Bis-neuvième année. — NI, 6,687
CINQ Centimes- paria et Départements CINQ Centimes
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DEMAIN
Le XIXe SIÈCLE commencera la pu-
blication de
MÈRE
PAR HECTOR MALOT
Nous n'avons pas à faire l'éloge du
populaire romancier , auteur de tant
d'oeuvres aussi connues qu'attachantes.
Nos lecteurs retrouveront dans
MÈRE
le style simple , l'observation vraie ,
l'émotion sincère qui ont placé Hector
Malot au premier rang de nos roman-
ciers.
MÈRE
tl'est pas seulement un roman des plus
captivants et des plus émouvants : c'est
aussi une histoire d'hier ; et nos lecteurs
n'auront pas de peine à reconnaître
nous leurs différents masques les per-
sonnages mis en scène par
HECTOR MALOT
LA RENTRÉE
Il y a huit jours, M. Naquet, enregis-
trant les résultats du premier tour de
scrutin, s'écriait : « Confiance ! » et il
nous donnait rendez-vous au second
tour, qui s'annonçait dans d'excellen-
tes conditions, les boulangistes « te-
nant partout la tête ,,. Ils la tiennent
encore. dans le tableau électoral de
la Presse; leur nom est même en plus
gros caractères que celui de leurs con-
currents ; mais partout aussi, c'est le
concurrent qui est élu, et cette men-
tion tinte comme un glas funèbre. M.
Naquet n'essaie plus de lutter contre
l'évidence : « Le dpute n'est plus pos-
sible. 1/erreur ne serait plus excusa-
ble^ Nous sommes battus et bien bat-
tus. A l'heure présente, nous ne pou-
vons plus servir utilement le pays
qu'en consentant à désarmer, au moins
pour un temps. Il veut faire un nouvel
essai loyal du régime parlementaire.
Qu'il le fasse. Cet essai portera un
enseignement d'autant plus probant,
que nous ne le troublerons - pas. »
bi ce n'est pas un acte de décès en
bonne et due forme, c'est au moiqs
bien près d'un renoncement et il n'y
a guère lieu de croire que le comité
« républicain national », dont les dé-
libérations ne sont pas encore termi-
nées, arrivera à une conclusion diffé-
rente de celle de M. Naquet. En re-
prenant tantôt ses travaux,la Chambre
va donc se trouver en présence d'une
situation nouvelle. Jusqu'ici le bou-
langisme n'avait pas accepté sa dé-
faite. Il croyait qu'en pratiquant une
politique d'agitation, en jetant le cri
de : « Vive Boulanger ! » au milieu de
toutes les discussions, il préparait, sa
revanche, et, pour prouver que le ré-
gime parlementaire ne peut pas fonc-
tionner, il se chargeait lui-même d'en
empêcher le fonctionnement. Mainte-
nant, au contraire, il accepte sa dé-
faite, il se résigne à disparaître de la
scène et par conséquent la Chambre
ne peut plus avoir sans cesse les yeux
et l'esprit tournés vers un péril qui
n'existe plus.
Mais si le péril a disparu, il ne faut
pas oublier les circonstances qui
l'avaient fait naître. Le boulangisme
d. été, dans son origine, le résultat et
la manifestation extérieure de mécon-
tentements et de déceptions. Le pays
avait vu avec colère le régime parle-
mentaire s'épuiser en agitations stéri-
les, les crises ministérielles se succéder
aussi fréquentes qu'inexpliquées, tous
les intérêts compromis par l'instabi-
lité gouvernementale, la plupart des
réformes promises de tout temps par
le parti républicain écartées ou ajour-
nées aux calendes grecques.
bi l'on veut que retat d'esprit bou-
langiste ne se réveille pas et que les
mécontents ne cherchent pas un autre
syndic que le général Boulanger, dont
le rôle est désormais fini, il faut em-
pêcher les mécontentements de re-
naître et de s'aggraver.
La majorité républicaine a déjà
manifesté sont intention de rester
unie. Il n'y a que la petite coterie de
.l'Union libérale qui, agent dissolvant
dans la Chambra comme dans le pays,
ait laissé voir qu'une alliance avec la
Droite ne lui répugnait pas. Tout le
reste du parti républicain, c'est-à-dire
l'immense majorité, s'est prononcé
pour une politique d'union. Mais cette
union ne peut se faire et se maintenir
qu de progrès. Que l'on écarte les ques-
tions sur lesquelles il ne peut pas se
produire d'entente, il faut bien y con-
sentir. car tout le temps Qu'on passe-
rait à les discuter serait du temps
perdu. Mais que, du moins, la Chambre
fasse du temps ainsi économisé un
judicieux emploi, qu'elle s'attache,
par des réformes pratiques, à amé-
liorer notre situation financière sans
grever le contribuable de charges
nouvelles, et qu'elle montre au pays
que le régime parlementaire n'est in-
compatible ni avec le progrès des
institutions, ni avec la stabilité sans
laquelle tous les intérêts se trouvent
menacés. Que l'on songe aux besoins
du pays et non pas à ceux d'une co-
terie, et si la majorité républicaine,
dans toutes ses fractions, sait se con-
former à cette ligne de conduite, elle
peut être certaine que les méconten-
tements ne se reformeront pas et que
la période de difficultés que nous ve-
nons de traverser ne se renouvellera
pas.
REPRISE DE SESSION
La Chambre et le Sénat. — L'ordre du
jour. — Interpellations diverses. —
Projets de loi.
La Chambre et le Sénat reprennent au-
jourd'hui leurs travaux.
Au Sénat,, l'ordre du jour ne comporte
que le tirage au sort des bureaux et la fixa-
tion de l'ordre du jour.
A la Chambre, l'ordre du jour qui a été
réglé à la veille de la séparation comporte
les matières suivantes :
1. — Tirage au sort des bureaux.
2. — Discussion de l'interpellation de M.
Laur sur l'accaparement des pétroles en
France.
3. — Discussion de l'interpellation de M. Paul
Déroulëde sur les motifs invoqués par le pré-
fet de la Seine pour justifier le maintien, au
budget de là Ville de Paris, d'un crédit de
593,000 fr. affecté au payement d'une indemnité
de 6,000 fr. à chacun des conseillers munici-
paux parisiens.
h. — Discussion de l'interpellation de M.
Louis de Belleval sur la déclaration faite par
M. le ministre de l'intérieur et sur son refus
de déposer un projet de loi relatif aux attri-
butions du conseil municipal de Paris.
5. — Deuxième délibération suif le projet de
loi relatif à la répression, par voie discipli-
naire, des infractions spéciales à l'indigénat
en Algérie.
6. — Discussion des propositions de loi : de
M. Bovter-Lapierre, ayant pour objet de répri-
mer les atteintes portées à l'exercice des droits
reconnus par la loi aux syndicats profession-
nels; de M. Lachize, relative aux syndicats
ouvriers
7. — Première délibération sur la proposi-
tion de loi adoptée par le Sénat, relative aux
délégués mineurs.
8i t— Première délibération sur la proposi-
tion -objet de rendre aux tribunaux correctionnels
la connaissance des délits d'injure, - outrage et
diffamation commis par la voie de la presse
contre les fonctionnaires.
9. — Première délibération sur la proposi-
tion de loi de M. Méliue et plusieurs de ses
collègues, relative au régime douanier des
maïs et des riz.
D'autres interpellations que celles qui
sont mentionnées en tête de l'ordre du
jour seront discutées. Trois demandes se-
ront en effet déposées par M. le docteur
Després, par M. Baudin, par M. Boissy-d'An-
glas.
Le préfet à l'Hôtel de Ville
On sait que M. le docteur Després doit, à
l'occasion des incidents qui ont marqué le
dernier emprunt de la ville de Paris, in-
terpeller le gouvernement et soulever
à ce propos la question du logement du
préfet de la Seine à l'Hôtel de Ville, dont il
est partisan.
M. Chautemps se propose d'intervenir
dans le débat et de répondre à son collè-
gue notamment sur cette dernière ques-
tion.
Il soutiendra que la présence du préfet à
l'Hôtel de Ville, dans un cabinet de travail,
est légale, mais que la prise de possession
par lui d'un logement à titre définitif se-
rait contraire à la loi.
L'interpellation de M. Baudin portera sur
l'attitude de la police dans la journée du
1er mai, non pas sur les mesures prises,
mais sur les brutalités des agents de l'au-
torité.
Enfin, l'interpellation de M. Boissy-d'An-
glas portera sur l'affaire du Dahomey.
