Titre : Le XIXe siècle : journal quotidien politique et littéraire / directeur-rédacteur en chef : Gustave Chadeuil
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1890-03-16
Contributeur : Chadeuil, Gustave (1821-1896). Directeur de publication
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Description : 16 mars 1890 16 mars 1890
Description : 1890/03/16 (A19,N6635). 1890/03/16 (A19,N6635).
Droits : Consultable en ligne
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Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-199
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 09/04/2013
v. JC-neuviérçie aimee. — N° 6,635 CINQ Centimes- Paris et Départements - CINQ Centimes DIMANCHE 16 MARS 189C
JOURNAL REPUBLICAIN
RIDACYIOlf
4&. Rue Montmaptrea
PARIS
BlfiECTEUR POLITIQUE
&. • ÉDOUARD PORTALIS
PRIX DE L'ABORNEHERT :
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Les abonnementt partent des leut 15 de chaque atofe
MiPMM télégraphique : XIX. ftltifXH - PARU
Qui?
Demain, le XIXe SIÈCLE commen-
ta la publication de
Qui ?
Grand roman parisien inédit, d'un au-
teur que nous n'avons plus à recomman-
ler à nos lecteurs :
M. ALBERT DUPUY
Le succès obtenu dans notre journal
sur les deux romans du même auteur
pc nous avons publiés nous est un sûr
jarant de celui qui attend cette nou-
relie œuvre, au titre mystérieux, de no-
"e collaborateul'.
Qui?
Dm.an passionnant, écrit spécialement
pour nos lecteurs, à la fois lettrés et ama-
teurs d'émotions, jette un jour tout nou-
veau sur une affaire assez étrange qui se
déroula vers la fin du second Empire.
LE GOUVERNEMENT
NÉCESSAIRE
Le ministère Tirard est tombé, mais
il n'a pas voulu tomber comme le com-
mun des ministères. Les ministères
tombaient autrefois sur un vote de la
Chambre et sur une question politi-
que. Le ministère Tirard est tombx
sur un vote du Sénat et sur une ques-
tion de raisins secs ; car, sous l'affaire
du traité de commerce avec la Tur-
quie, il n'y avait, on le sait, pas d'au-
tre question que celle des raisins turcs
desséchés, dont les viticulteurs de cer-
taines régions du Midi voudraient
interdire l'entrée en France au moyen
de droits prohibitifs.
Nous voilà loin du temps où, à la
suite du rejet du fameux article 7 des
lois sur l'instruction primaire, qui
avait bien, on en conviendra, autant
d'importance au point de vue politi-
que que le régime des raisins secs au
point de vue économique, Gambetta
disait : « Que nous importe le Sénat?
Nous avons la Chambre et c'est à la
Chambre qu'appartient le gouverne-
ment. » Jusqu'ici, en matière de gou-
vernement et de crise ministérielle, les
votes du Sénat ne comptaient pas. Si
maintenant les ministres s'avisent de
reconnaître au Sénat le droit de les ren-
verser, où irons-nous ? L'existence des
cabinets, qui n'était déjà pas commode,
deviendra simplement impossible.
D'autant plus que le Sénat ne man-
quera pas de se faire un malin plaisir
de mettre en minorité, le mardi, les
cabinets qui auront eu, le lundi, une
belle majorité à la Chambre.
Ce qui, heureusement, permet de
croire que la chute du ministère Ti-
rard ne formera pas un de ces terri-
bles précédents qui, avec le sys-
tème parlementaire, deviennent bien-
tôt plus forts que toutes les Constitu-
tions et que toutes les lois, c'est que
depuis longtemps son existence ne te-
nait plus qu'à un fil. Le général Bou-
langer condamné, l'Exposition fer-
mée, les élections faites, sa mission
était terminée. Il n'était plus en com-
munion politique avec les nouveaux
élus. Il aurait dû se retirer et laisser
la place à un ministère qui aurait été,
on aurait pu du moins l'espérer, l'âme
de la majorité nouvelle.
Quelques-uns des membres du ca-
binet pensaient ainsi, on le savait ; il
en est résulté que, depuis l'ouverture
de la session,. l'existence du cabinet
Tirard a toujours été tiraillée et pré-
caire. S'il n'est pas tombé plus tôt, il
le doit seulement à l'instinctive répu-
gna ,-e que la majorité éprouvait à
voter, pour ses débuts, le renverse-
rat d- d'un ministère.
Mais tl était comme ces arbres qui
n'ont (Mit-- cl; racines et qu'une chi-
quenaude suint à précipiter parterre.
La chiquenaude a été le vote du Sénat
d'hier. Si le ministère Tirard avait eu
la moindre solidité, le vote du Sénat
ne l'aurait même pas ébranlé.
La Chambre, d'ailleurs, se considé-
rait si peu comme solidaire du minis-
tère, que la nouvelle de sa chute a été
accueillie dans les couloirs du Palais-
Bourbon avec une satisfaction non
dissimulée. Les députés paraissaient
enchantés que les sénateurs leur eus-
sent épargné la peine de voter contre
des ministres qui, mieux inspirés, se
seraient retirés deux-mêmes depuis
plusieurs mois.
Quoi qu'il en scit, la crise est ou-
verte ; le seul point intéressant désor-
mais est de savoir dans quel sens elle
sera résolue.
Il nous semble, quant à nous, que
les applaudissements qui ont accueilli
fytt'e ionr les déclarations nettement
républicaines du nouveau ministre de
l'intérieur, M. Bourgeois, sont pour le
président de la République une indi-
cation largement suffisante. Nous
ignorons si M. Carnot à, comme quel-
ques-uns le prétendent, sur la po-
litique des vues personnelles; nous
savons seulement que ce ne sont
pas ses propres volontés, mais les vo-
lontés de la majorité républicaine
qu'il doit, aux termes de la Constitu-
tion, chercher à faire prévaloir. Or,
les volontés de la majorité ne sont pas
douteuses. La majorité veut un mi-
nistère qui gouverne avec les républi-
cains, à leur profit et au profit des
idées républicaines. Un tel gouver-
nement paraît d'autant plus indis-
pensable que les républicains se
trouvent en présence d'une nouvelle
tentative, moins dangereuse peut-être
pour la forme républicaine, mais tout
aussi dangereuse, sinon plus, pour
le parti républicain et pour l'ap-
plication des idées républicaines,
que l'entreprise boulangiste. Le but
plus ou moins dissimulé, mais certain,
du boulangisme était d'amener aux
partis hostiles à la République l'ap-
point de voix démocratiques et ra-
dicales sans lequel ils n'avaient
plus aucun espoir de conquérir le
pouvoir. L'événement a démontré
la fausseté de cette conception. Au-
jourd'hui, on veut amener aux mêmes
partis le même appoint ; mais, au lieu
de le chercher à l'extrémité gauche du
pays, dans la démocratie, on espère le
trouver au centre, dans les rangs de
la bourgeoisie ralliée à la République,
parmi les républicains modérés, et il
n'y a pas à se dissimuler que cette
conception a beaucoup plus de chances
de réussir que la précédente.
D'abord, elle est en apparence moins
effrayante. Ensuite, il faut bien recon-
naître que les hommes qui la diri-
gent ou qui la servent disposent d'au-
tres ressources et ont une autre va-
leur que les Laur, les Vergoin et la
plupart des membres du « comité na-
tional M.
Il ne faut pas oublier enfin qu'un
grand nombre de députés n'ont été
élus qu'avec un très petit nombre de
voix. Le moindre déplacement eût
changé la majorité. Si l'on ne veut pas
que ce déplacement se produise dans
les élections partielles et, plus tard, aux
élections générales, il faut se hâter de
constituer un gouvernement capable
de grouper autour de lui toutes les
forces républicaines, et de leur
rendre l'espérance qu'une plus longue
politique de piétinement sur place et
de complaisance envers les perpétuels
ennemis de la démocratie ne tarde-
rait pas à leur faire perdre.
C'est à M. Carnot qu'il appartient
aujourd'hui de constituer ce gouver-
nement; c'est à la majorité républi-
caine qu'il appartiendra demain de le
faire vivre.
A.-EDOUARD PORTALIS.
Le XIXe SIÈCLE publiera demain la
ft Chronique n, par M. Paul Ginisty.
AU DAHOMEY
Nos troupes bloquées
On nous annonce que notre petite troupe
réunie à Kotonou est bloquée par une ar-
mée de noirs forte de trente mille hom-
mes.
Armés de fusil, ils s'apprêtent à attaquer
le fort.
Des renforts sont demandés.
