Dix-neuvième année. — N* 6,611 CPTO GOIltlUlGS •— Parla, et Départements — CSW Cfr Centimes, JEUDI 23 FÉVRIER 1890 -
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A. - EDOUARD PORTALIS
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MORT D WDRASSY
LA CARRIÈRE D'UN HOMME D'ÉTAT
LE MARIEUR MAYER -
LA JOURNÉE DU MARDI GRAS
Un nouvel engrais pour la vigne
AU TRAVAIL!
Le Palais-Bourbon a été pendant
quelques jours désert. La Chambre
était en congé. Les flons-flons du car-
naval avaient mis les législateurs en
fuite. Ils avaient même allongé quelque
peu la durée coutumière des vacances
qu'apportent les jours gras, en s'oc-
troyant huitjours pleins. ,.
Nous ne songeons pas, du reste, à
formuler ici un reproche dont nous
aurions notre part. A notre sens, mieux
vaut pour la Chambre ne pas siéger du
tout, que tenir des séances aussi peu
remplies que le furent les dernières.
Permis au Sénat de se réunir à trois
heures pour se séparer à trois heures
cinq; mais ces allures reposées sié-
raient mal à la Chambre. Il ne con-
viendrait pas de s'offrir souvent le
spectacle de ces séances où un dé-
puté dévoué montait à la tribune,
moins pour défendre un projet de loi
que nul ne songeait à attaquer, que
pour faire passer le temps. Tactique
dangereuse. Car ce discours, plein de
choses utiles et instructives d'ailleurs,
appelait une réplique et l'on risque
ainsi, à vouloir mettre en relief les
beautés d'un projet de loi qui aurait
été voté sans controverse, de mettre
en péril son adoption.
Il est vrai que, pour remplir les la-
cunes d'un ordre du jour insuffisant,
nous avons les validations de pou-
voirs. Mais 5 cette distraction, pour pi-
quante qu'elle ait été, commence à
passer de mode. C'est l'histoire du
pâté d'anguilles. Trop est trop. Les
péripéties d'un débat à l'issue duquel
est liée la vie parlementaire d'un ho-
norable ont été si souvent répétées,
que tout le monde en est à cette heure
excédé. Puis, voici que nous touchons
à mars. Cinq mois pour valider les
pouvoirs de députés élus pour quatre
ans, l'opération est un peu lon-
guette.
Il y a d'ailleurs de plus graves mo-
tifs que celui de donner aux séances
du Palais-Bourbon un attrait nou-
veau, pour commander à la Chambre
d'alimenter son ordre du jour d'élé-
ments un peu plus substantiels que
ceux dont elle l'a nourri jusqu'à ce.
jour.
Les résultats de la consultation
électorale des six circonscriptions de
la Seine n'ont pas changé la situation
parlementaire. Que le boulangisme se
soit évanoui comme une fumée ou qu'il
jette avant de s'éteindre une dernière
flamme, comme un feu qui finit de se
cousumer, la situation réciproque de
l'opposition et de la majorité reste
identique et les devoirs du parti ré-
publicain demeurent les mêmes.
Faut-il ressasser ce lieu commun,
dont l'histoire s'est chargée de dé-
montrer la vérité? Ce n'est jamais sous
les attaques de l'opposition qu'un
gouvernement succombe ; il n'y a pour
lui de mortelles que les fautes qu'il
commet. L'opposition comptât- elle
dans ses rangs les hommes les plus
considérés, les politiques les plus sub-
tils, les orateurs les plus éloquents ;
eût-elle à offrir au pays les nouveau-
tés les plus séduisantes, ses efforts se
briseront contre un gouvernement
soucieux des besoins et des vœux du
pays, qui s'étudie à les connaître et à
les satisfaire.
Ce serait, par contre, une dange-
reuse illusion de croire un régime
à l'abri de tout péril, parce que ses
adversaires sont divisés ou déconsi-
dérés. Si le pouvoir s'abandonne, s'il
est négligent et inerte, s'il ne donne
pas au pays les satifactions qu'il en
attend, le peuple prendra le premier
instrument qui lui tombera sous la
main pour se débarrasser de servi-
teurs incapables.
Cette histoire est d'hier et si elle n'a
pas eu, par bonheur, la conclusion
qu'on pouvait redouter, tout l'hon-
neur en revient au bon sens et à la
perspicacité du suffrage universel, qui
s'est ressaisi à temps. Il a aperçu
l'abîme où une Coalition innommable
voulait l'entraîner. Et, avec une éner-
gie nouvelle, il a affirmé sa volonté de
garder la République.
Mais cet acte de sagesse du pays n'a
point été de sa part l'absolution du
passé. Il n'a consenti à oublier les
fautes du passé que dans le ferme es-
poir Qu'elles seraient dorénavant évi-
tées. II a demandé au parti républi-
cain de se donner tout entier aux ré-
formes économiques et sociales,depuis
si longtemps désirées, et de travailler
avec une résolution persévérante et
d'un même élan à lui en assurer le
bienfait.
Cette volonté du pays, ses répré-
sentants semblaient l'avoir nettement
comprise. Nous n'en voulons pour
preuve que les nombreux discours où,
depuis les élections générales, se sont
affirmées les intentions des membres
les plus autorisés du parti républi-
cain.
Mais, en politique, les intentions ne
sont rien. On ne peut tenir compte
que des résultats. Quantité de projets
intéressants ont été déposés ; le temps
est venu de commencer à les réaliser.
Au travail donc, agissons. Prenons
garde de ressembler à ces figurants
de théâtre qui, immobiles sur la
scène, chantent à gorge déployée :
« En avant! marchons! »
Le public, si la plaisanterie se pro-
longeait, pourrait se permettre de la
trouver mauvaise.
A. Millerand.
Le « XIXe Siècle » publiera demain la
« Chronique » par M. Francisque Sarcey.
ENTREPRENEUR DE MARIAGES RICHES
La noblesse allemande. — Le bureau
de Mayer. — Un escroc.
(DE NOTRE CORRESPONDANT PARTICULIER)
Berlin, 18 février.
La noblesse allemande paraît avoir un
grand besoin de faire redorer ses blasons,
si l'on en juge par le fait suivant;
Il y a quelque temps un aventurier alle-
mand, R. 0. Mayer, établi à San-Francisco,
avait fait insérer dans les journaux d'Alle-
magne une annonce fort alléchante, offrant
aux nobles allemands de leur procurer de
riches Américaines possédant jusqu'à 100
millions de dot, qui désiraient épouser des
nobles.
C'est par centaines que les lettres éma-
nant de nobles allemands parvenaient à
San-Francisco; mais on finit par savoir que
Mayer avait eu maille à partir avec la jus-
tice américaine lorsqu'il était en Californie.
Il fut alors tellement maltraité par la foule
de ses dupes, qu'il dut quitter son hôtel à
la faveur d'un déguisement et s'embarquer
sur un vapeur à destination du Japon.
Les lettres qu'il avait reçues furent ou-
vertes. Parmi les signataires, aspirant aux
héritières à dots fantastiques, on trouva les
plus grands noms de l'aristocratie alle-
mande, et, entre autres, trois princes ap-
parentés à des familles souveraines alle-
mandes , seize ducs, quatorze marquis,
sans compter des centaines de comtes, ba-
rons, etc.
Le bureau de poste de San-Francisco n'est
pas encore parvenu à retourner 6U8 lettres
adressées au bureau des transactions inti-
mes, fondé par lil. R. 0. Mayer.
UN CRIME AFFREUX
Un père barbare. — Trois victimes
(DE NOTRE CORRESPONDANT PARTICULIER
Lausanne, 18 février.
Un crime affreux a été commis à Dreules,
dans le canton de Vaud.
Un nommé Blanc, furieux d'avoir été
condamné à la prison pour ne pas avoir
envoyé ses enfants à l'école, a assommé à
coups de marteau ses trois malheureux en-
fants âgés de quatre, sept et dix ans.
L'assassin a tenté ensuite de se donner la
mort en se coupant la gorge à l'aide d'un
rasoir, mais il n'a pas réussi et a pu être
arrêté.
L'ARCHIDUCHESSE VALÉRIE
(DE NOTRE CORRESPONDANT PARTICULIER)
Pesth, 18 février.
L'archiduchesse Marie-Valérie et son fiancé
l'archiduc François-Salvator ont assisté hier,
dans la loge impériale, à la représentation du
Théâtre-National.
C'est la première fois que les membres de la
famille de l'empereur visitent le théâtre de-
puis le drame de Meyerling.
Le public les a aclamés à leur sortie.
- -M
L'AFFAIRE PANITZA
Mouvement de sympathie
(D'UN CORRESPONDANT)
Vienne, 18 février.
Les lettres de Sofia disent que M. Stam-
boulof a l'intention d'envoyer une mission
extraordinaire à Berlin, Vienne, Rome et
Londres,pour donner aux différents minis-
tres des explications rassurantes sur la si-
tuation de la Bulgarie. M. Stamboulof a fait
choix pour cette mission de deux de ses
amis intimes.