Projets de loi
Enfin, le gouvernement déposera les di-
vers projets de loi qui suiveut :
- Projet tendant à autoriser le Mont-de-
Piété à consentir des prêts sur les valeurs
mobilières jusqu'à concurrence de 500 fr.;
Projet de loi tendant à abaisser le taux de
l'intérêt prélevé par le Mont-de-Piété et à
supprimer les cessions ou engagements de
reconnaissances. Projet de loi tendant à or-
ganiser l'assistance publique dans les cam-
pagnes. Projet de loi tendant à modifier les
règles de l'exercice de la médecine. Projet
de loi tendant à modifier la loi du 3 mai
18A1 sur l'expropriation pour cause d'uti-
lité publique. Projet de loi tendant à la
création de délégués mineurs.
Les quatre premiers projets seront dé-
posés par le ministre de l'intérieur, les
deux autres par le ministre des travaux
publics.
Nous avons longuement exposé en quoi
consistaient les quatre premiers de ces pro-
jets.
Le projet de loi sur les délégués mineurs
est la reproduction, avec certaines modifi-
cations, de l'ancien projet de la Chambre
amendé par le Sénat. Les modifications in-
troduites par le ministre des travaux pu-
blics ont pour objet de limiter l'œuvre des
délégués mineurs et de faire que leur mis-
sion se borne exclusivement à assurer la
sécurité des ouvriers dans les mines.
Quant au projet de loi sur l'expropria-
tion pour cause d'utilité publique, il a pour
objet d'empêcher le renouvellement des
abus que la loi de 18.41 a rendus possibles
en ce qui touche la fixation des indem-
nités.
Le projet de loi maintient les jurys d'ex-
propriation, mais il institue à titre de ga-
rantie un système d'expertise facultative
destiné à éclairer le jury et faciliter ses dé-
cisions. Ensuite, le projet édicte des dispo-
sitions destinées à periectionner le recru-
tement du jury, en rendant plus facile pour
les conseils généraux la désignation qu'ils
ont à faire chaque année des personnes
parmi lesquelles sont choisis les jurys. En-
fin, le projet contient des dispositions nou-
velles ayant pour objet de prévenir ou ré-
primer efficacement les fraudes tentées au
moven de documents mensonaers.
LA FIN D'UN PARTI
: RÉUNION DE BOULANGISTES
-,
La suite d'une réunion. — Un ordre du
jour anodin. - Le dernier acte est
joué!
Malgré la durée de la réunion qui s'est
tenue avant-hier à l'hôtel Saint-James jus-
qu'à une heure assez avancée de la nuit,
les membres du comité boulangiste n'a-
vaient pu se mettre d'accord sur cette
question : Faut-il lâcher oui ou non le gé-
néral Boulanger? -_
A une heure et demie, on discutait encore
avec animation, et si MM. Naquet et La-
guerre ne s'étaient retirés pour rédiger de
concert l'article qui a paru dans la Presse,
sous le titre « la Défaite », il est très pos-
sible que les débats se seraient terminés à
six heures du matin.
La réunion, suspendue après le départ de
MM. Naquet et Laguerre, a été reprise hier
à deux heures de l'après-midi, au local de
la rue de l'Arbre-Sec.
La discussion a été aussi chaude. Deux
partis bien distincts se trouvaient en pré-
sence : l'un voulait le désarmement com-
plet, c'est-à-dire la dissolution du comité ;
l'autre — et c'était la majorité —demandait
que le comité, en restant fidèle à la politi-
que du général Boulanger et même à sa
personne, ne se séparât point et se bornât
a conserver une attitude expectante. -
Ces deux points ont soulevé des contra-
dictions à ne plus en finir; on alla même
jusqu'à se reprocher des choses toutes plus
désagréables les unes que les autres.
A ceux qui auraient jeté sans sourciller
le général Boulanger par-dessus bord, on
criait : « Vous n'avez pas le droit d'a-
gir de la sorte, c'est lui qui vous a faits de
toutes pieces : »
Les mots « trahison, infamie, lâcheté"
ont été couramment employés.
Finalement, après quatre nouvelles heu-
res de discussion passionnée, le comité a
décidé d'adresser au général Boulanger
l'anodin ordre du jour suivant :
A M. le général Boulanger, président du co-
mité républicain national.
Mon général,
Au nom du comité républicain national,
j'ai l'honneur de vous transmettre l'ordre du
jour suivant, voté à l'unanimité dans la séance
de ce jour.
Veuillez agréer, mon général, l'assurance de
mon respectueux dévouement.
A. LAISANT,
Vice-président du comité
républicain national.
Le comité républicain national,
Considérant qu'il ne saurait abandonner
dans la défaite les cent quarante-quatre mille
vaillants électeurs de Paris et du département
de la Seine qui viennent de se grouper une
fois de plus autour du programme du parti
républicain national,
Déclare que, sans vouloir troubler le pays
par des agitations momentanément stériles, il
maintient dans sonintégraUtéson programme
de réconciliation française et de reformes so-
ciales. ,..,
Vive la révision]
Vive la liberté 1
Vive la République nationale]
Pour l'unanimité du comité
républicain national,
A. LAISANT,
,,- vice-président.
CHEZ M. LAGUERRE
Au cours de la soirée, nous avons réussi
à rejoindre M. Laguerre. C'est le seul mem-
bre du comité auquel nous ayons pu cau-
ser, les autres ayant fui de leur domicile,
de peur sans doute de commettre des in-
discrétions, la reunion devant conserver
un caractére absolument privé et les bou-
langistes ayant l'agonie modeste.
— Je ne puis rien vous raconter, nous a
dit le député de Grenelle; je sors de la réu-
nion et j'en suis encore tout abasourdi.
Et, comme nous insistions:
— A quoi bon s'occuper encore du bou-
langisme.Le rideau est tombé. Le suffrage
universel vient de se prononcer d'une fa-
çon éclatante contre nous ; à l'heure qu'il
est, nous n'existons plus et ne pouvons plus
exister.
— Mais quelle sera votre attitude à la
Chambre? demandons-nous.
— Celle qui convient aux vaincus, nous
répondit M. Laguerre. A quoi bon, en ce
moment, essayer de remonter le courant
de l'opinion putmque ; ce serait malaarOIt,
imprudent, puéril! Notre heure est passée,
bornons-nous à nous préparer à des luttes
futures, en oignant d'huile nos reins, à
l'instar des héros d'Homère.
— Qu'y a-t-il de vrai dans le bruit de
votre démission et de votre intention de
vous représenter devant vos électeurs?
— Je n'ai pas encore pris de décision à
ce sujet, je ne sais pas ce que je ferai !
Dans le courant de la conversation, nous
avons cru deviner que les illusion que
pouvait encore avoir M. Laguerre, au sujet
du général Boulanger étaient totalement
dissipées.
Le XIXe SIECLE publiera demain la
Vie de Paris » par Henry Fouquier.
MORT DE M. DE CATACAZY
M. de Catacazy, conseiller privé et ministre
plénipotentiaire de l'empereur de Russie, est
mort hier, à Saint-Germain-en-Laye, à l'âge
de 60 ans.
LE GÉNÉRAL HAILLOT
Le chef d'état-major général
M. le général Haillot, qui occupait le
poste de chef d'état-major général du mi-
nistre de la guerre depuis que M. le général
Ferron lui avait confié cette fonction, c'est-
à-dire depuis près de trois ans, vient de
demander à prendre un commandement
actif.
Cette mutation n'a pas, croyons-nous, un
caractère purement personnel.
Il se pourrait, en effet, qu'elle coïncidât
avec un remaniement complet de l'institu-
tion, que faisait pressentir le décret récent
sur les inspections générales d'armée.
Non seulement il s'agirait de donner au
major général désigné de nos armées na-
tionales une situation qui répondit, dès le
temps de paix, à son rôle en temps de
guerre; mais l'attribution de ces fonctions
capitales ainsi modifiées à M. le général de
Miribel aurait pour conséquence la réorga-
nisation du 66 corps d'armée,dont une par-
tie servirait à foriiier un 6 corps, comme
les Allemands l'ont déjà fait pour le 15e et
le 16e corps en Alsace et en Lorraine.
Nous Densons Que le départ de M. le gé-
nèral Haillot du ministère de la guerre est
la première d'une série de mesures néces-
saires qui auront pour but de compléter la
constitution du haut commandement et
l'organisation de notre armée à proximité
de la frontière de TEst.
LE NOUVEAU CONSEIL MUNICIPAL
Le nouveau conseil municipal sera convoqué
vers la fin du mois.
Le doyen d'âge est M. Perrichont, né en 1812;
vient ensuite M. Collin, moins âgé de trois
mois seulement.
Les plus jeunes membres du conseil sont :
MM. Girou, né en 1860; Froment-Meurice et
Baudin, nés en 1863.
M. HOVELACQUE ET M. CHABERT
Bruits de mort
On annonçait hier soir que l'état de santé
de M. Hovelacque, député de la première
circonscription du treizième arrondisse-
ment, inspirait une certaine inquiétude à
ses amis.