D'un autre côté , nous apprenons que
Abomey a été bombardé par la cannonière
VEmeraude avec un plein succès.
M. GIRARD QUITTE LE LABORATOIRE
Compensation à la « Monnaie H. -
M. L'Hôte.
Il parait que la carrière de M. Girard
comme directeur du Laboratoire munici-
pal est terminée. On a fini par se rendre
compte qu'il ne pouvait plus continuer à
diriger ce service, en présence des protes-
tations croissantes du commerce et du pu-
blic parisien. Mais s'il quitte ces fonctions,
on lui donnera une « compensation » et il
passerait de la préfecture de police dans
les services administratifs de l'Hôtel des
Monnaies.
Le successeur de M. Girard serait M.
L'Hôte, ancien préparateur des Arts-et-Mé-
tiers, qui défendit M. Girard lors de notre
procès et qui doit sa réputation à deux af-
faires retentissantes : l'affaire Moreau. l'her-
boriste de Saint-Denis, condamné à mort et
exécuté, et dont le docteur Galippe démon-
tra depuis la parfaite innocence; et l'affaire
Danval, le pharmacien de la rue de Mau-
beuge accusé d'avoir empoisonne sa femme
et dont le regretté professeur de toxicolo-
gie à l'Ecole de pharmacie de Paris, M.
Bouïs, affirmait également la parfaite inno-
cence.
Nous croyons nous rappeler que M.
L'ôe n'était pas précisément de la même
opinion que ces deux savants.
GRÈVE MONSTRE
La journée de huit heures
(DE NOTRE CORRESPONDANT PARTICULIER)
Londres, 1A mars.
Aucun arrangement n'étant intervenu
entre les propriétaires des mines et les ou-
vriers, les compagnies se refusant à toute
concession, les mineurs se mettront en
grève demain dans la plupart des houillè-
res de la Grande-Bretagne.
Cette grève comprendra au moins 300,000
hommes. Elle a pour but principal la jour-
née de huit heures.
CRISE MINISTERIELLE
DÉMISSION DU CABINET TIRARD
Réunion des ministres. — La décision
de M. Tirard. — Les membres du
cabinet solidaires. — Le traité
franco-turc. — Les pourpar-
parlers. — Autour de la
crise.
Le bruit dont nous nous sommes fait l'é-
cho dans notre dernier numéro s'est con-
firmé. Voici la note que l'agence Havas a
communiquée hier aux journaux :
Les ministres se sont réunis exceptionnelle-
ment ce matin, en conseil de cabinet, au mi-
nistère du commerce, sous la présidence de
M. Tirard.
La séance a duré environ trois quarts
d'heure.
A l'issue du conseil, M. Tirard s'est rendu à
l'Elysée, où il a remis entre les mains de M. le
président de la République la démission col-
lective des membres du cabinet.
Les ministres feront ce soir, à cinq heures,
la visite d'usage à M. Carnot.
Conseil des ministres
Convoqués par dépêches, les ministres se
réunissaient au complet au ministère du
commerce, sous la présidence de M. Ti-
rard.
Le président du conseil a expliqué que,
après le vote du Sénat et les incidents qui
s'étaient produits dernièrement dans l'une
et l'autre Chambre, il croyait que sa dignité
l'obligeait à donner sa démission.
« D'ailleurs, a-t-il ajouté, je serai atteint
jeudi prochain par un ordre du jour sem-
blable à la Chambre. »
On sait que la Chambre doit discuter
jeudi prochain l'interpellation de M. Turrel
sur ce même traité franco-turc.
éanmoms, un des membres présents
fit observer que, en se retirant, le mi-
nistère créait un précédent qui pourrait
être à l'avenir gros de conséquences ; qu'en
effet, il était jusqu'à présent de tradition
parlementaire que les votes du Sénat, tout
en constituant une indication pour la po-
litique du gouvernement, n'étaient pas
considérés comme de nature à précipiter
la chute d'un cabinet; qu'il y avait là une
question de principe dont il convenait de
tenir compte.
Le président du conseil répliqua que la
délibération à la Chambre haute n'était
point la cause efficiente, mais bien l'occa-
sion de son départ.
Il ajouta, au surplus, que, se considérant
comme plus personnellement visé, il
croyait que ses collègues pouvaient et de-
vaient éviter de solidariser leur cause avec
la sienne.
- M. Spuller, ministre des affaires étran-
gères, contre qui le vote du Sénat avait été
pareillement dirigé, a déclaré qu'il approu-
vait la résolution du président du conseil
et qu'il était décidé à suivre M. Tirard dans
sa retraite.
Les autres ministres n'ont pas insisté
pour le maintien du cabinet. Du moment
où M. Tirard se trouve personnellement
atteint, ont-ils dit, le sentiment des con-
venances nous impose l'obligation de ne
pas combattre sa manière de voir.
En conséquence, la réunion a pris fin à
dix heures trois quarts et M. Tirard s'est
rendu à onze heures à l'Elysée, pour re-
mettre à M. Carnot la démission des minis-
tres et de M. Etienne, sous-secrétaire d'Etat
aux colonies.
M. Tirard à l'Elysée
L'entrevue entre MM. Carnot et Tirard n'a
duré que quelques minutes. Le président
de la République n'a pas insisté outre me-
sure pour faire revenir M. Tirard sur sa
détermination. Il lui a demandé seulement
de prier les ministres démissionnaires de
se rendre dans l'après-midi, à cinq heures,
à l'Elysée, pour s'entretenir de la situa-
tion. A cinq heures, tous les ministres
étaient réunis à l'Elysée. M. Carnot remer-
cia M. Tirard et ses collaborateurs pour les
services qu'ils avaient rendus lors de l'Ex-
position universelle et au cours de la pé-
riode électorale. L'entretien fut très court.
A la Chambre
Si bizarre que cela puisse paraître, la
Chambre a accepté cette crise ministérielle
avec un contentement visible. On l'accepte
comme le dénouement le plus logique à
une situation dont chacun sentait la néces-
sité de sortir au plus vite. Le Sénat s'est
chargé du soin d'offrir au gouvernement
un excellent terrain pour se retirer avec la
plus grande correction. Rienr de mieux. Les
députés s'en félicitent, d'autant plus que
cette fois la Chambre n'est pour rien dans
cette brusque solution.
Quant au Sénat, il est très étonné d'avoir
l'en versé un ministère.
Cependant, un grand nombre de séna-
teurs considèrent leur vote comme un
avertissement à la Chambre et au futur
ministère. Pourquoi? Ils se gardent bien
de le dire.
Les pourparlers
Dans l'entrevue qu'ils avaient eue dans
la matinée, M. Carnot avait officieusement
demandé à M. Tirard quel pouvait être, sui-
vant lui, le personnage politique auquel il
conviendrait d'offrir la présidence du con-
seil. M. Tirard indiqua M. de Freycinet
comme étant le mieux en situation de cons-
tituer un cabinet.
Cette opinion fut celle également de M.
Floquet, président de la Chambre, qui, dans
l'après-midi, avait été mandé à l'Elysée.
« Je crois, dit M. Floquet, que M. de Frey-
cinet peut arriver facilement à former un
cabinet et à grouper une majorité. »
M. Le Royer, président du Sénat, consulté
par le président de la République, s'est bor-
né à analyser les sentiments du Sénat et à
insister sur les tendances protectionnistes
de cette assemblée.
Les combinaisons
Le jeu des combinaisons ministérielles
va grand train. Bien qu'il n'y ait à l'he ure
actuelle rien de fait, les listes circulent
déjà et des noms sont mis en avant.
La combinaison dont M. de Freycinet est
le pivot est celle qui rencontre le plus de
faveur.
il nous taut constater aussi, pour rester
dans la note impartiale, que les partisans
d'une combinaison Méline-Ribot ne désar-
ment pas et poursuivent au Sénat d'activés
négociations.
Il est à peine besoin de faire remarquer
que cette combinaison irait à l'encontre
des sentiments nettement exprimés par la
Chambre lors de l'avènement de M. Bour-
is au ministère de l'intérieur
Le cabinet Tirard
Constitué le 21 février 1889, après la chute
du cabinet Floquet, le ministère présidé
par M. Tirard aura vécu un an et trois se-
maines, ce qui est une durée relativement
considérable, les ministères ne vivant en
moyenne que dix mois et demi.
Le cabinet Tirard a subi trois transfor-
mations. M. l'amiral Jaurès, ministre de la
mariue, est remplacé par l'amiral Krantz,
puis par un ministre civil, M. Barbey, sé-
nateur.
M. Etienne a été chargé du sous-secréta-
riat d'Etat.
