Titre : Le XIXe siècle : journal quotidien politique et littéraire / directeur-rédacteur en chef : Gustave Chadeuil
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1890-05-10
Contributeur : Chadeuil, Gustave (1821-1896). Directeur de publication
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Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
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Description : 10 mai 1890 10 mai 1890
Description : 1890/05/10 (A19,N6690). 1890/05/10 (A19,N6690).
Droits : Consultable en ligne
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Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-199
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 09/04/2013
Dix-neuvième année. — N° 6,690 elN Q Centintes - Paris et Départements CINQ Centimes i SAMEDI 10 MAI 1890 -
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INTERPELLATION SUR LE CREDIT FONCIER
MORALE
On parlait depuis plusieurs jours de
la démission de M. Lévêque, sous-
gouverneur du Crédit foncier, nommé
à ce poste, il y a douze années, par
décret rendu en conseil des ministres.
— Nous avons donné cette nouvelle
dans notre courrier de la Bourse. —
Mais on ignorait les motifs qui avaient
dicté au député de la Côte-d'Or sa
détermination.
Avant-hier, un journal, le Matin,
dans son bulletin financier, s'était
étonné du silence de M. Lévèque et
avait dit « qu'il ne garderait pas un
silence aussi modeste, s'il était sûr de
Son droit ,
En réponse à cette insinuation,
« inspirée, selon lui, par M. Christo-
phle », M. Lévêque a demandé au
Matin l'insertion de la lettre de dé-
mission qu'il avait adressée au mi-
nistre des finances. On en trouvera
plus loin le texte.
Aussitôt, M. Laur a demandé à in-
terpeller le gouvernement. La séance
d'hier a été tout entière remplie par
cette interpellation.
M. Laur s'est borné à lire à la tri-
bune la lettre de M. Lévêque; puis,
comme le directeur du combat dans
un duel à l'épée; il a dit aux deux ad-
versaires, M. Lévêque et M. Chris-
tophle : « Allez, messieurs ! »
M. Levêque a reproché à M. Chris-
tophle de ne pas respecter les statuts
du Crédit foncier ; M. Christophle
s'est défendu.
La Chambre n'a pas voulu prendre
parti entre le sous-gouverneur, dont
elle a écouté avec attention le réqui-
sitoire, et le gouverneur, dont elle a
écouté froidement la défense. Nous fe-
rons de même.
Nous nous contenterons d'indiquer
deux réflexions d'ordre général, qui
nous paraissent être la première mo-
rale à tirer de cet important débat.
Notre première réflexion, c'est que
la séance d'hier a prouvé combien il
était dangereux de confier des fonc-
tions importantes à des membres du
Parlement et combien on a eu raison
de voter cette loi encore incomplète
sur les incompabilités que nous avons
si longtemps réclamée.
Sans doute il est très humain que
la Chambre, qui est en théorie maî-
tresse de tout et qui, en fait, tient en-
tre ses mains l'existence des cabi-
nets, ait le désir de réserver pour .un
des siens le poste de gouverneur du
Crédit foncier, qui est la place la plus
lucrative et la plus stable de la Répu-
blique, la plus lucrative puisqu'elle
rapporte 100,000 francs par an sans
compter les mille occasions qu'elle of-
fre de s'enrichir, la plus stable puisque
M. Christophle est depuis douze ans
gouverneur de ce grand établissement
de crédit, tandis que jamais un mi-
nistre n'a pu se maintenir au pouvoir
plus de dix-huit mois et que le minis-
tère Ferry seul nous a offert le spec-
tacle de cette extraordinaire longé-
vité.
Il n'en est pas moins vrai que si
ni M. Lévêque ni M. Christophle n'a-
vaient été membres du Parlement,
nous ne les aurions pas vus prendre la
Chambre des députés pour juge de
leur querelle. La Chambre n'aurait eu
en face d'elle que le ministre des
finances, elle lui aurait demandé des
explications ; le ministre des finances
n'aurait pas pu, comme M. Rou-
vier l'a fait hier, passer la parole
aux intéressés. Si ses explications
ne lui avaient pas paru suffisan-
tes, la Chambre aurait voté con-
tre le ministre des finances un
ordre du jour de blâme. Les choses
auraient été ainsi beaucoup simplifiées;
chacun serait resté dans son rôle.
N'est-il pas évident qu'un fonction-
naire, qui est en même temps député, ne
Se trouve pas au regard du gouverne-
ment dans les mêmes conditions que les
autres fonctionnaires? Il est à la fois
partie et juge, juge non-seulement de
ui-même, mais juge aussi du minis-
tre qui le nomme, devrait le surveiller
et peut le révoquer.
Notre seconde réflexion, c'est que la
thèse invoquée hier par le ministre des
finances nous paraît absolument inad-
bùssible. M. Rouvier a paru vouloir
soutenir que le gouvernement n'avait
pas de surveillance effective à exercer
Sur le Crédit foncier, et que son in-
tervention devait se borner à la no-
mination et à la révocation des gou-
yerneurs et sous-gouverneurs.
, S'il en était ainsi, la confiance pres-
que illimitée que ce droit de nomination
inspire au public n'aurait pour corol-
laire aucune garantie. La tutelle offi-
cieuse de l'Etat ne serait alors aulii-no
-
duperie, comme elle l'a été pour le
Comptoir d'escompte dont le pré-
sident et le directeur du conseil
d'administration devaient être agréés
par le ministre des finances, sans
que cet agrément impliquât de la
part de l'Etat aucune surveillance.
Si cette thèse était admise, le Crédit
foncier offrirait même aux petits ac-
tionnaires et obligataires moins de
garantie qu'aucun autre établissement
indépendant de toute tutelle gouver-
nementale.
Dans les sociétés soumises à la loi
de 1867, les actionnaires peuvent eux-
mêmes exercer un contrôle efficace
dans les assemblées générales, tou-
jours maîtresses de maintenir ou de
remplacer le conseil d'administration
et les directeurs.
Le gouverneur et les sous-gouver-
neurs du Crédit foncier, au contraire,
ne dépendent que du gouvernement,
et l'assemblée générale ne peut offrir
à la masse des actionnaires aucun
moyen de contrôle, puisque statutaire-
ment elle est exclusivement formée,
comme l'assemblée générale de la
Banque de France, des deux cents plus
forts actionnaires.
Cela dit, nous allons placer impar-
tialement sous les yeux du public les
pièces de ce grand procès, auquel sont
intéressés tant de gros et de petits ca-
pitalistes.
Le « XIXe Siècle » publiera demain la
« Chronique a par M. Francisque Sarcey.
M. DE BISMARCK
A FRIEDRICHSRUHE
« Le roi me reverra »
(DE NOTRB CORRESPONDANT PARTICULIER)
Berlin, 8 mai.
MM. Lothar Bucher et Poschinger, an-
ciens secrétaires de M. de Bismarck, qui se
sont rendus récemment auprès de lui, ont
raconté que l'ancien chancelier s'attend à
se voir bientôt rappelé afin de sauver
l'Etat en péril.
D^orphinomane ou alcoolique
En réponse à l'accusation portée contre
M. de Bismarck de s'être, dans ces der-
nières années, adonné à la morphine, son
médecin, le docteur Schweninger, a décla-
ré à l'empereur que le prince de Bismarck
employait de temps en temps la morphine
comme médicament, conformément à ses
ordonnances et sous sa surveillance, pour
combattre les douleurs névralgiques et l'in-
somnie, en ne prenant que les doses pres-
crites par la science.
Le prince de Bismarck n'a jamais fait au-
trement emploi de morphine.
L'organe progressiste Freisinnige Zeitung
affirme que, dans la conviction d'autres
médecins qui ont été consultés à cet égard,
M. de Bismarck n'est à aucun degré mor-
phinomane, mais donne, par contre, des
signes indéniables d'alcoolisme.
Rédaction par « fil spécial »
Une communication télégraphique directe
est établie entre le prince de Bismarck, à
Friedrichsruhe, et le bureau de rédaction
des Nouvelles de Hambourg, devenu son or-
gane personnel. L'instrument aboutit à
l'antichambre de la chambre à coucher de
l'ex-chancelier. Un opérateur confidentiel
se tient jusqu'à deux heures du matin aux
deux extrémités du fil pour envoyer et re-
cevoir les communications du prince au
journal.
Entre Berlin et Friedrichsruhe.- L'em-
pereur et l'ex-chancelier.
Une ac tive correspondance a eu lieu ces
jours derniers entre l'empereur et le prince
de Bismarck ; les lettres ont été transmises
par des courriers impériaux se déplaçant
entre Berlin et Friedrichsruhe.