Le bruit de la mort de M. Chabert, con-
seiller municipal du quartier du Combat,
a également couru, mais ce bruit est heu-
reusement démenti. Néanmoins, l'état de
M. Chabert est grave.
L'INCIDENT R01ftNET-DE SUSINI
Echange de témoins. - Qualité
d'offensé.
-', Au cours de là lutte électorale, M. de Su-
sini avait appelé son rival heureux, M.
Rouanet, « candidat de l'alliance alle-
mande ». M. Rouanet répondit à cette in-
jure par une affiche où il traitait M. de Su-
sine de « misérable
Ce dernier a aussitôt envoyé deux de ses
amis à M. Rouanet, qui constitua comme
témoins MM. George et Rollet.
Les quatre témoins se sont réunis hier ;
les amis de M. Rouanet ont revendiqué
pour leur client la qualité d'offensé.
Les témoins de M. de Susini en ont ré-
féré à ce dernier, qui a déclaré maintenir
sa qualité d'insulté.
Devant cette prétention, les pourparlers
ont été rompus.
LE REFERENDUM EN oUISSE
(D'UN CORRESPONDANT)
Berne, 5 mai.
Le peuple bernois vient de repousser, par
une majorité comprenant les deux tiers des
votants, la - nouvelle loi sur l'impôt progressif.
DEMAIN MERCREDI
MÈRE
PAR HECTOR MALOT
CHRONIQUE
L'ancien chef de la Sûreté, M. Macé, est
devenu le plus fécond des faiseurs de li-
vres. Il a bien, depuis qu'il est à la re-
traite, abattu sa demi-douzaine de volu-
mes, dans lesquels, ayant la rancune
longue, il exhalait ses ressentiments con-
tre M. Caubet, qui, de son temps, s'était
arrangé pour mettre la Sûreté sous la
dépendance de la police municipale.
Le départ de M. Caubet semble à
peine avoir apaisé M. Macé, et, cette fois
encore, il ne manque pas de se livrer à
son petit jeu coutumier d'épigrammes,
— fussent-elles désormais inutiles, - à
propos des souvenirs qu'il évoque en
décrivant un petit musée formé par lui
au cours de sa carrière. Tout le monde
est un peu collectionneur, aujourd'hui.
Je me suis amusé, jadis, dans un petit
livre, le Dieu Bibelot à décrire quelques-
unes des collections les plus originales,
réunies par des amateurs férus de telle ou
telle spécialité, les cannes, les bonnets,
les prospectus anciens, les clefs, les affi-
ches, les boutons, que sais-je? Manies
heureuses, qui donnent des joies incon-
nues aux profanes ! M. Macé, lui, a re-
cherché les épaves criminelles, les objets
ayant appartenu à des assassins de mar-
que ou leur ayant servi à commettre un
meurtre. Cela est moins galant que de
rassembler, comme le fit M. Jacque-
mart, de mignons souliers de marquises
d'antan, ou, comme le fait M. Bapst, de
coquettes coiffures féminines des temps
évanouis. Mais à chacun ses coûts.
Les sinistres et macabres objets de la
collection de M. Macé ont, naturellement,
chacun leur légende, et c'est cette lé-
gende qu'il dit, avec des détails horribles
à souhait. J'ai parfois regretté que M.
Macé, à qui ses fonctions avaient permis
d'étudier de si près les bas-fonds pari-
siens, crût devoir enjoliver ses livres de
fioritures romanesques à la Ponson du
Terrail. qui leur enlevaient un peu de
leur sérieux, de leur valeur documen-
taire. Je dois reconnaître que le docu-
ment tient, dans son nouveau travail,
une place à peu près exclusive.
Diable ! ce ne sont pas les histoires à
faire frissonner qui font défaut. Mais il y
a là une certaine part de psychologie cri-
minelle qui est surtout ce qui m'a inté-
ressé. Ah ! les abîmes de ces âmes obs-
cures, vouées au mal! Je note, par exem-
ple, une scène qui formerait un joli ta-
bleau réaliste, — pour le Théâtre-Libre :
Deux abominables chenapans se pren-
nent un jour de querelle. - L'un d'eux,
Grimai, se fâche et tue son camarade. Il
se laisse arrêter, et, pour des constata-
tions nécessaires, on l'amène, quelques
jours après, dans la chambre de sa vic-
time.
La maîtresse de l'assassiné, vraisem-
blablement aussi peu recommandable
que l'assassin, se trouvait là. Tandis que
le magistrat instructeur faisait ses re-
cherches dans la chambre, Grimai et la
femme se mirent à causer sous l'œil des
agents. Le dialogue est étonnant.
— Comme ça, fit Grimai, comme pour
dire quelque chose, vous n'avez plus
d'homme, ma pauvre Louise?
— Ma foi non.
— C'était un bon b. tout de même ! Il
aimait la goutte.
Et les voilà, la "veuve" et le meurtrier
faisant tranquillement l'éloge du défunt,
comme s'il s'agissait d'un étranger. Bien-
tôt, ils plaisantent : -Hein J. dit la
créature, c'est donc que vous vouliez vous
marier avec moi que vous l'avez tué ? —
Non, vous méprisieztrop votre homme ! »
Marivaudage charmant. Après quoi, Gri-
mai, avisant une bouteille sur une ta-
ble, reprend, comme s'il n'avait vraiment
qu'une peccadille sur la conscience :
attendant, pas de pétard et rabi-
bochons-nous à la bouteille ! » Un instant
après, l'homme et la femme trinquaient
tranquillement dans la chambre même
ou s était accompli le crime, et leur cor-
diale causerie ne fut interrnm nup rrnp nar
- ----- ---r-- '-- r--
le signal du départ donné par le chef de
la Sûreté.Cette conversation n'est-elle pas
tout a fait savoureuse ?
On a souvent parlé de la préoccupation
des criminels en ce qui concerné la cu-
riosité qu'ils inspirent dans le public. Ils
sont, le plus souvent, affreusement ca-
botins. Ils s'informent auprès de leurs
gardiens de ce que l'on dit d'eux; ils
s'inquiètent de savoir si leur « affaire »
fait du bruit; ils ont d'extraordinaires
coquetteries. Je vous prie de méditer ce
mot délicieux du jeune Lemaitre, ce Pa-
pavoine imberbe qui avait tué pour
rien, pour le plaisir, un enfant de six
ans. Il demandait si les journaux illus-
IJn;;::; avaient, son portrait, comme ils
avaient publié celui de Menesclou :
— Mon portrait doit être supérieur au
sien, dit-il, car il n'avait pas sa cravate,
tandis que j'ai conservé la mienne.
C'est à cela qu'il pensait avec sérénité,
sans pî>s6 de souci de sa victime !
Mais voici un autre mot d'assassin, —
un vrai mot à la Jean Hiroux, celui-là.
En 1877, un misérable, nommé Albert,
avait tué une malheureuse femme, gar-
dienne de la tour de Malakoff, qui avait
eu l'imprudente bonté de lui donner
asile pendant quelques jours, ayant pitié
de sa détresse.
On supposait un moment que cet igno-
ble bandit ne s'était pas borné à « refroi-
dir » la pauvre vieille et que, pris de ce
vertige, souvent constaté, qui mêle de
furieux désirs de brute à la vue du sang,
il avait souillé le corps de l'infortunée.
Mais Albert, interrogé sur ce point, eut
un geste d'exquise pudeur :
— J'ai, dit-il, comme s'il était positive-
ment blessé qu'on eût soupçonné sa déli-
catesse, j'ai l'habitude de respecter la
mort. -
explique qui pourra les invraisembla-
bles aberrations de ces êtres lamentables
et sauvages qui constituant l'année du
crime. Albert avait une maîtresse, une
fille publique. C'était elle qui avait excité
Albert au meurtre. "A la guerre, on tue !»
lui avait-elle dit pour lever ses derniers
scrupules. Or, cette sinistre femelle était
dévote ; elle s'était fait donner le chapelet
de la victime, et elle le portait sur elle
comme une relique.
Ce fut bien là le plus étrange couple de
coquins qui se pût rêver. Albert, con-
damné à mort, prit assez vite son parti et
même, devant la guillotine, il resta go-
guenard. Il songeait sans doute à la bon-
ne plaisanterie qu'il laissait comme un
adieu au monde. Quand on était venu le
réveiller dans sa cellule, il avait très gra-
vement demandé la faveur d'écrire quel-
ques lignes. Il s'était fait donner une en-
veloppe, l'avait fermée, et avait recom-
mandé de n'ouvrir ce billet qu'après sa
mort. Quand on le lut, on trouva ceci :
« Faites arrêter l'exécuteur? c'est l'hom-
me qui me déplaît le plus ! » N'est-ce pas
fait un peu pour confondre, ce courage
(car c'en était, en somme) de la part de ce
bandit abject?