Enfin, le 1er mars, M. Constans quittait le
ministère de l'intérieur, où il était rem-
placé le soir même par M. Bourgeois.
M. Constans
On se doute bien que, dans la journée
d'hier, le nom de M. Constans a été pro-
noncé, sinon pour la présidence du conseil,
du moins pour un ministère important,
celui de l'intérieur ou celui des affaires
étrangères où de nombreuses réformes
seraient à opérer.
Pressenti, il y a quelques jours, sur ses
intentions dans le cas où une crise éclate-
terait, M. Constans aurait repondu qu'il
n'accepterait pas de succéder à l'intérieur
à un ministre qui venait de recevoir de la
majorité républicaine un absolu témoi-
gnage de confiance.
Il est assez amusant d'ajouter que M.
Constans, qui ne s'attendait pas à une
crise aussi subite, avait quitté Paris jeudi
soir, se rendant à Toulouse. Ses amis lui
ont aussitôt télégraphié. M. Constaus ren-
trera à Paris aujourd'hui.
DERNIÈRE HEURE
Le Journal officiel publie ce matin la note
suivante :
« Le président du conseil, les ministres
et le sous-secrétaire d'Etat des colonies ont
remis leur démission entre les mains de
M. le président de la République. »
L'Agence Havas a publié dans sa feuille
de minuit la note suivante :
« M. le président de la République n'a
fait appeler ce soir aucun personnage poli-
tique. »
LES
MINISTÈRES ET LES INTERPELLATIONS
Une erreur accréditée. —Petite sta-
tistique. — Comment tombent
les ministres.
Une erreur généralement accréditée, c'est
que les ministères sont renversés sur des
interpellations.
Voici une petite statistique qui démon-
trera clairement que la chute d'un cabinct
sur interpellation est au contraire l'excep-
tion :
Le cabinet Freycinet, constitué le 7 janvier
1886, est renversé le 2 décembre 1886 sur
une question budgétaire, la suppression
des sous-préfets, repoussée par le gouverne-
ment.
Le cabinet Goblet, constitué le Il dé-
cembre 1886, est renversé le 17 mai 1887
encore sur une question budgétaire, con-
séquence d'un désaccord avec la commis-
sion du budget. La Chambre renvoie le
budget au gouvernement en l'invitant à
faire de nouvelles économies. M. Goblet re-
fuse, demandant de rechercher la possibi-
lité de faire de nouvelles économies en
travaillant avec la commission du budget.
Le cabinet Rouvier. constitué le 30 mai
1887, tombe le 19 novembre 1887 sur une
question de procédure parlementaire. M.
Clémenceau demande à interpeller le gou-
vernement sur la situation politique ; il ré-
clame la discussion immédiate, qui est re-
poussée par le ministère et votée par la
Chambre.
Le cabinet Tirard, constitué le 12 décem-
bre 1887, tombe le 30 mars 1888 sur la de-
mande de mise en tête de l'ordre du jour
d'un proposition de revision constitution-
nelle.
Le cabinet Floquet, renversé le 3 avril
1889, tombe sur une motion d'ajourne-
ment. M. Douville-Maillefeu demande l'a-
journement indéfini de la discussion de la
revision constitutionnelle que la Chambre,
d'accord avec le gouvernement, avait dé-
cidé, dans une séance précédente, de met-
tre en tête de l'ordre du jour.
Le cabinet Tirard est un des rares mi-
nistères qui aient été renversés sur une in-
terpellation. Il est le seul qui ait donné sa
démission à la suite d'un vote du Sénat.
Le cabinet Dufaure
Le seul, c'est trop dire, car nous nous
rappelons que le cabinet Dufaure fut ren-
versé en décembre 1876 par le Sénat, à pro-
pos d'une proposition de loi adoptée précé-
demment par la Chambre, portant que les
poursuites pour faits se rattachant à la
Commune fussent désormais arrêtées.
UNE LETTRE DE BEBEL
Bebel et les socialistes calaisiens
(DE NOTRE CORRESPONDANT PARTICULIER)
Calais, 1A mars.
On se rappelle qu'après la victoire rem-
portée par les ocialistes allemands dans
les élections pour le renouvellement du
Reichstag, les socialistes calaisiens adressè-
à M. Bebel un télégramme de félicitation.
En réponse à ce télégramme, M. Deleclu-
se, conseiller municipal socialiste de notre
ville, vient de recevoir la lettre suivante :
« Dresucn-Plauen, le 6 mars 1890.
» Cher frère,
» Le télégramme que vous et vos amis de
Calais nous avez adressé nous est bien par-
venu. Merci.
» Nous l'avons communiqué à la presse,
qui lui a donné la publicitê voulue.
» Nos partisans, dans toute l'Allemagne,
sont heureux de l'adhésion qu'ils trouvent
chez leurs frères de France, de la sympa-
thie qu'ils leur témoignent. Elles nous sont
une preuve certaine du peu d'écho que
trouve dans les classes laborieuses la lutte
que se font nos deux gouvernements. Cette
lutte ridicule divise les deux nations les
plus civilisées du continent européen.
» Les travailleurs français et les travail-
leurs allemands doivent comprendre que
leurs intérêts sont liés. Ils doivent faire
tout ce qui est en leur pouvoir pour met-
tre une fin à la question des nationalités.
La paix et l'amitié les uniront alors pour
toujours.
» La France et l'Allemagne Unies, c'est ùa
paix universelle, ce sera la liberté du
monde.
» Fraternelle accolade pour vous et vos
amis, et bica vôtre.
? A. Bfeel. »
CHRONIQUE
Il semble qu'à l'issue du procès Lami-
nette, il y ait eu dans tout le journalisme
contre les procédés de la magistrature
un grand mouvement d'indignation. Je
ne reviens pas sur les détails de l'affaire,
qui est sans doute présente encore à tou-
tes les mémoires. L'accusé a été acquitté
par le jury. Ce n'est pas, je l'avoue, un
fait bien rare qu'un acquittement en
cour d'assises, et il n'y aurait pas là de
quoi se scandaliser, ni se révolter contre
une poursuite qui n'a pas abouti à une
condamnation. Mais, cette fois, il a paru,
au grand jour des débats, que les char-
ges contre l'accusé n'étaient pas suffi-
santes pour justifier l'acharnement dont
a témoigné le ministère public, et j'ose
ajouter encore : le président des assises.
Nous ne sommes pas dans le secret de
l'instruction ; nous ne pouvons parler
que de ce qui s'est produit à l'audience,
et encore sur le compte rendu qu'en ont
fait les journaux. Il nous a semblé à tous
que l'accusation n'avait pas été écha-
faudée sur des bases assez solides, que les
présomptions accumulées contre l'accusé
se tournaient, après examen, en preuves
en sa faveur ; que son innocence était as-
sez visible,assez évidente pour qu'on l'eût
reconnue dès le premier moment, pour
qu'on n'eût pas retenu en prison préven-
tive unhomme qui devait être nécessaire-
ment acquitté par le jury, aux acclama-
tions du public.
M. Emile Zola, dans la Bête humaine,
a peine-de la façon la plus heureuse un
juge d'instruction, M. Denizet, espritsub- :
til et entêté, très infatué de son mérite,
et qui, une fois engagé dans une ooinion.
s'y enfonce avec une raideur de convic-
tion que rien ne désarçonne. Il est, dans
le roman, engagé sur une fausse piste ; il
la suit avec une obstination hautaine. Ce
qu'il y a de plus plaisant, c'est que le
vrai coupable se dénonce ; il conte tout à
trac le crime commis par lui, il en dit les
circonstances, il met les points sur les i.
M. Denizet ne démord pas de son système.
Il prouve, avec une invincible logique, au
criminel, que son récit, qui est pourtant,
nous le savons, la vérité la plus exacte,
n'est qu'un tissu d'absurdités :
— Vous nous prenez pour des enfants!
lui dit-il d'un too-péremptoire.
Et il reprend chaque fait, et il lui
montre comme ce fait est simple, na-
turel et s'explique dans son système,
tandis qu'en se tenant au récit de l'autre,
il est d'une inexplicable invraisemblance;
et il presse si vivement son homme,que le
pauvre diable finit par s'écrier :
— Ce n'est pas la peine de vous dire la
vérité, puisque le faux est plus logique
qu'elle.
C'est à mon sens ce qu'il y a de meil-
leur et de plus original dans la Bête hu--
maine. Car Zola n'a point ici, comme il
lui arrive quelquefois, chargé le portrait
et poussé à la caricature. Son Denizet
n'est ni un imbécile ni un coquin. Non,
c'est un homme qui a le goût de l'inté-
grité, qui a de la finesse et qui sait son
métier ; seulement, il est sujet à la pré-
vention, et tout le monde sait quel mer-
veilleux instrument c'est que la préven-
tion pour crever les yeux des gens.
