale-
rie d'Orléans, 1878).
Voici ce que nous lisons dans ce livre
extrêmement intéressant, très connu, mais
trop peu feuilleté, à la page 938 :
M. Duperré-LANDRECIES.
Tuileries, 3 septembre 1870, 1 h. 20 soir.
Attendre nouveaux ordres où vous êtes.
FILON,
M. Duperré-LANDRECIES (OU faire suivre
CAMBRAI).
Paris, 3 septembre 1870, 10 h. soir.
A votre choix, Maubeuge ou l'autre ville à
laquelle vous pensiez.Si vous y êtes déjà, res-
tez-y. Informez-moi de votre décision.
FILON.
Et à la page 239 :
M. Charles Duperré. — Maubeuge.
Paris, le A septembre 1870.
Reçu vos deux dépêches. Aurez des ordres
verbaux avant (ici un groupe de chiffres qui
n'a pu être traduit) et une lettre de moi par
l'homme que vous avez envoyé. L'impératrice
veut que vous ne teniez pas compte des com-
munications de Bouillon. L'empereur né peut
pas apprécier la situation.FILON.
Après la bataille
De ces documents, dont l'authenticité ne
saurait être mise en doute, il résulte donc,
contrairement aux assertions. mettons er-
ronées, de l'agence Havas, que ce n'est pas
lors de la bataille de Sedan que l'amiral
Duperré franchit la frontière de Belgique.
Trois jours après, en effet, il vagabondait
encore entre Landrecies et Maubeuge, d'où
il expédiait des dépêches et des émissaires
aux Tuileries.
La vérité est que l'amiral Duperré n'a
franchi la frontière qu'à son heure. La vé-
rité est qu'il a tranquillement attendu en
France, mais loin du champ de bataille, par
exemple,qu'on lui eût signifié de Paris que,
l'empire s'étant définitivement écroulé
dans la boue et dans le sang, il n'était que
temps de prendre la poudre d'escam-
pette.
Filons sur Belgique
Voici, en effet (toujours d'après les Pa-
piers des Tuileries, p. 28), ce que, dans la
dernière dépêche expédiée des Tuileries dans
la journée du h septembre 1870, lui télégra-
phiait sans façon le Filon susnommé, qui
n'était autre, si notre mémoire ne nous
abuse, que le propre précepteur du prince
impériaL :
Paris, h septembre 1870, 2 h. 50 m.
Duperré-MAUBEUGE.
Filons sur 13elqiqtzc.
FILO.
Et Charlot fila!
Naturellement, les autorités belges ne
l'arrêtèrent pas. On n'arrête pas les
bons bourgeois qui circulent. Il s'en alla
donc, sans la moindre anicroche, s'embar-
quer à Ostende pour l'Angleterre, d'où il
ne revint en France (ici l'agence Havas doit
commencer à dire la vérité) que le 10 mars
1871, quand il y avait déjà bel âge que le
canon ne grondait plus.
Un défi à la conscience publique
Voilà l'homme auquel les autorités mari-
times de Toulon préparent, à son prochain
retour, une enthousiaste ovation.
Nous recevons, en effet, de là-bas, au
moment de mettre sous presse, la dépêche
que voici :
Toulon, 29 mai.
L'amiral baron Alquier et toute la féodalité
préparent une manifestation spontanée (!) pour
1 arrivée a la gare du déserteur ae liV.
Tous les chefs de service ont fait passer des
circulaires confidentielles invitant les officiers
à venir attendre Duperré à la gare.
Le baron Alquier fait dire partout que ceux
qui ne viendront pas seront sabrés.
(N. B.) Le baron Alquier est précisément
l'officier que Mme veuve du Petit-Thouars n'a
pas hésité à mettre à la porte de la chambre
mortuaire où reposait le corps de son mari.
L'entrée triomphale projetée est d'ail-
leurs absolument contraire aux règlements,
qui interdisent aux officiers toute espèce
de manifestation.
LE PROCÈS PANITZA
Le dénouement
(D'UN CORRESPONDANT)
Sofia, 29 mai.
Au début de l'audience de la cour mar-
tiale d'aujourd'hui, le major Panitza prend
la parole et dit :
« Avant que vous rendiez votre sentence,
je vous déclare §,voir ignoré les correspon-
dances échangées entre Jacobson et Calob-
koff.
» Ma consctefiôé est tranquille ; je sais
que je ne suis pas un traître à ma chère
patrie, pour le bonheur de laquelle je tra-
vaille depuis mon enfance.
» Si vous Densex que j'ai voulu la trahir
je n'implore pas de clémence, condamnez-
moi à mort. Mais je vous assure que je
n'ai jamais songé à servir d'instrument
soit à la Russie, soit à une autre nation. »
Les autres accusés protestent chacun à
leur tour de leur innocence, ou invoquent,
comme une peine suffisante, les souffrances
qu'ils ont endurées en prison.
Calobkoff se défend ironiquement :
« Je suis étonné, dit-il, que le procureur
n'ait pas réclamé la mise en accusation
de MM. Jacobson, Hitrowo, Zinoview et
autres personnages russes haut placés. »
Le président de la cour lui retire la pa-
role.
La cour se retire pour délibérer.
Le verdict sera rendu ce soir.
M. MICHEL EPHRUSS!
CHEZ LE COMMISSAIRE
Les obligations volées par M. Calvet-
Rogniat.
Nous disions l'autre jour que la maison
Ephrussi était tombée au rang des chan-
geurs interlopes qui trafiquent sur des ti-
tres sans nom, et qui ne se font aucun
scrupule d'exploiter soit la crédulité, soit
la malhonnêteté des clients qui se présen-
tent à leurs guichets.
Tout va bien, tant que le commissaire de
police ne se mêle pas de la partie; malheu-
reusement, il arrive quelquefois que le
parquet s'émeut de la hardiesse de certai-
nes opérations et cherche à en connaître le
détail.
C'est ce qui vient d'arriver à propos des
fameuses obligations Saragosse à la Médi-
terranée émises par la Banque d'escompte,
et dont un lot important a, comme on sait,
été acheté parla maison Ephrussi au baron
Calvet-Rogniat. au prix de 30 francs l'obli-
gation. - - - .- -- - -----
M. Ephrussi a naturellement écoulé ces
titres en Bourse aux environs de 120 francs,
et il considérait l'opération comme parfai-
tement terminée, et dans d'excellentes con-
ditions pour lui.
La personne escroquée parCalvet-Rogniat
ayant mis des oppositions sur les titres
ainsi vendus, on a remonté la filière des
courtiers par les mains desquels ces titres
ont passé, et on est facilement arrivé aux
courtiers qui ont vendu d'ordre et pour
compte de M. Ephrussi.
C'est ainsi que M. J. H., chef d'une de
nos plus honorables maisons de coulisse, a
été convoqué hier après-midi dans le cabi-
net de M. Clément, commissaire aux délé-
gations judiciaires, pour être questionné
sur la provenance des titres en question.
M. J. H. ne pourra que donner le npm
de son commettant, M. Ephrussi, et de-
main, c'est a M. Ephrussi que M. Clément
devra poser des questions.
Nous croyons qu'il sera difficile à M.
Ephrussi de faire accepter par le parquet
comme une affaire ordinaire et courante
l'achat de titres à 30 francs et leur revente
à 120 francs, le bon marché véritablement
exceptionnel auquel Calvet-Rogniat con-
sentait à céder ces obligations devant, pour
tout autre que M. Ephrussi, en dénoter la
provenance suspecte.
Mais l'homme qui a pu lancer le dernier
emprunt portugais n'y regarde pas de si
près.
