Titre : Le XIXe siècle : journal quotidien politique et littéraire / directeur-rédacteur en chef : Gustave Chadeuil
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1890-03-21
Contributeur : Chadeuil, Gustave (1821-1896). Directeur de publication
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Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 21 mars 1890 21 mars 1890
Description : 1890/03/21 (A19,N6640). 1890/03/21 (A19,N6640).
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k75601790
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-199
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 09/04/2013
Dix-neuvième année. — NO, 6,6A0
-CIRO Centinles ,_: Paris et Départements — CINQ centimes
^EN"DREDI2I MARS 1890
JOURNAL RPUBLICAIN :
RÉDACTION
il 46. Rue Montmartre
: t7 - IpAffl
- DIRECTEUR POLITIQUE
A. •Edouard PORTALIS
'-
> PRIX DE L'ABONNESEIIT ;
Faits*. Sli Sixiuû, il L; ift a, 201 -
: Départements — 71; — 12 U — 241
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JL" abonnements partent du i* et 15. chaque moit
&*-. : XIX* SIÈCLE - PABIB
Lesuccesseur ûe M. ûe Bismerck
LE GÉNÉRAL OE CAPRIVi
; LA CONFÉRENCE DE BERLIN
« ASCANIO » A L'OPÉRA -
LE CRIME DE BOULOGNE
LE RENOUVELLEMENT
PARTIEL
M. Gustave Rivet vient de saisir la
Chambre d'une proposition de loi
qu'il avait déposée à la législature
précédente, où elle ne fut pas discutée.
L'analyse en tient en deux lignes :
Au lieu d'être de quatre années, le
mandat législatif serait de six années.
La Chambre serait renouvelée par
tiers tous les deux ans. Les départe-
ments se diviseraient en trois séries,
en suivant l'ordre alphabétique, com-
me on fait pour le Sénat.
M. Rivet n'apporte à l'appui de sa
proposition qu'une seule raison, sur
laquelle il s'appesantit. Reconnais-
sons, du reste, qu'elle est des plus sé-
rieuses •
Le renouvellement intégral a ce
premier et gros inconvénient : une fois
arrivée la fin de la législature, tou-
tes les réformes à l'étude s'évanouis-
sent sans laisser plus de traces qu'une
fumée dans l'air. Ce sera affaire à la
Chambre nouvelle de les reprendre
ab ovo, comme si jamais il n'en avait
été question,et de les conduire à com-
plète réalisation, si toutefois le temps
le lui permet. Sinon, ses successeurs
pourront se charger de ce soin. C'est
la chanson du petit mousse mise en
action.
Le renouvellement partiel aurait
l'incontestable avantage d'apporter
un terme à cet abus. Ce ne serait pas
son seul mérite. Dans la situation
présente des partis dans notre pays,
chaque renouvellement intégral met
en question la forme même du gou-
vernement.
Les partis ne luttent pas seulement
pour ou contre la réalisation de telle
ou telle réforme, le triomphe de telle
ou telle politique. C'est la République
même qui est discutée.
Des circonstances passagères, des
incidents de campagne électorale, une
manœuvre de la dernière heure adroi-
tement combinée, peuvent décider le
succès de l'opposition anti-constitu-
tionnelle.
Le renouvellement partiel prévient
toute surprise de ce genre. N'est-il
donc point sans inconvénients? Ce
n'est pas notre avis. Entendu ainsi
que le conçoit M. Rivet, il prête le
flanc à une première obj ection qui est
grave : -
Le mandat législatif dure aujour-
d'hui quatre années. C'est une période
déjà longue. D'après la proposition
de loi, ce n'est plus que tous les six
ans que le suffrage universel serait
appelé à élire, ses représentants.
Autre inconvénient capital: Jamais
la France entière ne serait appelée à
exprimer en même temps son opinion
et à faire connaître ses volontés. Il n'y
aurait que des morceaux de région,
choisis au hasard de l'alphabet, qui
tous les deux ans seraient consultés.
Or, à nos yeux, la consultation du
pays tout entier à chaque renouvelle-
ment partiel est une condition sine qua
non, condition qui implique le réta-
blissement du scrutin de liste. Tous
les deux ans, chaque circonscription
serait appelée à renouveler le tiers de
sa représentation.
On pourrait faire observer que ces
modifications peuvent être apportées
à la proposition Rivet, et que leur
adoption ne ferait point échec au
principe même du renouvellement par-
tiel.
Il est vrai. Mais ce projet appelle
une autre critique qu'on ne manqua
pas de lui adresser le jour où il fit son
apparition devant la dernière législa-
ture.
Le renouvellement partiel est, à
notre sens, indispensable avec une
Chambre unique. Il en est le correctif
nécessaire.
Mais la Constitution de 1875 com-
porte, outre la Chambre, un Sénat,
qui fait même parler de lui. ci Je ren-
verse les ministères, donc je suis. »
Qu'on approuve ou qu'on blâme
l'institution d'une seconde Chambre,
on doit être d'accord sur les consé-
quences de son existence. Elle joue
, dans la machine constitutionnelle le
rôle d'un frein. Les gens qui n'ont
- pas la bosse du respect ont été jusqu'à
« la traiter de sabot.
L : Les échos des réunions publiques et
ceux du Palais-Bourbon ont à plus
d'une reprise retenti des imprécations
lancées à l'Assemblée du Luxem-
bourg, qu'on accusait de tout enrayer.
Admirez la logique. Voici que, sous
prétexte de rendre la marche en avant
plus régulière et plus rapide, on pro-
pose d'ajouter à ce premier frein : le
Sénat, ce second : le renouvellement
partiel. C'est pour le coup que le fa-
meux char de l'Etat risquerait de de-
meurer en détresse. *
Mais, si l'on veut introduire dans
notre organisme constitutionnel ce
rouage délicat et compliqué qui s'ap-
pelle le renouvellement partiel, né-
cessité s'impose de modifier tout le
mécanisme. Il faut faire la revision de
la Constitution.
Aussi bien, il ne nous paraît guère
possible de résoudre par une autre
voie le problème qu'on soulève. Si ja-
mais une question a été d'ordre cons-
titutionnel, c'est bien celle-là.
Assurément, il ne saurait être ques-
tion pour les députés d'allonger eux-
mêmes la durée de leur man-
dat et de s'adjuger deux années sup-
plémentaires d'existence législative.
Mais il nous paraîtrait presque aussi
dangereux de laisser voter, même pour
l'avenir, comme une loi d'intérêt lo-
cal; une proposition au premier chef
constitutionnelle. Aussi croyons-nous
que la Chambre agira sagement en
écartant le projet qui lui est pré-
senté.
A. Millerand.
Le XIXe SIUCLE publiera demain la
* Vie de Paris » par Henry Foucrnipr.
LE PACTE ROMPU
La déclaration ministérielle a été ac-
cueillie dans la presse, comme elle l'avait
été à la Chambre, sans grand enthou-
siasme, mais aussi sans grande colère,
même de la part des journaux monar-
chistes.
En revanche, l'attitude de M. Léon Say
a eu le don d'exaspérer ceux avec les-
quels, hier encore, il faisait campagne et
dont il soutenait les candidats, notam-
ment dans l'arrondissement de Gien. M.
de Cassagnac ne pardonne pas à M. Say
d'avoir voté pour le cabinet. "Ce spectacle
des modérés, dit-il, s'aplatissant sous la
cravache, rampant sous le bâton ; ce spec-
tacle des éternels crapauds du marais,
ventre à terre devant les grondements
de la Montagne, nous l'avions déjà vu,
nous le verrons encore, mais toujours
nous le verrons avec le même dégoût, le
même écœurement, le même mépris ! »
« Et dire, ajoute M. de Cassagnac, que
c'est avec ces gens-là qu'on voulait que la
Droite contractât une alliance, fit un
pacte, s'engageât pour constituer une
majorité de gouvernement! Ça n'a ni
courage, ni franchise, ni honnêteté! »
Peut-être le public naïf se demandera-
t-il, après ces vitupérations, comment il
se fait que l'Union libérale fasse voter
pour les candidats de M. Paul de Cassa-
gnac et que M. Paul de Cassagnac fasse
voter pour les candidats de l'Union libé-
rale, c'est-à-dire pour les candidats d'un
parti auquel il ne reconnaît ni courage,
ni franchise, ni honnêteté.
Toujours est-il que le pacte paraît
aujourd'hui rompu. Pour combien de
temps ?
SACRE D'UN ÉVÉQUE
La cérémonie. — M. Sonnois.
(DE NOTRE CORRESPONDANT PARTICULIER)
Auxonne, 19 mars.
Aujourd'hui a eu lieu, dans l'église pa-
roissiale d'Auxonne, le sacre de M. Son-
nois, évêque de Samt-Dié.