Il est bien probable que les magistrats
qui ont poursuivi avec tant d'âpreté ce
pauvre Larninette avaient eu l'esprit
frappé de certaines circonstances qu'une
envie farouche de découvrir le vrai cou-
pable leur avait fait regarder comme très
probantes. Ils s'y étaient passionnément
attachés; une fois en possession de leur
système, il n'y avait plus dans la cause
un détail qui ne le confirmât. Il avait
fallu, pour les détromper, le grand jour
des assises.
Ces préventions ne doivent pas nous
étonner, nous dont le métier est de nous
occuper de théâtre. Comment se fait-il
qu'une pièce paraît excellente à ceux qui
la montent, qu'ils y rient de tout leur
cœur aux répétitions, et qu'ils s'y pro-
mettent un succès énorme ? Le soir de la
première représentation arrive, les écailles
leur tombent des yeux : le public reste
morne, et ils se regardent effarés.-Conl-
ment avons-nous pu nous tromper à ce
point ? La pièce est idiote. Où avions-
nous l'esprit de ne pas nous en être
aperçus plus tôt ?
Le public, lui, arrive avec les yeux frais
au théâtre. Ainsi fait le jury à la salle des
assises. Il voit la vérité se lever peu à peu
des témoignages qui défilent devant lui
à la barre. Les chefs d'accusation, labo-
rieusement accumulés et échafaudés par
l'instruction, se dissipent et s'évanouis-
sent. Il n'a même pas besoin de délibérer
un instant. Il répond non d'une voix
unanime.
Voilà donc ce Laminette rendu à la
liberté, à sa famille et à ses affaires. Mais
nous avons tous senti le même scrupule
naître en nos esprits. Ce malheureux,
qu'on avait arraché à sa maison, à son
travail, à ses affections, que l'on avait
tenu des semaines et des mois en prison
préventive, et peut-être au secret, qui
avait, durant ces longs jours d'interro-
gatoire, passé par les angoisses et les dou-
leurs qu'on peut imaginer, était-on quitte
envers lui lorsque, après avoir prononcé
le verdict d'acquittement, on le renvoyait
sans un sou d'indemnité, sans l'ombre
même d'une excuse, à ses affaires et à sa
famille?
Mettez-vous pour un instant à sa place.
Vous êtes bien tranquille chez vous, ne
pensant à rien. Un gendarme se présente
avec un mandat d'amener. Vous deman-
dez, éperdu, de quoi il s'agit. On ne vous
le dit pas. On ne vous laisse communi-
quer avec aucun des vôtres, on vous em-
porte en prison, où vous êtes verrouillé
et tenu au secret. On fouille chez vous;
on Y met tout sens dessus dessous. Tout
le quartier est instruit de votre arresta-
tion, les voisins en îasent,, les jOU,;l:,la
en parlent. Tout le monde, avant même
de savoir rien de l'affaire, vous croit cou
pable, en vertu du célèbre axiome : « Il
n'y a pas de fumée sans feu. »
Vous n'êtes pas millionnaire ; vous ga-
gnez votre vie d'une profession quelcon-
que. Si vous êtes employé, le gouverne-
ment ou le patron vous remplace; si
vous êtes commerçant, toutes vos affaires
restent en souffrante. La femme pleure,
les enfants crient ; c'est le désarroi dans
la maison, plus de pain au logis, et par-
tout des regards défiants.
Comme vous n'avouez pas un crime
dont vous ne savez pas le premier
mot, l'instruction, égarée sur une fausse
piste, se prolonge. L'horrible misère s'a-
bat sur la famille, sans parler des larmes
répandues sur la honte de cette horrible
situation.
Les mois se passent; l'innocence enfin
triomphe.
L'homme pousse un soupir de soulage-
ment; il est d'abord tout entier à la joie.
Se sentir libre, après tant de jours pas-
sés en prison ! N'avoir plus le cœur serré
de la crainte du déshonneur et du bagne!
Il revient au logis; ce ne sont plus que
ruines : les meubles ont disparu; les
humbles bijoux sont au Mont-de-Piété;
c'est l'édifice de la vie à reconstruire.
Il va demander du travail, et son nomr
qui a traîné dans les journaux, lui est
une mauvaise note. — Mais j'ai été re-
connu innocent 1 — Il n'y a pas de fumée
sans feu; la femme de César ne doit pas
être soupçonnée. et autres adages à l'u-
sage des gens pratiques. Il ne peut trou-
ver d'ouvrage nulle part ; il sent peser sur
lui, dans tout le voisinage, une déconsi-
dération dont il souffre autant pour les
siens que pour lui. Chose extraordinaire I
Tous devraient prendre à tàclie, et se
faire un devoir de lui donner - une - - com-
pensation à l'injustice dont il a été vic-
time. Point du tout : ce sont les magis-
trats qui se sont trompés, c'est à lui qu'on
s'en prend. On le punit d'avoir été accusé
par eux, mis à Mazas par eux, d'avoir
fait, malgré eux, éclater son innocence.
On ajoute à une première injustice une
iniquité bien plus monstrueuse encore.
Que faire?
On a proposé que l'homme acquitté re-
çût une indemnité pécuniaire propor-
tionnée à son temps de prison ; que les
magistrats dussent lui présenter, d'après
un cérémonial qui serait réglé d'avance,
des excuses de leur erreur.
Tout cela se pourrait faire, bien que
la chose ne laisse pas de souffrir, dans
Fexécution, beaucoup de difficultés.
Mais il y a une réparation qui est dans
la main du public.
Je voudrais, quand un homme a été
acquitté et que cet acquittement n'est
pas évidemment un acquittement d'in.
certitude ou de faveur, je voudrais que
la société tout entière se serrât autour
de lui et cherchât à lui faire oublier son
injure à force de prévenances. Je vou-
drais que cet acquittement lui fût un
titre à la considération publique; que
s'il se présentait pour une place, on la
lui donnât de préférence; qu'on tâchât
de le désarmer d'une irritation bien na-
turelle, en le vengeant, en le consolant
des maux soufferts.
Il n'y a pas besoin de loi nouvelle pour
obtenir ce résultat. C'est un change-
ment à opérer dans nos esprits et une
réforme à faire dans nos mœurs.
Francisque Sarcey.
LA CONFÉRENCE DE BERLIN
L'ouverture des travaux. -Une Assein.
blée délibérante de 60 membres.
(D'UN CORRESPONDANT)
Berlin, 1A mars.
L'ouverture de la conférence aura lieu
demain samedi, à deux heures, dans le sa-
lon historique du premier étage de la chan-
cellerie, où ont été tenues les séances du
congrès de 1878. M. de Berlepsch, ministre
du commerce de Prusse, souhaitera, au
nom de l'empereur, et en langue française,
la bienvenue aux délégués des différents
gouvernements.
Les délégués seront placés d'après l'or-
dre alphabétique des Etats qu'ils représen-
tent.
Les travaux de la conférence ne com-
menceront que lundi. Une commission sera
nommée pour chacune des divisions du
programme. A mesure que chaque com-
mission aura achevé de délibérer, son rap-
port sera entendu en séance plénière. Les
avis auxquels on se sera arrêté seront com-
muniqués aux divers gouvernements re-
présentés à la conférence.
Les délégués
Les pays dont la participation à la confé-
rence est officiellement connue sont : l'Al.
lemagne, l'Angleterre, l'Autriche-Hongrie,
la Belgique, le Danemark, l'Espagne, la
France, l'Italie, le Luxembourg,. les Pays-
Bas, le Portugal, la Suède et la Norvège, 1.
Suisse.
Les délégués sont au nombre de 60.
La représentation anglaise
Aux délégués anglais dont la nominatios
est déjà officiellement annoncée,ou été ack
joints comme délégués ayant voix dOiiiK-ra*
tive :
M. David Dales, employé de la gran,tt
maison Pease, à Darlington; M. '"iiari^
Scott, ministre d'Angleterre à Ber ; , q~
s'était déjà préparé sur les questions ou..
vrières en vue de la conférence de Berne,
Il est entendu que l'ambassadeur anfflaic p
Berlin, sir Edward Malet, siégtd JOUUMQ
premier délégué à la conférence.