Dans l'armée, un grand mouvement de
sympathie se manifesterait en faveur de
Panitza, qui est en train de devenir l'homme
le plus populaire de Bulgarie.
On affirme que le major Panitza, se sen-
tant entre les mains de ses ennemis mor-
tels et n'ayant aucun ménagement à espérer,
l'a pris de très haut et a déclaré qu'il avait
voulu débarrasser le pays du prince Ferdi-
nand et de ses ministres, mais il a nié éner-
giquement toute attache avec la politique
russe.
Il n'avait jamais été dans les intentions
des conjurés de tuer le prince ; quant à
M. Stamboulof, le major n'a pas donné la
même assurance.
UN SCANDALE FINANCIER A SAMOA
(DE NOTRE CORRESPONDANT PARTICULIER)
Samoa, 18 février.
Un scandale financier vient d'éclater.
Le consul allemand avait ,]¡OO livres sterling
en propriété et 500 livres sterling en espèces,
qui devaient être remises au gouvernement de
Malietoa.
Mais il résulte de documents authentiques
que tout ce surplus a été hypothéqué par le
consul.
Une commission a été nommée, elle va pro-
céder à une enquête,
JULES ANDRASSY
MORT D'UN HOMME D'ÉTAT
Son agonie et sa mort. — Une carrière
mouvementée. — De la potence au
pouvoir sous un même règne.
Le comte Jules Andrassy, malade depuis
longtemps d'un cancer à la vessie et con-
damné depuis plusieurs semaines par les
médecins, est mort dans la nuit d'avant-
hier, à trois heures, dans son château de
Terrèbes.
Dans ces derniers temps, ses souffrances
étaient intolérables; il ne prenait plus. de-
puis huit jours, que des pilules et de la
glace.
Buda-Pesth est en deuil; tous les édifices
publics sont pavoisés de drapeaux noirs.
Il y a quarante et un ans qu'il avait été
condamné à mort, — par contumace, — et
exécuté, — en effigie, — pour avoir fait
partie, comme ambassadeur de la Répu-
blique hongroise à Constantinople, de l'ad-
ministration de Kossuth. C'était sous le
règne du même empereur François-Joseph
qui, dix-huit ans après, en 1867, le nommait
ministre président dans le premier mi-
nistère hongrois.
Cette circonstance donne à la carrière de
Jules Andrassy un caractère romanesque
qui s'harmonisait assez bien avec ses al-
lures personnelles de grand seigneur hon-
grois, fastueux, spirituel, brillant, quelque
peu charlatan, et cavalier à bonnes for-
tunes, vieux beau sur la fin de sa vie.
Nul ne pouvait jouer avec plus de grâce
pétulante et plus d'indépendance appa-
rente le rôle de comparse de la potitique
de M. de Bismarck, qu'il a joué en réalité
de 1870 à 1880, dans la période culminante
de son action politique.
Sous Kossuth. — Révolutionnaire
et gracié.
Le comte Jules Andrassy de Csik-Szent-
Kiraly et Kraszna-Horka, deuxième des
trois fils du comte Charles, était né le 8
mars 1833, à Zemplin, en Hongrie.
Il entra à la Diète hongroise en 18A7, sous
le patronage de Kossuth. Quand, l'année
suivante, le parti révolutionnaire triompha
en Hongrie, le jeune Andrassy fut choisi
pour représenter le nouveau gouverne-
ment à Constantinople. Il passa à Londres
après la défaite, fut condamné à mort,
comme il vient d'être dit,mais rentra en 1859,
ayant pu obtenir son pardon par les dé-
marches de sa famille et les siennes propres.
Il rentra dans la vie politique et parle-
mentaire à la suite de Deak, et fut nommé
vice-président du Parlement hongrois, lors-
que celui-ci fut reconstitué en 1865. Deux
ans après, il devenait premier ministre et
présidait à l'inauguration du système dua-
liste de M. de Beust, qui donna à la Hon-
grie une autonomie à peu près complète.
Andrassy et Napoléon III à Salzbourg
Une fois à la tête du ministère hongrois,
le comte Andrassy affirma en toute circons-
tances importantes les droits de parité en-
tre les intérêts et les vues politiques de la
Hongrie et ceux de l'autre partie de l'em-
pire, pour ne pas dire de l'empire tout en-
tier. Il entendit traiter d'égal à égal à côté
de M. de Beust dans les questions de poli-
tique extérieure et paralysa tous les plans
du chancelier que la Saxe avait légué à
l'empire autrichien. M. de Beust fut obligé
de l'emmener avec lui à Salzbourg, lors de
l'entrevue de Napoléon III avec l'empe-
reur François-Joseph dans cette ville.
M. de Beust avait travaillé à un accord
entre la France et l'Autriche, dont les inté-
rêts vis à vis de la Prusse lui apparaissaient
solidaires, et il parlait ouvertement de l'al-
liance avec la France comme d'un fait ac-
compli quand le comte Andrassy fit tout
avorter; il adressa, dit-on, à l'empereur
Napoléon ces paroles textuelles :
— M. de Beust s'est trop avancé. Il est de
mon devoir de vous déclarer que nous ne
reconnaîtrons aucun traité contre la Prusse,
et que, en eussiez-vous un en poche, il ne
vaudrait rien, parce qu'un traité ne compte
qu'autant qu'il peut être exécuté, et je vous
garantis que jamais la Hongrie ne permet-
tra que l'Autriche fasse la guerre pour re-
prendre sa position en Allemagne. »
Cette déclaration mit à mort l'alliance
projetée.
La politique anti-française d'Andrassy
En 1870, dès les premiers revers des ar-
mées françaises, M. Andrassy déclara hau-
tement que la résolution de l'Autriche-
Hongrie était d'observer la neutralité : il
affirma à plusieurs reprises cette politi-
que d'abstention, lorsque des interpella-
tions dans la Chambre hongroise lui en
fournirent l'occasion, et ce fut lui qui, huit
jours après la proclamation de l'empire al-
lemand à Versailles, annonça officielle-
ment, en s'adressant aux états de Hongrie,
la reconnaissance du nouvel ordre de cho-
ses par le gouvernement de l'empire d'Au-
triche-Hongrie, aussi bien que par le mi-
nistère hongrois.
C'était le triomphe de la politique qu'avait
représentée personnellement le comte An-
drassy et à laquelle il devait mettre le sceau
quelques années après l'alliance ou plutôt
la subordination de l'Autriche à l'Allema-
gne, consacrée et complétée par une triple
alliance : celle des trois empereurs, que
l'Allemagne devait plus tard remplacer par
la triple alliance actuelle.
La retraite de M. de Beust était la consé-
quence fatale de l'écrasement de la France
et de la renonciation, de la part de l'Autri-
che, à tout plan de revanche pour Sadowa.
La chute de M. de Beust se fit attendre
jusqu'en novembre 1871. Ce fut le comte
Andrassy qui lui succéda à la direction de
la politique extérieure, dans le ministère
commun de l'empire, où il prit le porte-
feuille des affaires étrangères.
L'alliance avec l'Allemagne
L'alliance des trois empereurs fut con-
clue et scellée par la réconciliation de l'Au-
triche avec la Russie, dans l'entrevue de
François-Joseph, d'Alexandre II et de Guil-
laume Ier à Berlin, dans le voyage de Fran-
çois-Joseph à Saint-Pétersbourg, et dans les
entrevues des empereurs et des ministres à
Reichstadt.
L'Autriche dans la guerre d'Orient
Le principal résultat de cette entente, qui
s'annonçait comme devant garantir la paix
de l'Europe, fut la guerre d'Orient. Le comte
Andrassy eut l'air de prévoir, de mener les
événements, et passa pour le principal au-
teur du mémorandum des trois puissances,
qui fit fiasco devant le non possumas du
sultan et le refus d'adhésion de l'Angle-
tarre.
Ce fut sur une dépêche, appelée « note An-
drassy", exprimant le minimum des ré-
formes que les puissances devaient deman-
der à la Turquie en faveur des chrétiens,
que s'engagèrent les travaux de la confé-
rence de Constantinople, destinés à l'avor-
tement. Ce n'est pas seulement la campagne
diplomatique dans laquelle l'Autriche, sous
la direction du comte Andrassy, s'engagea
avec un résultat si désastreux pour la paix
de l'Europe orientale : La main de l'Autric-
che se retrouve dans les troubles de ce
« brin d'Herzégovine », — comme disait M.
de Bismarck, — qui ont allumé la confla-
gration d'Orient, et ce sont des fusils autri-
chiens qui ont tiré les premiers coups de
feu dans cette guerre d'Orient, dont les
conséquences ne se sont jamais toutes dé-
roulées et n'ont cessé de menacer la paix de
l'Europe.