Les histoires de filles reviennent aussi
souvent dans les souvenirs de M. Macé.
L'aventure de la fille Porte est assez co-
quette. Cette malheureuse avait un en-
fant, qu'elle trouva gênant un jour. Elle
l'étrangla, puis, de ses mains, elle confec-
tionna une sorte de malle où elle enfer-
ma le corps. Cette malle la suivit pen-
dant dix ans de chambre en chambre; elle
était placée au pied du lit où elle recevait
ses amants de rencontre, qui ne se dou-
taient guère que cette caisse, d'aspect in-
nocent, contenait un cadavre.
Une fois, on saisit ses meubles. L'huis-
sier n'émit point de prétentions sur cette
malle, et elle l'emporta dans les garnis où
elle dut se réfugier. Ce fut un hôtelier,
impatient de d'être point payé, qui l'ou-
vrit en son absence pour voir si vraiment
elle était aussi gueuse qu'elle disait l'ê-
tre. Il trouva les ossements de l'enfant.
Que dites-vous, comme chose macabre,
de cet huissier dédaignant dans sa saisie
cette boite tragique ? -
Par exemple, au milieu de ces sinistres
évocations, il y a un petit document qui
est fait pour amener involontairement
d'ironiques réflexions. C'est le signale-
ment de Walder, l'introuvable assassin.
Si tous les signalements des criminels
sont aussi précis que celui-là, on ne s'é-
tonne plus que nombre d'entre eux échap-
pent aux recherches. Il était dit, dans cet
étonnant papier, que Walder portait or-
dinairement un chapeau haute forme,
mais qu'il pouvait bien l'avoir troqué
contre un autre ; qu'il avait la barbe én-
tière, mais qu'il avait dû la couper; que
ses mains avaient peut-être des traces de
coupures, à moins qu'elles n'en eussent
pas, et qu'il fumait la cigarette î Ce docu-
ment est délicieux. Rien de plus simple,
à ce qu'on voit, d'après ces indicatioas,
que de trouver le coupable! Il eût fallu
que les agents, forts de ces renseigne-
ments imperturbablement réunis, fus-
sent de fameux malins pour mettre la
main sur un particulier aussi clairement
décrit. Et cet échantillon de littérature
judiciaire fait irrespectueusement penser,
malgré soi, qu'il doit y avoir tout de
même une forte part de hasard dans la
capture des criminels.
Paul Ginisty.
L'AFFAIRE DES MÉTAUX
LE KRACH
DU COMPTOIR D'ESCOMPTE
PREMIÈRE AUDIENCE DE LA ne CHAMBRE
Exposé de l'affaire. — Interrogatoire
d'ensemble de MM. Secrétan, La-
veissière, Joubert et Hentsch.
— Premières explications de
M. Flory, expert.
Soyons francs : c'est un peu en rechi-
gnant que nous allions à l'audience d'hier.
Des financiers ayant, l'un accroché son char
à la borne de l'article A19 du Code pénal,
les autres ayant heurté la roue du leur à
un tournant de la loi de 1887, à quelques
millions près, c'est toujours la même chose :
des explications hérissées de chiffres, des
dépositions d'experts, d'interminables plai-
doiries et par là-dessus, après dix ou quinze
audiences, un jugement « sévère » et.
quelques deux mille francs d'amende au
bout. Ça ne valait pas un « beau crime »
il nous faut confesser notre erreur et,
tout au moins, l'audience d'hier nous a paru
fort intéressante.
C'est que c'est énorme, ce qu'ont fait ces
gens-là ! Une double impression nous
reste : ,
Les faits, ou lés connaît amplement el
nous avons pris soin, il y a trois jours, de
publier in-extenso le réquisitoire définitif
du parquet où ils sont exposés avec une
bienveiMancerelative. Mais ce qu'on pou-
vait croire, c'est à une certaine envergure
chez ceux qui ont brassé ces colossales
affaires. En dehors peut-être de M. Jou-
bert, le vice-président de la Banque de
Paris, qui fait quelque figure, ce trio Secré-
tan-Laveissière-Hentsch est stupéfiant.
Un trio sans prestige
« L'accapareur » Secrétan, type d'homme
d'affaires, sans prestance, sans autorité,
sinon sans toupet, vient se réclamer d'un
but patriotique et alléguer un désintéres-
sement contre lesquels protestent toutes
les circonstances de la cause.
A son côté, le président de paille de la
Société des Métaux, M. Emile Laveissiere,
balourd, mais pas méchant, sans défense.
Et quel président d'opérette avait ce grand
établissement financier, qui fut le Comp-
toir d'escompte ! M. Edouard Hentsch, type
de vieil abonné de cabinet de lecture, ap-
prend inopinément par un journal (authen-
tique) que .le Comptoir se trouve engagé
pour des centaines de millions. Il ne s'en
doutait pas ! Il fallut le XIXe Siècle pour
lui dire ce qui se passait chez lui.
voila pour les hommes. Et a côté de ces
quatre prévenus qui se trouvent cités par
les parties civiles, nous trouvons, amenés
sur les bancs du tribunal, deux fils à papa
et déux autres personnages, tous les quatre
reste muets à l'audience d'hier; mais dj
minuéront-ils cette impression?
M. Hentsch fils est un jeune homme d'as- -
pect quelconque, devant à la situation de
son père les postes importants d'adminis-
trateur de sociétés qu'il a occupés. M. Jean-
Joseph Leveissière appartient à la dernière
génération de sa race chaudronnière. Il a
une belle chevelure aile de corbeau, de
magnifiques favoris, porte des bagues, des
chaînes, des épingles de cravate. Voilà ce
que nous pouvons en dire pour l'instant,
ne sachant quel rôle actif et pernicieux lui
reprocheront les représentants des parties
civiles.
Enfin,nous avons vu MM.ArbeletLécuyer,
hommes d'âge, longs profils de comman-
dants du génie en retraite. Négligeons-les ,
pour l'instant.
C'est ce monde-là qui a fait sauter des
millions par centaines, et de quelle façon !
A ne pas croire, quoi qu'on nous en ait dit
jusqu'ici.
Ni frein ni contrôle
Quand, pour toucher un mandat de cent
sous, percevoir dix francs à une caisse pu-
blique, nous, commun des mortels, passons
à vingt guichets, signons pièces sur pièces,
nous devons croire que quelques garanties
accompagnèrent le maniement des sommes
considérables à la disposition de sociétés
dont une au moins avait son haut person-
nel « investi » par le gouvernement. Nous
devons croire aussi que des financiers avi-
sés, d'habile renom, à confiance étroite,
n'ont pas livré leurs propres fonds avec
une légèreté qui nous vaudrait vingt con-
seils judiciaires.
De la bouche même des prévenus, nous
avons appris que l'opération folle, la ten-
tative insensée de M. Secrétan, n'avait ren-
contré ni opposition ni contrôle. Un seul:
protesta, M. Siegfried, administrateur du
Comptoir, dont la démission eut lieu d'ail-
leurs sans éclat. Bilans, rapports de cen-
seurs, réunions d'actionnaires, frime que
tout cela. Secrétan accaparait, on lui jetait
les millions par brassées, et, jusqu'à la mi-
nute suprême que sonna le suicide du di-
recteur du Comptoir, tout parut régulier,
même prospère, et c'est encore qu'elles
applaudissaient leurs vigilants administra-
teurs, que les victimes virent s'ouvrir le
gouffre sous leurs pas.
L'audience
Arrivons à l'audience. Elle était présidée
par M. Flandin. M. le substitut Seligmai)
occupait le siège du ministère public.
Au banc de la défense,de nombreux avo-
cats. M. Secrétan nous a montré encore une
fois que certains prévenus piquent droit à
l'avocat qu'ils doivent naturellement choi-
sir : c'est Mo Léon Renault qui l'assiste.
Me Du Buit portera la parole pour M. Emile
Laveissière, Me Barboux pour M. Joubert,
MO Waldeck-Rousseau pour M. Edouard
Hentsch.
MM. Hentsch Sis, Joseph Laveissière et
Arbel seront défendus par Me Charles Len-
te, et M. Lûcuyer par Me Loustaunau. Ces
quatre prévenus, cités directelient,out à se
défendre contre une plainte en escroque-
rie et complicité. Les psrties civiles sont
représentées par MOI Jullemier, Quérennet,
et d'atltres avocats.
ïiCs témoins cités sont MM. Edmond Mo-
rcau et Monchicourt, liquidateurs, MM. Flo-
ry et Roisignol, experts, et,M. Siegfried, an-
cien adminiôtratour du Comptoir.
Exposé du président
Le président entreprend, pour les mem-
bres du tribunal qu'il compose avec trois
autres @ juges, un exposé de l'affaire et, au
fur et à mesure que se déroule cet exposé,
le magistrat pose des questions aux pré-
venus.