Sont adjoint comme délégués teciiiuques
assistants : M. Burt, ouvrier miriear, qui
siège au Parlement depuis seizs ans < t qui'
représentera, à Berlin, les Trai..-a-
de mineurs ; M. Birtwistle, secrétaire gé-
néral de l'association syndicale des ou-
vriers tisserands ; M. Whymper, inspecteur-
surintendant des manufactures au ministère
de l'intérieur, en outre de M. Burnctt, du
ministère du commerce.
La liste officielle des délégués
Voici les noms des délégués des divers
Etats qui prennent part à la conférence, à
J'p.ceotio.tl de l'Espagne et du P^rtu^al ;
JOURNAL REPUBLICAIN
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Qui?
Demain, le XIXe SIÈCLE commen-
ta la publication de
Qui ?
Grand roman parisien inédit, d'un au-
teur que nous n'avons plus à recomman-
ler à nos lecteurs :
M. ALBERT DUPUY
Le succès obtenu dans notre journal
sur les deux romans du même auteur
pc nous avons publiés nous est un sûr
jarant de celui qui attend cette nou-
relie œuvre, au titre mystérieux, de no-
"e collaborateul'.
Qui?
Dm.an passionnant, écrit spécialement
pour nos lecteurs, à la fois lettrés et ama-
teurs d'émotions, jette un jour tout nou-
veau sur une affaire assez étrange qui se
déroula vers la fin du second Empire.
LE GOUVERNEMENT
NÉCESSAIRE
Le ministère Tirard est tombé, mais
il n'a pas voulu tomber comme le com-
mun des ministères. Les ministères
tombaient autrefois sur un vote de la
Chambre et sur une question politi-
que. Le ministère Tirard est tombx
sur un vote du Sénat et sur une ques-
tion de raisins secs ; car, sous l'affaire
du traité de commerce avec la Tur-
quie, il n'y avait, on le sait, pas d'au-
tre question que celle des raisins turcs
desséchés, dont les viticulteurs de cer-
taines régions du Midi voudraient
interdire l'entrée en France au moyen
de droits prohibitifs.
Nous voilà loin du temps où, à la
suite du rejet du fameux article 7 des
lois sur l'instruction primaire, qui
avait bien, on en conviendra, autant
d'importance au point de vue politi-
que que le régime des raisins secs au
point de vue économique, Gambetta
disait : « Que nous importe le Sénat?
Nous avons la Chambre et c'est à la
Chambre qu'appartient le gouverne-
ment. » Jusqu'ici, en matière de gou-
vernement et de crise ministérielle, les
votes du Sénat ne comptaient pas. Si
maintenant les ministres s'avisent de
reconnaître au Sénat le droit de les ren-
verser, où irons-nous ? L'existence des
cabinets, qui n'était déjà pas commode,
deviendra simplement impossible.
D'autant plus que le Sénat ne man-
quera pas de se faire un malin plaisir
de mettre en minorité, le mardi, les
cabinets qui auront eu, le lundi, une
belle majorité à la Chambre.
Ce qui, heureusement, permet de
croire que la chute du ministère Ti-
rard ne formera pas un de ces terri-
bles précédents qui, avec le sys-
tème parlementaire, deviennent bien-
tôt plus forts que toutes les Constitu-
tions et que toutes les lois, c'est que
depuis longtemps son existence ne te-
nait plus qu'à un fil. Le général Bou-
langer condamné, l'Exposition fer-
mée, les élections faites, sa mission
était terminée. Il n'était plus en com-
munion politique avec les nouveaux
élus. Il aurait dû se retirer et laisser
la place à un ministère qui aurait été,
on aurait pu du moins l'espérer, l'âme
de la majorité nouvelle.
Quelques-uns des membres du ca-
binet pensaient ainsi, on le savait ; il
en est résulté que, depuis l'ouverture
de la session,. l'existence du cabinet
Tirard a toujours été tiraillée et pré-
caire. S'il n'est pas tombé plus tôt, il
le doit seulement à l'instinctive répu-
gna ,-e que la majorité éprouvait à
voter, pour ses débuts, le renverse-
rat d- d'un ministère.
Mais tl était comme ces arbres qui
n'ont (Mit-- cl; racines et qu'une chi-
quenaude suint à précipiter parterre.
La chiquenaude a été le vote du Sénat
d'hier. Si le ministère Tirard avait eu
la moindre solidité, le vote du Sénat
ne l'aurait même pas ébranlé.
La Chambre, d'ailleurs, se considé-
rait si peu comme solidaire du minis-
tère, que la nouvelle de sa chute a été
accueillie dans les couloirs du Palais-
Bourbon avec une satisfaction non
dissimulée. Les députés paraissaient
enchantés que les sénateurs leur eus-
sent épargné la peine de voter contre
des ministres qui, mieux inspirés, se
seraient retirés deux-mêmes depuis
plusieurs mois.
Quoi qu'il en scit, la crise est ou-
verte ; le seul point intéressant désor-
mais est de savoir dans quel sens elle
sera résolue.
Il nous semble, quant à nous, que
les applaudissements qui ont accueilli
fytt'e ionr les déclarations nettement
républicaines du nouveau ministre de
l'intérieur, M. Bourgeois, sont pour le
président de la République une indi-
cation largement suffisante. Nous
ignorons si M. Carnot à, comme quel-
ques-uns le prétendent, sur la po-
litique des vues personnelles; nous
savons seulement que ce ne sont
pas ses propres volontés, mais les vo-
lontés de la majorité républicaine
qu'il doit, aux termes de la Constitu-
tion, chercher à faire prévaloir. Or,
les volontés de la majorité ne sont pas
douteuses. La majorité veut un mi-
nistère qui gouverne avec les républi-
cains, à leur profit et au profit des
idées républicaines. Un tel gouver-
nement paraît d'autant plus indis-
pensable que les républicains se
trouvent en présence d'une nouvelle
tentative, moins dangereuse peut-être
pour la forme républicaine, mais tout
aussi dangereuse, sinon plus, pour
le parti républicain et pour l'ap-
plication des idées républicaines,
que l'entreprise boulangiste. Le but
plus ou moins dissimulé, mais certain,
du boulangisme était d'amener aux
partis hostiles à la République l'ap-
point de voix démocratiques et ra-
dicales sans lequel ils n'avaient
plus aucun espoir de conquérir le
pouvoir. L'événement a démontré
la fausseté de cette conception. Au-
jourd'hui, on veut amener aux mêmes
partis le même appoint ; mais, au lieu
de le chercher à l'extrémité gauche du
pays, dans la démocratie, on espère le
trouver au centre, dans les rangs de
la bourgeoisie ralliée à la République,
parmi les républicains modérés, et il
n'y a pas à se dissimuler que cette
conception a beaucoup plus de chances
de réussir que la précédente.
D'abord, elle est en apparence moins
effrayante. Ensuite, il faut bien recon-
naître que les hommes qui la diri-
gent ou qui la servent disposent d'au-
tres ressources et ont une autre va-
leur que les Laur, les Vergoin et la
plupart des membres du « comité na-
tional M.
Il ne faut pas oublier enfin qu'un
grand nombre de députés n'ont été
élus qu'avec un très petit nombre de
voix. Le moindre déplacement eût
changé la majorité. Si l'on ne veut pas
que ce déplacement se produise dans
les élections partielles et, plus tard, aux
élections générales, il faut se hâter de
constituer un gouvernement capable
de grouper autour de lui toutes les
forces républicaines, et de leur
rendre l'espérance qu'une plus longue
politique de piétinement sur place et
de complaisance envers les perpétuels
ennemis de la démocratie ne tarde-
rait pas à leur faire perdre.
C'est à M. Carnot qu'il appartient
aujourd'hui de constituer ce gouver-
nement; c'est à la majorité républi-
caine qu'il appartiendra demain de le
faire vivre.
A.-EDOUARD PORTALIS.
Le XIXe SIÈCLE publiera demain la
ft Chronique n, par M. Paul Ginisty.
AU DAHOMEY
Nos troupes bloquées
On nous annonce que notre petite troupe
réunie à Kotonou est bloquée par une ar-
mée de noirs forte de trente mille hom-
mes.
Armés de fusil, ils s'apprêtent à attaquer
le fort.
Des renforts sont demandés.
D'un autre côté , nous apprenons que
Abomey a été bombardé par la cannonière
VEmeraude avec un plein succès.
M. GIRARD QUITTE LE LABORATOIRE
Compensation à la « Monnaie H. -
M. L'Hôte.
Il parait que la carrière de M. Girard
comme directeur du Laboratoire munici-
pal est terminée. On a fini par se rendre
compte qu'il ne pouvait plus continuer à
diriger ce service, en présence des protes-
tations croissantes du commerce et du pu-
blic parisien. Mais s'il quitte ces fonctions,
on lui donnera une « compensation » et il
passerait de la préfecture de police dans
les services administratifs de l'Hôtel des
Monnaies.