LES CATHOLIQUES ALLEMANDS
AU VATICAN
Les pèlerins. — Allocution du pape
(D'UN CORRESPONDANT)
Rome, 8 mai.
Le pape a reçu, à midi, les pèlerins alle-
mands dans la salle ducale. Huit cardinaux
et MM. les comtes de Revertera et de Schlœ-
zer, ambassadeur autrichien et ministre de
Prusse, étaient présents.
Léon XIII a parlé ensuite de la situation
religieuse en Allemagne,où la guerre au ca-
tholicisme a cessé et où l'on revient à de
meilleurs termes en abrogeant les lois hos-
tiles. Il compte, pour la réalisation de ses
désirs, sur « l'élévation d'esprit et l'équité
du sérénissime empereur, ainsi que sur
la constance des hommes qui luttent bra-
vement depuis longtemps pour les droits
de l'Eglise, surtout dans l'assemblée légis-
lative, et enfin sur la concorde de tous les
catholiques allemands. »
FEU M. CATACAZY
Le rôle d'un diplomate
(DE NOTRE CORRESPONDANT PARTICULIER)
Genève, 8 mai.
On télégraphie de Saint-Pétersbourg au
Journal de Genève :
«Le conseiller d'Etat et ancien ministre de
Russie à Washington, M. Catacazy, qui vient
de mourir à Saint-Germain-en-Laye, était
chargé par le tsar de tenir son gouverne-
ment au courant de toutes les productions
littéraires et politiques pouvant intéresser
la Russie.
» M. Catacazy écrivait lui-même des ar-
ticles remarquables dans plusieurs grands
journaux français. Ii avait la réputation
d'un diplomate ifès capable, bon écrivain,
mais très redouté à cause de sa mauvaise
langue,
>» Il touchait du gouvernement russe
8.000 roubles d'émnlunjoMs. » : -
LE CREDIT FONCIER
LA
DÉMISSION D'UN SOUS-GOUVERNEUR
Le cas de M. Lévêque. — Une interpel-
lation à la Chambre. — Sous-gouver-
neur contre gouverneur. — L'at-
taque et la défense. — L'interven-
tion de M.Millerand.-Le rôle du
ministre des finances.
La séance de la Chambre devait être con-
sacrée, hier, à la discussion d'une interpel-
lation sur le Dahomey. Mais cette affaire,
bien que d'importance, s'est trouvée ajour-
née à samedi. Elle a dû céder le pas à un
autre grand débat dont la situation du Cré-
dit foncier a fait les frais.
Un tel incident n'était guère prévu, au
moins à si brève échéance. Il a surgi ino-
pinément, à la suite de la publication, dans
le Matin d'hier, de la lettre par laquelle M.
Lévêque expose les motifs qui l'ont con-
duit a se démettre de ses fonctions de sous-
gouverneur du Crédit foncier.
Cette lettre à sensation, on en a trouvera
le texte dans une autre partie du journal.
Nous donnons également, bien que lecture
n'en ait pas été faite à la tribune, la ré-
ponse que M. le gouverneur Christophle
adresse au réquisitoire de son ancien as-
socié.
Quoi qu'il en soit, la publicité qu'avait
reçue le premier de ces deux documents
avait causé dans le monde parlementaire
une émotion facile à comprendre. Aussi
quand, au début de la séance, M. Floquet
annonça qu'il avait reçu une demande d in-
terpellation à cet égard, la discussion im-
médiate en fut-elle ordonnée à une forte
majorité. C'était bien du Dahomey qu'il s'a-
gissait vraiment i
Cette demande d'interpellation avait été
i déposée par M. Francis Laur. Le député
boulangiste sollicitait les explications du
ministre des finances : 1° Sur la crise du
Crédit foncier ; 2° Sur l'emploi des fonds
des Caisses d'épargne. Mais, à la requête de
M. Rouvier, la division a été prononcée. La
partie de l'interpellation visant les Caisses
d'épargne a été renvoyée au samedi 17 mai,
pendant qu'on décidait de régler séance te-
nante la question du Crédit foncier.
M. Laur a été très bref : il s'est borné à
donner lecture de la fameuse lettre de M.
Lévêque et à appeler ensuite, à ce propos,
les explications de MM. Christophle et Lé-
vêque d'une part — puisque le gouverneur
et l'ex-sous-gouverneur du Crédit foncier
se trouvent être en même temps députés
l'un et l'autre — et, d'autre part, les expli-
cations du ministre des finances.
M. Rouvier
C'est celui-ci qui a parlé le premier. Lui
aussi s'en est tenu à de fort concises obser-
vations.
— Au reçu de la lettre de M. Lévêque,
a-t-il dit, je l'ai communiquée au gouver-
neur du Crédit foncier; ce dernier m'a
adressé une longue réponse. (C'est précisé-
ment cette réponse que nous publions.) M.
Lévêque se plaignait, en. somme, de l'in-
suffisance de l'intervention du conseil d'ad-
ministration du Crédit foncier dans les
actes de gestion, de publicité et d'adminis-
tration financière,— actes qui, pour la plu-
part, auraient été accomplis en violation
des statuts. Or, ledit conseil d'administra-
tion fut, par le seul fait de la démission de
M. Lévéque, saisi de ces divers griefs. Il en
délibéra le 5 mai dernier.
A cette réunion, ajoute le ministre, assis-
taient MM. Leguay, Bret, Devès, Mathieu-Bodet,
Le Trésor de la Roque, Pasteur, Jules Simon,
Plassard, René Brice, censeur; Josseau, con-
seil du Crédit foncier, et Méliodon, secré-
taire général. M. le gouverneur du Crédit fon-
cier a communiqué au conseil la lettre de
démission de M. Levêque et donné lecture de
la réponse qu'il lui avait faite. Après cette
lecture, je vois, au procès-verbalde la séance,
que le conseil d'administration a renouvelé à
M. Christophle le témoignage de son entière
confiance.
Le gouvernement, ayant pris connaissance
des divers documents, a pensé, puisqu'il y
avait conflit et que le conseil d'administration
s'était prononcé dans un certain sens, n'avoir
plus qu'une chose à faire : accepter, malgré
tous les regrets qu'il en éprouvait, la démis-
sion de M. Levêque.
Je n'ajouterai rien. Je ne pense pas que per-
sonne ici demande au gouvernement de s'im-
miscer dans une question qui ne le regarde
pas.
— Quant aux détails du débat, conclut M.
Rouvier, c'est aux personnes en cause à
donner à la Chambre les explications qu'elle
est en droit de demander.
Débat contradictoire
Et c'est là-dessus que s'est engagé le duel
oratoire, attendu de tous et fort attentive-
ment suivi, entre M. Lévêque et M. Chris-
tophle — associés hier, ennemis aujour-
d'hui.
Cette discussion a été intéressante, est-il
besoin de le dire ? et conduite, de part et
d'autre, avec méthode et clarté. Nous y in-
sisterions davantage si l'attaque et la dé-
fense ne se trouvaient très complètement
exposées dans les deux documents que
contient une autre partie du journal.
Conteutons-nous d'indiquer ici les points
culminants de la thèse soutenue par cha-
cun des deux adversaires.
M. Lévêaue d'abord :
« On semble dire que j'ai attendu bien
longtemps avant de donner ma démission.
Sous-gouverneur depuis douze ans, j'ai
conçu des doutes sur la régularité de ce
qui se passait au Crédit foncier il y a trois
ans à peine. On me laissait, en effet, dans
l'ignorance de tout, et il est même certains
détails que je n'ai appris que par les jour-
naux.
» Quand ma religion a été complètement
éclairée, je suis allé trouver le ministre. Il
m'a promis de faire procéder aux vérifica-
tions nécessaires. Cette promesse n'a pas
été tenue, — loin de là. De là ma démis-
sion. La situation du Crédit foncier n'est
pas atteinte actuellement, je dois le pro-
clamer ; mais elle sera compromise, si les
errements, les incorrections que je signale
ne sont pas réprimés.
Ces incorrections, vous les connaissez :
dépenses excessives et prélevées sur le ca-
pital social pour la publicité; non-présen-
ation au conseil d'administration du bud-
get des dépenses d'administration; opéra-
tions faites à la Bourse avec les fonds dis-
ponibles dêjift Société. » (Ces divers points"
d'ailleurs contenus dans la lettre de M. Lé-
vêque, ont été longuement repris et déve-
loppés par lui à la tribune.)
Et le sous-gouverneur démissionnaire
est arrivé à cette demande finale qu'il a
adressée à ses collègues de la Chambre :
N'étant pas un tribunal, et n'ayant pas sous
les yeux tous les documents, vous ne pouvez
pas rendre une décision qui peut déshonorer
un de vos collègues. Renseignez-vous donc,
et, pour cela, nommez une commission de
onze membres qui fera une enquête. (Applau-
dissements sur divers bancs.)
