Titre : Le XIXe siècle : journal quotidien politique et littéraire / directeur-rédacteur en chef : Gustave Chadeuil
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1890-05-04
Contributeur : Chadeuil, Gustave (1821-1896). Directeur de publication
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Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
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Description : 04 mai 1890 04 mai 1890
Description : 1890/05/04 (A19,N6684). 1890/05/04 (A19,N6684).
Droits : Consultable en ligne
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Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-199
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 09/04/2013
Dix-neuvime annee. — w 6,684
CINQ Centimes - Paris et Départements - CINO Centimes
DIMANCHE k MM Wm
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JOURNAL RÉPUBLICAIN
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BtRICTEUR POLITIQUE
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PROCÈS DE L'ACCAPAREMENT DES METAUX
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RÉQUISITOIRE DE M. LE SUBSTITUT SELIGMAN
LETTRE
? général Boulanger à 1. Carnot
LE COUP PORTUGAIS
LES BALLOTTAGES
La manifestation du 1er mai a quel-
que peu détourné l'attention, au dé-
but de cette semaine, des scrutins de
ballottage de dimanche prochain. Cette
diversion est regrettable, car il y a
certains quartiers OU: la situation au-
rait mérité d'être étudiée avec le
plus grand soin et où il n'aurait pas
été inutile de rechercher s'il ne con-
venait pas de prendre des mesures
spéciales pour permettre au parti ré-
publicain de ne perdre aucune frac-
tion de ses forces et pour surmonter
les répugnances parfois très fortes
qui se produisent chez certains élec-
teurs à l'égard d'un candidat dont ils
ne partagent guère les idées. Mais il
est maintenant trop tard pour s'arrê-
ter à ces questions et pour les discu-
ter. Les candidats se sont partout
conformés à la discipline républicaine
et les électeurs ne peuvent pas hésiter
à suivre leur exemple. Il ne s'agit pas
de savoir si chacun a le candidat qu'il
aurait préféré, mais bien de dire si
Paris va compléter l'éclatant triom-
phe qu'il a préparé dimanche dernier
pour la cause républicaine, ou si, égaré
par les déclarations conservatrices
des uns, par les manœuvres des au-
tres, il va laisser croire qu'il prête les
plains à une politique de réaction ou
d'équivoque. ,.
Le scrutin de ballottage ne se pré-
sente pas, cette fois, dans les condi-
tions de simplicité qui en font, par-
fois, presque une pure formalité. Le
succès des républicains peut etre con-
sidéré comme à peu près certain dans
la plupart des quartiers ; mais, pour
l'assurer, il faudra lutter jusqu'au
dernier moment, car il y a des cir-
conscriptions où l'écart n'a pas été
très considérable entre les suffrages
donnés aux candidats républicains et
ceux qui se sont portés sur la coali-
tion des adversaires de la République,
lesquels, il est vrai, ne se Sont pas
posés en adversaires, mais, au con-
traire, ont cherché à séduire les élec-
teurs en ouvrant seulement le débat
sur des questions de nuance. Les can-
didats conservateurs, aussi bien que
ceux de. l'Union libérale, tiennent un
langage fort analogue à celui des bou-
langistes. Ce n'est même pas la seule
affinité qui existe entre eux. Dans
plusieurs quartiers, comme dans ceux
de Saint- Germain - l'Auxerrois, de
Saint-Germain-des-Prés, de l'Odéon,
les candidats boulangistes se sont dé-
sistés pendant que les candidats de
Droite ou de l'Union libérale mainte-
naient leur candidature, et ils ont im-
plicitement engagé leurs électeurs à
voter contre les candidats du parti
républicain.
Mais si quelques candidats boulan-
gistes se sont retirés devant les hom-
mes de Droite ou de l'Union libérale
qui leur ont paru plus aptes qu'eux-
mêmes à rallier toutes les voix de
l'opposition, il y en a quarante-qua-
tre qui poursuivent la lutte et qui se
flattent de relever demain le ci parti ré-
publicain national" de l'effondrement
de dimanche dernier. Leurs airs d'as-
surance ne nous émeuvent ni ne nous
surprennent. Un parti politique qui
poursuit la lutte ne peut avouer qu'il
s'attend à un échec, car il décourage-
rait même ses plus chauds amis. Mais
nous notons que ce n'est plus en fai-
sant valoir la supériorité qu'il attri-
bue à ses doctrines sur les doctrines
des autres partis, qu'il s'efforce de ral-
lier les électeurs. Il donne à sa cam-
pagne une allure toute personnelle. La
Semaine dernière, il faisait promettre
par M. Laur aux Parisiens que, s'ils
Etaient bien sages, s'ils votaient pour
les ci investis », ils seraient récompen-
sés le lundi par le retour du général.
On n'a pas prîs la promesse au sé-
rieux, et on n'a pas énormément prisé
la récompense promise. Aussi, cette
fois, les boulangistes font mieux. Ce
n'est plus pour le lendemain du scru-
tin et seulement en cas de succès que
le général Boulanger doit rentrer : on
annonce qu'il débarquera dimanche
soir, en grand uniforme, et qu'il arri-
vera non plus en triomphateur mais
en condamné venant purger sa contu-
mace devant la juridiction sénato-
riale.
C'est trop de concessions, et nous
ne croyons pas plus au débarquement
de dimanche que nous n'avons cru au
débarquement de lundi. On veut, par
cette annonce, faire un dernier effort
pour galvaniser un parti mort.
Mais, s'il y a des cadavres récalci-
trants, celui du boulangisme, lui, est
maintenant en pleine décomposition, et
toutes les expériences de galvanisme
ne parviendront pas à lui rendre les
apparences de la vie. La manoeuvre ne
réussira pas auprès des électeurs.
Mais elle aura peut-être un autre ré-
sultat, car il nous semble bien qu'elle
est à double détente. Si le général Bou-
langer reste à Jersey, et si les « inves-
tis » restent sur le carreau, les lieute-
nants du « chef » se feront de la pro-
longation de sa villégiature un pré-
texte pour procéder enfin au grand et
définitif « lâchage". Les électeurs de
Paris ont donc le moyen, non plus
d'affaiblir le boulangisme, mais de le
supprimer, et avec lui toutes les équi-
voques qui ont pesé sur notre situa-
tion politique depuis deux ans. C'est
une occasion admirable, et nous
voulons penser qu'il ne se trouvera
pas un républicain pour hésiter à en
profiter, en se conformant à la disci-
pline et en votant dimanche pour le
candidat, quel qu'il soit, qui porte
dans chaque quartier le drapeau de
la République.
Le XIXe SIÈCLE publiera demain la
» Chronique ", par M. Paul Ginisty.
LE COUP PORTUGAIS
M. Ephrussi chez M. Ribot. — Concours
indispensable des ministres. — Une
erreur de date.
Ce n'est pas seulement M. Dantas, mi-
nistre du Portugal, qui fait auprès de M.
Ribot démarches sur démarches pour lui
arracher l'autorisation de la cote officielle
pour le dernier emprunt portugais.
Les banquiers intéressés, eux aussi, sont
entrés en rapport avec M. Ribot.
Ils invoquent l'intérêt du commerce fran-
cais appelé, disent-ils, à remplacer en Por-
tugal, à la suite des derniers événements,
le commerce anglais, comme si, pour nouer
de solides relations commerciales avec un
peuple étranger, c'était une bonne méthode
de commencer par se laisser voler par lui.
Cet argument n'est d'ailleurs que le pa-
ravent destiné à masquer le coup dont on
poursuit avec avidité la réalisation.
La vérité est que les banquiers ont sur le
dernier emprunt portugais une commis-
sion comme on n'en peut percevoir que
sur les affaires louches. Cette commission
de loI. 0/0 s'élève à sept millions. Pour la
toucher, il suffit de repasser au public les
titres de cet emprunt qui ne vaut rien, ab-
solument rien, dont les arrérages ne seront
pas plus payés, dans un an ou deux, que les
arrérages de l'emprunt de 1832, toujours en
souffrance malgré, les engagements les plus
formels.