Le successeur de M. Girard serait M.
L'Hôte, ancien préparateur des Arts-et-Mé-
tiers, qui défendit M. Girard lors de notre
procès et qui doit sa réputation à deux af-
faires retentissantes : l'affaire Moreau. l'her-
boriste de Saint-Denis, condamné à mort et
exécuté, et dont le docteur Galippe démon-
tra depuis la parfaite innocence; et l'affaire
Danval, le pharmacien de la rue de Mau-
beuge accusé d'avoir empoisonne sa femme
et dont le regretté professeur de toxicolo-
gie à l'Ecole de pharmacie de Paris, M.
Bouïs, affirmait également la parfaite inno-
cence.
Nous croyons nous rappeler que M.
L'ôe n'était pas précisément de la même
opinion que ces deux savants.
GRÈVE MONSTRE
La journée de huit heures
(DE NOTRE CORRESPONDANT PARTICULIER)
Londres, 1A mars.
Aucun arrangement n'étant intervenu
entre les propriétaires des mines et les ou-
vriers, les compagnies se refusant à toute
concession, les mineurs se mettront en
grève demain dans la plupart des houillè-
res de la Grande-Bretagne.
Cette grève comprendra au moins 300,000
hommes. Elle a pour but principal la jour-
née de huit heures.
CRISE MINISTERIELLE
DÉMISSION DU CABINET TIRARD
Réunion des ministres. — La décision
de M. Tirard. — Les membres du
cabinet solidaires. — Le traité
franco-turc. — Les pourpar-
parlers. — Autour de la
crise.
Le bruit dont nous nous sommes fait l'é-
cho dans notre dernier numéro s'est con-
firmé. Voici la note que l'agence Havas a
communiquée hier aux journaux :
Les ministres se sont réunis exceptionnelle-
ment ce matin, en conseil de cabinet, au mi-
nistère du commerce, sous la présidence de
M. Tirard.
La séance a duré environ trois quarts
d'heure.
A l'issue du conseil, M. Tirard s'est rendu à
l'Elysée, où il a remis entre les mains de M. le
président de la République la démission col-
lective des membres du cabinet.
Les ministres feront ce soir, à cinq heures,
la visite d'usage à M. Carnot.
Conseil des ministres
Convoqués par dépêches, les ministres se
réunissaient au complet au ministère du
commerce, sous la présidence de M. Ti-
rard.
Le président du conseil a expliqué que,
après le vote du Sénat et les incidents qui
s'étaient produits dernièrement dans l'une
et l'autre Chambre, il croyait que sa dignité
l'obligeait à donner sa démission.
« D'ailleurs, a-t-il ajouté, je serai atteint
jeudi prochain par un ordre du jour sem-
blable à la Chambre. »
On sait que la Chambre doit discuter
jeudi prochain l'interpellation de M. Turrel
sur ce même traité franco-turc.
éanmoms, un des membres présents
fit observer que, en se retirant, le mi-
nistère créait un précédent qui pourrait
être à l'avenir gros de conséquences ; qu'en
effet, il était jusqu'à présent de tradition
parlementaire que les votes du Sénat, tout
en constituant une indication pour la po-
litique du gouvernement, n'étaient pas
considérés comme de nature à précipiter
la chute d'un cabinet; qu'il y avait là une
question de principe dont il convenait de
tenir compte.
Le président du conseil répliqua que la
délibération à la Chambre haute n'était
point la cause efficiente, mais bien l'occa-
sion de son départ.
Il ajouta, au surplus, que, se considérant
comme plus personnellement visé, il
croyait que ses collègues pouvaient et de-
vaient éviter de solidariser leur cause avec
la sienne.
- M. Spuller, ministre des affaires étran-
gères, contre qui le vote du Sénat avait été
pareillement dirigé, a déclaré qu'il approu-
vait la résolution du président du conseil
et qu'il était décidé à suivre M. Tirard dans
sa retraite.
Les autres ministres n'ont pas insisté
pour le maintien du cabinet. Du moment
où M. Tirard se trouve personnellement
atteint, ont-ils dit, le sentiment des con-
venances nous impose l'obligation de ne
pas combattre sa manière de voir.
En conséquence, la réunion a pris fin à
dix heures trois quarts et M. Tirard s'est
rendu à onze heures à l'Elysée, pour re-
mettre à M. Carnot la démission des minis-
tres et de M. Etienne, sous-secrétaire d'Etat
aux colonies.
M. Tirard à l'Elysée
L'entrevue entre MM. Carnot et Tirard n'a
duré que quelques minutes. Le président
de la République n'a pas insisté outre me-
sure pour faire revenir M. Tirard sur sa
détermination. Il lui a demandé seulement
de prier les ministres démissionnaires de
se rendre dans l'après-midi, à cinq heures,
à l'Elysée, pour s'entretenir de la situa-
tion. A cinq heures, tous les ministres
étaient réunis à l'Elysée. M. Carnot remer-
cia M. Tirard et ses collaborateurs pour les
services qu'ils avaient rendus lors de l'Ex-
position universelle et au cours de la pé-
riode électorale. L'entretien fut très court.
A la Chambre
Si bizarre que cela puisse paraître, la
Chambre a accepté cette crise ministérielle
avec un contentement visible. On l'accepte
comme le dénouement le plus logique à
une situation dont chacun sentait la néces-
sité de sortir au plus vite. Le Sénat s'est
chargé du soin d'offrir au gouvernement
un excellent terrain pour se retirer avec la
plus grande correction. Rienr de mieux. Les
députés s'en félicitent, d'autant plus que
cette fois la Chambre n'est pour rien dans
cette brusque solution.
Quant au Sénat, il est très étonné d'avoir
l'en versé un ministère.
Cependant, un grand nombre de séna-
teurs considèrent leur vote comme un
avertissement à la Chambre et au futur
ministère. Pourquoi? Ils se gardent bien
de le dire.
Les pourparlers
Dans l'entrevue qu'ils avaient eue dans
la matinée, M. Carnot avait officieusement
demandé à M. Tirard quel pouvait être, sui-
vant lui, le personnage politique auquel il
conviendrait d'offrir la présidence du con-
seil. M. Tirard indiqua M. de Freycinet
comme étant le mieux en situation de cons-
tituer un cabinet.
Cette opinion fut celle également de M.
Floquet, président de la Chambre, qui, dans
l'après-midi, avait été mandé à l'Elysée.
« Je crois, dit M. Floquet, que M. de Frey-
cinet peut arriver facilement à former un
cabinet et à grouper une majorité. »
M. Le Royer, président du Sénat, consulté
par le président de la République, s'est bor-
né à analyser les sentiments du Sénat et à
insister sur les tendances protectionnistes
de cette assemblée.
Les combinaisons
Le jeu des combinaisons ministérielles
va grand train. Bien qu'il n'y ait à l'he ure
actuelle rien de fait, les listes circulent
déjà et des noms sont mis en avant.
La combinaison dont M. de Freycinet est
le pivot est celle qui rencontre le plus de
faveur.
il nous taut constater aussi, pour rester
dans la note impartiale, que les partisans
d'une combinaison Méline-Ribot ne désar-
ment pas et poursuivent au Sénat d'activés
négociations.
Il est à peine besoin de faire remarquer
que cette combinaison irait à l'encontre
des sentiments nettement exprimés par la
Chambre lors de l'avènement de M. Bour-
is au ministère de l'intérieur
Le cabinet Tirard
Constitué le 21 février 1889, après la chute
du cabinet Floquet, le ministère présidé
par M. Tirard aura vécu un an et trois se-
maines, ce qui est une durée relativement
considérable, les ministères ne vivant en
moyenne que dix mois et demi.
Le cabinet Tirard a subi trois transfor-
mations. M. l'amiral Jaurès, ministre de la
mariue, est remplacé par l'amiral Krantz,
puis par un ministre civil, M. Barbey, sé-
nateur.
M. Etienne a été chargé du sous-secréta-
riat d'Etat.
Enfin, le 1er mars, M. Constans quittait le
ministère de l'intérieur, où il était rem-
placé le soir même par M. Bourgeois.
M. Constans
On se doute bien que, dans la journée
d'hier, le nom de M. Constans a été pro-
noncé, sinon pour la présidence du conseil,
du moins pour un ministère important,
celui de l'intérieur ou celui des affaires
étrangères où de nombreuses réformes
seraient à opérer.