L'évêque consécrateur, M. Lecot, évêque
de Dijon, était assisté des évêques Marpot
et Larue, de Saint-Claude et de Langres.
La cérémonie a commencé à huit heures.
Parmi les notabilités, on remarquait MM.
Noblemaire, directeur de la Compagnie
P.-L.-M.; les généraux de Cointet, comman-
dant la 8e brigade de cavalerie ; Delorme,
sous-chef de la remonte au ministère de la
guerre ; La veuve, commandant la ua bri-
gade d'infanterie.
Parmi les membres de la famille de l'évê-
que, se trouvaient le général et le colonel
Sonnois, commandant le 506 de ligne, pa-
rents du nouvel évêque.
Une députation des conseillers généraux
des Vosges, notamment M. Pierre Buffet,
ex-ministre, et le curé de Domrémy assis-
taient à la cérémonie.
Après la cérémonie liturgique, le nou-
veau prélat a donné sa première bénédic-
tion, l'adressant d'abord à son frère, l'aîné
de sa famille, le général Sonnois.
Il a été ensuite fait honneur à un grand
déjeuner, pendant lequel M. Boulonnier
conseiller général des Vosges, a porté un
toast à la mémoire de Jeanne d'Arc.
EPOUVANTABLE INFANTICIDE
Un monstre. — Trois arrestations.
(DE NOTRE CORRESPONDANT PARTICULIER)
Saumur, 19 mars.
Un infanticide a été commis à Saumur
dans des circonstances particulièrement
atroces.
Une enfant de quatorze ans et demi, Cé-
line Boche, accouchait dans la nuit de
vendredi à samedi dernier. Elle décidait
aussitôt de se débarrasser du petit être.
Pour étouffer ses cris, elle posa un pied
sur sa tête ; de l'autre, elle lui défonça la
paroi antérieure de la cage thoracique- En-
suite, elle enferma le cadavre ainsi broyé
dans une boîte; mais, la boîte étant trop
courte, elle coupa la tête et les membres.
La fille Boche, sa mère et son amaut ont
été arrêtés. Ces deux derniers seraient com-
plices dans cette çpouyaûfëWe besogne. À
LA RETRAITE
DE M. DE BISMARCK
LE GÉNÉRAL DE CAPRIVI
Les commentaires de la presse. — Im-
pressions mitigées.— La successeur
du chancelier
(DE NOTRE CORRESPONDANT PARTICULIER)
Berlin, 19 mars.
La démission du prince de Bismarck fait
presque oublier la conférence. La première
page de tous les journaux est consacrée à
cet événement.
Chose caractéristique, les feuilles natio-
nales libérales ou conservatrices libérales
de la nuance de la Post expriment seules
des regrets sans mélange.
Les feuilles conservatrices telles que la
Gazette de la Croix, progressistes de la cou-
leur de la Gazette de Voss, oa démocratiques
comme la Gazette du peuple et la Gazette
libérale, après quelques mots d'éloge et de
reconnaissance pour le principal fondateur
du nouvel empire, s'accordent, chacune à
son point de vue, à condamner la politique
intérieure du chancelier comme exclusive,
intolérante, destructive de toute indépen-
dance personnelle. Elles considèrent son
départ presque comme une délivrance,
ajoutant que quant à la politique extérieure,
la situation internationale qu'il a créée res-
tera inébranlable avec le jeuné empe-
reur.
Le successeur désigné du prince de Bis-
marck est le général de Caprivi, ancien chef
de l'amirauté, qui est âgé de 59 ans. Il hé-
site cependant à accepter cette succession.
On parle aussi du.comte de Munster, l'am-
bassadeur actuel d'Allemagne en France.
L'empereur aurait dit, à propos du géné-
ral de Caprivi, qu'il pensait, comme Frédé-
ric le Grand, que le meilleur ministre des
affaires étrangères est un général, puisqu'il
sait jusqu'où il peut aller avec l'armée der-
rière lui.
Les journaux russes expriment l'espoir
que l'Allemagne suivra dorénavent une
nouvelle direction, plus favorable à la
Russie, dont M. de Bismarck a toujours été
l'adversaire caché.
Les motifs de la d'émission
(D'UN CORRESPOND VNT) -
Berlin, 19 mars.
Une dépêche de Berlin à la Gazette de
Cologne confirme que l'empereur a accepté
la démission du prince de Bismarck de ses
fonctions dë chancelier et de président du
conseil des ministres prussien. *
Le prince, d'après cette dépêche, a expli-
qué les motifs de sa démission dans un
mémoire de vingt pages qu'il a remis à
l'empereur.
Selon le Gazette nationale, au contraire,
la démission du chancelier est formulée
d'une façon très brève, et M. de Bismarck ne
donne pas d'autre motif que son état de
santé et son grand âge.
D'après des informations de source auto-
risée, le général de Caprivi aurait accepté
de succéder au prince de Bismarck.
Le comte de Bismarck
La démission du comte Herbert de Bis-
marck a été acceptée. On dit que l'am-
bassade de Constantinople lui sera offerte.
On désigne le comte Berchem, directeur
au ministère des affaires étrangères et an-
cien consul général à Buda-Pest, comme
devant remplacer le comte Herbert de
Bismarck en qualité de secrétaire d'Etat.
On parle aussi de M. de Rondowitz, am-
bassadeur à Constantinople, ou du comte
de Hatzfeldt, ambassadeur à Londres, et qui
a précédé le comte Herbert de Bismarck
aux affaires étrangères.
L'empereur et ses conseillers
Les ministres sont réunis en conseil, a
la Chambre des députés, depuis 3 h. 15 de
l'après-midi, sous la présidence de M. de
Bœtticher, vice-président du conseil.
Bien que le Reichsanzeiger de ce soir an-
nonce seulement que le général de Caprivi
a conféré avec l'empereur, on donne comme
certain que ce personnage succédera au
prince de Bismarck comme chancelier de
l'empire, et peut-être aussi comme prési-
dent du conseil des ministres prussien.
Le feld-maréchal de Moltke, les généraux
commandants de corps, les généraux ins-
pecteurs et les aides de camp généraux
assistaient à la conférence militaire qui a
eu lieu hier chez l'empereur.
LE NOUVEAU CHANCELIER
La carrière militaire du général de
Caprivi — A l'état-major. — A la
* - marine.
Nous recevons, à la dernière heure, la dé-
pêche suivante de Berlin :
Le général de Caprivi est nommé chance-
lier. Cette nomination fait une grande im-
pression. C'est l'avènement au pouvoir du
parti militaire avec toutes ses conséquen-
ces.
Le général Georges-Léon Caprivi de Ca-
prara de Montecuculli, aujourd'hui com-
mandant le 10e corps d'armée, de Hanovre,
et ancien chef de l'amirauté allemande, est
né à Berlin le U février 1831.
Son père était conseiller autribunal su-
périeur.
Après avoir fait ses études au gymnase
de Werder, il entra le 1er avril 18A9 dans le
régiment François-Joseph des grenadiers
de la garde, où il fut nommé lieutenant en
second en 1850, après avoir passé par l'E-
cole de guerre.
Il passa lieutenant en premier en 1859. Il
fut attaché à l'état-major en 1861. Nommé
en 1863 chef de compagnie, il rentra en 1866
dans l'état-major avec le grade de comman-
dant, et fit la campagne de Bohême dans
l'état-major du commandement en chef de la
lre armée.
Il fit la guerre de 1870 avec le grade de
lieutenant-colonel, comme chef d'état-ma-
jor du 1er corps d'armée.
En 187% il fut, comme colonel, installé
chef d'une des divisions du ministère de la
guerre. Elu en 1877 au grade de major gé-
néral, il fut chargé, l'anné suivante, du
commandement d'une brigade d'infanterie
à Stettin, et passa, en 1881, au comman-
dement d'une brigade d'infanterie de la
garde, à Berlin.
En
garde, décembre 1882, il devenait lieutenant
général et commandapt de la 308 division,
a Metz.
Un amiral en éperons
En mai 1883, après la retraite du géné-
ral de Stosch, chef du département de la
miUine. usé par huit ans de luttes person-
nelles contre M. de Bismarck, le général de
Caprivi fut appelé à la direction de l'ami-
rauté allemande, rang équivalant à celui
de ministre.
Pour avoir un titr^ adapté à ses fonc-
tions, il fut bombardé vice-amiral, ce qui -
détermina plusieurs démissions et deman-
des de mise à la retraite de la part des plus
vieux officiers de la marine, arrivés seule-
ment au rang de contre-amiral et froissés
de voir le commandement supérieur de la
marine passer des mains d'un général d'in-
fanterie à celles d'un autre général.