Mais, pour repasser cet emprunt au pu-
blic, il faut avoir pour complices : 1° la
chambre syndicale des agents de change;
2° le ministre des affaires étrangères, qui
donne son avis; 3° le ministre des finances,
qui décide en dernier ressort. Car, sans l'au-
torisation ministérielle, pas de cote offi-
cielle, et sans cote officielle, pas d'écoule-
ment de titres dans le public.
Or, ce qui se passe pour cette autorisa-
tion est vraiment curieux.
Le syndic des agents de change dit qu'il
se lave les mains de cette affaire dans la-
quelle il ne fait que se conformer aux or-
dres des ministres.
M. Rouvier, de son coté, dit que si cela
dépendait de lui, jamais il n'accorderait la
cote. M. Ribot soutient, au contraire, que
c'est M. Rouvier qui veut accorder la cote
à M. Ephrussi.
Quant aux banquiers, ils rappellent qu'un
sous-secrétaire d'Etat, M. Horace de Choi-
seul, a naguère changé subitement d'avis
à propos d'un autre emprunt portugais
pour lequel on demandait également la
cote. Ils disent qu'en France, aussi bien
qu'en Turquie et en Portugal, on peut tout
obtenir quand on gagne sur une affaire
assez gros pour faire certains sacrifices.
Ces messieurs oublient que nous ne som-
mes plus sous le règne de M. Wilson.
L'OPINION DU SYNDIC DES AGENTS DE
CHANGE ET DU GOUVERNEMENT
Nous avons dit que la chambre syndicale
des agents de change avait été saisie d'une
demande d'admission à la cote de l'e.
prunt portugais lancé par M. Ephrussi, et
que les agents de change ne pourraient
donner un avis favorable à cette demande
sans fournir un nouvel argument aux nom-
breux adversaires de leur monopole.
Interrogé à ce suit, M. Hart, syndic des
agents de change a répondu :
« La chanpjre syndicale des agents de
change ne. joue dans cette affaire qu'un
rçle très secondaire et en quelque sorte
passif.
"Nous ne faisons que nous conformer à ce
que veut le ministre des affaires étran-
gères. Nous savons qu'il veut la cote pour
le dernier emprunt portugais. Nous ne
pouvons nous y opposer."
Opinion de M. Rouvier
Voici maintenant la réponse de M. Rou-
vier, interrogé hier- matin sur le même
sujet :
« Cet emprunt portugais est une vilaine
affaire. Mon opinion est que la cote ne doit
pas lui être accordée. C'était également,
lorsque je me suis absenté, l'opinion de M.
Ribot. Je dois dire cependant que depuis
mon retour, j'ai trouvé mon collègue des
affaires étrangères un peu ébranlé. Il se-
rait plutôt disposé maintenant à accorder
la cote, car ce serait, selon lui, le meilleur
moyen d'amener le gouvernement portu-
gais à donner satisfaction aux porteurs de
l'emprunt de l."
Entrevue avec M. Ribot
Enfin, voulant savoir à quoi nous en te-
nir, nous sommes allé hier dans l'après-
midi trouver M. Ribot.
Nous lui avons rappelé dans quelles con-
ditions avait été lancé le dernier emprunt
portugais et comment il avait honteusement
échoué.
— Mais cela ne frie regarde pas, s'ést hâté
do répondre le ministre des affaires étran-
gères.
Alors nous avons cité à M. Ribot les pa-
roles de M. Hart et de M. Rouvier.
- Je ne puis pas croire, a répondu M. Ri-
bot, que les propos que vous prêtez à
ces messieurs soient exacts. Dans tous les
cas, aux termes de la loi de 1880, je n'ai à
autoriser ni à refuser la cote à une valeur
quelconque. Ce rôle incombe au ministre
des finances.
Lorsqu'il s'agit, comme dans le cas pré-
sent, d'une valeur étrangère, mon inter-
vention se borne à donner mon avis. Com-
ment pourrais- je dès lors être responsable
de la mesure prise ? Les paroles que vous
attribuez à M. Rouvier me paraissent d'au-
tant plus invraisemblables que M. Rouvier
est partisan d'accorder la cote au dernier
emprunt portugais, et qu'il l'accordera cer-
tainement.
— Mais vous, M. le ministre, donnerez-
vous un avis favorable ?
— Il me serait difficile de ne pas le faire.
Sans entrer dans vos appréciations sur la
valeur du crédit du Portugal, je dois avouer
que je n'aurais, pour hésiter à donner un
avis favorable, qu'un seul motif. le non-
paiement de l'emprunt de 1832; mais, de-
puis, d'autres emprunts ont eu lieu et la
cote a été accordée. Je suis d'ailleurs con-
vaincu que le gouvernement portugais sera
le premier à comprendre la nécessité d'une
transaction .avec les porteurs de 1832 et que
le meilleur moyen d arriver à cette trans-
action est de faciliter la négociation sur
notre marché du dernier emprunt.
Que conclure ?
Nous avons fidèlement rapporté l'opinion
du syndic des agents de change, du minis-
tre des finances et du ministre des affaires
étrangères.
Au public maintenant et aux intéressés
de conclure.
Quant à nous, ce qui nous parait résulter
de plus clair de tout ce qui précède, c'est
que ceux qui désirent le plus voir accorder
la cote ne sont peut-être pas ceux qui le
disent et que, dans tous les cas, chacun
voudrait rejeter sur le voisin la responsa-
bilité d'une mesure qui ne peut être que
préjudiciable à l'épargne française.
ESPIONS ALLEMANDS
(DE NOTRE CORRESPONDANT PARTICULIER)
Belfort, ! mai.
Deux espions allemands, porteurs de cartes
et de papiers compromettants, vienent d'être
arrêtés aux abords de la place de Belfort et
incarcérés.
LE REiOUR
DU GÉNÉRAL BOULANGER
Bruits divers. — Croyants et
sceptiques.
Le bruit court dans les milieux boulan-
gistes que le général Boulanger, cédant aux
sollicitations de ses amis, serait décidé à
revenir en France demander la revision du
procès de la haute cour.
La France s'est faite hier l'écho de ce bruit,
et voici ce que dit notre confrère :
Dans le monde qui tient de prés à l'ancien
ministre de la guerre, on est persuadé qu'a-
près la conférence tenue avec MM. Déroulède,
Laguerre, Naquet et Laisant, le général aurait
décidé de se constituer prisonnier et de faire
reviser le procès de la haute cour.
M. Henri Roche fort, qui habite actuellement
Londres, aurait également décidé de suivre
l'exemple du général.
Voici dans quelles conditions s'opérerait
cette rentrée :
Samedi soir ou dimanche, le général Bou-
langer télégraphierait à M. Carnot, président
de la République, son intention de s'embar-
quer pour la France.
Dans ce télégramme, il ferait des réserves
au sujet de la juridiction exceptionnelle ap-
pelée à le juger de nouveau. Mais il consenti -
rait à se présenter devant le Sénat, constitué
en haute cour de justice. Il déclarerait agir
ea loyal soldat.
Le général Boulanger terminerait en indi-
quant à M. Carnot l'endroit et l'heure précis
de son débarquement sur la côte française.
L'ancien ministre de la guerre revêtirait, en
cette circonstance, toujours d'après ses amis
politiques, l'uniforme de grande tenue de gé-
néral de division.
Ce débarquement aurait lieu le dimanche h
mai, dans la journee.
Le même jour, la Cocarde, annonçant le
départ pour Londres de M. Milievoye,
appelé par MM. Laguerre, Naquet, Dérou-
lède et Laisant, avec lesquels il doit confé-
rer, ajoute :
Nous croyons pouvoir affirmer que de très
graves résolutions seront prises à Londres
par les délégués du comité républicain na-
tional.
Enfin, si les uns croient à la rentrée du
général Boulanger, les autres n'y voient au
contraire qu'une grosse manœuvre électo-
rale en vue du scrutin de ballottage.
La lettre à M. Carnot
Quoi qu'il en soit, voici les renseigne-
ments que nous tenons d'un des hommes
qui ont toute la confiance de l'exilé de Jer-
sey : -
— Le retour du général, nous a-t-il dit,
est décidé. Il adressera une lettre, dont
voici presque textuellement les termes, au
président de la République :
u Monsieur le président,
» Je n'ai pas voulu comparaître devant la
haute cour de justice parce que je ne lui
reconnaissais pas le droit de me juger.