C'est d'abord de la formation de la So-
ciété industrielle et commerciale des Mé1
CINQ Centimes- paria et Départements CINQ Centimes
MERCREDI ? MAI feSO
JOURNAL REPUBLICAIN
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DEMAIN
Le XIXe SIÈCLE commencera la pu-
blication de
MÈRE
PAR HECTOR MALOT
Nous n'avons pas à faire l'éloge du
populaire romancier , auteur de tant
d'oeuvres aussi connues qu'attachantes.
Nos lecteurs retrouveront dans
MÈRE
le style simple , l'observation vraie ,
l'émotion sincère qui ont placé Hector
Malot au premier rang de nos roman-
ciers.
MÈRE
tl'est pas seulement un roman des plus
captivants et des plus émouvants : c'est
aussi une histoire d'hier ; et nos lecteurs
n'auront pas de peine à reconnaître
nous leurs différents masques les per-
sonnages mis en scène par
HECTOR MALOT
LA RENTRÉE
Il y a huit jours, M. Naquet, enregis-
trant les résultats du premier tour de
scrutin, s'écriait : « Confiance ! » et il
nous donnait rendez-vous au second
tour, qui s'annonçait dans d'excellen-
tes conditions, les boulangistes « te-
nant partout la tête ,,. Ils la tiennent
encore. dans le tableau électoral de
la Presse; leur nom est même en plus
gros caractères que celui de leurs con-
currents ; mais partout aussi, c'est le
concurrent qui est élu, et cette men-
tion tinte comme un glas funèbre. M.
Naquet n'essaie plus de lutter contre
l'évidence : « Le dpute n'est plus pos-
sible. 1/erreur ne serait plus excusa-
ble^ Nous sommes battus et bien bat-
tus. A l'heure présente, nous ne pou-
vons plus servir utilement le pays
qu'en consentant à désarmer, au moins
pour un temps. Il veut faire un nouvel
essai loyal du régime parlementaire.
Qu'il le fasse. Cet essai portera un
enseignement d'autant plus probant,
que nous ne le troublerons - pas. »
bi ce n'est pas un acte de décès en
bonne et due forme, c'est au moiqs
bien près d'un renoncement et il n'y
a guère lieu de croire que le comité
« républicain national », dont les dé-
libérations ne sont pas encore termi-
nées, arrivera à une conclusion diffé-
rente de celle de M. Naquet. En re-
prenant tantôt ses travaux,la Chambre
va donc se trouver en présence d'une
situation nouvelle. Jusqu'ici le bou-
langisme n'avait pas accepté sa dé-
faite. Il croyait qu'en pratiquant une
politique d'agitation, en jetant le cri
de : « Vive Boulanger ! » au milieu de
toutes les discussions, il préparait, sa
revanche, et, pour prouver que le ré-
gime parlementaire ne peut pas fonc-
tionner, il se chargeait lui-même d'en
empêcher le fonctionnement. Mainte-
nant, au contraire, il accepte sa dé-
faite, il se résigne à disparaître de la
scène et par conséquent la Chambre
ne peut plus avoir sans cesse les yeux
et l'esprit tournés vers un péril qui
n'existe plus.
Mais si le péril a disparu, il ne faut
pas oublier les circonstances qui
l'avaient fait naître. Le boulangisme
d. été, dans son origine, le résultat et
la manifestation extérieure de mécon-
tentements et de déceptions. Le pays
avait vu avec colère le régime parle-
mentaire s'épuiser en agitations stéri-
les, les crises ministérielles se succéder
aussi fréquentes qu'inexpliquées, tous
les intérêts compromis par l'instabi-
lité gouvernementale, la plupart des
réformes promises de tout temps par
le parti républicain écartées ou ajour-
nées aux calendes grecques.
bi l'on veut que retat d'esprit bou-
langiste ne se réveille pas et que les
mécontents ne cherchent pas un autre
syndic que le général Boulanger, dont
le rôle est désormais fini, il faut em-
pêcher les mécontentements de re-
naître et de s'aggraver.
La majorité républicaine a déjà
manifesté sont intention de rester
unie. Il n'y a que la petite coterie de
.l'Union libérale qui, agent dissolvant
dans la Chambra comme dans le pays,
ait laissé voir qu'une alliance avec la
Droite ne lui répugnait pas. Tout le
reste du parti républicain, c'est-à-dire
l'immense majorité, s'est prononcé
pour une politique d'union. Mais cette
union ne peut se faire et se maintenir
qu
tions sur lesquelles il ne peut pas se
produire d'entente, il faut bien y con-
sentir. car tout le temps Qu'on passe-
rait à les discuter serait du temps
perdu. Mais que, du moins, la Chambre
fasse du temps ainsi économisé un
judicieux emploi, qu'elle s'attache,
par des réformes pratiques, à amé-
liorer notre situation financière sans
grever le contribuable de charges
nouvelles, et qu'elle montre au pays
que le régime parlementaire n'est in-
compatible ni avec le progrès des
institutions, ni avec la stabilité sans
laquelle tous les intérêts se trouvent
menacés. Que l'on songe aux besoins
du pays et non pas à ceux d'une co-
terie, et si la majorité républicaine,
dans toutes ses fractions, sait se con-
former à cette ligne de conduite, elle
peut être certaine que les méconten-
tements ne se reformeront pas et que
la période de difficultés que nous ve-
nons de traverser ne se renouvellera
pas.
REPRISE DE SESSION
La Chambre et le Sénat. — L'ordre du
jour. — Interpellations diverses. —
Projets de loi.
La Chambre et le Sénat reprennent au-
jourd'hui leurs travaux.
Au Sénat,, l'ordre du jour ne comporte
que le tirage au sort des bureaux et la fixa-
tion de l'ordre du jour.
A la Chambre, l'ordre du jour qui a été
réglé à la veille de la séparation comporte
les matières suivantes :
1. — Tirage au sort des bureaux.
2. — Discussion de l'interpellation de M.
Laur sur l'accaparement des pétroles en
France.
3. — Discussion de l'interpellation de M. Paul
Déroulëde sur les motifs invoqués par le pré-
fet de la Seine pour justifier le maintien, au
budget de là Ville de Paris, d'un crédit de
593,000 fr. affecté au payement d'une indemnité
de 6,000 fr. à chacun des conseillers munici-
paux parisiens.
h. — Discussion de l'interpellation de M.
Louis de Belleval sur la déclaration faite par
M. le ministre de l'intérieur et sur son refus
de déposer un projet de loi relatif aux attri-
butions du conseil municipal de Paris.
5. — Deuxième délibération suif le projet de
loi relatif à la répression, par voie discipli-
naire, des infractions spéciales à l'indigénat
en Algérie.
6. — Discussion des propositions de loi : de
M. Bovter-Lapierre, ayant pour objet de répri-
mer les atteintes portées à l'exercice des droits
reconnus par la loi aux syndicats profession-
nels; de M. Lachize, relative aux syndicats
ouvriers
7. — Première délibération sur la proposi-
tion de loi adoptée par le Sénat, relative aux
délégués mineurs.
8i t— Première délibération sur la proposi-
tion -
la connaissance des délits d'injure, - outrage et
diffamation commis par la voie de la presse
contre les fonctionnaires.
9. — Première délibération sur la proposi-
tion de loi de M. Méliue et plusieurs de ses
collègues, relative au régime douanier des
maïs et des riz.
D'autres interpellations que celles qui
sont mentionnées en tête de l'ordre du
jour seront discutées. Trois demandes se-
ront en effet déposées par M. le docteur
Després, par M. Baudin, par M. Boissy-d'An-
glas.
Le préfet à l'Hôtel de Ville
On sait que M. le docteur Després doit, à
l'occasion des incidents qui ont marqué le
dernier emprunt de la ville de Paris, in-
terpeller le gouvernement et soulever
à ce propos la question du logement du
préfet de la Seine à l'Hôtel de Ville, dont il
est partisan.
M. Chautemps se propose d'intervenir
dans le débat et de répondre à son collè-
gue notamment sur cette dernière ques-
tion.
Il soutiendra que la présence du préfet à
l'Hôtel de Ville, dans un cabinet de travail,
est légale, mais que la prise de possession
par lui d'un logement à titre définitif se-
rait contraire à la loi.
L'interpellation de M. Baudin portera sur
l'attitude de la police dans la journée du
1er mai, non pas sur les mesures prises,
mais sur les brutalités des agents de l'au-
torité.
Enfin, l'interpellation de M. Boissy-d'An-
glas portera sur l'affaire du Dahomey.