Il existe du reste dans la marine, comme
dans l'armée allemande, une règle non
écrite, mais inflexible : c'est que l'avance-
ment ne peut faire passer un officier par-
dessus la tête d'officiers plus anciens que
lui. Lorsque le fait se produit, l'officier le
plus ancien est moralement obligé de de-
mander sa retraite. L'avancement du géné-
ral Caprivi au-dessus d'officiers supérieurs
du moins plus anciens, fut considéré par
ceux-ci comme une raison obligatoire de
retraite.
Après cette petite révolution dans le com-
mandement de la marine allemande, M. de
Caprivi s'initia rapidement aux choses ma-
ritimes, auxquelles il avait été étranger
jusque-là.
Il déploya dans son poste des qualités
remarquables d'administrateur, dont il
avait fait l'apprentissage et l'exercice dans
ses fonctions à l'état-major général et au
ministère de la guerre.
Il resta pendant cinq ans environ à la
tête de la marine de l'empire.
Au commencement du règne de Guil-
laume II, il y eut une réorganisation de ce
département, un partage d'attributions en-
tre l'office de la marine à Berlin et le com-
mandement en chef. Il y eut une autre di-
rection donnée au développement de la
flotte, à raison de l'extension de la politi-
que coloniale.
M. de Caprivi fut remplacé dans le com-
mandement par M. le baron de Golz, vice-
amiral, et dans la direction administrative
par le contre-amiral Heusner, ministre d'E-
tat, et fut lui-même envoyé au commande-
ment du 106 corps d'armée, dont le siège
est à Hanovre, en remplacement du prince
royal Albert de Prusse.
Sa retraite n'a pas été une disgrâce, puis-
qu'il se voit aujourd'hui appelé aux plus
hautes fonctions de l'empire.
DERNIÈRE HEURE
(DE NOTRE CORRESPONDANT PARTICULIER)
Berlin, 19 mars.
Le Reichsanzeiger (journal officiel de
l'empire) publiera demain la nomina-
tion de M. Caprivi. La crise s'accentue.
Le comte Herbert persiste dans sa démis-
sion.
LE PRINCE DE SALLES A BERLIN
Paquebot spécial, train spécial, wagon
spécial.
(DE NOTRE CORRESPONDANT PARTICSLIE)
Calais, 19 mars.
Le prince de Galles, accompagné de son
fils, le prince George, du général Ellis, du
capitaine Stevenson, et d'une suite, est
arrivé ce soir par un paquebot spécial de
Douvres à Calais, dont l'avant-port était
brillamment éclairé à la lumière élec-
trique.
Les princes ont été reçus par MM. Thom-
sett, vice-consul d'Angleterre, et Barthélé-
my, inspecteur du Nord, qui les ont con-
duits au Terminus-Hôtel de la gare mari-
time, où un souper était préparé.
Ils sont montés, après le repas, dans le
wagon royal, qui forme un appartement
complet avec salle de bain.
Aussitôt après, le train spécial est parti
directement pour Berlin.
CONFÉRENCE DE BERLIN
Les délégués au Château Royal
(D'UN CORRESPONDANT)
Berlin, 19 mars.
Hier soir, à sept heures, a eu lieu, au Châ-
teau Royal, dans la galerie des tableaux dite
salle des Arts, le diner offert par l'empereur
aux membres de la conférence. Il a été très
brillant
L'empereur avait à sa droite M. Jules Si-
mon et M. Tietgen, délégué danois ; à sa
gauche, M. de Maybach, ministre des tra-
vaux publics, et M. Herbert de Bismarck,
en face de lui, le maréchal de Moltke et M.
de Bœtticher, secrétaire d'Etat à l'office de
l'intérieur.
Le chancelier n'assistait pas au dîner.
L'empereur s'est montré très prévenant
et très affable pour tous les délégués, et no-
tamment pour les délégués français.
Ce soir, les délégués assisteront à une
réception à la cour, et demain ils dîneront
chez M. de Berlepsch.
M. de Bismarck chez les délégués.
Le prince de Bismarck est venu hier pen-
dant la suspension de la séance des com-
missions de la conférence ouvrière, au mo-
ment où les délégués déjeunaient.
Le chancelier s'est entretenu longuement
avec M. Jules Simon, et ensuite avec M. Boc-
cardo, délégué italien, auquel il a dit tex-
tuellement : « Saluez de ma part mon vieil
ami Crispi ; dites-lui que les destinées de
l'Italie resteront toujours liées à celles de
l'Allemagne. »
Comme M. Boccardo lui demandait s'il
pouvait publier cette phrase, M. de Bis-
marck a répondu affirmativement.
Les travaux des commissions
La commission de la conférence qui s'oc-
cupe du travail des enfants a décidé en
principe l'interdiction du travail des en-
fants au-dessous de douze ans. Plusieurs dé-
légués ont déclaré qu'ils devaient deman-
der des instructions a leurs gouvernements
respectifs. -
Dans les autres commissions, le défaut
d'instructions générales se fait également
sentir.
Les délégués ont décidé d'adhérer en
principe aux diverses résolutions, mais
avec réserve d'en référer dans chaque cas
à leurs gouvernements.
La démission de M. Delahaye
d [Le Galignani's Messenger a reçu de Berlin la
dépêche suivante : ]
M. Delahaye a eu un dissentiment avec
ses collègues à propos d'un document s o-
cialiste sur la question ouvrière au point
de vue international, qu'il voulait soumet-
tre à la conférence. Il a remis en consé-
quence sa démission à ses collègues. L'af-
faire a été soumise à M. Herbette, qui en a
référé au ministre des affaires étran-
gères. -
CHRONIQUE
Les journaux ont conté tout dernière-
ment la singulière histoire de ce mono-
mane dont le plaisir était de se faufiler
dans la foule derrière une jeune fille, de
lui couper la natte qui lui pendait sur
les épaules, de s'en emparer et de s'en-
fuir, le coup fait.
Il fut pris un jour sur le fait et arrêté.
Toute dénégation était impossible : il avait
la natte à la main et dans sa poche une
paire de ciseaux. Une perquisition prati-
quée chez lui amena la découverte de
soixante nattes ou tresses de cheveux de
diverses nuances, classées en plusieurs
paquets, sans compter les boucles de che-
paqueqtus, 'il se faisait donner par les fem-
veux
mes de sa connaissance. Il reconnut avoir
coupé ces nattes lui-même à autant de
jeunes filles.
Le juge d'instruction confia l'examen
de ce névropathe à trois médecins légis-
tes, MM. Voisin, Socquet et Mottet. Le
dernier numéro des Archives de l'an-
thropologie criminelle et des sciences pé-
nales nous donne in-extenso le texte du
rapport écrit par ces messieurs. Il m'a
paru bien curieux. Je serai obligé de sup-
primer quelques détails qui peuvent pas-
ser dans une revue scientifique, mais qui,
dans un journal, choqueraient la pu-
deur.
Les trois médecins commencent par
conter l'histoire, ce qu'on appelle en style
judiciaire les antécédents de leur
homme.
Il s'était élevé très facilement, n'ayant
jamais eu de maladie grave; il avait tou-
jours fait preuve d'une rare intelligence ;
on ne lui savait d'autre défaut que d'être
très méticuleux en toutes choses, d'avoir
des manies, comme on dit dans la langue
courante. On n'avait jamais rien eu à
dire de sa conduite, et son enfance même
s'était passée chaste, à l'abri des mau-
vaises habitudes.
Il passe par le Conservatoire des Arts-
et-Métiers et devient bientôt un ouvrier
très habile dans une profession où le mé-
tier confine à l'art, la grande serrure-
rie.
Grâce à son travail et à son économie,
il devient chef de maison et fait de bon-
nes affaires. En 188A il se laisse entraî-
ner, bien que peu entreprenant de ca-
ractère, dans une vaste entreprise de ser-
rurie ; il y perd trois cent mille francs,
tombe malade, et se guérit. Jusque-là on
ne voit pas bien comment de ces détails,
qui sont tout à l'honneur du serrurier,
ces messieurs tireront des prodromes
d'aliénation mentale.
Attendez.