Que M. le gouverneur se joigne à moi, je ne
demande que la lumière ; si j'ai eu des inquié-
tudes exagérées, il est bon que le public le
sache.
Mais jusqu'à ce que la lumière soit faite,
je persiste dans mes inquiétudes et j'estime
que j'ai fait un acte loyal et honnête en don-
nant ma démission. (Applaudissements sur les
mêmes bancs.)
M. Christophle
Voici maintenant, en ses très grandes li-
gnes, la réponse de M. Christophle :
« A qui M. Lévêque fera-t-il croire que,
dans la haute situation de sous-gouverneur
qu'il occupait, il ait pu ignorer les façons
d'opérer ainsi que certaines dépenses dont
il se plaint aujourd'hui ? Il dénonce entre
autre choses la suppression d'une commis-
sion spéciale de contrôle i ne sait-il pas
que j'y ai substitué le contrôle du conoil
d'administration tout entier ?
» On nous reproche des opérations irré-
gulières. On dit que le Crédit foncier avait,
pour ses opérations de Bourse, un fonds de
A ou 500 millions — ce qu'on appelait la
« bourse de jeu » du Crédit foncier. J'op-
pose à tout cela de formelles dénéga-
tions. »
Et sur la demande d'enquête parlemen-
taire formulée par M. Lévêque, M. Christo-
phle s'est expliqué en ces termes ;
Considérez l'énormité des intérêts engagés
dans le Crédit foncier, voyez le trouble qui
peut résulter de ces sortes d'investigations si
elles sont faites dans de mauvaises con-
ditions. si elles paraissent offrir un appui
aux spéculateurs dont les efforts n'ont pu en-
core, heureusement, entamer cette cita-
delle ?
Au point de vue des investigations à faire, je
m'entendrai avec M. le ministre des finances.
(Mouvements sur plusieurs bancs. — Rires à
droite.) qu'une préoccupation, c'est d'éviter
Je n'ai qu'une préoccupation, c'est d'éviter
le trouble qu'une enquête inopportune pour-
rait jeter dans le pays. (Nouveau bruit.)
La vraie question
Les choses en étaient là, quand M. Mille-
rand demande la parole. Et, avec sa netteté
ordinaire, le jeune député de la Seine pose
en ces termes la vraie question, la seule qui
fût de la compétence d'une assemblée légis-
lative :
- Je n'ai garde, dit-il, d'intervenir dans
la querelle de M. Christophle et de M. Lé-
vêque. Mais la Chambre a le devoir de rap-
peler au ministre des finances, qui paraît
l'oublier, que sa responsabilité à lui est en-
gagée en un tel débat.
Et l'orateur poursuit en ces termes :
IM. ailleraod. — A la fin du mois de mars,
M. le ministre des finances recevait la visite
d'un personnage qui a été nommé, par dé-
cret rendu en conseil des ministres, sous-gou-
verneur du Crédit foncier de France.
Le sous-gouverneur du Crédit foncier dé-
clara à M. le ministre des finances qu'il se pas-
sait au Crédit foncier certains faits sur les-
quels il appelait son attention et qui, s'ils se
perpétuaient, le forceraient à donner sa dé-
mission.
Avait-il tort ou raison? Je ne veux pas, je le
répète, intervenir dans une querelle person-
nelle entre M. le gouverneur du Crédit fon-
cier et son ancien sous-gouverneur ; mais je
rappelle à la Chambre qu'elle ne doit tenir
pour responsables devant elle que ceux qui
tiennent leurs pouvoirs du président de la
République.
Quelle a été l'attitude du ministre des finan-
ces? Sans information, sans enquête préala-
ble, il écrit le 12 avril une lettre dans laquelle
il assure M. le gouverneur du Crédit foncier
de la confiance du gouvernement.
Aujourd'hui, la Chambre a le droit et le de-
voir de dire au ministre des finances : Vous
avez commis une faute; vous avez eu le tort,
après avoir reçu de M. Levêque une déclara-
tion aussi grave, de ne pas faire procéder,
sous une forme discrète, à une information
sérieuse.
Qu'a-t-on fait au contraire? On a mis la
Chambre dans cette situation évidemment
contraire aux doctrines parlementaires, et qui
consiste à substituer l'initiative de la Cham-
bre à celle du gouvernement.
Il est assurément grave d'avoir laissé se
produire le fait du Comptoir d'escompte. Mais,
pour le Crédit foncier, la Chambre a le devoir
de dire très haut et très net que les représen,
tants du gouvernement n'ont pas le droit de
se réfugier dans l'abstention, en laissant aux
Chambres le droit de dénouer les difficultés.
Je considère comme un devoir de bien éta-
blir les responsabilités, et c'est pourquoi je
dépose l'ordre du jour suivant: - La Chambre
regrette que le ministre des finances n'ait pas
cru devoir vérifier les allégations graves por-
tées à sa connaissance par le sous-gouverneur
du Crédit foncier, et passe à l'ordre du jour."
(Mouvements divers.)
Riposte de M. Rouvier, qui déclare re-
pousser absolument la demande d'enquête
parlementaire et répond en ces termes à
M. Millerand :
IM. Bouvier, ministre des finances. — Le
gouvernement n'entend décliner aucune res-
ponsabilité, et le devoir du gouvernement est
de faire lui-même la lumière sur les points
qui peuvent rester obscurs.
J'ai, quant à présent, le droit de m'étonner
des
J'adi, ifficultés qui surgissent. Fallait-il donc
résoudre la question avant qu'elle ne fût po-
sée? Fallait-il mettre les inspecteurs des fi-
nances en mouvement dès la réception de la
lettre de M. Levêque 7 (Oui! ouil sur quelques
bancs.) Le gouvernement ne l'a pas pensé.
Je répète que le gouvernement fera tout son
devoir au moyen de ses propres agents. Quand
il aura fait son devoir, vous le jugerez.
M. Millerand a parlé du Comptoir d'escompte.
Je ne m'attendais pas qu'à une année de dis-
tance la conduite du ministre des finances
dans ces circonstances pût être discutée et
critiquée. (Très bien ! très bien 1 sur divers
bancs.)
Le débat prend fin là-dessus et la bataille
des ordres du jour commence.
L'ordre du jour
Elle a été assez confuse, cette bataille. Il n'y
a pas eu moins de douze rédactions propo-
sées, parmi lesquelles nous n'avons à re-
tenir, pour l'instant, que celle de M. Mille-
rand, — on vient de la lire, — et une autre
de MM. Royer (Aube) et Dupuv-Dutemps,
laquelle était ainsi conçue i
La Chambre invite le gouvernement à pro-
céder à une enquête sur les actes de gestion
du gouvernement du Crédit foncier, notam-
ment en ce qui concerne le respect des sta-
tuts et des lois spéciales, et passe à l'ordre du
jour.
La priorité est demandée pour cet ordre
du jour. Mais M. le président du conseil
lui-même vient s'opposer à son adoption.
Il montre que cette invitation si impérative
est au moins inutile, puisque le ministre
des finances a, l'instant d'avant, pris de lui-
même l'initiative de proposer une enquête
à laquelle procéderont des inspecteurs des
finances. « Que la Chambre s'en remette à
nous du soin de faire le nécessaire ! » ajoute
M. de Freycinet.
Le président du conseil déclare ensuite
n'accepter qu'un ordre du jour déposé par
MM. Sibille, Aynard, etc., et dont voici le
texte :
La Chambre, prenant acte des déclarations
du gouvernement et comptant sur sa vigi-
lance, passe à l'ordre du jour.
A cette rédaction se rallient successive-
ment les auteurs d'autres ordres du jour
similaires, M. Letellier, MM. Barodet et De-
loncle. M. Dupuy-Dutemps lui-même finit
par s'y rallier également.
Et finalement, cet ordre du jour obtient
la priorité, puis est adopté au fond, à une
assez forte majorité et à mains levées, au-
cune demande de scrutin n'ayant été dé-
posée.
C'est ainsi que l'affaire s'est terminée. A
samedi le Dahomey 1
[La Chambre a voté hier, par 3A9 voix con-
tre 31, le projet accordant à Mme veuve Fai-
dherbe une pension annuelle et viagère de
6,000 francs. Elle a fixé à jeudi prochain la dis-
cussion d'une nouvelle interpellation déposée
par M. Dumay et visant « les négligences de
l'inspection dans certains centres indus-
triels ».]