LAVIEDEPARIS
La grande émotion de la journée est
l'arrestation d'un grand nombre de nihi-
listes ou terroristes russes, qui prépa-
raient, à Paris, des engins de destruc-
tion. Vous lirez dans le journal même
tous les détails relatifs à cette affaire.
L'arrestation a été faite spontanément
par la police française, inquiète d'achats
nombreux d'explosifs qu'on faisait de-
puis quelque temps chez les fabricants
qui détiennent ces dangereuses marchan-
dises et qui font leur devoir en signalant
eux-mêmes les acheteurs suspects. Mais
cette arrestation ne va pas eans soulever
une question délicate.
Au point de vue français, ces Russes
sont simplement coupables d'avoir eu en
leur possession des explosifs en quantité
plus grande que ne le permettent les
règlements de police. Je ne sais même pas
si c'est là un délit. Je crois plutôt que
s'est une simple contravention, qui n'en-
traîne d'autre punition qu'une amende
plus ou moins forte, avec la confiscation
des matières saisies. Mais il est évident
qu'un crime était préparé. Seulement, ce
crime devait se commettre en Russie et
n'a même pas eu un commencement
d'exécution. Dès lors, pouvons-nous, de-
vons-nous, en cas de réclamations de la
Russie, soit livrer les personnes arrêtées,
soit même communiquer les papiers sai-
sis ? Je ne crois pas que nous puissions
le faire, quel que soit notre intérêt à
faire plaisir au gouvernement russe. Le
respect du droit international impose
d'autres devoirs.
C'est l'affaire du docteur Bernard qui,
jadis, eut lieu entre la France et l'Angle-
terre : le cas est tout semblable. Il faut
espérer que la Russie ne réclamera rien
et nous sera même reconnaissante que la
vigilance de notre police ait arrêté le
complot encore en simple voie de prépa-
ration.
J'1- --_! --- .2.------ .1.-. --- -------, J
UU qui me nappc, uctus ces complots
des nihilistes et terroristes russes, dont
nous n'avions pas entendu parler depuis
assez longtemps, c'est le rôle qu'y jouent
les femmes. Parmi les personnes arrêtées
aujourd'hui se trouvent trois ou quatre
femmes, dont une au moins semblait s'ê-
tre donné le rôle le plus dangereux et le
plus important dans la préparation de
l'attentat. C'est une femme, en effet, très
bonne chimiste, dit-on, qui manipulait
ces terribles substances explosives qui, à
une vibration trop forte de l'air, à un de-
gré trop élevé de chaleur ou de séche-
resse quand on les travaille, éclatent et
ravagent tout, comme on l'a vu à Lyon
pour des anarchistes dont les bombes ont
fait explosion aux mains de ceux qui
voulaient en faire usage. Il faut, pour ces
travaux, surtout quand on s'y livre en
secret, sans les installations nécessaires,
dans une chambre mal disposée, qui n'est
pas isolée et agencée comme un labora-
toire, un admirable sang-froid.
Mais ce quLest sutout étrange et frap-
pant, ce qui inquiète tout en comman-
dant un certain respect, c'est la résolu-
tion sauvage de ces âmes de femmes.
Quand nous avons vu passer quelques-
unes de ces « étudiantes » russes, avec
leurs robes collantes simples, sans atours,
leurs chapeaux d'hommes et leurs che-
veux coupés, nous avons, en bons Pari-
siens que nous sommes, souri avec un air
malin, en pensant à quelque bizarre dé-
pravation de mœurs. Voilà, disions-nous,
des femmes qui font les garçons et qui
ne s'en cachent pas. Mais ce n'est point
de cela qu'il s'agissait.Ces femmes étaient
vraiment des hommes, et mieux que des
hommes, par leur énergie. On eût dit
que le ciel avait entendu leur vœu,
quand, comme lady Macbeth hésitant
devant le crime, elles lui avaient de-
mandé de perdre leur sexe, d'être « des-
sexées », ainsi que dit Shakespeare, for-
geant le mot dont il avait besoin !
Ce qui donne aux complots russes une
physionomie particulière, c'est que non
seulement les femmes y sont mêlées,
mais qu'elles paraissent presque toujours
en être l'âme. Les hommes qui conspirent
ont presque toujours un but déterminé :
le plus souvent ils cherchent ou la satis-
faction d'un idéal politique, la constitu-
tion d'un gouvernement où ils auront
leur place, ou bien des progrès matériels
et des satisferions immédiates. Il est as-
sez rare de voir entrer dans une conspi-
ration des hommes qui n'ont rien à y ga-
gner. Les conspirateurs les plus purs, par
exemple Barbès, que j'ai connu assez
pour avoir une vénération profonde pour
sa haute vertu, ont un but déterminé, et
la révolution qu'ils souhaitent satisferait
une ambition. Il est certain que si Barbès
avait réussi et aue si un gouvernement
fût sorti du complot des Saisons, il eût
été le chef de ce gouvernement.
Les conspiratrices russes paraissent, au
contraire, être des femmes qui n'ont ab-
solument qu'à perdre dans la terrible
partie qu'elles jouent. Il en est parmi
elles de riches, il en est de jolies. Pour
les unes et les autres, très libres de pré-
jugés, la vie pourrait n'avoir que des
joies. Cependant, elles se lancent dans
une aventure, captivées, hypnotisées,
pourrait-on dire, par une mystique, as-
piration vers la justice absolue, en proie à
une folie pareille à cette folie du mar-
tyre, à cette folie de la croix, que les
Pères de l'Eglise ont même été obligés de
combattre chez les premières chrétiennes.
C'est là un phénomène extrêmement
curieux et qui, sinon sans précédents, est
du. moins extrêmement rare. Les femmes,
en politique, sont depuis longtemps très
calmes, très pratiques, suivant des mo-
des bien plutôt que des convictions bien
profondes. Mlle Louise Michel est une
exception chez nous.
Et encore, passé le moment de vertige
qui fut la Commune, nous la voyons
prendre certaines précautions dans l'exer-
cice de son apostolat révolutionnaire.
Elle manifeste, elle s'agite, elle parle.
Oh ! elle parle beaucoup. Mais la police,
qui ne la perd pas de vue, n'a jamais
relevé contre elle un de ces projets,
une de ces tentatives qui dénoncent l'au-
dace déjà extatique d'une créature qui
aspire au martyre. Il y a certainement
dans ces âmes de jeunes femmes russes
des exaltations que nous ne connaissons
pas chez nous. Elles ont été façonnées
par une société très différente de la nôtre,
par des conditions qui n'ont jamais été
celles des femmes de France. Il y a là
une force, évidemment déviée, entraînée
à des voies anormales, mais qui est in-
contestable. Nous ne pouvons, certes, pas
avoir de sympathies pour ces révolution-
naires qui n'ont même pas un program-
me ; mais nous ne pouvons pas non plus
les confondre avec de vulgaires crimi-
nels.
Henry Fouquier.
INCIDENT DROLATIQUE
Le fétiche de M. Crispi
(DE NOTRE CORRESPONDANT PARTICULIER)
Rome, 29 mai.
On s'amuse beaucoup, ici, d'un incident
drôlatique qui a marqué la dernière séance
de la Chambre des députés.
M. Imbriani, attaquant M. Crispi au sujet
du cumul, entre ses mains, de trois porte-
feuilles différents, lui dit :
— Nous sommes trente millions d'Ita-
liens, et vous jugez que parmi eux aucun
n'est capable de diriger le ministère de
l'intérieur. N'oubliez pas que vous êtes
mortel comme les autres.