Il paraît que l'homme était d'une na-
ture. timide. Ce point constaté, voici ce
que disent les médecins :
« Comme la plupart des timides, il a eu
des exaltations de sentiments restés pla-
toniques. C'est ainsi qu'il a aimé folle-
ment et successivement, dans des condi-
tions qui rendaient tout mariage à peu
près impossible, d'abord une jeune fille
de quinze ans, puis une jeune veuve;
enfin, — et c'est la dernière en date, —
une autre veuve. A la façon de tous les
érotomanes, il la pare de toutes les qua-
lités imaginables et veut même, dit-il, se
la conserver vierge. Au total, il est arrivé
jusqu'à quarante ans sans avoir eu de
maîtresse, et ce n'est que rarement qu'il
s'est laissé séduire aux propositions des
marchandes d'amour, et il est toujours
sorti de chez elles plus dégoûté que satis-
fait. »
Eh bien ! mais, vous dites-vous en li-
sant ces lignes, voilà un honnête hom-
me, un brave homme et un homme
de cœur. Il a aimé avec respect; ce
n'est pas là, à ce qu'il semble, de la
folie. Il parait la femme qu'il aimait
de toutes les qualités imaginables : c'est
ce que font tous les hommes peu ou prou,
sans être pour cela soupçonnés d'éroto-
manie. La chose même est si générale,
qu'on a créé un mot exprès pour la ca-
ractériser; le mot est de Stendhal. On dit
de l'amant qui prête à sa maîtresse
toutes sortes de charmes, qu'il cristallise.
Il était arrivé à quarante ans sans avoir
eu de maîtresse. Le cas est rare, je veux
bien l'admettre. Mais, si c'est une folie,
ce n'est pas de la folie ! Il avait le dégoût
des Vénus de carrefour ; je sais nombre
de gens très raisonnables qui ont plus
d'une fois senti le même dégoût et sont
sortis de là en murmurant : Faut-il être
malpropre! Et, comme on se parle à soi-
même, on se sert, n'étant tenu à au-
cune considération, d'un mot plus ex-
pressif.
Eh bien ! savez-vous la conclusion que
ces messieurs tirent des prémisses que je
viens d'exposer après eux ?
« Au total, un héréditaire, un prédis-
posé, tranchons le mot : un dégénéré in-
telligent, violemment ébranlé par des
commotions morales, qui précipitent la
déchéance des prédisposés et laissent le
champ libre à des aberrations sexuelles,
bien propres à dérouter ceux qui n'ont
pas été à même d'étudier ces anomalies. »
Oh! çà, oui, je suis dérouté. Pour dé-
routé, il n'y a pas à dire, je le suis.Ainsi,
d avoir été un entant sage, un ouvrier
probe, laborieux, économe, habile dans
son art, d'avoir été tendre et respectueux
pour les femmes, d'être arrivé à quarante
ans sans avoir eu'de maîtresse, — oa est
pour cela un dégénéré, — un dégénéré
intelligent, soit! mais un dégénéré?
Que diable cela peut-il bien être, un
dégénéré intelligent? Le mot me rappelle
la phrase de Jocrisse dans la pièce de Du-
vert et deLausane. Jocrisse ne comprend
pas ce que vient de lui dire son maître :
-Oh! s'écrie-t-il navré, monsieur qui
devient idiot! Quel dommage! Un hom-
me si spirituel ! Ça fera un idiot de bien
de l'esprit 1
< C'est SB l'i&te M TOt 4e
toucher des cheveux de femme. Cela s'ap<
pelle en style médico-légal une impul-
sion. Il ne faut pas croire que nous, qui
ne sommes pas des dégénérés,nous igno
rions ces impulsions. Il nous arrive &
tous, quand nous sommes derrière une
jolie femme, de remarquer un détail de
sa toilette ou de sa personne, et d'avoir
une envie folle d'y porter la main. Nous
y résistons, et c'est à cela que nous sert
notre intelligence. Mais l'intelligence des
dégénérés intelligents ne leur rend pas le
même service. Car le serrurier, lui, céda
une première fois; il coupa sa première
natte, et sentit au contact de cette che-
velure un frémissement voluptueux.
Il recommença donc. Ce fut une sorte
d'obsession. Il a fait ses confidences à ces
messieurs : « Quand une femme sort avec
les cheveux relevés, je reste calme; je na
suis hors de moi et invinciblement attiré
que par les cheveux pendants, ceux que
la main peut prendre. »
« Un homme dans ces conditions est
évidemment malade », concluent grave- -
ment les trois docteurs.
J'avoue que moi, je serais assez de l'a-
vis de M. Guillot, le juge d'instruction •
qui, après avoir écouté la lecture de ce
rapport, fit cette observation, que je
trouve consignée au procès-verbal :
« A côté des malades du genre de celui
dont M. Mottet vient de nous tracer l'inté-
ressante histoire, il convient de distin-
guer des farceurs, des gredins lubriques
qui commettent, en parfaite connaissance
de cause, des actes parfaitement répré-
hensibles et punissables. Ils commencent
par des choses sans grande importance ;
puis ils avancent progressivement d
une voie où ils trouvent la satisfaction
des plus mauvais instincts. »
C'est le juge qui me semble avoir dit le
mot de la situation. Les médecins ont
vraiment une tendance déplorable à voir
partout des aliénés ou des impulsifs, qui
n'ont pas la responsabilité de leurs actes:
Soyez sûrs que cette histoire en suscitera
d'autres du même genre. Le mois pro-
chain, on pincera quelque autre coupeur
de nattes, séduit par l'exemple, encoura-
gé par l'impunité, qui lui aussi fera dire
aux juges par la voix des médecins : « Le
pauvre garçon ! ce n'est pas sa faute ; il
est la victime d'une impulsion irrésisti?
ble. C'est un dégénéré intelligent ! »
Oh! pour ça, oui, intelligent! car Ùp;
aura l'intelligence de se dire qu'il n'y a
pas de raison pour ne pas s'abandoniier
a ses fantaisies, du moment qu'il n'e&
coûte rien.
Francisque Sarcey.
w ASCANIO A L'OPERA
AVANT LA PREMIÈRE
Une première à l'Opéra. — L'Ascanio
de M. Saint-Saëns et le Benvenuto-
Cellini de M. Paul Meurice. —.
Le scénario. — La fête du
jardin des Buys.
Il y a quinze jours, le théâtre des Arts d 1
Rouen donnait Samson et Dalila par M. Ca-
mille Saint-Saëns. Demain, l'Opéra nous
fera entendre Ascanio, la dernière œuvue
du maître.
Un opéra de M. Saint-Saëns, justement
classé parmi les premiers de nos composi-
teUl's, est toujours un régal pour les dilet-
tanti. L'intérêt et la curiosité sont, cette fois1
doublés par la mystérieuse disparition du
maître, dont la famille elle-même et les
amis les plus intimes ignorent la retraite.
Notre éminent collaborateur M. Henry
Fouquier a parlé, dans sa Vie à Paris, de
cette disparition ; nos renseignements nous
permettent d'affirmer que M. Saint-Saëns
est, en effet, très malade, sinon d'esprit, du
moins de corps, et sa santé gravement
compromise lui interdit rigoureusement le
séjour de Paris pendant la mauvaise sai-
son.
En l'absence du compositeur, son colla-
borateur, M. Louis Gallet, l'auteur du poème
d'Ascanio, nous ayant autorisé à commettre
les plus grosses indiscrétions, nous allons
donner une rapide analyse du sujet, d'ail-
leurs assez connu, grâce au roman fameux
d'Alexandre Dumas.
Le poëme d'Ascanio a été tiré par M. Louis
Gallet du drame de M. Paul Meurice, Ben-
vennuto Cellini, qui fut représenté à la Porte-
Saint-Martin le 1er avril 1852.
On croit généralement que M. Meurice a
fait ce drame d'après le roman d'Alexandre
"Dumas qui porte le même titre que l'opéra
de demain. Il n'en est rien. S'il y a entre
le drame et le roman de grands points de
ressemblance, c'est uniquement parce que
les auteurs ont puisé leur sujet a la même
source, c'est-à-dire dans les Mémoires de
Benvenuto Cellini, où figurent les princi-
paux épisodes et les principaux personna-
ges du roman et du drame.
Le livret de M. Gallet
Dans le livret de M. Gallet, l'action se
passe à Paris, sous le règne de François Ier,
en 1539.
Le premier tableau nous montre les ate-
liers de Benvenuto Cellini, orfèvre du roi
L'élève préféré de Benvenuto est Ascanio
des Gaddi, un jeune Florentin que le grand
artiste a recueilli orphelin, et qu'il consi-
dère presque comme son enfant.
Scozzone, la maltresse de Benvenuto, le
prévient qu'un grand danger menace le
jeune homme. La duchesse d'Etampes, fa.
vorite de François 1er, est violemment
éprise d'Ascanio, à qui cet amour ne peut
qu'être fatal; tous les amants de la duchesse
ne tardent pas à succomber, tantôt par or-
dre du roi, tantôt par ordre de la favorite
elle-même.
Ascanio a reçu, le matin même, une let-
tre de femme, sans signature, lui donnant
un rendez-vous. Cette lettre est sans doute
de la duchesse. Benvenuto ira, lui aussi, au
rendez-vous, pour protéger Ascanio.