LAVIEDEP ARIS
L'importance de la séance d'aujour-
d'hui à la Chambre, séance curieuse et
qui soulève bien des problèmes, me laisse
peu de place. Je ne voudrais pas paraître
un oiseau de mauvais augure. Mais, ce-
pendant, je crois qu'on peut déjà, sans y
insister pour aujourd'hui, prédire qu'au
moment prochain de la discussion du
budget, on verra aussi se produire des
incidents intéressants; et je me borne à
indiquer ceux qui pourront naître de l'é-
tude de certaines questions plus parti-
culièrement parisiennes, des questions
qui touchent aux théâtres, entre autres.
Je ne pense pas que la Chambre puisse
éviter, par exemple, d'en finir avec la
législation qui régit le droit des pauvres
perçu sur les recettes des théâtres. La
perception de ces droits sur les recettes
brutes est une véritable iniquité, car il
arrive que certains théâtres sont mis en
déficit tout justement et uniquement par
l'impôt prélevé sur les spectacles, impôt
qui n'a pas du tout un caractère fiscal,
— son énormité le démontre, — et qui
est un reste des législations d'autrefois,
alors qu'on considérait l'industrie des
théâtres comme immorale et qu'on faisait
payer et, pour ainsi dire, racheter cette
immoralité par une taxe exorbitante.
A côté de cette question, qui doit
être résolue dans un sens favorable aux
théâtres, il s'en posera d'autres qui me-
nacent sérieusement l'institution des
théâtres subventionnés. Et ceci intéresse
fort les Parisiens, qui ont presque tous
des opinions là-dessus et en discutent
volontiers.
On ne peut se dissimuler qu'il y a un
courant dans la Chambre, — courant qui
commence à se dessiner dans l'opinion du
public également, — pour qu'on fasse
autre chose que ce qui se fait dans les
théâtres subventionnés. En général, on
trouve que ça ne va pas très bien.
La gestion de l'Opéra est fort discutée.
Il me paraît imprudent de se prononcer
sur elle tant que les documents ne sont
pas entre nos mains. Seulement, on peut
dire déjà que l'Opéra ne donne pas tou-
jours des représentations suffisantes, en-
core qu'il engage des chanteurs étran-
gers ; que le répertoire y est peu varié,
bien qu'on ait été chercher, pour les mon-
ter à l'Opéra, des ouvrages d'auteurs fran-
çais joués à l'étranger déjà; que les bal-
lets sont médiocres, et que les classes de
danse ne préparent pas assez de sujets.
Bref, on trouve à redire à la marche de
la maison et on n'a pas toujours tort.Pour
l'Opéra-Comique, dont la subvention est
défendue avec cette vieille parole que le
théâtre représente un ci genre éminem-
ment français », on y joue, en réalité, des
grands-opéras, toujours avec des chan-
teuses étrangères, grands-opéras qui sont
le contrepied de la comédie et du vaude-
ville avec musique qu'est l'opéra-comi-
que ancien et traditionnel.
Pour l'Odéon, dont le rôle essentiel est,
avec la représentation du répertoire à
meilleur marché que la Comédie-Fran-
çaise, pour exercer et présenter au public
les élèves lauréats du Conservatoire,
de jouer les jeunes auteurs français, il
nous donne surtout des pièces à grand
spectacle, soutenues par la musique.
La Comédie-Française, enfin, est l'ob-
jet de critiques non moins vives, non
moins nombreuses. Le répertoire classi-
sique n'y tient pas toute la place qu'il de-
vrait avoir. On y représente de véritables
vaudevilles au lieu des œuvres plus sé-
rieuses qu'on avait accoutumé d'y voir.
Enfin, par-dessus tout, il semble qu'il y
règne un certain désordre adminîs!ra-
tif.
La question des congés, par exemple,
est très brûlante. Il y a des sociétaires
qui ne vont pas courir en province et à
l'étraneer et qui se reposent réellemen.
Mais ceux-ci, on leur rachète leur congl
et, pendant qu'ils restent à Paris, on a
bien soin, par une tacite convention, de
ne pas les faire jouer.
D'autres prennent le congé. Mais, au
lieu de se reposer, ils vont promener le
répertoire de la Comédie de ville en ville.
Ils promenaient même, jusqu'à ces der-
niers temps, les costumes appartenant à
la Comédie, qui se trouvait fournir les ac.
cessoires pour aider à se faire concur-
rence à elle-même. Et ces costumes va..
lent cher !
Si ce qu'on raconte est vrai, il serait ar.J
rivé que la Comédie ait payé trois mille
francs un costume qu'un costumier se
chargeait de faire pour cinq cents ! Les
costumes, il est vrai, ne sortent plus du
théâtre, au moins officiellement. Mais
les acteurs se promènent et pendant la
durée de leur saison et pendant leur
congé. Ainsi, cet été, on ne jouera pas
MargQt, — dont je ne discute pas, d'ail-
leurs, la valeur. Je prends cette pièce
comme toute autre nouveauté du réper- t
toire. On ne la jouera pas parce qiM I
Mlle Reiehemberg, — c'est un journal de I
théâtre qui me l'apprend, — va parcou- 1
rir la France et l'étranger avec ,ptt«
pièce. |
Il est certain qu'il y aurait quelque
chose de choquant à voir le rôle tenu à f
Paris par une doublure, et à Avignon 1
par la sociétaire. Cette dispersion du ré* I
pertoire, cette exhibition, sont nuisibles I
aux auteurs, au bon ordre du théâtre, en
tout cas.
Je ne crois pas qu'elles le soient moins
aux artistes. La nécessité du congé a été
regardée de tout temps comme justi-
fiée par un besoin de repos. Oro, telle
artiste, tel acteur, qui ne jouent pas dix
fois par mois pendant le temps du tra-,
vail, arrivent à jouer vingt-cinq soirs
pendant le mois du repos. Tout cela est
bien discutable et sera certainement dis-
cuté. On pourra demander aussi où en
est la réclamation de M. Mayer, l'impré-
sario londonien qui avait la parole de M.
Claretie pour ses représentations de la%
Comédie et qui ne paraît pas homme à
ne pas avoir une indemnité pour la non-
execution du contrat ?
On peut donc craindre ou espérer que
la situation actuelle des théâtres sub-
ventionnés soit fortement attaquée, et on
se trouvera en présence de deux systè-
mes : la cunstitution d'un ministère des
beaux-arts, s'occupant et pouvant s'occu-
per sérieusement, avec une responsabilité
effective, de faire vivre un art officiel-
car il n'y a pas que les théâtres : il y a leg
manufactures, les expositions, etc.,- ou
bien le système de la liberté individuelle,
l'abolition des subventions d'Etat, et les
directeurs de théâtres, sans cahier des
charges, faisant, à leurs risques et périls
ce que bon leur semblera.
Henry Fouquier..
LE SÉNAT
Le sort a désigné le département de 1$
Charente pour élire un sénateur en rem-
placement du général Gresley, inamovible
décédé.
A été ensuite adoptée, après quelque
débat, une motion de M. Cochery tendant
à la nomination d'une commission générale
des douanes chargée de statuer sur tou
les projets et propositions que le Sénat lui
renverra.
Prochaine séance lundi.
#
DÉMISSION DE LA MUNICIPALITÉ
ROMAINE
(DE NOTRE CORRESPONDANT PARTICULIER)
Rome, 8 mai.
Sur le refus formel du gouvernement dé
venir en aide à la situation financière de la
ville de Rome, la municipalité et le conseii
municipal ont remis leur démission, ce qui
nécessite la nomination d'un commissaire
du gouvernement pour administrer la
ville.
C'est un gros embarras pour M. Crispir
CONSEIL DES MINISTRES
Le cas de M. Dubois
Les ministres se sont réunis hier, sous la
présidence de M. de Freycinet.
M Yves Guyot, ministre des travaux pu*
blics, a fait savoir à ses collègues que M.
Millerand devait lui adresser une question
au sujet de l'injonction faite parla Compa-
gnie P.-L.-M. à un de ses employés, M. Du-
bois, d'avoir à retirer sa candidature ai*
conseil municipal de Paris.
Le ministre des travaux publics se ren-
seignera sur l'incident avant de répondra
à M. Millerand.
Le droit sur les étrangers
Le conseil a examiné ensuite les diversez
propositions de loi émanées de l'initiative
parlementaire dont la Chambre est saisie et
qui tendent à imposer le payement d'un
droit sur les étrangers résidant en France.
Il résulte d'un premier examen que dans
presque tous les pays étrangers les étran-
gers ne sont soumis au paiement d'aucune
taxe. Il n'y a guère que la Suisse où il exista
une taxe de ce genre.
Le conseil recherchera dans une pro-
chaine réunion si les traités existant entra
la France et les pays étrangers permettent
l'établissement d'une taxe pareille.