A ces mots, M. Crispi se leva de son banc
et, sortant précipitamment de sa poche une
petite corne de corail, la brandit en di-
sant :
— Voilà mon fétiche !
Des rires éclatent sur tous les bancs. M.
Imbriani réplique :
— Je ne crois pas plus à un talisman
qu'à la jettatura. Plut au ciel que votre ta-
lisman pût sauver l'Italie de la situation
où vous l'avez plongée.
LES PÊCHERIES DE TERRE-NEUVE
(DE NOTRE CORRESPONDANT PARTICULIER)
New-York, 29 mai.
M. D.-J. Green, venant de Terre-Neuve,
s'est embarqué hier ici pour Londres. Il est
porteur du mémoire que lesTerre-Neuviens
adressent au gouvernement anglais au su-
jet de la question des pêcheries, et qui est
revêtu, non pas de 60,000 signatures, com-
me on l'avait annoncé d'abord, mais de
1,600 seulement.
Pas plus à New-York qu'à Londres ou à
Paris, on n'a reçu la confirmation du bruit
d'après lequel un débarquement de trou-
pes françaises aurait eu lieu dons la baie
de Saint-George, pour la protection des
pêcheurs français et la répression de la
pêhe terre-neuvienne.
COMPLOT
CONTRE LE TSAR
Fabriques de bombes pour nihilistes
Les occupations des nihilistes à Pa-
ris. — Ce qui se passe dans la toffl !
rêt du Raincy. — Comment la
police française a eu l'éveil.
Arrestations et perquisitions.
Bombes et explosifs variés.
Nous nous faisions hier l'écho de bruits1
divers qui circulaient à Paris ; on ne savait
encore exactement de quoi il s'agissait.
mais il était évident qu'il se tramait quel-
que chose d'important.
Pendant toute l'après-midi, le préfet de
police avait tenu des conciliabules avec ses
chefs de service, avec MM. de Beaurepaire,
procureur général, Banaston, procureur de
la République, et Atthalin, juge d'instr
tion.
Une vingtaine de commisaires de police
de Paris, qui avaient reçu, vers six heures
et demie, une lettre de convocation les ap-
pelant d'urgence à la préfecture dé police,
étaient réunis dans une salle de la caserne
de la Cité.
On avait choisi ce local plutôt que les
bureaux mêmes du préfet,parce qu'on crai-
gnait que quelque journaliste ne rencon-
trât les magistrats et que l'éveil ne fut ainsi
donné à ceux qu'on avait l'intention d$
mettre en état d'arrestation.
Il s'agissait, en effet, d'arrestations dan-
gereuses à opérer. Chaque commissaire re-
çut un mandat d'amener signe de M. Attha-
lin , avec des instructions précises, très
exactes, sur les dispositions à prendre pour
capturer l'individu désigné. Ces arresta-
tions devaient avoir lieu au lever du -jour..
Société de conspirateurs v co
La police avait en effet découvert à Paris
l'existence d'une société secrète de nihilis-
tes russes, appelés « terroristes », qui con":
fectionnaient chez eux des engins explo-
sibles, ainsi que des substances chimiques.
On ne savait quel usage ces individus vou-
laient faire de ces matières, mais rien quo
la présence chez eux de bombes, de 'dyna-
mite ou autre objets meurtriers, consti-
tuait un délit punissable par la loi. M.
Constans, ministre de l'intérieur, ayant été
mis au courant de ces faits, ordonna, dès
son retour à Paris, d'arrêter les révolution-
naires russes. Avant d'entrer dans le détail
des arrestations, faisons connaître com
ment la Sûreté générale a été mise sur la
piste de cette association terrible de nihilis",
tes russes.
L'éveil
Ces jours derniers, un individu d'allures
assez bizarres se présentait chez M. Fon-
taine, fabricant de produit chimiques efi.
d'appareils à l'usage des laboratoires, rua ,
Racine, et commandait deux tubes d'unef
forme spéciale. a. - .-..
— bi vous me les laites bien, ajouta-t-if
en s'adressant à l'employé, je vous donner
rai une bonne récompense.
Ces mots attirèrent l'attention du com-
mis. Ce dernier questionna' cet acheteur-
d'allures quelque peu louches, qui dut
avouer qu'il était de nationalité russe.
M. Fontaine prévint le commissaire de po-
lice de l'étrange visite de ce personnage.
Une enquête fut commencée, et c'est ainsi
que la police fut mise sur les traces des
conspirateurs. On surveilla de très près ces
individus qui tenaient des conciliabules
quotidiens, des réunions fréquentes dans la
logement de deux nihilistes russes, Stepa-
nof et Kachintzew, 151, boulevard d'Italie,
et rue des Tanneries, n° 8, au club des ni-
hilistes.
Quelques jours plus tard, deux nihilistes
disparaissaient subitement sous prétexta
de voyagé à Londres. Les investigations
faites établirent que ces deux individus
s'étaient dirigés vers la Russie. On surveilla
les allées et venues des révolutionnaires,et
les agents eurent la certitude que ces étran-
gers se livraient à la fabrication d'engins
explosibles.
Un événement changea les doutes qui
restaient en certitude absolue.
Dans les bois.
Le 12 mai dernier, deux nihilistes, nom-
niés Reinchstein et Peploff, se rendirent ai*!
Raincy et gagnèrent un bois situé à trois
quarts d'heure environ de la ville. On en-
tendit à plusieurs reprises de sourdes dé,
tonations et bientôt, vers cinq heures, ils
revinrent à la gare, les vêtements défaits,
pâles. Peploff marchait avec beaucoup da
peine, il traînait lamentablement la jambe':
Il était évidemment blessé.
Quelques jours plus tard, Reinchstein et
un de ses amis, nommé Nagel, revinrent
au Raincy et se rendirent dans le même
bois. Ils firent des recherches, fouillèrent la
terre avec leurs mains et leurs parapluies.
Ils recherchaient les débris des projectiles
qu'ils avaient fait éclater dans les expé-
riences du Raincy. Leurs investigations res-
èrent sans résultat. On suppose aussi qu'ils
ont enterré plusieurs bombes et qu'ils
n'ont pas retrouvé l'endroit où ils les au-
raient cachées.
Il faut voir les arbres, dans certains en-
droits de la forêt du Raincy, criblés par-
les éclats de leurs bombes, d'une puissanca
de destruction considérable. M. Lozé, qui
s'est rendu au Raincy lundi dernier, a
constaté les dégâts faits par les expériences
des nihilistes.
Ces hommes furent suivis par les agents
et bientôt lès domiciles de tous étaient
connus. Au cours de ces recherches, oiu
découvrit l'identité d'un de ces nihilistes 1
qui avait été mêlé à l'affaire des bombes det
Zurich.
Il y a quelquelques années, deux nihi¡
listes, qui fabriquaient à Zurich des matiè.'
res explosibles, furent pendant une expé-|
rience victimes de leurs explosifs. L'un d'eux;
fut tué, l'autre, Demski, fut grièvement hIes-'
sé. Cet accident mit la police sur la trace des
membres de cette société de révolution-
naires.
Demski, guéri, quitta la Suisse et vint sei
réfugier à Paris, où il noua des relations
avec les réfugiés russes, auxquels il ensei-
gna là manière de fabriquer des bombes
explosibles.
Contre le tsar
Que voulaient-ils faire de ces engins
meurtriers ? Ces bombes devaient être em-
ployées contre le tsar et les membres de sat
famille.