» Mais maintenant que je crois voir exis-
ter entre moi et le peuple français un ma-
lentendu, tout en continuant à ne pas ad-
mettre la compétence de cette haute cour,
je viens demander à comparaître devant
elle.
» Je veux défendre non seulement ma
probité politique, mais surtout mon hon-
neur de soldat.
» GÉNÉRAL BOULANGER ».
Cette lettre expédiée, le général Boulan-
ger se rendra sur un point de la frontière.
De là, il avertira de sa présence le ministre
de l'intérieur.
Quant à M. Rochefort, il ne rentrera pas
en France.
Notre interlocuteur a ajouté que « à Jér.
sey, on avait discuté la question de savoir
s'il n'y avait pas lieu de retirer toutes les
candidatures boulangistes municipales du
second tour, et si les députés boulangistes
de Paris ne devaient pas se retirer et se
représenter devant leurs électeurs. » Toute
décision a été ajournée. Tels sont les ren-
seignements qui nous ont été donnés. At-
tendons.
CHRONIQUE
Les académiciens n'ont pas élu de suc-
cesseur à Emile Augier. Il fallait s'y at-
tendre; ils s'y attendaient eux-mêmes.
Leur embarras est tel qu'ils n'ont pas fixé
de jour pour un scrutin nouveau. Ils at-
tendront que la mort ait fait dans leurs
rangs deux ou trois places nouvelles pour
nommer en bloc une fournée d'immor-
tels.
Quels seront ces immortels de de-
main?
Il semblerait, au premier abord, qu'il
n'y a qu'à consulter les résultats du scru-
tin d'hier, et que les deux ou trois qui
ont le plus près approché de la timbale
ont aussi le plus de chances de la décro-
cher au premier jour. Il n'en est rien.
A l'Académie, tout est affaire de circon-
stances, d'opportunité. Tel qui n'a man-
qué sa nomination que d'une voix ne re-
trouvera jamais cette même bonne for-
tune s'il se représente. Il n'aura plus ja-
mais qu'une ou deux voix de consola-
tion.
Voyez ce qui est arrivé cette fois à
André Theuriet, notre aimable romancier.
Il s'en est fallu de très peu, un jour, qu'il
ne passât; il se trouvait, si jtai bonne
mémoire, en compétition avec Henri
Meilhac. On lui préféra (et je ne dis cer-
tes pas que l'on eut tort) l'auteur de la
Petite Marquise et du Roi Candaule. Mais
il put croire que la première vacance lui
serait réservée. Un certain nombre d'aca-
démiciens qui avaient cru devoir porter
leurs votes sur le Marivaux de notre
temps avaient promis que, à la prochaine
élection, ils accorderaient à Theuriet le
dédommagement qui paraissait lui être
dû.
Et le fait est qu'au lendemain de la
mort d'Emile Augier, les chances d'André
Theuriet paraissaient considérables. Elles
sont allées s'amoindrissant tous les jours;
il en avait lui-même conscience et ne
maintenait plus sa candidature que par
une sorte de respect humain :
— Je ferais mieux, disait-il à un ami,
de m'en aller en province.
11 avait manqué le coche. Il en avait été
de même pour M. Henri de Bornier, qui
a failli obtenir un fauteuil au lendemain
de la Fille de Roland. Il ne s'est pas même
présenté cette fois. Il aurait passé comme
une lettre à la poste, si la Comédie-Fran-
çaise lui eût joué son Mahomet et que la
pièce eût réussi avec éclat.
Parmi les noms que le scrutin d'hier a
mis en lumière, quels sont ceux que l'A-
cadémie inscrira un jour sur sa liste? Il
serait bien difficile de le dire. J'ai comme
une idée que M. Thureau-Dangin ne pas-
sera jamais. Le parti des ducs, qui le pa-
tronne, ne croîtra pas en nombre ni en
influence. C'est un candidat qui aura
toujours ses dix mêmes voix, et il en faut
au moins dix-huit pour être élu.
Qui sait, pourtant? Si à la prochaine
élection un groupe veut absolument im-
poser son choix, il pourra faire alliance
avec le parti des ducs. Comme il y aura
deux fauteuils à donner: Votez pour mon
candidat, dira-t-il à MM. les ducs, nous
voterons pour M. Thureau-Dangin. Ce
sont là des coalitions qui ne sont pas plus
rares à l'Académie qu'au Palais-Bourbon.
A moins d'une de ces combinaisons, M.
Thureau-Dangin me parait destiné à res-
ter sur le carreau où il est couché aujour-
d'hui.
J'imagine, au contraire, que les chan-
ces de M. Lavisse augmenteront avec le
temps. Il n'avait guère été jusqu'à ce
jour connu que des universitaires et des
jeunes gens du quartier Latin, sur les-
quels il exerce une influence énorme.
Cette élection et l'échec relatif qu'il y a
subi ont révélé son nom au grand public.
On s'est enquis de ses ouvrages, et, com-
me c'est un écrivain de premier ordre, sa
réputation ne peut que gagner à ce mou-
vement d'opinion.
Le seul danger pour sa prochaine can-
didature, c'est qu'il est, en effet, un can-
didat universitaire, et que j'en vois d'au-
tres de ce même bord, tout aussi célèbres
que lui, qui se dirigent doucement ver-
l'Académie ou même qui ont déjà affron-
té ses suffrages.
Je lisais dernièrement un volume très
curieux, très bien fait, très amusant, de
M. Georges Renard, qui a pour titre :
Les Princes de la jeune critique. Ces
princes de la jeune critique sont, selon
lui : Jules Lemaître (je les prends dans
l'ordre où il les a mis lui-même), Ferdi-
nand Brunetière, Anatole France, Louis
Ganderax et Paul Bourget. Il me semble
que j'aurais joint à ces cinq noms celui
de M. Emile Faguet, qui dans la critique
au moins peut soutenir la comparaison
avec n'importe lequel d'entre eux,et qui,
peut-être, est supérieur à tel ou tel pour
l'abondance des vues originales et po
la fermetéa, u style.*
Je ne crois pas que, pour le momentàu
moins, Emile Faguèt songe à l'Académie.
Mais je serais bien étonné si Jules le-
maître ne méditait pas sournoisement
une candidature prochaine. Or, Jules Le-
maitre est un universitaire. Il a eu beau
jeter la robe aux orties ; c'est vainement
que M. Georges Renard me dit de lui que
c'est un critique très fin et très suggestif
qui fait penser à un Sainte-Beuve moins
savant et moins pénétrant, mais plus fa-
milier et plus vif; à un J.-J.Weiss moins
aventureux et plus solide; à un Renan
plus frivole et plus moderne. Sainte-
Beuve, Weiss et Renan tant qu'on vou-
dra, Jules Lemaître est universitaire
par ses origines, par ses grandes qualités
de composition et de style.
M. Brunetière l'est également. Brune-
tière n'a point passé, comme MM. Lavisse
et Lemaître,par l'Ecole normale. Mais s'il
n'y a pas été élève, il y est professeur, et
il y jouit d'une autorité merveilleuse. Je
n'aime pas beaucoup le chapitre que M.
Georges Renard a consacré à M. Brune-
tière. Tout ce qu'il en dit est juste sans
doute, mais l'éloge est court et les restric-
tions sont nombreuses. Après cela, je
comprends qu'on n'aime pas beaucoup
M. Brunetière. J'avoue que j'ai été
longtemps à me faire à cette solennité,
dogmatique, à cette dialectique subtile
et passionnée, dont on est si bien pressé
et enveloppé qu'on ne sait pas comment
y échapper, alors même qu'on n'est pas
convaincu et que l'on se débat.
Les défauts de M. Brunetière sont de
ceux qui rebutent au premier abord;
mais quelle étendue et quelle sûreté de
savoir ! quelle certitude de doctrine !
quelle gravité de style et quelle ardeur
de logique ! C'est un maître homme tout
de même
Il s'est présenté cette fois à l'Académie
sans grande espérance d'y entrer, mais
sa place y est certainement marquée.