L'Opéra-Comique
Enfin, le ministre de l'instruction publii
que et des beaux-arts a fait savoir qu'il
prenait le projet de loi déposé à la Cham-
bre par son prédécesseur, M. Fallières, et
tendaat à la reconstruction dutbt.P 4*-
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INTERPELLATION SUR LE CREDIT FONCIER
MORALE
On parlait depuis plusieurs jours de
la démission de M. Lévêque, sous-
gouverneur du Crédit foncier, nommé
à ce poste, il y a douze années, par
décret rendu en conseil des ministres.
— Nous avons donné cette nouvelle
dans notre courrier de la Bourse. —
Mais on ignorait les motifs qui avaient
dicté au député de la Côte-d'Or sa
détermination.
Avant-hier, un journal, le Matin,
dans son bulletin financier, s'était
étonné du silence de M. Lévèque et
avait dit « qu'il ne garderait pas un
silence aussi modeste, s'il était sûr de
Son droit ,
En réponse à cette insinuation,
« inspirée, selon lui, par M. Christo-
phle », M. Lévêque a demandé au
Matin l'insertion de la lettre de dé-
mission qu'il avait adressée au mi-
nistre des finances. On en trouvera
plus loin le texte.
Aussitôt, M. Laur a demandé à in-
terpeller le gouvernement. La séance
d'hier a été tout entière remplie par
cette interpellation.
M. Laur s'est borné à lire à la tri-
bune la lettre de M. Lévêque; puis,
comme le directeur du combat dans
un duel à l'épée; il a dit aux deux ad-
versaires, M. Lévêque et M. Chris-
tophle : « Allez, messieurs ! »
M. Levêque a reproché à M. Chris-
tophle de ne pas respecter les statuts
du Crédit foncier ; M. Christophle
s'est défendu.
La Chambre n'a pas voulu prendre
parti entre le sous-gouverneur, dont
elle a écouté avec attention le réqui-
sitoire, et le gouverneur, dont elle a
écouté froidement la défense. Nous fe-
rons de même.
Nous nous contenterons d'indiquer
deux réflexions d'ordre général, qui
nous paraissent être la première mo-
rale à tirer de cet important débat.
Notre première réflexion, c'est que
la séance d'hier a prouvé combien il
était dangereux de confier des fonc-
tions importantes à des membres du
Parlement et combien on a eu raison
de voter cette loi encore incomplète
sur les incompabilités que nous avons
si longtemps réclamée.
Sans doute il est très humain que
la Chambre, qui est en théorie maî-
tresse de tout et qui, en fait, tient en-
tre ses mains l'existence des cabi-
nets, ait le désir de réserver pour .un
des siens le poste de gouverneur du
Crédit foncier, qui est la place la plus
lucrative et la plus stable de la Répu-
blique, la plus lucrative puisqu'elle
rapporte 100,000 francs par an sans
compter les mille occasions qu'elle of-
fre de s'enrichir, la plus stable puisque
M. Christophle est depuis douze ans
gouverneur de ce grand établissement
de crédit, tandis que jamais un mi-
nistre n'a pu se maintenir au pouvoir
plus de dix-huit mois et que le minis-
tère Ferry seul nous a offert le spec-
tacle de cette extraordinaire longé-
vité.
Il n'en est pas moins vrai que si
ni M. Lévêque ni M. Christophle n'a-
vaient été membres du Parlement,
nous ne les aurions pas vus prendre la
Chambre des députés pour juge de
leur querelle. La Chambre n'aurait eu
en face d'elle que le ministre des
finances, elle lui aurait demandé des
explications ; le ministre des finances
n'aurait pas pu, comme M. Rou-
vier l'a fait hier, passer la parole
aux intéressés. Si ses explications
ne lui avaient pas paru suffisan-
tes, la Chambre aurait voté con-
tre le ministre des finances un
ordre du jour de blâme. Les choses
auraient été ainsi beaucoup simplifiées;
chacun serait resté dans son rôle.
N'est-il pas évident qu'un fonction-
naire, qui est en même temps député, ne
Se trouve pas au regard du gouverne-
ment dans les mêmes conditions que les
autres fonctionnaires? Il est à la fois
partie et juge, juge non-seulement de
ui-même, mais juge aussi du minis-
tre qui le nomme, devrait le surveiller
et peut le révoquer.
Notre seconde réflexion, c'est que la
thèse invoquée hier par le ministre des
finances nous paraît absolument inad-
bùssible. M. Rouvier a paru vouloir
soutenir que le gouvernement n'avait
pas de surveillance effective à exercer
Sur le Crédit foncier, et que son in-
tervention devait se borner à la no-
mination et à la révocation des gou-
yerneurs et sous-gouverneurs.
, S'il en était ainsi, la confiance pres-
que illimitée que ce droit de nomination
inspire au public n'aurait pour corol-
laire aucune garantie. La tutelle offi-
cieuse de l'Etat ne serait alors aulii-no
-
duperie, comme elle l'a été pour le
Comptoir d'escompte dont le pré-
sident et le directeur du conseil
d'administration devaient être agréés
par le ministre des finances, sans
que cet agrément impliquât de la
part de l'Etat aucune surveillance.
Si cette thèse était admise, le Crédit
foncier offrirait même aux petits ac-
tionnaires et obligataires moins de
garantie qu'aucun autre établissement
indépendant de toute tutelle gouver-
nementale.
Dans les sociétés soumises à la loi
de 1867, les actionnaires peuvent eux-
mêmes exercer un contrôle efficace
dans les assemblées générales, tou-
jours maîtresses de maintenir ou de
remplacer le conseil d'administration
et les directeurs.
Le gouverneur et les sous-gouver-
neurs du Crédit foncier, au contraire,
ne dépendent que du gouvernement,
et l'assemblée générale ne peut offrir
à la masse des actionnaires aucun
moyen de contrôle, puisque statutaire-
ment elle est exclusivement formée,
comme l'assemblée générale de la
Banque de France, des deux cents plus
forts actionnaires.
Cela dit, nous allons placer impar-
tialement sous les yeux du public les
pièces de ce grand procès, auquel sont
intéressés tant de gros et de petits ca-
pitalistes.
Le « XIXe Siècle » publiera demain la
« Chronique a par M. Francisque Sarcey.
M. DE BISMARCK
A FRIEDRICHSRUHE
« Le roi me reverra »
(DE NOTRB CORRESPONDANT PARTICULIER)
Berlin, 8 mai.
MM. Lothar Bucher et Poschinger, an-
ciens secrétaires de M. de Bismarck, qui se
sont rendus récemment auprès de lui, ont
raconté que l'ancien chancelier s'attend à
se voir bientôt rappelé afin de sauver
l'Etat en péril.
D^orphinomane ou alcoolique
En réponse à l'accusation portée contre
M. de Bismarck de s'être, dans ces der-
nières années, adonné à la morphine, son
médecin, le docteur Schweninger, a décla-
ré à l'empereur que le prince de Bismarck
employait de temps en temps la morphine
comme médicament, conformément à ses
ordonnances et sous sa surveillance, pour
combattre les douleurs névralgiques et l'in-
somnie, en ne prenant que les doses pres-
crites par la science.
Le prince de Bismarck n'a jamais fait au-
trement emploi de morphine.
L'organe progressiste Freisinnige Zeitung
affirme que, dans la conviction d'autres
médecins qui ont été consultés à cet égard,
M. de Bismarck n'est à aucun degré mor-
phinomane, mais donne, par contre, des
signes indéniables d'alcoolisme.
Rédaction par « fil spécial »
Une communication télégraphique directe
est établie entre le prince de Bismarck, à
Friedrichsruhe, et le bureau de rédaction
des Nouvelles de Hambourg, devenu son or-
gane personnel. L'instrument aboutit à
l'antichambre de la chambre à coucher de
l'ex-chancelier. Un opérateur confidentiel
se tient jusqu'à deux heures du matin aux
deux extrémités du fil pour envoyer et re-
cevoir les communications du prince au
journal.
Entre Berlin et Friedrichsruhe.- L'em-
pereur et l'ex-chancelier.
Une ac tive correspondance a eu lieu ces
jours derniers entre l'empereur et le prince
de Bismarck ; les lettres ont été transmises
par des courriers impériaux se déplaçant
entre Berlin et Friedrichsruhe.
LES CATHOLIQUES ALLEMANDS
AU VATICAN
Les pèlerins. — Allocution du pape
(D'UN CORRESPONDANT)
Rome, 8 mai.
Le pape a reçu, à midi, les pèlerins alle-
mands dans la salle ducale. Huit cardinaux
et MM. les comtes de Revertera et de Schlœ-
zer, ambassadeur autrichien et ministre de
Prusse, étaient présents.