Projets de loi
Enfin, le gouvernement déposera les di-
vers projets de loi qui suiveut :
- Projet tendant à autoriser le Mont-de-
Piété à consentir des prêts sur les valeurs
mobilières jusqu'à concurrence de 500 fr.;
Projet de loi tendant à abaisser le taux de
l'intérêt prélevé par le Mont-de-Piété et à
supprimer les cessions ou engagements de
reconnaissances. Projet de loi tendant à or-
ganiser l'assistance publique dans les cam-
pagnes. Projet de loi tendant à modifier les
règles de l'exercice de la médecine. Projet
de loi tendant à modifier la loi du 3 mai
18A1 sur l'expropriation pour cause d'uti-
lité publique. Projet de loi tendant à la
création de délégués mineurs.
Les quatre premiers projets seront dé-
posés par le ministre de l'intérieur, les
deux autres par le ministre des travaux
publics.
Nous avons longuement exposé en quoi
consistaient les quatre premiers de ces pro-
jets.
Le projet de loi sur les délégués mineurs
est la reproduction, avec certaines modifi-
cations, de l'ancien projet de la Chambre
amendé par le Sénat. Les modifications in-
troduites par le ministre des travaux pu-
blics ont pour objet de limiter l'œuvre des
délégués mineurs et de faire que leur mis-
sion se borne exclusivement à assurer la
sécurité des ouvriers dans les mines.
Quant au projet de loi sur l'expropria-
tion pour cause d'utilité publique, il a pour
objet d'empêcher le renouvellement des
abus que la loi de 18.41 a rendus possibles
en ce qui touche la fixation des indem-
nités.
Le projet de loi maintient les jurys d'ex-
propriation, mais il institue à titre de ga-
rantie un système d'expertise facultative
destiné à éclairer le jury et faciliter ses dé-
cisions. Ensuite, le projet édicte des dispo-
sitions destinées à periectionner le recru-
tement du jury, en rendant plus facile pour
les conseils généraux la désignation qu'ils
ont à faire chaque année des personnes
parmi lesquelles sont choisis les jurys. En-
fin, le projet contient des dispositions nou-
velles ayant pour objet de prévenir ou ré-
primer efficacement les fraudes tentées au
moven de documents mensonaers.
LA FIN D'UN PARTI
: RÉUNION DE BOULANGISTES
-,
La suite d'une réunion. — Un ordre du
jour anodin. - Le dernier acte est
joué!
Malgré la durée de la réunion qui s'est
tenue avant-hier à l'hôtel Saint-James jus-
qu'à une heure assez avancée de la nuit,
les membres du comité boulangiste n'a-
vaient pu se mettre d'accord sur cette
question : Faut-il lâcher oui ou non le gé-
néral Boulanger? -_
A une heure et demie, on discutait encore
avec animation, et si MM. Naquet et La-
guerre ne s'étaient retirés pour rédiger de
concert l'article qui a paru dans la Presse,
sous le titre « la Défaite », il est très pos-
sible que les débats se seraient terminés à
six heures du matin.
La réunion, suspendue après le départ de
MM. Naquet et Laguerre, a été reprise hier
à deux heures de l'après-midi, au local de
la rue de l'Arbre-Sec.
La discussion a été aussi chaude. Deux
partis bien distincts se trouvaient en pré-
sence : l'un voulait le désarmement com-
plet, c'est-à-dire la dissolution du comité ;
l'autre — et c'était la majorité —demandait
que le comité, en restant fidèle à la politi-
que du général Boulanger et même à sa
personne, ne se séparât point et se bornât
a conserver une attitude expectante. -
Ces deux points ont soulevé des contra-
dictions à ne plus en finir; on alla même
jusqu'à se reprocher des choses toutes plus
désagréables les unes que les autres.
A ceux qui auraient jeté sans sourciller
le général Boulanger par-dessus bord, on
criait : « Vous n'avez pas le droit d'a-
gir de la sorte, c'est lui qui vous a faits de
toutes pieces : »
Les mots « trahison, infamie, lâcheté"
ont été couramment employés.
Finalement, après quatre nouvelles heu-
res de discussion passionnée, le comité a
décidé d'adresser au général Boulanger
l'anodin ordre du jour suivant :
A M. le général Boulanger, président du co-
mité républicain national.
Mon général,
Au nom du comité républicain national,
j'ai l'honneur de vous transmettre l'ordre du
jour suivant, voté à l'unanimité dans la séance
de ce jour.
Veuillez agréer, mon général, l'assurance de
mon respectueux dévouement.
A. LAISANT,
Vice-président du comité
républicain national.
Le comité républicain national,
Considérant qu'il ne saurait abandonner
dans la défaite les cent quarante-quatre mille
vaillants électeurs de Paris et du département
de la Seine qui viennent de se grouper une
fois de plus autour du programme du parti
républicain national,
Déclare que, sans vouloir troubler le pays
par des agitations momentanément stériles, il
maintient dans sonintégraUtéson programme
de réconciliation française et de reformes so-
ciales. ,..,
Vive la révision]
Vive la liberté 1
Vive la République nationale]
Pour l'unanimité du comité
républicain national,
A. LAISANT,
,,- vice-président.
CHEZ M. LAGUERRE
Au cours de la soirée, nous avons réussi
à rejoindre M. Laguerre. C'est le seul mem-
bre du comité auquel nous ayons pu cau-
ser, les autres ayant fui de leur domicile,
de peur sans doute de commettre des in-
discrétions, la reunion devant conserver
un caractére absolument privé et les bou-
langistes ayant l'agonie modeste.
— Je ne puis rien vous raconter, nous a
dit le député de Grenelle; je sors de la réu-
nion et j'en suis encore tout abasourdi.
Et, comme nous insistions:
— A quoi bon s'occuper encore du bou-
langisme.Le rideau est tombé. Le suffrage
universel vient de se prononcer d'une fa-
çon éclatante contre nous ; à l'heure qu'il
est, nous n'existons plus et ne pouvons plus
exister.
— Mais quelle sera votre attitude à la
Chambre? demandons-nous.
— Celle qui convient aux vaincus, nous
répondit M. Laguerre. A quoi bon, en ce
moment, essayer de remonter le courant
de l'opinion putmque ; ce serait malaarOIt,
imprudent, puéril! Notre heure est passée,
bornons-nous à nous préparer à des luttes
futures, en oignant d'huile nos reins, à
l'instar des héros d'Homère.
— Qu'y a-t-il de vrai dans le bruit de
votre démission et de votre intention de
vous représenter devant vos électeurs?
— Je n'ai pas encore pris de décision à
ce sujet, je ne sais pas ce que je ferai !
Dans le courant de la conversation, nous
avons cru deviner que les illusion que
pouvait encore avoir M. Laguerre, au sujet
du général Boulanger étaient totalement
dissipées.
Le XIXe SIECLE publiera demain la
Vie de Paris » par Henry Fouquier.
MORT DE M. DE CATACAZY
M. de Catacazy, conseiller privé et ministre
plénipotentiaire de l'empereur de Russie, est
mort hier, à Saint-Germain-en-Laye, à l'âge
de 60 ans.
LE GÉNÉRAL HAILLOT
Le chef d'état-major général
M. le général Haillot, qui occupait le
poste de chef d'état-major général du mi-
nistre de la guerre depuis que M. le général
Ferron lui avait confié cette fonction, c'est-
à-dire depuis près de trois ans, vient de
demander à prendre un commandement
actif.
Cette mutation n'a pas, croyons-nous, un
caractère purement personnel.
Il se pourrait, en effet, qu'elle coïncidât
avec un remaniement complet de l'institu-
tion, que faisait pressentir le décret récent
sur les inspections générales d'armée.
Non seulement il s'agirait de donner au
major général désigné de nos armées na-
tionales une situation qui répondit, dès le
temps de paix, à son rôle en temps de
guerre; mais l'attribution de ces fonctions
capitales ainsi modifiées à M. le général de
Miribel aurait pour conséquence la réorga-
nisation du 66 corps d'armée,dont une par-
tie servirait à foriiier un 6 corps, comme
les Allemands l'ont déjà fait pour le 15e et
le 16e corps en Alsace et en Lorraine.
Nous Densons Que le départ de M. le gé-
nèral Haillot du ministère de la guerre est
la première d'une série de mesures néces-
saires qui auront pour but de compléter la
constitution du haut commandement et
l'organisation de notre armée à proximité
de la frontière de TEst.
LE NOUVEAU CONSEIL MUNICIPAL
Le nouveau conseil municipal sera convoqué
vers la fin du mois.
Le doyen d'âge est M. Perrichont, né en 1812;
vient ensuite M. Collin, moins âgé de trois
mois seulement.
Les plus jeunes membres du conseil sont :
MM. Girou, né en 1860; Froment-Meurice et
Baudin, nés en 1863.
M. HOVELACQUE ET M. CHABERT
Bruits de mort
On annonçait hier soir que l'état de santé
de M. Hovelacque, député de la première
circonscription du treizième arrondisse-
ment, inspirait une certaine inquiétude à
ses amis.