Peut-être M. Lavisse et lui se gêneront-
ils s'ils courent le même fauteuil.
Parmi les cinq que M. Georges Renard
appelle les princes de la jeune critique, il
y en a deux qui, un jour ou 1 autre,frap-
peront à la porte de l'Académie : c'est
Anatole France et Paul Bourget. Il est
vrai qu'ils s'y présenteront avec d'autres
titres que leurs volumes de critique. Je
n'ai pas besoin de rappeler les romans de
Bourget. Pour France, comment oublier
qu'il a écrit le Crime de Sylvestre Bon-
nard, un des plus aimables chefs-d'œu-
vre de ce temps?
Je causais de lui précisément, il y a
quelques semaines, avec un de nos im-
mortels : « L'homme qui a fait un chef-
d'œuvre en sa vie, me dit-il, devrait tou-
jours être de l'Académie ! » Il entendait
parler de ce Crime de Sylvestre Bonnard,
qui est une merveille de grâce ironique
et attendrie.
Et l'on devrait bien, par la même rai-
son, donner un fauteuil à M. Ferdinand
Fabre qui a écrit Y Abbé Tigraite i
Vous voyez comme les candidats pul-
lulent. Ils étaient treize hier ; ils seront
une vingtaine demain, tous ayant des
droits, tous plus ou moins soutenus de la
faveur publique. Et notez que je n'ai pas
parlé du plus grand et du plus redouta-
ble, dont l'Académie sent l'ombre im-
mense peser sur elle : d'Emile Zoia.
Celui-là, il n'y a pas à dire, il faudra le
nommer, s'il se présente deux ou trois
fois de suite. Et il se présentera assuré-
ment. Car de toutes les qualités qu'il pos-
sède, la ténacité n'est pas la moindre.
Quand il s'est mis quelque chose dans la
cervelle, il ne l'a pas, comme on dit, au
talon. Il veut être de l'Académie; force
sera bien, malgré toutes les répugnances,
de lui ouvrir la porte. On cédera à l'é-
norme poussée du public.
Une fois dans la place, on devra comp-
ter avec lui. Tendra-t-il la main à quel-
qu'un de ses disciples?
Nous aurons encore de belles batailles à
conter.
Francisque Sarcey.
INTERPELLATION BAUDIN
M. Baudin, député du Cher, interpellera, dès
la rentrée, M. Constans sur l'attitude des gar-
diens de la paix pendant la journée du
1" mai.
Par suite de l'abondance des matiè-
res, nous avons dû, à notre grand re-
gret, supprimer nos deux romans-feuil-
letons.
UNE AFFAIRE
FIN DE SIÈCLE
PROCÈS DES MÉTAUX
RÉQUISITOIRE DÉFINITIF
Un document. — Les Métaux et I«
Comptoir d'escompte. - L'histo-
rique de d1'e':s go - L'histo-
rique de l'affaire. - La cam-
pagne du « XIX" Siècle » jus-
tifiée.-A vaut les débats.
Au risque d'encourir les rigueurs exe eg
sives d'unie législation aussi surannée qu'i-
nutile, etj;.ur se conformer aux théorie;
en matière d'information que les directeur!
des gisants journaux parisiens, dans ut
procès récent devant la cour d'assises de 1s
Seine, ont émises avec le succès que M. l'a,
vocat général Rau n'a sans doute pas ou.
blié, le XIXe fSiècle publie aujourd'hui It
réquisitoire définitif de M. le substitut Se.
ligman dans les affaires du Comptoir d'es-
compte et de la Société des Métaux, affaires
inscrites, comme on le sait, au rôle de la
lle chambre du lundi 5 mai.
A la différence des femmes honnêtes ef
des peuples heureux, ce document judi-
ciaire a une histoire.
ie LOI'sque, après le terrible krach de mars
1889 et à la suite du vote de la Chambra
des députés, M. Thévenet, garde des sceaux,
se vit contraint de donner au procureur
général l'ordre d'exercer des poursuites
contre les directeur et administrateurs de
la Société du Comptoir d'escompte et de la
Société des Métaux, M. André Boulloche,
substitut près le tribunal civil de la Seine*
fut chargé de dresser le réquisitoire défi-
nitif. M. Boulloche se mit a l'œuvre. Au
bout d'un mois, après plusieurs entrevues
avec M. Banaston, procureur de la Répu-
blique, le distingué substitut abandonna
subitement son travail pour se consacrer à
l'étude du dossier du procès de l'Assurance
financière, dont les dénats allaient s'ouvrir
devant la première chambre. Comme bien
on pense, de nombreux racontars couru-
rent au Palais sur cet incident que chacun
expliqua à sa manière.
-, Bref, des indiscrétions recueilles çà et là,
il semble résulter que M: Boulloche montra
une absence complété d'enthousiasme pour
la mission qui lui était confiée. M. Banaston,
fort ennuyé, assure-t-on, de ce contre-
temps, fit appeler à son cabinet M. le sub-
stitut Seligman, auquel il exposa ses mé-
comptes.
— Donnez-moi le dossier, répliqua M. Se-
ligman. Je l'étudierai et je vous dirai ce
que je pense de la poursuue.
Quelques jours après, M. Seligman, avec
la figure radieuse du substitut qui poursuit
revenait auprès de M. ic procureur de la
République. Ses premières paroles étaient
celles-ci :
— Je m'en charge !.
M. Seligman, malgré sa promesse, a fait
un réquisitoire bénin, bénin, un réquisi-
toire à l'eau de rose, où les prévenus sont
traités avec les égards que l'on sait avoir
au Palais pour les financiers de haut parage
que les hasards des jeux de Bourse condui-
sent en police correctionnelle.
Ce document judiciaire contient, entre
autres curiosités, une danse de millions sa-*
vamment orchestrée et qui révèle à elle
seule la main experte d'un fils d'Israël. M.
SeLgman a décrit avec complaisance la Gi-
ganLesque entreprise u'accapal'ement de AI.
Secrétan, financier fin de siècle et héros
tout désigné pour le prochain roman de M.
Zola.
Malgré lui, au récit des grandioses coups
de Bourse du président de la Société des
métaux, l'honoraole représentant du mi..
nistère public se laisse parfois emballer.
Son lyrisme, professionnellement discret,se
manifeste alurs par un abondant déploie-
ment de chiffres alignés avec amour.
Au cours de son réquisitoire, M. Selig-
man rend involontairement, et en ne le
nommant pas d'ailleurs, hommage au
XIXe Siècle qui, le premier dans la presse,
a appelé, sans succès, l'attention des pou-
voirs publics sur les accaparements de cui-
vre. Les indiscrétions du XIXe Siècle
et la campagne acharnée qu'il a menée
contre les agioteurs ont fini par émouvoir"
le public et la Chambre des députés. Ce
n'est, en effet, que sous la pression de l'opi-
nion, comme dans l'affaire Wilson, que le
gouvernement s'est décidé à agir. Naturel-
lement, il était alors trop tard. Du reste, lef
poursuites qu'aujourd'hui il dirige à re«
gret, pour ainsi dire, contre quelques-unâ
seulement des président ou administra.
teurs des sociétés du Comptoir d'escompte
et des Métaux risquent fort d'être platoni.
ques, sinon en première instance, du moins
en appel, où, l'indignation généreuse du
premier moment calmée, tout finit par
« être remis au point », comme disent au
Palais les gens graves.
Il faut lire en entier le réquisitoire pour
se rendre complu de la bienveillance de M.
Seligman. M. Boulloche n'aurait évidem-
ment pas fait mieux. Ne récriminons pas
toutefois et souhaitons, sans trop l'espérer,
que le parquet, dans les affaires concer-
nant de pauvres diables qui ont le grand
tort de ne pas être millionnaires, continue
désormais à user de la mansuétude extrême
qu'il inaugure aujourd'hui.
Voici le volumineux réquisitoire de M.