L'enquête personnelle que nous avontf
faite hier et les renseignements que nous
avons obtenus au domicile des individus
arrêtés établissent que tous étaient en rea
tions constantes avec leurs amis de Russie
CINQ Centimes Paris et JDépàrtëmexits — CINQ Centimes
SAMEDI 31 MAI 1893
LE 1 SIECLE
JOURNAL RÉPUBLICAIN
RÉDACTION
14B, Rue Montmartre
, PARIS
DIRECTEUR POLITIQUE
Â. - ÉDOUARD PORTALIS
PRIX DE L'ABONNEMENT :
Paris..* Troil aoi;, 6f.; Six atii, il t; Oan, SOL
Dèpartementa - 7 L; — 12 f.; — 24 î.
Union Postale — 9!.; — 16 L; — 32 i*
las abonnements partent du lw et 15 de chaque mots.
Adresse télégraphique : XIXe SIÈCLE - PAlUS
Téléphona : 20.289 bit.
ADMINISTRATION
!&4S, Rue .a.tontm&J.etr.
PARIS
REGISSEURS D'ANNONCES
MM. LAGRANGE, CERF et C~
6, place de la Bourse, a
PRIX DE L'ABONNEMENT :
Paris. Irai MÛ, 6 L; Six sait, ur.; h ta, 20 f.'
Départements — 71.; — 12 L; — 24 L
Union Postale — of.; — t8 fo; - 32 £
ite* abonnenlent» partent dee Il" et 15 de chaque MW
Adrosae télégraphique : XEX* SIÈCLE — PARM
Téléphone : 20.280 bit.
UN COMPLOT CONTRE LE TSAR
i LES BOMBES NIHILISTES
Entretien avec M. Lavrof
LES DÉPÊCHES DE L'AMIRAL DUPERRÉ
La question des paris aux courses
LES FÊTES DU LENDIT
Cta M. tlc Bismarck
Ils vont bien, les journalistes fin de
Siècle ! Il fut un temps où la mode
était de se rencontrer sur la terrasse
de Tortoni; aujourd'hui, les écrivains
politiques qui sont dans le mouve-
ment se donnent rendez-vous un peu
au-delà de la frontière, chez nos excel-
lents amis les Allemands, à Fried-
richsruhe. Avez-vous reçu l'hospita-
lité du prince de Bismarck? Avez-
vous mangé ses dîners, bu son vin?
Avez-vous choqué le verre avec lui ?
Non. Alors vous ne connaissez rien à
là grande politique. Pauvres amis!
vous vivez sans doute encore sur cette
légende que M. de Bismarck est un
homme néfaste, qui a vécu dans la
haine sauvage de la France, qui
n'a cessé d'exciter contre elle les
passions de l'Allemagne et de toute
l'Europe. On vous a dit peut-être
que cet homme était le mauvais
génie de notre vieux monde, qu'il
n'avait d'autre culte que celui de la
fourberie cynique et de la force bru-
tale; on a cherché à vous persuader
que tout l'argent qu'il avait fait dé-
penser, tout le sang qu'il avait fait
répandre, le seraient inutilement même
pour son pays, que son œuvre était
aussi sinistre qu'éphémère, que l'em-
pire allemand créé par lui s'écroule-
rait après lui, comme le fameux co-
losse aux pieds d'argile, que la force
enfin ne primerait pas éternellement
le droit. Quelle erreur était la vôtre
et, on peut bien le dire, la nôtre ! Le
prince de Bismarck est l'ami d'Henry
des Houx, du jfatin, et de Tris-
tan, du Petit Journal ; comment ne
serait-il pas notre ami? Bismarck était
un malheureux incompris. Ils ont eu
pitié, eux qui avaient deviné sa grande
âme, et ils n'ont pas hésité à prendre
le train pour aller recevoir at home
ses confidences. Le chancelier de fer
les a serrés sur son cœur, ils ont reçu
ses épanchements, et ils sont revenus
pleins d'enthousiasme. Bismarck, de-
puis qu'il a trinqué avec des Houx et
Tristan, avec Tristan et des Houx, il n'y
a plus que lui! Il n'y a même, paraît-il,
jamais eu que lui. Et voilà qu'on tra-
vaille maintenant à lui faire en France
une popularité pour remplacer celle
évanouie du général Boulanger!
Lorsqu'elle nous avait été une pre-
mière fois servie par le Matin, cette
monstrueuse plaisanterie avait cho-
qué. De la part du Matin, cependant,
on peut s'attendre à bien des choses.
N'est-ce pas ce journal, dont M. Ed-
wards est le directeur, qui, après
avoir proclamé sur tous les tons que
l'affaire de l'accaparement des Métaux
était l'entreprise la plus patriotique
du siècle, voudrait nous faire croire
aujourd'hui que les obligations du
Crédit foncier ne valent pas un cen-
time? Mais quand on a vu le Petit
Journal emboîter le pas au Matin, et
M. Tristan chausser les souliers de
MM. Edwards et des Houx, on n'a
plus été seulement choqué : on a été
indigné de voir que cet organe, dont
Emile de Girardin avait fait pendant
le 16 Mai un si noble usage, pouvait,
entre certaines mains, devenir un ins-
trument de vile réclame au profit de
l'homme dont l'unique et constante
pensée, depuis trente années, a été le
dénigrement, l'abaissement, la mutila-
tion, et probablement même, quoi qu'il
en dise, le démembrement définitif
de la France.
Ce n'est pas comme simple journa-
liste que M. Tristan s'est offert à
M. de Bismarck, c'est « comme re-
présentant du Petit Journal, — c'est-
à-dire comme étant en mesure — ce
sont les termes mêmes dont il se
sert — de transmettre l'expression
exacte de sa plus récente pensée
à l'immense majorité du peuple fran-
çais ». Oui, ce rédacteur patriote a
éprouvé l'impérieux besoin de servir
de téléphone entre notre pire enne-
mi et « la majorité du peuple fran-
çais ». Cette u majorité ;j doit être
vraiment flattée. Il a joue ce joli rôle,
non pas seulement pour faire entendre
à la ma jorité d Français des lapalissa-
des da-lS le genre de celle-ci ; « Il y a tou-
jours eu de l'inégalité entre les hommes,
des riches et des pauvres, il y en aura
toujours i); mais pour présenter M. de
Bismarck à la clientèle du Petit Jour-
nal comme un ami de la France injus-
tement calomnié. En 1887, il n'a ja-
mais été question de guerre; M. de
Bismarck n'a jamais menacé la France
à la tribune du Parlement allemand ;
il ne l'a pas fait insulter et provoquer
par ses journaux. L'affaire Schnsebelé
n'a été que la conséquence de la ran-
cune de deux agents, et c'est à tort,
sans doute, que le gouvernement fran-
çais d'alors, présidé par M. Goblet, y
a attaché quelque importance. En
1875, la crainte de la guerre n'a ja-
mais existé que dans nos folles ima-
ginations. La Russie n'a pas eu, à cette
époque, à intervenir. Tout ce qu'a
dit à ce sujet le général Le Flô n'est
que pure invention. Nous serions
bien sots de nous figurer que nous
devions de ce chef la moindre recon-
naissance à la Russie. M. de Bis-
marck, à cette époque, voulait la
paix, comme toujours. M. de Moltke
aussi voulait la paix. Il n'y avait
sans doute que nous, Français, qui
ne. la voulions pas. Quant à l'an-
nexion de l'Alsace et de la Lorraine,
M. Tristan nous affirme, au nom de
M. de Bismarck, que nous avons eu le
plus grand tort de nous en formali-
ser. M. de Bismarck était « opposé à
la conquête de cette partie du Sles-
wig qui renferme toujours 150,000
Danois e.,, mais il ne l'était pas du
tout à la conquête de l'Alsace et de
la Lorraine. « Pour ce qui est de
de l'Alsace, — nous citons textuelle-
ment, — l'occupation de Strasbourg a
paru nécessaire, parce que la garni-
son de Strasbourg exerçait une in-
fluence morale et une action matérielle
trop prépondérante sur l'Allemagne du
Sud ». « Quant a Metz, — nous citons
encore, — ce sont les militaires qui
l'ont exigé, en donnant comme raison
que Metz valait 100,000 hommes. Main-
tenant, nous sommes saturés, con-
clut M. de Bismarck, et nous ne vou-
lons plus courir aucun hasard. » Puis-
que M. de Bismarck est saturé, de
quoi nous plaindrions-nous? N'est-il
pas évident qu'après d'aussi belles
raisons, nous aurions mauvaise grâce
à lui en vouloir encore et à nous en-
têter dans la revendication des pro-
vinces perdues?