Le bruit de la mort de M. Chabert, con-
seiller municipal du quartier du Combat,
a également couru, mais ce bruit est heu-
reusement démenti. Néanmoins, l'état de
M. Chabert est grave.
L'INCIDENT R01ftNET-DE SUSINI
Echange de témoins. - Qualité
d'offensé.
-', Au cours de là lutte électorale, M. de Su-
sini avait appelé son rival heureux, M.
Rouanet, « candidat de l'alliance alle-
mande ». M. Rouanet répondit à cette in-
jure par une affiche où il traitait M. de Su-
sine de « misérable
Ce dernier a aussitôt envoyé deux de ses
amis à M. Rouanet, qui constitua comme
témoins MM. George et Rollet.
Les quatre témoins se sont réunis hier ;
les amis de M. Rouanet ont revendiqué
pour leur client la qualité d'offensé.
Les témoins de M. de Susini en ont ré-
féré à ce dernier, qui a déclaré maintenir
sa qualité d'insulté.
Devant cette prétention, les pourparlers
ont été rompus.
LE REFERENDUM EN oUISSE
(D'UN CORRESPONDANT)
Berne, 5 mai.
Le peuple bernois vient de repousser, par
une majorité comprenant les deux tiers des
votants, la - nouvelle loi sur l'impôt progressif.
DEMAIN MERCREDI
MÈRE
PAR HECTOR MALOT
CHRONIQUE
L'ancien chef de la Sûreté, M. Macé, est
devenu le plus fécond des faiseurs de li-
vres. Il a bien, depuis qu'il est à la re-
traite, abattu sa demi-douzaine de volu-
mes, dans lesquels, ayant la rancune
longue, il exhalait ses ressentiments con-
tre M. Caubet, qui, de son temps, s'était
arrangé pour mettre la Sûreté sous la
dépendance de la police municipale.
Le départ de M. Caubet semble à
peine avoir apaisé M. Macé, et, cette fois
encore, il ne manque pas de se livrer à
son petit jeu coutumier d'épigrammes,
— fussent-elles désormais inutiles, - à
propos des souvenirs qu'il évoque en
décrivant un petit musée formé par lui
au cours de sa carrière. Tout le monde
est un peu collectionneur, aujourd'hui.
Je me suis amusé, jadis, dans un petit
livre, le Dieu Bibelot à décrire quelques-
unes des collections les plus originales,
réunies par des amateurs férus de telle ou
telle spécialité, les cannes, les bonnets,
les prospectus anciens, les clefs, les affi-
ches, les boutons, que sais-je? Manies
heureuses, qui donnent des joies incon-
nues aux profanes ! M. Macé, lui, a re-
cherché les épaves criminelles, les objets
ayant appartenu à des assassins de mar-
que ou leur ayant servi à commettre un
meurtre. Cela est moins galant que de
rassembler, comme le fit M. Jacque-
mart, de mignons souliers de marquises
d'antan, ou, comme le fait M. Bapst, de
coquettes coiffures féminines des temps
évanouis. Mais à chacun ses coûts.
Les sinistres et macabres objets de la
collection de M. Macé ont, naturellement,
chacun leur légende, et c'est cette lé-
gende qu'il dit, avec des détails horribles
à souhait. J'ai parfois regretté que M.
Macé, à qui ses fonctions avaient permis
d'étudier de si près les bas-fonds pari-
siens, crût devoir enjoliver ses livres de
fioritures romanesques à la Ponson du
Terrail. qui leur enlevaient un peu de
leur sérieux, de leur valeur documen-
taire. Je dois reconnaître que le docu-
ment tient, dans son nouveau travail,
une place à peu près exclusive.
Diable ! ce ne sont pas les histoires à
faire frissonner qui font défaut. Mais il y
a là une certaine part de psychologie cri-
minelle qui est surtout ce qui m'a inté-
ressé. Ah ! les abîmes de ces âmes obs-
cures, vouées au mal! Je note, par exem-
ple, une scène qui formerait un joli ta-
bleau réaliste, — pour le Théâtre-Libre :
Deux abominables chenapans se pren-
nent un jour de querelle. - L'un d'eux,
Grimai, se fâche et tue son camarade. Il
se laisse arrêter, et, pour des constata-
tions nécessaires, on l'amène, quelques
jours après, dans la chambre de sa vic-
time.
La maîtresse de l'assassiné, vraisem-
blablement aussi peu recommandable
que l'assassin, se trouvait là. Tandis que
le magistrat instructeur faisait ses re-
cherches dans la chambre, Grimai et la
femme se mirent à causer sous l'œil des
agents. Le dialogue est étonnant.
— Comme ça, fit Grimai, comme pour
dire quelque chose, vous n'avez plus
d'homme, ma pauvre Louise?
— Ma foi non.
— C'était un bon b. tout de même ! Il
aimait la goutte.
Et les voilà, la "veuve" et le meurtrier
faisant tranquillement l'éloge du défunt,
comme s'il s'agissait d'un étranger. Bien-
tôt, ils plaisantent : -Hein J. dit la
créature, c'est donc que vous vouliez vous
marier avec moi que vous l'avez tué ? —
Non, vous méprisieztrop votre homme ! »
Marivaudage charmant. Après quoi, Gri-
mai, avisant une bouteille sur une ta-
ble, reprend, comme s'il n'avait vraiment
qu'une peccadille sur la conscience :
attendant, pas de pétard et rabi-
bochons-nous à la bouteille ! » Un instant
après, l'homme et la femme trinquaient
tranquillement dans la chambre même
ou s était accompli le crime, et leur cor-
diale causerie ne fut interrnm nup rrnp nar
- ----- ---r-- '-- r--
le signal du départ donné par le chef de
la Sûreté.Cette conversation n'est-elle pas
tout a fait savoureuse ?
On a souvent parlé de la préoccupation
des criminels en ce qui concerné la cu-
riosité qu'ils inspirent dans le public. Ils
sont, le plus souvent, affreusement ca-
botins. Ils s'informent auprès de leurs
gardiens de ce que l'on dit d'eux; ils
s'inquiètent de savoir si leur « affaire »
fait du bruit; ils ont d'extraordinaires
coquetteries. Je vous prie de méditer ce
mot délicieux du jeune Lemaitre, ce Pa-
pavoine imberbe qui avait tué pour
rien, pour le plaisir, un enfant de six
ans. Il demandait si les journaux illus-
IJn;;::; avaient, son portrait, comme ils
avaient publié celui de Menesclou :
— Mon portrait doit être supérieur au
sien, dit-il, car il n'avait pas sa cravate,
tandis que j'ai conservé la mienne.
C'est à cela qu'il pensait avec sérénité,
sans pî>s6 de souci de sa victime !
Mais voici un autre mot d'assassin, —
un vrai mot à la Jean Hiroux, celui-là.
En 1877, un misérable, nommé Albert,
avait tué une malheureuse femme, gar-
dienne de la tour de Malakoff, qui avait
eu l'imprudente bonté de lui donner
asile pendant quelques jours, ayant pitié
de sa détresse.
On supposait un moment que cet igno-
ble bandit ne s'était pas borné à « refroi-
dir » la pauvre vieille et que, pris de ce
vertige, souvent constaté, qui mêle de
furieux désirs de brute à la vue du sang,
il avait souillé le corps de l'infortunée.
Mais Albert, interrogé sur ce point, eut
un geste d'exquise pudeur :
— J'ai, dit-il, comme s'il était positive-
ment blessé qu'on eût soupçonné sa déli-
catesse, j'ai l'habitude de respecter la
mort. -
explique qui pourra les invraisembla-
bles aberrations de ces êtres lamentables
et sauvages qui constituant l'année du
crime. Albert avait une maîtresse, une
fille publique. C'était elle qui avait excité
Albert au meurtre. "A la guerre, on tue !»
lui avait-elle dit pour lever ses derniers
scrupules. Or, cette sinistre femelle était
dévote ; elle s'était fait donner le chapelet
de la victime, et elle le portait sur elle
comme une relique.
Ce fut bien là le plus étrange couple de
coquins qui se pût rêver. Albert, con-
damné à mort, prit assez vite son parti et
même, devant la guillotine, il resta go-
guenard. Il songeait sans doute à la bon-
ne plaisanterie qu'il laissait comme un
adieu au monde. Quand on était venu le
réveiller dans sa cellule, il avait très gra-
vement demandé la faveur d'écrire quel-
ques lignes. Il s'était fait donner une en-
veloppe, l'avait fermée, et avait recom-
mandé de n'ouvrir ce billet qu'après sa
mort. Quand on le lut, on trouva ceci :
« Faites arrêter l'exécuteur? c'est l'hom-
me qui me déplaît le plus ! » N'est-ce pas
fait un peu pour confondre, ce courage
(car c'en était, en somme) de la part de ce
bandit abject?