Le rôle d'Andrassy, pendant la guerre et
au cours des progrès des armées russes,
parut très confus et vacillant, tant à rai-
son de son caractère brouillon, que par
suite de la position extrêmement difficile
et contradictoire de ce ministre, tiraillé en-
tre l'intérêt de l'empire d'Autriche qui de-
mandait sa part dans le démembrement de
la Turquie, et lés jalousies de la nationalité
magyare, qui avait tout à craindre d'un ac-
croissement de l'élément slave dans la mo-
narchie, et surtout de la prépondérance
russe dans la presqu'île des Balkans.
Andrassy fut, par moments, l'homme le
plus suspecté et le plus haï des deux côtés
de la Leitha. Ses compatriotes le brûlèrent
en effigie sur les places publiques.
Il ne prit un parti définitif que lorsque
les victoires des armées russes eurent ter-
miné la guerre et abouti au traité de San-
Stéphano. Il eut une grande part dans la
proposition d'un congrès qui se tint à Ber-
lin, pour substituer au traité de San-Sté-
phano un accord arrêté entre toutes les
puissances.
A la conférence de Berlin
C'est sur la proposition même du comte
Andrassy que M. de Bismarck fut proclamé
président de ce congrès, où le ministre
austro-hongrois seconda toutes les propo-
sitions du chancelier, aida à mettre la Rus-
sie en minorité, et fit adjuger à l'Autriche
la concession effective de la Bosnie et de
l'Herzégovine.
La rupture avec la Russie
Les avantages obtenus par l'Autriche au
congrès et les déceptions qui en résultèrent
pour la Russie, frustrée de presque tout le
fruit de ses victoires, avaient creusé dans
l'alliance des trois empereurs une fissure
que rien ne devait plus combler.
Elle devint une rupture complète un an
plus tard, lorsque M. de Bismarck, rendu
inquiet par la froideur de l'entrevue d'A-
lexandovo entre l'empereur Guillaume et
le tsar, et par des paroles d'encouragement
à l'adresse de la France, dites par le chan-
celier Gortchakoff à un journaliste français
qui l'avait interviewé à Bade, partit brus-
quement pour Vienne et alla bâcler en deux
séances de tête à tête avec le comte An-
drassy un traité d'alliance austro-allemand,
celui-là même qui fut renouvelé il y a deux
ans, avec adjonction de l'Italie.
La retraite. — La vieillesse
Peu après, en janvier 1879, le comte An-
drassy se retira volontairement, à la suite
d'une crise parlementaire, et se retira dans
son château de Terrebes, d'où, tout en
ayant l'air de s'occuper surtout des soins
de l'administration de sa fortune person-
nelle, il suivait la politique intérieure et
extérieure, faisant à chaque session des
Délégations, dont il faisait partie comme
membre de la Chambre des seigneurs hon-
grois, entendre sa voix pour encourager ou
critiquer son successeur au pouvoir.
Son intervention dans ces circonstances,
les honneurs avec lesquels l'empereur l'ac-
cueillait, le retentissement qu'obtenaient
ses observations et ses épigrammes, ont
maintes fois fait naître le bruit de son re-
tour au pouvoir. Il est à remarquer que
chaque fois, ce retour apparaissait comme
une menace, un indice de danger pour la
paix, spécialement à l'égard de la Rus-
sie.
Depuis deux ans, cependant, son état de
santé avait coupé court à toute idée de sa
réapparition sur la scène.
Andrassy personnifia toutes les qualités
extérieures et les défauts nationaux de sa
race. Ce fut un politique consommé, ce ne
fut pas un homme d'Etat.
Honneurs funèbres
Le corps du Comte Andrassy arrivera à
Buda-Pesth le 20; il sera transporté au pa-
lais de l'Académie des sciences. Les obsè-
ques auront lieu probablement vendredi,
dans la matinée.
L'impératrice a fait parvenir un télé-
gramme de condoléance à la veuve du
comte Andrassy, la comtesse Catherine de
Malomvitz, qu'il épousa durant son séjour
à Paris, en 1856.
Condoléances officielles
Buda-Pesth, 18 février.
L'empereur a adressé une lettre de con-
doléance à la veuve du comte Andrassy.
L'archiduc Joseph, qui se trouve à Fiume,
s'est rendu à la maison mortuaire, la villa
Minach, pour présenter l'expression de ses
regrets.
Avant que le corps soit inhumé dans le
tombeau de famille à Terebes, des funé-
railles nationales seront célébrés avec une
grande pompe à Buda-Pesth.
L'ALLIANCE AUSTRO-ALLEMANDE
ET LE COMTE ANDRASSY
(D'UN CORRESPONDANT)
Vienne, 18 février.
Dans la séance de la Chambre des dépu-
tés, le président, docteur Smolka, ayant
insisté particulièrement sur le rôle impor-
tant que le comte Andrassy a joué lors de
la conclusion de l'alliance avec l'Allemagne,
la Gauche a vivement applaudi et a chargé
le bureau du club d'adresser un télé-
gramme de condoléance à la comtesse An-
drassy.
UN CENTENAIRE
(DE NOTRE CORRESPONDANT PARTICULIER)
Milan, 18 février.
Il est mort à Milan un vieillard âgé de 105
ans qui, jusqu'au dernier moment, a travaillé
pour gagner sa vie.
SUICIDE DANS UN POSTE
(DE NOTRE CORRESPONDANT PARTICULIER)
Nîmes, 18 février.
Une femme, Félicie Teyssédre, qui avait été
arrêtée pour vol dans un bazar, s'est suicidée
des qu'elle fût enfermée dans le violon muni-
cipal.
La malheureuse s'était attachée par le cou à
la serrure de la porte avec un foulard et s'é-
tait étranglée.
LA VIEDEP ARIS
J'ai l'habitude ou la nécessité de tra-
v 1er tous les jours plusieurs heures, et
je ne m'en plains pas. J'aime passionné-
ment mon métier, et toutes les besognes
— je * les ai faites à peu près toutes, de
reporter à directeur de journal - me
sont agréables. Il me semble qu'on pense
mieux à penser tout haut, comme nous le
faisons,et qu'on vit double, qu'on éprouve
deux fois les sentiments et les sensations
qui nous viennent des choses et des évé-
nements lorsqu'on en entretient le public
qui veut bien nous lire. Je ne me plains
donc jamais de n'avoir ni dimanches, ni
fêtes. Cependant, aujourd'hui, en me met-
tant à ma table, j'ai éprouvé je ne sais
quelle tristesse. Ce n'est pas qu'il fît beau
temps et que je me sois trouvé con-
trarié d'avoir abrégé ma promenade. Un
bon soleil entre dans mon cabinet, donne
des couleurs plus vives à mes fleurs, mon
seul luxe, et m'apporte l'illusion de la vie
au dehors, de la campagne même. Tout
est affaire d'imagination. Ce qui me ren-
dait morose, c'est que c'est aujourd'hui
le mardi gras, un grand jour de fête : et
rien n'est plus triste qu'une fête qu'on ne
chôme pas.
Je dois cependant reconnaître qu'il y
a eu aujourd'hui un petit, un tout petit
effort pour rendre -la vie au carnaval, et
qu'à un moment, sur le boulevard, on a
bien pu voir passer une demi-douzaine de
voitures de masques, y compris un char
assez macabre représentant l' « Influen-
za », suivie de la Mort qui agitait sa
faux en menaçant les passants, parfois
mal impressionnés de cette plaisanterie
funèbre. D'autres chars exhalaient un
vague parfum de réclame commerciale,
ce qui me dispense et m'empêche d'en
parler. Mais ce réveil du carnaval n'a pas
duré une heure. Tout le reste de la jour-
née et le soir, il y avait une foule énorme
sur le boulevard; mais cette foule ne
trouvait aucun élément pour satisfaire sa
curiosité. Quelques enfants à peine se
promenaient, embarrassés de leurs cos-
tumes et de leurs masques, et aussi quel-
ques douzaines d'êtres douteux habillés
en femme et qui, en prenant ce costume,
n'avaient pas fait infraction à leurs ridi-
cules et honteuses pratiques. Paris, en
somme, était sorti dans la rue, et on ne
donnait aucun aliment à sa curiosité. De
là, l'air ennuyé de cette foule, inutile-
ment massée devant les boutiques ou les
cafés, finissant par regarder les transpa-
rents lumineux pour faire quelque chose.
Et rien n'est plus triste qu'une foule
désœuvrée, qui n'est animée' et vivifiée
par l'attente ou l'enthousiasme d'aucun
plaisir.
- Le pauvre carnaval paraît bien mort.
Pour le retrouver vivant,il faut aller à Nice.