En passant, M. Tristan a demandé
à M. de Bismarck ce qu'il pensait de
nos hommes d'Etat, et il a été assez
heureux pour obtenir pour deux au
moins d'entre eux un satisfecit.
C'est pour entendre de pareilles
choses et pour les reproduire dans le
Petit Journal, qu'on est allé humilier
la presse française aux pieds de celui
qui a traité depuis trente ans la presse
européenne de telle façon que les jour-
nalistes qui chantaient ses louanges,
et qui, dans le monde entier, diffa-
maient pour son compte la France et
les Français, avaient mérité d'être dé-
signés sous le nom peu glorieux de
« reptiles Yy. Nous savons bien qu'on
aime auj ourd'hui à considérer comme
la marque du génie de tout oublier, de
tout croire possible, même l'audacieuse
apologie dans des journaux français
du dispensateur du fonds des reptiles;
mais notre consolation est de croire
que la maj orité du peuple français
n'approuvera jamais cette politique
trop fin de siècle et qu'elle conservera
jusqu'au bout ses haines sacrées et ses
patriotiques espérances.
A.-EDOUARD PORTALIS.
Le « XIXe Siècle » publiera demain la
« Chronique » par M. Francisque Sarcey.
ÉLECTIONS SÉNATORIALES
Le Journal officiel publie ce matin les
convocations d'électeurs des départements
suivants, à l'effet de nommer leurs repré-
sentants au Sénat :
Sont convoqués pour le 1er juin, les élec-
teurs de Vaucluse, en remplacement de M.
Naquet, démissionnaire; pour le 8 juin,
ceux de Lot-et-Garonne, en remplacement
de M. Laporte, décédé ; pour le 15 juin,
ceux de la Somme, en remplacement de M.
Magnier, décédé; pour le 6 juillet, ceux de
la Savoie, en remplacement de M. Parent,
décédé. *
Enfin les électeurs de la Charente seront
probablement convoqués pour le 13 juillet,
en remplacement du général Greslay, dé-
cédé.
i—a——————
LA SANTÉ DU PRÉSIDENTJARRISOH
Son successeur éventuel
(DS NOTRE CORRESPONDANT PARTICULIER)
New-York, 29 mai.
L'état de santé du président des Etats-
Unis, M. Benjamin Harrison, cause de sé-
rieuses inquiétudes. M. Harrison souffre,
assure-t-on, d'une affection cardiaque.
Il est âgé de cinquante-sept ans. S'il ve-
nait à mourir, il serait remplacé, pour
toute la durée du terme de sa magistrature
politique, c'est-à-dire jusqu'au h mai 1893,
par le vice--'président de la République,
M. Lévi P. Morton.
Cet. événement pourrait avoir des consé-
quences profondes pour la politique inté-
rieure de la République, M. Morton pro-
fessant en matière de protection commer-
ciale et de circulation monétaire des idées
très différentes de celles du président et de
l'administration actuels,
L'AMIRAL DUPERRE
Un vieux livre qu'on ne consulte pas
assez. — Les « Papiers secrets des
Tuileries n. -Abondance de preuves
ne saurait mûre. — La fuite en Bel-
gique. — comment on prépare
les manifestations spontanées.
— Une honte.
Dans la note officieuse écrite par le chef
d'état-major du ministre de la marine sous
la dictée de l'amiral Duperré — accouru
tout exprès à toute vapeur à Paris — que
publiait samedi soir l'agence Havas, on li-
sait textuellement ceci :
Pour rétablir la vérité, il suffit de s'en réfé-
rer au dossier de l'amiral Duperré.
Il en résulte qu'en août 1870 il commandait
en qualité de capitaine de vaisseau le garde-
côtes le Taureau.
Appelé à l'armée de Metz, il franchit la fron-
tière de Belgique lors de la bataille de Sedan.
Comme tous les officiers qui se trouvaient
dans la même situation, il fut interné en Bel-
gique par ordre du gouvernement de ce
pays.
Prisonnier sur parole, il fut autorisé par le
ministre de la guerre belge à séjourner en
Angleterre jusqu'à la fin des hostilités.
On a pu voir depuis, d'après les révéla-
tions d'un témoin oculaire reproduites par
la Frontière, d'Avesnes, ce que vaut l'aune
de ce plaidoyer enfantin.
Mais comme, en pareille matière, on ne
saurait trop multiplier les preuves, nous
nous permettrons de demander à l'agence
Havas, comment elle concilie sa version
avec certaines dépêches que nous avons eu
la curiosité d'exhumer de certain livre
dont l'amiral Duperré a peut-être oublié
l'existence, intitulé : PAPIERS SECRETS ET COR-
I RESPONDANCE DU SECOND EMPIRE, réimpreS-
sion complète de l'édition de l'Imprimerie
nationale, annotée et augmentée de nombreu-
se3 pièces publiées à l'étranger et recueillies
par A. Poulet-Malassis. (Paris 1878, Au-
guste Ghio, éditeur, Palais-Royal, 28, gale-
rie d'Orléans, 1878).
Voici ce que nous lisons dans ce livre
extrêmement intéressant, très connu, mais
trop peu feuilleté, à la page 938 :
M. Duperré-LANDRECIES.
Tuileries, 3 septembre 1870, 1 h. 20 soir.
Attendre nouveaux ordres où vous êtes.
FILON,
M. Duperré-LANDRECIES (OU faire suivre
CAMBRAI).
Paris, 3 septembre 1870, 10 h. soir.
A votre choix, Maubeuge ou l'autre ville à
laquelle vous pensiez.Si vous y êtes déjà, res-
tez-y. Informez-moi de votre décision.
FILON.
Et à la page 239 :
M. Charles Duperré. — Maubeuge.
Paris, le A septembre 1870.
Reçu vos deux dépêches. Aurez des ordres
verbaux avant (ici un groupe de chiffres qui
n'a pu être traduit) et une lettre de moi par
l'homme que vous avez envoyé. L'impératrice
veut que vous ne teniez pas compte des com-
munications de Bouillon. L'empereur né peut
pas apprécier la situation.FILON.
Après la bataille
De ces documents, dont l'authenticité ne
saurait être mise en doute, il résulte donc,
contrairement aux assertions. mettons er-
ronées, de l'agence Havas, que ce n'est pas
lors de la bataille de Sedan que l'amiral
Duperré franchit la frontière de Belgique.
Trois jours après, en effet, il vagabondait
encore entre Landrecies et Maubeuge, d'où
il expédiait des dépêches et des émissaires
aux Tuileries.
La vérité est que l'amiral Duperré n'a
franchi la frontière qu'à son heure. La vé-
rité est qu'il a tranquillement attendu en
France, mais loin du champ de bataille, par
exemple,qu'on lui eût signifié de Paris que,
l'empire s'étant définitivement écroulé
dans la boue et dans le sang, il n'était que
temps de prendre la poudre d'escam-
pette.