Seligman. Nous le donnons in extenso, parce
que ce document judiciaire constitue l'his-
torique du plus grand krach qui, depuis
treme ans, ait sévi sur le marché français,
semant sur son passage la mort de M. Den-
fert-Rochereau, la ruine d'un de nos im-
portants établissements financiers et la mé-
fiance générale dans les intitutions de cré-
dit les plus solides :
Le Comptoir d'escompte de Paris a été fondd
le 10 mars 18A8, sous la forme d'une société
anonyme autorisée par le gouvernement.
Son institution avait pour objet de parel'
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PROCÈS DE L'ACCAPAREMENT DES METAUX
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RÉQUISITOIRE DE M. LE SUBSTITUT SELIGMAN
LETTRE
? général Boulanger à 1. Carnot
LE COUP PORTUGAIS
LES BALLOTTAGES
La manifestation du 1er mai a quel-
que peu détourné l'attention, au dé-
but de cette semaine, des scrutins de
ballottage de dimanche prochain. Cette
diversion est regrettable, car il y a
certains quartiers OU: la situation au-
rait mérité d'être étudiée avec le
plus grand soin et où il n'aurait pas
été inutile de rechercher s'il ne con-
venait pas de prendre des mesures
spéciales pour permettre au parti ré-
publicain de ne perdre aucune frac-
tion de ses forces et pour surmonter
les répugnances parfois très fortes
qui se produisent chez certains élec-
teurs à l'égard d'un candidat dont ils
ne partagent guère les idées. Mais il
est maintenant trop tard pour s'arrê-
ter à ces questions et pour les discu-
ter. Les candidats se sont partout
conformés à la discipline républicaine
et les électeurs ne peuvent pas hésiter
à suivre leur exemple. Il ne s'agit pas
de savoir si chacun a le candidat qu'il
aurait préféré, mais bien de dire si
Paris va compléter l'éclatant triom-
phe qu'il a préparé dimanche dernier
pour la cause républicaine, ou si, égaré
par les déclarations conservatrices
des uns, par les manœuvres des au-
tres, il va laisser croire qu'il prête les
plains à une politique de réaction ou
d'équivoque. ,.
Le scrutin de ballottage ne se pré-
sente pas, cette fois, dans les condi-
tions de simplicité qui en font, par-
fois, presque une pure formalité. Le
succès des républicains peut etre con-
sidéré comme à peu près certain dans
la plupart des quartiers ; mais, pour
l'assurer, il faudra lutter jusqu'au
dernier moment, car il y a des cir-
conscriptions où l'écart n'a pas été
très considérable entre les suffrages
donnés aux candidats républicains et
ceux qui se sont portés sur la coali-
tion des adversaires de la République,
lesquels, il est vrai, ne se Sont pas
posés en adversaires, mais, au con-
traire, ont cherché à séduire les élec-
teurs en ouvrant seulement le débat
sur des questions de nuance. Les can-
didats conservateurs, aussi bien que
ceux de. l'Union libérale, tiennent un
langage fort analogue à celui des bou-
langistes. Ce n'est même pas la seule
affinité qui existe entre eux. Dans
plusieurs quartiers, comme dans ceux
de Saint- Germain - l'Auxerrois, de
Saint-Germain-des-Prés, de l'Odéon,
les candidats boulangistes se sont dé-
sistés pendant que les candidats de
Droite ou de l'Union libérale mainte-
naient leur candidature, et ils ont im-
plicitement engagé leurs électeurs à
voter contre les candidats du parti
républicain.
Mais si quelques candidats boulan-
gistes se sont retirés devant les hom-
mes de Droite ou de l'Union libérale
qui leur ont paru plus aptes qu'eux-
mêmes à rallier toutes les voix de
l'opposition, il y en a quarante-qua-
tre qui poursuivent la lutte et qui se
flattent de relever demain le ci parti ré-
publicain national" de l'effondrement
de dimanche dernier. Leurs airs d'as-
surance ne nous émeuvent ni ne nous
surprennent. Un parti politique qui
poursuit la lutte ne peut avouer qu'il
s'attend à un échec, car il décourage-
rait même ses plus chauds amis. Mais
nous notons que ce n'est plus en fai-
sant valoir la supériorité qu'il attri-
bue à ses doctrines sur les doctrines
des autres partis, qu'il s'efforce de ral-
lier les électeurs. Il donne à sa cam-
pagne une allure toute personnelle. La
Semaine dernière, il faisait promettre
par M. Laur aux Parisiens que, s'ils
Etaient bien sages, s'ils votaient pour
les ci investis », ils seraient récompen-
sés le lundi par le retour du général.
On n'a pas prîs la promesse au sé-
rieux, et on n'a pas énormément prisé
la récompense promise. Aussi, cette
fois, les boulangistes font mieux. Ce
n'est plus pour le lendemain du scru-
tin et seulement en cas de succès que
le général Boulanger doit rentrer : on
annonce qu'il débarquera dimanche
soir, en grand uniforme, et qu'il arri-
vera non plus en triomphateur mais
en condamné venant purger sa contu-
mace devant la juridiction sénato-
riale.
C'est trop de concessions, et nous
ne croyons pas plus au débarquement
de dimanche que nous n'avons cru au
débarquement de lundi. On veut, par
cette annonce, faire un dernier effort
pour galvaniser un parti mort.
Mais, s'il y a des cadavres récalci-
trants, celui du boulangisme, lui, est
maintenant en pleine décomposition, et
toutes les expériences de galvanisme
ne parviendront pas à lui rendre les
apparences de la vie. La manoeuvre ne
réussira pas auprès des électeurs.
Mais elle aura peut-être un autre ré-
sultat, car il nous semble bien qu'elle
est à double détente. Si le général Bou-
langer reste à Jersey, et si les « inves-
tis » restent sur le carreau, les lieute-
nants du « chef » se feront de la pro-
longation de sa villégiature un pré-
texte pour procéder enfin au grand et
définitif « lâchage". Les électeurs de
Paris ont donc le moyen, non plus
d'affaiblir le boulangisme, mais de le
supprimer, et avec lui toutes les équi-
voques qui ont pesé sur notre situa-
tion politique depuis deux ans. C'est
une occasion admirable, et nous
voulons penser qu'il ne se trouvera
pas un républicain pour hésiter à en
profiter, en se conformant à la disci-
pline et en votant dimanche pour le
candidat, quel qu'il soit, qui porte
dans chaque quartier le drapeau de
la République.
Le XIXe SIÈCLE publiera demain la
» Chronique ", par M. Paul Ginisty.
LE COUP PORTUGAIS
M. Ephrussi chez M. Ribot. — Concours
indispensable des ministres. — Une
erreur de date.
Ce n'est pas seulement M. Dantas, mi-
nistre du Portugal, qui fait auprès de M.
Ribot démarches sur démarches pour lui
arracher l'autorisation de la cote officielle
pour le dernier emprunt portugais.
Les banquiers intéressés, eux aussi, sont
entrés en rapport avec M. Ribot.
Ils invoquent l'intérêt du commerce fran-
cais appelé, disent-ils, à remplacer en Por-
tugal, à la suite des derniers événements,
le commerce anglais, comme si, pour nouer
de solides relations commerciales avec un
peuple étranger, c'était une bonne méthode
de commencer par se laisser voler par lui.
Cet argument n'est d'ailleurs que le pa-
ravent destiné à masquer le coup dont on
poursuit avec avidité la réalisation.
La vérité est que les banquiers ont sur le
dernier emprunt portugais une commis-
sion comme on n'en peut percevoir que
sur les affaires louches. Cette commission
de loI. 0/0 s'élève à sept millions. Pour la
toucher, il suffit de repasser au public les
titres de cet emprunt qui ne vaut rien, ab-
solument rien, dont les arrérages ne seront
pas plus payés, dans un an ou deux, que les
arrérages de l'emprunt de 1832, toujours en
souffrance malgré, les engagements les plus
formels.
Mais, pour repasser cet emprunt au pu-
blic, il faut avoir pour complices : 1° la
chambre syndicale des agents de change;
2° le ministre des affaires étrangères, qui
donne son avis; 3° le ministre des finances,
qui décide en dernier ressort. Car, sans l'au-
torisation ministérielle, pas de cote offi-
cielle, et sans cote officielle, pas d'écoule-
ment de titres dans le public.