Car, en vérité, avec les quelques masques
que j'ai dits, des cochers sonnant de la
trompe de chasse, - et en sonnant mal,—
chez les marchands de vin, cela ne peut pas
passer pour constituer une réjouissance
publique suffisante. Ni « les gens comme
il faut » ni le populaire ne se déguisent
plus. On croit rêver quand on lit, dans
les Mystères de Paris, d'Eugène Sue, —
qui fut lui-même un joyeux vivant, — la
description du carnaval de 1832, de cette
descente de la Courtille où lord Seymour
(milord Arsouille) goûtait les joies de sa
popularité, et de ces cavalcades dont une
représentait le choléra, qui, le lendemain,
répondait au défi en entrant, foudroyant,
dans Paris terrifié. Je regrette bien vive-
ment ces plaisirs, et d'une façon bien dé-
sintéressée, car ils ne sont plus de mon
âge. Mais il me semble qu'il manque
quelque chose à un peuple, à une grande
ville, quand ils n'ont pas deux , ou trois
fois l'an leur journée de réjouissance
publique, d'oubli, de folie, leur journée
où tout le monde se mêle, où les classes
se confondent et où il paraît qu'on re-
prend les traditions joyeusement égali-
taires des saturnales antiques.
Nous avons bien la journée du 1A Juil-
let et la fête nationale, que la ville de
Paris célèbre, il faut le reconnaître, avec
beaucoup de splendeur et sans épargner
l'argent pour les illuminations et les bals
de quartiers. Mais cette fête garde encore
un double caractère de fête officielle et de
fête politique, ce qui empêche certaines
gens d y prendre part. Il reste des bou-
deurs qui s'en vont, ce jour-là, et qui ne
prennent aucune part à la joie de la ma-
jorité des Parisien. Dans ces derniers
temps, des préoccupations d'ordre politi-
ques se sont mises de la partie et on a re-
douté que le 1A Juillet ne fût une occa-
sion de désordres boulangistes. Ni la bou-
derie ni les craintes ne seront d'ailleurs
éternelles. Mais enfin on peut regretter
qu'il n'y ait pas une autre fête, absolu-
ment mondaine et acceptée de tous, fête
de la jeunesse tout entière, et que les Pa-
risiens, qui tiennent à s'amuser et qui
sont fort ingénieux dans l'organisation
des plaisirs, n'aient pas un pauvre petit
jour de carnaval à opposer aux journées
triomphantes d'autres villes que la leur,
tant au nord qu'au midi. Le carnaval, en
effet, vit toujours en Flandre, comme il
vit en Italie et à Nice.
Je ne vois pas pourquoi les corpora-
tions professionnelles, les corps de mé-
tier, nombreux et puissants à Paris, ne
se donneraient pas, pour leurs apprentis,
pour leurs ouvriers, une fête dont le
jour serait le dernier jour du carnaval.
Les blanchisseuses le font. Mais, de tra-
dition ancienne, elles ont pris la Mi-Ca-
rême pour promener leur reine dans Pa-
ris. Les bouchers, corporation très riche,
pourraient bien reprendre l'habitude de
promener leur bœuf gras. Ces sortes de
réjouissances ont beaucoup d'avantages.
J'en trouve qui sont d'ordre moral, don-
nant une détente aux préoccupations de
chaque jour. Mais il y en a, en tout cas,
de matériels, qui sont incontestables.
Rien ne fait aller le commerce comme la
moindre prétexte donné à la foule pou
se divertir. Les enfants, les femmes, les
jeunes gens, qui ne demandent qu'à s'a*,
muser, n'ont pas besoin de ces raisons 5
mais elles peuvent frapper les hommes
sérieux et les amener à penser commét
moi que la résurrection du carnaval su-
rait une louable entreprise.
Henry Fouquier,
LA FAMILLE DE MARAT
Le père du conventionnel. — Les frères
de Marat.
Dans la dernière séance de la Société d'his*
toire et d'archéologie de Genève, M. Louis
Dufour, archiviste, a donné de cur ux dé.
tails sur la famille de Marat. e
Le père du, fameux conventionnel avait
été reçu « habitant" de Genève en 17A3. et
plus tard à Neuchâtel, puis à Boudry. II
revint ensuite à Genève. 1
Les actes de l'état civil, orthooraphiene
son nom Maxa, Massa ou Mara. Comme il
était originaire de Cagliari en Sardaigne, il
est probable que les orthographes vicieuses
- la dernière est la bonne, - proviennent
d'un défaut de prononciation. :
Il avait six enfants. Un fit un apprentis**
sage d'horloger et ouvrit boutique d'hor
logerie a Genève.
Un autre fils a - été longtemps maître dans
le lycée impérial de Tsarkoë-Sélo, eJJ
Russie pénal de Tsarkoë-Sélo, eu
On n'a pas de renseignements sur les
autres enfants, sauf sur le conventionnel.
*
AU
MINIST£RE DE lA GUERRE
L'ETAT-MAJOR GÉNÉRAL
Mutations. — Nouvelle organisation. -4
Les sous-chefs. — Les bureaux -
et les sections.
A la suite des mutations qui viennent de
se produire dans l'état-major général du
ministre de la guerre, l'organisation sui-
vante a été arrêtée par M. de Freycinet :
Le chef de l'état-major général, qui est le
général Haillot, a près de lui un cabinet
dont relève le service géographique dirigé
par le général Derrécagaix.
L'état-major général se subdivise en deux
sous-directions :
La première sous-direction, qui a pour
chef le général de Saint-Germain, premiec
sous-chef de 1 etat-major général,comprend :
le bureau de la statistique militaire et des
armées étrangères, colonel Renouard; la
bureau des opérations militaires et de l'ins-
truction générale de l'armée, colonel Rau.
qui remplit, en outre, les fonctions de S
crétaire adjoint du conseil supérieur de la
guerre ; le bureau des étapes, des chemins
de-fer et des transports stratégiques, géné-
ral Leplus, membre de la commission llli
litaire supérieure des chemins de fer.
La seconde sous-direction, qui vient d'à-
tre conférée au colonel Parison, comprend:
le bureau de l'organisation et de la mobili-
sation de l'armée, colonel de Brye, réccnl
ment nommé; la section du personnel du
service d'etat-major; la section du matériel
et de la comptabilité; la section de la télé-
graphie militaire, lieutenant-colonel Phi-
lippe; la section historique, lieutenant-co-4
lonel Henderson ; la section d'Afrique, licl1
tenant-colonel Varigault. f
Répartition du travail
Le service géographique de l'armée, qui
est établi dans les bâtiments de l'ancienne
école d etat-major, embrasse les études et
les recherches relatives à la géodésie, la
publication et la mise à jour de la carte da
France, la cartographie étrangère, la con-i
stitution des approvisionnements de cartes
de mobilisation, les levés de précision des
environs des places fortes. Ce service forme
quatre sections, dirigées chacune par uri
lieutenant-colonel, savoir : la section da
géodésie et d'astronomie, la section des
levés de précision, la section de topogra-
phie, la section de cartographie. Une école
spéciale de dessin topographique a été
créée en 1883 pour recruter le personnel
des dessinateurs civils, qui travaillent sous
la: direction des officiers du service géogra
phique. :
La section du personnel du service d'é,Jf
tat-major est chargée de toutes les affaires
qui intéressent les officiers de ce service
l'école supérieure -de guerre, les gouver-
neurs des places fortes, les interprètes mq
litaires, les membres des missions mi^î
litaires à l'étranger, les agents des sections
techniques d'ouvriers de chemins de fer de
campagne, enfin les personnels de la téléW
graphie militaire, de la trésorerie et desf
postes, des étapes.
Du premier bureau de l'état-major gé.
néral relèvent l'organisation et la mohili
sation générales de l'armée active et da
l'armée territorIale, les emplacements et
les effectifs des troupes, la situation géné-
rale du matériel et des approvisionne-
ments de guerre; du deuxième bureau l'é-
tude de la force militaire des puissance
étrangères et de l'organisation de leurs ar-
mées; du 36 bureau, l'élaboration des plana
de campagne et des règlements techniques-
du he bureau, la préparation des mouvei
ments, de quelque nature qu'ils soient.
La section de la télégraphie militaira
s'occupe également de l'aérostation, des
colombiers et des signaux, de concert avec
le service du génie; de la section histo-
rique dépendent les travaux d'histoire, les
archives et les bibliothèques ; enfin la sec-
tion d'Afrique centralise tous les rensei.
gnements relatifs à l'Algérie et à la Tunisie
1 ci est 1 ensemDie de 1 institution que M.
de Mahy voudrait transformer, sans que la
nécessité en soit aucunement uémoatrée.
Quelques publications périodiques se ré-
digent dans les bureaux de l'état-majo
général, notamment la remarquable Revuç -
militaire de l'étranger
LA CONFÉRENCE OUVRIÈRE DE BERLIN
Berlin, 18 février.
En dehors des gouvernements désignés
dans les rescrits de l'empereur Guillaume
comme devant être invités à prendre part
à la conférence internationale ouvrièreJ
les petits Etats ont été sondés en vue d'oh-
tenir leur adhésion.
Les Pays-Bas et la Suède ont déjà répon-
du qu'ils prendraient volontiers part à una
conférence ayant pour objet l'amélioration
du sort des ouvriers. <
T W YIYE Oï#PI 1?