Filons sur Belgique
Voici, en effet (toujours d'après les Pa-
piers des Tuileries, p. 28), ce que, dans la
dernière dépêche expédiée des Tuileries dans
la journée du h septembre 1870, lui télégra-
phiait sans façon le Filon susnommé, qui
n'était autre, si notre mémoire ne nous
abuse, que le propre précepteur du prince
impériaL :
Paris, h septembre 1870, 2 h. 50 m.
Duperré-MAUBEUGE.
Filons sur 13elqiqtzc.
FILO.
Et Charlot fila!
Naturellement, les autorités belges ne
l'arrêtèrent pas. On n'arrête pas les
bons bourgeois qui circulent. Il s'en alla
donc, sans la moindre anicroche, s'embar-
quer à Ostende pour l'Angleterre, d'où il
ne revint en France (ici l'agence Havas doit
commencer à dire la vérité) que le 10 mars
1871, quand il y avait déjà bel âge que le
canon ne grondait plus.
Un défi à la conscience publique
Voilà l'homme auquel les autorités mari-
times de Toulon préparent, à son prochain
retour, une enthousiaste ovation.
Nous recevons, en effet, de là-bas, au
moment de mettre sous presse, la dépêche
que voici :
Toulon, 29 mai.
L'amiral baron Alquier et toute la féodalité
préparent une manifestation spontanée (!) pour
1 arrivée a la gare du déserteur ae liV.
Tous les chefs de service ont fait passer des
circulaires confidentielles invitant les officiers
à venir attendre Duperré à la gare.
Le baron Alquier fait dire partout que ceux
qui ne viendront pas seront sabrés.
(N. B.) Le baron Alquier est précisément
l'officier que Mme veuve du Petit-Thouars n'a
pas hésité à mettre à la porte de la chambre
mortuaire où reposait le corps de son mari.
L'entrée triomphale projetée est d'ail-
leurs absolument contraire aux règlements,
qui interdisent aux officiers toute espèce
de manifestation.
LE PROCÈS PANITZA
Le dénouement
(D'UN CORRESPONDANT)
Sofia, 29 mai.
Au début de l'audience de la cour mar-
tiale d'aujourd'hui, le major Panitza prend
la parole et dit :
« Avant que vous rendiez votre sentence,
je vous déclare §,voir ignoré les correspon-
dances échangées entre Jacobson et Calob-
koff.
» Ma consctefiôé est tranquille ; je sais
que je ne suis pas un traître à ma chère
patrie, pour le bonheur de laquelle je tra-
vaille depuis mon enfance.
» Si vous Densex que j'ai voulu la trahir
je n'implore pas de clémence, condamnez-
moi à mort. Mais je vous assure que je
n'ai jamais songé à servir d'instrument
soit à la Russie, soit à une autre nation. »
Les autres accusés protestent chacun à
leur tour de leur innocence, ou invoquent,
comme une peine suffisante, les souffrances
qu'ils ont endurées en prison.
Calobkoff se défend ironiquement :
« Je suis étonné, dit-il, que le procureur
n'ait pas réclamé la mise en accusation
de MM. Jacobson, Hitrowo, Zinoview et
autres personnages russes haut placés. »
Le président de la cour lui retire la pa-
role.
La cour se retire pour délibérer.
Le verdict sera rendu ce soir.
M. MICHEL EPHRUSS!
CHEZ LE COMMISSAIRE
Les obligations volées par M. Calvet-
Rogniat.
Nous disions l'autre jour que la maison
Ephrussi était tombée au rang des chan-
geurs interlopes qui trafiquent sur des ti-
tres sans nom, et qui ne se font aucun
scrupule d'exploiter soit la crédulité, soit
la malhonnêteté des clients qui se présen-
tent à leurs guichets.
Tout va bien, tant que le commissaire de
police ne se mêle pas de la partie; malheu-
reusement, il arrive quelquefois que le
parquet s'émeut de la hardiesse de certai-
nes opérations et cherche à en connaître le
détail.
C'est ce qui vient d'arriver à propos des
fameuses obligations Saragosse à la Médi-
terranée émises par la Banque d'escompte,
et dont un lot important a, comme on sait,
été acheté parla maison Ephrussi au baron
Calvet-Rogniat. au prix de 30 francs l'obli-
gation. - - - .- -- - -----
M. Ephrussi a naturellement écoulé ces
titres en Bourse aux environs de 120 francs,
et il considérait l'opération comme parfai-
tement terminée, et dans d'excellentes con-
ditions pour lui.
La personne escroquée parCalvet-Rogniat
ayant mis des oppositions sur les titres
ainsi vendus, on a remonté la filière des
courtiers par les mains desquels ces titres
ont passé, et on est facilement arrivé aux
courtiers qui ont vendu d'ordre et pour
compte de M. Ephrussi.
C'est ainsi que M. J. H., chef d'une de
nos plus honorables maisons de coulisse, a
été convoqué hier après-midi dans le cabi-
net de M. Clément, commissaire aux délé-
gations judiciaires, pour être questionné
sur la provenance des titres en question.
M. J. H. ne pourra que donner le npm
de son commettant, M. Ephrussi, et de-
main, c'est a M. Ephrussi que M. Clément
devra poser des questions.
Nous croyons qu'il sera difficile à M.
Ephrussi de faire accepter par le parquet
comme une affaire ordinaire et courante
l'achat de titres à 30 francs et leur revente
à 120 francs, le bon marché véritablement
exceptionnel auquel Calvet-Rogniat con-
sentait à céder ces obligations devant, pour
tout autre que M. Ephrussi, en dénoter la
provenance suspecte.
Mais l'homme qui a pu lancer le dernier
emprunt portugais n'y regarde pas de si
près.
LAVIEDEPARIS
La grande émotion de la journée est
l'arrestation d'un grand nombre de nihi-
listes ou terroristes russes, qui prépa-
raient, à Paris, des engins de destruc-
tion. Vous lirez dans le journal même
tous les détails relatifs à cette affaire.
L'arrestation a été faite spontanément
par la police française, inquiète d'achats
nombreux d'explosifs qu'on faisait de-
puis quelque temps chez les fabricants
qui détiennent ces dangereuses marchan-
dises et qui font leur devoir en signalant
eux-mêmes les acheteurs suspects. Mais
cette arrestation ne va pas eans soulever
une question délicate.
Au point de vue français, ces Russes
sont simplement coupables d'avoir eu en
leur possession des explosifs en quantité
plus grande que ne le permettent les
règlements de police. Je ne sais même pas
si c'est là un délit. Je crois plutôt que
s'est une simple contravention, qui n'en-
traîne d'autre punition qu'une amende
plus ou moins forte, avec la confiscation
des matières saisies. Mais il est évident
qu'un crime était préparé. Seulement, ce
crime devait se commettre en Russie et
n'a même pas eu un commencement
d'exécution. Dès lors, pouvons-nous, de-
vons-nous, en cas de réclamations de la
Russie, soit livrer les personnes arrêtées,
soit même communiquer les papiers sai-
sis ? Je ne crois pas que nous puissions
le faire, quel que soit notre intérêt à
faire plaisir au gouvernement russe. Le
respect du droit international impose
d'autres devoirs.
C'est l'affaire du docteur Bernard qui,
jadis, eut lieu entre la France et l'Angle-
terre : le cas est tout semblable. Il faut
espérer que la Russie ne réclamera rien
et nous sera même reconnaissante que la
vigilance de notre police ait arrêté le
complot encore en simple voie de prépa-
ration.