Pressenti, il y a quelques jours, sur ses
intentions dans le cas où une crise éclate-
terait, M. Constans aurait repondu qu'il
n'accepterait pas de succéder à l'intérieur
à un ministre qui venait de recevoir de la
majorité républicaine un absolu témoi-
gnage de confiance.
Il est assez amusant d'ajouter que M.
Constans, qui ne s'attendait pas à une
crise aussi subite, avait quitté Paris jeudi
soir, se rendant à Toulouse. Ses amis lui
ont aussitôt télégraphié. M. Constaus ren-
trera à Paris aujourd'hui.
DERNIÈRE HEURE
Le Journal officiel publie ce matin la note
suivante :
« Le président du conseil, les ministres
et le sous-secrétaire d'Etat des colonies ont
remis leur démission entre les mains de
M. le président de la République. »
L'Agence Havas a publié dans sa feuille
de minuit la note suivante :
« M. le président de la République n'a
fait appeler ce soir aucun personnage poli-
tique. »
LES
MINISTÈRES ET LES INTERPELLATIONS
Une erreur accréditée. —Petite sta-
tistique. — Comment tombent
les ministres.
Une erreur généralement accréditée, c'est
que les ministères sont renversés sur des
interpellations.
Voici une petite statistique qui démon-
trera clairement que la chute d'un cabinct
sur interpellation est au contraire l'excep-
tion :
Le cabinet Freycinet, constitué le 7 janvier
1886, est renversé le 2 décembre 1886 sur
une question budgétaire, la suppression
des sous-préfets, repoussée par le gouverne-
ment.
Le cabinet Goblet, constitué le Il dé-
cembre 1886, est renversé le 17 mai 1887
encore sur une question budgétaire, con-
séquence d'un désaccord avec la commis-
sion du budget. La Chambre renvoie le
budget au gouvernement en l'invitant à
faire de nouvelles économies. M. Goblet re-
fuse, demandant de rechercher la possibi-
lité de faire de nouvelles économies en
travaillant avec la commission du budget.
Le cabinet Rouvier. constitué le 30 mai
1887, tombe le 19 novembre 1887 sur une
question de procédure parlementaire. M.
Clémenceau demande à interpeller le gou-
vernement sur la situation politique ; il ré-
clame la discussion immédiate, qui est re-
poussée par le ministère et votée par la
Chambre.
Le cabinet Tirard, constitué le 12 décem-
bre 1887, tombe le 30 mars 1888 sur la de-
mande de mise en tête de l'ordre du jour
d'un proposition de revision constitution-
nelle.
Le cabinet Floquet, renversé le 3 avril
1889, tombe sur une motion d'ajourne-
ment. M. Douville-Maillefeu demande l'a-
journement indéfini de la discussion de la
revision constitutionnelle que la Chambre,
d'accord avec le gouvernement, avait dé-
cidé, dans une séance précédente, de met-
tre en tête de l'ordre du jour.
Le cabinet Tirard est un des rares mi-
nistères qui aient été renversés sur une in-
terpellation. Il est le seul qui ait donné sa
démission à la suite d'un vote du Sénat.
Le cabinet Dufaure
Le seul, c'est trop dire, car nous nous
rappelons que le cabinet Dufaure fut ren-
versé en décembre 1876 par le Sénat, à pro-
pos d'une proposition de loi adoptée précé-
demment par la Chambre, portant que les
poursuites pour faits se rattachant à la
Commune fussent désormais arrêtées.
UNE LETTRE DE BEBEL
Bebel et les socialistes calaisiens
(DE NOTRE CORRESPONDANT PARTICULIER)
Calais, 1A mars.
On se rappelle qu'après la victoire rem-
portée par les ocialistes allemands dans
les élections pour le renouvellement du
Reichstag, les socialistes calaisiens adressè-
à M. Bebel un télégramme de félicitation.
En réponse à ce télégramme, M. Deleclu-
se, conseiller municipal socialiste de notre
ville, vient de recevoir la lettre suivante :
« Dresucn-Plauen, le 6 mars 1890.
» Cher frère,
» Le télégramme que vous et vos amis de
Calais nous avez adressé nous est bien par-
venu. Merci.
» Nous l'avons communiqué à la presse,
qui lui a donné la publicitê voulue.
» Nos partisans, dans toute l'Allemagne,
sont heureux de l'adhésion qu'ils trouvent
chez leurs frères de France, de la sympa-
thie qu'ils leur témoignent. Elles nous sont
une preuve certaine du peu d'écho que
trouve dans les classes laborieuses la lutte
que se font nos deux gouvernements. Cette
lutte ridicule divise les deux nations les
plus civilisées du continent européen.
» Les travailleurs français et les travail-
leurs allemands doivent comprendre que
leurs intérêts sont liés. Ils doivent faire
tout ce qui est en leur pouvoir pour met-
tre une fin à la question des nationalités.
La paix et l'amitié les uniront alors pour
toujours.
» La France et l'Allemagne Unies, c'est ùa
paix universelle, ce sera la liberté du
monde.
» Fraternelle accolade pour vous et vos
amis, et bica vôtre.
? A. Bfeel. »
CHRONIQUE
Il semble qu'à l'issue du procès Lami-
nette, il y ait eu dans tout le journalisme
contre les procédés de la magistrature
un grand mouvement d'indignation. Je
ne reviens pas sur les détails de l'affaire,
qui est sans doute présente encore à tou-
tes les mémoires. L'accusé a été acquitté
par le jury. Ce n'est pas, je l'avoue, un
fait bien rare qu'un acquittement en
cour d'assises, et il n'y aurait pas là de
quoi se scandaliser, ni se révolter contre
une poursuite qui n'a pas abouti à une
condamnation. Mais, cette fois, il a paru,
au grand jour des débats, que les char-
ges contre l'accusé n'étaient pas suffi-
santes pour justifier l'acharnement dont
a témoigné le ministère public, et j'ose
ajouter encore : le président des assises.
Nous ne sommes pas dans le secret de
l'instruction ; nous ne pouvons parler
que de ce qui s'est produit à l'audience,
et encore sur le compte rendu qu'en ont
fait les journaux. Il nous a semblé à tous
que l'accusation n'avait pas été écha-
faudée sur des bases assez solides, que les
présomptions accumulées contre l'accusé
se tournaient, après examen, en preuves
en sa faveur ; que son innocence était as-
sez visible,assez évidente pour qu'on l'eût
reconnue dès le premier moment, pour
qu'on n'eût pas retenu en prison préven-
tive unhomme qui devait être nécessaire-
ment acquitté par le jury, aux acclama-
tions du public.
M. Emile Zola, dans la Bête humaine,
a peine-de la façon la plus heureuse un
juge d'instruction, M. Denizet, espritsub- :
til et entêté, très infatué de son mérite,
et qui, une fois engagé dans une ooinion.
s'y enfonce avec une raideur de convic-
tion que rien ne désarçonne. Il est, dans
le roman, engagé sur une fausse piste ; il
la suit avec une obstination hautaine. Ce
qu'il y a de plus plaisant, c'est que le
vrai coupable se dénonce ; il conte tout à
trac le crime commis par lui, il en dit les
circonstances, il met les points sur les i.
M. Denizet ne démord pas de son système.
Il prouve, avec une invincible logique, au
criminel, que son récit, qui est pourtant,
nous le savons, la vérité la plus exacte,
n'est qu'un tissu d'absurdités :
— Vous nous prenez pour des enfants!
lui dit-il d'un too-péremptoire.
Et il reprend chaque fait, et il lui
montre comme ce fait est simple, na-
turel et s'explique dans son système,
tandis qu'en se tenant au récit de l'autre,
il est d'une inexplicable invraisemblance;
et il presse si vivement son homme,que le
pauvre diable finit par s'écrier :
— Ce n'est pas la peine de vous dire la
vérité, puisque le faux est plus logique
qu'elle.
C'est à mon sens ce qu'il y a de meil-
leur et de plus original dans la Bête hu--
maine. Car Zola n'a point ici, comme il
lui arrive quelquefois, chargé le portrait
et poussé à la caricature. Son Denizet
n'est ni un imbécile ni un coquin. Non,
c'est un homme qui a le goût de l'inté-
grité, qui a de la finesse et qui sait son
métier ; seulement, il est sujet à la pré-
vention, et tout le monde sait quel mer-
veilleux instrument c'est que la préven-
tion pour crever les yeux des gens.