JOURNAL RÉPUBLICAIN
RÉDACTION
(246, Rue Montmartre
PARM
DIRECTEUR POLITIQUE
A. - EDOUARD PORTALIS
PRIX DE L'ABONNEMENT :
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MORT D WDRASSY
LA CARRIÈRE D'UN HOMME D'ÉTAT
LE MARIEUR MAYER -
LA JOURNÉE DU MARDI GRAS
Un nouvel engrais pour la vigne
AU TRAVAIL!
Le Palais-Bourbon a été pendant
quelques jours désert. La Chambre
était en congé. Les flons-flons du car-
naval avaient mis les législateurs en
fuite. Ils avaient même allongé quelque
peu la durée coutumière des vacances
qu'apportent les jours gras, en s'oc-
troyant huitjours pleins. ,.
Nous ne songeons pas, du reste, à
formuler ici un reproche dont nous
aurions notre part. A notre sens, mieux
vaut pour la Chambre ne pas siéger du
tout, que tenir des séances aussi peu
remplies que le furent les dernières.
Permis au Sénat de se réunir à trois
heures pour se séparer à trois heures
cinq; mais ces allures reposées sié-
raient mal à la Chambre. Il ne con-
viendrait pas de s'offrir souvent le
spectacle de ces séances où un dé-
puté dévoué montait à la tribune,
moins pour défendre un projet de loi
que nul ne songeait à attaquer, que
pour faire passer le temps. Tactique
dangereuse. Car ce discours, plein de
choses utiles et instructives d'ailleurs,
appelait une réplique et l'on risque
ainsi, à vouloir mettre en relief les
beautés d'un projet de loi qui aurait
été voté sans controverse, de mettre
en péril son adoption.
Il est vrai que, pour remplir les la-
cunes d'un ordre du jour insuffisant,
nous avons les validations de pou-
voirs. Mais 5 cette distraction, pour pi-
quante qu'elle ait été, commence à
passer de mode. C'est l'histoire du
pâté d'anguilles. Trop est trop. Les
péripéties d'un débat à l'issue duquel
est liée la vie parlementaire d'un ho-
norable ont été si souvent répétées,
que tout le monde en est à cette heure
excédé. Puis, voici que nous touchons
à mars. Cinq mois pour valider les
pouvoirs de députés élus pour quatre
ans, l'opération est un peu lon-
guette.
Il y a d'ailleurs de plus graves mo-
tifs que celui de donner aux séances
du Palais-Bourbon un attrait nou-
veau, pour commander à la Chambre
d'alimenter son ordre du jour d'élé-
ments un peu plus substantiels que
ceux dont elle l'a nourri jusqu'à ce.
jour.
Les résultats de la consultation
électorale des six circonscriptions de
la Seine n'ont pas changé la situation
parlementaire. Que le boulangisme se
soit évanoui comme une fumée ou qu'il
jette avant de s'éteindre une dernière
flamme, comme un feu qui finit de se
cousumer, la situation réciproque de
l'opposition et de la majorité reste
identique et les devoirs du parti ré-
publicain demeurent les mêmes.
Faut-il ressasser ce lieu commun,
dont l'histoire s'est chargée de dé-
montrer la vérité? Ce n'est jamais sous
les attaques de l'opposition qu'un
gouvernement succombe ; il n'y a pour
lui de mortelles que les fautes qu'il
commet. L'opposition comptât- elle
dans ses rangs les hommes les plus
considérés, les politiques les plus sub-
tils, les orateurs les plus éloquents ;
eût-elle à offrir au pays les nouveau-
tés les plus séduisantes, ses efforts se
briseront contre un gouvernement
soucieux des besoins et des vœux du
pays, qui s'étudie à les connaître et à
les satisfaire.
Ce serait, par contre, une dange-
reuse illusion de croire un régime
à l'abri de tout péril, parce que ses
adversaires sont divisés ou déconsi-
dérés. Si le pouvoir s'abandonne, s'il
est négligent et inerte, s'il ne donne
pas au pays les satifactions qu'il en
attend, le peuple prendra le premier
instrument qui lui tombera sous la
main pour se débarrasser de servi-
teurs incapables.
Cette histoire est d'hier et si elle n'a
pas eu, par bonheur, la conclusion
qu'on pouvait redouter, tout l'hon-
neur en revient au bon sens et à la
perspicacité du suffrage universel, qui
s'est ressaisi à temps. Il a aperçu
l'abîme où une Coalition innommable
voulait l'entraîner. Et, avec une éner-
gie nouvelle, il a affirmé sa volonté de
garder la République.
Mais cet acte de sagesse du pays n'a
point été de sa part l'absolution du
passé. Il n'a consenti à oublier les
fautes du passé que dans le ferme es-
poir Qu'elles seraient dorénavant évi-
tées. II a demandé au parti républi-
cain de se donner tout entier aux ré-
formes économiques et sociales,depuis
si longtemps désirées, et de travailler
avec une résolution persévérante et
d'un même élan à lui en assurer le
bienfait.
Cette volonté du pays, ses répré-
sentants semblaient l'avoir nettement
comprise. Nous n'en voulons pour
preuve que les nombreux discours où,
depuis les élections générales, se sont
affirmées les intentions des membres
les plus autorisés du parti républi-
cain.
Mais, en politique, les intentions ne
sont rien. On ne peut tenir compte
que des résultats. Quantité de projets
intéressants ont été déposés ; le temps
est venu de commencer à les réaliser.
Au travail donc, agissons. Prenons
garde de ressembler à ces figurants
de théâtre qui, immobiles sur la
scène, chantent à gorge déployée :
« En avant! marchons! »
Le public, si la plaisanterie se pro-
longeait, pourrait se permettre de la
trouver mauvaise.
A. Millerand.
Le « XIXe Siècle » publiera demain la
« Chronique » par M. Francisque Sarcey.
ENTREPRENEUR DE MARIAGES RICHES
La noblesse allemande. — Le bureau
de Mayer. — Un escroc.
(DE NOTRE CORRESPONDANT PARTICULIER)
Berlin, 18 février.
La noblesse allemande paraît avoir un
grand besoin de faire redorer ses blasons,
si l'on en juge par le fait suivant;
Il y a quelque temps un aventurier alle-
mand, R. 0. Mayer, établi à San-Francisco,
avait fait insérer dans les journaux d'Alle-
magne une annonce fort alléchante, offrant
aux nobles allemands de leur procurer de
riches Américaines possédant jusqu'à 100
millions de dot, qui désiraient épouser des
nobles.
C'est par centaines que les lettres éma-
nant de nobles allemands parvenaient à
San-Francisco; mais on finit par savoir que
Mayer avait eu maille à partir avec la jus-
tice américaine lorsqu'il était en Californie.
Il fut alors tellement maltraité par la foule
de ses dupes, qu'il dut quitter son hôtel à
la faveur d'un déguisement et s'embarquer
sur un vapeur à destination du Japon.
Les lettres qu'il avait reçues furent ou-
vertes. Parmi les signataires, aspirant aux
héritières à dots fantastiques, on trouva les
plus grands noms de l'aristocratie alle-
mande, et, entre autres, trois princes ap-
parentés à des familles souveraines alle-
mandes , seize ducs, quatorze marquis,
sans compter des centaines de comtes, ba-
rons, etc.
Le bureau de poste de San-Francisco n'est
pas encore parvenu à retourner 6U8 lettres
adressées au bureau des transactions inti-
mes, fondé par lil. R. 0. Mayer.
UN CRIME AFFREUX
Un père barbare. — Trois victimes
(DE NOTRE CORRESPONDANT PARTICULIER
Lausanne, 18 février.
Un crime affreux a été commis à Dreules,
dans le canton de Vaud.
Un nommé Blanc, furieux d'avoir été
condamné à la prison pour ne pas avoir
envoyé ses enfants à l'école, a assommé à
coups de marteau ses trois malheureux en-
fants âgés de quatre, sept et dix ans.
L'assassin a tenté ensuite de se donner la
mort en se coupant la gorge à l'aide d'un
rasoir, mais il n'a pas réussi et a pu être
arrêté.
L'ARCHIDUCHESSE VALÉRIE
(DE NOTRE CORRESPONDANT PARTICULIER)
Pesth, 18 février.
L'archiduchesse Marie-Valérie et son fiancé
l'archiduc François-Salvator ont assisté hier,
dans la loge impériale, à la représentation du
Théâtre-National.
C'est la première fois que les membres de la
famille de l'empereur visitent le théâtre de-
puis le drame de Meyerling.
Le public les a aclamés à leur sortie.
- -M
L'AFFAIRE PANITZA
Mouvement de sympathie
(D'UN CORRESPONDANT)
Vienne, 18 février.
Les lettres de Sofia disent que M. Stam-
boulof a l'intention d'envoyer une mission
extraordinaire à Berlin, Vienne, Rome et
Londres,pour donner aux différents minis-
tres des explications rassurantes sur la si-
tuation de la Bulgarie. M. Stamboulof a fait
choix pour cette mission de deux de ses
amis intimes.