J'1- --_! --- .2.------ .1.-. --- -------, J
UU qui me nappc, uctus ces complots
des nihilistes et terroristes russes, dont
nous n'avions pas entendu parler depuis
assez longtemps, c'est le rôle qu'y jouent
les femmes. Parmi les personnes arrêtées
aujourd'hui se trouvent trois ou quatre
femmes, dont une au moins semblait s'ê-
tre donné le rôle le plus dangereux et le
plus important dans la préparation de
l'attentat. C'est une femme, en effet, très
bonne chimiste, dit-on, qui manipulait
ces terribles substances explosives qui, à
une vibration trop forte de l'air, à un de-
gré trop élevé de chaleur ou de séche-
resse quand on les travaille, éclatent et
ravagent tout, comme on l'a vu à Lyon
pour des anarchistes dont les bombes ont
fait explosion aux mains de ceux qui
voulaient en faire usage. Il faut, pour ces
travaux, surtout quand on s'y livre en
secret, sans les installations nécessaires,
dans une chambre mal disposée, qui n'est
pas isolée et agencée comme un labora-
toire, un admirable sang-froid.
Mais ce quLest sutout étrange et frap-
pant, ce qui inquiète tout en comman-
dant un certain respect, c'est la résolu-
tion sauvage de ces âmes de femmes.
Quand nous avons vu passer quelques-
unes de ces « étudiantes » russes, avec
leurs robes collantes simples, sans atours,
leurs chapeaux d'hommes et leurs che-
veux coupés, nous avons, en bons Pari-
siens que nous sommes, souri avec un air
malin, en pensant à quelque bizarre dé-
pravation de mœurs. Voilà, disions-nous,
des femmes qui font les garçons et qui
ne s'en cachent pas. Mais ce n'est point
de cela qu'il s'agissait.Ces femmes étaient
vraiment des hommes, et mieux que des
hommes, par leur énergie. On eût dit
que le ciel avait entendu leur vœu,
quand, comme lady Macbeth hésitant
devant le crime, elles lui avaient de-
mandé de perdre leur sexe, d'être « des-
sexées », ainsi que dit Shakespeare, for-
geant le mot dont il avait besoin !
Ce qui donne aux complots russes une
physionomie particulière, c'est que non
seulement les femmes y sont mêlées,
mais qu'elles paraissent presque toujours
en être l'âme. Les hommes qui conspirent
ont presque toujours un but déterminé :
le plus souvent ils cherchent ou la satis-
faction d'un idéal politique, la constitu-
tion d'un gouvernement où ils auront
leur place, ou bien des progrès matériels
et des satisferions immédiates. Il est as-
sez rare de voir entrer dans une conspi-
ration des hommes qui n'ont rien à y ga-
gner. Les conspirateurs les plus purs, par
exemple Barbès, que j'ai connu assez
pour avoir une vénération profonde pour
sa haute vertu, ont un but déterminé, et
la révolution qu'ils souhaitent satisferait
une ambition. Il est certain que si Barbès
avait réussi et aue si un gouvernement
fût sorti du complot des Saisons, il eût
été le chef de ce gouvernement.
Les conspiratrices russes paraissent, au
contraire, être des femmes qui n'ont ab-
solument qu'à perdre dans la terrible
partie qu'elles jouent. Il en est parmi
elles de riches, il en est de jolies. Pour
les unes et les autres, très libres de pré-
jugés, la vie pourrait n'avoir que des
joies. Cependant, elles se lancent dans
une aventure, captivées, hypnotisées,
pourrait-on dire, par une mystique, as-
piration vers la justice absolue, en proie à
une folie pareille à cette folie du mar-
tyre, à cette folie de la croix, que les
Pères de l'Eglise ont même été obligés de
combattre chez les premières chrétiennes.
C'est là un phénomène extrêmement
curieux et qui, sinon sans précédents, est
du. moins extrêmement rare. Les femmes,
en politique, sont depuis longtemps très
calmes, très pratiques, suivant des mo-
des bien plutôt que des convictions bien
profondes. Mlle Louise Michel est une
exception chez nous.
Et encore, passé le moment de vertige
qui fut la Commune, nous la voyons
prendre certaines précautions dans l'exer-
cice de son apostolat révolutionnaire.
Elle manifeste, elle s'agite, elle parle.
Oh ! elle parle beaucoup. Mais la police,
qui ne la perd pas de vue, n'a jamais
relevé contre elle un de ces projets,
une de ces tentatives qui dénoncent l'au-
dace déjà extatique d'une créature qui
aspire au martyre. Il y a certainement
dans ces âmes de jeunes femmes russes
des exaltations que nous ne connaissons
pas chez nous. Elles ont été façonnées
par une société très différente de la nôtre,
par des conditions qui n'ont jamais été
celles des femmes de France. Il y a là
une force, évidemment déviée, entraînée
à des voies anormales, mais qui est in-
contestable. Nous ne pouvons, certes, pas
avoir de sympathies pour ces révolution-
naires qui n'ont même pas un program-
me ; mais nous ne pouvons pas non plus
les confondre avec de vulgaires crimi-
nels.
Henry Fouquier.
INCIDENT DROLATIQUE
Le fétiche de M. Crispi
(DE NOTRE CORRESPONDANT PARTICULIER)
Rome, 29 mai.
On s'amuse beaucoup, ici, d'un incident
drôlatique qui a marqué la dernière séance
de la Chambre des députés.
M. Imbriani, attaquant M. Crispi au sujet
du cumul, entre ses mains, de trois porte-
feuilles différents, lui dit :
— Nous sommes trente millions d'Ita-
liens, et vous jugez que parmi eux aucun
n'est capable de diriger le ministère de
l'intérieur. N'oubliez pas que vous êtes
mortel comme les autres.
A ces mots, M. Crispi se leva de son banc
et, sortant précipitamment de sa poche une
petite corne de corail, la brandit en di-
sant :
— Voilà mon fétiche !
Des rires éclatent sur tous les bancs. M.
Imbriani réplique :
— Je ne crois pas plus à un talisman
qu'à la jettatura. Plut au ciel que votre ta-
lisman pût sauver l'Italie de la situation
où vous l'avez plongée.
LES PÊCHERIES DE TERRE-NEUVE
(DE NOTRE CORRESPONDANT PARTICULIER)
New-York, 29 mai.
M. D.-J. Green, venant de Terre-Neuve,
s'est embarqué hier ici pour Londres. Il est
porteur du mémoire que lesTerre-Neuviens
adressent au gouvernement anglais au su-
jet de la question des pêcheries, et qui est
revêtu, non pas de 60,000 signatures, com-
me on l'avait annoncé d'abord, mais de
1,600 seulement.
Pas plus à New-York qu'à Londres ou à
Paris, on n'a reçu la confirmation du bruit
d'après lequel un débarquement de trou-
pes françaises aurait eu lieu dons la baie
de Saint-George, pour la protection des
pêcheurs français et la répression de la
pêhe terre-neuvienne.
COMPLOT
CONTRE LE TSAR
Fabriques de bombes pour nihilistes
Les occupations des nihilistes à Pa-
ris. — Ce qui se passe dans la toffl !
rêt du Raincy. — Comment la
police française a eu l'éveil.
Arrestations et perquisitions.
Bombes et explosifs variés.
Nous nous faisions hier l'écho de bruits1
divers qui circulaient à Paris ; on ne savait
encore exactement de quoi il s'agissait.
mais il était évident qu'il se tramait quel-
que chose d'important.
Pendant toute l'après-midi, le préfet de
police avait tenu des conciliabules avec ses
chefs de service, avec MM. de Beaurepaire,
procureur général, Banaston, procureur de
la République, et Atthalin, juge d'instr
tion.