Léon XIII a parlé ensuite de la situation
religieuse en Allemagne,où la guerre au ca-
tholicisme a cessé et où l'on revient à de
meilleurs termes en abrogeant les lois hos-
tiles. Il compte, pour la réalisation de ses
désirs, sur « l'élévation d'esprit et l'équité
du sérénissime empereur, ainsi que sur
la constance des hommes qui luttent bra-
vement depuis longtemps pour les droits
de l'Eglise, surtout dans l'assemblée légis-
lative, et enfin sur la concorde de tous les
catholiques allemands. »
FEU M. CATACAZY
Le rôle d'un diplomate
(DE NOTRE CORRESPONDANT PARTICULIER)
Genève, 8 mai.
On télégraphie de Saint-Pétersbourg au
Journal de Genève :
«Le conseiller d'Etat et ancien ministre de
Russie à Washington, M. Catacazy, qui vient
de mourir à Saint-Germain-en-Laye, était
chargé par le tsar de tenir son gouverne-
ment au courant de toutes les productions
littéraires et politiques pouvant intéresser
la Russie.
» M. Catacazy écrivait lui-même des ar-
ticles remarquables dans plusieurs grands
journaux français. Ii avait la réputation
d'un diplomate ifès capable, bon écrivain,
mais très redouté à cause de sa mauvaise
langue,
>» Il touchait du gouvernement russe
8.000 roubles d'émnlunjoMs. » : -
LE CREDIT FONCIER
LA
DÉMISSION D'UN SOUS-GOUVERNEUR
Le cas de M. Lévêque. — Une interpel-
lation à la Chambre. — Sous-gouver-
neur contre gouverneur. — L'at-
taque et la défense. — L'interven-
tion de M.Millerand.-Le rôle du
ministre des finances.
La séance de la Chambre devait être con-
sacrée, hier, à la discussion d'une interpel-
lation sur le Dahomey. Mais cette affaire,
bien que d'importance, s'est trouvée ajour-
née à samedi. Elle a dû céder le pas à un
autre grand débat dont la situation du Cré-
dit foncier a fait les frais.
Un tel incident n'était guère prévu, au
moins à si brève échéance. Il a surgi ino-
pinément, à la suite de la publication, dans
le Matin d'hier, de la lettre par laquelle M.
Lévêque expose les motifs qui l'ont con-
duit a se démettre de ses fonctions de sous-
gouverneur du Crédit foncier.
Cette lettre à sensation, on en a trouvera
le texte dans une autre partie du journal.
Nous donnons également, bien que lecture
n'en ait pas été faite à la tribune, la ré-
ponse que M. le gouverneur Christophle
adresse au réquisitoire de son ancien as-
socié.
Quoi qu'il en soit, la publicité qu'avait
reçue le premier de ces deux documents
avait causé dans le monde parlementaire
une émotion facile à comprendre. Aussi
quand, au début de la séance, M. Floquet
annonça qu'il avait reçu une demande d in-
terpellation à cet égard, la discussion im-
médiate en fut-elle ordonnée à une forte
majorité. C'était bien du Dahomey qu'il s'a-
gissait vraiment i
Cette demande d'interpellation avait été
i déposée par M. Francis Laur. Le député
boulangiste sollicitait les explications du
ministre des finances : 1° Sur la crise du
Crédit foncier ; 2° Sur l'emploi des fonds
des Caisses d'épargne. Mais, à la requête de
M. Rouvier, la division a été prononcée. La
partie de l'interpellation visant les Caisses
d'épargne a été renvoyée au samedi 17 mai,
pendant qu'on décidait de régler séance te-
nante la question du Crédit foncier.
M. Laur a été très bref : il s'est borné à
donner lecture de la fameuse lettre de M.
Lévêque et à appeler ensuite, à ce propos,
les explications de MM. Christophle et Lé-
vêque d'une part — puisque le gouverneur
et l'ex-sous-gouverneur du Crédit foncier
se trouvent être en même temps députés
l'un et l'autre — et, d'autre part, les expli-
cations du ministre des finances.
M. Rouvier
C'est celui-ci qui a parlé le premier. Lui
aussi s'en est tenu à de fort concises obser-
vations.
— Au reçu de la lettre de M. Lévêque,
a-t-il dit, je l'ai communiquée au gouver-
neur du Crédit foncier; ce dernier m'a
adressé une longue réponse. (C'est précisé-
ment cette réponse que nous publions.) M.
Lévêque se plaignait, en. somme, de l'in-
suffisance de l'intervention du conseil d'ad-
ministration du Crédit foncier dans les
actes de gestion, de publicité et d'adminis-
tration financière,— actes qui, pour la plu-
part, auraient été accomplis en violation
des statuts. Or, ledit conseil d'administra-
tion fut, par le seul fait de la démission de
M. Lévéque, saisi de ces divers griefs. Il en
délibéra le 5 mai dernier.
A cette réunion, ajoute le ministre, assis-
taient MM. Leguay, Bret, Devès, Mathieu-Bodet,
Le Trésor de la Roque, Pasteur, Jules Simon,
Plassard, René Brice, censeur; Josseau, con-
seil du Crédit foncier, et Méliodon, secré-
taire général. M. le gouverneur du Crédit fon-
cier a communiqué au conseil la lettre de
démission de M. Levêque et donné lecture de
la réponse qu'il lui avait faite. Après cette
lecture, je vois, au procès-verbalde la séance,
que le conseil d'administration a renouvelé à
M. Christophle le témoignage de son entière
confiance.
Le gouvernement, ayant pris connaissance
des divers documents, a pensé, puisqu'il y
avait conflit et que le conseil d'administration
s'était prononcé dans un certain sens, n'avoir
plus qu'une chose à faire : accepter, malgré
tous les regrets qu'il en éprouvait, la démis-
sion de M. Levêque.
Je n'ajouterai rien. Je ne pense pas que per-
sonne ici demande au gouvernement de s'im-
miscer dans une question qui ne le regarde
pas.
— Quant aux détails du débat, conclut M.
Rouvier, c'est aux personnes en cause à
donner à la Chambre les explications qu'elle
est en droit de demander.
Débat contradictoire
Et c'est là-dessus que s'est engagé le duel
oratoire, attendu de tous et fort attentive-
ment suivi, entre M. Lévêque et M. Chris-
tophle — associés hier, ennemis aujour-
d'hui.
Cette discussion a été intéressante, est-il
besoin de le dire ? et conduite, de part et
d'autre, avec méthode et clarté. Nous y in-
sisterions davantage si l'attaque et la dé-
fense ne se trouvaient très complètement
exposées dans les deux documents que
contient une autre partie du journal.
Conteutons-nous d'indiquer ici les points
culminants de la thèse soutenue par cha-
cun des deux adversaires.
M. Lévêaue d'abord :
« On semble dire que j'ai attendu bien
longtemps avant de donner ma démission.
Sous-gouverneur depuis douze ans, j'ai
conçu des doutes sur la régularité de ce
qui se passait au Crédit foncier il y a trois
ans à peine. On me laissait, en effet, dans
l'ignorance de tout, et il est même certains
détails que je n'ai appris que par les jour-
naux.
» Quand ma religion a été complètement
éclairée, je suis allé trouver le ministre. Il
m'a promis de faire procéder aux vérifica-
tions nécessaires. Cette promesse n'a pas
été tenue, — loin de là. De là ma démis-
sion. La situation du Crédit foncier n'est
pas atteinte actuellement, je dois le pro-
clamer ; mais elle sera compromise, si les
errements, les incorrections que je signale
ne sont pas réprimés.
Ces incorrections, vous les connaissez :
dépenses excessives et prélevées sur le ca-
pital social pour la publicité; non-présen-
ation au conseil d'administration du bud-
get des dépenses d'administration; opéra-
tions faites à la Bourse avec les fonds dis-
ponibles dêjift Société. » (Ces divers points"
d'ailleurs contenus dans la lettre de M. Lé-
vêque, ont été longuement repris et déve-
loppés par lui à la tribune.)
Et le sous-gouverneur démissionnaire
est arrivé à cette demande finale qu'il a
adressée à ses collègues de la Chambre :
N'étant pas un tribunal, et n'ayant pas sous
les yeux tous les documents, vous ne pouvez
pas rendre une décision qui peut déshonorer
un de vos collègues. Renseignez-vous donc,
et, pour cela, nommez une commission de
onze membres qui fera une enquête. (Applau-
dissements sur divers bancs.)
Que M. le gouverneur se joigne à moi, je ne
demande que la lumière ; si j'ai eu des inquié-
tudes exagérées, il est bon que le public le
sache.