L'atelier de Benvenuto
François Ier vient visiter les ateliers ds
son orfèvre, accompagné de la favorite et
de toute sa cour. Il s'extasie sur toutes les
œuvres du maître et surtout sur le modèle
en argile d'une magnifique statue de Jltp
ter. Le roi demande à Benvenuto de fondrd
en or cette statue; mais il faut de grande
ateliers pour ce travail considérable, et
François Ior met le Grand-Nesle à la dispo-
sition de l'artiste.
9.ijl..t».¡;sJ la 4che..i\!
-CIRO Centinles ,_: Paris et Départements — CINQ centimes
^EN"DREDI2I MARS 1890
JOURNAL RPUBLICAIN :
RÉDACTION
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- DIRECTEUR POLITIQUE
A. •Edouard PORTALIS
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&*-. : XIX* SIÈCLE - PABIB
Lesuccesseur ûe M. ûe Bismerck
LE GÉNÉRAL OE CAPRIVi
; LA CONFÉRENCE DE BERLIN
« ASCANIO » A L'OPÉRA -
LE CRIME DE BOULOGNE
LE RENOUVELLEMENT
PARTIEL
M. Gustave Rivet vient de saisir la
Chambre d'une proposition de loi
qu'il avait déposée à la législature
précédente, où elle ne fut pas discutée.
L'analyse en tient en deux lignes :
Au lieu d'être de quatre années, le
mandat législatif serait de six années.
La Chambre serait renouvelée par
tiers tous les deux ans. Les départe-
ments se diviseraient en trois séries,
en suivant l'ordre alphabétique, com-
me on fait pour le Sénat.
M. Rivet n'apporte à l'appui de sa
proposition qu'une seule raison, sur
laquelle il s'appesantit. Reconnais-
sons, du reste, qu'elle est des plus sé-
rieuses •
Le renouvellement intégral a ce
premier et gros inconvénient : une fois
arrivée la fin de la législature, tou-
tes les réformes à l'étude s'évanouis-
sent sans laisser plus de traces qu'une
fumée dans l'air. Ce sera affaire à la
Chambre nouvelle de les reprendre
ab ovo, comme si jamais il n'en avait
été question,et de les conduire à com-
plète réalisation, si toutefois le temps
le lui permet. Sinon, ses successeurs
pourront se charger de ce soin. C'est
la chanson du petit mousse mise en
action.
Le renouvellement partiel aurait
l'incontestable avantage d'apporter
un terme à cet abus. Ce ne serait pas
son seul mérite. Dans la situation
présente des partis dans notre pays,
chaque renouvellement intégral met
en question la forme même du gou-
vernement.
Les partis ne luttent pas seulement
pour ou contre la réalisation de telle
ou telle réforme, le triomphe de telle
ou telle politique. C'est la République
même qui est discutée.
Des circonstances passagères, des
incidents de campagne électorale, une
manœuvre de la dernière heure adroi-
tement combinée, peuvent décider le
succès de l'opposition anti-constitu-
tionnelle.
Le renouvellement partiel prévient
toute surprise de ce genre. N'est-il
donc point sans inconvénients? Ce
n'est pas notre avis. Entendu ainsi
que le conçoit M. Rivet, il prête le
flanc à une première obj ection qui est
grave : -
Le mandat législatif dure aujour-
d'hui quatre années. C'est une période
déjà longue. D'après la proposition
de loi, ce n'est plus que tous les six
ans que le suffrage universel serait
appelé à élire, ses représentants.
Autre inconvénient capital: Jamais
la France entière ne serait appelée à
exprimer en même temps son opinion
et à faire connaître ses volontés. Il n'y
aurait que des morceaux de région,
choisis au hasard de l'alphabet, qui
tous les deux ans seraient consultés.
Or, à nos yeux, la consultation du
pays tout entier à chaque renouvelle-
ment partiel est une condition sine qua
non, condition qui implique le réta-
blissement du scrutin de liste. Tous
les deux ans, chaque circonscription
serait appelée à renouveler le tiers de
sa représentation.
On pourrait faire observer que ces
modifications peuvent être apportées
à la proposition Rivet, et que leur
adoption ne ferait point échec au
principe même du renouvellement par-
tiel.
Il est vrai. Mais ce projet appelle
une autre critique qu'on ne manqua
pas de lui adresser le jour où il fit son
apparition devant la dernière législa-
ture.
Le renouvellement partiel est, à
notre sens, indispensable avec une
Chambre unique. Il en est le correctif
nécessaire.
Mais la Constitution de 1875 com-
porte, outre la Chambre, un Sénat,
qui fait même parler de lui. ci Je ren-
verse les ministères, donc je suis. »
Qu'on approuve ou qu'on blâme
l'institution d'une seconde Chambre,
on doit être d'accord sur les consé-
quences de son existence. Elle joue
, dans la machine constitutionnelle le
rôle d'un frein. Les gens qui n'ont
- pas la bosse du respect ont été jusqu'à
« la traiter de sabot.
L : Les échos des réunions publiques et
ceux du Palais-Bourbon ont à plus
d'une reprise retenti des imprécations
lancées à l'Assemblée du Luxem-
bourg, qu'on accusait de tout enrayer.
Admirez la logique. Voici que, sous
prétexte de rendre la marche en avant
plus régulière et plus rapide, on pro-
pose d'ajouter à ce premier frein : le
Sénat, ce second : le renouvellement
partiel. C'est pour le coup que le fa-
meux char de l'Etat risquerait de de-
meurer en détresse. *
Mais, si l'on veut introduire dans
notre organisme constitutionnel ce
rouage délicat et compliqué qui s'ap-
pelle le renouvellement partiel, né-
cessité s'impose de modifier tout le
mécanisme. Il faut faire la revision de
la Constitution.
Aussi bien, il ne nous paraît guère
possible de résoudre par une autre
voie le problème qu'on soulève. Si ja-
mais une question a été d'ordre cons-
titutionnel, c'est bien celle-là.
Assurément, il ne saurait être ques-
tion pour les députés d'allonger eux-
mêmes la durée de leur man-
dat et de s'adjuger deux années sup-
plémentaires d'existence législative.
Mais il nous paraîtrait presque aussi
dangereux de laisser voter, même pour
l'avenir, comme une loi d'intérêt lo-
cal; une proposition au premier chef
constitutionnelle. Aussi croyons-nous
que la Chambre agira sagement en
écartant le projet qui lui est pré-
senté.
A. Millerand.
Le XIXe SIUCLE publiera demain la
* Vie de Paris » par Henry Foucrnipr.
LE PACTE ROMPU
La déclaration ministérielle a été ac-
cueillie dans la presse, comme elle l'avait
été à la Chambre, sans grand enthou-
siasme, mais aussi sans grande colère,
même de la part des journaux monar-
chistes.
En revanche, l'attitude de M. Léon Say
a eu le don d'exaspérer ceux avec les-
quels, hier encore, il faisait campagne et
dont il soutenait les candidats, notam-
ment dans l'arrondissement de Gien. M.
de Cassagnac ne pardonne pas à M. Say
d'avoir voté pour le cabinet. "Ce spectacle
des modérés, dit-il, s'aplatissant sous la
cravache, rampant sous le bâton ; ce spec-
tacle des éternels crapauds du marais,
ventre à terre devant les grondements
de la Montagne, nous l'avions déjà vu,
nous le verrons encore, mais toujours
nous le verrons avec le même dégoût, le
même écœurement, le même mépris ! »
« Et dire, ajoute M. de Cassagnac, que
c'est avec ces gens-là qu'on voulait que la
Droite contractât une alliance, fit un
pacte, s'engageât pour constituer une
majorité de gouvernement! Ça n'a ni
courage, ni franchise, ni honnêteté! »
Peut-être le public naïf se demandera-
t-il, après ces vitupérations, comment il
se fait que l'Union libérale fasse voter
pour les candidats de M. Paul de Cassa-
gnac et que M. Paul de Cassagnac fasse
voter pour les candidats de l'Union libé-
rale, c'est-à-dire pour les candidats d'un
parti auquel il ne reconnaît ni courage,
ni franchise, ni honnêteté.
Toujours est-il que le pacte paraît
aujourd'hui rompu. Pour combien de
temps ?
SACRE D'UN ÉVÉQUE
La cérémonie. — M. Sonnois.
(DE NOTRE CORRESPONDANT PARTICULIER)
Auxonne, 19 mars.
Aujourd'hui a eu lieu, dans l'église pa-
roissiale d'Auxonne, le sacre de M. Son-
nois, évêque de Samt-Dié.
L'évêque consécrateur, M. Lecot, évêque
de Dijon, était assisté des évêques Marpot
et Larue, de Saint-Claude et de Langres.
La cérémonie a commencé à huit heures.
Parmi les notabilités, on remarquait MM.