Or, ce qui se passe pour cette autorisa-
tion est vraiment curieux.
Le syndic des agents de change dit qu'il
se lave les mains de cette affaire dans la-
quelle il ne fait que se conformer aux or-
dres des ministres.
M. Rouvier, de son coté, dit que si cela
dépendait de lui, jamais il n'accorderait la
cote. M. Ribot soutient, au contraire, que
c'est M. Rouvier qui veut accorder la cote
à M. Ephrussi.
Quant aux banquiers, ils rappellent qu'un
sous-secrétaire d'Etat, M. Horace de Choi-
seul, a naguère changé subitement d'avis
à propos d'un autre emprunt portugais
pour lequel on demandait également la
cote. Ils disent qu'en France, aussi bien
qu'en Turquie et en Portugal, on peut tout
obtenir quand on gagne sur une affaire
assez gros pour faire certains sacrifices.
Ces messieurs oublient que nous ne som-
mes plus sous le règne de M. Wilson.
L'OPINION DU SYNDIC DES AGENTS DE
CHANGE ET DU GOUVERNEMENT
Nous avons dit que la chambre syndicale
des agents de change avait été saisie d'une
demande d'admission à la cote de l'e.
prunt portugais lancé par M. Ephrussi, et
que les agents de change ne pourraient
donner un avis favorable à cette demande
sans fournir un nouvel argument aux nom-
breux adversaires de leur monopole.
Interrogé à ce suit, M. Hart, syndic des
agents de change a répondu :
« La chanpjre syndicale des agents de
change ne. joue dans cette affaire qu'un
rçle très secondaire et en quelque sorte
passif.
"Nous ne faisons que nous conformer à ce
que veut le ministre des affaires étran-
gères. Nous savons qu'il veut la cote pour
le dernier emprunt portugais. Nous ne
pouvons nous y opposer."
Opinion de M. Rouvier
Voici maintenant la réponse de M. Rou-
vier, interrogé hier- matin sur le même
sujet :
« Cet emprunt portugais est une vilaine
affaire. Mon opinion est que la cote ne doit
pas lui être accordée. C'était également,
lorsque je me suis absenté, l'opinion de M.
Ribot. Je dois dire cependant que depuis
mon retour, j'ai trouvé mon collègue des
affaires étrangères un peu ébranlé. Il se-
rait plutôt disposé maintenant à accorder
la cote, car ce serait, selon lui, le meilleur
moyen d'amener le gouvernement portu-
gais à donner satisfaction aux porteurs de
l'emprunt de l."
Entrevue avec M. Ribot
Enfin, voulant savoir à quoi nous en te-
nir, nous sommes allé hier dans l'après-
midi trouver M. Ribot.
Nous lui avons rappelé dans quelles con-
ditions avait été lancé le dernier emprunt
portugais et comment il avait honteusement
échoué.
— Mais cela ne frie regarde pas, s'ést hâté
do répondre le ministre des affaires étran-
gères.
Alors nous avons cité à M. Ribot les pa-
roles de M. Hart et de M. Rouvier.
- Je ne puis pas croire, a répondu M. Ri-
bot, que les propos que vous prêtez à
ces messieurs soient exacts. Dans tous les
cas, aux termes de la loi de 1880, je n'ai à
autoriser ni à refuser la cote à une valeur
quelconque. Ce rôle incombe au ministre
des finances.
Lorsqu'il s'agit, comme dans le cas pré-
sent, d'une valeur étrangère, mon inter-
vention se borne à donner mon avis. Com-
ment pourrais- je dès lors être responsable
de la mesure prise ? Les paroles que vous
attribuez à M. Rouvier me paraissent d'au-
tant plus invraisemblables que M. Rouvier
est partisan d'accorder la cote au dernier
emprunt portugais, et qu'il l'accordera cer-
tainement.
— Mais vous, M. le ministre, donnerez-
vous un avis favorable ?
— Il me serait difficile de ne pas le faire.
Sans entrer dans vos appréciations sur la
valeur du crédit du Portugal, je dois avouer
que je n'aurais, pour hésiter à donner un
avis favorable, qu'un seul motif. le non-
paiement de l'emprunt de 1832; mais, de-
puis, d'autres emprunts ont eu lieu et la
cote a été accordée. Je suis d'ailleurs con-
vaincu que le gouvernement portugais sera
le premier à comprendre la nécessité d'une
transaction .avec les porteurs de 1832 et que
le meilleur moyen d arriver à cette trans-
action est de faciliter la négociation sur
notre marché du dernier emprunt.
Que conclure ?
Nous avons fidèlement rapporté l'opinion
du syndic des agents de change, du minis-
tre des finances et du ministre des affaires
étrangères.
Au public maintenant et aux intéressés
de conclure.
Quant à nous, ce qui nous parait résulter
de plus clair de tout ce qui précède, c'est
que ceux qui désirent le plus voir accorder
la cote ne sont peut-être pas ceux qui le
disent et que, dans tous les cas, chacun
voudrait rejeter sur le voisin la responsa-
bilité d'une mesure qui ne peut être que
préjudiciable à l'épargne française.
ESPIONS ALLEMANDS
(DE NOTRE CORRESPONDANT PARTICULIER)
Belfort, ! mai.
Deux espions allemands, porteurs de cartes
et de papiers compromettants, vienent d'être
arrêtés aux abords de la place de Belfort et
incarcérés.
LE REiOUR
DU GÉNÉRAL BOULANGER
Bruits divers. — Croyants et
sceptiques.
Le bruit court dans les milieux boulan-
gistes que le général Boulanger, cédant aux
sollicitations de ses amis, serait décidé à
revenir en France demander la revision du
procès de la haute cour.
La France s'est faite hier l'écho de ce bruit,
et voici ce que dit notre confrère :
Dans le monde qui tient de prés à l'ancien
ministre de la guerre, on est persuadé qu'a-
près la conférence tenue avec MM. Déroulède,
Laguerre, Naquet et Laisant, le général aurait
décidé de se constituer prisonnier et de faire
reviser le procès de la haute cour.
M. Henri Roche fort, qui habite actuellement
Londres, aurait également décidé de suivre
l'exemple du général.
Voici dans quelles conditions s'opérerait
cette rentrée :
Samedi soir ou dimanche, le général Bou-
langer télégraphierait à M. Carnot, président
de la République, son intention de s'embar-
quer pour la France.
Dans ce télégramme, il ferait des réserves
au sujet de la juridiction exceptionnelle ap-
pelée à le juger de nouveau. Mais il consenti -
rait à se présenter devant le Sénat, constitué
en haute cour de justice. Il déclarerait agir
ea loyal soldat.
Le général Boulanger terminerait en indi-
quant à M. Carnot l'endroit et l'heure précis
de son débarquement sur la côte française.
L'ancien ministre de la guerre revêtirait, en
cette circonstance, toujours d'après ses amis
politiques, l'uniforme de grande tenue de gé-
néral de division.
Ce débarquement aurait lieu le dimanche h
mai, dans la journee.
Le même jour, la Cocarde, annonçant le
départ pour Londres de M. Milievoye,
appelé par MM. Laguerre, Naquet, Dérou-
lède et Laisant, avec lesquels il doit confé-
rer, ajoute :
Nous croyons pouvoir affirmer que de très
graves résolutions seront prises à Londres
par les délégués du comité républicain na-
tional.
Enfin, si les uns croient à la rentrée du
général Boulanger, les autres n'y voient au
contraire qu'une grosse manœuvre électo-
rale en vue du scrutin de ballottage.
La lettre à M. Carnot
Quoi qu'il en soit, voici les renseigne-
ments que nous tenons d'un des hommes
qui ont toute la confiance de l'exilé de Jer-
sey : -
— Le retour du général, nous a-t-il dit,
est décidé. Il adressera une lettre, dont
voici presque textuellement les termes, au
président de la République :
u Monsieur le président,
» Je n'ai pas voulu comparaître devant la
haute cour de justice parce que je ne lui
reconnaissais pas le droit de me juger.
» Mais maintenant que je crois voir exis-
ter entre moi et le peuple français un ma-
lentendu, tout en continuant à ne pas ad-
mettre la compétence de cette haute cour,
je viens demander à comparaître devant
elle.