Dans l'armée, un grand mouvement de
sympathie se manifesterait en faveur de
Panitza, qui est en train de devenir l'homme
le plus populaire de Bulgarie.
On affirme que le major Panitza, se sen-
tant entre les mains de ses ennemis mor-
tels et n'ayant aucun ménagement à espérer,
l'a pris de très haut et a déclaré qu'il avait
voulu débarrasser le pays du prince Ferdi-
nand et de ses ministres, mais il a nié éner-
giquement toute attache avec la politique
russe.
Il n'avait jamais été dans les intentions
des conjurés de tuer le prince ; quant à
M. Stamboulof, le major n'a pas donné la
même assurance.
UN SCANDALE FINANCIER A SAMOA
(DE NOTRE CORRESPONDANT PARTICULIER)
Samoa, 18 février.
Un scandale financier vient d'éclater.
Le consul allemand avait ,]¡OO livres sterling
en propriété et 500 livres sterling en espèces,
qui devaient être remises au gouvernement de
Malietoa.
Mais il résulte de documents authentiques
que tout ce surplus a été hypothéqué par le
consul.
Une commission a été nommée, elle va pro-
céder à une enquête,
JULES ANDRASSY
MORT D'UN HOMME D'ÉTAT
Son agonie et sa mort. — Une carrière
mouvementée. — De la potence au
pouvoir sous un même règne.
Le comte Jules Andrassy, malade depuis
longtemps d'un cancer à la vessie et con-
damné depuis plusieurs semaines par les
médecins, est mort dans la nuit d'avant-
hier, à trois heures, dans son château de
Terrèbes.
Dans ces derniers temps, ses souffrances
étaient intolérables; il ne prenait plus. de-
puis huit jours, que des pilules et de la
glace.
Buda-Pesth est en deuil; tous les édifices
publics sont pavoisés de drapeaux noirs.
Il y a quarante et un ans qu'il avait été
condamné à mort, — par contumace, — et
exécuté, — en effigie, — pour avoir fait
partie, comme ambassadeur de la Répu-
blique hongroise à Constantinople, de l'ad-
ministration de Kossuth. C'était sous le
règne du même empereur François-Joseph
qui, dix-huit ans après, en 1867, le nommait
ministre président dans le premier mi-
nistère hongrois.
Cette circonstance donne à la carrière de
Jules Andrassy un caractère romanesque
qui s'harmonisait assez bien avec ses al-
lures personnelles de grand seigneur hon-
grois, fastueux, spirituel, brillant, quelque
peu charlatan, et cavalier à bonnes for-
tunes, vieux beau sur la fin de sa vie.
Nul ne pouvait jouer avec plus de grâce
pétulante et plus d'indépendance appa-
rente le rôle de comparse de la potitique
de M. de Bismarck, qu'il a joué en réalité
de 1870 à 1880, dans la période culminante
de son action politique.
Sous Kossuth. — Révolutionnaire
et gracié.
Le comte Jules Andrassy de Csik-Szent-
Kiraly et Kraszna-Horka, deuxième des
trois fils du comte Charles, était né le 8
mars 1833, à Zemplin, en Hongrie.
Il entra à la Diète hongroise en 18A7, sous
le patronage de Kossuth. Quand, l'année
suivante, le parti révolutionnaire triompha
en Hongrie, le jeune Andrassy fut choisi
pour représenter le nouveau gouverne-
ment à Constantinople. Il passa à Londres
après la défaite, fut condamné à mort,
comme il vient d'être dit,mais rentra en 1859,
ayant pu obtenir son pardon par les dé-
marches de sa famille et les siennes propres.
Il rentra dans la vie politique et parle-
mentaire à la suite de Deak, et fut nommé
vice-président du Parlement hongrois, lors-
que celui-ci fut reconstitué en 1865. Deux
ans après, il devenait premier ministre et
présidait à l'inauguration du système dua-
liste de M. de Beust, qui donna à la Hon-
grie une autonomie à peu près complète.
Andrassy et Napoléon III à Salzbourg
Une fois à la tête du ministère hongrois,
le comte Andrassy affirma en toute circons-
tances importantes les droits de parité en-
tre les intérêts et les vues politiques de la
Hongrie et ceux de l'autre partie de l'em-
pire, pour ne pas dire de l'empire tout en-
tier. Il entendit traiter d'égal à égal à côté
de M. de Beust dans les questions de poli-
tique extérieure et paralysa tous les plans
du chancelier que la Saxe avait légué à
l'empire autrichien. M. de Beust fut obligé
de l'emmener avec lui à Salzbourg, lors de
l'entrevue de Napoléon III avec l'empe-
reur François-Joseph dans cette ville.
M. de Beust avait travaillé à un accord
entre la France et l'Autriche, dont les inté-
rêts vis à vis de la Prusse lui apparaissaient
solidaires, et il parlait ouvertement de l'al-
liance avec la France comme d'un fait ac-
compli quand le comte Andrassy fit tout
avorter; il adressa, dit-on, à l'empereur
Napoléon ces paroles textuelles :
— M. de Beust s'est trop avancé. Il est de
mon devoir de vous déclarer que nous ne
reconnaîtrons aucun traité contre la Prusse,
et que, en eussiez-vous un en poche, il ne
vaudrait rien, parce qu'un traité ne compte
qu'autant qu'il peut être exécuté, et je vous
garantis que jamais la Hongrie ne permet-
tra que l'Autriche fasse la guerre pour re-
prendre sa position en Allemagne. »
Cette déclaration mit à mort l'alliance
projetée.
La politique anti-française d'Andrassy
En 1870, dès les premiers revers des ar-
mées françaises, M. Andrassy déclara hau-
tement que la résolution de l'Autriche-
Hongrie était d'observer la neutralité : il
affirma à plusieurs reprises cette politi-
que d'abstention, lorsque des interpella-
tions dans la Chambre hongroise lui en
fournirent l'occasion, et ce fut lui qui, huit
jours après la proclamation de l'empire al-
lemand à Versailles, annonça officielle-
ment, en s'adressant aux états de Hongrie,
la reconnaissance du nouvel ordre de cho-
ses par le gouvernement de l'empire d'Au-
triche-Hongrie, aussi bien que par le mi-
nistère hongrois.
C'était le triomphe de la politique qu'avait
représentée personnellement le comte An-
drassy et à laquelle il devait mettre le sceau
quelques années après l'alliance ou plutôt
la subordination de l'Autriche à l'Allema-
gne, consacrée et complétée par une triple
alliance : celle des trois empereurs, que
l'Allemagne devait plus tard remplacer par
la triple alliance actuelle.
La retraite de M. de Beust était la consé-
quence fatale de l'écrasement de la France
et de la renonciation, de la part de l'Autri-
che, à tout plan de revanche pour Sadowa.
La chute de M. de Beust se fit attendre
jusqu'en novembre 1871. Ce fut le comte
Andrassy qui lui succéda à la direction de
la politique extérieure, dans le ministère
commun de l'empire, où il prit le porte-
feuille des affaires étrangères.
L'alliance avec l'Allemagne
L'alliance des trois empereurs fut con-
clue et scellée par la réconciliation de l'Au-
triche avec la Russie, dans l'entrevue de
François-Joseph, d'Alexandre II et de Guil-
laume Ier à Berlin, dans le voyage de Fran-
çois-Joseph à Saint-Pétersbourg, et dans les
entrevues des empereurs et des ministres à
Reichstadt.
L'Autriche dans la guerre d'Orient
Le principal résultat de cette entente, qui
s'annonçait comme devant garantir la paix
de l'Europe, fut la guerre d'Orient. Le comte
Andrassy eut l'air de prévoir, de mener les
événements, et passa pour le principal au-
teur du mémorandum des trois puissances,
qui fit fiasco devant le non possumas du
sultan et le refus d'adhésion de l'Angle-
tarre.
Ce fut sur une dépêche, appelée « note An-
drassy", exprimant le minimum des ré-
formes que les puissances devaient deman-
der à la Turquie en faveur des chrétiens,
que s'engagèrent les travaux de la confé-
rence de Constantinople, destinés à l'avor-
tement. Ce n'est pas seulement la campagne
diplomatique dans laquelle l'Autriche, sous
la direction du comte Andrassy, s'engagea
avec un résultat si désastreux pour la paix
de l'Europe orientale : La main de l'Autric-
che se retrouve dans les troubles de ce
« brin d'Herzégovine », — comme disait M.
de Bismarck, — qui ont allumé la confla-
gration d'Orient, et ce sont des fusils autri-
chiens qui ont tiré les premiers coups de
feu dans cette guerre d'Orient, dont les
conséquences ne se sont jamais toutes dé-
roulées et n'ont cessé de menacer la paix de
l'Europe.