Noblemaire, directeur de la Compagnie
P.-L.-M.; les généraux de Cointet, comman-
dant la 8e brigade de cavalerie ; Delorme,
sous-chef de la remonte au ministère de la
guerre ; La veuve, commandant la ua bri-
gade d'infanterie.
Parmi les membres de la famille de l'évê-
que, se trouvaient le général et le colonel
Sonnois, commandant le 506 de ligne, pa-
rents du nouvel évêque.
Une députation des conseillers généraux
des Vosges, notamment M. Pierre Buffet,
ex-ministre, et le curé de Domrémy assis-
taient à la cérémonie.
Après la cérémonie liturgique, le nou-
veau prélat a donné sa première bénédic-
tion, l'adressant d'abord à son frère, l'aîné
de sa famille, le général Sonnois.
Il a été ensuite fait honneur à un grand
déjeuner, pendant lequel M. Boulonnier
conseiller général des Vosges, a porté un
toast à la mémoire de Jeanne d'Arc.
EPOUVANTABLE INFANTICIDE
Un monstre. — Trois arrestations.
(DE NOTRE CORRESPONDANT PARTICULIER)
Saumur, 19 mars.
Un infanticide a été commis à Saumur
dans des circonstances particulièrement
atroces.
Une enfant de quatorze ans et demi, Cé-
line Boche, accouchait dans la nuit de
vendredi à samedi dernier. Elle décidait
aussitôt de se débarrasser du petit être.
Pour étouffer ses cris, elle posa un pied
sur sa tête ; de l'autre, elle lui défonça la
paroi antérieure de la cage thoracique- En-
suite, elle enferma le cadavre ainsi broyé
dans une boîte; mais, la boîte étant trop
courte, elle coupa la tête et les membres.
La fille Boche, sa mère et son amaut ont
été arrêtés. Ces deux derniers seraient com-
plices dans cette çpouyaûfëWe besogne. À
LA RETRAITE
DE M. DE BISMARCK
LE GÉNÉRAL DE CAPRIVI
Les commentaires de la presse. — Im-
pressions mitigées.— La successeur
du chancelier
(DE NOTRE CORRESPONDANT PARTICULIER)
Berlin, 19 mars.
La démission du prince de Bismarck fait
presque oublier la conférence. La première
page de tous les journaux est consacrée à
cet événement.
Chose caractéristique, les feuilles natio-
nales libérales ou conservatrices libérales
de la nuance de la Post expriment seules
des regrets sans mélange.
Les feuilles conservatrices telles que la
Gazette de la Croix, progressistes de la cou-
leur de la Gazette de Voss, oa démocratiques
comme la Gazette du peuple et la Gazette
libérale, après quelques mots d'éloge et de
reconnaissance pour le principal fondateur
du nouvel empire, s'accordent, chacune à
son point de vue, à condamner la politique
intérieure du chancelier comme exclusive,
intolérante, destructive de toute indépen-
dance personnelle. Elles considèrent son
départ presque comme une délivrance,
ajoutant que quant à la politique extérieure,
la situation internationale qu'il a créée res-
tera inébranlable avec le jeuné empe-
reur.
Le successeur désigné du prince de Bis-
marck est le général de Caprivi, ancien chef
de l'amirauté, qui est âgé de 59 ans. Il hé-
site cependant à accepter cette succession.
On parle aussi du.comte de Munster, l'am-
bassadeur actuel d'Allemagne en France.
L'empereur aurait dit, à propos du géné-
ral de Caprivi, qu'il pensait, comme Frédé-
ric le Grand, que le meilleur ministre des
affaires étrangères est un général, puisqu'il
sait jusqu'où il peut aller avec l'armée der-
rière lui.
Les journaux russes expriment l'espoir
que l'Allemagne suivra dorénavent une
nouvelle direction, plus favorable à la
Russie, dont M. de Bismarck a toujours été
l'adversaire caché.
Les motifs de la d'émission
(D'UN CORRESPOND VNT) -
Berlin, 19 mars.
Une dépêche de Berlin à la Gazette de
Cologne confirme que l'empereur a accepté
la démission du prince de Bismarck de ses
fonctions dë chancelier et de président du
conseil des ministres prussien. *
Le prince, d'après cette dépêche, a expli-
qué les motifs de sa démission dans un
mémoire de vingt pages qu'il a remis à
l'empereur.
Selon le Gazette nationale, au contraire,
la démission du chancelier est formulée
d'une façon très brève, et M. de Bismarck ne
donne pas d'autre motif que son état de
santé et son grand âge.
D'après des informations de source auto-
risée, le général de Caprivi aurait accepté
de succéder au prince de Bismarck.
Le comte de Bismarck
La démission du comte Herbert de Bis-
marck a été acceptée. On dit que l'am-
bassade de Constantinople lui sera offerte.
On désigne le comte Berchem, directeur
au ministère des affaires étrangères et an-
cien consul général à Buda-Pest, comme
devant remplacer le comte Herbert de
Bismarck en qualité de secrétaire d'Etat.
On parle aussi de M. de Rondowitz, am-
bassadeur à Constantinople, ou du comte
de Hatzfeldt, ambassadeur à Londres, et qui
a précédé le comte Herbert de Bismarck
aux affaires étrangères.
L'empereur et ses conseillers
Les ministres sont réunis en conseil, a
la Chambre des députés, depuis 3 h. 15 de
l'après-midi, sous la présidence de M. de
Bœtticher, vice-président du conseil.
Bien que le Reichsanzeiger de ce soir an-
nonce seulement que le général de Caprivi
a conféré avec l'empereur, on donne comme
certain que ce personnage succédera au
prince de Bismarck comme chancelier de
l'empire, et peut-être aussi comme prési-
dent du conseil des ministres prussien.
Le feld-maréchal de Moltke, les généraux
commandants de corps, les généraux ins-
pecteurs et les aides de camp généraux
assistaient à la conférence militaire qui a
eu lieu hier chez l'empereur.
LE NOUVEAU CHANCELIER
La carrière militaire du général de
Caprivi — A l'état-major. — A la
* - marine.
Nous recevons, à la dernière heure, la dé-
pêche suivante de Berlin :
Le général de Caprivi est nommé chance-
lier. Cette nomination fait une grande im-
pression. C'est l'avènement au pouvoir du
parti militaire avec toutes ses conséquen-
ces.
Le général Georges-Léon Caprivi de Ca-
prara de Montecuculli, aujourd'hui com-
mandant le 10e corps d'armée, de Hanovre,
et ancien chef de l'amirauté allemande, est
né à Berlin le U février 1831.
Son père était conseiller autribunal su-
périeur.
Après avoir fait ses études au gymnase
de Werder, il entra le 1er avril 18A9 dans le
régiment François-Joseph des grenadiers
de la garde, où il fut nommé lieutenant en
second en 1850, après avoir passé par l'E-
cole de guerre.
Il passa lieutenant en premier en 1859. Il
fut attaché à l'état-major en 1861. Nommé
en 1863 chef de compagnie, il rentra en 1866
dans l'état-major avec le grade de comman-
dant, et fit la campagne de Bohême dans
l'état-major du commandement en chef de la
lre armée.
Il fit la guerre de 1870 avec le grade de
lieutenant-colonel, comme chef d'état-ma-
jor du 1er corps d'armée.
En 187% il fut, comme colonel, installé
chef d'une des divisions du ministère de la
guerre. Elu en 1877 au grade de major gé-
néral, il fut chargé, l'anné suivante, du
commandement d'une brigade d'infanterie
à Stettin, et passa, en 1881, au comman-
dement d'une brigade d'infanterie de la
garde, à Berlin.
En
garde, décembre 1882, il devenait lieutenant
général et commandapt de la 308 division,
a Metz.
Un amiral en éperons
En mai 1883, après la retraite du géné-
ral de Stosch, chef du département de la
miUine. usé par huit ans de luttes person-
nelles contre M. de Bismarck, le général de
Caprivi fut appelé à la direction de l'ami-
rauté allemande, rang équivalant à celui
de ministre.
Pour avoir un titr^ adapté à ses fonc-
tions, il fut bombardé vice-amiral, ce qui -
détermina plusieurs démissions et deman-
des de mise à la retraite de la part des plus
vieux officiers de la marine, arrivés seule-
ment au rang de contre-amiral et froissés
de voir le commandement supérieur de la
marine passer des mains d'un général d'in-
fanterie à celles d'un autre général.
Il existe du reste dans la marine, comme
dans l'armée allemande, une règle non
écrite, mais inflexible : c'est que l'avance-
ment ne peut faire passer un officier par-
dessus la tête d'officiers plus anciens que
lui. Lorsque le fait se produit, l'officier le
plus ancien est moralement obligé de de-
mander sa retraite. L'avancement du géné-
ral Caprivi au-dessus d'officiers supérieurs
du moins plus anciens, fut considéré par
ceux-ci comme une raison obligatoire de
retraite.