» Je veux défendre non seulement ma
probité politique, mais surtout mon hon-
neur de soldat.
» GÉNÉRAL BOULANGER ».
Cette lettre expédiée, le général Boulan-
ger se rendra sur un point de la frontière.
De là, il avertira de sa présence le ministre
de l'intérieur.
Quant à M. Rochefort, il ne rentrera pas
en France.
Notre interlocuteur a ajouté que « à Jér.
sey, on avait discuté la question de savoir
s'il n'y avait pas lieu de retirer toutes les
candidatures boulangistes municipales du
second tour, et si les députés boulangistes
de Paris ne devaient pas se retirer et se
représenter devant leurs électeurs. » Toute
décision a été ajournée. Tels sont les ren-
seignements qui nous ont été donnés. At-
tendons.
CHRONIQUE
Les académiciens n'ont pas élu de suc-
cesseur à Emile Augier. Il fallait s'y at-
tendre; ils s'y attendaient eux-mêmes.
Leur embarras est tel qu'ils n'ont pas fixé
de jour pour un scrutin nouveau. Ils at-
tendront que la mort ait fait dans leurs
rangs deux ou trois places nouvelles pour
nommer en bloc une fournée d'immor-
tels.
Quels seront ces immortels de de-
main?
Il semblerait, au premier abord, qu'il
n'y a qu'à consulter les résultats du scru-
tin d'hier, et que les deux ou trois qui
ont le plus près approché de la timbale
ont aussi le plus de chances de la décro-
cher au premier jour. Il n'en est rien.
A l'Académie, tout est affaire de circon-
stances, d'opportunité. Tel qui n'a man-
qué sa nomination que d'une voix ne re-
trouvera jamais cette même bonne for-
tune s'il se représente. Il n'aura plus ja-
mais qu'une ou deux voix de consola-
tion.
Voyez ce qui est arrivé cette fois à
André Theuriet, notre aimable romancier.
Il s'en est fallu de très peu, un jour, qu'il
ne passât; il se trouvait, si jtai bonne
mémoire, en compétition avec Henri
Meilhac. On lui préféra (et je ne dis cer-
tes pas que l'on eut tort) l'auteur de la
Petite Marquise et du Roi Candaule. Mais
il put croire que la première vacance lui
serait réservée. Un certain nombre d'aca-
démiciens qui avaient cru devoir porter
leurs votes sur le Marivaux de notre
temps avaient promis que, à la prochaine
élection, ils accorderaient à Theuriet le
dédommagement qui paraissait lui être
dû.
Et le fait est qu'au lendemain de la
mort d'Emile Augier, les chances d'André
Theuriet paraissaient considérables. Elles
sont allées s'amoindrissant tous les jours;
il en avait lui-même conscience et ne
maintenait plus sa candidature que par
une sorte de respect humain :
— Je ferais mieux, disait-il à un ami,
de m'en aller en province.
11 avait manqué le coche. Il en avait été
de même pour M. Henri de Bornier, qui
a failli obtenir un fauteuil au lendemain
de la Fille de Roland. Il ne s'est pas même
présenté cette fois. Il aurait passé comme
une lettre à la poste, si la Comédie-Fran-
çaise lui eût joué son Mahomet et que la
pièce eût réussi avec éclat.
Parmi les noms que le scrutin d'hier a
mis en lumière, quels sont ceux que l'A-
cadémie inscrira un jour sur sa liste? Il
serait bien difficile de le dire. J'ai comme
une idée que M. Thureau-Dangin ne pas-
sera jamais. Le parti des ducs, qui le pa-
tronne, ne croîtra pas en nombre ni en
influence. C'est un candidat qui aura
toujours ses dix mêmes voix, et il en faut
au moins dix-huit pour être élu.
Qui sait, pourtant? Si à la prochaine
élection un groupe veut absolument im-
poser son choix, il pourra faire alliance
avec le parti des ducs. Comme il y aura
deux fauteuils à donner: Votez pour mon
candidat, dira-t-il à MM. les ducs, nous
voterons pour M. Thureau-Dangin. Ce
sont là des coalitions qui ne sont pas plus
rares à l'Académie qu'au Palais-Bourbon.
A moins d'une de ces combinaisons, M.
Thureau-Dangin me parait destiné à res-
ter sur le carreau où il est couché aujour-
d'hui.
J'imagine, au contraire, que les chan-
ces de M. Lavisse augmenteront avec le
temps. Il n'avait guère été jusqu'à ce
jour connu que des universitaires et des
jeunes gens du quartier Latin, sur les-
quels il exerce une influence énorme.
Cette élection et l'échec relatif qu'il y a
subi ont révélé son nom au grand public.
On s'est enquis de ses ouvrages, et, com-
me c'est un écrivain de premier ordre, sa
réputation ne peut que gagner à ce mou-
vement d'opinion.
Le seul danger pour sa prochaine can-
didature, c'est qu'il est, en effet, un can-
didat universitaire, et que j'en vois d'au-
tres de ce même bord, tout aussi célèbres
que lui, qui se dirigent doucement ver-
l'Académie ou même qui ont déjà affron-
té ses suffrages.
Je lisais dernièrement un volume très
curieux, très bien fait, très amusant, de
M. Georges Renard, qui a pour titre :
Les Princes de la jeune critique. Ces
princes de la jeune critique sont, selon
lui : Jules Lemaître (je les prends dans
l'ordre où il les a mis lui-même), Ferdi-
nand Brunetière, Anatole France, Louis
Ganderax et Paul Bourget. Il me semble
que j'aurais joint à ces cinq noms celui
de M. Emile Faguet, qui dans la critique
au moins peut soutenir la comparaison
avec n'importe lequel d'entre eux,et qui,
peut-être, est supérieur à tel ou tel pour
l'abondance des vues originales et po
la fermetéa, u style.*
Je ne crois pas que, pour le momentàu
moins, Emile Faguèt songe à l'Académie.
Mais je serais bien étonné si Jules le-
maître ne méditait pas sournoisement
une candidature prochaine. Or, Jules Le-
maitre est un universitaire. Il a eu beau
jeter la robe aux orties ; c'est vainement
que M. Georges Renard me dit de lui que
c'est un critique très fin et très suggestif
qui fait penser à un Sainte-Beuve moins
savant et moins pénétrant, mais plus fa-
milier et plus vif; à un J.-J.Weiss moins
aventureux et plus solide; à un Renan
plus frivole et plus moderne. Sainte-
Beuve, Weiss et Renan tant qu'on vou-
dra, Jules Lemaître est universitaire
par ses origines, par ses grandes qualités
de composition et de style.
M. Brunetière l'est également. Brune-
tière n'a point passé, comme MM. Lavisse
et Lemaître,par l'Ecole normale. Mais s'il
n'y a pas été élève, il y est professeur, et
il y jouit d'une autorité merveilleuse. Je
n'aime pas beaucoup le chapitre que M.
Georges Renard a consacré à M. Brune-
tière. Tout ce qu'il en dit est juste sans
doute, mais l'éloge est court et les restric-
tions sont nombreuses. Après cela, je
comprends qu'on n'aime pas beaucoup
M. Brunetière. J'avoue que j'ai été
longtemps à me faire à cette solennité,
dogmatique, à cette dialectique subtile
et passionnée, dont on est si bien pressé
et enveloppé qu'on ne sait pas comment
y échapper, alors même qu'on n'est pas
convaincu et que l'on se débat.
Les défauts de M. Brunetière sont de
ceux qui rebutent au premier abord;
mais quelle étendue et quelle sûreté de
savoir ! quelle certitude de doctrine !
quelle gravité de style et quelle ardeur
de logique ! C'est un maître homme tout
de même
Il s'est présenté cette fois à l'Académie
sans grande espérance d'y entrer, mais
sa place y est certainement marquée.
Peut-être M. Lavisse et lui se gêneront-
ils s'ils courent le même fauteuil.