Mais jusqu'à ce que la lumière soit faite,
je persiste dans mes inquiétudes et j'estime
que j'ai fait un acte loyal et honnête en don-
nant ma démission. (Applaudissements sur les
mêmes bancs.)
M. Christophle
Voici maintenant, en ses très grandes li-
gnes, la réponse de M. Christophle :
« A qui M. Lévêque fera-t-il croire que,
dans la haute situation de sous-gouverneur
qu'il occupait, il ait pu ignorer les façons
d'opérer ainsi que certaines dépenses dont
il se plaint aujourd'hui ? Il dénonce entre
autre choses la suppression d'une commis-
sion spéciale de contrôle i ne sait-il pas
que j'y ai substitué le contrôle du conoil
d'administration tout entier ?
» On nous reproche des opérations irré-
gulières. On dit que le Crédit foncier avait,
pour ses opérations de Bourse, un fonds de
A ou 500 millions — ce qu'on appelait la
« bourse de jeu » du Crédit foncier. J'op-
pose à tout cela de formelles dénéga-
tions. »
Et sur la demande d'enquête parlemen-
taire formulée par M. Lévêque, M. Christo-
phle s'est expliqué en ces termes ;
Considérez l'énormité des intérêts engagés
dans le Crédit foncier, voyez le trouble qui
peut résulter de ces sortes d'investigations si
elles sont faites dans de mauvaises con-
ditions. si elles paraissent offrir un appui
aux spéculateurs dont les efforts n'ont pu en-
core, heureusement, entamer cette cita-
delle ?
Au point de vue des investigations à faire, je
m'entendrai avec M. le ministre des finances.
(Mouvements sur plusieurs bancs. — Rires à
droite.) qu'une préoccupation, c'est d'éviter
Je n'ai qu'une préoccupation, c'est d'éviter
le trouble qu'une enquête inopportune pour-
rait jeter dans le pays. (Nouveau bruit.)
La vraie question
Les choses en étaient là, quand M. Mille-
rand demande la parole. Et, avec sa netteté
ordinaire, le jeune député de la Seine pose
en ces termes la vraie question, la seule qui
fût de la compétence d'une assemblée légis-
lative :
- Je n'ai garde, dit-il, d'intervenir dans
la querelle de M. Christophle et de M. Lé-
vêque. Mais la Chambre a le devoir de rap-
peler au ministre des finances, qui paraît
l'oublier, que sa responsabilité à lui est en-
gagée en un tel débat.
Et l'orateur poursuit en ces termes :
IM. ailleraod. — A la fin du mois de mars,
M. le ministre des finances recevait la visite
d'un personnage qui a été nommé, par dé-
cret rendu en conseil des ministres, sous-gou-
verneur du Crédit foncier de France.
Le sous-gouverneur du Crédit foncier dé-
clara à M. le ministre des finances qu'il se pas-
sait au Crédit foncier certains faits sur les-
quels il appelait son attention et qui, s'ils se
perpétuaient, le forceraient à donner sa dé-
mission.
Avait-il tort ou raison? Je ne veux pas, je le
répète, intervenir dans une querelle person-
nelle entre M. le gouverneur du Crédit fon-
cier et son ancien sous-gouverneur ; mais je
rappelle à la Chambre qu'elle ne doit tenir
pour responsables devant elle que ceux qui
tiennent leurs pouvoirs du président de la
République.
Quelle a été l'attitude du ministre des finan-
ces? Sans information, sans enquête préala-
ble, il écrit le 12 avril une lettre dans laquelle
il assure M. le gouverneur du Crédit foncier
de la confiance du gouvernement.
Aujourd'hui, la Chambre a le droit et le de-
voir de dire au ministre des finances : Vous
avez commis une faute; vous avez eu le tort,
après avoir reçu de M. Levêque une déclara-
tion aussi grave, de ne pas faire procéder,
sous une forme discrète, à une information
sérieuse.
Qu'a-t-on fait au contraire? On a mis la
Chambre dans cette situation évidemment
contraire aux doctrines parlementaires, et qui
consiste à substituer l'initiative de la Cham-
bre à celle du gouvernement.
Il est assurément grave d'avoir laissé se
produire le fait du Comptoir d'escompte. Mais,
pour le Crédit foncier, la Chambre a le devoir
de dire très haut et très net que les représen,
tants du gouvernement n'ont pas le droit de
se réfugier dans l'abstention, en laissant aux
Chambres le droit de dénouer les difficultés.
Je considère comme un devoir de bien éta-
blir les responsabilités, et c'est pourquoi je
dépose l'ordre du jour suivant: - La Chambre
regrette que le ministre des finances n'ait pas
cru devoir vérifier les allégations graves por-
tées à sa connaissance par le sous-gouverneur
du Crédit foncier, et passe à l'ordre du jour."
(Mouvements divers.)
Riposte de M. Rouvier, qui déclare re-
pousser absolument la demande d'enquête
parlementaire et répond en ces termes à
M. Millerand :
IM. Bouvier, ministre des finances. — Le
gouvernement n'entend décliner aucune res-
ponsabilité, et le devoir du gouvernement est
de faire lui-même la lumière sur les points
qui peuvent rester obscurs.
J'ai, quant à présent, le droit de m'étonner
des
J'adi, ifficultés qui surgissent. Fallait-il donc
résoudre la question avant qu'elle ne fût po-
sée? Fallait-il mettre les inspecteurs des fi-
nances en mouvement dès la réception de la
lettre de M. Levêque 7 (Oui! ouil sur quelques
bancs.) Le gouvernement ne l'a pas pensé.
Je répète que le gouvernement fera tout son
devoir au moyen de ses propres agents. Quand
il aura fait son devoir, vous le jugerez.
M. Millerand a parlé du Comptoir d'escompte.
Je ne m'attendais pas qu'à une année de dis-
tance la conduite du ministre des finances
dans ces circonstances pût être discutée et
critiquée. (Très bien ! très bien 1 sur divers
bancs.)
Le débat prend fin là-dessus et la bataille
des ordres du jour commence.
L'ordre du jour
Elle a été assez confuse, cette bataille. Il n'y
a pas eu moins de douze rédactions propo-
sées, parmi lesquelles nous n'avons à re-
tenir, pour l'instant, que celle de M. Mille-
rand, — on vient de la lire, — et une autre
de MM. Royer (Aube) et Dupuv-Dutemps,
laquelle était ainsi conçue i
La Chambre invite le gouvernement à pro-
céder à une enquête sur les actes de gestion
du gouvernement du Crédit foncier, notam-
ment en ce qui concerne le respect des sta-
tuts et des lois spéciales, et passe à l'ordre du
jour.
La priorité est demandée pour cet ordre
du jour. Mais M. le président du conseil
lui-même vient s'opposer à son adoption.
Il montre que cette invitation si impérative
est au moins inutile, puisque le ministre
des finances a, l'instant d'avant, pris de lui-
même l'initiative de proposer une enquête
à laquelle procéderont des inspecteurs des
finances. « Que la Chambre s'en remette à
nous du soin de faire le nécessaire ! » ajoute
M. de Freycinet.
Le président du conseil déclare ensuite
n'accepter qu'un ordre du jour déposé par
MM. Sibille, Aynard, etc., et dont voici le
texte :
La Chambre, prenant acte des déclarations
du gouvernement et comptant sur sa vigi-
lance, passe à l'ordre du jour.
A cette rédaction se rallient successive-
ment les auteurs d'autres ordres du jour
similaires, M. Letellier, MM. Barodet et De-
loncle. M. Dupuy-Dutemps lui-même finit
par s'y rallier également.
Et finalement, cet ordre du jour obtient
la priorité, puis est adopté au fond, à une
assez forte majorité et à mains levées, au-
cune demande de scrutin n'ayant été dé-
posée.
C'est ainsi que l'affaire s'est terminée. A
samedi le Dahomey 1
[La Chambre a voté hier, par 3A9 voix con-
tre 31, le projet accordant à Mme veuve Fai-
dherbe une pension annuelle et viagère de
6,000 francs. Elle a fixé à jeudi prochain la dis-
cussion d'une nouvelle interpellation déposée
par M. Dumay et visant « les négligences de
l'inspection dans certains centres indus-
triels ».]
LAVIEDEP ARIS
L'importance de la séance d'aujour-
d'hui à la Chambre, séance curieuse et
qui soulève bien des problèmes, me laisse
peu de place. Je ne voudrais pas paraître
un oiseau de mauvais augure. Mais, ce-
pendant, je crois qu'on peut déjà, sans y
insister pour aujourd'hui, prédire qu'au
moment prochain de la discussion du
budget, on verra aussi se produire des
incidents intéressants; et je me borne à
indiquer ceux qui pourront naître de l'é-
tude de certaines questions plus parti-
culièrement parisiennes, des questions
qui touchent aux théâtres, entre autres.