Une vingtaine de commisaires de police
de Paris, qui avaient reçu, vers six heures
et demie, une lettre de convocation les ap-
pelant d'urgence à la préfecture dé police,
étaient réunis dans une salle de la caserne
de la Cité.
On avait choisi ce local plutôt que les
bureaux mêmes du préfet,parce qu'on crai-
gnait que quelque journaliste ne rencon-
trât les magistrats et que l'éveil ne fut ainsi
donné à ceux qu'on avait l'intention d$
mettre en état d'arrestation.
Il s'agissait, en effet, d'arrestations dan-
gereuses à opérer. Chaque commissaire re-
çut un mandat d'amener signe de M. Attha-
lin , avec des instructions précises, très
exactes, sur les dispositions à prendre pour
capturer l'individu désigné. Ces arresta-
tions devaient avoir lieu au lever du -jour..
Société de conspirateurs v co
La police avait en effet découvert à Paris
l'existence d'une société secrète de nihilis-
tes russes, appelés « terroristes », qui con":
fectionnaient chez eux des engins explo-
sibles, ainsi que des substances chimiques.
On ne savait quel usage ces individus vou-
laient faire de ces matières, mais rien quo
la présence chez eux de bombes, de 'dyna-
mite ou autre objets meurtriers, consti-
tuait un délit punissable par la loi. M.
Constans, ministre de l'intérieur, ayant été
mis au courant de ces faits, ordonna, dès
son retour à Paris, d'arrêter les révolution-
naires russes. Avant d'entrer dans le détail
des arrestations, faisons connaître com
ment la Sûreté générale a été mise sur la
piste de cette association terrible de nihilis",
tes russes.
L'éveil
Ces jours derniers, un individu d'allures
assez bizarres se présentait chez M. Fon-
taine, fabricant de produit chimiques efi.
d'appareils à l'usage des laboratoires, rua ,
Racine, et commandait deux tubes d'unef
forme spéciale. a. - .-..
— bi vous me les laites bien, ajouta-t-if
en s'adressant à l'employé, je vous donner
rai une bonne récompense.
Ces mots attirèrent l'attention du com-
mis. Ce dernier questionna' cet acheteur-
d'allures quelque peu louches, qui dut
avouer qu'il était de nationalité russe.
M. Fontaine prévint le commissaire de po-
lice de l'étrange visite de ce personnage.
Une enquête fut commencée, et c'est ainsi
que la police fut mise sur les traces des
conspirateurs. On surveilla de très près ces
individus qui tenaient des conciliabules
quotidiens, des réunions fréquentes dans la
logement de deux nihilistes russes, Stepa-
nof et Kachintzew, 151, boulevard d'Italie,
et rue des Tanneries, n° 8, au club des ni-
hilistes.
Quelques jours plus tard, deux nihilistes
disparaissaient subitement sous prétexta
de voyagé à Londres. Les investigations
faites établirent que ces deux individus
s'étaient dirigés vers la Russie. On surveilla
les allées et venues des révolutionnaires,et
les agents eurent la certitude que ces étran-
gers se livraient à la fabrication d'engins
explosibles.
Un événement changea les doutes qui
restaient en certitude absolue.
Dans les bois.
Le 12 mai dernier, deux nihilistes, nom-
niés Reinchstein et Peploff, se rendirent ai*!
Raincy et gagnèrent un bois situé à trois
quarts d'heure environ de la ville. On en-
tendit à plusieurs reprises de sourdes dé,
tonations et bientôt, vers cinq heures, ils
revinrent à la gare, les vêtements défaits,
pâles. Peploff marchait avec beaucoup da
peine, il traînait lamentablement la jambe':
Il était évidemment blessé.
Quelques jours plus tard, Reinchstein et
un de ses amis, nommé Nagel, revinrent
au Raincy et se rendirent dans le même
bois. Ils firent des recherches, fouillèrent la
terre avec leurs mains et leurs parapluies.
Ils recherchaient les débris des projectiles
qu'ils avaient fait éclater dans les expé-
riences du Raincy. Leurs investigations res-
èrent sans résultat. On suppose aussi qu'ils
ont enterré plusieurs bombes et qu'ils
n'ont pas retrouvé l'endroit où ils les au-
raient cachées.
Il faut voir les arbres, dans certains en-
droits de la forêt du Raincy, criblés par-
les éclats de leurs bombes, d'une puissanca
de destruction considérable. M. Lozé, qui
s'est rendu au Raincy lundi dernier, a
constaté les dégâts faits par les expériences
des nihilistes.
Ces hommes furent suivis par les agents
et bientôt lès domiciles de tous étaient
connus. Au cours de ces recherches, oiu
découvrit l'identité d'un de ces nihilistes 1
qui avait été mêlé à l'affaire des bombes det
Zurich.
Il y a quelquelques années, deux nihi¡
listes, qui fabriquaient à Zurich des matiè.'
res explosibles, furent pendant une expé-|
rience victimes de leurs explosifs. L'un d'eux;
fut tué, l'autre, Demski, fut grièvement hIes-'
sé. Cet accident mit la police sur la trace des
membres de cette société de révolution-
naires.
Demski, guéri, quitta la Suisse et vint sei
réfugier à Paris, où il noua des relations
avec les réfugiés russes, auxquels il ensei-
gna là manière de fabriquer des bombes
explosibles.
Contre le tsar
Que voulaient-ils faire de ces engins
meurtriers ? Ces bombes devaient être em-
ployées contre le tsar et les membres de sat
famille.
L'enquête personnelle que nous avontf
faite hier et les renseignements que nous
avons obtenus au domicile des individus
arrêtés établissent que tous étaient en rea
tions constantes avec leurs amis de Russie
Le taux de reconnaissance estimé pour ce document est de 99.06%.
En savoir plus sur l'OCR
En savoir plus sur l'OCR
Le texte affiché peut comporter un certain nombre d'erreurs. En effet, le mode texte de ce document a été généré de façon automatique par un programme de reconnaissance optique de caractères (OCR). Le taux de reconnaissance estimé pour ce document est de 99.06%.
- Auteurs similaires Chadeuil Gustave Chadeuil Gustave /services/engine/search/sru?operation=searchRetrieve&version=1.2&maximumRecords=50&collapsing=true&exactSearch=true&query=(dc.creator adj "Chadeuil Gustave" or dc.contributor adj "Chadeuil Gustave")
-
-
Page
chiffre de pagination vue 1/4
- Recherche dans le document Recherche dans le document https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/search/ark:/12148/bpt6k7560250v/f1.image ×
Recherche dans le document
- Partage et envoi par courriel Partage et envoi par courriel https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/share/ark:/12148/bpt6k7560250v/f1.image
- Téléchargement / impression Téléchargement / impression https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/download/ark:/12148/bpt6k7560250v/f1.image
- Mise en scène Mise en scène ×
Mise en scène
Créer facilement :
- Marque-page Marque-page https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/bookmark/ark:/12148/bpt6k7560250v/f1.image ×
Gérer son espace personnel
Ajouter ce document
Ajouter/Voir ses marque-pages
Mes sélections ()Titre - Acheter une reproduction Acheter une reproduction https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/pa-ecommerce/ark:/12148/bpt6k7560250v
- Acheter le livre complet Acheter le livre complet https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/indisponible/achat/ark:/12148/bpt6k7560250v
- Signalement d'anomalie Signalement d'anomalie https://sindbadbnf.libanswers.com/widget_standalone.php?la_widget_id=7142
- Aide Aide https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/aide/ark:/12148/bpt6k7560250v/f1.image × Aide
Facebook
Twitter
Pinterest