Parmi les cinq que M. Georges Renard
appelle les princes de la jeune critique, il
y en a deux qui, un jour ou 1 autre,frap-
peront à la porte de l'Académie : c'est
Anatole France et Paul Bourget. Il est
vrai qu'ils s'y présenteront avec d'autres
titres que leurs volumes de critique. Je
n'ai pas besoin de rappeler les romans de
Bourget. Pour France, comment oublier
qu'il a écrit le Crime de Sylvestre Bon-
nard, un des plus aimables chefs-d'œu-
vre de ce temps?
Je causais de lui précisément, il y a
quelques semaines, avec un de nos im-
mortels : « L'homme qui a fait un chef-
d'œuvre en sa vie, me dit-il, devrait tou-
jours être de l'Académie ! » Il entendait
parler de ce Crime de Sylvestre Bonnard,
qui est une merveille de grâce ironique
et attendrie.
Et l'on devrait bien, par la même rai-
son, donner un fauteuil à M. Ferdinand
Fabre qui a écrit Y Abbé Tigraite i
Vous voyez comme les candidats pul-
lulent. Ils étaient treize hier ; ils seront
une vingtaine demain, tous ayant des
droits, tous plus ou moins soutenus de la
faveur publique. Et notez que je n'ai pas
parlé du plus grand et du plus redouta-
ble, dont l'Académie sent l'ombre im-
mense peser sur elle : d'Emile Zoia.
Celui-là, il n'y a pas à dire, il faudra le
nommer, s'il se présente deux ou trois
fois de suite. Et il se présentera assuré-
ment. Car de toutes les qualités qu'il pos-
sède, la ténacité n'est pas la moindre.
Quand il s'est mis quelque chose dans la
cervelle, il ne l'a pas, comme on dit, au
talon. Il veut être de l'Académie; force
sera bien, malgré toutes les répugnances,
de lui ouvrir la porte. On cédera à l'é-
norme poussée du public.
Une fois dans la place, on devra comp-
ter avec lui. Tendra-t-il la main à quel-
qu'un de ses disciples?
Nous aurons encore de belles batailles à
conter.
Francisque Sarcey.
INTERPELLATION BAUDIN
M. Baudin, député du Cher, interpellera, dès
la rentrée, M. Constans sur l'attitude des gar-
diens de la paix pendant la journée du
1" mai.
Par suite de l'abondance des matiè-
res, nous avons dû, à notre grand re-
gret, supprimer nos deux romans-feuil-
letons.
UNE AFFAIRE
FIN DE SIÈCLE
PROCÈS DES MÉTAUX
RÉQUISITOIRE DÉFINITIF
Un document. — Les Métaux et I«
Comptoir d'escompte. - L'histo-
rique de d1'e':s go - L'histo-
rique de l'affaire. - La cam-
pagne du « XIX" Siècle » jus-
tifiée.-A vaut les débats.
Au risque d'encourir les rigueurs exe eg
sives d'unie législation aussi surannée qu'i-
nutile, etj;.ur se conformer aux théorie;
en matière d'information que les directeur!
des gisants journaux parisiens, dans ut
procès récent devant la cour d'assises de 1s
Seine, ont émises avec le succès que M. l'a,
vocat général Rau n'a sans doute pas ou.
blié, le XIXe fSiècle publie aujourd'hui It
réquisitoire définitif de M. le substitut Se.
ligman dans les affaires du Comptoir d'es-
compte et de la Société des Métaux, affaires
inscrites, comme on le sait, au rôle de la
lle chambre du lundi 5 mai.
A la différence des femmes honnêtes ef
des peuples heureux, ce document judi-
ciaire a une histoire.
ie LOI'sque, après le terrible krach de mars
1889 et à la suite du vote de la Chambra
des députés, M. Thévenet, garde des sceaux,
se vit contraint de donner au procureur
général l'ordre d'exercer des poursuites
contre les directeur et administrateurs de
la Société du Comptoir d'escompte et de la
Société des Métaux, M. André Boulloche,
substitut près le tribunal civil de la Seine*
fut chargé de dresser le réquisitoire défi-
nitif. M. Boulloche se mit a l'œuvre. Au
bout d'un mois, après plusieurs entrevues
avec M. Banaston, procureur de la Répu-
blique, le distingué substitut abandonna
subitement son travail pour se consacrer à
l'étude du dossier du procès de l'Assurance
financière, dont les dénats allaient s'ouvrir
devant la première chambre. Comme bien
on pense, de nombreux racontars couru-
rent au Palais sur cet incident que chacun
expliqua à sa manière.
-, Bref, des indiscrétions recueilles çà et là,
il semble résulter que M: Boulloche montra
une absence complété d'enthousiasme pour
la mission qui lui était confiée. M. Banaston,
fort ennuyé, assure-t-on, de ce contre-
temps, fit appeler à son cabinet M. le sub-
stitut Seligman, auquel il exposa ses mé-
comptes.
— Donnez-moi le dossier, répliqua M. Se-
ligman. Je l'étudierai et je vous dirai ce
que je pense de la poursuue.
Quelques jours après, M. Seligman, avec
la figure radieuse du substitut qui poursuit
revenait auprès de M. ic procureur de la
République. Ses premières paroles étaient
celles-ci :
— Je m'en charge !.
M. Seligman, malgré sa promesse, a fait
un réquisitoire bénin, bénin, un réquisi-
toire à l'eau de rose, où les prévenus sont
traités avec les égards que l'on sait avoir
au Palais pour les financiers de haut parage
que les hasards des jeux de Bourse condui-
sent en police correctionnelle.
Ce document judiciaire contient, entre
autres curiosités, une danse de millions sa-*
vamment orchestrée et qui révèle à elle
seule la main experte d'un fils d'Israël. M.
SeLgman a décrit avec complaisance la Gi-
ganLesque entreprise u'accapal'ement de AI.
Secrétan, financier fin de siècle et héros
tout désigné pour le prochain roman de M.
Zola.
Malgré lui, au récit des grandioses coups
de Bourse du président de la Société des
métaux, l'honoraole représentant du mi..
nistère public se laisse parfois emballer.
Son lyrisme, professionnellement discret,se
manifeste alurs par un abondant déploie-
ment de chiffres alignés avec amour.
Au cours de son réquisitoire, M. Selig-
man rend involontairement, et en ne le
nommant pas d'ailleurs, hommage au
XIXe Siècle qui, le premier dans la presse,
a appelé, sans succès, l'attention des pou-
voirs publics sur les accaparements de cui-
vre. Les indiscrétions du XIXe Siècle
et la campagne acharnée qu'il a menée
contre les agioteurs ont fini par émouvoir"
le public et la Chambre des députés. Ce
n'est, en effet, que sous la pression de l'opi-
nion, comme dans l'affaire Wilson, que le
gouvernement s'est décidé à agir. Naturel-
lement, il était alors trop tard. Du reste, lef
poursuites qu'aujourd'hui il dirige à re«
gret, pour ainsi dire, contre quelques-unâ
seulement des président ou administra.
teurs des sociétés du Comptoir d'escompte
et des Métaux risquent fort d'être platoni.
ques, sinon en première instance, du moins
en appel, où, l'indignation généreuse du
premier moment calmée, tout finit par
« être remis au point », comme disent au
Palais les gens graves.
Il faut lire en entier le réquisitoire pour
se rendre complu de la bienveillance de M.
Seligman. M. Boulloche n'aurait évidem-
ment pas fait mieux. Ne récriminons pas
toutefois et souhaitons, sans trop l'espérer,
que le parquet, dans les affaires concer-
nant de pauvres diables qui ont le grand
tort de ne pas être millionnaires, continue
désormais à user de la mansuétude extrême
qu'il inaugure aujourd'hui.
Voici le volumineux réquisitoire de M.
Seligman. Nous le donnons in extenso, parce
que ce document judiciaire constitue l'his-
torique du plus grand krach qui, depuis
treme ans, ait sévi sur le marché français,
semant sur son passage la mort de M. Den-
fert-Rochereau, la ruine d'un de nos im-
portants établissements financiers et la mé-
fiance générale dans les intitutions de cré-
dit les plus solides :
Le Comptoir d'escompte de Paris a été fondd
le 10 mars 18A8, sous la forme d'une société
anonyme autorisée par le gouvernement.
Son institution avait pour objet de parel'
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