Je ne pense pas que la Chambre puisse
éviter, par exemple, d'en finir avec la
législation qui régit le droit des pauvres
perçu sur les recettes des théâtres. La
perception de ces droits sur les recettes
brutes est une véritable iniquité, car il
arrive que certains théâtres sont mis en
déficit tout justement et uniquement par
l'impôt prélevé sur les spectacles, impôt
qui n'a pas du tout un caractère fiscal,
— son énormité le démontre, — et qui
est un reste des législations d'autrefois,
alors qu'on considérait l'industrie des
théâtres comme immorale et qu'on faisait
payer et, pour ainsi dire, racheter cette
immoralité par une taxe exorbitante.
A côté de cette question, qui doit
être résolue dans un sens favorable aux
théâtres, il s'en posera d'autres qui me-
nacent sérieusement l'institution des
théâtres subventionnés. Et ceci intéresse
fort les Parisiens, qui ont presque tous
des opinions là-dessus et en discutent
volontiers.
On ne peut se dissimuler qu'il y a un
courant dans la Chambre, — courant qui
commence à se dessiner dans l'opinion du
public également, — pour qu'on fasse
autre chose que ce qui se fait dans les
théâtres subventionnés. En général, on
trouve que ça ne va pas très bien.
La gestion de l'Opéra est fort discutée.
Il me paraît imprudent de se prononcer
sur elle tant que les documents ne sont
pas entre nos mains. Seulement, on peut
dire déjà que l'Opéra ne donne pas tou-
jours des représentations suffisantes, en-
core qu'il engage des chanteurs étran-
gers ; que le répertoire y est peu varié,
bien qu'on ait été chercher, pour les mon-
ter à l'Opéra, des ouvrages d'auteurs fran-
çais joués à l'étranger déjà; que les bal-
lets sont médiocres, et que les classes de
danse ne préparent pas assez de sujets.
Bref, on trouve à redire à la marche de
la maison et on n'a pas toujours tort.Pour
l'Opéra-Comique, dont la subvention est
défendue avec cette vieille parole que le
théâtre représente un ci genre éminem-
ment français », on y joue, en réalité, des
grands-opéras, toujours avec des chan-
teuses étrangères, grands-opéras qui sont
le contrepied de la comédie et du vaude-
ville avec musique qu'est l'opéra-comi-
que ancien et traditionnel.
Pour l'Odéon, dont le rôle essentiel est,
avec la représentation du répertoire à
meilleur marché que la Comédie-Fran-
çaise, pour exercer et présenter au public
les élèves lauréats du Conservatoire,
de jouer les jeunes auteurs français, il
nous donne surtout des pièces à grand
spectacle, soutenues par la musique.
La Comédie-Française, enfin, est l'ob-
jet de critiques non moins vives, non
moins nombreuses. Le répertoire classi-
sique n'y tient pas toute la place qu'il de-
vrait avoir. On y représente de véritables
vaudevilles au lieu des œuvres plus sé-
rieuses qu'on avait accoutumé d'y voir.
Enfin, par-dessus tout, il semble qu'il y
règne un certain désordre adminîs!ra-
tif.
La question des congés, par exemple,
est très brûlante. Il y a des sociétaires
qui ne vont pas courir en province et à
l'étraneer et qui se reposent réellemen.
Mais ceux-ci, on leur rachète leur congl
et, pendant qu'ils restent à Paris, on a
bien soin, par une tacite convention, de
ne pas les faire jouer.
D'autres prennent le congé. Mais, au
lieu de se reposer, ils vont promener le
répertoire de la Comédie de ville en ville.
Ils promenaient même, jusqu'à ces der-
niers temps, les costumes appartenant à
la Comédie, qui se trouvait fournir les ac.
cessoires pour aider à se faire concur-
rence à elle-même. Et ces costumes va..
lent cher !
Si ce qu'on raconte est vrai, il serait ar.J
rivé que la Comédie ait payé trois mille
francs un costume qu'un costumier se
chargeait de faire pour cinq cents ! Les
costumes, il est vrai, ne sortent plus du
théâtre, au moins officiellement. Mais
les acteurs se promènent et pendant la
durée de leur saison et pendant leur
congé. Ainsi, cet été, on ne jouera pas
MargQt, — dont je ne discute pas, d'ail-
leurs, la valeur. Je prends cette pièce
comme toute autre nouveauté du réper- t
toire. On ne la jouera pas parce qiM I
Mlle Reiehemberg, — c'est un journal de I
théâtre qui me l'apprend, — va parcou- 1
rir la France et l'étranger avec ,ptt«
pièce. |
Il est certain qu'il y aurait quelque
chose de choquant à voir le rôle tenu à f
Paris par une doublure, et à Avignon 1
par la sociétaire. Cette dispersion du ré* I
pertoire, cette exhibition, sont nuisibles I
aux auteurs, au bon ordre du théâtre, en
tout cas.
Je ne crois pas qu'elles le soient moins
aux artistes. La nécessité du congé a été
regardée de tout temps comme justi-
fiée par un besoin de repos. Oro, telle
artiste, tel acteur, qui ne jouent pas dix
fois par mois pendant le temps du tra-,
vail, arrivent à jouer vingt-cinq soirs
pendant le mois du repos. Tout cela est
bien discutable et sera certainement dis-
cuté. On pourra demander aussi où en
est la réclamation de M. Mayer, l'impré-
sario londonien qui avait la parole de M.
Claretie pour ses représentations de la%
Comédie et qui ne paraît pas homme à
ne pas avoir une indemnité pour la non-
execution du contrat ?
On peut donc craindre ou espérer que
la situation actuelle des théâtres sub-
ventionnés soit fortement attaquée, et on
se trouvera en présence de deux systè-
mes : la cunstitution d'un ministère des
beaux-arts, s'occupant et pouvant s'occu-
per sérieusement, avec une responsabilité
effective, de faire vivre un art officiel-
car il n'y a pas que les théâtres : il y a leg
manufactures, les expositions, etc.,- ou
bien le système de la liberté individuelle,
l'abolition des subventions d'Etat, et les
directeurs de théâtres, sans cahier des
charges, faisant, à leurs risques et périls
ce que bon leur semblera.
Henry Fouquier..
LE SÉNAT
Le sort a désigné le département de 1$
Charente pour élire un sénateur en rem-
placement du général Gresley, inamovible
décédé.
A été ensuite adoptée, après quelque
débat, une motion de M. Cochery tendant
à la nomination d'une commission générale
des douanes chargée de statuer sur tou
les projets et propositions que le Sénat lui
renverra.
Prochaine séance lundi.
#
DÉMISSION DE LA MUNICIPALITÉ
ROMAINE
(DE NOTRE CORRESPONDANT PARTICULIER)
Rome, 8 mai.
Sur le refus formel du gouvernement dé
venir en aide à la situation financière de la
ville de Rome, la municipalité et le conseii
municipal ont remis leur démission, ce qui
nécessite la nomination d'un commissaire
du gouvernement pour administrer la
ville.
C'est un gros embarras pour M. Crispir
CONSEIL DES MINISTRES
Le cas de M. Dubois
Les ministres se sont réunis hier, sous la
présidence de M. de Freycinet.
M Yves Guyot, ministre des travaux pu*
blics, a fait savoir à ses collègues que M.
Millerand devait lui adresser une question
au sujet de l'injonction faite parla Compa-
gnie P.-L.-M. à un de ses employés, M. Du-
bois, d'avoir à retirer sa candidature ai*
conseil municipal de Paris.
Le ministre des travaux publics se ren-
seignera sur l'incident avant de répondra
à M. Millerand.
Le droit sur les étrangers
Le conseil a examiné ensuite les diversez
propositions de loi émanées de l'initiative
parlementaire dont la Chambre est saisie et
qui tendent à imposer le payement d'un
droit sur les étrangers résidant en France.
Il résulte d'un premier examen que dans
presque tous les pays étrangers les étran-
gers ne sont soumis au paiement d'aucune
taxe. Il n'y a guère que la Suisse où il exista
une taxe de ce genre.
Le conseil recherchera dans une pro-
chaine réunion si les traités existant entra
la France et les pays étrangers permettent
l'établissement d'une taxe pareille.
L'Opéra-Comique
Enfin, le ministre de l'instruction publii
que et des beaux-arts a fait savoir qu'il
prenait le projet de loi déposé à la Cham-
bre par son prédécesseur, M. Fallières, et
tendaat à la reconstruction dutbt.P 4*-
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