Après cette petite révolution dans le com-
mandement de la marine allemande, M. de
Caprivi s'initia rapidement aux choses ma-
ritimes, auxquelles il avait été étranger
jusque-là.
Il déploya dans son poste des qualités
remarquables d'administrateur, dont il
avait fait l'apprentissage et l'exercice dans
ses fonctions à l'état-major général et au
ministère de la guerre.
Il resta pendant cinq ans environ à la
tête de la marine de l'empire.
Au commencement du règne de Guil-
laume II, il y eut une réorganisation de ce
département, un partage d'attributions en-
tre l'office de la marine à Berlin et le com-
mandement en chef. Il y eut une autre di-
rection donnée au développement de la
flotte, à raison de l'extension de la politi-
que coloniale.
M. de Caprivi fut remplacé dans le com-
mandement par M. le baron de Golz, vice-
amiral, et dans la direction administrative
par le contre-amiral Heusner, ministre d'E-
tat, et fut lui-même envoyé au commande-
ment du 106 corps d'armée, dont le siège
est à Hanovre, en remplacement du prince
royal Albert de Prusse.
Sa retraite n'a pas été une disgrâce, puis-
qu'il se voit aujourd'hui appelé aux plus
hautes fonctions de l'empire.
DERNIÈRE HEURE
(DE NOTRE CORRESPONDANT PARTICULIER)
Berlin, 19 mars.
Le Reichsanzeiger (journal officiel de
l'empire) publiera demain la nomina-
tion de M. Caprivi. La crise s'accentue.
Le comte Herbert persiste dans sa démis-
sion.
LE PRINCE DE SALLES A BERLIN
Paquebot spécial, train spécial, wagon
spécial.
(DE NOTRE CORRESPONDANT PARTICSLIE)
Calais, 19 mars.
Le prince de Galles, accompagné de son
fils, le prince George, du général Ellis, du
capitaine Stevenson, et d'une suite, est
arrivé ce soir par un paquebot spécial de
Douvres à Calais, dont l'avant-port était
brillamment éclairé à la lumière élec-
trique.
Les princes ont été reçus par MM. Thom-
sett, vice-consul d'Angleterre, et Barthélé-
my, inspecteur du Nord, qui les ont con-
duits au Terminus-Hôtel de la gare mari-
time, où un souper était préparé.
Ils sont montés, après le repas, dans le
wagon royal, qui forme un appartement
complet avec salle de bain.
Aussitôt après, le train spécial est parti
directement pour Berlin.
CONFÉRENCE DE BERLIN
Les délégués au Château Royal
(D'UN CORRESPONDANT)
Berlin, 19 mars.
Hier soir, à sept heures, a eu lieu, au Châ-
teau Royal, dans la galerie des tableaux dite
salle des Arts, le diner offert par l'empereur
aux membres de la conférence. Il a été très
brillant
L'empereur avait à sa droite M. Jules Si-
mon et M. Tietgen, délégué danois ; à sa
gauche, M. de Maybach, ministre des tra-
vaux publics, et M. Herbert de Bismarck,
en face de lui, le maréchal de Moltke et M.
de Bœtticher, secrétaire d'Etat à l'office de
l'intérieur.
Le chancelier n'assistait pas au dîner.
L'empereur s'est montré très prévenant
et très affable pour tous les délégués, et no-
tamment pour les délégués français.
Ce soir, les délégués assisteront à une
réception à la cour, et demain ils dîneront
chez M. de Berlepsch.
M. de Bismarck chez les délégués.
Le prince de Bismarck est venu hier pen-
dant la suspension de la séance des com-
missions de la conférence ouvrière, au mo-
ment où les délégués déjeunaient.
Le chancelier s'est entretenu longuement
avec M. Jules Simon, et ensuite avec M. Boc-
cardo, délégué italien, auquel il a dit tex-
tuellement : « Saluez de ma part mon vieil
ami Crispi ; dites-lui que les destinées de
l'Italie resteront toujours liées à celles de
l'Allemagne. »
Comme M. Boccardo lui demandait s'il
pouvait publier cette phrase, M. de Bis-
marck a répondu affirmativement.
Les travaux des commissions
La commission de la conférence qui s'oc-
cupe du travail des enfants a décidé en
principe l'interdiction du travail des en-
fants au-dessous de douze ans. Plusieurs dé-
légués ont déclaré qu'ils devaient deman-
der des instructions a leurs gouvernements
respectifs. -
Dans les autres commissions, le défaut
d'instructions générales se fait également
sentir.
Les délégués ont décidé d'adhérer en
principe aux diverses résolutions, mais
avec réserve d'en référer dans chaque cas
à leurs gouvernements.
La démission de M. Delahaye
d [Le Galignani's Messenger a reçu de Berlin la
dépêche suivante : ]
M. Delahaye a eu un dissentiment avec
ses collègues à propos d'un document s o-
cialiste sur la question ouvrière au point
de vue international, qu'il voulait soumet-
tre à la conférence. Il a remis en consé-
quence sa démission à ses collègues. L'af-
faire a été soumise à M. Herbette, qui en a
référé au ministre des affaires étran-
gères. -
CHRONIQUE
Les journaux ont conté tout dernière-
ment la singulière histoire de ce mono-
mane dont le plaisir était de se faufiler
dans la foule derrière une jeune fille, de
lui couper la natte qui lui pendait sur
les épaules, de s'en emparer et de s'en-
fuir, le coup fait.
Il fut pris un jour sur le fait et arrêté.
Toute dénégation était impossible : il avait
la natte à la main et dans sa poche une
paire de ciseaux. Une perquisition prati-
quée chez lui amena la découverte de
soixante nattes ou tresses de cheveux de
diverses nuances, classées en plusieurs
paquets, sans compter les boucles de che-
paqueqtus, 'il se faisait donner par les fem-
veux
mes de sa connaissance. Il reconnut avoir
coupé ces nattes lui-même à autant de
jeunes filles.
Le juge d'instruction confia l'examen
de ce névropathe à trois médecins légis-
tes, MM. Voisin, Socquet et Mottet. Le
dernier numéro des Archives de l'an-
thropologie criminelle et des sciences pé-
nales nous donne in-extenso le texte du
rapport écrit par ces messieurs. Il m'a
paru bien curieux. Je serai obligé de sup-
primer quelques détails qui peuvent pas-
ser dans une revue scientifique, mais qui,
dans un journal, choqueraient la pu-
deur.
Les trois médecins commencent par
conter l'histoire, ce qu'on appelle en style
judiciaire les antécédents de leur
homme.
Il s'était élevé très facilement, n'ayant
jamais eu de maladie grave; il avait tou-
jours fait preuve d'une rare intelligence ;
on ne lui savait d'autre défaut que d'être
très méticuleux en toutes choses, d'avoir
des manies, comme on dit dans la langue
courante. On n'avait jamais rien eu à
dire de sa conduite, et son enfance même
s'était passée chaste, à l'abri des mau-
vaises habitudes.
Il passe par le Conservatoire des Arts-
et-Métiers et devient bientôt un ouvrier
très habile dans une profession où le mé-
tier confine à l'art, la grande serrure-
rie.
Grâce à son travail et à son économie,
il devient chef de maison et fait de bon-
nes affaires. En 188A il se laisse entraî-
ner, bien que peu entreprenant de ca-
ractère, dans une vaste entreprise de ser-
rurie ; il y perd trois cent mille francs,
tombe malade, et se guérit. Jusque-là on
ne voit pas bien comment de ces détails,
qui sont tout à l'honneur du serrurier,
ces messieurs tireront des prodromes
d'aliénation mentale.
Attendez.
Il paraît que l'homme était d'une na-
ture. timide. Ce point constaté, voici ce
que disent les médecins :
« Comme la plupart des timides, il a eu
des exaltations de sentiments restés pla-
toniques. C'est ainsi qu'il a aimé folle-
ment et successivement, dans des condi-
tions qui rendaient tout mariage à peu
près impossible, d'abord une jeune fille
de quinze ans, puis une jeune veuve;
enfin, — et c'est la dernière en date, —
une autre veuve. A la façon de tous les
érotomanes, il la pare de toutes les qua-
lités imaginables et veut même, dit-il, se
la conserver vierge. Au total, il est arrivé
jusqu'à quarante ans sans avoir eu de
maîtresse, et ce n'est que rarement qu'il
s'est laissé séduire aux propositions des
marchandes d'amour, et il est toujours
sorti de chez elles plus dégoûté que satis-
fait. »
Eh bien ! mais, vous dites-vous en li-
sant ces lignes, voilà un honnête hom-
me, un brave homme et un homme
de cœur. Il a aimé avec respect; ce
n'est pas là, à ce qu'il semble, de la
folie. Il parait la femme qu'il aimait
de toutes les qualités imaginables : c'est
ce que font tous les hommes peu ou prou,
sans être pour cela soupçonnés d'éroto-
manie. La chose même est si générale,
qu'on a créé un mot exprès pour la ca-
ractériser; le mot est de Stendhal. On dit
de l'amant qui prête à sa maîtresse
toutes sortes de charmes, qu'il cristallise.