Les histoires de filles reviennent aussi
souvent dans les souvenirs de M. Macé.
L'aventure de la fille Porte est assez co-
quette. Cette malheureuse avait un en-
fant, qu'elle trouva gênant un jour. Elle
l'étrangla, puis, de ses mains, elle confec-
tionna une sorte de malle où elle enfer-
ma le corps. Cette malle la suivit pen-
dant dix ans de chambre en chambre; elle
était placée au pied du lit où elle recevait
ses amants de rencontre, qui ne se dou-
taient guère que cette caisse, d'aspect in-
nocent, contenait un cadavre.
Une fois, on saisit ses meubles. L'huis-
sier n'émit point de prétentions sur cette
malle, et elle l'emporta dans les garnis où
elle dut se réfugier. Ce fut un hôtelier,
impatient de d'être point payé, qui l'ou-
vrit en son absence pour voir si vraiment
elle était aussi gueuse qu'elle disait l'ê-
tre. Il trouva les ossements de l'enfant.
Que dites-vous, comme chose macabre,
de cet huissier dédaignant dans sa saisie
cette boite tragique ? -
Par exemple, au milieu de ces sinistres
évocations, il y a un petit document qui
est fait pour amener involontairement
d'ironiques réflexions. C'est le signale-
ment de Walder, l'introuvable assassin.
Si tous les signalements des criminels
sont aussi précis que celui-là, on ne s'é-
tonne plus que nombre d'entre eux échap-
pent aux recherches. Il était dit, dans cet
étonnant papier, que Walder portait or-
dinairement un chapeau haute forme,
mais qu'il pouvait bien l'avoir troqué
contre un autre ; qu'il avait la barbe én-
tière, mais qu'il avait dû la couper; que
ses mains avaient peut-être des traces de
coupures, à moins qu'elles n'en eussent
pas, et qu'il fumait la cigarette î Ce docu-
ment est délicieux. Rien de plus simple,
à ce qu'on voit, d'après ces indicatioas,
que de trouver le coupable! Il eût fallu
que les agents, forts de ces renseigne-
ments imperturbablement réunis, fus-
sent de fameux malins pour mettre la
main sur un particulier aussi clairement
décrit. Et cet échantillon de littérature
judiciaire fait irrespectueusement penser,
malgré soi, qu'il doit y avoir tout de
même une forte part de hasard dans la
capture des criminels.
Paul Ginisty.
L'AFFAIRE DES MÉTAUX
LE KRACH
DU COMPTOIR D'ESCOMPTE
PREMIÈRE AUDIENCE DE LA ne CHAMBRE
Exposé de l'affaire. — Interrogatoire
d'ensemble de MM. Secrétan, La-
veissière, Joubert et Hentsch.
— Premières explications de
M. Flory, expert.
Soyons francs : c'est un peu en rechi-
gnant que nous allions à l'audience d'hier.
Des financiers ayant, l'un accroché son char
à la borne de l'article A19 du Code pénal,
les autres ayant heurté la roue du leur à
un tournant de la loi de 1887, à quelques
millions près, c'est toujours la même chose :
des explications hérissées de chiffres, des
dépositions d'experts, d'interminables plai-
doiries et par là-dessus, après dix ou quinze
audiences, un jugement « sévère » et.
quelques deux mille francs d'amende au
bout. Ça ne valait pas un « beau crime »
il nous faut confesser notre erreur et,
tout au moins, l'audience d'hier nous a paru
fort intéressante.
C'est que c'est énorme, ce qu'ont fait ces
gens-là ! Une double impression nous
reste : ,
Les faits, ou lés connaît amplement el
nous avons pris soin, il y a trois jours, de
publier in-extenso le réquisitoire définitif
du parquet où ils sont exposés avec une
bienveiMancerelative. Mais ce qu'on pou-
vait croire, c'est à une certaine envergure
chez ceux qui ont brassé ces colossales
affaires. En dehors peut-être de M. Jou-
bert, le vice-président de la Banque de
Paris, qui fait quelque figure, ce trio Secré-
tan-Laveissière-Hentsch est stupéfiant.
Un trio sans prestige
« L'accapareur » Secrétan, type d'homme
d'affaires, sans prestance, sans autorité,
sinon sans toupet, vient se réclamer d'un
but patriotique et alléguer un désintéres-
sement contre lesquels protestent toutes
les circonstances de la cause.
A son côté, le président de paille de la
Société des Métaux, M. Emile Laveissiere,
balourd, mais pas méchant, sans défense.
Et quel président d'opérette avait ce grand
établissement financier, qui fut le Comp-
toir d'escompte ! M. Edouard Hentsch, type
de vieil abonné de cabinet de lecture, ap-
prend inopinément par un journal (authen-
tique) que .le Comptoir se trouve engagé
pour des centaines de millions. Il ne s'en
doutait pas ! Il fallut le XIXe Siècle pour
lui dire ce qui se passait chez lui.
voila pour les hommes. Et a côté de ces
quatre prévenus qui se trouvent cités par
les parties civiles, nous trouvons, amenés
sur les bancs du tribunal, deux fils à papa
et déux autres personnages, tous les quatre
reste muets à l'audience d'hier; mais dj
minuéront-ils cette impression?
M. Hentsch fils est un jeune homme d'as- -
pect quelconque, devant à la situation de
son père les postes importants d'adminis-
trateur de sociétés qu'il a occupés. M. Jean-
Joseph Leveissière appartient à la dernière
génération de sa race chaudronnière. Il a
une belle chevelure aile de corbeau, de
magnifiques favoris, porte des bagues, des
chaînes, des épingles de cravate. Voilà ce
que nous pouvons en dire pour l'instant,
ne sachant quel rôle actif et pernicieux lui
reprocheront les représentants des parties
civiles.
Enfin,nous avons vu MM.ArbeletLécuyer,
hommes d'âge, longs profils de comman-
dants du génie en retraite. Négligeons-les ,
pour l'instant.
C'est ce monde-là qui a fait sauter des
millions par centaines, et de quelle façon !
A ne pas croire, quoi qu'on nous en ait dit
jusqu'ici.
Ni frein ni contrôle
Quand, pour toucher un mandat de cent
sous, percevoir dix francs à une caisse pu-
blique, nous, commun des mortels, passons
à vingt guichets, signons pièces sur pièces,
nous devons croire que quelques garanties
accompagnèrent le maniement des sommes
considérables à la disposition de sociétés
dont une au moins avait son haut person-
nel « investi » par le gouvernement. Nous
devons croire aussi que des financiers avi-
sés, d'habile renom, à confiance étroite,
n'ont pas livré leurs propres fonds avec
une légèreté qui nous vaudrait vingt con-
seils judiciaires.
De la bouche même des prévenus, nous
avons appris que l'opération folle, la ten-
tative insensée de M. Secrétan, n'avait ren-
contré ni opposition ni contrôle. Un seul:
protesta, M. Siegfried, administrateur du
Comptoir, dont la démission eut lieu d'ail-
leurs sans éclat. Bilans, rapports de cen-
seurs, réunions d'actionnaires, frime que
tout cela. Secrétan accaparait, on lui jetait
les millions par brassées, et, jusqu'à la mi-
nute suprême que sonna le suicide du di-
recteur du Comptoir, tout parut régulier,
même prospère, et c'est encore qu'elles
applaudissaient leurs vigilants administra-
teurs, que les victimes virent s'ouvrir le
gouffre sous leurs pas.
L'audience
Arrivons à l'audience. Elle était présidée
par M. Flandin. M. le substitut Seligmai)
occupait le siège du ministère public.
Au banc de la défense,de nombreux avo-
cats. M. Secrétan nous a montré encore une
fois que certains prévenus piquent droit à
l'avocat qu'ils doivent naturellement choi-
sir : c'est Mo Léon Renault qui l'assiste.
Me Du Buit portera la parole pour M. Emile
Laveissière, Me Barboux pour M. Joubert,
MO Waldeck-Rousseau pour M. Edouard
Hentsch.
MM. Hentsch Sis, Joseph Laveissière et
Arbel seront défendus par Me Charles Len-
te, et M. Lûcuyer par Me Loustaunau. Ces
quatre prévenus, cités directelient,out à se
défendre contre une plainte en escroque-
rie et complicité. Les psrties civiles sont
représentées par MOI Jullemier, Quérennet,
et d'atltres avocats.
ïiCs témoins cités sont MM. Edmond Mo-
rcau et Monchicourt, liquidateurs, MM. Flo-
ry et Roisignol, experts, et,M. Siegfried, an-
cien adminiôtratour du Comptoir.
Exposé du président
Le président entreprend, pour les mem-
bres du tribunal qu'il compose avec trois
autres @ juges, un exposé de l'affaire et, au
fur et à mesure que se déroule cet exposé,
le magistrat pose des questions aux pré-
venus.
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