Il est bien probable que les magistrats
qui ont poursuivi avec tant d'âpreté ce
pauvre Larninette avaient eu l'esprit
frappé de certaines circonstances qu'une
envie farouche de découvrir le vrai cou-
pable leur avait fait regarder comme très
probantes. Ils s'y étaient passionnément
attachés; une fois en possession de leur
système, il n'y avait plus dans la cause
un détail qui ne le confirmât. Il avait
fallu, pour les détromper, le grand jour
des assises.
Ces préventions ne doivent pas nous
étonner, nous dont le métier est de nous
occuper de théâtre. Comment se fait-il
qu'une pièce paraît excellente à ceux qui
la montent, qu'ils y rient de tout leur
cœur aux répétitions, et qu'ils s'y pro-
mettent un succès énorme ? Le soir de la
première représentation arrive, les écailles
leur tombent des yeux : le public reste
morne, et ils se regardent effarés.-Conl-
ment avons-nous pu nous tromper à ce
point ? La pièce est idiote. Où avions-
nous l'esprit de ne pas nous en être
aperçus plus tôt ?
Le public, lui, arrive avec les yeux frais
au théâtre. Ainsi fait le jury à la salle des
assises. Il voit la vérité se lever peu à peu
des témoignages qui défilent devant lui
à la barre. Les chefs d'accusation, labo-
rieusement accumulés et échafaudés par
l'instruction, se dissipent et s'évanouis-
sent. Il n'a même pas besoin de délibérer
un instant. Il répond non d'une voix
unanime.
Voilà donc ce Laminette rendu à la
liberté, à sa famille et à ses affaires. Mais
nous avons tous senti le même scrupule
naître en nos esprits. Ce malheureux,
qu'on avait arraché à sa maison, à son
travail, à ses affections, que l'on avait
tenu des semaines et des mois en prison
préventive, et peut-être au secret, qui
avait, durant ces longs jours d'interro-
gatoire, passé par les angoisses et les dou-
leurs qu'on peut imaginer, était-on quitte
envers lui lorsque, après avoir prononcé
le verdict d'acquittement, on le renvoyait
sans un sou d'indemnité, sans l'ombre
même d'une excuse, à ses affaires et à sa
famille?
Mettez-vous pour un instant à sa place.
Vous êtes bien tranquille chez vous, ne
pensant à rien. Un gendarme se présente
avec un mandat d'amener. Vous deman-
dez, éperdu, de quoi il s'agit. On ne vous
le dit pas. On ne vous laisse communi-
quer avec aucun des vôtres, on vous em-
porte en prison, où vous êtes verrouillé
et tenu au secret. On fouille chez vous;
on Y met tout sens dessus dessous. Tout
le quartier est instruit de votre arresta-
tion, les voisins en îasent,, les jOU,;l:,la
en parlent. Tout le monde, avant même
de savoir rien de l'affaire, vous croit cou
pable, en vertu du célèbre axiome : « Il
n'y a pas de fumée sans feu. »
Vous n'êtes pas millionnaire ; vous ga-
gnez votre vie d'une profession quelcon-
que. Si vous êtes employé, le gouverne-
ment ou le patron vous remplace; si
vous êtes commerçant, toutes vos affaires
restent en souffrante. La femme pleure,
les enfants crient ; c'est le désarroi dans
la maison, plus de pain au logis, et par-
tout des regards défiants.
Comme vous n'avouez pas un crime
dont vous ne savez pas le premier
mot, l'instruction, égarée sur une fausse
piste, se prolonge. L'horrible misère s'a-
bat sur la famille, sans parler des larmes
répandues sur la honte de cette horrible
situation.
Les mois se passent; l'innocence enfin
triomphe.
L'homme pousse un soupir de soulage-
ment; il est d'abord tout entier à la joie.
Se sentir libre, après tant de jours pas-
sés en prison ! N'avoir plus le cœur serré
de la crainte du déshonneur et du bagne!
Il revient au logis; ce ne sont plus que
ruines : les meubles ont disparu; les
humbles bijoux sont au Mont-de-Piété;
c'est l'édifice de la vie à reconstruire.
Il va demander du travail, et son nomr
qui a traîné dans les journaux, lui est
une mauvaise note. — Mais j'ai été re-
connu innocent 1 — Il n'y a pas de fumée
sans feu; la femme de César ne doit pas
être soupçonnée. et autres adages à l'u-
sage des gens pratiques. Il ne peut trou-
ver d'ouvrage nulle part ; il sent peser sur
lui, dans tout le voisinage, une déconsi-
dération dont il souffre autant pour les
siens que pour lui. Chose extraordinaire I
Tous devraient prendre à tàclie, et se
faire un devoir de lui donner - une - - com-
pensation à l'injustice dont il a été vic-
time. Point du tout : ce sont les magis-
trats qui se sont trompés, c'est à lui qu'on
s'en prend. On le punit d'avoir été accusé
par eux, mis à Mazas par eux, d'avoir
fait, malgré eux, éclater son innocence.
On ajoute à une première injustice une
iniquité bien plus monstrueuse encore.
Que faire?
On a proposé que l'homme acquitté re-
çût une indemnité pécuniaire propor-
tionnée à son temps de prison ; que les
magistrats dussent lui présenter, d'après
un cérémonial qui serait réglé d'avance,
des excuses de leur erreur.
Tout cela se pourrait faire, bien que
la chose ne laisse pas de souffrir, dans
Fexécution, beaucoup de difficultés.
Mais il y a une réparation qui est dans
la main du public.
Je voudrais, quand un homme a été
acquitté et que cet acquittement n'est
pas évidemment un acquittement d'in.
certitude ou de faveur, je voudrais que
la société tout entière se serrât autour
de lui et cherchât à lui faire oublier son
injure à force de prévenances. Je vou-
drais que cet acquittement lui fût un
titre à la considération publique; que
s'il se présentait pour une place, on la
lui donnât de préférence; qu'on tâchât
de le désarmer d'une irritation bien na-
turelle, en le vengeant, en le consolant
des maux soufferts.
Il n'y a pas besoin de loi nouvelle pour
obtenir ce résultat. C'est un change-
ment à opérer dans nos esprits et une
réforme à faire dans nos mœurs.
Francisque Sarcey.
LA CONFÉRENCE DE BERLIN
L'ouverture des travaux. -Une Assein.
blée délibérante de 60 membres.
(D'UN CORRESPONDANT)
Berlin, 1A mars.
L'ouverture de la conférence aura lieu
demain samedi, à deux heures, dans le sa-
lon historique du premier étage de la chan-
cellerie, où ont été tenues les séances du
congrès de 1878. M. de Berlepsch, ministre
du commerce de Prusse, souhaitera, au
nom de l'empereur, et en langue française,
la bienvenue aux délégués des différents
gouvernements.
Les délégués seront placés d'après l'or-
dre alphabétique des Etats qu'ils représen-
tent.
Les travaux de la conférence ne com-
menceront que lundi. Une commission sera
nommée pour chacune des divisions du
programme. A mesure que chaque com-
mission aura achevé de délibérer, son rap-
port sera entendu en séance plénière. Les
avis auxquels on se sera arrêté seront com-
muniqués aux divers gouvernements re-
présentés à la conférence.
Les délégués
Les pays dont la participation à la confé-
rence est officiellement connue sont : l'Al.
lemagne, l'Angleterre, l'Autriche-Hongrie,
la Belgique, le Danemark, l'Espagne, la
France, l'Italie, le Luxembourg,. les Pays-
Bas, le Portugal, la Suède et la Norvège, 1.
Suisse.
Les délégués sont au nombre de 60.
La représentation anglaise
Aux délégués anglais dont la nominatios
est déjà officiellement annoncée,ou été ack
joints comme délégués ayant voix dOiiiK-ra*
tive :
M. David Dales, employé de la gran,tt
maison Pease, à Darlington; M. '"iiari^
Scott, ministre d'Angleterre à Ber ; , q~
s'était déjà préparé sur les questions ou..
vrières en vue de la conférence de Berne,
Il est entendu que l'ambassadeur anfflaic p
Berlin, sir Edward Malet, siégtd JOUUMQ
premier délégué à la conférence.
Sont adjoint comme délégués teciiiuques
assistants : M. Burt, ouvrier miriear, qui
siège au Parlement depuis seizs ans < t qui'
représentera, à Berlin, les Trai..-a-
de mineurs ; M. Birtwistle, secrétaire gé-
néral de l'association syndicale des ou-
vriers tisserands ; M. Whymper, inspecteur-
surintendant des manufactures au ministère
de l'intérieur, en outre de M. Burnctt, du
ministère du commerce.
La liste officielle des délégués
Voici les noms des délégués des divers
Etats qui prennent part à la conférence, à
J'p.ceotio.tl de l'Espagne et du P^rtu^al ;
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