Le rôle d'Andrassy, pendant la guerre et
au cours des progrès des armées russes,
parut très confus et vacillant, tant à rai-
son de son caractère brouillon, que par
suite de la position extrêmement difficile
et contradictoire de ce ministre, tiraillé en-
tre l'intérêt de l'empire d'Autriche qui de-
mandait sa part dans le démembrement de
la Turquie, et lés jalousies de la nationalité
magyare, qui avait tout à craindre d'un ac-
croissement de l'élément slave dans la mo-
narchie, et surtout de la prépondérance
russe dans la presqu'île des Balkans.
Andrassy fut, par moments, l'homme le
plus suspecté et le plus haï des deux côtés
de la Leitha. Ses compatriotes le brûlèrent
en effigie sur les places publiques.
Il ne prit un parti définitif que lorsque
les victoires des armées russes eurent ter-
miné la guerre et abouti au traité de San-
Stéphano. Il eut une grande part dans la
proposition d'un congrès qui se tint à Ber-
lin, pour substituer au traité de San-Sté-
phano un accord arrêté entre toutes les
puissances.
A la conférence de Berlin
C'est sur la proposition même du comte
Andrassy que M. de Bismarck fut proclamé
président de ce congrès, où le ministre
austro-hongrois seconda toutes les propo-
sitions du chancelier, aida à mettre la Rus-
sie en minorité, et fit adjuger à l'Autriche
la concession effective de la Bosnie et de
l'Herzégovine.
La rupture avec la Russie
Les avantages obtenus par l'Autriche au
congrès et les déceptions qui en résultèrent
pour la Russie, frustrée de presque tout le
fruit de ses victoires, avaient creusé dans
l'alliance des trois empereurs une fissure
que rien ne devait plus combler.
Elle devint une rupture complète un an
plus tard, lorsque M. de Bismarck, rendu
inquiet par la froideur de l'entrevue d'A-
lexandovo entre l'empereur Guillaume et
le tsar, et par des paroles d'encouragement
à l'adresse de la France, dites par le chan-
celier Gortchakoff à un journaliste français
qui l'avait interviewé à Bade, partit brus-
quement pour Vienne et alla bâcler en deux
séances de tête à tête avec le comte An-
drassy un traité d'alliance austro-allemand,
celui-là même qui fut renouvelé il y a deux
ans, avec adjonction de l'Italie.
La retraite. — La vieillesse
Peu après, en janvier 1879, le comte An-
drassy se retira volontairement, à la suite
d'une crise parlementaire, et se retira dans
son château de Terrebes, d'où, tout en
ayant l'air de s'occuper surtout des soins
de l'administration de sa fortune person-
nelle, il suivait la politique intérieure et
extérieure, faisant à chaque session des
Délégations, dont il faisait partie comme
membre de la Chambre des seigneurs hon-
grois, entendre sa voix pour encourager ou
critiquer son successeur au pouvoir.
Son intervention dans ces circonstances,
les honneurs avec lesquels l'empereur l'ac-
cueillait, le retentissement qu'obtenaient
ses observations et ses épigrammes, ont
maintes fois fait naître le bruit de son re-
tour au pouvoir. Il est à remarquer que
chaque fois, ce retour apparaissait comme
une menace, un indice de danger pour la
paix, spécialement à l'égard de la Rus-
sie.
Depuis deux ans, cependant, son état de
santé avait coupé court à toute idée de sa
réapparition sur la scène.
Andrassy personnifia toutes les qualités
extérieures et les défauts nationaux de sa
race. Ce fut un politique consommé, ce ne
fut pas un homme d'Etat.
Honneurs funèbres
Le corps du Comte Andrassy arrivera à
Buda-Pesth le 20; il sera transporté au pa-
lais de l'Académie des sciences. Les obsè-
ques auront lieu probablement vendredi,
dans la matinée.
L'impératrice a fait parvenir un télé-
gramme de condoléance à la veuve du
comte Andrassy, la comtesse Catherine de
Malomvitz, qu'il épousa durant son séjour
à Paris, en 1856.
Condoléances officielles
Buda-Pesth, 18 février.
L'empereur a adressé une lettre de con-
doléance à la veuve du comte Andrassy.
L'archiduc Joseph, qui se trouve à Fiume,
s'est rendu à la maison mortuaire, la villa
Minach, pour présenter l'expression de ses
regrets.
Avant que le corps soit inhumé dans le
tombeau de famille à Terebes, des funé-
railles nationales seront célébrés avec une
grande pompe à Buda-Pesth.
L'ALLIANCE AUSTRO-ALLEMANDE
ET LE COMTE ANDRASSY
(D'UN CORRESPONDANT)
Vienne, 18 février.
Dans la séance de la Chambre des dépu-
tés, le président, docteur Smolka, ayant
insisté particulièrement sur le rôle impor-
tant que le comte Andrassy a joué lors de
la conclusion de l'alliance avec l'Allemagne,
la Gauche a vivement applaudi et a chargé
le bureau du club d'adresser un télé-
gramme de condoléance à la comtesse An-
drassy.
UN CENTENAIRE
(DE NOTRE CORRESPONDANT PARTICULIER)
Milan, 18 février.
Il est mort à Milan un vieillard âgé de 105
ans qui, jusqu'au dernier moment, a travaillé
pour gagner sa vie.
SUICIDE DANS UN POSTE
(DE NOTRE CORRESPONDANT PARTICULIER)
Nîmes, 18 février.
Une femme, Félicie Teyssédre, qui avait été
arrêtée pour vol dans un bazar, s'est suicidée
des qu'elle fût enfermée dans le violon muni-
cipal.
La malheureuse s'était attachée par le cou à
la serrure de la porte avec un foulard et s'é-
tait étranglée.
LA VIEDEP ARIS
J'ai l'habitude ou la nécessité de tra-
v 1er tous les jours plusieurs heures, et
je ne m'en plains pas. J'aime passionné-
ment mon métier, et toutes les besognes
— je * les ai faites à peu près toutes, de
reporter à directeur de journal - me
sont agréables. Il me semble qu'on pense
mieux à penser tout haut, comme nous le
faisons,et qu'on vit double, qu'on éprouve
deux fois les sentiments et les sensations
qui nous viennent des choses et des évé-
nements lorsqu'on en entretient le public
qui veut bien nous lire. Je ne me plains
donc jamais de n'avoir ni dimanches, ni
fêtes. Cependant, aujourd'hui, en me met-
tant à ma table, j'ai éprouvé je ne sais
quelle tristesse. Ce n'est pas qu'il fît beau
temps et que je me sois trouvé con-
trarié d'avoir abrégé ma promenade. Un
bon soleil entre dans mon cabinet, donne
des couleurs plus vives à mes fleurs, mon
seul luxe, et m'apporte l'illusion de la vie
au dehors, de la campagne même. Tout
est affaire d'imagination. Ce qui me ren-
dait morose, c'est que c'est aujourd'hui
le mardi gras, un grand jour de fête : et
rien n'est plus triste qu'une fête qu'on ne
chôme pas.
Je dois cependant reconnaître qu'il y
a eu aujourd'hui un petit, un tout petit
effort pour rendre -la vie au carnaval, et
qu'à un moment, sur le boulevard, on a
bien pu voir passer une demi-douzaine de
voitures de masques, y compris un char
assez macabre représentant l' « Influen-
za », suivie de la Mort qui agitait sa
faux en menaçant les passants, parfois
mal impressionnés de cette plaisanterie
funèbre. D'autres chars exhalaient un
vague parfum de réclame commerciale,
ce qui me dispense et m'empêche d'en
parler. Mais ce réveil du carnaval n'a pas
duré une heure. Tout le reste de la jour-
née et le soir, il y avait une foule énorme
sur le boulevard; mais cette foule ne
trouvait aucun élément pour satisfaire sa
curiosité. Quelques enfants à peine se
promenaient, embarrassés de leurs cos-
tumes et de leurs masques, et aussi quel-
ques douzaines d'êtres douteux habillés
en femme et qui, en prenant ce costume,
n'avaient pas fait infraction à leurs ridi-
cules et honteuses pratiques. Paris, en
somme, était sorti dans la rue, et on ne
donnait aucun aliment à sa curiosité. De
là, l'air ennuyé de cette foule, inutile-
ment massée devant les boutiques ou les
cafés, finissant par regarder les transpa-
rents lumineux pour faire quelque chose.
Et rien n'est plus triste qu'une foule
désœuvrée, qui n'est animée' et vivifiée
par l'attente ou l'enthousiasme d'aucun
plaisir.
- Le pauvre carnaval paraît bien mort.
Pour le retrouver vivant,il faut aller à Nice.