Il était arrivé à quarante ans sans avoir
eu de maîtresse. Le cas est rare, je veux
bien l'admettre. Mais, si c'est une folie,
ce n'est pas de la folie ! Il avait le dégoût
des Vénus de carrefour ; je sais nombre
de gens très raisonnables qui ont plus
d'une fois senti le même dégoût et sont
sortis de là en murmurant : Faut-il être
malpropre! Et, comme on se parle à soi-
même, on se sert, n'étant tenu à au-
cune considération, d'un mot plus ex-
pressif.
Eh bien ! savez-vous la conclusion que
ces messieurs tirent des prémisses que je
viens d'exposer après eux ?
« Au total, un héréditaire, un prédis-
posé, tranchons le mot : un dégénéré in-
telligent, violemment ébranlé par des
commotions morales, qui précipitent la
déchéance des prédisposés et laissent le
champ libre à des aberrations sexuelles,
bien propres à dérouter ceux qui n'ont
pas été à même d'étudier ces anomalies. »
Oh! çà, oui, je suis dérouté. Pour dé-
routé, il n'y a pas à dire, je le suis.Ainsi,
d avoir été un entant sage, un ouvrier
probe, laborieux, économe, habile dans
son art, d'avoir été tendre et respectueux
pour les femmes, d'être arrivé à quarante
ans sans avoir eu'de maîtresse, — oa est
pour cela un dégénéré, — un dégénéré
intelligent, soit! mais un dégénéré?
Que diable cela peut-il bien être, un
dégénéré intelligent? Le mot me rappelle
la phrase de Jocrisse dans la pièce de Du-
vert et deLausane. Jocrisse ne comprend
pas ce que vient de lui dire son maître :
-Oh! s'écrie-t-il navré, monsieur qui
devient idiot! Quel dommage! Un hom-
me si spirituel ! Ça fera un idiot de bien
de l'esprit 1
< C'est SB l'i&te M TOt 4e
toucher des cheveux de femme. Cela s'ap<
pelle en style médico-légal une impul-
sion. Il ne faut pas croire que nous, qui
ne sommes pas des dégénérés,nous igno
rions ces impulsions. Il nous arrive &
tous, quand nous sommes derrière une
jolie femme, de remarquer un détail de
sa toilette ou de sa personne, et d'avoir
une envie folle d'y porter la main. Nous
y résistons, et c'est à cela que nous sert
notre intelligence. Mais l'intelligence des
dégénérés intelligents ne leur rend pas le
même service. Car le serrurier, lui, céda
une première fois; il coupa sa première
natte, et sentit au contact de cette che-
velure un frémissement voluptueux.
Il recommença donc. Ce fut une sorte
d'obsession. Il a fait ses confidences à ces
messieurs : « Quand une femme sort avec
les cheveux relevés, je reste calme; je na
suis hors de moi et invinciblement attiré
que par les cheveux pendants, ceux que
la main peut prendre. »
« Un homme dans ces conditions est
évidemment malade », concluent grave- -
ment les trois docteurs.
J'avoue que moi, je serais assez de l'a-
vis de M. Guillot, le juge d'instruction •
qui, après avoir écouté la lecture de ce
rapport, fit cette observation, que je
trouve consignée au procès-verbal :
« A côté des malades du genre de celui
dont M. Mottet vient de nous tracer l'inté-
ressante histoire, il convient de distin-
guer des farceurs, des gredins lubriques
qui commettent, en parfaite connaissance
de cause, des actes parfaitement répré-
hensibles et punissables. Ils commencent
par des choses sans grande importance ;
puis ils avancent progressivement d
une voie où ils trouvent la satisfaction
des plus mauvais instincts. »
C'est le juge qui me semble avoir dit le
mot de la situation. Les médecins ont
vraiment une tendance déplorable à voir
partout des aliénés ou des impulsifs, qui
n'ont pas la responsabilité de leurs actes:
Soyez sûrs que cette histoire en suscitera
d'autres du même genre. Le mois pro-
chain, on pincera quelque autre coupeur
de nattes, séduit par l'exemple, encoura-
gé par l'impunité, qui lui aussi fera dire
aux juges par la voix des médecins : « Le
pauvre garçon ! ce n'est pas sa faute ; il
est la victime d'une impulsion irrésisti?
ble. C'est un dégénéré intelligent ! »
Oh! pour ça, oui, intelligent! car Ùp;
aura l'intelligence de se dire qu'il n'y a
pas de raison pour ne pas s'abandoniier
a ses fantaisies, du moment qu'il n'e&
coûte rien.
Francisque Sarcey.
w ASCANIO A L'OPERA
AVANT LA PREMIÈRE
Une première à l'Opéra. — L'Ascanio
de M. Saint-Saëns et le Benvenuto-
Cellini de M. Paul Meurice. —.
Le scénario. — La fête du
jardin des Buys.
Il y a quinze jours, le théâtre des Arts d 1
Rouen donnait Samson et Dalila par M. Ca-
mille Saint-Saëns. Demain, l'Opéra nous
fera entendre Ascanio, la dernière œuvue
du maître.
Un opéra de M. Saint-Saëns, justement
classé parmi les premiers de nos composi-
teUl's, est toujours un régal pour les dilet-
tanti. L'intérêt et la curiosité sont, cette fois1
doublés par la mystérieuse disparition du
maître, dont la famille elle-même et les
amis les plus intimes ignorent la retraite.
Notre éminent collaborateur M. Henry
Fouquier a parlé, dans sa Vie à Paris, de
cette disparition ; nos renseignements nous
permettent d'affirmer que M. Saint-Saëns
est, en effet, très malade, sinon d'esprit, du
moins de corps, et sa santé gravement
compromise lui interdit rigoureusement le
séjour de Paris pendant la mauvaise sai-
son.
En l'absence du compositeur, son colla-
borateur, M. Louis Gallet, l'auteur du poème
d'Ascanio, nous ayant autorisé à commettre
les plus grosses indiscrétions, nous allons
donner une rapide analyse du sujet, d'ail-
leurs assez connu, grâce au roman fameux
d'Alexandre Dumas.
Le poëme d'Ascanio a été tiré par M. Louis
Gallet du drame de M. Paul Meurice, Ben-
vennuto Cellini, qui fut représenté à la Porte-
Saint-Martin le 1er avril 1852.
On croit généralement que M. Meurice a
fait ce drame d'après le roman d'Alexandre
"Dumas qui porte le même titre que l'opéra
de demain. Il n'en est rien. S'il y a entre
le drame et le roman de grands points de
ressemblance, c'est uniquement parce que
les auteurs ont puisé leur sujet a la même
source, c'est-à-dire dans les Mémoires de
Benvenuto Cellini, où figurent les princi-
paux épisodes et les principaux personna-
ges du roman et du drame.
Le livret de M. Gallet
Dans le livret de M. Gallet, l'action se
passe à Paris, sous le règne de François Ier,
en 1539.
Le premier tableau nous montre les ate-
liers de Benvenuto Cellini, orfèvre du roi
L'élève préféré de Benvenuto est Ascanio
des Gaddi, un jeune Florentin que le grand
artiste a recueilli orphelin, et qu'il consi-
dère presque comme son enfant.
Scozzone, la maltresse de Benvenuto, le
prévient qu'un grand danger menace le
jeune homme. La duchesse d'Etampes, fa.
vorite de François 1er, est violemment
éprise d'Ascanio, à qui cet amour ne peut
qu'être fatal; tous les amants de la duchesse
ne tardent pas à succomber, tantôt par or-
dre du roi, tantôt par ordre de la favorite
elle-même.
Ascanio a reçu, le matin même, une let-
tre de femme, sans signature, lui donnant
un rendez-vous. Cette lettre est sans doute
de la duchesse. Benvenuto ira, lui aussi, au
rendez-vous, pour protéger Ascanio.
L'atelier de Benvenuto
François Ier vient visiter les ateliers ds
son orfèvre, accompagné de la favorite et
de toute sa cour. Il s'extasie sur toutes les
œuvres du maître et surtout sur le modèle
en argile d'une magnifique statue de Jltp
ter. Le roi demande à Benvenuto de fondrd
en or cette statue; mais il faut de grande
ateliers pour ce travail considérable, et
François Ior met le Grand-Nesle à la dispo-
sition de l'artiste.
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