Car, en vérité, avec les quelques masques
que j'ai dits, des cochers sonnant de la
trompe de chasse, - et en sonnant mal,—
chez les marchands de vin, cela ne peut pas
passer pour constituer une réjouissance
publique suffisante. Ni « les gens comme
il faut » ni le populaire ne se déguisent
plus. On croit rêver quand on lit, dans
les Mystères de Paris, d'Eugène Sue, —
qui fut lui-même un joyeux vivant, — la
description du carnaval de 1832, de cette
descente de la Courtille où lord Seymour
(milord Arsouille) goûtait les joies de sa
popularité, et de ces cavalcades dont une
représentait le choléra, qui, le lendemain,
répondait au défi en entrant, foudroyant,
dans Paris terrifié. Je regrette bien vive-
ment ces plaisirs, et d'une façon bien dé-
sintéressée, car ils ne sont plus de mon
âge. Mais il me semble qu'il manque
quelque chose à un peuple, à une grande
ville, quand ils n'ont pas deux , ou trois
fois l'an leur journée de réjouissance
publique, d'oubli, de folie, leur journée
où tout le monde se mêle, où les classes
se confondent et où il paraît qu'on re-
prend les traditions joyeusement égali-
taires des saturnales antiques.
Nous avons bien la journée du 1A Juil-
let et la fête nationale, que la ville de
Paris célèbre, il faut le reconnaître, avec
beaucoup de splendeur et sans épargner
l'argent pour les illuminations et les bals
de quartiers. Mais cette fête garde encore
un double caractère de fête officielle et de
fête politique, ce qui empêche certaines
gens d y prendre part. Il reste des bou-
deurs qui s'en vont, ce jour-là, et qui ne
prennent aucune part à la joie de la ma-
jorité des Parisien. Dans ces derniers
temps, des préoccupations d'ordre politi-
ques se sont mises de la partie et on a re-
douté que le 1A Juillet ne fût une occa-
sion de désordres boulangistes. Ni la bou-
derie ni les craintes ne seront d'ailleurs
éternelles. Mais enfin on peut regretter
qu'il n'y ait pas une autre fête, absolu-
ment mondaine et acceptée de tous, fête
de la jeunesse tout entière, et que les Pa-
risiens, qui tiennent à s'amuser et qui
sont fort ingénieux dans l'organisation
des plaisirs, n'aient pas un pauvre petit
jour de carnaval à opposer aux journées
triomphantes d'autres villes que la leur,
tant au nord qu'au midi. Le carnaval, en
effet, vit toujours en Flandre, comme il
vit en Italie et à Nice.
Je ne vois pas pourquoi les corpora-
tions professionnelles, les corps de mé-
tier, nombreux et puissants à Paris, ne
se donneraient pas, pour leurs apprentis,
pour leurs ouvriers, une fête dont le
jour serait le dernier jour du carnaval.
Les blanchisseuses le font. Mais, de tra-
dition ancienne, elles ont pris la Mi-Ca-
rême pour promener leur reine dans Pa-
ris. Les bouchers, corporation très riche,
pourraient bien reprendre l'habitude de
promener leur bœuf gras. Ces sortes de
réjouissances ont beaucoup d'avantages.
J'en trouve qui sont d'ordre moral, don-
nant une détente aux préoccupations de
chaque jour. Mais il y en a, en tout cas,
de matériels, qui sont incontestables.
Rien ne fait aller le commerce comme la
moindre prétexte donné à la foule pou
se divertir. Les enfants, les femmes, les
jeunes gens, qui ne demandent qu'à s'a*,
muser, n'ont pas besoin de ces raisons 5
mais elles peuvent frapper les hommes
sérieux et les amener à penser commét
moi que la résurrection du carnaval su-
rait une louable entreprise.
Henry Fouquier,
LA FAMILLE DE MARAT
Le père du conventionnel. — Les frères
de Marat.
Dans la dernière séance de la Société d'his*
toire et d'archéologie de Genève, M. Louis
Dufour, archiviste, a donné de cur ux dé.
tails sur la famille de Marat. e
Le père du, fameux conventionnel avait
été reçu « habitant" de Genève en 17A3. et
plus tard à Neuchâtel, puis à Boudry. II
revint ensuite à Genève. 1
Les actes de l'état civil, orthooraphiene
son nom Maxa, Massa ou Mara. Comme il
était originaire de Cagliari en Sardaigne, il
est probable que les orthographes vicieuses
- la dernière est la bonne, - proviennent
d'un défaut de prononciation. :
Il avait six enfants. Un fit un apprentis**
sage d'horloger et ouvrit boutique d'hor
logerie a Genève.
Un autre fils a - été longtemps maître dans
le lycée impérial de Tsarkoë-Sélo, eJJ
Russie pénal de Tsarkoë-Sélo, eu
On n'a pas de renseignements sur les
autres enfants, sauf sur le conventionnel.
*
AU
MINIST£RE DE lA GUERRE
L'ETAT-MAJOR GÉNÉRAL
Mutations. — Nouvelle organisation. -4
Les sous-chefs. — Les bureaux -
et les sections.
A la suite des mutations qui viennent de
se produire dans l'état-major général du
ministre de la guerre, l'organisation sui-
vante a été arrêtée par M. de Freycinet :
Le chef de l'état-major général, qui est le
général Haillot, a près de lui un cabinet
dont relève le service géographique dirigé
par le général Derrécagaix.
L'état-major général se subdivise en deux
sous-directions :
La première sous-direction, qui a pour
chef le général de Saint-Germain, premiec
sous-chef de 1 etat-major général,comprend :
le bureau de la statistique militaire et des
armées étrangères, colonel Renouard; la
bureau des opérations militaires et de l'ins-
truction générale de l'armée, colonel Rau.
qui remplit, en outre, les fonctions de S
crétaire adjoint du conseil supérieur de la
guerre ; le bureau des étapes, des chemins
de-fer et des transports stratégiques, géné-
ral Leplus, membre de la commission llli
litaire supérieure des chemins de fer.
La seconde sous-direction, qui vient d'à-
tre conférée au colonel Parison, comprend:
le bureau de l'organisation et de la mobili-
sation de l'armée, colonel de Brye, réccnl
ment nommé; la section du personnel du
service d'etat-major; la section du matériel
et de la comptabilité; la section de la télé-
graphie militaire, lieutenant-colonel Phi-
lippe; la section historique, lieutenant-co-4
lonel Henderson ; la section d'Afrique, licl1
tenant-colonel Varigault. f
Répartition du travail
Le service géographique de l'armée, qui
est établi dans les bâtiments de l'ancienne
école d etat-major, embrasse les études et
les recherches relatives à la géodésie, la
publication et la mise à jour de la carte da
France, la cartographie étrangère, la con-i
stitution des approvisionnements de cartes
de mobilisation, les levés de précision des
environs des places fortes. Ce service forme
quatre sections, dirigées chacune par uri
lieutenant-colonel, savoir : la section da
géodésie et d'astronomie, la section des
levés de précision, la section de topogra-
phie, la section de cartographie. Une école
spéciale de dessin topographique a été
créée en 1883 pour recruter le personnel
des dessinateurs civils, qui travaillent sous
la: direction des officiers du service géogra
phique. :
La section du personnel du service d'é,Jf
tat-major est chargée de toutes les affaires
qui intéressent les officiers de ce service
l'école supérieure -de guerre, les gouver-
neurs des places fortes, les interprètes mq
litaires, les membres des missions mi^î
litaires à l'étranger, les agents des sections
techniques d'ouvriers de chemins de fer de
campagne, enfin les personnels de la téléW
graphie militaire, de la trésorerie et desf
postes, des étapes.
Du premier bureau de l'état-major gé.
néral relèvent l'organisation et la mohili
sation générales de l'armée active et da
l'armée territorIale, les emplacements et
les effectifs des troupes, la situation géné-
rale du matériel et des approvisionne-
ments de guerre; du deuxième bureau l'é-
tude de la force militaire des puissance
étrangères et de l'organisation de leurs ar-
mées; du 36 bureau, l'élaboration des plana
de campagne et des règlements techniques-
du he bureau, la préparation des mouvei
ments, de quelque nature qu'ils soient.
La section de la télégraphie militaira
s'occupe également de l'aérostation, des
colombiers et des signaux, de concert avec
le service du génie; de la section histo-
rique dépendent les travaux d'histoire, les
archives et les bibliothèques ; enfin la sec-
tion d'Afrique centralise tous les rensei.
gnements relatifs à l'Algérie et à la Tunisie
1 ci est 1 ensemDie de 1 institution que M.
de Mahy voudrait transformer, sans que la
nécessité en soit aucunement uémoatrée.
Quelques publications périodiques se ré-
digent dans les bureaux de l'état-majo
général, notamment la remarquable Revuç -
militaire de l'étranger
LA CONFÉRENCE OUVRIÈRE DE BERLIN
Berlin, 18 février.
En dehors des gouvernements désignés
dans les rescrits de l'empereur Guillaume
comme devant être invités à prendre part
à la conférence internationale ouvrièreJ
les petits Etats ont été sondés en vue d'oh-
tenir leur adhésion.
Les Pays-Bas et la Suède ont déjà répon-
du qu'ils prendraient volontiers part à una
conférence ayant pour objet l'amélioration
du sort des ouvriers. <
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